Loxias-Colloques |  10. Figures du voyage 

Christina Kullberg  : 

La citation de l’autre : discours direct et altérité dans les relations de voyage des missionnaires aux Antilles au XVIIe siècle

Résumé

À partir du constat que la manière dont la littérature viatique incorpore et « cite » l’autre est complexe et relève de plusieurs stratégies d’écriture (mots vernaculaires, discours direct, discours indirect, etc.), cet article propose d’étudier comment quelques relations de voyage aux Antilles du dix-septième siècle inscrivent les paroles autres dans la narration. Nous interrogerons plus précisément l’inclusion des discours directs dans la trame narrative, dans le but de voir à quelle fin la relation de voyage se fait l’écho des voix d’autrui et comment ces voix interviennent dans la construction de l’altérité. Il sera démontré que par le truchement du pathos, la voix de l’autre fait plus que couronner le voyageur d’héroïsme ou remplir le texte d’objets linguistiques exotiques. Elle agit sur le lecteur et compte parmi les figures servant à dynamiser la relation de voyage.

Abstract

Taking as a point of departure the fact that travel writing incorporates and quotes others in a complicated fashion, using a large variety of writing strategies (vernacular words, direct and indirect discourse, and so on), this article sets out to study how a select number of travelogues about the Caribbean from the seventeenth century include other voices in their narratives. More precisely, the aim is to interrogate the inclusion of direct discourses in the texts with the objective to understand the motivation behind making other voices heard and how these voices intervene in the construction of alterity. The article argues that through the uses of pathos, the voice of the other has other functions than to simply play into the heroization of the voyager or to fill the texts with exotic linguistic objects. These voices are meant to touch the reader and can be considered among the figures that contribute to the dynamics of travel writing.

Index

Mots-clés : Chevillard , citation, discours direct, Du Tertre, inclusion, littérature de voyage

Géographique : Antilles

Chronologique : XVIIe siècle

Plan

Texte intégral

Si pendant l’âge des découvertes les vaisseaux ont rapporté à l’Europe des objets exotiques des contrées lointaines, les relations de voyage ont aussi transmis un autre type de matériau étranger en retranscrivant les mots de l’autre. Ces « citations de l’autre » s’avèrent difficiles à saisir. Comment déterminer leur statut au sein de la narration viatique ? À qui les attribuer ? Faudrait-il les lire en termes d’un « simulacre caricatural 1 » de la voix de l’autre qui sert à augmenter la portée exotique de la relation en n’offrant qu’une version dénaturée de la langue indigène sous le joug d’un modèle linguistique européen imposé ? Peut-être. Mais cela vaut pour tout discours rapporté qui n’est après tout qu’un « miroir fallacieux2 » tendu par l’énonciation du rapporteur. En plus, l’insertion des éléments discursifs étrangers s’inscrit dans la généricité même de la relation de voyage qui est, on le sait, située au carrefour de plusieurs genres et de plusieurs types de discours3. Isabelle Moreau et Grégoire Holtz suggèrent par exemple que le voyageur « fonde la légitimité de son discours et affirme son statut d’auteur sur un vol de voix4 ». Et ce « vol » linguistique comprend des types de discours variés et opère à travers différentes stratégies narratives. Clairement, sa fonctionnalité est loin d’être simple et son rôle à l’intérieur du texte viatique mérite d’être « interrogée5 », pour reprendre la formule de Michel de Certeau. Selon de Certeau, l’altérité que la citation de l’autre tenterait de saisir est difficile à maîtriser dans la mesure où « elle maintient le danger d’une étrangeté qui altère le savoir traducteur ou commentateur6 ». Expression de l’ambivalence face à l’étranger, la figure poétique qu’est la citation de l’autre semble plutôt résister à la seule fonction caricaturale. Mieux vaudrait-il considérer les différentes variantes de transfert linguistique et d’insertion de la parole de l’autre à la lumière d’un processus d’écriture. Les traces de la langue et de la parole d’autrui procèdent d’une appropriation culturelle qui s’effectue par le truchement de la transposition poétique, et la citation s’insère à l’intérieur d’une stratégie rhétorique qui consiste à faire se côtoyer le connu et l’étrangeté au sein de la narration.

En effet, la citation de l’autre montre que l’hétérogénéité discursive inhérente à la relation de voyage ne saurait réduire le genre à un discours sur l’autre en ce qu’il se présente aussi comme le discours de l’autre. Mais surtout, l’étude de la citation ne saurait se borner à la simple analyse d’un processus d’intertextualité, de traduction ou d’insertion des mots dans une langue étrangère. À côté de la présence didactique et référentielle des mots comme boucan ou oüragan, on trouve l’inclusion des paroles étrangères par l’entremise de sujets parlants qui sont cités dans des dialogues rapportés ou dont les paroles sont intégrées à la narration historique sous forme de discours indirect. C’est cette forme « vocale » de la citation de l’autre que nous proposons d’étudier ici, c’est-à-dire l’inclusion des discours directs dans la trame narrative, dans le but de voir à quelle fin la relation de voyage se fait l’écho des voix d’autrui et comment ces voix interviennent dans la construction de l’altérité.

Au croisement des langues

L’expression la plus frappante de la citation de l’autre est bien évidemment l’incorporation des mots, voire des phrases entières en langue étrangère. « Signe parfait de l’altérité sauvage7 » qui annonce la différence radicale tout en la rendant plus familière comme le remarque Marie-Christine Gomez-Géraud, le mot étranger s’inscrit bien souvent dans des séquences narratives qui problématisent les rapports entre langues et entre sujets énonciatifs. Beaucoup de descriptions contiennent des anecdotes qui se rapportent au savoir autochtone ou ont recours à des voix narratives rapportées qui introduisent dans la narration un discours direct qui complète l’explication lexicale initiale. Ces scènes d’échange que l’on retrouve aussi dans les dictionnaires et les grammaires des langues vernaculaires faits, le plus souvent, par des missionnaires, renvoient à une pratique interculturelle qui outrepasse la référence linguistique pure. De surcroît, en tant qu’espace textuel où les ouï-dire se conjuguent à une panoplie de sources écrites dans des langues diverses, le texte viatique se place à la croisée d’une multitude de voix qui portent surtout la parole des Européens, mais aussi celle des indigènes et des esclaves. La citation de l’autre nous met ainsi face à une situation narrative floue où se croisent plusieurs langues ce qui invite à se demander si ces paroles d’outre-mer ne compliquent pas la représentation de l’altérité.

Afin de creuser cette problématique, nous allons ici nous tourner vers deux relations écrites par des missionnaires dominicains œuvrant aux Antilles au début de la colonisation française : Jean-Baptiste Du Tertre (1610-1687) et André Chevillard ( ? -1682). Stationné en Guadeloupe à partir de 1640, Du Tertre figure non seulement parmi les voyageurs qui ont séjourné le plus longtemps dans les îles, mais c’est encore son penchant pour l’histoire naturelle, sa connaissance cartographique ainsi que son style qui font de son Histoire générale des Antilles habitées par les François l’une des relations antillaises les plus connues de l’époque, comme en témoignent les deux éditions dont elle fait l’objet ; une première chez Langlois en 1654 ; et une deuxième édition augmentée, illustrée par Sébastien Leclerc et publiée chez Jolly en 16678. André Chevillard, moins connu, est plus difficile à situer dans le contexte de l’époque. À en juger sa relation et les notices des dominicains, il serait arrivé aux Antilles quelques années après Du Tertre et n’y serait resté qu’une année. La relation de son périple, Les Dessins de son Éminence de Richelieu pour l’Amérique9, publiée à Rennes en 1659 et dédiée à la comtesse de Montmoron, se distingue des relations missionnaires de l’époque par sa forme et son contenu. Dépourvue de considérations relatives à l’histoire naturelle et morale, et plus concise que celle de Du Tertre, elle se focalise sur le travail évangélique des dominicains et accorde un rôle central au commerce linguistique inhérent au processus de la conversion.

Comme l’atteste d’emblée le grand nombre de remarques qu’elles consacrent à la langue des indigènes, ces deux relations illustrent parfaitement jusqu’à quel point l’apprentissage et la connaissance des langues étrangères sont essentiels au fonctionnement de ces textes qui poursuivent une finalité politique (raconter l’établissement et le succès de la colonisation) et évangélique (raconter la conversion des Amérindiens)10. Lorsque les relateurs n’insèrent pas leurs propres remarques sur la manière dont communiquent les Amérindiens, ils s’inspirent directement du travail d’un autre missionnaire dominicain, Raymond Breton qui avait rédigé un dictionnaire français-caraïbe et une grammaire de la langue des îles11. Leur usage de ces manuels procède de ce qu’Odile Gannier a identifié comme un travail poétique de la langue, impliquant plusieurs figures12. Et parmi ces figures on remarque effectivement la citation de la parole des Amérindiens et des Africains, parfois traduites, parfois transmises dans un français simplifié. Mais ce que l’on tend à oublier c’est que ces discours rapportés de l’autre émergent à côté des voix des Français, émises et rapportées elles aussi. Dans ces relations, le français croise ainsi d’autres langues ; les paroles du même et de l’autre se mélangent.

À cet égard, la remarque du père Breton à propos de son commerce épistolaire avec Du Tertre autour de son dictionnaire Caraïbe-Français est assez révélatrice :

J’ai donné aux pressentes importunités du RP du Tertre (qui s’est dignement acquitté du devoir d’historien des Antilles) une parcelle de mes traductions de Sauvage en Latin, mais il ne les agréa pas, il voulut quelque chose en langue vulgaire qui fit connaître l’imperfection de la langue Caraïbe, ce qui m’obligea de changer la traduction Latine, en construction Française qu’il arrangea à la fin de son livre comme une traduction. Je lui donnai pour un essai de la langue et non pas pour une chose orthodoxe quoiqu’on dise du Français ou de la glose, le texte Caraïbe me semble bon, ceux qui auront passé le jargon des enfants et les dialectes des femmes, le connaîtront avec le temps, s’ils lui donnent sa vraie prononciation13.

Ici l’objectif didactique et propagandiste cède la place à un travail stylistique qui interfère dans le processus de transmission de la langue de l’autre et brouille le lien à la parole « originale » de l’Amérindien. Il semble à cet effet que Du Tertre ait voulu que la langue amérindienne soit traduite en français plutôt qu’en latin afin de se rapprocher du caractère original de la langue et d’en partager la spécificité avec son lecteur. On peut donc comprendre que la critique ait eu tendance à considérer la manière dont les relateurs citent l’autre ou comme une piètre copie de la langue d’origine ou comme sa dénaturation complète. Il est vrai que le transfert de la langue et de la parole amérindiennes est imprégné d’idéologie. Or, la dénaturation et la traduction qui la caractérisent se présentent aussi comme des moyens poétiques aptes à saisir une énonciation. Ce qui plus est, la tension linguistique ne se joue pas seulement entre le français et le caraïbe (en réalité, il s’agit souvent d’un mélange d’arawak et de caraïbe ou bien de taino)14. À la langue de l’écriture et la transmission de la langue orale indigène se mêlent le latin, l’anglais, l’espagnol, et le « langage corrompu » ou le « baragouin », construit d’un mélange « de Français, Espagnol, Anglois, & Flament15 » qui facilite la communication.

Certes, la langue des Caraïbes se présente comme un objet de « curiosité » auprès des savants et des mondains, mais le relateur qui cherche à dire l’histoire et l’expérience de la vie coloniale doit également recourir à une sensibilité multilingue. C’est la rencontre entre plusieurs langues qui intervient avec force et imprègne l’écriture. Plusieurs relations rapportent que les Amérindiens désirent apprendre les langues européennes, ce qui laisse deviner la nature interculturelle de l’échange linguistique dans un tel contexte ; et qui, comme le constate Gannier, fournit « l’indice d’un certain équilibre de ces relations16 ». Le fait que le premier Amérindien que rencontre Du Tertre en Guadeloupe parle espagnol suffit pour illustrer à quel point nous sommes déjà au XVIIe siècle dans un espace créolisé et qui rend inopérante toute pensée dichotomique. Sans nier les relations de pouvoir inhérentes au régime colonial, on peut dès lors se demander s’il est pertinent d’opposer de manière absolue une altérité incarnée dans la langue de l’autre, et l’identité associée à la langue française dominante. Au contraire, les voix et les langues s’entremêlent et s’inscrivent dans un espace textuel qui est d’abord un espace de mélange.

L’effet de la parole de l’autre

Le multilinguisme qui caractérise l’espace textuel d’où émergent les voix autres se répercute sur l’énonciation du relateur aussi bien que sur la réception du lecteur. Et c’est dans cette relation que la citation de l’autre doit se comprendre. À l’épicentre de la mise en scène de la communication, l’inclusion de la parole de l’autre sert de leçon interculturelle adressée à tous ceux qui rêvent de se rendre dans les îles, en plus de mettre en valeur le savoir du voyageur fondé sur son aptitude à maîtriser plusieurs langues et à agencer plusieurs voix17. Les voyageurs se disent souvent marqués par l’expression simple des sauvages dont ils avouent s’être inspirés pour le style de leurs ouvrages, rappelant ainsi la difficulté de séparer sa voix des discours autres. Dans ce sens, on pourrait avec François Hartog considérer la figure de la citation comme le versant auditif du désir de raconter ce que l’on a vu, de sorte que ces voix deviennent « [...] la métonymie de l’altérité des peuples18 ». L’oreille du voyageur contribuerait ainsi autant que son œil à « construire une figure de l’autre, qui soit ‘parlante’ aux gens du même19 ». La voix de l’autre interviendrait dans ce que Hartog définit comme la démarche principale du voyageur en complétant l’aspect fortement visuel de la construction de l’autre par l’inclusion des autres sens. Hartog renvoie donc la parole de l’autre à une construction de l’altérité orientée vers le même ; non pas à la voix elle-même, mas à l’effet qu’elle produit. Regardons cela de plus près.

Chez Chevillard, la parole de l’autre intervient surtout dans les récits d’évangélisation pour faire le tableau des bons rapports entre les missionnaires et les Amérindiens. Par exemple, un « pauvre Caraïbe » ayant fui les Anglais « hérétiques » tombe malade aussitôt qu’il est sauvé par les Français. Malgré son état, il réussit cependant à s’exprimer :

[…] il éclatoit à tous momens (mais sanglottant & tout baigné de larmes ;) Ah Baba baptizé calinago : & voyant qu’on ne le catechisoit, & qu’on ne le baptisoit pas, il n’avoit aucun repos, redoublant ses saintes ardeurs pour le Baptesme, disant ; Si ancaié bohatinan Baba binalé bouca etinan boné loachout baptizé : voulant dire, Vous vous moquez de moy, mon Pere, il y a long temps que ie vous presse de me baptiser ; helas ! ayez pitié de moy, pauvre Caraïbe, car i’ay l’ame sur les lévres20.

La citation comprend à la fois une transcription et une traduction de la parole de ce jeune Caraïbe qui est cité plusieurs fois dans le même passage. Chevillard utilise tout au long de son récit cette technique de juxtaposition pour rendre hommage à Breton et, par-là même, mettre en valeur son propre savoir. Cette technique fait surtout en sorte que le lecteur puisse s’imaginer la parole « sauvage » non pas pour l’en choquer, mais pour le toucher. Et c’est une voix suppléante qui suscite l’émotion du lecteur malgré la simplicité grossière de son expression. Dans presque tous les exemples de Chevillard, c’est la sentimentalité qui donne accès à l’imaginaire associé à la parole de l’autre. Lorsque ce n’est pas le Démon qui parle pour faire horreur au lecteur, ce sont les « sauvages » qui s’expriment avec éloquence et émotion, toujours dans l’objectif d’émouvoir le lecteur. L’effet auditif transporte donc le lecteur du registre visuel au domaine du sentir et stimule son imagination.

L’on retrouve une fonctionnalité analogue de la parole rapportée dans la section consacrée à la description des esclaves dans le texte de Du Tertre. Dans cette partie de la relation le missionnaire insère une anecdote relatant les aventures d’une jeune esclave qui refuse de se marier parce qu’elle ne veut pas mettre au monde un enfant destiné à l’esclavage. Son maître se moque d’elle et l’amène à l’église, mais elle se révolte avec éloquence contre le mariage que l’on lui impose : « elle respondit avec une fermeté qui nous étonna, » nous raconte Du Tertre, « non mon Pere, je ne veux pas ny de celuy-là ny même d’aucun autre : je me contente d’estre miserable en ma personne, sans mettre des enfants au monde qui seroient peut-estre plus mal-heureux que moi, & dont les peines me seroient beaucoup plus sensibles que les miennes propres21. » L’anecdote remplit de toute évidence une fonction exemplaire et le discours direct de l’esclave s’inscrit dans un registre romanesque. En détournant la parole de l’esclave, l’auteur en fait un personnage muni de raison et de sentiments. Ainsi l’esclave devient-elle digne d’admiration, capable de parler au cœur du lecteur. Puis, lorsque le maître lui permet de rester en état de fille, la sentimentalité de ses paroles se doublent d’un discours propagandiste, cherchant à illustrer le côté « chrétien » et « humaniste » de l’esclavage français.

Force est de constater que l’argumentation pro-missionnaire et la construction d’une image « civile » de la colonisation et de l’esclavage français sont portées par des passages touchants où la citation de l’autre joue un rôle central. Le registre sentimental sert à convaincre le public du succès de la mission et de l’honnêteté des personnes converties. Et la figure de la citation requiert ici une fonction pathique visant à « intensifier la participation des sujets communicants au discours et à son univers » et une fonction pathémique dont l’objectif principal consiste à dynamiser le discours pour susciter l’émotion du lecteur22. Dans ces exemples, l’inclusion du discours direct ne sert pas de marque linguistique d’une différence absolue. Sa fonctionnalité se rapporte à l’effet sur le public plutôt qu’à la représentation de l’altérité, comme si les émotions l’emportaient sur la construction de la différence23. Cette conclusion se confirme si l’on la compare à des séquences narratives où ce n’est pas l’autre mais le même qui est cité. Du Tertre notamment tend à mettre des paroles touchantes dans la bouche de ses compatriotes souffrants. Dans une scène particulièrement émouvante qui décrit l’état lamentable de la colonie française à Saint Christophe, le missionnaire intègre la voix des habitants :

Cependant c’estoit la chose la plus pitoyable du monde à voir. Il y avoit presque 100 malades au logis de M. de la Vernade, tous couchez sur la terre, ou au plus sur des roseaux, dont plusieurs estoient reduits aux abois, veautrez dans leurs ordures, & sans aucun secours de personne. Ie n’avois pas plûtost fait à l’un qu’il falloit courir à l’autre. Quelques fois pendant que j’en ensevelissions un dans des feüilles de Bananier, (il ne falloit pas parler de toile en ce temps-là) je n’entendois par toute la case que des voix mourantes qui disoient, Mon Pere, attendez un moment, ne bouchez pas la fosse, vous n’aurez pas plus de peine pour deux ou pour trois que pour un seul : & le plus souvent il arrivoit ainsi, car j’en enterrois assez communément deux ou trois dans une mesme fosse24.

Cette description, qui tend vers l’hypotypose et situe le sujet narratif au centre du tableau, est en effet reprise dans la relation de Chevillard25. Du Tertre anime le passage en courant tantôt chez l’un tantôt chez l’autre des Français souffrants. Puis des voix suppliantes interviennent moins pour crier désespérément au secours que pour manifester leur générosité à l’égard du missionnaire et de la communauté coloniale. L’idéologie véhiculée par la pitié que doit ressentir le public en « entendant » la voix de ces pauvres abandonnés vise à convaincre le roi de renforcer son soutien aux colonies et d’inciter les supérieurs de l’ordre dominicain à envoyer plus de missionnaires dans les îles. Le missionnaire persuade grâce au pathos dont sont empreintes les voix mourantes. Cités sous la même modalité sentimentale que les autochtones, leurs discours ne sont cependant pas mis en italiques. La typologique introduit ainsi la différence dans l’étrange ressemblance que produit la citation de l’autre, mais la stratégie narrative reste la même : utiliser la portée pathique et pathémique du discours direct dans une argumentation qui convainc par le truchement des passions sans faire appel à la raison ou à la logique capitaliste qui deviendra, on le sait, la motivation principale de la colonisation au siècle suivant.

Théâtralisation des voix

L’Amérindien qui supplie les missionnaires de le baptiser, l’esclave qui plaide sa cause, les agonisants priant le bon père de penser au bien commun, tous ces exemples transforment la séquence narrative en véritable spectacle. Par le truchement du pathos, la voix de l’autre fait plus que couronner le voyageur d’héroïsme ou remplir le texte d’objets linguistiques exotiques. Elle agit sur le lecteur et compte parmi les figures servant à dynamiser le discours. On remarque en outre que la citation de l’autre tend à intervenir lors de situations de menace, de tension ou de danger, comme si la sentimentalité et la dramatisation travaillaient de concert. C’est ainsi que Sylvie Requemora-Gros décèle une influence théâtrale au sein de la narration viatique. « Le récit de voyage devient donc pièce de théâtre, non dans la forme, mais dans le réemploi d’une tonalité majestueuse ou comique et d’une rhétorique dramatisée, de manière, paradoxalement, à mieux rendre compte de la vérité des faits26 », écrit-elle et c’est précisément ce qu’affirme la captation des voix autres. Nos exemples vont plus loin en démontrant que les relations reprennent non seulement une tonalité dramatique, mais qu’elles empruntent encore la forme dialogique du théâtre et que cette théâtralisation de la parole de l’autre peut parfois servir à en atténuer l’altérité radicale, comme nous le verrons maintenant27.

Chevillard adopte un ton grandiloquent en préparant le lecteur à un épisode dramatique lorsqu’il annonce qu’il faudrait « un Amphitheatre beaucoup plus grand que celuy des Romains28 » pour rendre justice aux événements. L’épisode dont il prépare ainsi la relation est une guerre entre les Français et les autochtones, provoquée par la mauvaise gouvernance de Monsieur de l’Olive suite à la disparition du Sieur du Plessis. Dans la version de Chevillard, du Plessis meurt de désespoir en voyant souffrir son peuple. Quand Du Tertre relate le même épisode, il lui donne un ton tragique et galant : le bon gouverneur du Plessis qui s’oppose aux mauvais desseins de son compagnon M. de l’Olive meurt d’excès de mélancolie après le décès de sa femme et la décimation de son peuple. Du Tertre prend le temps de brosser le portrait de ce gentilhomme, aimé tant par les Français que par les Amérindiens, et dont les qualités servent de contraste au tempérament sanguin de M. de l’Olive qui ne pense qu’au bien individuel et à sa gloire. Voyant la voie laissée libre par le départ de Du Plessis, M. de l’Olive cherche un prétexte pour déclarer la guerre aux Amérindiens et s’emparer de leurs territoires. En apprenant ce dessein, la nation amérindienne prend la fuite. Et quand les Français arrivent au village ils ne trouvent « qu’un bon vieillard nommé le Capitaine Tance, âgé de plus de six-vingt ans, avec trois de ses fils & deux autres jeunes sauvages29 ». Désigné par un pronom, le capitaine amérindien se métamorphose en personnage dramatique qui prend la parole et va agir sur la scène, tandis que l’adjectif indique l’orientation de la sympathie de l’auteur. Du Tertre continue son récit en jouant sur le registre visuel et sentimental par l’entremise du discours direct : « [Tance] estoit sur le poinct de s’embarquer ; mais comme il vit les François venir à luy, il leur cria plusieurs fois, France non point fasche, ne se pouvant mieux expliquer : on luy dit qu’il n’avoit qu’à venir avec ses enfants en toute asseurance, & qu’il ne luy seroit fait aucun tort. Sur cette promesse il y vint aussi-tost30 ». L’inclusion de la parole de Tance, dans une langue autre que le « baragouin » mis en italique, contribue à augmenter la tension dramatique de la rencontre. Le capitaine se transforme rapidement en enfant naïf victime du complot des Français. Puisque Tance s’exprime en français, même si ce n’est que d’une façon simple, il se présente clairement comme un ami. La simplicité de sa langue l’inscrit par conséquent dans la lignée des enfants de la colonie et place alors ces Amérindiens, et notamment le vieillard, à l’intérieur de la famille coloniale.

Les mots énoncés par Tance avec sincérité forment un repoussoir aux actions de M. de l’Olive et de ses gens qui se saisissent d’eux afin de les forcer à leur révéler où se trouve le reste de son peuple. Quand Tance et sa compagnie arrivent vers lui, M. de l’Olive change de « face & de discours. » Il s’ensuit un échange rapporté en discours indirect : « [M. de l’Olive] l’appella plusieurs fois traître, luy reprocha que luy & tous ses Compatriotes avoient conspiré contre la Colonie, & resolu d’égorger tous les François : ce pauvre vieillard luy fit entendre que cela n’estoit point, qu’il n’y avoit jamais pensé […]31 ». Bien que le dialogue entre Monsieur de l’Olive et Tance dynamise le passage, il y a une différence quant à la façon dont leurs points de vue sont transmis. Tandis que M. de l’Olive « l’appelle traître » et lui fait « reproche », Tance pour sa part « fait entendre », ce qui suggère que sa communication se base autant sur des gestes que sur des mots. L’absence de langue propre est en quelque sorte compensée par l’adjectif « pauvre » et par la rapide focalisation interne (« il n’y avait jamais pensé ») qui oriente la sympathie du côté de Tance, bien que celui-ci n’ait pas accès à la parole.

On ne saurait surestimer l’importance de la suite de cette histoire que Du Tertre étoffe dans la deuxième édition de son livre par Jolly en le doublant d’un vocabulaire visuel et pathétique. Il s’agit du passage dans lequel M. de l’Olive ordonne à l’un des fils de Tance d’aller chercher les femmes, tandis que ce dernier, au lieu de suivre les ordres des Français, s’enfuit avec elles. Bien que le passage soit long, il mérite d’être cité dans son intégralité et dans ses variantes. Les phrases soulignées ont été ajoutées dans la deuxième édition. Lorsque Du Tertre a beaucoup altéré une phrase, la première version est mise en italique entre parenthèses :

[…] il fit lier le vieillard, & le fit monter dans sa Chaloupe avec un de ses Fils, lequel on poignarda un moment apres aux yeux de ce pere affligé. Cela fait, ces assassins, les mains rougies de sang, s’acharnerent sur ce pauvre vieillard, qu’une cruauté si barbare avoit également saisi & de crainte & d’horreur ; & apres luy avoir furieusement enfoncé cinq ou six coups d’épées & de coûteaux dans l’estomach & dans le ventre, ils le jetterent lié, la teste en bas dans la Mer (Cela fait ils vinrent au père, qui était demeuré tout saisi d’une si horrible cruauté, & après lui avoir donné cinq ou six coups de couteau, & cinq coups d’épée à travers le corps ; ils le jetèrent tout lié dans la mer, la tête en bas) : mais comme il estoit d’une forte constitution pour son âge, & qu’il faisoit encor quelque effort pour se sauver, s’estant délié un bras par son agitation, il nagea vers la Chaloupe, implorant par ses larmes & ses cris la misericorde de ces impitoyables ; mais ces tygres au lieu de s’amolir, par cruauté horrible l’assomerent à coups d’aviron. 
Ils lierent les deux autres Sauvages, plus morts que vifs, & leur firent commandement de les conduire au lieu où les femmes avoient fait leur retraite ; l’un des deux appellé Marivet, fils du Capitaine Baron, si connu dans les Isles par l’inclination qu’il a tousjours eu pour les François, jugeant bien qu’il ne se seroit pas plus favorablement traité que les autres, qu’il avoit veu massacrer, prit l’occasion d’une falaise, d’une hauteur prodigieuse, de laquelle il se précipita en bas dans des haziers, & dans des ronces, sans se rompre aucun membre. Quoy qu’il se fut déchiré tout le corps, il ne laissa pas de se rendre le mesme jour à cinq lieuës de là, où estoient les autres Sauvages avec les femmes & les enfants ; il les avertit de ce qui s’estoit passé, & de la resolution furieuse des François, qui ne les cherchoient que pour les mettre à mort.
Ie ne puis oublier la douceur & la bonté naturelle de ce jeune Sauvage, qui montre bien qu’ils ne le sont que de nom, & que le déreglement de la cholere rendoit nos gens plus sauvages & plus barbares qu’eux. Ayant rencontré au milieu de tous ces Sauvages un garçon François ; il ne luy témoigna aucun ressentiment de l’outrage qu’il avoit receu de ceux de sa nation ; & au lieu de se venger sur luy, du sang qu’ils avoient si cruellement répandu,
il se contenta de luy dire dans son baraguoin, ô Iacques, France mouche fâche, l’y matté Karaibes, c’est-à-dire, ô Iacques, les François sont extrémement fâchez, ils ont tué les Sauvages. (Remarquez ici un trait signalé de débonnaireté en ce sauvage qui contrecarre la cruauté & barbarie des nôtres. C’est qu’ayant rencontré au milieu de tous ces sauvages un garçon Français, sans lui témoigner aucun ressentiment, se contenta de lui dire dans son baragoin, â Jacques, France mouche fasche, ly matté Karaïbes ; c’est-à-dire Jacques les Français sont extrêmement fâchés, ils ont tué les Sauvages)32.

Ici, c’est la victime qui possède un langage, tandis que les compatriotes de du Tertre sont transformés en animaux qui ne s’expriment qu’à travers la brutalité de leurs actions. Ce n’est que dans le dernier paragraphe, et encore dans la deuxième édition du livre, où Marivet, le fils dudit Capitain Baron, interrompt la narration pour se faire entendre. Notons aussi que ce Capitaine Baron n’intervient que dans la deuxième version. Ce personnage qui figure dans plusieurs relations de voyage de l’époque contribue par sa présence à dramatiser le passage dans la mesure où il l’inscrit dans une mythologie antillo-française en train de se construire. Cette mythologie, ou ce que Doris Garraway appelle « des scènes fictionnelles de réciprocité33 » (imagined scenes of reciprocity) qui représente un rapport amical entre les deux nations résonne toujours à l’arrière-plan jusque dans un passage où les Français se comportent en conquistadores. De plus, dans l’édition de 1667, l’anecdote passe d’une énonciation narrative historique (par l’entremise d’un relateur compilateur) à une énonciation discursive à la première personne (par le biais d’un témoin oculaire). Ce changement constitue davantage une tournure rhétorique qu’une correction ou une précision : Du Tertre n’était pas encore arrivé aux îles au moment de la guerre de M. de l’Olive, mais il nous fait comprendre à travers le discours direct à quel point un des survivants du drame, Marivet, le fils du Baron, l’a marqué : il ne peut pas oublier sa bonté naturelle qui s’est affichée dans sa parole. On a ici une mise en abîme de l’effet recherché. Tout comme Du Tertre est touché par les mots des survivants de cette guerre, le lecteur devrait être affecté par le récit.

C’est au moment où Du Tertre inscrit ses personnages (historiques) comme des sujets énonciatifs dans l’histoire relative au drame de la colonisation que ces derniers requièrent le statut d’acteurs et peuvent ainsi intervenir et servir de ressort à l’action du récit. D’un point de vue strictement fonctionnel, l’Amérindien et le Français ont alors le même statut et l’action ne sert ici qu’à toucher le lecteur. Encore une fois, on voit que ce n’est pas en tant qu’altérité absolue que la voix de l’autre s’insère au sein des relations pour mieux les hanter, mais en tant que signe d’une interaction. « Le cité est fragmenté, réemployé et bricolé dans un texte ; il y est altéré », dit de Certeau, « Mais dans cette position où il n’a plus de propre, il reste susceptible de ramener, comme en rêve, une inquiétante étrangeté : pouvoir subreptice et altérant du refoulé34 ». Si le discours de l’autre revient comme le refoulé colonial que le voyageur a tout fait pour mettre sous silence et contenir dans le cadre de son récit et de sa langue, nos exemples démontrent que, dans les passages qui incluent le discours direct, ce retour s’opère comme un effet poétique de dramatisation d’une oralité écrite et fictionnalisée. Bien que la parole de l’autre soit ainsi altérée et bien éloignée d’une quelconque situation d’énonciation réelle, elle acquiert une fonction active et activante à l’intérieur du récit.

En d’autres mots, la citation de l’autre dans la relation de voyage ne sert pas uniquement à construire une altérité. Articulée au croisement des langues, sa raison d’être consiste à fixer un contenu étranger et à transmettre au lecteur l’impression émotive que suscite l’indigène chez le voyageur ce qui fait que l’effet « altérisant » devient secondaire dans nos exemples. Cela ne veut pas nécessairement dire que la narration attribue de l’agentivité à ces acteurs amérindiens au sein de l’histoire de la colonisation, mais simplement que la parole de l’autre émerge dans la relation pour orienter la modalité de la narration et agir sur le lecteur. C’est dans ce sens que de Certeau observe que la voix dans sa matérialité sonore acquiert au sein de la relation de voyage « une fonction ‘métaphorique’ – délinéarisante et altérante – en tant qu’elle coupe le tableau métonymique du voir35 ». La citation de l’autre mobilise une autre sensibilité qui aurait un effet déstabilisant sur le lecteur et, poussant encore plus loin le raisonnement de Michel de Certeau, on pourrait dès lors conclure que, même si elles sont altérées par l’écriture, ces voix « volées » contribuent à transformer l’histoire racontée d’un faire voir à un faire sentir. Et c’est là la puissance des voix autres.

Notes de bas de page numériques

1 Eni Orlandi, « Réédition du singulier. Un regard français sur le Brésil », dans Michèle Duchet (éd.), L’Inscription des langues dans les relations de voyage (XVIe-XVIIe siècles), ENS Fontenay/Saint-Cloud, 1992, p. 102.

2 Sophie Duval, « Le miroir fallacieux du discours direct », dans Poétique, 1999, p. 262-264.

3 Philippe Antoine, Le Récit de Voyage de Chateaubriand. Contribution à l’étude d’un genre, Paris, Champion, 1997. Le récit de voyage s’articule à partir d’une « pratique intertextuelle, » formant ainsi un « mélange des genres, ou le montage de discours divers, semble bien définir, mieux que toute autre proposition, une catégorie d’écrits qui est parfaitement rebelle à se laisser assigner un ensemble restreint de fonctionnements », p. 23. Pour le croisement de genres, je me réfère à l’article fondateur de Jacques Chupeau, « Les récits de voyage aux lisières du roman », Revue d’Histoire littéraire de la France, n° 3-4, 1977, p. 536-553 ; et à Sylvie Requemora-Gros « Voyager ou l’art de voguer à travers les genres », dans Marie-Christine Pioffet (éd.), Écrire des récits de voyage, Québec, Presses de l’Université Laval, 2008, p. 219-233.

4 Isabelle Moureau et Grégoire Holtz, « Parler librement » : La liberté de parole au tournant du XVIe et du XVIIe siècle, Lyon, ENS Éditions, 2005, http://books.openedition.org/enseditions/153, généré le 22 janvier 2015, p. 21.

5 Michel de Certeau, L’Écriture de l’histoire, Paris, Bibliothèque des histoires, 1978, p. 256.

6 Michel de Certeau, L’Écriture de l’histoire, Paris, Bibliothèque des histoires, 1978, p. 256.

7 Marie-Christine Gomez-Géraud, Écrire le récit de voyage au XVIe siècle en France, Paris, Presses Universitaires de France, 2000, p. 101.

8 Jean-Baptiste Du Tertre, Histoire générale des Isles de Saint-Christophe, de la Guadeloupe, de la Martinique et autres dans l’Amérique, où l’on verra l’établissement des Colonies Françoises dans ces Isles ; les guerres civiles et étrangéres, et tout ce qui se passe dans les voyages et retours des Indes, comme aussi plusieurs belles particularités des Antilles de l’Amérique ; une description générale de l’Ile de la Guadeloupe ; de tous ses minéraux, de ses pierreries, de ses rivières, fontaines et étangs et de toutes ses plantes. De plus, la description de tous les animaux de la mer, de l’air, et de la terre, et un traité fort ample des mœurs des sauvages du pays, de l’état de la colonie françoise et des esclaves, tant mores que sauvages. Paris, Jacques et Emmanuel Langlois, 1654, fin de volume non paginé. Source gallica.bnf.fr ; Histoire générale des Antilles habitées par les François, divisée en deux tomes, et enrichie de cartes et de figures. Paris, Thomas Jolly, 1667. Source gallica.bnf.fr.

9 André Chevillard, Les Dessins de son Eminence de Richelieu pour l’Amérique, Rennes, 1659. Reproduction de l’édition de 1659, Basse-Terre, Société d’histoire de la Guadeloupe, 1973.

10 Voir à ce sujet Odile Gannier, « Le tupi et le galibi sans peine : Glossaires, manuels et catéchismes à l’usage des voyageurs et missionnaires (XVIe-XVIIe siècles) », dans Odile Gannier et Véronique Montagne (éds.), Échos des textes, échos des voix. Étude sur le dialogue, en hommage à Béatrice Périgot, Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 439-466 ; et chapitre VI de l’ouvrage de Réal Ouellet, La Relation de voyage en Amérique (XVIe-XVIIIe siècles). Au carrefour des genres, Québec, Les Presses de l’Université de Laval, 2010.

11 Raymond Breton, Dictionnaire caraïbe-françois, meslé de quantité de remarques historiques pour l’esclaircissement de la langue, Auxerre, Gilles Bouquet, 1665, nouv. éd. Marina Besada Paisa et al., Paris, Karthala, 1999. Breton avait confié ses manuscrits et son dictionnaire à Du Tertre qui écrit dans la préface de l’édition Langlois : « Amy Lecteur, afin que rien ne manque à ton antiere satisfaction, i’ay prié instament le R.P. Raymond Breton, superieur & commissaire de la Mission de notre S. Ordre dans les Antilles de l’Amérique, qu’il me donna quelques parcelles des traductions qu’il a fait de nos mysteres en la langue de nos Sauvages. […] Ie t’aurois donné icy son catéchisme entier, si ie n’avois pas peur d’abuser de ta patience », op. cit., t. I, fin de volume non paginée. Mentionnons aussi que le travail de Breton est à l’origine d’une dispute entre le protestant Rochefort, auteur de Histoire naturelle et morale des Antilles de l’Amérique (Roterdam, 1658) et Du Tertre. Ce dernier accuse le protestant de l’avoir plagié et de lui avoir volé le dictionnaire de Breton.

12 Odile Gannier, « Le tupi et le galibi sans peine », op.cit., p. 455.

13 Breton, Dictionnaire caraïbe-françois, op.cit. Cité dans l’article d’Odile Gannier, « Le tupi et le galibi sans peine », op. cit., p. 459.

14 Odile Gannier, « Le tupi et le galibi sans peine », p. 450.

15 Jacques Bouton, Relation de l’establissement des François depuis l’an 1635 en l’isle de la Martinique, l’une des Antilles de l’Amérique, des mœurs des sauvages, de la situation et des autres singularitez de l’île, Paris, Sébastien Cramoisy, 1640. Bouton précise les échanges qu’on les indigènes avec d’autres nations font « qu’en peu de temps on peut les entendre, & se faire entendre à eux, qui nous sera un grand advantage pour les instruire », p. 130. Source gallica.bnf.fr.

16 Voir par exemple Sybille Pury-Toumi, « Le lexique en langue caraïbe du Manuscrit de Carpentras (1620) », dans Les Indiens des Petites Antilles. Des premiers peuplements aux débuts de la colonisation européenne, Bernard Grunberg (éd.), Paris, Harmattan, 2011, p. 59-72.

17 Voir à ce sujet Réal Ouellet, La Relation de voyage en Amérique, op. cit., p. 98.

18 François Hartog, Le Miroir d’Hérodote. Essai sur la représentation de l’autre, Paris, Gallimard, 1980, p. 257.

19 François Hartog, Le Miroir d’Hérodote. Essai sur la représentation de l’autre, p. 266.

20 Chevillard, Les Desseins de son Éminence de Richelieu, op. cit., p. 111.

21 Du Tertre, Histoire générale des Antilles, op. cit., t. II, p. 472.

22 Marc Bonhomme, Pragmatique des figures du discours, Paris, Champion, 2005, p. 166-171.

23 Marc Bonhomme, Pragmatique des figures du discours, p. 169. Bonhomme affirme cette orientation vers le lecteur : « Fondée sur un autre facteur illocutoire, celui de l’intertextualité, la figure de la citation permet d’entretenir la mémoire collective d’une communauté culturelle, tout en créant une connivence intellectuelle entre ses membres ».

24 Du Tertre, Histoire générale des Antilles, op. cit., tome II, p. 152-153.

25 Chevillard, Les Dessins de son Éminence de Richelieu, op.cit., p. 49-50.

26 Sylvie Requemora-Gros, « Voyager ou l’art de voguer à travers les genres », op. cit., p. 223. Voir aussi chapitre III dans son livre Voguer vers la modernité : Le voyage à travers les genres au XVIIe siècle, Paris, PUPS, 2012.

27 Voir à ce sujet Marie-Christine Gomez-Géraud, Écrire le récit de voyage, op.cit., p. 92-117.

28 Chevillard, Les Dessins de son Éminence de Richelieu, op. cit., p. 31.

29 Du Tertre, Histoire générale des Antilles, op. cit., t. I, p. 85.

30 Du Tertre, Histoire générale des Antilles, op. cit., t. I, p. 85.

31 Du Tertre, Histoire générale des Antilles, op. cit., t. I, p. 85.

32 Du Tertre, Histoire générale des Isles, op. cit., t. I, p. 42-44 ; Histoire générale des Antilles, op. cit., t. I, p. 86-87.

33 Doris Garraway, The Libertine Colony: Creolization in the Early French Caribbean, Durham, Duke University Press, 2005, p. 46.

34 Michel de Certeau, L’Écriture de l’histoire, op. cit., p. 256.

35 Michel de Certeau, L’Écriture de l’histoire, p. 247.

Notes de la rédaction

Cet article a été réalisé avec le soutien de la Fondation Suédoise pour la recherche en humanités, www.rj.se.

Pour citer cet article

Christina Kullberg, « La citation de l’autre : discours direct et altérité dans les relations de voyage des missionnaires aux Antilles au XVIIe siècle », paru dans Loxias-Colloques, 10. Figures du voyage, La citation de l’autre : discours direct et altérité dans les relations de voyage des missionnaires aux Antilles au XVIIe siècle, mis en ligne le 25 mars 2018, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=1054.

Auteurs

Christina Kullberg

Université d’Uppsala (Suède)