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Loxias-Colloques | 10. Figures du voyage

Ironie et humour dans le récit de voyage. L’exemple de L’Usage du monde de Nicolas Bouvier

Le point de vue du voyageur constitue un paradigme consubstantiel au récit de voyage, oscillant entre les polarités de l’empathie et de la distanciation. Nous analyserons cette seconde polarité, en montrant qu’elle s’appuie en grande partie sur les figures énonciatives de l’humour et de l’ironie. Celles-ci sont typiques dans L’Usage du monde de Nicolas Bouvier, relation d’un itinéraire entre la Suisse et l’Afghanistan en 1953-1954. D’une part, nous examinerons comment, dans ce récit, l’humour et l’ironie sont des figures de distanciation récurrentes et complémentaires, le premier reposant sur le détachement ludique et la seconde sur la dissociation critique. En particulier, nous dégagerons les schèmes discursifs qui caractérisent ces deux figures complexes dans L’Usage du monde. Ces schèmes consistent notamment en des décalages lexicaux, des intensifications discordantes ou des accumulations dissonantes pour l’humour. Ils prennent entre autres la forme de structures antiphrastiques ou de clivages échoïques (au sens de Sperber et Wilson) pour l’ironie. D’autre part, nous nous intéresserons aux fonctions et aux effets narratifs de ces figures dans L’Usage du monde. Celles-ci marquent deux positionnements énonciatifs favorisés par le genre du récit de voyage : celui du voyageur indulgent, à la fois détaché et compréhensif envers certains contextes déroutants, avec l’humour ; celui du voyageur satirique vis-à-vis de situations perçues comme choquantes (corruption, censure) avec l’ironie. Plus largement, nous verrons comment ces deux figures participent à l’élaboration de l’éthos discursif de l’énonciateur-voyageur. Si toutes deux construisent une posture disjonctive par rapport à des expériences de voyage problématiques, la « sous-énonciation » (dans l’acception de Rabatel) de l’humour révèle l’image d’un voyageur simplement déconcerté, tandis que la « sur-énonciation » de l’ironie manifeste l’image d’un voyageur plus engagé dans le monde qu’il découvre.

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