Loxias-Colloques |  9. Entre Haïti et ailleurs. Louis-Philippe Dalembert 

Daniel-Henri Pageaux  : 

Le roman selon Louis-Philippe Dalembert : entre « réalisme poétique » et « néo-baroque »

Résumé

La présente étude est un essai de lecture sinon exhaustive, du moins systématique de l’œuvre – poétique et romanesque – de Louis-Philippe Dalembert. Une évolution dans l’écriture se dégage d’une expérience de plus de deux décennies : parti d’une variante du réalisme magique, le romancier a exploité ce qu’on peut cerner comme un « néo-baroque », mais il semble que la tendance actuelle irait vers l’expression d’un certain humanisme universaliste, à l’écoute des grandes questions qui ponctuent l’actualité (racisme, violence en particulier).

Index

Mots-clés : Dalembert (Louis-Philippe) , néo-baroque, vagabondage

Géographique : Haïti

Chronologique : Période contemporaine

Plan

Texte intégral

Louis-Philippe Dalembert a vingt ans – il n’a que vingt ans – lorsqu’il publie à Port-au-Prince son premier recueil de poésies, Évangile pour les miens (Choucoune, 1982)1. Venu en France pour y poursuivre ses études (il sera docteur ès lettres en Sorbonne avec une thèse sur l’image du Noir dans l’œuvre d’Alejo Carpentier que j’ai dirigée), il obtient, coup sur coup, deux prix de poésie, à Angers et à Béziers pour deux recueils qu’il publie ensemble : Et le soleil se souvient suivi de Pages cendres et palmes d’aube (1989)2 que j’ai eu le plaisir et l’honneur de préfacer. C’est donc par la poésie que Dalembert fait son entrée en littérature, comme beaucoup d’autres écrivains haïtiens, ainsi qu’il est justement noté dans un volume qu’il a conçu et coordonné avec Lyonel Trouillot : Haïti une traversée littéraire3. J’aurai l’occasion de revenir sur cet ouvrage publié à la mémoire des disparus et aux victimes du tremblement de terre du 12 janvier 2010, et vendu au profit d’ONG haïtiennes.

La poésie, depuis ces coups de maître de jeunesse, n’a jamais déserté l’imaginaire de Dalembert. Elle manifeste sa présence de diverses manières dans des nouvelles ou dans les sept romans publiés à ce jour ; elle jalonne et scande son écriture. À preuve Transhumances4 qui reprend en partie des poèmes publiés en 2005. Sous le titre, un titre superbe, annoncé dès son recueil de 1989, Ces îles de plein sel, un recueil fera l’objet de plusieurs éditions, en particulier en 1996 (Vwa, n° 24) et surtout Silex/Nouvelles du Sud (2000). Pour un autre, publié en Italie (une des multiples patries du poète), celui-ci a choisi un sous-titre « Errance » qui à lui seul peut définir un mode de vie et une écriture : Dieci poesie : Errance5.

En 1993, il donne aux éditions du Serpent à plumes un recueil de nouvelles, Le songe d’une photo d’enfance6. Quelques-unes offrent des passages ou des pages à lire comme des poèmes de prose et la thématique d’ensemble relève de ce que je me hasarde à nommer un « réalisme poétique » qu’il conviendra de définir en temps voulu. Cette inspiration ou cette pente de l’écriture va se confirmer dans les deux romans publiés en 1996 et 1998 chez Stock : Le crayon du Bon Dieu n’a pas de gomme et surtout L’autre face de la mer. Un second recueil de nouvelles, Histoires d’amour impossibles ou presque…7 reprend, pour une large part, des textes contemporains du Songe d’une photo d’enfance (en gros le début des années 90), mais ils élargissent la thématique haïtienne, s’ouvrant à une certaine forme d’autobiographie ou mieux d’autofiction. En cela, ces nouvelles restent proches des deux premiers romans, pas seulement par la chronologie, mais aussi par une écriture que nous appellerons, pour faire bref, festive, même si pointe, ici ou là, un humour en demi-teintes. Il me semble en tout cas qu’elles participent d’une autre tonalité d’ensemble, comme si l’effacement progressif des thèmes proprement haïtiens s’accompagnait, entre autres éléments d’une poétique à définir, d’une autre relation avec le lecteur.

La production romanesque de Dalembert permet de mieux cerner ce que nous isolons comme une évolution dans son esthétique. Il est aisé de relever, au long des romans publiés, la permanence mais aussi les variantes de quelques thèmes majeurs qui seront à l’occasion signalés, même si l’optique thématique n’est pas prioritairement retenue. En revanche, il peut paraître téméraire, voire illusoire, de prétendre discerner une évolution qu’un futur proche, de nouvelles publications peuvent aisément démentir. Il me semble néanmoins que les deux derniers romans, Noires blessures8 et Ballade d’un amour inachevé9 sont, à l’évidence, d’une autre encre que les deux premiers qui ont été cités plus haut. Ils nous éloignent de façon sensible non seulement de l’espace haïtien, en accordant une large place à des problèmes qu’on nomme communément de société, et ils ont abandonné – provisoirement peut-être – ce que j’ai appelé un certain « réalisme poétique ».

La formule est prise à Édouard Glissant qui fait à chaud une lecture du théâtre de Kateb Yacine (Le cercle des représailles10). C’est dire que j’utilise cette catégorie esthétique de façon souple et libre. Elle me permet cependant de louvoyer entre un certain « réel merveilleux », défendu et illustré par Alejo Carpentier et un « réalisme merveilleux », défini magistralement par le Haïtien Jacques Roumain en 1956 dans un article-manifeste de Présence africaine, tout en conservant une distance critique par rapport à toute tentative ou tentation de collage ou d’attribution d’étiquettes. C’est dans ce même esprit qui relève de l’analogie et de la libre approche critique que je hasarde la notion de « néo-baroque » pour tenter de rendre compte d’une écriture qui, depuis plus d’une décennie, s’est en quelque sorte émancipée du contexte poétique qui avait marqué les premières œuvres de Dalembert. « Réalisme poétique » et « néo-baroque » sont au demeurant des jalons pour préciser le tracé d’un parcours poétique ou d’une dynamique de l’imaginaire qui restent l’objet premier de la réflexion, de la lecture qui sont ici proposées.

« Comme la plupart de mes compatriotes écrivains, je suis entré en littérature par la poésie11. » C’est en ces termes que Dalembert commence le texte intitulé « Besoin de poésie », prologue au recueil Poème pour accompagner l’absence. Après un retour sur son enfance, mouvement qui – nous le verrons – est proprement fondateur de son univers romanesque, il en vient à livrer une confidence12, en marge d’un voyage en Égypte, en plein désert d’Assouan, accablé par la chaleur et la « majesté des dunes » : « Et ce besoin soudain de poésie ! ». Et encore : « Le poème tambourine sa rage de naître à la lumière ». Après un premier jet, une rédaction faite sous pression, le poète ou tout simplement l’écrivain, l’écrivant, rend compte d’une transformation profonde de son être, de son corps : « Puis le corps et la tête comme vidés. Suit l’abattement. L’hébétude. » L’écriture est ici comparable à une parturition. Une naissance spirituelle, mais aussi physique, comme pour rappeler la citation de Luigi Pirandello placée en épigraphe dans Le songe d’une photo d’enfance : « Il mistero della creazione artistica è il mistero stesso della nascita naturale ». Insistons d’emblée sur cette dimension d’ordre physique, physiologique de l’écriture : celle-ci nous dévoilera d’autres aspects riches, divers, voire contradictoires.

Le « besoin de poésie » est situé « dans l’urgence ». Dans « l’irrué […] de la parole13 » est-il précisé, en faisant allusion à un mot cher à Glissant. Aussi faut-il prendre le mot urgence dans diverses acceptions ; par exemple, l’écriture du deuil auquel il est fait allusion. La voix poétique est alors le moyen grâce auquel la « retrouvaille » est possible, un moyen pour conjurer la douleur, arme et fin du poète qui expérimente sur lui-même le poids des images et des réalités faussement révolues : « Une parole capable d’exorciser toutes les douleurs14 ». Gardons présente à l’esprit cette sorte de définition de la parole poétique, et aussi la fonction qui lui est dévolue. Je tiens ces quelques mots d’un « prologue » comme une étrange confession où se mêlent passé et avenir : un éclair qui pourra être lu comme prophétique. En cela la parole poétique accomplit pleinement, chez Dalembert, sa capacité de transgression.

On pressentait cette puissance originale dans le premier (et double) recueil : Et le soleil se souvient15. On y découvrait ce qui était d’abord des feuilles de route, les jalons d’un périple qui prenait son point d’envol en Haïti pour embrasser le continent américain et s’adresser au monde entier, au nom de la souffrance des peuples et d’une certaine idée des luttes à mener « hasta la victoria siempre ». On parcourait « la pampa monstrueuse du néo-colonialisme16 », l’ample mouvement rétrospectif du processus historique qui avait eu le sous-continent comme théâtre, « en conquêtes dorées et en évangélisations sanglantes17 ». La voix poétique s’emparait de moments névralgiques, douloureux, pour composer, à sa manière, une autre « Légende des siècles ». Le poète se mettait en scène, mêlant humour et désarroi (dans un mouvement qui sera répété dans les romans à venir) : « trimbalant un cœur en écharpe et une intense déchirure dans la mémoire18 ». Il s’adressait aussi bien à Nelson Mandela qu’à René Depestre, comme à des frères aînés, dans un élan de respect et d’admiration. Mais il y avait aussi, en contrepoint, le blason du corps féminin, « cette fille qui venait de Cuba » que René Philoctète a lu avec enthousiasme, évoquée de façon épisodique et déterminante, une « passante » baudelairienne qui offrait « la géographie mystérieuse de ses hanches », « le feu épicé de son sexe », tandis que la voix poétique chantait l’union de deux corps, « nos deux corps tropicaux réapprenant/ la magie vieille comme la planète/ de l’amour humain19 ». Conservons en mémoire l’adjectif « tropical », dégainé sans état d’âme, pleinement laudatif, et la dimension cosmique de l’acte d’amour.

Dans le second recueil, Pages cendres et palmes d’aube, c’est Haïti tout entière qui devient femme à laquelle des litanies amoureuses sont adressées : « femme d’eau », « femme-mygale », « femme-lézard », « femme bananier », mais aussi « mère dévoreuse », « fille aînée et maudite de l’Amérique20 ». Elle introduit à une histoire qui est dans la chair du poète « une plaie purulente » et sans doute est-ce aussi cette blessure qui fait revenir le poète à la « femme-enfant », « femme-mère », « femme-merveille », celle dont on peut s’éloigner, mais vers laquelle le retour est comme inscrit dans le corps : « j’ai sillonné toutes les mers du monde/ à fond de cale sur tes hanches étoilées21 ».

On retrouve cette femme primordiale et multiple, une et innombrable, dans Poème pour accompagner l’absence, lorsque le poète, après avoir chanté ses morts, « allongé dans le silence du monde/ je fais le décompte de mes morts », évoque « les filles [qui] avaient cette odeur de lune verte quand/ leurs jambes nues frôlaient ton enfance22 », mais aussi « les chemins d’aveugles errances23 » qui balisent depuis longtemps les années de vie et d’écriture. Dans Transhumances, déjà mentionné, le poète, exploitant un verset du Psaume 119, se met en scène comme « l’étranger en marche sur la terre », « drapé dans sa solitude d’animal/ en pérenne transhumance24 », n’ayant pour seule « demeure » que « ses rêves d’enfant25 », « gavroche caraïbe26 » qui part non à la conquête du monde, mais à la rencontre des malheurs des hommes.

Au détour d’une courte nouvelle dans Histoires d’amour impossibles, « De l’art de draguer une Française », le narrateur, double ou reflet de l’homme de chair et d’os, n’hésite pas à avouer que la poésie « seule » est là « pour aider à prendre pied sur une rive plus allègre de la vie27 ». Elle est en ce sens un rêve utile, à usage personnel. Mais dans le second roman, L’autre face de la mer28 (Stock, 1998), elle impose son utilité, sa nécessité, en devenant archives, histoire des souffrances des esclaves déportés qui ont constitué le peuple d’Haïti. Elle se présente sous forme de fragments épiques, lyriques, une suite de quinze séquences trouant « Le récit de Grannie » et « Le récit de Jonas », pour dire justement une « autre » face de la mer, le voyage à fond de cale. Ici, la poésie de Dalembert rejoint la thématique de Césaire ou certains passages inspirés des Indes de Glissant.

La séquence poétique, courte, dense, variant d’un paragraphe à une page, est une plongée dans l’Histoire. Elle est à ce titre un contrepoint dramatique à l’actualité, à ce qui se joue au long du roman : la tentation désespérée de l’exil, de l’émigration, l’exode massif de populations qui ne peuvent plus supporter la misère ou le joug de la dictature : « Au fil des heures et des jours la mer si bleue dans ce coin du monde prit une couleur rouge sang29 ». Ce qui peut passer pour une « trouvaille » poétique, mot cher aux surréalistes, « Les hélicoptères deviennent des poux du ciel30 » ou « Les rideaux d’acier qui avaient poussé comme des méduses réussirent à endiguer le flot des envahisseurs31 », s’impose à présent comme une vision de cauchemar.

En ce sens, la poésie prolonge, en éclats violents et éloquents, le témoignage et l’engagement militant qui présidait aux deux premiers recueils cités plus haut. Mais il faut ajouter qu’il n’y a bien sûr, dans cette prose qui joue sur l’effet de surprise, de la métaphore et de l’hyperbole, aucune place pour un réalisme merveilleux ou un « réel merveilleux ». Le réel transcrit, par le travail poétique sur le mot, sur l’image, est transformé en un espace d’horreur. L’île devient « la Terre promise-malgré-elle » et les fuyards « les éclopés du destin32 ».

Il n’en va pas de même pour les nouvelles du Songe d’une photo d’enfance. Port-au-Prince s’appelle Port-aux-Crasses et la réalité de la misère et de la dictature est présente comme toile de fond. Mais le narrateur a choisi un certain pittoresque, une vision amusée, une complicité avec le lecteur, autant de choix délibérés pour transcrire le réel. La plupart de ces nouvelles exploitent un certain exotisme tropical ou reposent sur des effets d’exotisation dans lesquels on retrouve les trois stratégies narratives que j’ai cru mettre au jour dans d’autres œuvres : fragmentation, théâtralisation et érotisation de ce qu’on continuera à nommer le réel.

Sont privilégiés des originaux comme Tikita Fou-doux, « un Don Juan de première » qui « a toujours fait partie du décor des quais33 ». S’il est atteint de « folie furieuse », ce sont de « sporadiques instants » qui « prennent alors l’allure paillarde d’un théâtre baroque34 ». C’est encore Macaron qui a été un professeur respectable et qui est devenu « Taureau trois graines » changeant sa hernie en un complément d’attribut viril. Il est « impossible de trouver dans la langue française un signifiant renvoyant au réel qui nous concerne35 » ; entendons les « trois couilles » qui font de Macaron une sorte de possédé « au sens vaudou du terme ».

Dans une île présentée comme « imaginaire », appelée Salbounda, et qui ne renvoie que trop à Haïti, le ciel reste « clouté d’étoiles » et la nuit associée à un érotisme diffus, même si la mort violente fait irruption dans un dénouement brutal. L’union charnelle donne lieu à des « scènes à faire », mais dans deux tonalités différentes : poétique avec « Frontières interdites », par l’usage de la métaphore : « l’eau merveilleusement houleuse de l’amour ; le ressac rythmant l’harmonie de leurs reins36 » ; ou plutôt réaliste dans « Caraïblues » par le recours à un vocabulaire concret et précis, qu’il s’agisse du corps ou des positions du corps. Un effet de poétisation est cependant obtenu par l’alternance des points de vue, celui de la femme et celui du jeune étudiant, dans un même continuum narratif.

Il y a place pour un certain merveilleux, proche d’un effet fantastique ou cocasse, lorsque la ville est envahie par des fourmis géantes, ou quand la pluie ou la neige se mettent à tomber « 9157 heures d’affilée », « ajoutant au surréalisme ambiant un zeste de froideur37 ». Ou encore quand la ville est envahie par les ordures (« Délices port-aux-crassiennes »). Le narrateur, proche du conteur, peut même affirmer : « Je vous baille une histoire qui n’a rien à voir avec la réalité38 ». À l’évidence, Dalembert remet ouvertement ses pas dans ceux d’un García Márquez ou, plus simplement, s’inscrit volontairement dans une tradition hispano-américaine qu’il entend exploiter, annexer, adapter, transposer. Il est symptomatique que dans la dernière nouvelle, « Caraïblues », qui avait été un temps retenue comme titre du recueil, la superbe et émouvante histoire d’amour et de mort entre le narrateur et « madame L », « professeur de littérature sud-américaine39 », commence par une discussion contradictoire sur le réel merveilleux, sur la critique faite à cette esthétique par le narrateur et sur sa volonté de s’émanciper d’un modèle encore trop dépendant de l’Europe. Tout aussi révélateur est le recours à la voix légendaire, à celle des « troubadours des quais », au temps d’antan, « en ce temps-là », au conte que l’on peut non pas raconter, mais « tirer », comme l’on dit en Haïti, qui préside à l’élaboration de la plupart de ces nouvelles.

Il est clair que les exercices de style d’un nouvelliste qui demeure aussi un « compose » haïtien, entendons un poète, ne peuvent être que les expressions d’années d’apprentissage. Dalembert fait des gammes pour mieux trouver sa voix.

« Qui saurait dire pourquoi on revient sur ses pas ? Pourquoi on ne laisse pas couler la vie, comme le fleuve qui ne remonte pas son lit ? D’où nous vient ce besoin de vouloir à tout prix ressusciter le passé, de ne pas laisser son âme s’endormir en paix ?40 » Ces questions que le narrateur se pose à lui-même alors qu’il revient fouler le sol de Port-aux-Crasses, mais aussi le quartier de son adolescence montrent que le romancier Dalembert, avec Le crayon du Bon Dieu n’a pas de gomme, a délaissé le présent pittoresque ou le temps fabuleux pour d’autres thèmes et imposé à une histoire personnelle un autre climat. Il a emprunté non seulement le chemin du retour (le nostos), mais aussi « le chemin de la mémoire41 ». Il se peut que la voie dans laquelle il s’engage recoupe celle d’autres romanciers haïtiens, comme il est noté dans Haïti une traversée littéraire42. Il n’en est pas moins vrai qu’il va imposer une histoire singulière, donner épaisseur et originalité à un réel qui n’a perdu ni ses couleurs ni son pittoresque et mettre en place les éléments d’un univers romanesque personnel.

Il prend pour guide ou fil conducteur un absent, un disparu, Faustin, le cireur de chaussures, le shiner. C’est « l’histoire belle » de Faustin qu’il veut « bailler » à son lecteur qu’il prend encore pour témoin et compagnon d’errances dans le passé, dans sa jeunesse43. Faustin est cireur le jour, mais « monarque sanglant la nuit » : « Sorte de Docteur Jekyll et Mr Hyde tropical44 ». Il est double comme l’est celui qui part sur ses traces, « l’Homme » qui a été le petit garçon, blotti dans la carcasse de sa vieille Peugeot 304, observant le monde, mais (détail infime et capital) de son rétroviseur45. Ce n’est plus simplement le conte qui est médiateur d’un possible récit, c’est le travail de l’observateur auquel se joint, se fond le retour sur « les lieux de la mémoire46 ». Le réel n’est plus directement transcrit, il est évoqué comme à travers un filtre, un prisme qui confère au réel une densité particulière. Les lieux sont pratiquement les mêmes que ceux de certaines nouvelles (les quais, le wharf), mais l’écriture romanesque est partie à la recherche d’un temps perdu, à moins qu’il ne s’agisse de recomposer le cahier d’un retour au pays natal. Il aura fallu le départ, les errances de l’Homme pour accéder au monde du roman qui impose un nouvel espace-temps, un « pays-temps », comme il est dit à la fin du roman47. C’est de ce lieu qui n’est pas donné, mais recréé par l’écriture, que naît une poésie nouvelle et que je nomme, faute de mieux, « réalisme poétique ».

Suivons le jeu des citations en exergue : parti en compagnie de Neruda qui ramène le narrateur aux « claires soirées de [la] lointaine enfance » « claros atardeceres de mi lejana infancia48 », le romancier croise le Baudelaire des « Fenêtres »49 où légende et vérité se mêlent pour « aider à vivre », et découvre, en une troisième « phase », qu’il n’y a de vérité que dans le retour sur soi, par et dans l’écriture. Aussi faudrait-il reprendre le texte dans le détail pour y relever les affleurements d’une poésie dite du quotidien, mais aussi le style formulaire, sentencieux, exploitant les proverbes et dictons dits populaires, à preuve le titre même du roman. Il y a un moraliste qui commente, souvent avec humour (le masque souriant qui cache les blessures), aux côtés du romancier qui s’affirme.

Avec Faustin, le romancier tient un personnage proche du picaresque. Il est « un coq-à-belle-pose50 », mais surtout homme des petits boulots, perpétuel errant, son baluchon sur le dos51. Par une certaine culture, acquise mystérieusement, il brouille les frontières communément admises entre classes sociales. Il a cependant à ses côtés une courte galerie de types sociaux ou asociaux, des marginaux, hauts en couleurs, qui transforment parfois le roman en chronique. Ce que nous avons nommé pittoresque est loin d’être oublié. Les « scènes à faire » se succèdent (mariage, procession de la semaine sainte, match de foot …), les odeurs et les sons (la radio-meuble qui diffuse Harry Belafonte) se répondent, mais elles ne sont plus dans l’immédiat que suppose le réalisme, ni dans le temps d’antan, mais dans une coulée de temps, une sorte de courant de conscience qui n’appartient qu’au narrateur, maître du jeu. Précisons le projet, poétique et romanesque à la fois : « transformer un double passé en un présent unique52 ». Projet ambitieux qui suppose « des heures et des heures d’écriture qui le laissèrent exsangue ». Le point de vue extérieur est là pour signaler un travail de l’écriture qui, au demeurant, n’est dit que parce qu’il procède d’une remarque proche de l’auto-réflexivité.

Il n’y a pas simplement, dans ce premier roman, une sorte d’amplification, au sens rhétorique du mot, du monde évoqué dans le Songe d’une photo d’enfance. Un univers romanesque se met en place, un monde encore en transition entre les éléments exploités dans les nouvelles antérieures et le conte traditionnel, une certaine oralité. La grand-mère, personnage essentiel, nous le verrons, s’appelle encore « Pont d’Avignon », comme dans une nouvelle du Songe. On y retrouve aussi, de façon fugitive, Tikita. Mais d’autres personnages qui reviendront par la suite font leur première apparition comme la tante Luciana, ou Grannie Venus, sœurs de la grand-mère. Le monde cosmopolite du wharf s’impose, moins par la description que par l’évocation. Le récit oscille parfois entre la poésie des éléments et les conventions orales du conte : la mer, l’arbre prennent la parole. Ailleurs, une silhouette proche de la caricature, la grosse Madame Olivarez, apostrophe le narrateur. C’est le lecteur lui-même qui est requis pour continuer, relancer le récit, à la fin de la première « phase ».

Le crayon du Bon Dieu n’a pas de gomme a l’originalité, l’éclat singulier d’un premier roman. Il est le roman de la vocation. Puisant sa vitalité poétique dans des éléments dits traditionnels, il trace avec maîtrise le passage à l’écriture, l’entrée en écriture, la seule conclusion, issue attendue. Le temps du récit a été, de l’aveu même du narrateur, une « traversée cathartique53 ». « Race » et « nationalité » sont deux notions vides de sens, « deux hasards de l’aventure humaine54 ». Le mensonge possible, l’infidélité supposée, par rapport à ce qui est ou a été, se change en vérité poétique, le seul et vrai réel poétique, puisqu’il est écrit, c’est-à-dire réinventé. L’Homme qui repart en avion est celui-là même qui regarde les belles jambes de l’hôtesse de l’air, mais « la main » cherche le carnet de notes et se met à écrire. Le roman est en marche, l’imaginaire a pris son envol.

Dans le deuxième roman, L’autre face de la mer55 dont on a déjà souligné la très forte dimension poétique, le choix comme dénouement du départ irrévocable du protagoniste, Jonas, fait de ce roman non pas la suite du premier, d’un point de vue chronologique, mais la remontée dans un temps antérieur, ce qui était l’objet de la quête de l’Homme. On délaissera donc cette forme de chronologie pour suivre la logique de l’imaginaire. Celui-ci va inventorier plus largement le passé et l’espace de Haïti-Salbounda, avec, d’une part, le « récit de Grannie », la grand-mère, dominé par l’évocation dramatique d’un exode de l’autre côté de l’île, en terre dominicaine, et d’autre part, l’actualité, la chronique ordinaire des années de dictature, avec le récit de Jonas, son petit fils. Reliant les deux confessions à voix haute, la séquence intitulée « La ville » ménage une transition entre passé et présent, entre deux générations. Je ne peux m’empêcher de penser à une manière de convergence entre cette composition et celle de La Harpe et l’Ombre de Carpentier où « La Main » joue aussi le rôle de passerelle narrative entre les deux récits : « La Harpe » et « l’Ombre ». Je parle de convergence et non de sources.

Dans le « récit de Grannie » se prolonge l’évocation des quais, « une tirelire dans laquelle je versais tout le trésor de mon imagination56 », mais aussi « la même étrange sensation à remonter tous ces souvenirs du plus profond de ma mémoire57 ». Ainsi, on le voit, les deux romans se complètent plus qu’ils ne s’opposent. Avec Grannie, c’est la puissance du rêve qui s’affirme, alors que le grand âge du personnage et sa ferme détermination la clouent sur place. L’appel du large, le désir d’aller voir « le point de jonction du ciel et de la terre » (les premiers mots du roman) font de Grannie une sorte de génie du lieu. Lectrice impénitente de la Bible, elle est à la fois intraitable et débordante de tendresse pour son petit fils, Jonas. Elle est, pour celui-ci, un modèle fascinant, et pour le romancier le personnage proprement central, le « poteau-mitan » pas seulement pour le petit-fils Jonas, mais pour l’univers « dalembertien ».

« La ville », la séquence intermédiaire, signale au lecteur que tout élément de réel poétique est définitivement aboli par la dictature qui s’est abattue sur la ville et les esprits. Les aimables compagnons truculents de Faustin sont voués désormais à « louer [leur] cul à un local ou à un touriste58 ». Les « petits capitaines du bitume59 » qu’on peut prendre pour des doubles des « capitaines des sables » de Jorge Amado sont condamnés à une dure survie. La ville est « un sexe en rut60 ». L’île est devenue « Merdiland61 ». C’est un Jonas « tétanisé » qui parcourt les rues, témoin de scènes de lynchage, côtoyant des habitants qui ne sont plus que « des rats puants et pestants62 ». Cet univers de cauchemar est traversé par « une mélodie à la fois pleine de fatalisme et de détermination » qui déploie le mirage de « lotbôtlo », autre figuration de l’autre face de la mer63.

En tête à tête avec Grannie qui a juré de ne pas déserter la ville, Jonas regarde le visage de l’aïeule, les rides « qui y ont dessiné des arabesques de toutes sortes64 ». Cette graphie nouvelle est associée à un « vieux cahier miteux » qui est dans sa mémoire65. J’ose lire le mot « arabesque » qui relève quelque peu de l’esthétique, surgi ici d’un regard contemplatif ainsi que l’image qui l’accompagne, une sorte de support matériel renvoyant à l’écriture, comme la première figuration d’une écriture possible, d’une autre esthétique qui, par ce mot et cette image, oriente la prose vers d’autres rivages, une « autre face » de l’écriture qui peu à peu prendra corps et qui ressortit à une esthétique que le mot « baroque » peut définir, comme on le verra. Une esthétique qui, en tout cas, ne peut plus se réclamer d’un quelconque jeu poétique avec le réel.

Le « récit de Jonas » se développe sur plusieurs niveaux thématiques. C’est une chronique qui s’écrit sous le signe de l’Apocalypse, de l’exode, du déluge, la ville devenue une nouvelle Sodome et Gomorrhe, autant de références bibliques qui révèlent la profonde influence laissée par Grannie et sa lecture favorite. C’est aussi une ébauche de roman d’apprentissage lorsque s’esquisse l’intrigue sentimentale avec Maïté, le premier et grand amour, la femme essentielle, celle qui fait dire au protagoniste : « J’avais besoin d’elle comme de Grannie66 ». Jonas se sentira trahi lorsque Maïté décide, elle aussi, de partir « là-bas ». C’est enfin une recomposition métaphorique des années de dictature, à la fois vues de l’extérieur et de l’intérieur, vécues par Jonas dont l’esprit est assiégé, envahi par des tirs qui ne sont que trop réels et d’insolites et inexplicables coups de marteau, figuration sans doute de la violence sans visage, mais qui avance de façon irrépressible, inexorable.

Jonas ne partira qu’après la mort de Grannie. Précisons : après avoir longuement veillé le corps puisque les désordres politiques et sociaux avaient rendu l’enterrement impossible. Jonas part, après avoir rendu pieusement hommage à la mort. C’est aussi, d’une manière inattendue, être fidèle jusqu’au bout à une certaine morale de Grannie, bravant « la pestilence », en « ces temps difficiles où les morts n’avaient plus droit au respect67 ». Jonas quitte un pays « foutu68 » pour une nouvelle vie, marquée par l’errance : « Comme un homme amoureux qui passerait d’une amante à une autre pour fuir l’image de la femme aimée. Mieux, pour lui rester fidèle dans l’absence69 ». Jusque dans cette ultime décision qui relève de la morale individuelle, d’une règle de vie, le deuxième roman complète le premier qui restait centré sur l’entrée en littérature.

Si je lis ces deux premiers romans comme les deux faces d’un seul diptyque, celui du départ et du retour, de l’entrée dans la vie, des expériences sentimentales et intellectuelles, je veux lire les trois romans suivants comme autant d’expérimentations romanesques menées à bien à partir du moment où l’espace haïtien s’estompe ou s’évanouit. Pas totalement bien sûr, puisque L’Île du bout des rêves70 se situe en grande partie dans l’île de la Tortue et que le troisième (ou le cinquième si l’on prend l’ensemble de la production romanesque), Les dieux voyagent la nuit71, aborde un élément culturel majeur d’Haïti : le vodou, mais vu, raconté depuis New York. Mais avec Rue du Faubourg Saint-Denis72 c’est un quartier de Paris qui est choisi non comme espace, mais comme un protagoniste à part entière. Par expérimentation, j’entends une suite de solutions romanesques, d’exploitations de modèles poétiques ou de sous-genres romanesques, voire l’exploration de nouveaux langages.

L’Île du bout des rêves est une sorte de thriller tropical, une parodie de roman d’espionnage dans lequel un vague projet de coup de main à Puerto Rico pour libérer l’île du joug américain, ou plutôt « aller botter le cul aux yankees73 » tourne court. Au départ, lorsque le lecteur tombe sur un incipit de ce genre : « Le jour pointait à peine, frais et brumeux, et le ciel était encore entaché des couleurs de la nuit, quand nous quittâmes Santiago de Cuba », celui-ci pense à une sorte de roman d’aventure, « une nouvelle version de L’île au trésor74 » puisqu’il s’agit de mettre la main sur une jarre de pièces d’or qu’aurait enterrée Pauline Bonaparte lors de son séjour forcé à l’île de la Tortue : un projet qualifié de « loufoque75 ». La version que donne Alejo Carpentier dans El reino de este mundo du passage de Pauline aux Tropiques est fortement revue et corrigée, dans le sens d’une accentuation de la thématique érotique et d’une atmosphère carnavalesque.

L’intrigue, volontairement zigzagante, multiplie les digressions quand est détaillée une micro-société de marginaux, pittoresques et paumés, l’alcoolique Enriquillo, le Belge vrai contrebandier et faux guerrillero, Erzulie, « la vieille maquerelle à la retraite », « la vieille Célestine76 » et l’ex-dictateur général friand de Lolitas. Règle générale : la vraie identité de l’individu ne correspond pas à ses apparences ou à son emploi : JMF, Juan Manuel F., n’est pas un écrivain, mais un petit agitateur, le Père Albert est un Père blanc qui sort au petit matin de cellules qui n’ont pas servi au recueillement, la piquante Esmeralda a un cheminement compliqué qui ajoute à son charme et à son mystère et le narrateur lui-même est un faux archéologue, prêt à donner dans l’aventure, surtout quand elle est amoureuse, fidèle au souvenir ému de sa grand-mère Grannie et à sa vieille Bible. L’entrelacement des thèmes et des scènes, une intertextualité diffuse impriment au roman l’allure d’une suite d’arabesques narratives, avec l’apparition intermittente de personnages en attente d’intrigue (le copain Dante, la belle et cyclique Zana…). Nous relevons ici un premier trait qui peut donner quelque validité à la notion de « néo-baroque ».

Qu’on ne compte pas sur quelques descriptions ou évocations des beautés tropicales, lesquelles se réduisent essentiellement à « trois jeunes sculptures d’ébène77 » prenant un bain ou aux charmes d’Esmeralda (« un mètre soixante-douze au jugé78 »), plus nombreux que ses identités successives. Ou encore à « une beauté proche de la perfection qui caractérise certaines métis79 ». Ce qui caractérise le roman et peut surprendre le lecteur, ce sont les ruptures de ton, le vocabulaire familier ou argotique (le zef, une plombe, turbiner, louper un rancard, picoler, l’oseille en lieu et place de l’or cherché), une oralité qui a rompu tous les ponts avec une certaine tradition conteuse de la Caraïbe et qui renvoie à un univers parisien, voire « parigot », les tournures familières ou argotiques (« arrête ton cirque, mec… »), les comparaisons farfelues qui rappellent à plus d’un titre la technique mise au point par San Antonio : « en moins de temps qu’il n’en faut à un chimpanzé pour féconder une femelle80 », « depuis que les touristes se faisaient aussi rares que le soleil dans les rues de Bruxelles81 », « gêné comme une femme adultère à confesse82 »… Il n’est pas interdit de penser que le mystérieux JMF par où tout commence et s’achève, qui se signale par sa faconde, ses « tirades », sa « logorrhée », son « art consommé de la palabre83 » représente une sorte de mise en abyme de l’histoire narrée, de son écriture volontairement fleurie, prolixe et funambulesque, autant de traits d’écriture à verser au compte d’un « néo-baroque ».

Rue du Faubourg Saint-Denis propose une autre théâtralisation étonnante de la langue française. Dalembert invente un idiolecte particulier à partir d’un certain parler actuel des banlieues. L’oralité est entièrement passée du côté de l’hexagone et de sa capitale, de même que la culture se décline à partir de l’école ou du collège et des media ou de l’actualité. Il y a à la base de cette construction verbale un lexique issu du verlan (meuf, keuf…) et de l’argot parisien (le clebs ou le clébard pour le chien) à partir desquels prolifèrent des expressions, locutions issues d’un langage familier, des allusions à l’actualité politique (Tonton à l’Elysée, Naboléon, le Borgne renvoient à Mitterrand, Sarkozy et Le Pen) et culturelle (monde de la TV, en particulier le présentateur PPDA, Poivre d’Arvor).

Le jeune narrateur, Jean, un prénom « bon pour l’intégration84 », dont les origines « se perdent sur plusieurs continents », pour reprendre la IVe de couverture, « visionne la téloche » et lit aussi la Bible de Maman, substitut ici de Grannie85. La lecture de la Bible amène notre héros à faire des comparaisons peu flatteuses pour l’actualité : « Même les Ricains y sont pas foutus de faire tomber des murs balèzes rien qu’en soufflant dans des cors, encore moins d’arrêter le soleil86 ». Il faut faire confiance à la culture du lecteur pour traduire illico par : trompettes de Jéricho et le roi Josué… Il est surtout entiché de cinéma, de « cinoche » : il aime à « se payer une toile », il a la passion pour les images87. Il a également quelques éléments de culture scolaire, d’où les allusions aux classiques français, à la règle des trois unités, « une technique vachement à eux de raconter une histoire88 », ou à la « vérisemblance89 ». Mais il faut admettre aussi qu’un autre narrateur, double de l’auteur, est celui qui interpole dans son monologue « douze ponctuations de Romain Gary », douze brèves séquences de La vie devant soi.

L’histoire, l’argument, est des plus minces : un fait divers, la mort d’une vieille « Gauloise », madame Bouchereau, « l’actrice vedette, 80 balais90 », pittoresquement et obstinément raciste, pendant l’été caniculaire de 2003. D’où ce roman dédié « à celles et ceux qui ont crevé dans l’oubli et l’indifférence durant l’été 2003 ». Rappel dans la langue de Jean : « 3000 macchabées rien que pour l’Île-de-Gaule91 ». Mort en un premier temps suspecte, d’où l’intervention de la police qui tourne court. On comprendra qu’il s’agit avant tout d’un témoignage original, venu d’une sorte de marginal, contre l’égoïsme et le mode de vie actuel dans une grande ville comme Paris. Plus précisément, dans un espace étrangement cosmopolite, ou mieux multiculturel, que des jeunes, des « potes » ont surnommé « l’Onu » puisque la proposition de Jean, féru de Bible – Babel – n’a pas été retenue… C’est pourquoi, là encore, le roman s’ouvre à l’évocation d’une micro-société haute en couleurs, riche en originaux : M. Kahn le « nanar » qui se changera à la fin en Zorro vengeur, le pâtissier algérien Djibril, intraitable sur la pureté de la langue française qui « cause un gaulois précieux92 », ou encore le Docteur Bartovski qui « taxe grave les rupins et aide les défavorisés93 ». Mais le cinéphile qu’est Jean a ordonné une présentation du personnel du quartier et du roman en diverses catégories : « les stars », les « seconds couteaux », les « figurants », distribution complétée par le « décor » et la « mise en scène », ce qui, note Jean, n’est pas le plus « fastoche94 ». L’histoire est découpée en « séquences », précédées d’un « synopsis » et se conclut par un « montage final ».

Cette composition, à la fois simple et allusive, parodique là encore, est constamment court-circuitée par la propension qu’a le jeune narrateur à la digression, à « zapper » comme il dit. Il en résulte une tension originale entre deux principes esthétiques opposés et complémentaires : l’ordre dans la structure, et le désordre dans le récit. Une composition qui autorise là encore à parler d’esthétique baroque, si l’on pense aux analyses canoniques de Jean Rousset, ou néo-baroque, par allusion à la catégorie proposée par le Cubain Severo Sarduy et que j’ai souhaité, à plusieurs reprises, réutiliser et adapter, en particulier à la Créolité antillaise.

Il n’y a aucune rupture de ton dans l’étourdissante polyphonie que débite Jean. Il y a en revanche un jeu constant entre divers niveaux de culture : la Bible, mais aussi l’actualité ou des alliances oxymoriques (Djibril et la pureté académique de la langue). Le mot renvoie, faut-il le rappeler ? à un trait distinctif du baroque selon Rousset. Il y a un jeu également entre des éléments du réel et leur transposition ludique et parodique : l’Île de France devient l’Île de Gaule ; le Globe : traduisez le journal : le Monde ; l’Ancien Contemplateur : traduisez Le Nouvel Observateur… Tantôt la culture s’affirme par excès d’ingéniosité, tantôt elle se masque, se carnavalise par une fausse ignorance : antisémitisme devient « antimachin95 » et si les Amerloques décident de dégraisser le personnel des Mac Do, ce n’est pas évidemment parce qu’ils les trouvent trop gras96. C’est aussi par ces jeux de miroirs qui renvoient le lecteur occidental à son lexique et à quelques fondements ou éléments de sa culture que la notion de néo-baroque peut trouver ici quelque validité.

Rue du Faubourg Saint-Denis peut être lu comme un conte moral ou comme une fable politique, au sens large ou premier du terme. Ce sont là des genres qui feraient remonter à une grande tradition moraliste française. Gardons l’hypothèse pour vérifier à la lecture comment ces genres sont à la fois transfigurés, défigurés, parodiés et récrits dans une langue qui est en tout point étrangère à ces références culturelles : autre effet de tension, autre oxymore de nature culturelle, et pas seulement langagière, qui témoigne, assurément, d’une volonté de déranger les classements tout faits et un certain prêt-à-penser. En ce sens l’étiquette néo-baroque trouverait encore sa justification, mais aussi ses limites, dans la mesure où elle met l’accent sur un trait d’ordre esthétique, mais où elle ne rend pas compte de la diversité des enjeux de l’écriture.

Il en va de même pour le roman suivant, Les Dieux voyagent la nuit97 qui a été couronné par le prix Casa de las Américas. Son importance dans la trajectoire poétique et existentielle de Dalembert m’apparaît déterminante et le jalon que représente, à mes yeux du moins, ce roman met à nouveau en évidence ce que je viens d’appeler les limites de tout classement, de toute étiquette. Il vaut la peine de lire ce roman en parallèle avec Le crayon du Bon Dieu n’a pas de gomme, même si un roman de la vocation occupe une place particulière qui le rend difficilement comparable à d’autres. Il s’agit cependant dans les deux cas du retour du narrateur dans son île natale, un retour « au pays lointain de l’enfance », « l’enfance, ce terreau intarissable98 ». Mais ici ce retour est moins une anamnèse qu’une descente nocturne (précisons-le) en soi-même : ce sont « [des] bouffées d’enfance [qui] envahissent la mémoire99 ».

À New York, après avoir assisté à un « service » vodou, le narrateur se retrouve, allongé aux côtés du corps de Caroline, condamné à la rumination, à la méditation ou à se raconter quelques scènes érotiques d’initiation (purement) sexuelle. Cette situation de continence est nouvelle. Elle s’ajoute, en quelque sorte, à l’attitude pour le moins réservée, sceptique du protagoniste, face à la cérémonie ou à la séance à laquelle il vient d’assister en simple spectateur. Les conditions sont cependant créées pour une expédition nocturne dans le passé, dans ce qui demeure le symbole d’une culture, dans des souvenirs et dans un bilan d’années de vagabondage.

Il n’est pas inutile de rappeler que ce roman n’a pris sa forme définitive qu’après de nombreux avant-textes : deux nouvelles dans Histoire d’amour impossibles où se retrouve la situation d’écartèlement géographique du couple, « Dialogue par-dessus l’Atlantique » (datée Paris-Rome, 1990-1994) et également « Un amour en blanc et noir » (daté de Paris 1990) où apparaît Caroline. Enfin, quelques chapitres du présent roman donnés en avant-première dans un volume, Un tambour pour les anges100, avec une préface de Laënnec Hurbon, et surtout, ajoutons-le, de superbes photos de David Damoison qui peuvent être vues comme autant de phases, d’aspects majeurs du « phénomène » vodou. La trace essentielle, une parmi d’autres, de ce volume dans le présent roman est le titre qui renvoie à un épisode capital, dans le roman et dans la prime jeunesse du narrateur : la fascination pour le tambour qui lui, dans le passé de l’enfant comme dans le présent de la méditation, sera touché, frappé, embrassé, à la différence (insistons encore) du corps de Caroline, présente et lointaine, mais plus que jamais nécessaire au narrateur. Ajoutons aussi que la jarre aux pièces d’or de L’Île du bout des rêves réapparaît dans un roman où elle est, si l’on peut dire, à sa vraie place, enterrée aux pieds du mapou, là où l’on sert « à manger aux anges » et faisant partie de la « chronique familiale101 ».

Dans le roman où reflue à flots l’enfance à Port-aux-Crasses, Grannie occupe une place primordiale. Elle est de fait la vraie responsable du scepticisme qu’affiche le narrateur face au vodou dans la mesure où cette forte femme, lectrice qui plus est de la Bible, stigmatise des pratiques qu’elle appelle « sataneries » ou « idolâtrie102 ». Elle est sévère avec son petit-fils, « gavroche caraïbe103 », l’appellation a été déjà lue dans une poésie. Prompte à manier le terrible martinet à trois branches, le B 12, qui « écorche le croupion104 », elle demeure, pour toutes ces raisons, le modèle moral par excellence, individualiste et généreuse, esprit libre, rebelle : « Elle n’a jamais aimé subir les choses105 ». Le tambour, pour elle, est l’instrument « du diable » alors que, pour le jeune garçon, il est un objet de fascination : « Outre le manger des anges et les esprits qui se mettent à poil, ce qui te branche le plus dans le vodou, c’est la musique106 ».

On retrouve, aux côtés de Grannie, sa sœur, Tante Vénus, Faustin, le cireur et sa bande de copains. Mais on est loin d’évoluer dans la terre des souvenirs et des contes d’antan. Le narrateur prévient son lecteur, d’entrée de jeu : « Ceci n’est pas un conte. C’est une histoire qu’on raconte107 ». On raconte des faits, c’est-à-dire qu’on les « ramène de l’enfance pour mieux les affronter. Et dompter ses peurs d’homme108 ». Ici, le narrateur fait le point sur sa vie, à savoir « l’écriture, la lutte politique, les filles109 ». Il règle ses comptes avec son pays, sa culture et ce qu’il appelle, quand il évoque le vodou, son « inculture110 ». Le retour dans Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme était le prélude, mieux la propédeutique à l’écriture. Ici, le retour en rêve nocturne aboutit à une « crise », à une mise en examen de ce que l’on nomme « identité ». C’est tout l’objet de la dernière séquence appelée « Passage ».

Résumons ces dernières pages : le vodou est une singularité culturelle, non ce qui est abusivement considéré comme une « valeur », un trait distinctif qui fonderait, authentifierait une culture. En cela le narrateur rejoint un romancier de l’autre face de la mer, le plus important sans doute de sa génération, le Réunionnais Axel Gauvin qui, dans Faims d’enfance, aborde, à partir des interdits culinaires, le même problème. Sa lecture m’a permis de tirer la conclusion que je viens d’énoncer et qui vaut énormément pour notre monde actuel, tout à la fois communautaire, multiculturel et identitaire. Le narrateur haïtien justifie sa position en invoquant une chanson, « La pli tombe mwan pas moyé111 ». Elle fait curieusement écho à l’auto-jugement du début : « un poisson hors de l’eau112 » et plus encore à la citation de Jean-Claude Charles, une des trois citées en épigraphe : « Je revendique le droit de n’exercer aucune police de l’identité113 ». Autant dire : refuser tout embrigadement au nom de valeurs dites collectives, traditionnelles, sans avoir procédé au préalable à un examen critique. C’est précisément ce que fait, pendant la nuit new-yorkaise, le narrateur. Voir clair en soi, identifier son cheminement personnel, ses options, ses limites. Dans cette perspective, je n’hésite pas à considérer la nuit new-yorkaise comme une entreprise d’auto-distanciation, ce travail exigeant d’objectivation de soi où s’est illustré le sociologue Norbert Elias.

C’est ce travail idéologique, de l’idéologie avec et contre elle-même, qui doit rendre à nouveau prudent à l’heure d’évaluer l’écriture, l’esthétique dont pourrait se réclamer le roman. Le simple exemple donné plus haut à propos de la musique suffirait pour ranger sous la bannière néo-baroque un roman qui développe aussi à sa manière une prose « funambulesque » et des ruptures de ton. Il y a cependant ce moment clé de l’examen, de la mise en question d’une culture qui oblige à repenser la portée exacte d’un élément de poétique romanesque. Ici, l’utilisation fréquente du français familier, colloquial, d’un certain argot sert à la mise à distance du sujet abordé, le vodou. Il vaudrait la peine d’examiner la suite des notes en bas de page pour apprécier non pas leur utilité informative ou didactique, mais leur portée polémique.

Premier exemple, première occurrence à propos du mot « lwa » :

En plus d’avoir un nom et un prénom, de se taper la cloche à volonté, de picoler, de se parfumer pour certains, de dégoiser un vocabulaire de charretier pour d’autres, le lwa – prononcer « loa » –, ou encore mystère, esprit, ange, saint est aussi porté sur la bagatelle. À bien regarder, il charrie les chrétiens114.

Citons une autre note, parmi bien d’autres, en remarquant qu’elles sont essentiellement condensées dans le premier quart du roman, comme pour créer un climat et poser un type de relation particulière avec le lecteur. Il s’agit du « boko » :

Ce mec, il sert les mystères que de la main gauche. Pour faire des bêtises, quoi. Genre envoyer un coup de poudre à quelqu’un ou le changer en zombie. Faut pas le confondre avec le oungan qui se fâche aussi sec si quelqu’un ose le comparer à un bòkò115.

Par la mise en pièces de l’érudition qui entoure des rites, la carnavalisation de la présentation des pratiques et des expressions culturelles, la note infrapaginale distille une parodie d’anthropologie culturelle. Il en va de même avec un autre procédé, plus simplement et directement comique : le personnage de Fanfan, nouveau dans le personnel familial, cousin du narrateur, qui livre des informations avec un bégaiement qui tend à discréditer tous ses discours laborieux. Concluons cette lecture en rappelant que c’est bien l’évaluation du propos, du projet du romancier qui permet de formuler une estimation esthétique et non l’apposition d’étiquettes.

Les deux derniers romans que je souhaite, là aussi, rassembler dans un même examen, beaucoup trop rapide et succinct, Noires blessures116 et Ballade d’un amour inachevé117 semblent prolonger et diversifier le travail, initié avec Les Dieux voyagent la nuit, de remise en question, de mise en examen de « nos » idées, de « nos » modes de vie. Précisons d’emblée : deux romans à idées, romans de « crise » intellectuelle, et non bien sûr romans à thèse. Ajoutons ici une remarque que j’ai pu faire à propos des nouvelles tendances du roman hispano-américain et qui me semble convenir également à Dalembert dans la mesure où l’espace américain est aussi le sien, comme il l’a reconnu à plusieurs reprises. J’observais donc que le romancier hispano-américain actuel ne se sentait plus obligé de « parler du dictateur » ni « d’inventorier les particularités géographiques de l’espace où il vit. » Et j’ajoutais : « il est clair que le réalisme magique a vécu » et qu’il suscite des réserves significatives de la part des jeunes générations. Il ne me paraît pas déplacé de situer Dalembert dans cette tendance ou dans cette mouvance.

Noires blessures qui se situe quelque part en Afrique aborde la « question » du racisme. Ou mieux, il démonte le phénomène, la production d’une idéologie raciste. L’étude quasi clinique d’un cas exemplaire fait songer parfois à une analyse de Frantz Fanon mise en fiction : le bourreau et sa victime. Celle-ci est Mamad White qui raconte (selon la technique de la prise de parole depuis L’Autre Face de la mer) ce que j’appellerais, en me souvenant du romancier Oyono, sa « vie de boy », une difficile et infime ascension dans l’échelle sociale, les privations et les sacrifices de sa mère (une autre métamorphose de Grannie !) jusqu’à son entrée au service de Laurent Kala, le « bourreau ». Second récit et confession de ce dernier : la mort du père, généreux, progressiste, lors d’une manif, une bavure, des coups de matraque donnés par un CRS, « un grand noir baraqué118 », le remariage de la mère, l’impossible deuil du père mélomane, grand amateur de jazz américain et admirateur de Martin Luther King. Une carrière entamée dans le tiers monde, dans une ONG, la haine incoercible contre son boy qu’il torture et martyrise. Au passage, défilent les stéréotypes noirs sur les blancs, les stéréotypes blancs sur d’autres blancs, en une procession qui relève, là encore, d’un processus, d’un projet cathartique. La guérison est entrevue, souhaitée, après condamnation de Laurent et accession de ce dernier à la dignité de père, avec l’adoption d’un petit Luc. L’appartenance générique du roman à la fable, au conte moral l’emporte sur toute autre considération poétique.

Le dernier roman en date révèle de plus larges et complexes ambitions, sans doute parce qu’il est dédié « à ma famille des Abruzzes et à celle de Port-au-Prince. Aux survivants d’ici et de là-bas, qui devront apprendre à vivre pour ceux qui sont partis119. » De fait, un espace haïtien, brouillé, pas seulement à cause d’un tremblement de terre, non daté, vient hanter le roman et expliquer quelques accents personnels, une émotion parfois mal contenue. On suit, à partir du tremblement de terre qui a frappé en Italie un village des Abruzzes, en avril 2009, la trajectoire d’Azaka, venu de « l’autre bout du monde » et celle de sa compagne, Mariagrazia qui va bientôt être mère. Prélevons d’abord, dans cette histoire double et commune, deux épisodes : l’ensevelissement du jeune Azaka lors d’un tremblement de terre et son sauvetage mouvementé, et les tentatives désespérées et infructueuses d’Azaka pour dégager sa compagne, puis le sauvetage miraculeux du bébé, envoyé d’urgence à la maternité de Pescara. D’un côté, le lecteur se trouve face à une méditation, une très émouvante reconstitution de longues heures de vie en sursis, une intériorisation donc du séisme, de la « chose », comme il est dit ; de l’autre, la séquence dramatique, pathétique de l’impossible sauvetage de la mère et du « miracolo ». Ce sont deux mouvements de tonalité très différente, traversés par de brèves et intenses notations d’ordre intime ou psychologique, qu’il s’agisse de la vie tout court ou de l’amour qui unit deux êtres. Sous la forme fugitive d’éclats, une certaine poésie trouve à se dégager du drame et des ruines. On relèvera, pour la simplicité extrême du procédé, la répétition du verbe rare « giguer » pour bouger, remuer, appliqué au bébé attendu puis à la terre120. Pareillement, de brèves et intenses séquences descriptives. Mais il faut mentionner aussi les répétitions, au long du roman, de locutions telles que « Longtemps après », « Bien des années plus tard »… reprises évidentes, volontaires du début célèbre de Cent ans de solitude et qui inscrivent ainsi l’événement dans un contexte qui dépasse tout dramatisme, tout tragique et placent les épreuves humaines dans une aura propre au temps mythique.

Je ne peux lire dans ce roman une quelconque résonance qui renverrait, comme le dit la IVe de couverture, à la « commedia dell’arte », mentionnée une fois dans le roman, à propos des critiques à l’encontre des « étrangers » de la part d’Italiens qui sont parfois descendants d’émigrés121. Sans doute, le roman joue sur des ruptures de ton qui ne relèvent pratiquement plus du vocabulaire, mais de situations comiques ou cocasses, antérieures à la catastrophe. Sans doute, comme toujours sous la plume de Dalembert, affleure l’humour, une forme efficace et discrète de distanciation. Le lecteur a même droit à une courte intrigue parallèle, pour que l’érotisme ne perdre pas ses droits. Ces contrepoints n’oblitèrent cependant en rien l’atmosphère d’apocalypse, la marche vers l’apocalypse inscrite dans la citation en épigraphe.

Mais il y a peut-être, dans ce roman actuel, diverses formes d’apocalypse ou une « autre face » de l’apocalypse. Dans sa Leçon, Barthes parlait, aux beaux ( ?) temps d’une postmodernité naissante, d’apocalypse « douce ». Je parlerais plutôt ici d’apocalypse rampante. Un exemple pris dans le roman précédent : la courte épopée de Mamad qui a connu l’émigration vers Lampedusa et qui en a réchappé. La petite réussite d’Azaka, sa vie qu’on n’hésite pas à appeler peinarde, ne doivent pas faire oublier sa trajectoire depuis « le Nord », la Slovénie, ni sa condition d’extracommunautaire (« extracom’« ), non plus que les manifestations sporadiques, rampantes, de l’idéologie néo-fasciste, de la publicité faite par une certaine Ligue du Nord. Un séisme, pour effroyable qu’il soit, ne doit pas en cacher d’autres, infimes, qui avancent masqués par le quotidien.

Tandis que l’événement, « la chose », entre dans le temps de la mémoire collective meurtrie, l’actualité fait à chaud sa besogne délétère. À la catastrophe verticale succède la rumeur multiple, anonyme, destructrice des âmes et des cœurs. « On » fait circuler l’idée de pillages perpétrés par « les étrangers », déjà fortement critiqués en temps normal, on vient de le voir, par des descendants d’anciens émigrés… C’est au moment où Azara vient aider une petite vieille à récupérer ses souvenirs que surgissent de jeunes justiciers. Avec en mains « un cadre un peu rococo intact, fait de fleurs en argent assemblés à la main122 », Azara est pris en flagrant délit et tabassé par des « assaillants » bien connus qui « continuent à déverser leur haine123 ». Secouru par la vieille dame, il est emmené en ambulance, tandis que la sirène « déchirera le silence mortifère de la ville124 ». Mortifère ? À cause des morts trop nombreux ? Oui, sans doute. Mais tout autant en raison des soubresauts d’une idéologie de mort qui, jour après jour, poursuit son travail de sape.

J’ai souhaité, non sans quelque inconscience ou témérité, retracer la trajectoire d’une écriture au sein d’un ensemble qui a sa propre dynamique. J’ignore fort heureusement quel roman est à présent sur le métier de Dalembert et il n’appartient pas prioritairement à la critique de se substituer au « créateur » et de se faire faussement et maladroitement prophétique. Aussi est-ce dans l’œuvre de Dalembert, dans une scène qui m’apparaît non seulement exemplaire, mais émouvante, que je souhaiterais trouver une issue à ma lecture.

Il s’agit – on n’en sera guère surpris – d’un passage où Grannie est mise en scène. C’est la fin de son soliloque dans L’Autre Face de la mer. Elle est persuadée que les confidences qu’elle fait au vent reviendront aux oreilles de son petit-fils. Elle poursuit :

Et comme je le vois souvent penché sur une feuille de papier, un crayon à la main, j’espère qu’il en fera une histoire, à sa façon ; qu’il la donnera en partage aux autres membres de la famille humaine125.

Il faut reconnaître, après la lecture de sept romans, que Grannie a gagné son pari ou que son infime prophétie s’est trouvée confirmée au-delà de ses espérances. Reste la seconde partie de la scène, ce qu’elle imagine pour elle-même :

Pour ma part, l’idéal serait qu’à mon départ de la vie on largue le cercueil sur les flots et me laisse dériver mon dernier sommeil. Le temps pour moi d’un rapide coup d’œil de l’autre côté, savoir si la réalité valait mes rêves. Oh ! par la suite, je retournerais bien me reposer parmi les miens, car à quoi sert pareille expérience si l’on ne peut venir raconter à ceux qui sont restés ? Voir leurs yeux s’écarquiller de saisissement, te regarder comme un revenant qui aurait côtoyé l’au-delà de la vie126.

Il y a là un programme original à mettre en œuvre. Une occasion d’obéir une fois encore au modèle de vie qu’a été Grannie. Il me semble d’ailleurs que le petit-fils, le poète, a commencé à se lancer dans le rêve de sa grand-mère, lorsqu’il a composé, dans son Poème pour accompagner l’absence, cité au début de cette étude, un hommage à ses morts, « allongé dans le silence du monde127 ». Et le jeune Azaka, enseveli et sauvé, a connu de façon dramatique le tranquille passage imaginé par Grannie. Pour continuer semblable expérience, pour accomplir pleinement le vœu de Grannie, il faudrait, en faisant confiance aux forces de l’esprit et au pouvoir de l’imaginaire, inventer une histoire, la « tirer » comme un conte depuis « l’au-delà de la vie » jusqu’à « ceux qui sont restés ». Une histoire exemplaire, qui aurait traversé les ombres et les ténèbres, ce qui tout à la fois définit et nie l’homme : la mort. Une histoire, comme l’avait imaginée Grannie, qui viendrait d’outre-tombe, adossée au tombeau, et qui monterait, par la seule force du verbe, vers la lumière.

Note

L’actualité a apporté une conclusion (au reste provisoire !) au devenir de l’œuvre romanesque de Dalembert et c’est le romancier lui-même qui s’en est chargé, avec la publication en 2017 d’un roman aux éditions Sabine Wespieser, Avant que les ombres s’effacent. Cette dernière publication continue d’illustrer, çà et là, quelques principes d’écriture propres à Dalembert qui concernent aussi bien certains procédés que des thèmes privilégiés dont l’ensemble compose les grandes lignes d’un imaginaire original : l’errance, sous toutes ses formes, une certaine truculence savoureuse dans la langue française maniée avec une indéniable maestria, des passages érotiques qui constituent presque une forme de rendez-vous avec le lecteur, ou encore des instantanés poétiques sur un certain réel haïtien, mais tout autant sur le monde auquel le romancier entend de plus en plus s’affronter et avec lequel il dialogue, à sa manière. Précisons : une certaine parole poétique toujours présente au sein même de la dynamique romanesque.

Toutefois, le « sujet » abordé par Dalembert confirme, à mes yeux, l’évolution vers une réflexion qu’on appellera morale, sous-tendue par la prise en compte soit de l’actualité, soit du processus historique qui fait remonter souvent à l’origine même de la naissance d’Haïti ou, pour mieux dire, de la Révolution « française ». Dans Avant les ombres qui s’effacent l’antisémitisme qui s’est saisi tragiquement de la vieille Europe, au siècle dernier, permet à Dalembert d’en suivre les traces, les échos jusque dans le « Nouveau » monde et l’Histoire offre au romancier des coïncidences qui dépassent de loin toute ce que le réel merveilleux avait pu naguère offrir, à d’autres niveaux et sur d’autres plans, à l’imagination romanesque.

Une première version du texte ici donnée a fait l’objet d’une première présentation pour une journée d’hommage adressé à Louis-Philippe Dalembert, organisée par notre collègue et ami Charles Scheel, à l’université des Antilles/Campus de Schoelcher, le 7 mai 2015. Parallèlement à l’hommage qui est ici rendu à Dalembert, nous avons décidé, en accord avec Louis-Philippe Dalembert, de le faire entrer dans la collection « Classiques pour demain », aux éditions L’Harmattan, dirigée par l’auteur de ces lignes. Le volume devrait sortir au second semestre de 2018. A côté d’articles et de témoignages, figurera le présent article mais réorienté : l’œuvre sera envisagée non pas seulement dans le déroulé chronologique, mais à partir de cette dernière parution qui semble imprimer, à l’imaginaire dalembertien (nous maintenons énergiquement cet adjectif), un tour nouveau. Le titre que j’ai choisi invite à une « relecture » de l’univers romanesque de Dalembert, suscitée par une très belle et émouvante formule du narrateur, au moment où il va entrer – très provisoirement d’ailleurs, pour lui – à Buchenwald : « Persistance de l’humain. Pour une relecture de l’œuvre de Louis-Philippe Dalembert ».

Notes de bas de page numériques

1 Louis-Philippe Dalembert, Évangile pour les miens, Port-au-Prince, Choucoune, 1982.

2 Louis-Philippe Dalembert, Et le soleil se souvient suivi de Pages cendres et palmes d’aube, L’Harmattan, 1989.

3 Haïti une traversée littéraire, Presses nationales d’Haïti et Cultures france Éditions Philippe Rey, 2010, p. 40.

4 Louis-Philippe Dalembert, Transhumances, Paris, Riveneuve Éd., 2010.

5 Louis-Philippe Dalembert, Dieci poesie : Errance, Pordenone, Quaderni di via Montereale, 2000.

6 Louis-Philippe Dalembert, Le songe d’une photo d’enfance [Paris, Le Serpent à Plumes, 1993], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005.

7 Louis-Philippe Dalembert, Histoires d’amour impossible ou presque… Monaco, Éd. du Rocher, 2007.

8 Louis-Philippe Dalembert, Noires blessures, Paris, Mercure de France, 2011.

9 Louis-Philippe Dalembert, Ballade d’un amour inachevé, Paris, Mercure de France, 2013 ; [Port-au-Prince, C3 Éditions, 2014].

10 Kateb Yacine, Le cercle des représailles, Le Seuil, 1998.

11 Louis-Philippe Dalembert, Poème pour accompagner l’absence, Montréal, Mémoire d’encrier, 2005, p. 9.

12 Louis-Philippe Dalembert, Poème pour accompagner l’absence, p. 11.

13 Louis-Philippe Dalembert, Poème pour accompagner l’absence, p. 11.

14 Louis-Philippe Dalembert, Poème pour accompagner l’absence, p. 11.

15 Louis-Philippe Dalembert, Et le soleil se souvient suivi de Pages cendres et palmes d’aube, L’Harmattan, 1989.

16 Louis-Philippe Dalembert, Et le soleil se souvient suivi de Pages cendres et palmes d’aube, L’Harmattan, 1989, p. 12.

17 Louis-Philippe Dalembert, Et le soleil se souvient suivi de Pages cendres et palmes d’aube, L’Harmattan, 1989, p. 13.

18 Louis-Philippe Dalembert, Et le soleil se souvient suivi de Pages cendres et palmes d’aube, L’Harmattan, 1989, p. 19.

19 Louis-Philippe Dalembert, Et le soleil se souvient suivi de Pages cendres et palmes d’aube, L’Harmattan, 1989, p. 44.

20 Louis-Philippe Dalembert, Et le soleil se souvient suivi de Pages cendres et palmes d’aube, L’Harmattan, 1989, p. 89.

21 Louis-Philippe Dalembert, Et le soleil se souvient suivi de Pages cendres et palmes d’aube, L’Harmattan, 1989, p. 128.

22 Louis-Philippe Dalembert, Poème pour accompagner l’absence, Montréal, Mémoire d’encrier, 2005, p. 38.

23 Louis-Philippe Dalembert, Poème pour accompagner l’absence, Montréal, Mémoire d’encrier, 2005, p. 44.

24 Louis-Philippe Dalembert, Transhumances, Paris, Riveneuve Éd., 2010, p. 15.

25 Louis-Philippe Dalembert, Transhumances, Paris, Riveneuve Éd., 2010, p. 10.

26 Louis-Philippe Dalembert, Transhumances, Paris, Riveneuve Éd., 2010, p. 36.

27 Louis-Philippe Dalembert, Histoires d’amour impossible ou presque… Monaco, Éd. du Rocher, 2007, p. 187.

28 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [Paris, Stock, 1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005 ; [Port-au–Prince, Presses Nationales d’Haïti, 2007].

29 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 222.

30 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 222.

31 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 227.

32 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 224.

33 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 25.

34 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 33.

35 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 88.

36 Louis-Philippe Dalembert, Le Songe d’une photo d’enfance [Paris, Le Serpent à plumes, 1993], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 10.

37 Louis-Philippe Dalembert, Le songe d’une photo d’enfance, [1993], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 100.

38 Louis-Philippe Dalembert, Le songe d’une photo d’enfance, [1993], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 103.

39  Louis-Philippe Dalembert, Le songe d’une photo d’enfance, [1993], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 124.

40 Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, [Paris, Stock, 1996] ; Paris, Le Serpent à Plumes, « Motifs », 2004 ; [Port-au Prince, Presses Nationales d’Haïti, 2007], p. 18.

41 Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, [1996], Le Serpent à Plumes, « Motifs », 2004, p. 15.

42 Louis-Philippe Dalembert – Lyonel Trouillot, Haïti une traversée littéraire, Presse nationales d’Haïti et Culturesfrance Éditions Philippe Rey, 2010.

43 Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, [1996], Le Serpent à Plumes, « Motifs », 2004, p. 47.

44 Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, [1996], Le Serpent à Plumes, « Motifs », 2004, p. 34.

45 Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, [1996], Le Serpent à Plumes, « Motifs », 2004, p. 57, 65, 147.

46 Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, [1996], Le Serpent à Plumes, « Motifs », 2004, p. 37.

47 Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, [1996], Le Serpent à Plumes, « Motifs », 2004, p. 271.

48 Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, [1996], Le Serpent à Plumes, « Motifs », 2004, p. 23.

49 Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, [1996], Le Serpent à Plumes « Motifs », 2004, p. 87.

50 Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, [1996], Le Serpent à Plumes, « Motifs », 2004, p. 48.

51 Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, [1996], Le Serpent à Plumes, « Motifs », 2004, p. 198, 203.

52 Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, [1996], Le Serpent à Plumes, « Motifs », 2004, p. 191.

53 Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, [1996], Le Serpent à Plumes, « Motifs », 2004, p. 264.

54 Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, [1996], Le Serpent à Plumes « Motifs », 2004, p. 266.

55 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [Paris, Stock, 1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005 ; [Port-au–Prince, Presses Nationales d’Haïti, 2007].

56 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 15.

57 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 17.

58 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 114.

59 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 114.

60 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 115.

61 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 116.

62 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 124.

63 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 129.

64 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 135.

65 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 136.

66 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 175.

67 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 221.

68 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 216.

69 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 223.

70 Louis-Philippe Dalembert, L’Île du bout des rêves, [Bibliophane/Daniel Radford, 2003], Paris, Éd. Privat/Le rocher, « Motifs », 2007.

71 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006 ; [Port-au-Prince, C3 Éditions, 2014.

72 Louis-Philippe Dalembert, Rue du Faubourg Saint-Denis, Monaco, Éditions du Rocher, 2005.

73 Louis-Philippe Dalembert, L’Île du bout des rêves, Bibliophane/Daniel Radford, 2003, p. 239.

74 Louis-Philippe Dalembert, L’Île du bout des rêves, Bibliophane/Daniel Radford, 2003, p. 20.

75 Louis-Philippe Dalembert, L’Île du bout des rêves, Bibliophane/Daniel Radford, 2003, p. 19.

76 Louis-Philippe Dalembert, L’Île du bout des rêves, Bibliophane/Daniel Radford, 2003, p. 140.

77 Louis-Philippe Dalembert, L’Île du bout des rêves, Bibliophane/Daniel Radford, 2003, p. 137.

78 Louis-Philippe Dalembert, L’Île du bout des rêves, Bibliophane/Daniel Radford, 2003, p. 157.

79 Louis-Philippe Dalembert, L’Île du bout des rêves, Bibliophane/Daniel Radford, 2003, p. 149.

80 Louis-Philippe Dalembert, L’Île du bout des rêves, Bibliophane/Daniel Radford, 2003, p. 127.

81 Louis-Philippe Dalembert, L’Île du bout des rêves, Bibliophane/Daniel Radford, 2003, p. 143.

82 Louis-Philippe Dalembert, L’Île du bout des rêves, Bibliophane/Daniel Radford, 2003, p. 179.

83 Louis-Philippe Dalembert, L’Île du bout des rêves, Bibliophane/Daniel Radford, 2003, p. 109.

84 Louis-Philippe Dalembert, Rue du Faubourg Saint-Denis, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, p. 25.

85 Louis-Philippe Dalembert, Rue du Faubourg Saint-Denis, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, p. 39.

86 Louis-Philippe Dalembert, Rue du Faubourg Saint-Denis, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, p. 115.

87 Louis-Philippe Dalembert, Rue du Faubourg Saint-Denis, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, p. 33.

88 Louis-Philippe Dalembert, Rue du Faubourg Saint-Denis, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, p. 37.

89 Louis-Philippe Dalembert, Rue du Faubourg Saint-Denis, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, p. 45.

90 Louis-Philippe Dalembert, Rue du Faubourg Saint-Denis, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, p. 16.

91 Louis-Philippe Dalembert, Rue du Faubourg Saint-Denis, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, p. 102.

92 Louis-Philippe Dalembert, Rue du Faubourg Saint-Denis, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, p. 22.

93 Louis-Philippe Dalembert, Rue du Faubourg Saint-Denis, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, p. 32.

94 Louis-Philippe Dalembert, Rue du Faubourg Saint-Denis, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, p. 35.

95 Louis-Philippe Dalembert, Rue du Faubourg Saint-Denis, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, p. 82.

96 Louis-Philippe Dalembert, Rue du Faubourg Saint-Denis, Monaco, Éditions du Rocher, 2005, p. 94.

97 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006 ; [Port-au-Prince, C3 Éditions, 2014].

98 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 11-43.

99 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 121.

100 Louis-Philippe Dalembert, Vodou ! Un tambour pour les anges, Paris, Éditions Autrement, 2003.

101 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 52.

102 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 12-45.

103 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 71.

104 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 145.

105 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 33.

106 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 175.

107 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 29.

108 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 29.

109 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 209.

110 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 12.

111 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 218-219.

112 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 17.

113 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 9.

114 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 20.

115 Louis-Philippe Dalembert, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd du Rocher, 2006, p. 125.

116 Louis-Philippe Dalembert, Noires blessures, Paris, Mercure de France, 2011.

117 Louis-Philippe Dalembert, Ballade d’un amour inachevé, Paris, Mercure de France, 2013 ; [Port-au-Prince, C3 Éditions, 2014].

118 Louis-Philippe Dalembert, Ballade d’un amour inachevé, Mercure de France, 2013, p. 122.

119 Louis-Philippe Dalembert, Ballade d’un amour inachevé, Mercure de France, 2013, p. 9.

120 Louis-Philippe Dalembert, Ballade d’un amour inachevé, Mercure de France, 2013, p. 143, 241.

121 Louis-Philippe Dalembert, Ballade d’un amour inachevé, Mercure de France, 2013, p. 191.

122 Louis-Philippe Dalembert, Ballade d’un amour inachevé, Mercure de France, 2013, p. 283.

123 Louis-Philippe Dalembert, Ballade d’un amour inachevé, Mercure de France, 2013, p. 283.

124 Louis-Philippe Dalembert, Ballade d’un amour inachevé, Mercure de France, 2013, p. 283.

125 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 99.

126 Louis-Philippe Dalembert, L’Autre Face de la mer, [1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005, p. 99-100.

127 Louis-Philippe Dalembert, Poème pour accompagner l’absence, Montréal, Mémoire d’encrier, 2005, p. 12.

Bibliographie

Œuvres de Louis-Philippe Dalembert

Évangile pour les miens, Port-au-Prince, Éd. Choucoune, 1982

Et le soleil se souvient suivi de Pages cendres et palmes d’aube, Paris, L’Harmattan, 1989

Le Songe d’une photo d’enfance [Paris, Le Serpent à Plumes,1993], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005

Ces îles de plein sel [La Chaux-de-Fonds, Vwa n° 24, 1996], Ivry-Sur-Seine, Silex/Nouvelles du Sud, 2000

Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme [Paris, Stock, 1996], Éd. Privat/Le Rocher, « Motifs », 2004 ; [Port-au-Prince, Presses Nationales d’Haïti, 2006]

Dieci poesie : Errance, Pordenone, Quaderni di via Montereale, 2000

L’Autre Face de la mer [Paris, Stock, 1998], Le Serpent à plumes, « Motifs », 2005 ; [Port-au-Prince, Presses Nationales d’Haïti, 2007]

L’Île du bout des rêves, [Bibliophane/Daniel Radford, 2003], Paris, Éd. Privat/Le Rocher, « Motifs », 2007

Vodou ! Un tambour pour les anges, préface Laënnec Hurbon, photographies David Damoison, Paris, Éditions Autrement, 2003

Poème pour accompagner l’absence, Montréal, Mémoire d’encrier, 2005

Rue du Faubourg Saint-Denis, Monaco, Éditions du Rocher, 2005.

Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éd. Du Rocher, 2006 ; [Port-au-Prince, Éditions des Presses Nationales, 2010]

Histoires d’amour impossibles ou presque… Monaco, Éd. du Rocher, 2007

Transhumances, Paris, Riveneuve Éd., 2010

Noires blessures, Paris, Mercure de France, 2011

Ballade d’un amour inachevé, Paris, Mercure de France, 2013 ; [Port-au-Prince, C3 Éditions, 2014]

Avant que les ombres s’effacent, Paris, Sabine Wespieser, 2017

Louis-Philippe Dalembert et Lyonel Trouillot, Haïti une traversée littéraire, Presses nationales d’Haïti et Culturesfrance Éditions Philippe Rey, 2010

Textes critiques

Nous donnons ici quelques références de travaux personnels auxquelles il est fait allusion et qui concernent les deux notions qui ont été convoquées.

Pageaux Daniel-Henri, « La créolité antillaise entre postcolonialisme et néo-baroque », in Jean Bessière et Jean-Marc Moura (coord.), Littératures postcoloniales et francophonie, Paris, Champion, 2001, pp. 83-116.

« Sur quelques espaces de l’imaginaire américain », in Danielle Corpet et Lise Gauvin (éd.), La Nation nommée roman face aux histoires nationales, Paris, Classiques Garnier, « Rencontres », 2011, pp. 141-156.

« A critical alternative to postcolonial hybridity : the caribbean néo-baroque », in Vanessa Guignery et al., Hybridity Forms and Figures in Literature and Visual Arts, Cambridge Scholars Publishing, 2011, pp. 291-301.

Pageaux Daniel-Henri (coord.), « Conversations avec L.-Ph. Dalembert », interview fait par Daniel-Henri Pageaux in « Passages, Frontières, Métissages », Revue Diogène/ IULM/UNESCO 246-247, avril-septembre 2014, Paris, Presses Universitaires de France, juin 2015.

Pour citer cet article

Daniel-Henri Pageaux, « Le roman selon Louis-Philippe Dalembert : entre « réalisme poétique » et « néo-baroque » », paru dans Loxias-Colloques, 9. Entre Haïti et ailleurs. Louis-Philippe Dalembert, Le roman selon Louis-Philippe Dalembert : entre « réalisme poétique » et « néo-baroque », mis en ligne le 20 janvier 2018, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=1019.

Auteurs

Daniel-Henri Pageaux

Professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle, co-directeur de la Revue de Littérature comparée et membre correspondant de l’Académie des sciences de Lisbonne. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages critiques, de deux romans en français (Le sablier retourné et Le système décimal, éd. Belfond, 1989, 1992) et un en espagnol (Como fiel amante o la invención del Lazarillo, Madrid, éd. Turpin, 2012). Derniers ouvrages publiés : Itinéraires comparatistes et Lectures indiaocéanes. Essais sur les francophonies de l’océan indien, Paris, éd. J. Maisonneuve, 2014 et 2016.