je suis né dans un petit pays
un grain de sable sur la carte du monde
longtemps je l’ai confondu
au tracé de la terre
longtemps j’ai cru
que c’était le monde entier

je suis né dans un petit pays
dans la grande petite ville
sur le chemin des corbillards
certain après-midi l’un d’eux
à pas de tortue longeait notre vie
hésitant à déposer son client
aux confins de la rue
là où celui qui entre
doit délaisser toute espérance
hormis la certitude de redevenir poussière

je ne sais plus quel cerbère
peu de temps plus tard
à moins que ce ne soit avant
a troqué le nom de ma rue
contre celui plus flamboyant de révolution
comme si révolution même usurpée et enterrement
à défaut de rimer
pouvaient être synonymes

puis l’on a changé de quartier
pour un autre
aux faux airs de belvédère

je suis né à la vie
dans un petit quartier
où l’air celui bleu de l’enfance
sifflait plus bel qu’ailleurs
la mer au loin
qui le jour chavirait nos rêves de lointain
et la nuit venue
se changeait en étoiles
par-dessus nos têtes d’enfant
était le seul horizon
hors de portée de voix des adultes
l’extrême limite de notre territoire
quand il fallait regagner la maison
à une heure indigne
à l’appel des usages
ou à celle plus heureuse
du repas de midi

puis l’on a changé de périmètre
pour un autre encore
où les nuages engloutissaient
les racines du ciel et l’envol des aéroplanes
tandis que nos frondes farouches
ébréchaient celui des oiseaux
où le territoire nouveau
était vaste de la perte de l’ancien
et toujours réduit au jet de voix
des adultes

puis l’enfance a passé
à la manière d’un cyclone d’automne
long et foudroyant à la fois
mêlant joies et peurs d’un même élan
au plus ténébreux des entrailles

puis l’enfance a passé
inondée de soleils et de rires
défiant à force d’impudence
d’imprudence aussi
l’histoire et ses démesures
la brocardant comme dans un jeu
de billes ou dans un rêve
évinçant le réel et ses inimitiés
d’une pichenette d’orgueil

puis l’enfance a passé
me laissant orphelin
de son absence
dans ce petit pays où je suis né

un tout petit pays
qui a planté sa gueule géante de caïman
dans la chair de la mer caraïbes
du plus loin que je me souvienne
c’était l’univers entier

Paris, 28 octobre 2016