Loxias-Colloques | 9. Entre Haïti et ailleurs. Louis-Philippe Dalembert
Sylvie Bouffartigue :
Préface
Résumé
Préface
Index
Mots-clés : Dalembert (Louis-Philippe) , Haïti, migration
Géographique : Haïti
Chronologique : Période contemporaine
Texte intégral
1Ce cahier consacré à l’auteur haïtien Louis-Philippe Dalembert rassemble la partie littéraire des communications présentées lors de la Journée d’Études Entre Haïti et ailleurs organisée par le GRIAHAL en juin 2016. Le Groupe de Recherches Interdisciplinaires sur les Antilles Hispaniques et l’Amérique Latine, rattaché au Centre d’Études Culturelles des Sociétés Contemporaines (CHCSC-EA 2448) en 2015, étudie depuis plus de vingt ans l’étude des sociétés et des cultures de l’espace caribéen. Nous avions ainsi souhaité aborder, par le prisme de cette œuvre romanesque, le thème de la migration, si présent dans l’histoire, la culture et l’imaginaire de la Caraïbe.
2Depuis l’ancrage dans l’hispano-américanisme, notre groupe a pratiqué le décloisonnement des disciplines de manière à mieux aborder, à la fois comme un Tout pluriel et dans la richesse de leur complexité, les problématiques historiques et culturelles de la Caraïbe. Nos questionnements scientifiques s’organisent autour de quelques axes thématiques structurants : les identités et appartenances culturelles ; les frontières culturelles mais aussi les échanges, les réciprocités, les transferts et les transmissions de modèles ; la migration, l’exil et les diasporas ; les expressions spécifiquement littéraires et artistiques de ces phénomènes.
3Nous avions ainsi consacré une journée d’études, en 2010 à Puerto Rico un país en el limbo, à la croisée, justement, de nos approches disciplinaires diverses. Nous avions également, en 2006, organisé avec Françoise Moulin-Civil, et en collaboration avec Christiane Chaulet Achour, le colloque Présences Haïtiennes, dont les actes furent publiés, dans la foulée.
4Le 8 juin dernier, nos pas de chercheurs nous ont à nouveau conduits vers Haïti, île historiquement capitale dans cet espace régional :
un tout petit pays
qui a planté sa gueule géante de caïman
dans la chair de la mer caraïbe1
5comme l’a écrit le poète Louis-Philippe Dalembert.
6Il convient de préciser en quoi son œuvre a tout particulièrement éveillé l’intérêt de notre groupe de recherche. Distingué par l’attribution du prestigieux prix Casa de las Américas en 2005, son roman Les dieux voyagent la nuit, comme son œuvre dense – la romanesque, à laquelle nous nous intéressons, mais aussi la belle œuvre poétique en français et en créole, sans omettre les essais –, aborde des thématiques essentielles.
7S’il est une ligne forte, un sens au cheminement de l’œuvre romanesque de Louis-Philippe Dalembert, c’est probablement l’expérience de la migration, qu’elle soit objet ou condition de la diégèse, nécessité ou modalité de l’écriture et de la fabrication de sa langue par l’écrivain.
8Le terme « migration » que nous employons semble ainsi bien prosaïque et d’autres lui préféreront celui d’exil, ou d’errance. Louis-Philippe Dalembert pour sa part répond qu’il choisit le mot « vagabondage ».
9Intégré dans l’imaginaire, conçu comme expérience de vie, périple qui se construit au cours des romans et de la vie, le vagabondage est structurant au gré des expériences de celui qui nourrit son œuvre de sa façon de « bourlinguer sa vie ».
L’exil impliquerait la douleur de l’arrachement, l’errance le manque de repères. Le vagabondage désigne bien la libre circulation de celui qui a brisé ses entraves et va çà et là à sa guise2.
10Jamais conçu comme un exil, une errance ou un nomadisme car ils sont imposés et subis, le vagabondage de Louis-Philippe Dalembert dans le monde caraïbe vers l’Europe – en particulier l’Italie ou la France –, et au-delà, donne délibérément sens à l’œuvre. Toujours en partance, sans doute Dalembert développe-t-il ses romans, de manière assumée et volontaire, comme les étapes ou les jalons d’un voyage d’écrivain et d’homme.
11La Journée d’Études Entre Haïti et ailleurs est ainsi consacrée à une œuvre tissée d’exil mais aussi d’attachement au pays natal et à sa culture, de découvertes d’ailleurs, d’imprégnation de cultures, d’allers-retours entre les points d’ancrages. L’un de ces ancrages vitaux est le pays de l’enfance, cette terre originelle vers laquelle inlassablement retourne l’auteur ; les autres ancrages sont ces ailleurs où l’on est, sans jamais oublier d’être d’où l’on vient, dans une perpétuelle dialectique vitale. L’équilibre est toujours rendu possible par ceux que l’on rencontre dans les ailleurs où l’on se pose ; souvent rendu instable par d’autres dans ces ailleurs où l’on est appelé à se poser, un temps.
12Nous avons retenu pour cette publication dans la revue Loxias – ce dont nous sommes reconnaissants à Odile Gannier –, les communications littéraires de notre journée. Nous remercions les collègues hispano-américanistes, historiens, politologues et littéraires, qui ont participé à la Journée Entre Haïti et ailleurs et, surtout, nous exprimons notre gratitude à Louis-Philippe Dalembert d’avoir répondu à notre invitation.
13Renée Clémentine Lucien et Dominique Diard, mes deux coorganisatrices, soutiennent la gageure d’introduire l’œuvre romanesque de Louis-Philippe Dalembert dans la perspective des préoccupations croisées de notre groupe, en ouvrant ce cahier par une introduction chorale. Renée Clémentine Lucien s’interroge sur l’identité de « La littérature de la Caraïbe, de la Grande Caraïbe, ou des Caraïbes ? » dans laquelle s’insère l’œuvre de Louis-Philippe Dalembert. Elle en définit l’espace commun, dessinant à grands traits une littérature identifiable par sa créativité et un air de famille, dont les écrivains s’acceptent – ou non – comme membre. Dominique Diard, pour sa part, s’attarde sur l’œuvre de celui qu’elle qualifie d’« aède vagabond », « entre l’ici et l’ailleurs », s’attachant à l’examen des thématiques du voyage et de l’errance. Lecteur attentif et pénétrant de Louis-Philippe Dalembert, Daniel Henri-Pageaux met en lumière, dans « Le roman selon Louis-Philippe Dalembert ». Entre « réalisme poétique » et « néo-baroque », la diversité des enjeux de l’écriture et montre la complexité de sa poétique. Il retrace le parcours de l’auteur, depuis ses expérimentations romanesques jusqu’à ses romans à idées. En reconstruisant ce vagabondage de roman en roman, de repère en repère, Daniel-Henri Pageaux montre le jeu de fragmentation, de théâtralisation et d’érotisation du réel conduit par l’auteur. Dans son article, « Retour au “pays-temps” de Grannie (Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, L’Autre Face de la mer, Les dieux voyagent la nuit) », Odile Gannier s’attache aux textes de retour au pays natal tout en interrogeant la relation de l’auteur avec la diaspora. Louis-Philippe Dalembert, nous dit-elle, ne recherche pas le rassurement d’une communauté réconfortante ; il fuit la tentation de recréer, là où l’on est, l’ailleurs qu’on a laissé. Le traitement singulier de thèmes partagés – l’exil, le retour, l’enfance – découle de l’aptitude à regarder l’enfance, et Grannie, et le pays d’où l’on vient, pour avancer. Dans ce vagabondage littéraire, physique, linguistique, le retour à l’enfance réactive la fascination des interdits, nous dit Victoria Famin. Elle montre dans « Entre souvenir, construction et recréation : le vaudou comme repère pour le vagabondage de Louis-Philippe Dalembert », comment la relation au Vaudou, référence culturelle mais aussi référence de l’inculture, religion transgressive et prohibée, tisse le lien avec l’adolescence, le franchissement des interdits, la découverte de la sexualité. Le Vaudou – Vodou en haïtien –, comme dans Les dieux voyagent la nuit est aussi, pour tout cela, le rattachement ineffable au pays natal. « L’exercice du souvenir et du retour à ce que l’auteur appelle le pays-temps de l’enfance – écrit Victoria Famin – se présente comme une véritable nécessité, pour maintenir un certain équilibre entre l’ici et l’ailleurs, entre Haïti et le monde. » Et voici le texte lancé au monde, à d’autres langues dans « L’arbre à palabres, paysages imaginaires : regards sur une traduction brésilienne de Louis-Philippe Dalembert ». Le défi que relève Marcelo Marinho, traducteur de Louis-Philippe Dalembert en portugais, est de considérer comme un nouveau vagabondage le passage de la langue fabriquée par l’auteur vers une langue de destination qui n’est pas le fruit d’un identique vagabondage linguistique. Il relève ainsi au travers des embûches de l’oraliture, le travail de l’auteur qui voyage dans les langues et les langages, cherchant encore le lien vers le pays de l’enfance et ses paysages. Car en Haïti, l’oraliture est le reflet d’une expérience personnelle ou collective de l’univers. C’est pourquoi, nous dit-il, Louis-Philippe Dalembert en fait la matière de son écriture.
14Louis-Philippe Dalembert nous a fait l’honneur de sa présence, discrète et attentive, tout au long de cette journée d’études où nous parlions de son œuvre. Surtout, il a favorisé la liberté de l’échange, la sincérité du dialogue et la franchise du débat. Lors d’une précieuse fin d’après-midi, il a fait lecture de son magnifique poème Voyage dont le propos nostalgique et douloureux s’accordait, dit-il, à nos préoccupations scientifiques.
15Juste après cette préface, le lecteur aura le bonheur de découvrir un second superbe poème dont l’auteur nous a fait présent, heureux d’apprendre que nous publierions que nous publions ces textes. Le texte en exergue est encore, pour l’heure, un inédit. Ce sera le premier des poèmes du recueil En marche sur la terre (éd. Bruno Doucey), publié le 6 avril 2016.
16Le nouveau roman de Louis-Philippe Dalembert, Avant que les ombres s’effacent, est paru, le 2 mars 2017, aux éditions Sabine Wespieser. C’est un roman passionnant et d’une écriture plus aboutie que jamais. On y retrouve la figure forte d’une Grannie, nommée dans le contexte yiddish Bobe. Le pays de l’enfance est à l’Est, et l’initiation ne passe pas seulement par le vaudou. Le roman entier relate le vagabondage d’un jeune protagoniste que son siècle force à partir, pour rejoindre le pays de l’enfance de l’auteur et y vivre sa vie d’homme, en une habile inversion des stéréotypes. C’est également un roman qui rend visibilité à un intellectuel bien connu au GRIAHAL, plus connu à Cuba qu’en France. Pourtant, ce fut Joseph Auguste Anténor Firmin l’auteur de la magistrale réponse, De l’égalité des races humaines. Anthropologie positive, au texte inique de Joseph Arthur de Gobineau. C’est cet essai qui guide un enfant de Lödz, en Pologne vers l’île d’Haïti, après presque autant de péripéties que celles que vivent de tous temps les réfugiés.
Notes de bas de page numériques
1 Louis-Philippe Dalembert, « là d’où je viens », poème inédit lu par Louis-Philippe Dalembert lors de la JE et cédé par l'auteur pour être intégré à cette publication (p. 5). Il a depuis été édité aux éditions Bruno Doucey sous le titre En marche sur la terre.
2 Cf. Odile Gannier, « Retour au “pays-temps” de Grannie (Louis-Philippe Dalembert, Le crayon du bon Dieu n’a pas de gomme, L’Autre Face de la mer, Les dieux voyagent la nuit) ».
Pour citer cet article
Sylvie Bouffartigue, « Préface », paru dans Loxias-Colloques, 9. Entre Haïti et ailleurs. Louis-Philippe Dalembert, Préface, mis en ligne le 20 janvier 2018, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=1001.
Auteurs
Sylvie Bouffartigue est professeure à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, membre du Centre d’Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines et responsable du GRIAHAL (Groupe de Recherches Interdisciplinaires sur les Antilles Hispaniques et l’Amérique latine). Elle a publié de nombreux articles sur la fabrique des imaginaires nationaux et de l’héroïsme dans la Caraïbe hispanique. Sa thèse « Le Roman des Guerres d’Indépendance de Cuba 1898-1952 », soutenue à Paris 8, est consultable en ligne. En 2006 elle a co-édité avec Christiane Chaulet Achour, Dominique Fattier et Françoise Moulin Civil le volume Présences haïtiennes. En 2012, elle a publié Fruits de la Terre : du produit exotique au symbole patriotique (Cuba XVIII-XXIe siècle). Avec Sandra Hernandez, Renée Clémentine Lucien et Alvar de la Llosa, elle a co-signé en 2015 De la Cuba esclavista a Nuestra América. Son nouvel ouvrage inédit Hatuey : du cacique factieux au héros postcolonial est en cours de publication.