Loxias-Colloques |  2. Littérature et réalité 

Olimpia Gargano  : 

Visualisations du réel. Images et figures dans les reportages narratifs des écrivains - journalistes en Albanie (1910 - 1930)

Résumé

L’Europe de l’entre-deux-guerres vit le développement du reportage narratif, qui allait devenir un genre à part entière dans le cadre de la littérature de voyage. Au cœur de cette contribution sont les textes des écrivains-journalistes Philip Roth, Ernest Laut, Henri Béraud, Jérôme et Jean Tharaud, analysés dans le but d’en dégager des constantes et des divergences dans leur rapport avec le réel, surtout à propos d’un sujet comme l’Albanie, qui était à la fois peu connue et déjà fortement marquée par des stéréotypes très diffusés. On mettra en évidence les moyens expressifs sur lesquels s’appuie le discours réaliste, avec une attention particulière à ce qu’on appellera ici les « visualisations du réel », c’est-à-dire les mots et les figures de style associés à la sémantique de la visualité.

Abstract

In Europe, the literary reportage developed in the Interwar Period, becoming a separate genre within the framework of travel literature.

At the heart of this contribution are the texts of European writers and journalists such as Philip Roth, Ernest Laut, Henri Béraud, Jérôme and Jean Tharaud, analyzed in order to identify patterns and differences in their relationship with reality, especially with respect to a subject such as Albania, which was at once little known and yet heavily marked by some widely disseminated stereotypes.

This contribution will highlight the expressive means underpinning the realistic discourse, with particular attention to the words and the figures of speech associated with the semantics of visuality.

Index

Mots-clés : figures de style , géocritique, imagologie, reportage narratif, stéréotypes

Keywords : figures of speech , geocriticism, imagology, narrative reportage, stereotypes

Géographique : Albanie

Chronologique : XXe siècle

Plan

Texte intégral

Un reporter n’est pas un simple chasseur d’images,
il doit savoir capter les vues de l’esprit1.

Introduction

1Cette contribution vise à dégager les méthodes de la représentation du réel dans les reportages narratifs, en utilisant comme études de cas des textes d’écrivains – journalistes européens qui se rendirent en Albanie dans les premières décennies du XXe siècle. Les œuvres seront analysées dans le cadre de l’imagologie et de la géocritique, dans le but d’en dégager des constantes et des divergences dans leur rapport avec le réel, surtout en tenant compte du fait qu’on était aux prises avec un sujet, l’Albanie, à la fois peu connue et déjà très marquée par des stéréotypisations communes à la plupart de l’Europe de l’Est, et notamment de l’aire balkanique.

2On mettra en évidence les moyens expressifs par lesquels le discours réaliste a pris forme chez les différents auteurs, avec une attention particulière à ce qu’on appellera ici les « visualisations du réel », c’est-à-dire les mots et les figures de style associés à la sémantique de la visualité. On soulignera notamment les figures de la représentation, tant en ce qui concerne leur aspect descriptif qu’en ce qui concerne leur fonction de signaux de stéréotypes.

3Les textes choisis comme études de cas seront analysés sous trois angles. En premier lieu, on portera une attention particulière au « vocabulaire du visuel », en ce qui concerne les termes et les expressions relatifs à la sémantique de la visualité. On identifiera également les modalités de l’imagerie verbale, c’est-à-dire les descriptions qui créent des « images figées » et des stéréotypes.

4Le troisième et dernier aspect est lié spécifiquement au style de Joseph Roth : dans les romans comme dans les textes journalistiques de l’écrivain autrichien reviennentdes expressions étroitement liées à la sphère de la visualité, sans pourtant être des descriptions dans le sens commun du terme. C’est une technique qui pourrait s’inscrire dans le domaine de celle que Irmgard Wirtz a appelé la « Panoptikale Sehweise2 » (« vision panoptique »), dont on dégagera des exemples dans ses reportages albanais.

1. Le reportage narratif : petite histoire du genre

5Le reportage narratif eut son développement majeur dans l’Europe de l’entre-deux-guerres. Au lieu de rédiger des chroniques des faits divers, il visa à représenter des milieux humains et sociaux, ainsi devenant un texte hybride entre la littérature et le journalisme.

6Parmi les français auteurs de grands reportages rappelons Antoine de Saint-Exupéry, Albert Londres, Joseph Kessel. En Italie, le reportage narratif atteignit son âge d’or entre les années 1930-1940 avec, entre autres, Emilio Cecchi, Alberto Savinio, Alberto Moravia.

7Les séries de reportages sur le même sujet étaient souvent publiées en volumes. Tel fut le cas, par exemple, de L’Albania de Ugo Ojetti (1902) et de Albania una e mille de Indro Montanelli (1939).

8L’un des critères constitutifs du reportage est sa vocation à traiter avec des faits réels :

les objets, les personnages et les événements décrits dans le récit sont réels. Leur réalité est même la principale justification de leur présence dans le reportage3.

9En étant à la fois autant littéraire ainsi que journalistique, le reportage narratif appartient à un genre pour ainsi dire à statut particulier, qui participe en même temps de la nature du récit de voyage et du texte référentiel. En tant que visé à décrire des lieux et des événements dont l’écrivain prit connaissance pendant ses voyages – à l’étranger ou, dans tous cas « ailleurs » par rapport aux lieux où l’auteur vit d’habitude – le reportage fait partie des écritures de voyage. D’un autre côté, en tant que voué à « rapporter » (dans le sens de l’anglais« to report » c’est-à-dire « relater », où le locatif « re- » a une valeur de provenance) sur des lieux et des situations qui sont situés ailleurs que le lecteur, le reportage est l’un de moyens de ce qu’on pourrait appeler la « re-présentation » du réel, entendue ici comme présentation d’une réalité non pas en tant que telle – ce qui serait impossible – mais en tant qu’elle estvue, et par conséquent interprétée, par la personne qui observe.

10Si l’on ne peut pas « rapporter » sans bouger de chez soi, c’est vrai aussi que ce que l’on relate doit être « vrai », « réel », faute de trahir le pacte de lecture consubstantiel au genre dont le texte fait partie. Son engagement se joue donc dans le champ de la réalité, d’un réel qui demande d’être saisi sur le terrain.

Le reporter se présente ainsi comme une sorte d’explorateur du social et de la géographie, un être qui a incorporé l’immense diversité des réalités humaines, et qui, par conséquent, peut se sentir chez lui partout et avec n’importe qui4.

2. Le réel illustré : les reportages photographiques

11Dans cette étude consacrée aux textes stricto sensu, on ne donnera qu’une place marginale aux témoignages visuels, à savoir aux illustrations et photographies. Pourtant, tout en demeurant dans le cadre des rapports entre littérature et réel, il convient de rappeler qu’à partir de la moitié du XIXe siècle l’évolution de l’art photographique favorisa la diffusion des reportages illustrés. Ce fut dans ces années-là qui furent publiées les photographies de l’Égypte de Maxime Du Camp, qui fut l’un des premiers à utiliser la documentation photographique dans ses récits de voyage.

12À cet égard, rappelons également le « prodigieux reportage » (comme l’annonçait le titre du journal) de Joseph Kessel de l’Éthiopie et du Yémen, paru en mai 1930 dans Le Matin, où l’on soulignait que les images avaient été « prises sur le vif5 » par les membres de l’expédition.

3. Écrivain voyageur et écrivain journaliste

13En ce qui concerne la nuance de signification entre les termes « écrivain-voyageur » et « écrivain-journaliste », on pourrait dire que la dernière définition contient – et dans un sens, étend – la précédente : le journaliste est un voyageur professionnel. Par conséquent, l’un des traits qui le différencient de l’écrivain se trouve dans la spécificité du processus qui est à l’origine de ses récits : alors que, en général, il est plus probable que l’écrivain voyage par libre choix, le reporter est d’habitude envoyé par le journal pour lequel il travaille. Une autre point majeur de différence se trouve dans le décalage temporel entre la rédaction et la publication du texte, un délai qui dans le cas de l’écrivain peut être même très long, alors que généralement le reporter écrit sur le coup. Ou, encore, dans la diversité de l’intention :

Là où le voyageur s’intéressera au pérenne (études de mœurs des habitants, descriptions des monuments, vision pittoresque du paysage), inscrivant généralement son voyage dans un large feuilleté de récits de voyage antérieurs ou de guides touristiques, le reporter lui souhaitera rendre compte de l’événement, la publication accélérée dans le journal de son texte constituant l’épreuve de validation du reportage6.

14Pour Daniel Pageaux, celle du journaliste est la dernière étape dans le processus de transformation de la figure du voyageur :

Nous parvenons aux ultimes images et métamorphoses de l’écrivain-voyageur : le diplomate ménageant son temps pour retrouver la rêverie (les Trois Ans en Asie du comte de Gobineau ou Connaissance de l’Est de Paul Claudel), le globe-trotter, journaliste, reporter (Joseph Kessel, Romain Gary…), le cosmopolite de l’entre-deux-guerres accumulant les expériences et les témoignages recueillis sur un globe définitivement éclaté, fragmenté, chaotique7.

15Au sujet de la différence entre récit de voyage et reportage, une indication de type ontologique nous vient de Bernard Westphal, qui dans un essai dédié justement aux reportages journalistiques en Albanie en 1912, identifie le clivage entre les deux dans le fait même que le reportage narre des « événements » :

Au contact de l’événement – et surtout de l’événement violent qui engage une communauté dans son entier (une guerre) – le récit de voyage n’est plus de mise. L’exposé des sensations éprouvées ne relève plus d’un libre choix, d’une subjectivité assumée : il est dicté par l’urgence. La contrainte apparaît ; de nouveaux impératifs se font jour ; le contexte provoque une convergence forcée du texte. Le genre, dès lors, se délite et confine à une autre classe taxinomique : le reportage8.

4. Choses vues. L’œil comme source de connaissance

16Écrire, c’est aussi voir, et percevoir. Dans son essai dédié à la poétique du regard, Pierre Ouellet considère la « perception » comme un moyen d’appropriation du réel :

Penser et percevoir sont tous deux conçus sur le modèle d’un centre rayonnant vers une toujours plus lointaine périphérie. On sait qu’en latin le verbe percipere veut dire « envahir », « prendre entièrement » (de per-capere, littéralement : « prendre quelque chose dans toute son étendue ») – l’Ego est envahisseur, son rapport au monde empirique est « impérial », le réel comme domaine de l’expérience ou « empirie » constituant son véritable « empire », où il se projette, l’« embrassant dans toute son étendue ». Le « je » moderne, c’est-à-dire classique, se construit sur le modèle de l’« œil », conçu lui-même comme source de la vision et de notre connaissance du réel : l’Ego est l’œil magique à l’intérieur de notre œil physique, qui rapporte tout ce que nous voyons à notre propre existence de sujet pensant et percevant9.

17Dans le cas des reportages narratifs, la « vision » semble être la « vertu cardinale du genre10 », comme le dit Myriam Boucharenc dans son essai dédié aux écrivains-reporters. Déjà à partir des titres employés dans le domaine des textes descriptifs, on peut remarquer la présence constante de termes qui appartiennent à l’aire sémantique de la visualité : il y a de nombreuses Choses vues (y compris le titre d’une recueil d’écrits de Victor Hugo), des Images cachées (Francis Carco, 1928), ou des « panoramas », comme le Panorama de la pègre de Blaise Cendrars (1935).

18Selon Cendrars (qui eut un trajet inverse par rapport à d’autres auteurs, qui passaient du journalisme à l’écriture fictionnelle, vu qu’il se passionna pour le journalisme quand il était déjà bien connu en tant que poète et romancier), le talent du journaliste est d’être capable de capturer « les vues de l’esprit ». Dans ses notes de voyage à Hollywood en 1936, Cendrars écrit que le vrai journaliste doit être en mesure de « voir » ; cela ne signifie pas qu’il devrait être objectif, ce dont, au contraire, l’auteur se méfie :

Je ne prends jamais de notes en voyage. Je ne veux pas m’encombrer l’esprit d’une multitude de détails contradictoires. Je ne veux pouvoir rapporter que l’essentiel des choses vues. Un reporter n’est pas un simple chasseur d’images, il doit savoir capter les vues de l’esprit. Si son œil doit être aussi rapide que l’objectif du photographe, son rôle n’est pas d’enregistrer passivement les choses. L’esprit de l’auteur doit réagir avec agilité [sic], son tempérament d’écrivain, son cœur d’homme. […] Il ne s’agit pas d’être objectif. Il faut prendre parti. En n’y mettant pas du sien, un journaliste n’arrivera jamais à rendre cette vie actuelle, qui elle aussi est une vue de l’esprit11.

19Henry Béraud, dont les articles qu’il envoyait des grandes villes européennes étaient publiés dans des recueils titrés Ce que j’ai vu, voyagea en Albanie en 1925. Il parcourut le pays de Durrës à Tirana, et dans quelques jours il fut en mesure de capter l’esprit des lieux, venant en contact direct avec les gens et leurs coutumes. À la fin de son récit, il compose son « tableau » avec cette énumération d’images :

Campagnes mortes, villes primitives, ports sans marins, hameaux de pasteurs, élite subtile et savante, sous-sols fortunés, pays sans routes, superstitions étranges, costumes médiévaux, gendarmes en haillons, hospitalité et vendetta, fierté chevaleresque et misère des fins de guerre –voilà, en 1925, le tableau de l’Albanie12.

20Dans sa préface au Flâneur salarié, Béraud s’exprima en ces termes à propos de l’avenir du reportage :

Rien, après tout, ne nous empêche de croire que le reportage sera la littérature de demain […]. Qui nous dit que des hommes accoutumés par le cinéma à la vision directe de l’univers, par la T.S.F.13, à la perception des échos les plus lointains de la réalité, ne préféreront pas à toute autre littérature la chose vue, le récit véridique, tout chaud, prolongeant dans les phrases les palpitations mêmes de la vie, et laissant aux mots ce mouvement mystérieux et inimitable, acquis dans la hâte heureuse de l’écrivain en proie au spectacle14?

5. Le visuel des reportages poétiques : les calligrammes de F. T. Marinetti

21Même la poésie eut ses reporters. En 1911, pendant la guerre italo-turque qui fut combattue entre l’Empire Ottoman et le Royaume d’Italie, le poète italien Filippo Tommaso Marinetti, fondateur du mouvement du Futurisme, se rendit en Lybie comme correspondant du quotidien français L’Intransigeant. Ses reportages en vers furent publiés dans un volume intitulé La Bataille de Tripoli. L’année suivante, Marinetti était correspondant pour la Turquie du quotidien Gil Blas pendant la Ière Guerre Balkanique. Il écrivit des « récits poétiques » (publiés sous le titre Zang Tumb Tumb15), où la disposition graphique de mots, qui est l’un de moyens expressifs du futurisme, est partie intégrante de la représentation verbale. On a ici le calligramme, le texte qui évoque son propre objet sous forme de dessin. Curieusement, ces textes qui seraient vraisemblablement parmi les premiers reportages en vers, ont aussi la particularité d’être axés sur la visualité.

6. Reportage en bande dessinée : Tintin en Syldavie

22Au début du XXe siècle, le personnage du journaliste-reporter devient protagoniste d’œuvres fictionnelles. Il suffira de se rappeler Bel Ami, héros du roman de Maupassant (1885), ou de Rouletabille, jeune reporter détective créé par Gaston Leroux (1907). En 1929, lors de la publication du premier épisode des Aventures de Tintin dans le supplément pour les enfants du journal belge Le Vingtième Siècle, on assiste à la naissance du reporter en bande dessinée. Dix ans après, le jeune reporter né de la plume d’Hergé qui en compagnie de son fidèle assistant Milou parcourait le monde entier pour le compte du Petit-vingtième, jouait l’une de ses enquêtes journalistiques dans le petit pays balkanique de la Syldavie, un Pays imaginaire inspiré par l’Albanie16.

7. L’Albanie dans les premières décennies du XXe siècle

23Avant d’examiner les caractéristiques des textes qui sont au cœur de cette contribution, voyons quelle était la situation de l’Albanie dans la période intéressée par notre observation. Suite à la dissolution de l’Empire ottoman, le 28 novembre 1912 l’Albanie déclara son indépendance. Ce petit État à majorité musulmane qui venait de naître sur les rives de l’Adriatique orientale retint l’attention de la presse internationale, qui commença à y dédier un peu plus d’espace dans ses pages, alors que jusqu’à ce moment là il avait resté aux marges de la connaissance européenne. Entre 1912 et 1913, le pays fut secoué par les guerres balkaniques, décrites par de nombreux auteurs et voyageurs.

8. Représentations en images d’Épinal : l’Albanie du Petit Journal

24En 1911, l’Albanie fut pour la première fois à la une du Petit Journal, l’un des plus diffusés parmi les quotidiens français d’avant-guerre. Paru de 1863 à 1944, avec son petit format, le prix à bon marché et des contenus populaires, tels que les faits divers ou les feuilletons, il attira de nombreux lecteurs. Parmi ses collaborateurs les plus nommés il y eut Albert Londres, qui voyagea dans les Balkans entre 1915 et 1917.

25Les articles en matière d’Albanie publiés dans le Petit Journal ont retenu notre attention pour une raison particulière : ici, on a une sorte de renversement du procès d’écriture, vu que dans ce cas sont les articles qui ont été créés pour « illustrer » les images, et non l’inverse, comme c’était l’habitude : dans son supplément du dimanche, Le Petit Journal publia en couverture des gravures qui étaient expliquées par des textes de légende, et offraient également l’occasion d’écrire des articles sur le sujet. L’auteur des textes relatifs aux images de couverture était presque toujours Ernest Laut. Journaliste et écrivain, Laut commenta pendant 30 ans les planches en couleur du Petit Journal. Selon toute probabilité, il n’avait jamais visité les lieux dont il décrivait les illustrations. Donc, il était, pour ainsi dire, un reporter « de fauteuil » et non « de terrain » : ses textes sont un cas à nos avis intéressant d’article qui naît « après » – ou mieux, « au service de » – l’image.

26Les articles que nous allons traiter furent publiés en 1911 et 1914. Le premier nous montre en couverture une planche dessinée représentant Yanitza, définie comme la Jeanne d’Arc albanaise, au sujet de laquelle venait d’être publié un article dans le New York Times. C’était l’histoire d’une jeune fille qui avait pris la tête de la révolte monténégrine après le décès de son père. L’épisode inspira aussi une cantate du compositeur français Paul Paray, qui avec cette œuvre17 remporta en 1911 le Prix de Rome.

27Dans le journal new-yorkais, selon le processus de la reductio ad notum18 le prénom « exotique » de la jeune fille est assimilé à celui de Jeanne, la Pucelle d’Orléans (dans le texte anglais, « the Maid of Orleans ») :

Une jeune fille, dont le prénom correspond à celui de la Pucelle d’Orléans, est maintenant chantée dans les chansons des bardes monténégrines dans les auberges et les cafés de Podgogritsa [sic]. Quand à la bataille de Vranye la semaine dernière son père, le commandeur héréditaire de son clan, fut tombée, elle se hâta de le remplacer, et mena les Martinais à la victoire contre les Turcs. En plus du côté romantique de l’affaire, car Yanitza Martinay est très belle, cette bataille est importante parce qu’elle montre que sur la frontière les Monténégrins s’étaient joints aux Albanais19.

28Une semaine après, le Petit Journal illustré dédia sa planche de couverture à « La Jeanne d’Arc albanaise ».

LE PJ, YANITZA 1911

YANITZA, LA JEANNE D’ARC ALBANAISE

29Comme d’habitude, l’illustration était suivie par un court texte de légende qui en expliquait le sujet représenté, et par un article sur le même argument. Après juste quelques lignes dédiées à l’événement, le journaliste offre aux lecteurs une description vivante de la jeune capitaine du peuple :

Yanitza est grande et forte. Sa beauté séduit les insurgés. Armée d’un vieux fusil incrusté d’argent et d’ivoire, elle dirige les opérations avec une audace rare. Et, ces jours derniers, on la vit, à la tête du parti d’insurgés qu’elle commande, attaquer les redoutes ottomanes et mettre en fuite les troupes du sultan20.

30On a ici un exemple de l’une des plus classiques des figures de la visualisation, c’est-à-dire l’hypotypose, la description

animée, vive et frappante, qui met, pour ainsi dire, la chose sous les yeux. « L’hypotypose est un mot grec qui signifie image, tableau ; c’est lorsque, dans les descriptions, on peint les faits dont on parle comme si ce qu’on dit était actuellement devant les yeux », Dumarsais, Tropes, II, 921.

31Yanitza, dont peu ou rien n’est dit dans le texte, est cependant décrite précisément comme si l’on l’avait « devant les yeux ». Par contre, pas un mot de plus pour dire de l’Albanie et des conflits qui à l’époque mettaient à feu et à sang le pays.

32En revanche, les exploits de Yanitza offrent à Ernest Laut l’occasion de faire dans son article inspiré par l’héroïne albanaise un riche résumé des femmes guerrières de tous temps, à partir des Amazones grecques, en passant par les Walkyries scandinaves jusqu’aux femmes Boers du Transvaal qui avaient lutté pour l’indépendance sud-africaine. Bref, une sorte de revue comparative de l’audace féminine.

33Il semblerait donc que l’image de couverture (Yanitza) ait à son tour déclenché la création d’une galerie d’« images figées » (les femmes guerrières de la mythologie), à l’appui de l’actualité. Une actualité qui, d’ailleurs, n’est pas abordée de manière concrète, mais reste en arrière-plan, au profit des figures de description.

34Mais qui était vraiment Yanitza ? Le fait est que, tout en en traçant des portraits physiques et moraux bien colorés, ni le New York Times ni le Petit Journal nous donnent des indications précises à propos de l’identité historique de Yanitza. L’important était de « peindre » le personnage, en mots et en dessins, en s’inspirant du contexte de sa culture de référence. Comme nous le verrons, c’est l’un des cas dans lesquels, à défaut de nouvelles de première main, l’image typée prime sur la réalité historique.

35De fait, l’épisode de Yanitza semblerait être un exemple de mythe populaire, créé sur la base des données réelles : selon certaines sources, elle serait l’héroïne d’une légende médiévale (ce qui expliquerait le fait d’être devenue une figure populaire dans les chants des bardes monténégrines, comme le dit l’article du New York Times). Selon nos connaissances actuelles, le personnage historique qui pourrait avoir donné lieu à la création du personnage de Yanitza serait Jeanne Merkus, l’héroïne néerlandaise mentionnée dans Black Lamb and Grey Falcon22 de Rebecca West, l’un des livres de voyage en Yougoslavie les plus « encyclopédiques » (1941).

9. Des mots qui font image : « Types albanais »

36Trois ans après, le Petit Journal illustré dédia à nouveau une page de couverture à l’Albanie. Cette fois-là, on y consacra plus d’attention, vu qu’il s’agissait d’un nouvel État qui venait d’obtenir son indépendance.

Image 2

« Les sujets du nouveau royaume »

TYPES ALBANAIS

37En réalité, le fait le plus important, à savoir la création d’un nouvel État indépendant au cœur de l’Europe, est sommairement traité en quelques lignes d’ouverture, tandis que dans tout le reste de la page l’auteur laisse la parole aux écrivains qui avaient visité le pays au moins un demi-siècle avant. Mieux encore, pour donner plus de force à la véracité de ce qu’il est sur le point d’écrire, Laut invoque l’auctoritas des sources littéraires :

L’Albanie, de l’avis de tous les voyageurs qui s’y sont aventurés, est restée à plus près pareille à ce qu’elle était à l’époque de ce farouche Ali de Tépélen, dont nous contons plus loin la curieuse histoire23.

38Sur le plan des faits de style, tous les deux articles qui sont consacrés à ce nouveau royaume présentent une récurrence nette de termes du langage iconique, tel que « portrait », « figure », « types ». Par contre, au niveau diégétique, la « visualisation » est atteinte à travers des descriptions « emboîtées », en tant que puisées dans des textes qui étaient désormais devenus des livres classiques du voyage dans les Balkans, comme ce morceau tiré de l’œuvre de Guillaume Lejean, qui avait visité le Pays dans les années 1950 du XIXe siècle :

Quant au type de l’Albanais montagnard, il le décrit ainsi : « Grand, élancé, avec ce maigre et fier profil bien connu de ceux qui ont voyagé dans la Grèce, où le sang albanais s’est tant mêlé à celui des Hellènes. Le costume traditionnel, veste rouge et fustanelle, est une tenue d’apparat, remplacé habituellement par le long surtout en laine, avec le fusil annelé passé en bandoulière. Le fusil fait en quelque sorte partie intégrante de l’Albanais indépendant.… Quant aux femmes, si le travail et une maternité hâtive les brisent de bonne heure, la vie toute intérieure et un bien-être relatif conservent aux jeunes filles une beauté qui s’épanouit avec tout l’éclat d’un sang pur et vigoureux ». Telle est cette race énergique et forte, dont les destins seront peut-être brillants dans l’avenir, si la civilisation bienfaisante vient modifier heureusement son caractère et ses mœurs24.

39Dans ce que nous venons de lire émergent de façon saisissante les figures de la prosopographie (« description de l’apparence extérieure d’un personnage25 »), et de l’éthopée, « qui a pour objet la peinture des mœurs et du caractère d’un personnage26».

40Une fois épuisé le commentaire à la planche de couverture, l’article principal, inclus dans la section intitulée Variété, s’occupe du personnage albanais qui avait frappé l’imagination européenne au début du XIXe siècle, c’est-à-dire le pacha Ali de Tepelenë. Après nous avoir assuré que ce coin des Balkans

est le dernier refuge de la sauvagerie dans notre Europe civilisée ; et toutes les traditions des races primitives y survivent presque intactes en plein XXe siècle,

41le journaliste se consacre au découpage littéraire autour du pacha Ali,

un personnage d’un romantisme violent, dont les grands qu’inspira la guerre de l’Indépendance grecque nous ont dit les méfaits. Byron, puis Victor Hugo, dans ses Orientales, ont évoqué cette figure barbare. Alexandre Dumas mêla curieusement Ali-pacha à la trame de son fameux roman : Le Comte de Monte-Cristo27.

42L’article se poursuit avec le « portrait » (ci entendu dans son sens spécifique de figure du discours rhétorique) qu’en avait fait le voyageur, médecin et archéologue François Pouqueville.

Pouqueville, accompagné de Julien Bessières, le neveu du maréchal, arriva sur la côte albanaise le 1er février 1805. Il nous a laissé dans son Voyage de la Grèce, un récit pittoresque de sa réception à la cour d’Ali de Tépelen et un portrait curieux du farouche pacha. « Il approchait, dit-il, de la soixantième année ; sa taille, qui n’était guère que de cinq pieds trois pouces, était déformée par un embonpoint excessif. Ses traits, chargés de rides, n’étaient cependant pas entièrement effacés ; le jeu mobile de sa physionomie, l’éclat de ses petits yeux bleus lui donnaient le masque terrible de la ruse jointe à la férocité que rendaient plus singulières encore ses énormes moustaches toujours barbouillées de tabac à priser28 ».

43Voyons l’accumulatio de mots en cascade pour décrire l’ambiance de la cour du Pacha :

Un nombreux domestique encombrait les cours et les corridors : cafetiers, donneurs de pipes, limonadiers ou scherbedgis, confiseurs, baigneurs, tailleurs, barbiers, huissiers ou tchaoucs, ichoglans ou pages, mignons, bouffons, musiciens, joueurs de marionnettes, porteurs de Karagheus et de lanternes magiques, lutteurs ou pehlevans, joueurs de gobelets, danseurs, imans, bourreau. Depuis le matin jusqu’au soir tout le monde était en mouvement29.

44Quelques lignes plus loin, ce véritable tableau vivant est accru par une ekphrasis soigneusement découpée de l’œuvre de l’historien et diplomate Auguste Boppe :

M. Boppe ajoute à ce portrait ces détails : « Il avait les mains très belles ; dans ses doigts, chargés de bagues précieuses, il maniait quelque tabatière enrichie de brillants, venant de France ou d’Angleterre, ou roulait son tesbih, chapelet de dix-neuf grosses perles orientales extorqué en 1804 à un marchand de Janina30».

10. Images et imaginations : les planches dessinées

45Dans les articles du Petit Journal que nous venons de présenter, soit les planches dessinées, soit les textes nous offrent quelques-uns des marqueurs les plus diffusés de l’image de l’Albanie et des Albanais, tel que l’exotisme des vêtements, la hardiesse ainsi que la sauvagerie, le paysage rocheux, la présence d’armes partout.

46Sur le plan strictement référentiel, c’est au moins bizarre que pour présenter un pays encore inconnu à la quasi-totalité des lecteurs on ne fasse qu’en rapporter des témoignages littéraires et des récits de voyages qui remontent à un siècle avant. Par contre, en ce qui concerne les planches dessinées, il est concevable que l’« image » offerte par les illustrations est capable d’exercer une action communicative intense et au moins égale, sinon supérieure, à celle qui est exercée par le texte écrit, ne serait-ce que parce que l’image est vue par chaque lecteur, même indépendamment de son attention « active », alors que le texte écrit peut être lu partiellement, ou même pas lu du tout. Sur la base de cette prémisse, il s’ensuit que la représentation figurative peut être un outil très puissant pour la diffusion des représentations conceptuelles, c’est-à-dire des images dans le sens imagologique du terme.

11. Le reportage du jamais vu. La singulière réalité de frères Tharaud

47Un événement qui inspira de reportages et de livres dans plusieurs langues fut le siège, en 1912, de la ville albanaise de Scutari, attaquée par les Serbes et les Monténégrins. Parmi les écrivains-reporters qui en donnèrent des nouvelles il y eut les frères Jérôme et Jean Tharaud.

48Celle des Tharaud est une histoire singulière à plusieurs égards. Jérôme et Jean (prénoms de plume de Ernest et Charles, qui leur furent donnés par Charles Péguy) écrivirent depuis plus d’un demi-siècle des travaux à quatre mains en utilisant toujours le « je » singulier. Jean fut collaborateur du Figaro. Ce qui rendait encore plus singuliers leurs reportages c’était le fait qu’ils les écrivaient toujours après coup, sans aucune hâte, au retour de leurs voyages31. Un exemple frappant de leur façon décontractée de travailler nous est donné par La bataille de Scutari, où ils – les frères – ou mieux « il », au singulier, comme désormais nous appellerons le narrateur qui résume la voix de deux auteurs dans toutes leurs œuvres – sont capables de nous raconter un combat auquel ils n’ont jamais assisté32!

49Mais d’abord lisons la raison qui les a amenés là-bas :

Pourquoi vais-je là-bas ? Quel intérêt m’entraîne ? Un seul, mon plaisir. Voir33 les gens qui se battent, des hommes qui croient à quelque chose et qui donnent leur vie pour cela, c’en est assez pour justifier, si tant est que j’y songe, l’allègre mouvement qui m’emporte, et qui dans cette nuit d’automne sur la mer Adriatique semble se confondre pour moi avec l’agitation du flot et le rythme du navire34.

50Un plaisir qu’il semble regretter plus tard, ou au moins en avoir un sursaut de conscience.

Alors, pour la première fois, se présente à mon esprit cette pensée si simple et qui bientôt ne me quittera plus : « Que fais-je ici à regardersi complaisamment la douleur35? »

51En sorte de visualisation enchâssée, voici des références empruntées à la peinture :

Devant ces hommes éreintés et leurs accoutrements étranges, ce n’est plus à Delacroix que je songe, mais à Constantin Guys qui a fixé en traits inoubliables, dans ses dessins de la guerre de Crimée, l’accent barbare et désolé de ces troupes d’Orient36.

52Pour représenter les misères de la guerre, quel parangon meilleur que les gravures de Jacques Callot ?

Toute une turquerie lamentable défile sous mes yeux. Autant d’images de Callot, avec d’autres haillons : tuniques sans manches, gilets de couleurs vives qui serrent la taille et soutiennent les seins, chemises aux larges manches pendantes, tabliers ouverts sur les hanches qui laissent voir les fortes jambes nues, larges ceintures de cuir ornées de plaques de métal, voiles blancs, grands manteaux de laine, pantalons à la turque, pauvres élégances montagnardes, trempées d’eau, souillées de boue37 .

53Dans son imaginaire, la bataille de Scutari devint l’incarnation de la guerre elle-même, de l’Antiquité à l’avenir :

Ce qui passe ici devant moi, c’est la guerre éternelle, la guerre de l’ancienne Égypte, d’Assur et de Ninive, la campagne des Gaules, les ravages des Huns, les hordes de la guerre de Trente Ans, Turenne dans le Palatinat, les Cosaques dans l’Ile-de-France, les Prussiens sur la Loire, la guerre que rien ne peut changer, celle d’hier et celle de demain38.

54Mais voici le coup de théâtre qui nous laisse étonnés : cette guerre-ci, il ne l’a pas vue de ses propres yeux !

Il faut bien me l’avouer, je ne vois la guerre que de loin, et les à-côtés de la guerre bien plus que la guerre même. De place en place, elle m’a rejeté jusqu’ici comme une épave, un être inutile et encombrant. Mais quoi voir de plus près la bataille ? Assister du haut d’un rocher, une lorgnette à la main, à quelque engagement ? Regarder de sang-froid, bien à l’abri des balles, des hommes tomber dans la mêlée, et ne pas prendre un fusil, ne pas courir avec eux, ce serait plus affreux encore ! A quoi bon continuer cette errance inutile, cette poursuite vaine, qui ne peut qu’être déprimante quand on n’est pas soi-même engagé dans l’action ? A quoi bon disperser de-ci de-là une pitié vague et sans objet ? J’éprouve le désir de partir, de reprendre la mer, de fuir ces visionsd’hôpital39.

55Enfin, il n’a pas pu la voir :

Là-bas, dans ces ravins, la bataille se poursuit sans trêve, acharnée, meurtrière. Désormais, j’apprendrai par un simple journal ces choses que, depuis des semaines, je poursuivais sur les sentiers et dans les gîtes de hasard. Adieu, Montagne Noire ! Adieu plaine boueuse, rochers couverts de neige, et toi Scutari d’Albanie que je n’ai pas pu voir ! […] Et maintenant je m’en vais de l’autre côté du Balkan, sur les rives de l’Égée, voir les combattants de l’Athos, les combattants mystiques et leurs prières qui montent au-dessus des forêts40.

56En bref, l’auteur a créé un scénario, a dessiné des personnages, les a peints en couleurs vives et les a dûment habillés à la manière orientale, puis il s’est misà tourner les bobines de son théâtre optique, et la bataille a commencé devant les spectateurs. À la fin de cette véritable pantomime lumineuse, il a arrêté la projection et nous a montré l’écran sur lequel étaient projetées les images. C’est un effet d’illusion d’optique semblable à celle créée à propos de Yanitza et des Albanais du Petit Journal illustré, décrits uniquement sur la base de témoignages littéraires. Dans les deux cas, les outils de la représentation visuelle ont fourni une riche palette de couleurs pour peindre des scénarios imaginaires.

12. Le réel déguisé : des faux scénarios dans la presse populaire

57Bien entendu, la tentation de décrire des lieux où l’auteur n’avait jamais mis les pieds n’affectait pas seulement les reporters littéraires. Même l’image photographique connut l’art de fausses représentations. Tout comme l’art de la photographie commençait à être utilisé pour fournir de « preuves matérielles » à l’appui des récits et des reportages, il arrivait que, au moins en ce qui concerne l’Albanie, on ne tarda pas à utiliser des faux photographiques pour représenter de lieux que le reporter n’avait jamais vus.

58Le fait est rapporté par Edith Durham, écrivain-journaliste qui voyagea pendant vingt ans en Albanie, à laquelle elle dédia de nombreux récits de voyage et des œuvres ethnographiques. En étant toujours témoin direct des faits qu’elle rapportait, Edith Durham avait souvent eu l’occasion d’être en colère pour l’habitude, apparemment plutôt diffusée parmi ses collègues, d’écrire des reportages établis sur la base de nouvelles de deuxième main.

59Comme elle-même nous le dit, la plupart des journalistes envoyés en Albanie faisaient leur apparition là où se déroulaient les événements dont ils auraient dû s’occuper, et ils disparaissaient immédiatement après :

Les correspondants arrivaient en essaims. La plupart d’entre eux se précipitaient à venir me voir pour obtenir des informations, puis s’enfuyaient à nouveau ; seuls les Italiens étaient permanents. Pour ma part, j’étais correspondante de deux journaux41.

60Imaginons donc l’indignation de Durham lorsqu’elle découvrit que certains journaux populaires britanniques – les « halfpenny papers », l’équivalent des journaux « à un sou » français – avaient publié des photos d’un fort espagnol, en prétendant que c’était un endroit monténégrin.

Un certain journal de la presse populaire, il faut le noter, a publié une photo d’un grand « château en Espagne », avec des tours et des créneaux, d’un style tout à fait impossible dans la péninsule des Balkans, et l’a appelé Dechich42. Ce n’était pas du tout la seule photographie bidon. La manie idiote de faire une chose rapidement, sans le délai nécessaire pour enquêter sur la vérité, fait d’une grande partie des soi-disant « informations » de pures etsimples ordures pour duper les lecteurs. « Qu’est-ce que c’est ? », me demanda un prêtre albanais. « On l’appelle Dechich dans ce journal anglais ! », je lui répondis. Il le fixa, en ajoutant d’un air dégoûté : « On dit que les Anglais sont fiables. Il semble que les journaux anglais soient aussi mauvais que tous les autres. ». Et il le jeta par terre, dégoûté*. * Depuis la rédaction de ce texte, j’ai fouillé dans des anciens numéros de journaux illustrés, et je suis dégoûtée par la négligence grave qui a permis que des photos même de personnes du Caucase aient été vendues au grand public en tant que sujets des Balkans43.

13. La vision panoptique de Joseph Roth

61Le dernier cas que nous traitons ici vise à dégager des techniques de représentation visuelle dans les reportages albanais de Joseph Roth. Une étude de Sigrid Julia Newman, spécifiquement dédiée à la représentation visuelle dans les œuvres de Roth, parle de la technique descriptive du « cri optique », à savoir une sorte d’appel à l’attention obtenu à travers des images et des expressions inhabituelles, fortement discordantes et même troublantes par rapport aux attentes du narrataire. Cela se traduirait par une communication particulièrement efficace, où l’élément visuel aurait ce que selon Newman serait une fonction « heuristique ».

Dans Wahlkampf à Berlin, il montre comment le langage peut avoir un pouvoir d’émouvoir à travers la création d’images visuelles saisissantes – à travers la création d’un « optische [n] Schrei » ou « cri optique » […] Bien que Roth utilise le terme « optischer Schrei » dans Wahlkampf à Berlin en se référant spécifiquement à des caractères typographiques visuellement frappants, utilisés dans la publicité par des entreprises commerciales, cela est une preuve non seulement de sa compréhension de la puissance communicative du visuel dans le contexte de la modernité urbaine, mais indique aussi sa conscience de l’impact du visuel sur la réception du lecteur. Par conséquent, il semble opportun de transférer cette notion de « optischer Schrei » à la puissance communicative du visuel dans le contexte littéraire du Visuel Heuristique de Roth44.

62En 1926, Roth écrivait :

Je dessine45 le visage de notre époque. C’est la tâche d’un grand journal. Je suis journaliste, pas échotier, je suis écrivain, pas éditorialiste46.

63L’année suivante, Roth alla en Albanie pour le compte du Frankfurter Allgemeine Zeitung. Ses reportages furent rassemblés sous le titre de Panoptikum. Gestalten und Kulissen47. En allemand, le mot « Panoptikum » indique soit le cabinet de figures de cire, soit la « Wunderkammer », c’est-à-dire le cabinet de curiosité où on exposait des objets rares et inhabituels. Dans tous cas, c’est l’un de lieux privilégiés de l’observation visuelle, ainsi que l’un des « espaces » narratifs favoris dans l’œuvre de Joseph Roth.

64Dès son arrivée à Tirana, il rend explicite sa démarche « relativiste » :

Au reste, il est impossible de juger de la situation d’un État oriental, dont l’histoire est faite d’oppression, la morale de corruption et dont la culture est un mélange de naïveté bucolique, de romantisme sauvage et d’intrigues imposées par l’étranger, avec les critères moraux d’un Européen de l’Ouest. Si l’on était soudain plongé dans le Moyen Âge, on ne pourrait pas raisonnablement s’indigner de la chasse aux sorcières48.

65Loin d’être des portraits typés, ses descriptions de la vie albanaise concentrent dans quelques lignes des ambiances et des modes de vie. Alors que la plupart des récits de voyage en Albanie puisent abondamment au répertoire exotique, il s’en sert pour le mettre en décalage :

Ces femmes voilées, ces centaines de chiens sans maîtres et que le vent tient en laisse, ces fez sur des cheveux gras, ces turbans sur des visages barbus, ces figures de vendetta pour cartes postales avec le revolver à barillet à la place du ventre, le fusil à la place du parapluie – tous ces philistins exotiques qui gagnent de l’argent, font des affaires, se laissent soudoyer dans l’exercice de leurs fonctions, sont en surnombre et hors du temps. Rien de plus ennuyeux que ce soi-disant folklore qu’on dissèque depuis trente ans dans les salles mortuaires et les séminaires ethnologiques et que l’on continue, malgré tout, à exhiber comme s’il était encore vivant49.

66L’un des thèmes plus traditionnels en matière d’Albanie, à savoir la vengeance du sang, devient l’objet de combinaisons inhabituelles, inattendues. C’est justement l’effet de la figure de style de l’aprosdoketon (littéralement « ce que l’on ne s’attend pas »), qui apparaît dans les lignes suivantes :

Vu de Berlin, le phénomène de la vendetta est des plus intéressants. Mais sur sa terre d’origine, il est concurrencé par la saleté, les punaises, les nuits obscures, les lampes à pétrole brisées, les aliments gras, les accès de malaria, le thé d’algues trouble, on ne lui accorde plus d’importance, il ne provoque plus aucun étonnement50.

67Chez Roth, la description devient un outil de recherche de ce qui se cache sous les apparences.L’objet de la vision devient le corrélat objectif d’un état moral, d’un état d’esprit ou de l’ethos de tout un peuple. Loin d’être nié, l’exotisme est ainsi réutilisé avec des effets tout à faits neufs, comme dans le cas suivant, où les « sujets à sensation » habituellement offerts par Tirana sont démantelées et réassemblés à travers le dispositif stylistique de la callida iunctura,l’accouplement ingénieux determesqui apparemment ne seraient pas en rapport logique entre eux.

Tirana est une mine de sujetsà sensation, les rues sont pavées de complications politiques, le pays dans son ensemble est une pomme de discorde51.

68C’est un processus de démantèlement des poncifs, qui bien sur affecte également les descriptions de paysages :

La mer est calme, les nuages sont accrochés au ciel, fixés par des clous comme le sont des tableaux au mur ; sur l’eau, une embarcation fantomatique vient droit vers notre navire, tirée par un cordage invisible, sans aucun ballottement, pour me chercher. […] À l’endroit où commence la terre ferme se dresse une petite maisonnette de bois avec une cheminée idyllique d’où s’élève une fumée rectiligne, comme tracée le long d’une règle. Il est sept heures du matin, des montagnes boisées, d’autres vertes, d’autres dégarnies, d’autres encore d’un bleu d’acier encadrent l’horizon, des alouettes grisollent cachées dans l’éclat bleu du ciel, dans la maisonnette se trouve un livre d’or comme on en voit souvent dans des lieux touristiques, un homme vêtu d’un uniforme noir, qui se roule une cigarette et qui incarne à lui seul la police des frontières albanaise est assis face à ce livre52.

69Ceux que nous venons de voir ne sont que quelques-uns des nombreux exemples d’utilisation des dispositifs visuels dans l’écriture de Roth. Avant de conclure, voyons ces « personnifications », soit de l’Albanie, « belle et malheureuse », soit de ses typiques maisons-tours « mystérieux et tragiques », qui pendant des siècles ont été – et parfois le sont toujours – une véritable prison à vie pour ces qui sont touchées par une vendetta de sang.

L’Albanie est belle, malheureuse, et ennuyeuse en dépit de son actualité. Les montagnes sont parfois d’une substance indéfinissable, translucide, on pourrait les prendre pour des blocs de verre badigeonnés de couleur verte. […] Elles sont devenues plus massives, plus impitoyables aussi, le pays tout entier ressemble à une cour close de toutes parts, ceinte de murs de prison naturels, la liberté est un concept relatif, on perçoit clairement l’absence de chemins de fer susceptibles de nous emporter vers le siècle qui nous est terre d’origine, on perçoit que les bateaux qui se trouvent à deux, quatre, douze heures d’ici ne font escale au large d’un port albanais qu’une fois par semaine, et l’exotisme pèse deux fois plus cruellement en ce qu’il est un tourment librement choisi. […] J’enregistre tout au plus des images53: des journées bleues et paisibles empreintes d’une sublime simplicité, gorgées d’un bon soleil qui cuit tout, y compris l’ombre, et que l’on ressent jusque dans la fraîcheur du moindre creux rocheux, quelques oiseaux dans les airs et bien entendu aussi dans les branches des arbres (ils sont rares ici, car on n’est pas avare de coups de fusil), des forêts d’une profondeur, d’une immensité, d’un isolement insondables. Quelques maisons sans fenêtre, complètement barricadées, cubes de pierre sourds et aveugles, d’apparence grossière, mystérieux et tragiques, lourds de destins et porteurs d’une énigmatique malédiction54.

Conclusions

70Des florilèges d’images d’Épinal offerts par le Petit Journal jusqu’au « cri optique » de Joseph Roth, s’écoulent des générations, des âges historico-culturels et des sensibilités bien différents entre eux. Par conséquent, il ne serait pas judicieux d’appliquer à des textes fleurisde figure de style, utilisées de manière très conventionnelle, les mêmes grilles de lecture qui pourraient être appliquées au reportages d’écrivains tel que Henry Béraud, ou bien Joseph Roth, dont la sensibilité esthétique s’affina dans le climat culturel de la Nouvelle Objectivité.

71D’ailleurs, à la fin de cette étude dédiée aux figures de la visualisation dans les reportages de l’Albanie, il semblerait également raisonnable de supposer que la qualité de termes et expressions relatifs à la sphère du visuel peut fournir des informations importantes à propos de l’« œil » de l’observateur par rapport à l’objet de son observation.

72En conclusion, si en 1845 Francis Wey pouvait s’exprimer dans des tons absolus, promouvant le descriptif « au rang de figure universelle55», dès nos jours, à la lumière des développements actuels dans la méthodologie de la recherche littéraire, on peut soutenir qu’un découpage raisonné des outils de la visualisation dans tous ses états, réalisé dans le cadre des espaces géocritiques préalablement organisés, pourrait apporter des contributions utiles à la compréhension du processus de construction de l’imaginaire.

Notes de bas de page numériques

1  Blaise Cendrars, Hollywood, la Mecque du cinéma. Suivi de l’ABC du cinéma, Paris, Grasset, 1936, p. 68.

2  Irmgard M. Wirtz, Joseph Roths Fiktionen des Faktischen, Berlin, Erich Schmidt Verlag, 1997, p. 16.

3  Michel Collomb, cité in : Myriam Boucharenc, L’Écrivain-reporter au cœur des années trente, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2004, p. 72.

4  Paul Aron, « Postures journalistiques des années 1930, ou du bon usage de la ‘‘ bobine ’’ en littérature », COnTEXTES [En ligne], 8. 2011, mis en ligne le 28 décembre 2010. http://contextes.revues.org/4710, § 13. Consulté le 02.09.2012.

5  Planche hors-texte in Myriam Boucharenc, L’Écrivain-reporter au cœur des années trente, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2004.

6  Marie-Ève Thérenty, « Les " vagabonds du télégraphe " : représentations et poétiques du grand reportage avant 1914 », Sociétés & Représentations 1/2006 (n° 21), p. 101-115, [En ligne]. http://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2006-1-page-101.htm (Consulté le 12 août 2012).

7  Daniel-Henri Pageaux, La littérature générale et comparée, Paris, Armand Colin, 1994, p. 34.

8  Bertrand Westphal, « Et l’Albanie se réveilla au petit matin du reportage », in Myriam Boucharenc & Joëlle Deluche (dir.), Littérature et Reportage, Limoges, PULIM, 200, pp. 237-250.

9  Pierre Ouellet, Poétique du regard. Littérature, Perception, Identité, Québec/Limoges, Septentrion/PULIM, 2000, p. 11.

10  Myriam Boucharenc, L’Écrivain-reporter au cœur des années trente, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2004, p. 65.

11  Blaise Cendrars, Hollywood, la Mecque du cinéma. Suivi de l’ABC du cinéma, Paris, Grasset, 1936, pp. 67-68.

12  Henri Béraud, Le Flâneur salarié, Paris, Les Éditions de France, 1927, p. 190.

13  Télégraphie sans fil (note hors-texte).

14  Henri Béraud, Le flâneur salarié, Paris, Les Éditions de France, 1927, pp. XV-XVI. C’est nous qui soulignons.

15  Filippo Tommaso Marinetti, « Turco Pallone Frenato », in : Zang Tumb Tumb, Milano, Edizioni Futuriste di « Poesia », 1914.

16  Ce fut Hergé même qui dans une lettre déclara : « La Syldavie, c’est l’Albanie ! » Lettre de Hergé à Charles Lesne, 12 juin 1939, in Pierre Assouline, Hergé, Paris, Gallimard, 1998.

17  Paul Paray, Yanitza, scène lyrique; d’après un poème de George Spitzmuller, 1911. 

18  Processus rhétorique grâce auquel on « lit » des données qui nous sont étrangères – voire étranges – par le biais de concepts qui nous sont déjà familiers.

19   « Albanian Joan D’Arc », New York Times, 21.5.1911 : « A young girl, whose first name corresponds to that of the given name of the Maid of Orleans, is now being sung in the songs of the Montenegrin bards in the inns and coffee houses of Podgogritsa [sic]. When at the battle of Vranye last week her father, the hereditary commander of his clan, fell, she immediately stepped to his place and led the Martinais to victory against the Turks. Aside from the romantic phase of the affair, for Yanitza Martinay is very beautiful, the battle is important as showing that the Montenegrins on the frontier had joined with the Albanians ». (Trad. pers.).

20  Ernest Laut, « Yanitza, la Jeanne d’Arc albanaise », Le Petit Journal. Supplément Illustré, 28.5.1911, (Numéro 1071), p. 170, [En ligne]. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k716958v/f2.image (Consulté le 25 mai 2011).

21  Le Littré, Paris, Éditions Garnier, 2007, vol. 10, p. 100, s. v. « hypotypose ».

22 Rebecca West, Black Lamb and Grey Falcon, A Journey through Yugoslavia, New York, Penguin Books, 1994. À la p. 269 de son livre, l’écrivaine anglo-irlandaise Rebecca West retrace la biographie de Jeanne Merkus, et en compare les gestes à ceux de Jeanne d’Arc. Née à Batavia, où son père était vice-roi de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, Jeanne Merkus fut à la tête d’une révolte bosniaque contre l’Empire ottoman ; elle décéda à Utrecht en 1897, donc 14 ans avant les événements dont aurait été protagoniste la Yanitza albanaise.

23  Ernest Laut, « Les sujets du nouveau royaume. Types albanais », Le Petit Journal. Supplément Illustré, 15.3.1914, (Numéro 1217), p. 82, [En ligne]. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7171031/f2.image (Consulté le 25 mai 2011).

24  Ernest Laut, « Les sujets du nouveau royaume. Types albanais », Le Petit Journal. Supplément Illustré, 15.3.1914, (Numéro 1217), p. 82, [En ligne]. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7171031/f2.image (Consulté le 25 mai 2011).

25  Philippe Hamon, Du Descriptif, Paris, Hachette, 1993, p. 11.

26  Le Littré, Paris, Éditions Garnier, 2007, vol. 7, p. 513, s. v. « éthopée ».

27  Ernest Laut, « Le grand pacha d’Albanie », Le Petit Journal. Supplément Illustré, 15.3.1914, (Numéro 1217), p. 82, [En ligne]. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7171031/f2.image (Consulté le 25 mai 2011).

28  Ernest Laut, « Le grand pacha d’Albanie », Le Petit Journal. Supplément Illustré, 15.3.1914, (Numéro 1217), p. 82, [En ligne]. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7171031/f2.image (Consulté le 25 mai 2011).

29  Ernest Laut, « Le grand pacha d’Albanie », Le Petit Journal. Supplément Illustré, 15.3.1914, (Numéro 1217), p. 82, [En ligne]. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7171031/f2.image (Consulté le 25 mai 2011).

30  Ernest Laut, « Le grand pacha d’Albanie », Le Petit Journal. Supplément Illustré, 15.3.1914, (Numéro 1217), p. 82, [En ligne]. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7171031/f2.image (Consulté le 25 mai 2011).

31  Cependant, les contemporains semblaient apprécier le flegme avec laquelle les deux frères se confrontaient à l’objet de leurs reportages. Voici ce qu’en disait un compte rendu, publié en 1913 dans L’Illustration 1913 : « Et le nouveau beau livre des frères Tharaud : La Bataille à Scutari d’Albanie. […] Celui des deux frères collaborateurs qui s’en alla sous le feu du Tarabosh chercher des visions de la guerre monténégrine ne s’est point préoccupé de saisir à la hâte les documents immédiats d’une correspondance quotidienne. Ses notes, réunies pour un livre de philosophie historique, impartiale, profonde et souvent émouvante, qui remonte aux origines, consulte la tradition, et renoue méthodiquement les faits épars, ont une valeur de document loyal et contrôlé, dont l’expression, sous ces plumes artistes, est toujours belle ». L’Illustration, No. 3672, 12 juillet 1913, p. 23, [En ligne] : http://www.gutenberg.org/catalog/world/readfile?fk_files=2456769&pageno=23 (Consulté le 25 mai 2011).

32  À cet égard, il y a une référence spécifique dans Horatio Smith (éd.), Columbia Dictionary of Modern European Literature, New York, Columbia University Press, 1947, p. 809 : « Quand en Octobre 1912 éclata la guerre entre la Turquie et le Monténégro sur les rives du lac de Scutari en Albanie, Jérôme partit pour Cattaro comme reporter. À son retour, il parla de ses impressions à son frère, et ensemble ils écrivirent La Bataille à Scutari d’Albanie (1913) ». (Trad. pers.).

33  Dans cette citation et les suivantes, nous soulignons en gras les termes et expressions relatifs au domaine de la visualité.

34  Jérôme et Jean Tharaud, La bataille à Scutari d’Albanie, Paris, Emile-Paul Frères Éditeurs, 1913, p. 7.

35  Jérôme et Jean Tharaud, La bataille à Scutari d’Albanie, Paris, Emile-Paul Frères Éditeurs, 1913, p. 88.

36  Jérôme et Jean Tharaud, La bataille à Scutari d’Albanie, Paris, Emile-Paul Frères Éditeurs, 1913, p. 104.

37  Jérôme et Jean Tharaud, La bataille à Scutari d’Albanie, Paris, Emile-Paul Frères Éditeurs, 1913, pp. 154-155.

38  Jérôme et Jean Tharaud, La bataille à Scutari d’Albanie, Paris, Emile-Paul Frères Éditeurs, 1913, p. 155.

39 Jérôme et Jean Tharaud, La bataille à Scutari d’Albanie, Paris, Emile-Paul Frères Éditeurs, 1913, p. 181.

40 Jérôme et Jean Tharaud, La bataille à Scutari d’Albanie, Paris, Emile-Paul Frères Éditeurs, 1913, p. 219.

41  Mary Edith Durham, The Struggle for Scutari, London, Edward Arnold, 1914, p. 33 : « Correspondents swarmed in. Most of them rushed to me for information, and then rushed away again ; only the Italians were permanent. I was corresponding for two papers myself ». (Trad. pers.).

42  Village au nord du lac de Scutari (note hors-texte ).

43  Mary Edith Durham, The Struggle for Scutari, London, Edward Arnold, 1914, p. 192 : « A certain halfpenny paper, it should be noted, published a photograph of a great ‘‘ castle in Spain ’’, with towers and castellations, of a style quite impossible in the Balkan Peninsula, and called it Dechich. Nor was this by any means the only bogus photograph published. The silly craze for getting a thing out quickly, without giving possible time for inquiring into its truth, makes a large proportion of so-called ‘news’ mere rubbish to gull the public. ‘‘ What is that ? ’’ asked an Albanian priest. ‘‘ It is called Dechich in this English paper ! ’’ I said. He stared, and added disgustedly : ‘‘ People say the English are truthful. English papers are, it seems, as bad as all the rest. ’’ And he threw it down, disgusted*. *Since writing the above, I have looked through back numbers of illustrated papers, and am disgusted by the gross carelessness which permitted photographs even of Caucasians to be sold to the public as Balkan subjects ». (Trad. pers.).

44  Sigrid Julia Newman, Visual representation in the work of Joseph Roth, 1923-1932, Thesis submitted to the University of St Andrews for the degree of Doctor of Philosophy, 25.9.2006. En ligne : http://research-repository.st-andrews.ac.uk/handle/10023/317. « In Wahlkampf in Berlin he shows how language can have power to affect by creating arresting visual images – by creating an ‘optische[n] Schrei’ or optical shout […] Although Roth uses the term ‘‘ optischer Schrei ’’ in Wahlkampf in Berlin to relate specifically to the visually striking type-faces used by commercial enterprises in advertisements, it is evidence not only of his understanding of the communicative power of the visual in the context of urban modernity, but it also indicates his awareness of the impact of the visual on reader-response. Therefore it would seem appropriate to transfer this notion of an ‘‘ optischer Schrei ’’ to the communicative power of the visual in the literary context of Roth’s Heuristic Visuals », p. 13. (Trad. pers.).

45  C’est nous qui soulignons.

46  Joseph Roth, lettre à B. Reifenberg, 22 avril 1926, cité in : Daniel Baric, « Joseph Roth et l’art du reportage », in Communications, 71, 2001, p. 21, [En ligne]. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2001_num_71_1_2078 (Consulté le 18 juillet 2012).

47  Joseph Roth, Panoptikum. Gestalten und Kulissen, München, Knorr & Hirth, 1930.

48  Joseph Roth, « Chez le président Ahmed Zogou », Frankfurter Zeitung, 29.5.1927, tiré de Croquis de voyage, Paris, Éditions du Seuil, 1994, p. 301.

49  Joseph Roth, « Tirana, la capitale », Frankfurter Zeitung, 15.6.1927, tiré de Croquis de voyage, Paris, Éditions du Seuil, 1994, pp. 312-313.

50  Joseph Roth, « Article sur l’Albanie. Écrit par une chaude journée d’été », Frankfurter Zeitung, 30.7.1927, tiré de Cabinets des figures de cire. Précédé de Images Viennoises, Paris, Éditions du Seuil, 2009, p. 132.

51  Joseph Roth, « Arrivée en Albanie », Frankfurter Zeitung, 11.6.1927, tiré de Cabinets des figures de cire. Précédé de Images Viennoises, Paris, Éditions du Seuil, 2009, p. 130-131.

52  Joseph Roth, « Arrivée en Albanie », Frankfurter Zeitung, 11.6.1927, tiré de Cabinets des figures de cire. Précédé de Images Viennoises, Paris, Éditions du Seuil, 2009, p. 128.

53  C’est nous qui soulignons.

54  Joseph Roth, « Article sur l’Albanie. Écrit par une chaude journée d’été », Frankfurter Zeitung, 30.7.1927, tiré de Cabinets des figures de cire. Précédé de Images Viennoises, Paris, Éditions du Seuil, 2009, pp. 132-133.

55  Philippe Hamon, Du Descriptif, Paris, Hachette, 1993, p. 29.

Bibliographie

 Corpus

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Pour citer cet article

Olimpia Gargano, « Visualisations du réel. Images et figures dans les reportages narratifs des écrivains - journalistes en Albanie (1910 - 1930) », paru dans Loxias-Colloques, 2. Littérature et réalité, Visualisations du réel. Images et figures dans les reportages narratifs des écrivains - journalistes en Albanie (1910 - 1930), mis en ligne le 30 janvier 2013, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=378.


Auteurs

Olimpia Gargano

Olimpia Gargano est enseignante d’Italien et Latin dans les lycées italiens. Doctorante en Littérature Comparée sous la direction de Mme Odile Gannier, avec une thèse en cotutelle franco-italienne entre l’Université de Nice et l’Université de Naples « L’Orientale » sur l’image de l’Albanie dans la littérature européenne des XIXe et XXe siècles. Elle a publié dans le cadre de sa thèse : « Le voyage en Albanie d’Isadora Duncan, entre autobiographie et fiction romanesque », paru dans Loxias, 38, CTEL, Université de Nice-Sophia Antipolis, http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=6866 ; « Illyria, Syldavia, Elbonia e altrove : la re-invenzione narrativa dell’Albania fra spazi immaginari e distopie », Actes du Colloque « Landscapes and Mindscapes », Università di Napoli « L’Orientale », 2011 (en cours de publication).