Loxias | 71. Autour du programme d'agrégation 2021 | I. Autour du programme d'agrégation 2021 

Pascale Auraix-Jonchière  : 

La nuit dans Mauprat, forme et signification

Résumé

En empruntant ce titre à Jean Rousset, nous reprenons l’idée selon laquelle les structures profondes de l’œuvre se dégagent d’un « accord ou un rapport, une ligne de forces, une figure obsédante, une trame de présences ou d’échos, un réseau de convergences ». Or Mauprat, cette « narration si noire » qui de fait participe de la « période noire » qu’Isabelle Naginski a diagnostiquée dans l’œuvre romanesque de George Sand, repose sur une dramaturgie du nocturne, dont se déploient tour à tour les diverses valeurs. C’est cette structure, mais aussi cette esthétique nocturnes du roman, que cet article se propose d’interroger.

Abstract

By borrowing this title "form and meaning" from Jean Rousset, we take up the idea that the deep structures of the work emerge from "an agreement or a relationship, a line of forces, a haunting figure, a web of presences or echoes, a network of convergences". Now Mauprat, this "narration so black", which in fact forms part of the "black period" that Isabelle Naginski diagnosed in George Sand's novels, is based on a nocturnal dramaturgy, whose various values unfold in turn. It is this nocturnal structure, but also this nocturnal aesthetics of the novel, that this article deals with.

Index

Mots-clés : consolation , George Sand, inconscient, nuit, obscurantisme

Géographique : France

Chronologique : XIXe siècle

Plan

Texte intégral

Dans George Sand, l’écriture ou la vie, Isabelle Hoog Naginski avance que « [la] production littéraire de George Sand en tant qu’écrivain à part entière se divise en plusieurs périodes », les deux premières étant la « période bleue », celle d’Indiana et de Valentine, associée au mal du siècle au féminin, et la « “période noire”, qui voit naître des romans sombres comme Lélia et Spiridion, où la double tentation du désespoir et du suicide1 » est sensible. Mauprat n’est pas nommément cité mais semble d’autant plus participer de cette tendance que le roman de 1837 s’ancre explicitement dans une nuit lourde de menaces. Qui plus est, la « période noire » ainsi identifiée est naturellement associée au « roman noir » – dans son double sens de « roman gothique » et de roman corrélé à des moments « sombres2 » de la vie de la romancière. Béatrice Didier souligne de son côté que dans Mauprat, « le noyau de départ est aussi noir que possible3 » : le récit fictionnel, avant d’être porté par le vieux Bernard, s’enracine en effet dans une parole collective que l’on peut qualifier de nocturne – parce qu’elle est horrifique et propre à « noirci[r] et endolori[r la] mémoire4 », et parce qu’elle se transmet nuitamment. De fait, cette « narration si noire » (37) qu’annonce le narrateur premier occupera l’entièreté du récit inclus, noir mais « consolant » (37), ajoute cependant ce dernier.

Plus que le parcours du noir à la consolation (donc, suppose-t-on, à la lumière) que l’on serait tenté de vouloir suivre, c’est le lien inhérent à cette représentation oxymorique d’une narration tout à la fois noire et consolante que j’aimerais interroger. Cette noirceur en effet, qui donne d’emblée au roman une coloration esthétique, est associée à des impressions et à des émotions5 fortes et radicales transmises au crépuscule, ce temps de basculement où peut surgir le refoulé et où la rumeur prend forme. Elle est en cela indissociable d’un moment, la nuit, qui s’impose à la lisière du roman dont elle rythmera les différentes étapes au gré d’une dramaturgie à valeur macrostructurelle qui se superpose au découpage chronologique du récit, soulignant l’intérêt de la structure symbolique de ce texte.

Si, comme l’affirme Jean Rousset, les structures profondes de l’œuvre se dégagent d’un « accord ou un rapport, une ligne de forces, une figure obsédante, une trame de présences ou d’échos, un réseau de convergences6 », nous postulons que dans le cas de Mauprat, cette figure centrale serait la nuit, dans toute la variété de ses significations : nuit physique, nuit idéologique ou nuit mentale, nuit de l’inconscient, nuit lumineuse et rédemptrice peut-être, aussi. Les rythmes et le langage de la nuit, en tout cas, sont d’une éloquence qui égale et dépasse celle des acteurs de cette histoire, et interroger ses diverses manifestations pourrait bien in fine permettre d’affiner notre appréhension de cette œuvre considérée comme transitoire dans la création romanesque de George Sand.

« Une narration si noire »

Dès l’ouverture du prologue, la présentation de la Roche-Mauprat, avec la conjonction des ruines, de la forêt et de l’obscurité, engendre une opacité conceptuelle et une inquiétude sensible. Dans Les Châteaux de la subversion, Annie Le Brun repère l’émergence, dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, d’une rupture de la sensibilité qui fait entendre ce qu’elle appelle un « discours noir, voix longtemps indistincte, longtemps confuse, transmettant non pas ce qui se dit mais ce qui se fomente au fond de l’homme7 ». Cet incipit, qui s’inscrit dans le droit fil du roman gothique, porte ce « discours noir », revendiquant ainsi une parole dont la gravité n’est pas à remettre en question, fût-elle romanesque dans sa forme.

Des ténèbres à la lumière et des bois à la plaine, les enjeux du prologue

Or cette forme s’inscrit dans un dispositif de transmission mémorielle, qui confère à l’histoire personnelle que nous allons découvrir une valeur universelle. Car le prologue met en regard deux scènes de contage. La première, auréolée de surnaturel, est la parole du peuple – celle des « ouvriers » qui racontent, dans les bois et à la nuit tombée, ce qui est devenu au fil du temps la terrible légende des Mauprat (36). Cette parole est crépusculaire – et là n’est pas son moindre intérêt. Le crépusculaire, climat de transition, est considéré par Michel Guiomar comme une catégorie esthétique de la mort, un climat « d’incertitude et de tentation de la mort8 ». La seconde scène concerne la parole du narrateur second, ironique et solitaire : le vieux Mauprat invite ses hôtes à écouter son histoire, celle d’une transplantation9 et d’une métamorphose, au coin du feu10. Aussi bien la plongée dans l’histoire, autant du côté du narrateur que des auditeurs, est-elle plongée dans la nuit. George Sand emprunte, on le voit, au dispositif de la veillée, qu’elle décrira dans Histoire de ma vie – et qui lui servira une dizaine d’années plus tard à structurer sa trilogie champêtre. Ces Veillées du chanvreur seront alors « codée[s] comme tradition paysanne11 », mais à l’orée de Mauprat, malgré la mention des « bûcherons et [des] charbonniers qui habitent les huttes éparses » (35-36) dans les bois12, ce n’est pas tant à une lecture ethnocritique qu’invite la romancière qu’à une réflexion plus largement anthropologique : les deux veillées qui se répondent mettent en regard bois et plaine, extérieur et intérieur13, histoire surnaturelle et récit autobiographique, dans l’évocation commune d’une parole transmise oralement, dans des conditions spécifiques potentiellement sacralisantes. C’est en effet à la nuit tombante, autour d’un feu, que se réunit l’auditoire, non sans un rituel d’admission préalable : le jeune narrateur doit se faire reconnaître des ouvriers avant de se joindre à eux et plus tard, devenu adulte, il devra se faire admettre comme hôte chez le dernier des Mauprat. Le récit s’apparente alors à « une transmission traditionnelle qui a valeur initiatrice14 ».

Cette écoute nocturne d’un récit noir est pourtant placée sous les auspices de la lumière car celui-ci s’ouvre sur l’évocation du « soleil » éclairant « pour la première fois les humides lambris où s’était écoulée » l’enfance de Bernard (41). Cette image, et le geste conjurateur qui l’explicite15, semblent plaider pour un dénouement heureux – comme le sont généralement ceux des contes merveilleux et ceux des romans gothiques – à l’instar de cette transformation dont on nous fait miroiter l’avènement. La plaine riante, enfin, où s’est établi Mauprat, loin des ombres persistantes de la lande et des bois, promet une histoire où la nuit finira par le céder au jour, à l’image de ces lézards qui en contemplent la lumière en réchauffant « leurs membres froids au rayon de midi » (41).

Or l’enjeu est d’importance. Comme l’annonçait le paradigme du noir, la nuit dont il s’agit de s’extraire est en effet en premier lieu la nuit d’un double obscurantisme.

La double nuit de l’obscurantisme

Le récit inclus s’attarde tout à la fois sur l’ensemble des exactions commises par le grand-père et les oncles de Bernard et sur l’absence d’éducation – ou l’éducation inverse – qu’il reçoit. Le manque flagrant de livres à la Roche-Mauprat, l’orientation rétrograde de l’Histoire qui est transmise à Bernard, qui déclare n’être « pas bien sûr que [son] grand-père n’eût pas vu Charlemagne, car il en parlait plus souvent et plus volontiers que de tout autre » (56) et l’organisation d’un véritable « chaos » dans son esprit, articulent dès le départ le double plan, individuel et collectif, du récit. La nuit dont il est d’abord question est celle d’une pensée désorganisée et archaïque, qui fait régner la terreur dans la contrée. Cet archaïsme, qui correspond à un pouvoir féodal affirmant son emprise jusqu’au cœur des Lumières, rejoue le drame antique de la naissance de Nyx, fille du Chaos et sœur de l’Érèbe. Les Mauprat Coupe-jarrets, du côté de l’animalité prédatrice, évoluent dans un « bourbier immonde » (52), une « tanière » (55) retranchée du monde, repaire obscur où prospère la violence. Le visage « au sourire d’hyène » (57) des Mauprat, le vigile contrefait qu’est Jean, « accroupi comme un chat qui fait le gué » (54), figurent les ténèbres menaçantes et virtuellement manducatrices de cette nuit dont l’étymologie désigne « la destruction, le malheur et la mort16 ». Lors de son enlèvement par Tristan de Mauprat, Bernard fait l’expérience d’une chevauchée fantastique aux accents infernaux : « La lune, je m’en souviens, éclairait de temps à autre au travers du branchage serré de la forêt » (44), raconte ce dernier, alors emporté sur un « cheval sec, vigoureux et méchant » qui « ruait à chaque coup de cravache » (44). Le cheval chtonien, note Gilbert Durand, « est isomorphe des ténèbres et de l’enfer17 ». Plus encore qu’au roman gothique, c’est à Mazeppa que l’on songe18 à la lecture de cet épisode et de ceux qui le redoubleront – comme celui de la fuite, de nuit là encore, qui conduira Bernard et Edmée jusqu’à la tour Gazeau19.

Mais si Sand convoque avec force ces images archétypales à l’ouverture de son roman, c’est pour les réinvestir d’un sens idéologique. Dans ces chapitres liminaires, le texte fait jouer sans ambiguïté des antinomies propres à dessiner un paysage historique contrasté : « lumières de l’éducation », d’une part, associées à la « civilisation, qui marchait rapidement vers la grande convulsion révolutionnaire » (45), « marche rétrograde » imposée par « l’ancienne tyrannie des hobereaux » (48) et leur « barbarie féodale » (55), corrélées à une obscurité tenace, d’autre part : « violence sombre et concentrée » de Bernard enfant (53, je souligne), « perpétuelle obscurité » des ruines jusque dans le présent de la narration, « sombre ravin » pour un « triste castel ». L’isotopie de l’obscurité dessine dès l’abord le pan nocturne du roman, qu’il ne semble pas avoir parfaitement évacué lorsqu’il s’achève.

La nuit de l’inconscient

L’obscurité semble ainsi perdurer au-delà de la prétendue résolution de l’histoire de Bernard. C’est que cette lignée, qui est tout aussi bien celle d’Edmée, et qui renvoie à la famille des Atrides, est marquée par une forme de fatalité, un déterminisme abject dont le narrateur second prétendra avoir triomphé. Pour autant, l’évolution de Bernard dans le temps n’a rien de linéaire ; elle suit une ligne ponctuée de fractures fortement dramatisées par des « rechute[s] » (332), systématiquement liées – ou presque – au retour du nocturne.

L’expressivité noire des pulsions

Une scène matricielle explique ce phénomène : il s’agit de la séquence souvent commentée de la punition spectaculaire du jeune Mauprat lors de sa première approche de la tour Gazeau (chap. IV). La séquence se déroule « un soir d’été », « au retour d’une pipée » (68), très exactement au moment où « la nuit se faisait ». La découverte de Patience par l’enfant suscite chez ce dernier une pulsion de violence (qui rappelle cette innéité « sombre et concentrée », déjà mentionnée auparavant) et ce dispositif a pour corollaire la description d’une nuit animalisée qui se cristallise en la personne du « sorcier » (70) à l’« œil rond » qui « lançait des éclairs comme on en voit à la fin de l’été derrière le feuillage pâlissant », avant d’être comparé à « une bête féroce » et à « un animal immonde ». « Un sentiment de haine s’empara de moi », constate Bernard sans plus d’explication, invitant l’auditeur à combler cette ellipse causale par une interprétation symbolique : les ténèbres sont le réservoir des pulsions inconscientes. La suite de la scène confirme cette interprétation : tuant la chouette au lieu de frapper son maître – comme il en avait vraisemblablement l’intention –, Bernard enclenche un processus qui, le plaçant au cœur d’un rituel sacrificiel, punit la bête en l’homme. Qualifié de « chien maudit » et de « louveteau », soulevé de terre comme « un lièvre », il reçoit la « correction usitée avec les chiens de chasse qui mordent le gibier » (73) quand Patience fait s’égoutter sur lui le sang de sa chouette apprivoisée, et subit ainsi le sort d’un animal. C’est pourquoi Bernard épouvanté s’enfuit dans une nuit chargée de menaces : « livré à [lui]-même dans la profonde nuit » (76), l’enfant, qui renonce à se présenter chez ses oncles, est terrifié par « les hurlements des loups » qui viennent « glacer [son] sang dans ses veines ». La circulation des figures animales, de l’autre à soi et de soi à l’autre – puisque Bernard se figure Patience sous l’allure fantasmagorique du « meneur de loups », c’est-à-dire d’un homme « ayant revêtu lui-même la figure d’une moitié de loup20 » (ibid.), avant d’enfin rejoindre le château « avec le jour » – est éloquente. La nuit suscite l’émergence d’un refoulé dont elle se fait le miroir fantasmé, ce qui explique que la scène soit informée par une série de glissements et de retournements descriptifs et symboliques21 qui renverraient, dans cette optique, plus aux profondeurs de l’impensé qu’à quelque stratégie narrative.

Un ensemble de scènes noires rythme dès lors l’avancée du personnage dans le roman, dont la plus intéressante est sans doute celle du chapitre XXI, qui met en scène la « rechute » du protagoniste après son retour d’Amérique. Dans cette scène de chasse qui rejoue celle de l’ouverture du roman dont elle recycle différemment les motifs, la filiation avec le chapitre IV est patente, comme si les progrès du personnage se fondaient sur d’inéluctables retours sur le passé. Il s’agit cette fois d’un retour au sens propre : la tour Gazeau, entachée de noir et de rouge, fonctionne dans le roman comme un catalyseur et un révélateur du refoulé. La confrontation de Bernard et d’Edmée dans la forêt engendre le conflit violent en Bernard de « l’homme ancien et [de] l’homme nouveau » (344). Or, bien que la scène se déroule par un jour « chaud et serein » (337) placé sous l’égide d’Edmée, qui ne dément pas dans un premier temps22 ses promesses de beauté et d’énergie joyeuse, le texte réactive de façon brutale la charge obscure latente inhérente au lieu. La justification romanesque de ce réinvestissement symbolique tient à l’un de ces hasards qui conduisent la destinée des personnages dans Mauprat ; le galop qui conduit Edmée et, à sa suite, Bernard, plus avant « dans les bois » (338), les confronte une fois encore à la tour Gazeau :

Je regardai à mon tour, et vis que nous étions à la lisière du bois, sur le bord ombragé du petit étang de Gazeau. À deux pas de nous, à travers le bois épaissi depuis le départ de Patience, j’aperçus la porte de la tour qui s’ouvrait comme une bouche noire derrière le feuillage verdoyant.
Je fus pris d’un nouveau vertige, il y eut en moi une lutte terrible des deux instincts. (341)

La démultiplication des motifs liminaires (« lisière du bois », « bord » de l’étang, porte ouverte23) invite à considérer ce passage comme un moment de bascule qui s’effectue à la faveur d’un accroissement de l’obscurité : « bord ombragé de l’étang », « bois épaissi », et culmine avec la désignation proprement fantasmatique de « la porte de la tour qui s’ouvrait comme une bouche noire derrière le feuillage verdoyant ». Cette « bouche noire » réactive en les concentrant tous les épisodes qui conjuguent nuit et animalité – rapprochement que le texte invite en outre explicitement à faire en mentionnant l’afflux des souvenirs chez l’un et l’autre des protagonistes. L’expression désigne sans détour la manducation inhérente au nocturne dans sa postulation la plus agressive24. Ce dispositif provoque la résurgence des « instincts de violence » (343) de Bernard, de ses « instincts farouches » (344), c’est-à-dire de ses désirs refoulés, dans une scène qui réduplique à distance la séquence nocturne initiale de la menace de viol à la Roche-Mauprat. Bernard toutefois sortira triomphant de cette nouvelle épreuve25, à l’issue d’une succession de morts initiatiques26 dont il renaîtra blanchi.

Cette structure dans laquelle la nuit joue un rôle dramatique majeur est redoublée par le recours efficace à un thème corrélé au nocturne, comme d’ailleurs au phénomène de reflux des forces de l’inconscient : celui de la revenance.

Nuit et revenance, un renouveau du substrat gothique

La présence des spectres en effet, si elle s’explique par une intertextualité prégnante27 et crée un climat quasi fantastique en accord avec la dimension romanesque de Mauprat, désigne à son tour avec une grande force d’expressivité le retour du refoulé. Dans le chapitre XVII, Bernard, que Hubert de Mauprat encourage à visiter la Roche-Mauprat, domaine qu’il a amélioré durant tout le temps du séjour en Amérique (282), retourne sur les lieux et ce retour au château ancestral s’accomplit sous les auspices d’une nuit menaçante doublée de manifestations spectrales éminemment perturbantes. Le départ pour la propriété, qui se fait à contrecœur, se déroule « par une soirée brumeuse, aux premiers jours de l’automne » (284), moment doublement crépusculaire que déploie la description polysensorielle d’un paysage « mélancolique » et « funèbre » (285) qui « rappelle à l’homme la prochaine dispersion des éléments de son être » (ibid.). Dans cette séquence, l’avancée de la nuit accompagne la progression du personnage dans son incursion forcée dans ce que l’on comprend être l’espace archaïque de la psyché de celui qui fut « l’enfant sauvage » (425). Dans le « corps de logis dont l’architecture massive remontait au dixième siècle » (286) dans lequel on l’installe, la nuit règne : « il fallut allumer des flambeaux pour y pénétrer, quoique le soleil fût à peine couché » (287), signe que le régime de lecture mobilisé en cet instant est moins celui de la légitimation réaliste que, de nouveau, celui de l’anthropologie de l’imaginaire. La progression labyrinthique de Bernard dans des lieux qu’il ne reconnaît plus – parce qu’ils lui sont devenus étrangers, au sens profond du terme –, la description d’un environnement peuplé d’objets à l’« apparence douteuse et bizarre » (287), président à une confrontation traumatisante avec ce qui se présente dans ce contexte comme une résurgence menaçante des pulsions censément maîtrisées28. Or ce refoulé est rappelé à la conscience de Bernard par l’intermédiaire de figures suscitées par l’ambiance nocturne : « Je crus voir passer, en cet instant, les spectres de tous les Mauprat avec leurs mains sanglantes et leurs yeux hébétés par le vin. » (287) « Spectre », rappelle Daniel Sangsue, « vient du latin spectrum, la vision (issu lui-même de specere, “voir, regarder”)29 ». Si de fait dans un premier temps cette vision est imaginaire et traduit l’appréhension du sujet de retour dans l’espace maudit qu’il a fui autrefois, elle se concrétise avec l’apparition d’une « figure distincte […] des chimères dont [Bernard vient] d’être assiégé » (287-288), et donc bien réelle, celle de Jean, pourtant décrit comme un fantôme avec « son corps enveloppé d’un suaire de couleur sombre », « lugubre vêtement, semblable à un linceul souillé de l’humidité du sépulcre » (288). L’évanouissement de Bernard, qui ne lui permet pas de poursuivre son oncle, l’empêche d’accorder du crédit à ce qu’il choisira de considérer comme une « hallucination » (288) et qualifiera de « fantôme30 » en racontant l’épisode à Marcasse (289). Reste que ce fantôme et l’effroi qu’il suscite confronte Bernard à ses propres démons. Dans la « typologie du personnage fantomatique » que propose Daniel Sangsue dans son ouvrage, ce cas me semble relever de la catégorie des « fantômes intérieurs31 », dans la mesure où la scénographie choisie exclut tout témoin direct – hormis Blaireau, dont la réaction est attribuée par Bernard à un simple « rêve » (289). Marcasse ne s’y trompe pas quand il objecte : « Pas de revenants [...], jamais de revenants ; d’ailleurs, pourquoi mort, Jean ? » (289-290). La revenance est manifestation psychique (fantasme ou interprétation erronée du réel) d’un refoulé menaçant. En Amérique, Bernard gardait conscience de la difficulté à maîtriser ses pulsions profondes : « Je parvins à gouverner mes mouvements jusqu’à un certain point », explique-t-il à ses auditeurs, « Je ne me corrigeai jamais de l’orgueil et de la violence. On ne change pas l’essence de son être, mais on dirige vers le bien ses facultés diverses » (245-246). C’est donc ce fond de violence, cette régression vers l’archaïque, qu’il s’agit de juguler et qui fait retour lors de scènes nocturnes terrifiantes qui fonctionnent comme un renouveau du substrat gothique.

La « promesse de l’aube »

La nuit cependant est réversible. En effet ces moments terrifiants sont précédés, lors du séjour à Sainte-Sévère, par une double séquence nocturne qui dévoile la dimension mystique et réconciliatrice de la nuit romantique. Les chapitres X et XI, qui forment un îlot oxymorique au cœur de ce roman de l’antithèse, peuvent être lus comme l’idéal du roman vers lequel tend George Sand – un roman qui combine mise en œuvre de l’idéal et conscience de ses limites.

La nuit romantique (1) : sublimation du moi et fusion naturelle

La scène nocturne du chapitre X, qui se déroule dans le jardin, trouve son apothéose lorsque Edmée une fois retournée dans ses appartements, Bernard s’abandonne à une exploration de l’espace naturel. Loin du système clos que figure le castel de la Roche-Mauprat cerné par les bois, possible allégorie de la psyché prisonnière de ses pulsions32, il vague dans un espace ouvert où la nuit inverse ses valeurs :

J’errai dans le parc en proie à mille incertitudes, et je gagnai la campagne sans m’en apercevoir. La nuit était magnifique. La pleine lune versait des flots de sa lumière sereine sur les guérets altérés par la chaleur du jour. Les plantes flétries se relevaient sur leur tige, chaque feuille semblait aspirer par tous ses pores l’humide fraîcheur de la nuit. Je ressentais aussi cette douce influence ; mon cœur battait avec force, mais avec régularité. J’étais inondé d’une vague espérance ; l’image d’Edmée flottait devant moi sur les sentiers des prairies, et n’excitait plus ces douloureux transports, ces fougueuses aspirations qui m’avaient dévoré. (172)

La nuit infiltrée par la lumière conquiert une dimension consolatrice en résorbant l’opposition duelle qu’elle figure le plus souvent. Loin d’opposer les ténèbres à la lumière, elle donne à voir ici un phénomène d’alliance, voire de résorption des contraires. La perception subjective du conteur modalise une représentation qui se fait enchantement, au gré d’une conversion de l’âme. La souffrance, la révolte et le tourment du jeune homme cèdent la place à l’« espérance » et par conséquent à une possible évolution. Au lexique de la dévoration, approprié pour décrire la force des pulsions comme pour exprimer l’influence fatale de la nuit en de certains lieux, se substitue le régime euphémique d’une vision éthérée qui désincarne significativement Edmée, « image [qui] flottait » devant un sujet prêt à renaître, à l’image des végétaux revitalisés par la puissance fécondante de la nuit. Yvon Le Scanff constate que

Le romantisme inverse ainsi le phaïnocentrisme classique, non pas au sens où il fait la promotion de l’obscurité contre la clarté […]. L’inversion touche davantage le système même d’opposition que les pôles qui le bornent ; ainsi, le romantisme cherche davantage à réconcilier obscurité et clarté qu’à les opposer33.

Ce qui importe ici est que Bernard soit sensible à ce type de lecture du monde, non sans lien avec sa propre appréhension de son être et de ses relations à autrui, dès lors pensées sur un autre mode que celui du conflit. La description paysagère qui fait suite à ce passage capital (172) donne une idée de cette réappropriation momentanée du sujet par lui-même et de son accès à un mode de conscience susceptible de l’éclairer. De même que l’harmonie des contraires définit le paysage lunaire, celle-ci peut réguler « le chaos » (173) dû à l’ignorance de Bernard. La séquence pousse à son comble la puissance de métamorphose salutaire de cette nuit synthétique lorsque Patience en personne se voit redéfini et comme auréolé de grâce à la faveur de la lumière de la lune : « Sa barbe brillait comme de l’argent. Son crâne chauve était si luisant que la lune s’y reflétait comme dans l’eau » (174). Le « cynique » devient mage, et Bernard est prêt à la concorde. Dans la tradition du romantisme allemand contemporain des années où se déroule l’histoire narrée, la lumière lunaire « est l’indice de l’union du jour et de la nuit […] et le signe de l’infini34 », constate Alain Montandon. Cet appel à la fusion prélude à un possible apaisement de Bernard35, sans pour autant s’en faire le garant.

Or le chapitre suivant déploie une seconde scène nocturne, qui fait suite à une nouvelle confrontation avec Edmée, comme en une réduplication contrastée. Contrastée, en raison d’une altération sensible de la description : « Quand je m’éveillai », se souvient Bernard qui s’est endormi nuitamment dans le parc, « la lune montait dans le ciel encore rouge des feux du soir » (184). Malgré le mouvement ascensionnel de l’astre, il s’agit d’une vignette ambiguë dont la couleur rouge infléchit la lecture, comme le suggère l’analyse plus générale de Laélia Véron, qui constate que dans Mauprat le rouge appelle souvent le noir (et réciproquement) et que « la rencontre de ces deux couleurs évoque la terreur devant une violence réelle ou anticipée36 ». Cette image assez singulière résiste à l’interprétation, d’autant plus qu’elle prélude à la perception de la voix d’Edmée, assimilée aux « plus subtiles émanations de l’amour » (185) par Bernard. Mais les confidences d’Edmée à l’abbé, que surprend le jeune homme, ont pour lui valeur de révélation brutale. Le portrait d’Edmée entrevue en « figure céleste, sur laquelle la brise faisait passer alternativement l’ombre des feuilles agitées et les pâles diamants que la lune sème dans les bois » (187) investit du reste la rêverie lunaire de valeurs plus anxiogènes. Si la plénitude idéalisante du tableau romantique du chapitre X s’estompe, c’est pour signaler qu’aucune conversion n’est encore (et ne sera peut-être jamais) complètement réalisée, et cependant ce nocturne ambigu engage Bernard dans une entreprise de perfectibilité de son être : c’est le « lendemain, dès le point du jour » (200) qu’il demande à l’abbé de l’instruire.

La nuit romantique (2) : transcendance et religiosité

Dans le chapitre X, sur lequel j’aimerais maintenant faire retour, on peut déceler, parallèlement à cette lecture des émotions et de l’inconscient du sujet, l’esquisse d’une réflexion sur le devenir collectif et historique représenté par la révolution française continument annoncée dans le roman. La description de la nuit synthétique, qui engendre une remarquable dilatation temporelle dans le texte, convoque en effet une rêverie mystique de l’unité. « Les émanations sublimes de la nuit » auxquelles le Bernard de 1837 rend grâce lorsqu’il s’attache à exprimer les impressions du Bernard de 1775 suscitent un sentiment quasi religieux : la nature dans sa plénitude acquiert une forme d’existence inédite, loin de tout matérialisme, sous l’influence de la lumière lunaire. Les « grands bœufs » même, « agenouillés sur l’herbe courte », « plongés dans de paisibles contemplations », s’arrachent à toute pesanteur sous les « purs reflets de la lune » (172) : « J’eus par instants la pensée de me mettre à genoux et de prier Dieu », se souvient le vieux Mauprat. La lumière nocturne, parce qu’elle émane de l’obscurité, refonde le monde dont elle idéalise les contours, et les « beautés voluptueuses » de la nature désignent moins les plaisirs des sens que les jouissances de l’âme, métamorphose que traduit la fixation du regard sur la « petite marguerite des prés » (173), humble fleur qui met en correspondance les sphères terrestre et céleste. Michèle Hecquet, qui insiste sur la constitution de la fleur en symbole37 dans ce passage, précise que

les symboles chez Sand, s’ils résument ou figurent une rencontre qui vient d’avoir lieu orientent vers l’avenir, ce que manifeste, avec une netteté et une simplicité d’épure, la survenue invraisemblable, autant que poétiquement justifiée, d’un prophète de la réconciliation38.

Car l’arrivée de Patience en cet instant précis n’est pas fortuite. Surpris sans arme, Bernard constate avec une douce ironie : « Mon gilet de soie à poches me fit souvenir que j’étais condamné à n’égorger plus personne. Patience sourit. » (173) Ce désarmement doit se lire au sens figuré comme le signe d’une ouverture à la parole réconciliatrice et prophétique du vieillard, qui réinterprète la scène en l’allégorisant : « Vous l’aimez [Edmée] parce qu’elle est belle comme la marguerite des prés, et moi je l’aime parce qu’elle est bonne comme la lune qui éclaire tout le monde. » (176) La scène nocturne, mystique et réconciliatrice, a valeur de signe dans le système de pensée de Patience. « [A]imez le peuple ; détestez ceux qui le détestent » (177), poursuit-il, en déroulant sa prophétie, et il annonce l’avènement d’un monde fondé sur l’égalité, dont la nuit apaisée devient l’image :

Les étoiles vivent en paix, et rien ne dérange leur ordre éternel. Les grosses ne mangent pas les petites, et nulle ne se précipite sur ses voisines. Or, un temps viendra où le même ordre règnera parmi les hommes. (178)

Conclusion

À l’issue de ce parcours où les scènes nocturnes ponctuent fortement le récit de leur résurgence obstinée mais s’absentent progressivement des derniers chapitres, centrés sur l’épisode judiciaire, qu’en est-il du trajet initialement annoncé vers le soleil ?

On met souvent en doute l’équanimité suspecte d’une fin de roman à la fois trop tranquille et vite réglée, dans un contexte historique – celui de 1837, puis celui de 1852, qui s’est chargé d’obscurcir les espoirs qui motivent et expliquent l’évolution des personnages. Pour avancer une hypothèse, il nous faut revenir aux premières pages, à celles surtout qui correspondent au début du récit de vie du vieux Bernard.

Une fois le toit de l’ancien castel enlevé, la « lumière du jour » ne s’infiltre guère qu’à midi, ce qui pointe le poids des ténèbres qui pèsent toujours sur la demeure, dénonçant le retour toujours possible de l’obscurantisme. Ni l’Histoire ni les êtres ne sont exempts de ces ombres qui « ensevelissent » inexorablement le château (35). Bernard, retiré quant à lui dans sa « jolie maison de campagne », loin de l’obscurité des bois, en est conscient et ne dit pas autre chose. Mais l’image de la renaissance et du retour du jour exprime une certitude, celle de la valeur de la foi : la croyance que même si l’homme doit admettre « une part d’entraînement dans [ses] instincts » (433), et qu’il n’est « pas toujours absolument [libre] de choisir entre le bien et le mal » (433), il est en son pouvoir de progresser et de combattre sur le plan des idées pour rendre la société perfectible, quelles qu’en soient les errances. Le bien et le mal, la lumière et la nuit, ne s’opposent pas comme le feraient des contraires absolus mais composent l’un avec l’autre. Si le jour s’immisce parfois jusque dans la nuit la plus sombre, l’obscurité peut toujours avoir sa revanche sur le jour. Faire jouer les dosages des ténèbres et de la lumière témoigne d’une lucidité de la romancière, qui fait ici un double choix d’écriture : ne pas « faire d’allusions directes aux malheurs présents39 », comme elle l’écrit dans la notice du 21 décembre 1851 pour La Petite Fadette, ce qui revient à proscrire la voix du réalisme ; préférer montrer dans le roman non pas seulement le pouvoir être, mais le devoir être que prônent les injonctions finales du texte, qui font écho aux paroles de Lamennais : « Aimez-vous les uns les autres40 ». Or pour ce faire, mieux vaut préférer dire « l’essence » des choses « dans toute la beauté idéale de son principe » (33), c’est-à-dire laisser le jour faire irruption dans la nuit.

Notes de bas de page numériques

1 Isabelle Hoog Naginski, George Sand. L’écriture ou la vie, Nadine Dormoy (tr.), Paris, Champion, 1999, p. 20.

2 Isabelle Hoog Naginski, George Sand. L’écriture ou la vie, p. 20.

3 Béatrice Didier, George Sand écrivain « Un grand fleuve d’Amérique », Paris, PUF, 1998, p. 182.

4 George Sand, Mauprat, Jean-Pierre Lacassagne (éd.), Paris, Gallimard, « Folio classique », 1981, 2020, pour la postface et la bibliographie actualisée, p. 36. Je renverrai désormais à cette édition de référence, entre parenthèses.

5 Avant que le vieil homme ne raconte sa propre histoire, d’autres voix en portent des versions plus terribles encore, « à faire se dresser les cheveux sur la tête » (36).

6 Jean Rousset, Forme et signification, Paris, Corti, 1986, Introduction, p. XII.

7 Annie Le Brun, Les Châteaux de la subversion, Paris, Gallimard, « Folio essais », 1996, p. 118.

8 Michel Guiomar, Principes d’une esthétique de la mort, Paris, Corti, 1967, p. 143.

9 « [Je] suis un vieux rameau heureusement détaché d’un méchant tronc et transplanté dans la bonne terre » (38).

10 « Venez près du feu, et soyez tranquille » (39).

11 Voir sur ce point Isabelle Naginski, « Les veillées de Sand », George Sand : Intertextualité et Polyphonie II, Nigel Harkness et Jacinta Wright (dir.), French studies of the Eighteenth and Nineteenth Centuries, Peter Lang, 2011, p. 18.

12 Écho rustique des « chaumières de notre Vallée Noire » (34) évoquées dans la dédicace à Gustave Papet.

13 La « jolie maison de campagne » de Bernard Mauprat vers Châteauroux (37).

14 Voir sur ce point Alain Pessin, Le mythe du peuple et la société française du XIXe siècle, Paris, PUF, 1992, p. 38.

15 « Le jour où j’en fis enlever le toit » (41).

16 Voir Alain Montandon, Dictionnaire de la nuit, Paris, Champion, 2013, préface, p. 7. Voir aussi le Grand Dictionnaire universel Larousse du XIXe siècle.

17 Gilbert Durand, Structures anthropologiques de l’imaginaire [Bordas, 1969], Paris, Dunod, 1984, p. 78.

18 « C’est la chevauchée funèbre ou infernale qui structure moralement la fuite et lui donne ce ton catastrophique que l’on retrouve chez Hugo, comme chez Byron ou chez Goethe », remarque Gilbert Durand, Structures anthropologiques de l’imaginaire, p. 78.

19 C’est significativement le même cheval, « extraordinairement vieux, mais toujours vigoureux et ardent » (109), qui les conduira non loin du repaire de Patience : « il avait pris la fuite dans les ténèbres » (110).

20 Les meneurs de loup parcourent la campagne « aux premières clartés de la lune », suivis des bêtes qu’ils savent « charmer », lit-on dans Légendes rustiques [1858], Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 2000, p. 94.

21 Voir notamment le troublant jeu d’anamorphoses qui substitue Patience à son animal totem apprivoisé. Je renvoie sur ce point à l’article de Marie-Ève Thérenty, « Le narrateur suspect de Mauprat », Relire Mauprat, op. cit., p. 142-143.

22 « Durant les deux premières heures, Edmée, montée sur une jolie petite jument limousine fort vive, […] s’écarta peu de la calèche, d’où le chevalier souriant, animé, attendri, la contemplait avec amour. » (337)

23 Sans compter le fait décisif que la scène est précédée du franchissement de la rivière (339).

24 Il faudrait aussi comparer ce tableau avec celui du chapitre IV, où l’« œil rond » de Patience « lançait des éclairs comme on en voit à la fin de l’été derrière le feuillage pâlissant ». Voir supra. À l’éclair dans l’obscurité grandissante répond la noirceur qui troue la lumière.

25 « À cette pensée d’ailleurs se borna tout mon crime ; le reste fut l’ouvrage de la fatalité » (344).

26 Évanouissements (345, 348), « délire affreux » (348) et, plus tard, emprisonnements faisant écho au « cachot » de l’enfance (55).

27 C’est encore la veine gothique qui se manifeste par là.

28 Durant le séjour en Amérique, il est dit qu’Arthur permet à Bernard de ne pas redevenir « sinon le coupe-jarret de la Roche-Mauprat, du moins le sauvage de la Varenne » (245).

29 Daniel Sangsue, Fantômes, esprits et autres morts-vivants. Essai de pneumatologie littéraire, Paris, Corti, 2011, p. 19.

30 Un fantôme que l’on peut s’autoriser à mettre en relation avec les « fantômes » qu’évoque Bernard dans le chapitre X pour désigner « l’orage de [ses] désirs » (171).

31 Daniel Sangsue, Fantômes, esprits et autres morts-vivants. Essai de pneumatologie littéraire, op. cit., p. 35.

32 « La forêt [...] tend à redoubler l’obscurité extérieure d’une profondeur essentiellement ténébreuse », écrit Yvon Le Scanff, Entrée « Obscurité », Dictionnaire de la nuit, op. cit., vol. 2, p. 968.

33 Yvon Le Scanff, Entrée « Obscurité », Dictionnaire de la nuit, op. cit., vol. 1, p. 970.

34 Alain Montandon, entrée « Lune », Dictionnaire de la nuit, op. cit., vol.1, p. 672.

35 « [Je] n’étais déjà plus l’homme de la veille, et je ne devais jamais redevenir complètement celui de la Roche-Mauprat » (180), affirme Bernard à l’ouverture du chapitre suivant. Tout le sens de cette phrase tient certes à l’adverbe, et l’on a vu que tout est question de maîtrise dans le roman.

36 Laélia Véron, « “Une narration si noire”. Le style gothique dans Mauprat », Relire Mauprat, op. cit., p. 99.

37 « La fleur a partie liée à la parole, car elle est symbole. Toute cette page a d’ailleurs le sens d’une constitution de la fleur en symbole ». Michèle Hecquet, Mauprat de George Sand, Presses Universitaires de Lille, 1990, p. 115.

38 Michèle Hecquet, Mauprat de George Sand, p. 115.

39 George Sand, La Petite Fadette, [1848], Paris, Gallimard, « Folio », 2004, p. 34.

40 Félicité de Lamennais, Paroles d’un croyant [1834], Paris, Librairie de la Bibliothèque nationale, 1897, p. 15. Voir les propos prêtés à Bernard en 1852 : « [A]ttachez-vous à vous corriger les uns les autres [...] en vous aimant beaucoup les uns les autres », et ceux de Patience dès le chapitre X : « [Je] me dis que, puisque tous les hommes se sont entendus pour aimer l’œuvre divine, ils s’entendront aussi un jour pour s’aimer les uns les autres. » (158).

Bibliographie

Œuvres de George Sand

Sand George, Mauprat [1837], Jean-Pierre Lacassagne (éd.), Paris, Gallimard, « Folio classique », 1981, 2020, pour la postface et la bibliographie actualisée.

Sand George, La Petite Fadette [1848], Paris, Gallimard, « Folio », 2004.

Sand George, Légendes rustiques [1858], Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 2000.

Études

BERCEGOL Fabienne, PHILIPPOT Didier et REVERZY Éléonore (dir.), Relire Mauprat, Paris, Classiques Garnier, 2020

Didier Béatrice, George Sand écrivain. « Un grand fleuve d’Amérique », Paris, PUF, 1998.

Durand Gilbert, Structures anthropologiques de l’imaginaire [Bordas, 1969], Paris, Dunod, 1984.

Guiomar Michel, Principes d’une esthétique de la mort, Paris, Corti, 1967.

Hecquet Michèle, Mauprat de George Sand, Presses Universitaires de Lille, 1990.

Hoog Naginski Isabelle, George Sand. L’écriture ou la vie, trad. Nadine Dormoy, Paris, Champion, 1999.

Le Brun Annie, Les Châteaux de la subversion, Paris, Gallimard, « Folio essais », 1996.

Le Scanff Yvon, « Obscurité », Dictionnaire de la nuit, Alain Montandon (dir.), Paris, Champion, 2013, vol. 2, p. 961-974.

Montandon Alain, Dictionnaire de la nuit, Paris, Champion, 2013.

Montandon Alain, « Lune », Dictionnaire de la nuit, Paris, Champion, 2013, vol.1, p. 669-680.

Naginski Isabelle, « Les veillées de Sand », George Sand : Intertextualité et Polyphonie II, Harkness Nigel et Wright Jacinta (dir.), French studies of the Eighteenth and Nineteenth Centuries, 2011, Peter Lang, p. 15-31.

Pessin Alain, Le mythe du peuple et la société française du XIXe siècle, Paris, PUF, 1992.

Rousset Jean, Forme et signification, Paris, Corti, 1986.

Sangsue Daniel, Fantômes, esprits et autres morts-vivants. Essai de pneumatologie littéraire, Paris, Corti, 2011.

ThÉrenty Marie-Ève, « Le narrateur suspect de Mauprat », Fabienne Bercegol, Didier Philippot et Éléonore Reverzy (dir.), Relire Mauprat, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 137-150.

VÉron Laélia, « “Une narration si noire”. Le style gothique dans Mauprat », Fabienne Bercegol, Didier Philippot et Éléonore Reverzy (dir.), Relire Mauprat, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 95-108.

Pour citer cet article

Pascale Auraix-Jonchière, « La nuit dans Mauprat, forme et signification », paru dans Loxias, 71., mis en ligne le 15 décembre 2020, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=9638.

Auteurs

Pascale Auraix-Jonchière

Pascale Auraix-Jonchière est professeure de littérature française du XIXe siècle à l’université Clermont Auvergne et membre du CELIS. Elle co-dirige notamment la collection « Révolutions et Romantismes » (PUBP) et dirige la série George Sand chez Garnier « Études romantiques et dix-neuviémistes », Pierre Glaudes et Paolo Tortonese (dir.). Elle est spécialiste de George Sand et de Barbey d’Aurevilly. Ses travaux portent sur les processus de reconfiguration des contes et des mythes, les formes littéraires (fictions brèves, romanesque), la poétique de l’espace et la sociopoétique. Elle a notamment co-dirigé le Dictionnaire George Sand avec Simone Bernard-Griffiths (Paris, Champion, 2015 et coll. « Champion classiques », 2020, 1254 p.) et publié une monographie, George Sand et la fabrique des contes (Paris, classiques Garnier, 2017). Elle publie avec Brigitte Diaz et Catherine Masson le collectif George Sand et le monde des objets (classiques Garnier, sous presse).