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Muriel Soulier  : 

Françoise Sagan et ses héroïnes : un discours féministe transgénérationnel dans Bonjour tristesse

Résumé

Françoise Sagan restera pour le grand public la jeune auteure de Bonjour tristesse au parfum de scandale dès sa parution, en 1954, dans une France encore régie par un catholicisme ambiant. Il se présente tant comme un petit roman sulfureux d’une adolescente aux mœurs libres qu’un brûlot féministe dénonçant à travers un portrait kaléidoscopique les différentes facettes de la femme des années 50 : de l’archétype de la veuve sacrifiée au cliché de la demi-mondaine, en passant par le stéréotype de la femme active et libérée à la femme mariée ; ce récit passe aussi au scalpel les méandres psychologiques de l’adolescente en mutation.

Abstract

Françoise Sagan remains for the general public the young author of Bonjour tristesse, which was scandalous as it was published in 1954. It is a provocative little novel about a unashamed teenager, as well as a feminist criticism levelled against the different facets of the woman in the 1950s: from the archetypal sacrificial widow to the cliché of the “demi-mondaine”, the stereotype of the active and liberated woman and the married woman; this story also deals with the psychological evolution of the teenage girl in mutation.

Index

Chronologique : XXe siècle

Texte intégral

Lorsque Bonjour tristesse paraît le 15 mars 1954, la société française est en grande mutation : au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, le pays, dirigé par René Coty alors dernier président de la IVe République, est en pleine effervescence des Trente Glorieuses, mythe maintenant discuté tant sur ses origines que sur ses apports1, dont les femmes ont été les actrices de leurs combats et de leurs luttes, initiés au siècle précédent par, entre autres, Flora Tristan2, Maria Desraismes3, Louise Michel4, Marguerite Durand5 ou encore Alexandra David-Néel6, obtenant une première victoire : le droit de vote inauguré le 29 avril 1945.

La croissance économique sans précédent de cette période impulse à la femme mariée non seulement le désir d’émancipation par le travail rémunéré mais aussi insidieusement un esclavagisme conjugal dans lequel elle s’enferme, tout en applaudissant l’invention d’appareils électro-ménagers, participant ainsi à la société de consommation naissante. Cependant, encore sous la tutelle de son époux, madame n’est autorisée à occuper un emploi qu’avec la permission de monsieur. Seulement 36 % des femmes travaillent en échange d’un salaire en 1954. Ce traitement infantilisant perdurera encore onze années après la sortie fracassante du premier roman de Françoise Sagan, jusqu’à la loi du 13 juillet 1965, autorisant les femmes à travailler sans le consentement de leur mari et à ouvrir un compte en banque. C’est aussi les prémisses de l’affaiblissement tant attendu par les mouvements féministes du système patriarcal malgré tout encore prégnant.

Ce concept nouveau d’émancipation féminine par le travail rémunéré est bien souvent l’apanage de la classe bourgeoise, à laquelle appartient l’auteure de Bonjour tristesse. En effet, cet essor économique et le prétendu plein emploi ne profitent pas à l’ensemble de la population française : des familles considérées comme pauvres, aux fratries souvent nombreuses, reléguées aux périphéries des centres névralgiques du travail, participent aussi à ce tableau trop souvent dépeint par les historiens des Trente Glorieuses comme une formidable renaissance de la société française, presque insouciante et légère, que dépeint ici Françoise Sagan, à travers le prisme d’une adolescente d’abord ingénue et « gâtée7 » puis machiavélique et oisive. Néanmoins, le modèle du couple bourgeois domine cette société des années cinquante, dont la grande majorité affirme croire en Dieu et se laisse donc fixer les règles par une Église intrusive dans leur ménage et leur intimité : le mari travaillant et pourvoyant aux besoins de la famille, l’épouse reléguée aux soins du foyer et des enfants et mise à disposition du conjoint. Concomitamment, des mouvements de femmes contemporains de Bonjour tristesse, héritières de la première génération des féministes du XIXe siècle, posent des problématiques alors taboues mais bien réelles, comme la sexualité ou le droit à l’avortement, où domine avant tout la question majeure de l’aliénation féminine, qu’expose en 1949 Simone de Beauvoir dans son essai Le Deuxième Sexe, dont on retiendra la célèbre assertion : « On ne naît pas femme ; on le devient8. »

Les revendications collégiales des toutes premières « féministes » du XIXe siècle renvoient déjà à l’image du corps en tant que sujet biologique et social. Ces femmes entendent détruire la relation d’interdépendance ancrée dans l’inconscient collectif entre la Nature et la Culture, qui les assimile d’abord à des objets reproducteurs puis à des instruments sociaux subordonnés à la puissance virile, représentée d’abord par le père (soumise à l’autorité inconditionnelle), parfois par le frère (le substitut de l’autorité paternelle), puis par le mari (accessoire de désir et matrice de sa descendance) et enfin chez les plus humbles, le patron (représentant la domination phallique de l’exploitation par le travail). De plus, elles étaient confinées au sein de la cellule familiale (fille, épouse puis mère) pour ne la quitter partiellement que par nécessité et obligation financières – rapporter de l’argent au chef de famille afin de compléter un revenu souvent misérable, ce qui induisait implicitement une relation de prostitution et de proxénétisme, puisqu’elles ne pouvaient pas jouir du fruit de leur propre travail. Leur force et leur corps étaient alors proposés contre rémunération. C’est pourquoi les premières colères féminines naissent dans les milieux ouvriers, dans une lutte des sexes avant de devenir une lutte des classes. L’explosion de cette colère générale se cristallisera dans le démembrement de la virilisation du prolétariat dont le mâle a toujours été mis en exergue : à des muscles saillants répondront des voix femelles cristallines. On ne peut ignorer le destin tragique de Flora Tristan, par exemple, qui marque le monde des besogneux par son tour de France, en vue de l’éclairer sur sa condition sociale inégalitaire, dont la théorie est teintée d’idées socialistes qu’elle développe dans un ouvrage paru en 1843, L’Union ouvrière.

À cette vision presque caricaturale du monde du travail, répondront des mouvements plus identitaires détachant le sujet « femme » du discours politique pour le déplacer dans des revendications plus féminines, relayées essentiellement dans un discours engagé qui, aujourd’hui encore, suscite et mérite réflexion et débat. C’est alors une forme d’intellectualisation du phénomène qui deviendra plus tard un genre, défini par des femmes, organisé par des femmes et défendu par des femmes, où pléthore de publications vont sourdre dans un paysage éditorial encore masculin. Le sujet « femme » suscite soudainement un intérêt autre que biologique ou physiologique. Mais la question du genre se pose bien au-delà. Ayant eu accès en nombre aux études secondaires et supérieures dès l’immédiat après-guerre, des femmes, souvent hautement diplômées, parviennent à unir leurs voix pour défendre leur condition dans une société française puritaine. C’est dans cet élan que naît « le mouvement d’avant le mouvement9 » des féministes, terme qu’elles récusent, mais qui englobe toutes les revendications présentes d’alors et à venir. Le texte de Simone de Beauvoir se présente comme un manifeste à l’attention des femmes en général, une « bible » pour certaines. Dès sa parution en 1949, il suscita une très vive polémique, sans distinction de sexe étonnamment, et déclencha des agressions à son encontre : polémiques, insultes, injures, mépris, ironie et même crachat sur la personne physique de l’auteure. La virulence avec laquelle a été accueilli cet essai montre l’atmosphère sociale qui pesait alors dans la société française des années 50 au puritanisme exacerbé. Son contenu explicite soutient et défend la cause des femmes, toujours prisonnières du système patriarcal : dans un premier volume, elle propose de « discuter les points de vue pris sur la femme par la biologie, la psychanalyse, le matérialisme historique » ; de « montrer ensuite positivement comment la “réalité féminine” s’est constituée, pourquoi la femme a été définie comme l’Autre et quelles ont été les conséquences du point de vue des hommes. » Alors, elle pourra décrire « du point de vue des femmes le monde tel qu’il leur est proposé10 ». Puis elle s’interroge et répond dans un deuxième volume à des problématiques pratiques : « Comment la femme fait-elle l’apprentissage de sa condition, comment l’éprouve-t-elle, dans quel univers se trouve-t-elle enfermée, quelles évasions lui sont permises11 ».

C’est dans cette atmosphère sociale électrisée par le féminisme ambiant que la jeune Françoise Quoirez, alors âgée de quatorze ans, grandit au sein d’une famille bourgeoise stéréotypée de ces années-là : un papa ingénieur qui dirige une usine dans le Dauphiné avant de regagner la capitale et une maman mère au foyer s’occupant avec amour de ses trois enfants dont la jeune Françoise est la cadette. Les études ne la passionnent pas plus que la narratrice-personnage de Bonjour tristesse, Cécile, qui échoue, elle aussi, à l’âge de dix-sept ans, à l’examen du baccalauréat à la session de juin et qui doit passer des vacances d’été à étudier pour en espérer son obtention à la session d’octobre : « Et votre examen ? [demanda Anne] – Loupé ! dis-je avec entrain. Bien loupé ! – Il faut que vous l’ayez en octobre, absolument12» conseille vivement Anne, la vieille amie de sa défunte mère invitée par son père Raymond à passer des vacances d’été avec eux sur la Côte d’Azur13 ; examen que la toute jeune auteure elle-même réussira brillamment en obtenant un 17/20 à l’épreuve de français, avant d’entreprendre des études de Lettres inachevées à la Sorbonne, dont les solides références littéraires émailleront discrètement ce récit.

Françoise Sagan a-t-elle puisé dans Françoise Quoirez la glaise pour façonner le personnage de Cécile ? L’héroïne de Bonjour tristesse, Cécile, apparaît comme un double de la jeune Françoise Quoirez, qui deviendra Françoise Sagan à la publication du livre. Elle a le même âge que sa créatrice : « dix-sept ans […]14 », – François Mauriac la caractérise comme un « charmant petit monstre de dix-huit ans15 » – lorsque l’écrivaine rédigea en quelques semaines le texte qui obtiendra en mai 1954 le Prix des Critiques, décerné par un jury exclusivement constitué d’hommes : Jean Paulhan, Georges Bataille, Roger Caillois et Maurice Nadeau. La notoriété de ce jury déclenchera la carrière littéraire de Françoise Sagan alors âgée de dix-neuf ans qui publiera environ un livre par an ; elle annonce à son père ses projets fantasques après une soirée bien arrosée, qu’apprécie déjà particulièrement Sagan étudiante : « […] j’allais faire une licence de lettres [que ni l’une ni l’autre n’obtiendront], je fréquenterais des érudits [Françoise se lie d’amitié avec bon nombre d’auteurs contemporains dont le philosophe de l’existentialisme Jean-Paul Sartre pour qui elle éprouve une profonde admiration], je voulais devenir célèbre et assommante16 », ce que Sagan femme réussira finalement à maintenir tout au long de sa vie : elle s’exposera au public par ses prises de position politique. Elle signe en 1961 le Manifeste des 121 qui légitime auprès des citoyens l’insoumission des soldats français appelés à faire la guerre en Algérie puis elle soutiendra François Mitterrand lors de l’élection présidentielle de 1981 de qui elle restera proche. Ses prises de position féministes se manifestent par son adhésion et sa signature publiques au Manifeste des 343, manifeste paru le 5 avril 1971 dans Le Nouvel Observateur, dans lequel signent trois cent quarante-trois femmes avouant avoir eu recours à l’avortement, alors illégal – et dangereux –en France, dont quelques féministes engagées (Simone de Beauvoir, Colette Audry, Marguerite Duras, Françoise d’Eaubonne, Gisèle Halimi, Violette Leduc, Christiane Rochefort), comme d’autres femmes en colère qui marqueront de leur sceau ici leur premier acte de révolte, revendiquant l’appropriation et la possession pleine et entière de leur corps. Autrement dit, c’est aussi une revendication des femmes à la sexualité-plaisir et non à la sexualité-procréation, sanctifiée par la société puritaine issue des années 50.

Dans Bonjour tristesse, connaissant le problème de l’avortement ou y ayant eu recours, le personnage d’Anne, femme divorcée sans enfant, tente de mettre en garde la toute jeune Cécile qu’elle surprend allongée contre son amoureux sur la plage : « Cyril était allongé contre moi, nous étions à moitié nus dans la lumière pleine de rougeurs et d’ombres du couchant et je comprends que cela ait pu abuser Anne17. » Situation équivoque pour n’importe quel visiteur, qui l’autorise à informer à demi-mot la jeune fille des conséquences d’un acte sexuel non protégé : une grossesse non désirée suivie d’un avortement. « Vous devriez savoir que ce genre de distraction finit généralement en clinique18. » Le reproche n’est pas une remontrance morale mais un avertissement pratique entre femmes – la jeune fille étant supposée adulte et informée : le conditionnel montre qu’elle est censée assumer les conséquences de ses actes. Alors qu’en 1953-1954, les années de rédaction et de publication du roman, la sexualité était hypocritement circonscrite au cercle des époux, soutenue par l’Église qui cherchait à la rendre seulement procréatrice. Le seul plaisir de la chair était péché. Aussi, malgré la tendance des féministes à se manifester davantage dans l’espace public pour y revendiquer non seulement une sexualité affranchie des conventions religieuses mais aussi à un avortement médical – car encore bon nombre de femmes, notamment issues des classes sociales défavorisées, avaient recours à des avortements clandestins, au cours desquels elles risquaient de devenir stériles, voire de mourir d’infection ou d’hémorragie –, les voix féministes des années 50 défendaient le plaisir charnel, alors dissimulé et illicite. Pourtant, Madeleine Pelletier, médecin et féministe radicale, affirme déjà en 1914 : « L’éducation sexuelle [doit être] à l’ordre du jour19 » des programmes scolaires afin d’éduquer au plus tôt les enfants à une vie génésique libre, mais peu de maîtresses et de maîtres d’école oseront aborder cette problématique, sous peine de déclencher l’ire générale dans cette société française pudibonde20.

La publication du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir en 1949, l’existence d’associations féminines21 et la notoriété de la psychanalyste Françoise Dolto (1908-1988) dans les années 50 permirent de libérer modérément la parole des femmes et d’approcher l’éducation à la sexualité, en développant le concept de la sensorialité chez le bébé par les caresses de sa mère. Ce qui visiblement a fait défaut à la jeune Cécile, orpheline de mère ; en effet, la narratrice-personnage dresse rapidement le portrait d’un père aimé et aimant, avec lequel elle entretient tout au long du roman une relation fusionnelle, et ce, dès la première page : « Mon père avait quarante ans, il était veuf depuis quinze. […] Je n’eus aucun mal à l’aimer, et tendrement, car il était bon, généreux, gai, et plein d’affection pour moi.22 » Ce père qui la confine dans un couvent jusqu’à ses quinze ans, puis la confie, à sa sortie, à une amie de sa mère : « Anne Larsen était une ancienne amie de ma pauvre mère et n’avait que très peu de rapports avec mon père. Néanmoins à ma sortie de pension, deux ans plus tôt, mon père, très embarrassé de moi, m’avait envoyée à elle23. » Cet éveil à la sensualité manquant dans l’enfance se développe avec Cyril, l’amoureux d’un été, qui lui fera découvrir le plaisir charnel, objet du scandale lors de sa publication :

Il m’avait rattrapée par le bras et me retenait en riant. Je me retournai vers lui et le regardai ; il devint pâle comme je devais l’être moi-même et lâcha mon poignet. Mais ce fut pour me reprendre aussitôt dans ses bras et m’entraîner. Je pensais confusément : cela devait arriver, cela devait arriver. Puis ce fut la ronde de l’amour : la peur qui donne la main au désir, la tendresse et la rage, et cette souffrance brutale que suivait, triomphant, le plaisir. J’eus la chance – et Cyril la douceur nécessaire – de le découvrir ce jour-là24.

Non seulement ce « scandale » se renouvelle à plusieurs reprises dans le roman mais il est défini, expliqué, assumé et revendiqué par une adolescente de dix-sept ans :

J’éprouvais, en dehors du plaisir physique et très réel que me procurait l’amour, une sorte de plaisir intellectuel à y penser. Les mots « faire l’amour » ont une séduction à eux, très verbale, en les séparant de leur sens. Ce terme de « faire », matériel et positif, uni à cette abstraction poétique du mot « amour », m’enchantait, j’en avais parlé avant sans la moindre pudeur, sans la moindre gêne et sans en remarquer la saveur25.

En outre, elle ne s’inquiète pas d’une éventuelle grossesse :

Cyril me demanda si je ne craignais pas d’avoir un enfant. Je lui dis que je m’en remettais à lui et il sembla trouver cela naturel. Peut-être était-ce pour cela que je m’étais si facilement donnée à lui : parce qu’il ne me laisserait pas être responsable et que, si j’avais un enfant, ce serait lui le coupable. Il prenait ce que je ne pouvais supporter de prendre : les responsabilités. D’ailleurs, je me voyais si mal enceinte avec le corps mince et dur que j’avais… Pour une fois, je me félicitai de mon anatomie d’adolescente26.

La narratrice-personnage révèle finalement qu’elle « ne l’avai[t] jamais aimé. [Qu’elle] l’avai[t] trouvé bon et attirant ; [elle] avai[t] aimé le plaisir qu’il lui donnait ; mais [elle] n’avai[t] pas besoin de lui27 » et qu’elle l’a déjà remplacé à peine retournée à Paris à la fin des vacances d’été : « […] chez une amie, je rencontrai un de ses cousins qui me plut et auquel je plus. Je sortis beaucoup avec lui durant une semaine avec la fréquence et l’imprudence des commencements de l’amour28 ». Ce n’est pas tant finalement l’évocation du fait qu’une adolescente puisse avoir des rapports sexuels qui choque le lecteur de l’époque mais c’est que cette même adolescente puisse trouver du plaisir dans le péché de chair, sans tomber enceinte (ce qui était vu comme la sanction de la liberté), et le revendiquer. Nous nous trouvons ici au seuil de ce que les sociologues ont appelé « l’amour libre », qui se développera amplement dans les années 70, soutenu par une frange de féministes fondamentalistes.

Simone de Beauvoir explique dans Le Deuxième Sexe :

au moment où la femme affronte le mâle pour la première fois, son attitude érotique est très complexe. Il n’est pas vrai, comme on l’a prétendu parfois, que la vierge ne connaisse pas le désir et que ce soit l’homme qui éveille sa sensualité ; cette légende trahit encore une fois le goût de domination du mâle qui veut qu’en sa compagne rien ne soit autonome, pas même l’envie qu’elle a de lui ; en fait, chez l’homme aussi, c’est le contact de la femme qui suscite le désir, et inversement la plupart des jeunes filles appellent fiévreusement des caresses avant qu’aucune main les ait jamais effleurées29.

Cette déclaration faite aux femmes des années 49-50 annonce l’aisance des féministes des années 70 à revendiquer sans pudeur le désir et la jouissance. La jeune féministe Françoise Sagan fait choisir à sa narratrice-personnage son partenaire : Cyril, jeune homme de vingt-six ans, étudiant en droit, qui l’initie au plaisir de la chair, dans un décor et une atmosphère propices à l’éveil de la sensualité : la chaleur de l’été, la douceur des paysages, le soleil, la plage et la mer. En quelques pages, voire quelques lignes, Françoise Sagan concentre intuitivement dans le personnage sensuel de Cécile les principales revendications, prémonitoires en 1954, des féministes de la nouvelle génération en matière sexuelle : la libération des mœurs, le droit de disposer de son corps, le droit au plaisir, le droit à la contraception et la responsabilité partagée en cas de grossesse dans une société phallocentrée. Dans ce roman qui se déroule presque à huis-clos, la distribution des personnages est théâtralisée selon un rituel conscientisé par la narratrice-personnage. Chaque apparition de personnage est liée à une critique sociale qui laisse présager une revendication féministe future.

L’incipit expose clairement le pacte que conclut la narratrice-personnage avec son lecteur : « Il me faut tout de suite expliquer cette situation qui peut paraître fausse30. » Ainsi, elle se pose en détentrice d’un savoir qu’elle seule est apte à délivrer ; elle oriente alors le lecteur dans son interprétation. Nous pouvons y voir par ailleurs les germes de la manipulation future dont elle sera être capable lors de l’entreprise de son plan machiavélique pour faire tomber son père, Raymond, dans les bras de son ancienne maîtresse, Elsa, une demi-mondaine, afin d’éloigner pour toujours celle qui s’interpose entre elle et son père : Anne Larsen, la femme qu’il a décidé d’épouser en toute hâte, et qui sera victime d’un accident de la route31. L’être de papier peut dépasser le cadre de la fiction lorsque quelques lignes plus loin, elle interpelle le lecteur par ce qui peut passer pour une interrogative-oratoire : « Car, que cherchions-nous, sinon plaire ?32 » à visée auto-justificatrice. Toute l’entreprise du personnage de Cécile dans ce récit aura été de détruire le drame mondain présenté dans le premier chapitre : un père veuf qui tente de refaire sa vie en épousant une femme, présentée tour à tour comme « très séduisante, très recherchée, avec un beau visage orgueilleux33 », « pos[ant] les normes du bon goût, de la délicatesse34 », « belle, intelligente35 » jusqu’à ce que ce portrait flatteur se vitriolise à partir du moment où l’adolescente prend conscience de la rivalité supposée : elle devient « froide », « autoritaire », « indifférente » ; « les gens ne l’intéressent pas », elle est « réservée[…] comme un beau serpent36 ».

Bonjour tristesse peut se lire comme un roman d’apprentissage qui dévoile le processus délicat du passage de l’adolescence à l’âge adulte, disséquant la mue que la narratrice-personnage considérera comme finalisée lorsqu’elle évoquera le rôle social que lui procure sa défloration : en effet, c’est par la rupture de l’hymen qu’elle considère qu’elle plonge dans le monde des adultes. Tout au long du roman, Cécile se heurtera aux personnages féminins, par de l’indifférence (à l’égard d’Elsa, la maîtresse du moment37), de l’agressivité (à l’égard des femmes au foyer : la mère de Cyril, veuve, « une vieille dame tranquille et souriante38 » et Mme Webb, oisive et « odieuse39 ») ou encore de l’admiration puis de la haine (pour Anne40). Ces confrontations se lisent chacune comme un cri de révolte féministe de la jeune Françoise Sagan à l’égard du rôle des femmes dans cette société du milieu du XXe siècle.

On peut comprendre la relative indifférence que Cécile éprouve à l’égard d’Elsa dont le statut de « maîtresse41 » lui confère une place commutable dans la vie frivole de son père42 et dont le destin est clairement annoncé à la fin du roman : « déjà dans le loin, la silhouette d’Elsa. […] C’est drôle comme la fatalité se plaît à choisir pour la représenter des visages indignes ou médiocres. Cet été-là, elle avait pris celui d’Elsa43. » Au sein de la relation œdipienne qu’elle avoue entretenir avec son père44, le portrait qu’en dresse l’adolescente est sans ambiguïté : « une grande fille rousse, mi-créature, mi-mondaine45 » de « vingt-neuf ans46 », « femme entretenue, de bars, de soirées faciles47 », charmeuse et langoureuse qui obtient les avantages du sexe et non du cœur en un clin d’œil48 et qui sera une marionnette dans le plan machiavélique mis au point par l’adolescente pour évincer « sa rivale » dans le cœur de son père49. La beauté de sa jeunesse hypnotise le quadragénaire mais celle-ci, en un été, se « défraîchi[ra] par le soleil50 », métaphore de la décrépitude présagée et accélérée chez la femme mondaine. La caractérisation d’Elsa par Cécile est pointée par des qualificatifs péjoratifs qui traduisent un mépris de l’adolescente pour ce personnage tout au long du roman51. Ce mépris explique le rejet des féministes des années 50 pour toutes les formes d’asservissement de la femme et en particulier celui d’une dépendance tarifée – ou l’équivalent – avec un homme. Livrant sa personne et son corps comme une marchandise à exhiber et à exploiter, la ribaude demeure temporairement une femme libre et indépendante, qui utilise sa féminité comme appât à l’attention de mâles en mal de frivolités (Raymond, M. Webb52) et paradoxalement elle accepte un attachement temporaire puisque le soutien masculin peut subitement s’évanouir. Perdant tous ses moyens de subsistance, elle changera de partenaire tant que sa plastique le lui permettra, puis se trouvera en danger lorsqu’elle ne sera plus désirée ou que les marques du temps auront creusé des sillons trop profonds sur son corps. C’est le sort qui semble guetter Elsa, instrumentalisée dans le jeu pervers de la jeune fille qui s’ingénie à se conserver le monopole affectif de son père. En attendant, son statut change au cours du récit : de personnage évanescent dans le trio amoureux de la première partie (Elsa/Raymond/Anne), elle endossera une épaisseur dramatique en acceptant de jouer le rôle que lui concède Cécile dans son plan diabolique, un rôle de marionnette : « je lançais Elsa dans la comédie : elle faisait semblant d’être amoureuse de Cyril […]. Mon père ne l’aurait pas supporté53. » Et il succombera à nouveau à ses charmes, au cours d’une scène qui blessera profondément Anne, témoin inopinée, dont la réaction préfigure l’issue fatale54. Elle occupe donc une place clé dans le déroulement de l’intrigue qui consiste à évincer la femme élue par Raymond, en interprétant l’aguicheuse avec assez de brio pour que le plan réussisse finalement.

En revanche, parlant de son ami de l’été, elle conclut elle-même froidement : « Je ne voulais pas l’épouser. Je l’aimais mais je ne voulais pas l’épouser. Je ne voulais épouser personne55. » Le mépris qu’elle affiche à l’égard de la mère de Cyril qui n’apparaît qu’une seule fois dans le roman et qui représente le cliché de la veuve fidèle et résignée, est révélatrice de son aversion du rôle social de la femme mariée et du mariage ; tout comme l’agressivité dont Cécile, lors d’une joute oratoire, fait preuve à l’égard de Madame Webb, qui renvoie au stéréotype du vieux couple bourgeois conventionnel. La jeune fille se montre particulièrement violente dans un brûlot contre le mariage et en particulier à l’égard de Mme Webb. En effet, la scène de restaurant entre le couple Webb et le trio composé de Raymond, d’Anne et de Cécile est particulièrement édifiante non seulement par l’attitude insolente de la jeune fille56 mais aussi par l’arrogance dont elle est capable à l’égard de l’épouse, victime d’un mariage vieillissant et usé, qui cherche de l’affection auprès de jeunes hommes contre quelque argent : le mythe de la « couguar » est né57. La situation maritale qu’évoque Cécile à travers la présentation du mari volage et de la femme infidèle propose une interprétation de la crise du mariage qui surviendrait après des années de vie commune et qu’elle valide en se visualisant dans le rôle de l’épouse blasée : « Sans doute, à son âge, je paierai aussi des jeunes gens pour m’aimer parce que l’amour est la chose la plus douce et la plus vivante, la plus raisonnable. Et que le prix importe peu.58 » Jugement qu’elle nuance toutefois : « Ce qui importait, c’était de ne pas devenir aigrie et jalouse, comme elle [Mme Webb] l’était d’Elsa et d’Anne59. » Finalement, Cécile se sent proche du destin de cette femme désabusée qu’elle est susceptible de mimer si elle entend accomplir la vie que son père lui propose avec légèreté : « Ma fille trouvera toujours des hommes pour la faire vivre60 » ou bien réaliser celui que lui propose Anne : » Il faut que vous [ayez votre baccalauréat] en octobre, absolument61. » Les études sont le tremplin à l’émancipation féminine : l’obtention de diplômes permettant une possible autonomie financière, romprait ainsi le lien de vassalité économique qui unit encore à ce moment-là une épouse à son mari.

La deuxième vague des féministes, contemporaines de la jeunesse de Françoise Sagan, publie un certain nombre d’ouvrages sur la question du genre : du simple témoignage à l’essai philosophique, en héritage de leurs engagements politiques et sociaux en 1939-1945. Unanimement, le message est clair : les discriminations sexuelles dans l’enseignement ayant été abolies, les filles obtiennent le même baccalauréat que les garçons, accèdent aux filières élitistes de l’enseignement supérieur (khâgne et féminisation des universités) et se distinguent particulièrement dans les départements humanistes : philosophie (Simone de Beauvoir), droit (Gisèle Halimi), sociologie (Germaine Tillon), psychanalyse (Françoise Dolto) et encore anthropologie/ethnologie (Françoise Héritier) où elles étudient les rapports sociaux qui régissent les deux sexes. De ce fait, elles défendent d’une seule voix l’émancipation de la femme d’après-guerre par l’accession aux études et l’obtention de qualifications. « Après l’hécatombe de la première guerre, la bourgeoisie se préoccupe désormais de l’avenir de ses filles qui ne passera pas nécessairement par le mariage62. » C’est dans cet élan d’émancipation par l’obtention de diplômes qu’Anne insiste auprès de Cécile pour qu’elle obtienne son baccalauréat.

L’archétype de la veuve sacrifiée sur l’autel du foyer est représenté par la mère de Cyril : « C’était une vieille dame tranquille et souriante qui nous parla de ses difficultés de veuve et de ses difficultés de mère63. » Le point de vue interne permet de dévoiler ici tout le mépris que Cécile éprouve pour le rôle des femmes au foyer que justifie Simone de Beauvoir dans son célèbre essai :

La femme en se mariant […] devient [l]a vassale [de son époux]. C’est lui qui est économiquement le chef de la communauté, […] jusqu’à la loi de 1942, le code français réclamait d’elle obéissance à son mari ; la loi et les mœurs confèrent encore à celui-ci une grande autorité : elle est impliquée par sa situation même au sein de la société conjugale. Puisque c’est lui qui est producteur, c’est lui qui dépasse l’intérêt de la famille vers celui de la société et qui lui ouvre un avenir en coopérant à l’édification de l’avenir collectif : c’est lui qui incarne la transcendance. La femme est vouée au maintien de l’espèce et à l’entretien du foyer, c’est-à-dire à l’immanence. [Elle] veille sur les meubles et les enfants, sur le passé qu’elle emmagasine. Mais celle-ci n’a pas d’autre tâche que de maintenir et entretenir la vie dans sa pure et identique généralité64

Cet exposé cristallise tout ce que la jeune fille dénigre : « la situation d’une jeune bourgeoise épouse et mère et elle n’a rien fait pour en sortir.65 » Dans une violente diatribe, l’adolescente justifie sa réaction impulsive en l’insultant : « putain66 ». Elle justifie cette désignation par l’acceptation et la passivité dont elle a fait preuve sa vie durant, exploitant son utérus et son énergie contre une existence relativement confortable67. Son statut de veuve lui confère une plus-value dans un surinvestissement maternel et une neutralité sexuelle bienveillante que lui reproche Cécile. Elle incarne la femme vulnérable qui reste cloîtrée dans l’espace privé : la mère de Cyril reçoit ses invités chez elle68, c’est d’ailleurs dans cette sphère cloîtrée qu’excelle la féminité. En dénonçant avec force et vigueur la médiocrité de la vie d’une veuve conformiste, Cécile promeut implicitement au veuvage une redécouverte de la sensibilité et de la sensualité que permet une liberté conquise ou reconquise. La période que vit Anne Larsen, divorcée et « pas d’amant69 », s’assimile sentimentalement à une période de veuvage sentimental jusqu’à la redécouverte des frissons amoureux avec Raymond, le père de la narratrice.

Quadragénaire active et indépendante, la créature incarnée par Anne annonce la femme active et libérée à l’aube des années 2000. Elle représente alors l’archétype de la femme moderne de la deuxième moitié du XXe siècle : libre d’engagements sentimentaux, indépendante, autonome financièrement, dirigeant sa vie, parfois selon les normes bourgeoises qu’elle se fixera en acceptant le mariage avec Raymond70. « [E]lle s’occupait de couture71 » : on retrouve ici le stéréotype de la femme travaillant dans les étoffes. En effet, sur un peu plus de 20 millions d’actifs cette année-là, 35 % sont des femmes dont plus de 80 % œuvrent dans le secteur du textile72. Pourtant, en 1954, avoir quarante-deux ans, être divorcée, autonome financièrement et sans enfant sont autant d’éléments qui caractérisent la puissance du bouleversement sociétal qu’expose Sagan et que revendiquent les féministes : une liberté assumée et une reconnaissance du travail domestique rajouté au salariat. Ce personnage fait sourdre le hiatus qui anime la femme de cette époque : à travers elle, l’auteure dévoile ici une intériorité crispée entre son désir d’émancipation individuelle et un désir maternel virtuel73. Tout le discours des féministes se retrouve concentré dans cette dichotomie qui montre que l’esprit des femmes est encore formaté par l’empreinte patriarcale dans les années 1950-1960.

 

La narratrice se fait le porte-voix de son auteure et Sagan la porte-parole de sa génération. Lectrice des existentialistes qu’elle a côtoyés, elle raconte en à peine plus de cent cinquante pages tous les méandres de l’âme d’une adolescente de dix-sept ans à une époque historique, sociale et politique en mutation : la France tente de se reconstruire sur les ruines de la deuxième guerre mondiale encore prégnantes et de préparer l’avenir à une jeunesse insouciante dans une atmosphère ridée par le catholicisme. La jeune auteure émancipe son héroïne des obligations de la classe bourgeoise à laquelle elle appartient : « travail, effort et volonté ». Cécile rechigne à la seule besogne que demande son âge : le travail scolaire74, exige le droit à la paresse75, se confond dans les mondanités76 qui caractérisent la vie de bohème qu’elle souhaite avant tout poursuivre aux côtés de son père77, sans s’embarrasser de scrupules78.

De quels charmes ne se paraient pas pour moi subitement les deux années joyeuses et incohérentes que je venais d’achever, ces deux années que j’avais si vite reniées l’autre jour ?... La liberté de penser, et de mal penser et de penser peu, la liberté de choisir moi-même ma vie, de me choisir moi-même. Je ne peux pas dire « d’être moi-même » puisque je n’étais rien qu’une pâte modelable, mais celle de refuser les moules79.

La maturité dont fait preuve la jeune auteure pointe, à travers son héroïne, le choc de l’adolescence avec une lucidité taillée au scalpel. Les perversions de l’adolescence mises à plat dans le roman, entre manipulation et mépris, illustrent une partie des théories psychanalytiques lacaniennes des années 50-60 sur la relation entre l’inconscient et le langage par le célèbre jeu de mots : « père-version » ; sadisme à l’égard des figures tutélaires, activation de la sensualité au détriment des sentiments et vœu d’affranchissement organisent le système nerveux central de la narratrice en construction qui obtient in fine que « La vie recommence comme avant, comme il était prévu qu’elle recommencerait80 » : Anne Larsen, sa rivale, ayant été éliminée, elle pourra alors profiter pleinement de ce père qu’elle considère depuis le début comme son « complice81 » et « ami82 ».

« Nous avions tous les éléments d’un drame : un séducteur, une demi-mondaine et une femme de tête83 » annonce Cécile qui se présente comme « l’âme, le metteur en scène de cette comédie84 ». C’est dans cette veine que Sagan annoncera la troisième vague du féminisme des années 80-90 : le droit à l’autonomie, synthèse du droit de cité et du droit à la libre disposition de soi. Selon la légende, l’auteure se flatte même avoir plus œuvré pour la condition féminine que le mouvement M.L.F. La romancière a fait scandale sur une trame classique en dévoilant, du point de vue d’une ingénue somme toute perverse, un point de vue féminin aux antipodes du romantisme « fleur bleue » que l’on aurait alors cru pouvoir attendre d’une adolescente.

Notes de bas de page numériques

1 Entretien avec Christophe Bonneuil au sujet de la sortie du livre qu’il a codirigé Une autre histoire des « Trente Glorieuses », éditions La Découverte, collection « Cahiers libres », mis en ligne le 26 décembre 2013, https://reporterre.net .

2 Flora Tristan (1803-1844), d’origine franco-péruvienne, voyageuse infatigable et altruiste invétérée de la condition ouvrière et de la lutte sociale, elle relie la cause féminine à la cause du prolétariat.

3 Maria Desraismes (1828-1894), bourgeoise démocrate, très érudite, donne des conférences sur ses idées progressistes : l’anticléricalisme et la Libre-Pensée, notamment, au Grand Orient, obédience maçonnique exclusivement masculine alors ; en 1876, elle crée La Société pour l’amélioration du sort de la femme et la revendication de ses droits, et devient de ce fait l’une des porte-paroles de l’émancipation féminine avant d’être la première femme française initiée à la franc-maçonnerie en 1882.

4 Louise Michel (1830-1905), institutrice, communarde et déportée en Nouvelle-Calédonie pour ses idées révolutionnaires, elle revendique à son retour à Paris, la philosophe de l’anarchie comme valeur intrinsèque à l’émancipation de la femme et prône une République sociale.

5 Marguerite Durand (1864-1936), féministe de la « première vague » (années 1900), créatrice du journal La Fronde et fondatrice de l’unique bibliothèque féministe de France, milite pour le droit de vote des femmes et leur participation à la vie politique de leur pays.

6 Alexandra David-Néel (1868-1969), proche de son père et de ses amis progressistes, aiguise son caractère trempé en affirmant une personnalité complexe et complète : enfant fugueuse, éduquée chez les Sœurs, théosophe, anarchiste et libertaire, féministe, franc-maçonne, voyageuse intrépide et orientaliste reconnue, mariée à l’âge de trente-six ans par « convention » – ce mariage la rendit dépressive mais le mari-ami la soutint dans ses soifs d’évasion, de culture et de découverte de l’Autre et de l’Ailleurs.

7 Françoise Sagan, Bonjour tristesse [1954], Paris, Julliard, 2019, collection Pocket, p. 64.

8 Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, II, [1949], Paris, Gallimard, collection Folio, n°38, p. 13.

9 C’est par cette expression « Mouvement d’avant le mouvement » que Michèle Le Doeuff, philosophe et féministe, qualifie Le Deuxième Sexe (1949) de Simone de Beauvoir, expression reprise par Sylvie Chaperon dans son article « Une génération d’intellectuelles dans le sillage de Simone de Beauvoir » mis en ligne le 19 juin 2006 sur le site Clio. Histoire, femmes et sociétés ; URL : http://journals.openedition.org/clio/135; DOI : 10.4000/clio.135.

10 Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, I, [1949], Paris, Gallimard, 2019, collection Folio Essais, n°37, p. 34.

11 Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, II, [1949], Paris, Gallimard, 2019, collection Folio Essais, n°38, p. 9.

12 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 34.

13 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 34.

14 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 61.

15 François Mauriac, « Le dernier prix », Le Figaro, 1er juin 1954.

16 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 87.

17 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 60.

18 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 60.

19 Yvonne Knibiehler, « L’éducation sexuelle des filles au XXe siècle », Clio. Histoire, femmes et sociétés [En ligne], 4, 1996, mis en ligne le 01 janvier 2005 , consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/clio/436; DOI : 10.4000/clio.436.

20 Les prémisses de cette révolution devront attendre les années 1981-1987 qui permirent quelques balbutiements, en levant timidement le voile sur la description et le rôle des organes reproducteurs chez la femme et l’homme, inscrits dans les programmes officiels de l’Éducation nationale pour les Sciences Naturelles des classes de Première des Lycées, puis en ajoutant, sans concertation raisonnée, l’éducation à la sexualité dans les nouveaux programmes officiels de 2018 des écoles maternelles et primaires : les enfants de trois à dix ans sont alors soudainement plongés au cœur des choses de la vie, ce qui a suscité une inquiétude vivace chez la très grande majorité des parents d’élèves.

21 Notamment L’Union des femmes françaises, fondée en 1944 par la fédération des comités communistes de résistance féminine ; La Maternité heureuse fondée en 1956 qui deviendra le Mouvement français pour le planning familial.

22 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 11-12.

23 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 15.

24 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 101.

25 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 114.

26 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 115.

27 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 150.

28 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 153.

29 Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, II, p. 151.

30 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 11.

31 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 55, p. 80 et p. 149.

32 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 14.

33 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 16.

34 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 19.

35 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 140.

36 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 72-73.

37 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 12 : « À ce début d’été, [Raymond, le père] poussa même la gentillesse jusqu’à me demander si la compagnie d’Elsa, sa maîtresse actuelle, ne m’ennuierait pas pendant les vacances. Je ne pus que l’encourager car je savais son besoin des femmes et que, d’autre part, Elsa ne nous fatiguerait pas. »

38 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 42.

39 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 126.

40 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 16 : « beau visage », p. 33 : « La taille mince, les jambes parfaites », p. 73 : « un beau serpent », p. 64 : « il fallait l’écarter de notre chemin » qui se lit comme une préméditation.

41 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 11.

42 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, pp. 11-12 : « Je n’avais pas pu ne pas comprendre qu’il vécût avec une femme. J’avais moins vite admis qu’il en changeât tous les six mois ! […] C’était un homme léger, habile en affaires, toujours curieux et vite lassé, et qui plaisait aux femmes. »

43 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 47 et 139.

44 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 66 : « un amour incestueux pour mon père ».

45 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 12.

46 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 31.

47 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 78.

48 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, pp. 38-39 : « Au café, Elsa se leva et, arrivée à la porte, se retourna vers nous d’un air langoureux, très inspiré, à ce qu’il sembla, du cinéma américain, et mettant dans son intonation dix ans de galanterie française : « Vous venez, Raymond ? Mon père se leva, rougit presque et la suivit en parlant des bienfaits de la sieste. »

49 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, pp. 78-79.

50 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 38.

51 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, pp. 12-13 : « assez simple et sans prétentions sérieuses […] qui rougissait [au soleil] et pelait dans d’affreuses souffrances », p. 15 : « avide de mondanités », p. 31 : « les paupières gonflées, les lèvres pâles dans son visage cramoisi par les coups de soleil », p. 46 : « un sourire désabusé de mondaine à la bouche, son sourire de casino », pp. 115-116 : « cette fille, si près en somme de l’amour-argent, par son métier […] pas habituée à un rôle subtil », p. 122 : « elle se conduisait plus comme un grue que comme une amoureuse », p. 139 : « un rire extraordinaire, communicatif et complet, comme seuls en ont les gens un peu bêtes. » 

52 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 118 : « Il avait été longtemps l’amant d’Elsa […] ».

53 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, pp. 83-84.

54 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, pp. 143-144.

55 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 89.

56 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, pp. 125-126 : « Je me souvins aussi de Mme Webb et de mon altercation avec elle ; j’étais accoutumée à ce genre de femmes : dans ce milieu et à cet âge, elles étaient souvent odieuses à force d’inactivité et de désir de vivre. »

57 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 118 : « Charles Webb et sa femme [qui] s’occupait de dépenser l’argent qu’il gagnait, cela à une vitesse affolante et pour de jeunes hommes. »

58 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 124.

59 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 124.

60 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 34.

61 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 34.

62 Sylvie Chaperon, « Une génération d’intellectuelles dans le sillage de Simone de Beauvoir », Clio. Histoire, femmes et sociétés [En ligne], 13/2001, mis en ligne le 19 juin 2006, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/clio/135; DOI : 10.4000/clio.135.

63 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 42.

64 Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, II, pp. 224-225.

65 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 43.

66 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 42.

67 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 43 : « Elle a donc élevé cet enfant. Elle s’est probablement épargné les angoisses, les troubles de l’adultère. Elle a eu la vie qu’ont des milliers de femmes et elle en est fière, vous comprenez. […] Elle se glorifie de n’avoir fait ni ceci ni cela et non pas d’avoir accompli quelque chose. […] C’est un miroir aux alouettes. »

68 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 42 : « Un après-midi, nous allâmes prendre le thé chez la mère de Cyril. »

69 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p.16.

70 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 55 : « Votre père et moi aimerions nous marier. »

71 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 16.

72 Alain Charraud, « Travail féminin et revendications féministes », in Sociologie du travail, 16ème année n°3, juillet-septembre 1974, Mouvements sociaux d’aujourd’hui, pp. 291-318.

73 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 105 : « Rien ne la poussait à ce rôle de tuteur, d’éducatrice, si ce n’est le sentiment de son devoir ; en épousant mon père, elle se chargeait en même temps de moi. »

74 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 74 : « Comment savait-elle [Anne] que je ne travaillais pas ? »

75 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 64 : « je n’étais qu’une enfant gâtée et paresseuse »

76 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 27 : « en sortant de mon cours, des amis m’entraînaient dans des cinémas ; je ne connaissais pas le nom des acteurs, cela les étonnait. Ou à des terrasses de café au soleil ; je savourais le plaisir d’être mêlée à la foule, celui de boire. »

77 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 65 : « Il fallait absolument se secouer, retrouver mon père et notre vie d’antan. »

78 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 27 : « Je crois bien que la plupart de mes plaisirs d’alors, je les dus à l’argent : […] Je n’ai pas honte encore de ces plaisirs faciles ».

79 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, pp. 65-66.

80 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, pp. 153-154.

81 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 17.

82 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 12.

83 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 36.

84 Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 92.

Bibliographie

Corpus

SAGAN Françoise, Bonjour tristesse [1954], Paris, Julliard, 2019, collection Pocket n° 3564.

Autres textes et études

BEAUVOIR Simone de, Le Deuxième Sexe [1949], Paris, Gallimard, 2019, collection Folio n° 38.

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Émission radiophonique « Les FEMEN : retour sur l’histoire du mouvement et son apport » construite sur l’enquête d’Olivier Goujon, journaliste photoreporter, auteur de FEMEN : histoire d’une trahison [2017], Paris, éditions Max Milo.

Pour citer cet article

Muriel Soulier, « Françoise Sagan et ses héroïnes : un discours féministe transgénérationnel dans Bonjour tristesse », paru dans Loxias, 69., mis en ligne le 15 juin 2020, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=9464.

Auteurs

Muriel Soulier

Muriel Soulier, née en 1968, est professeure de Lettres Modernes depuis 1997, actuellement en poste en collège.