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Liouba Bischoff-Kompanietz  : 

Voyage et masculinité dans l’œuvre de Jean Rolin

Déconstruire les stéréotypes du genre ?

Résumé

Jean Rolin joue sur les stéréotypes du baroudeur solitaire, figure masculine s’il en est, mais qu’en est-il de la féminité dans cette œuvre littéraire viatique ? La femme n’est-elle qu’une proie ou qu’un objet de désir aux yeux du voyageur ? Ou bien est-il possible de mettre au jour une manière chez Rolin de mettre en péril les attendus stéréotypés pour laisser entrer une féminité plus douée pour le voyage et les rencontres interculturelles ? À travers la lecture de l’ensemble des récits de Jean Rolin, et plus précisément de Traverses (1999) et de Savannah (2015), on voit se mettre en place, progressivement, une « méditation sur le voyage comme géométrie du désir et comme déchiffrement des signes. »

Index

Mots-clés : genre , Rolin (Jean), virilité

Plan

Texte intégral

1L’homme qui a vu l’ours : la formule choisie pour rassembler les reportages de Jean Rolin fait appel à un imaginaire de l’exploit et de la virilité. On se représente aisément un voyageur solitaire parcourant héroïquement des contrées dangereuses et lointaines pour en rapporter de glorieux trophées. Mais ce titre aguicheur ne reflète guère, en réalité, la « démarche littéraire ambulatoire » de Jean Rolin, qui se veut bien plus erratique et désillusionnée. Le narrateur du Journal de Gand aux Aléoutiennes prend soin de démystifier cette aura usurpée du voyageur :

On nous dit : les voyages, ah ! les voyages ! Et celui qui revient se donne l’air d’avoir beaucoup à dire. Mais sitôt que l’on a fait le tour d’une ville étrangère, que l’on a observé ce qui plus particulièrement y rendait les femmes attrayantes, s’étant heurté à cette vieille impossibilité de les aborder gracieusement, sans faire le sagouin, pour laquelle on se trouve ici, du moins, l’excuse de la langue, on tourne en rond, on s’assoit sur un banc, on essaie de deux ou trois débits de boisson, on grimpe sur la hauteur, s’il s’en trouve une, on redescend, enfin c’est inouï ce que l’on peut s’emmerder1.

2Que peut bien faire un voyageur de sexe masculin livré à lui-même dans une ville qu’il ne connaît pas ? À vrai dire, rien de bien exceptionnel : Jean Rolin suggère comiquement qu’il « tourne en rond » et s’efforce de tromper l’ennui à l’aide de divers expédients – déambulation, tentatives de séduction, consommation de boisson. L’idée reçue qui veut que tout voyage en solitaire soit une expérience palpitante, rythmée par des rencontres enrichissantes, est réfutée sans autre forme de procès : le déplacement géographique n’a pas la vertu magique de supprimer soudainement les barrières humaines, et notamment celles de la séduction. En revanche, ce passage n’est pas sans conforter une vision stéréotypée du voyage au masculin, qui se traduit par une attitude volontariste d’appropriation de l’altérité. Qu’il s’agisse d’une réalité géographique ou humaine, le voyageur cherche à « faire le tour » de tout ce qui peut s’offrir à son regard afin d’en prendre possession, si possible depuis un point de vue surélevé. Sa curiosité se porte « tout particulièrement » sur le sexe opposé qui vaut comme spécimen privilégié de la réalité locale. Faut-il voir là une manière de s’inscrire dans le schéma « masculin, rationnel et agressif2 » que Debbie Lisle décèle dans l’écriture contemporaine du voyage ? S’inspirant à la fois des études postcoloniales et des études féministes, Debbie Lisle envisage le récit de voyage comme l’expression de divers phénomènes de domination. Le récit de voyage serait fondamentalement informé par les codes de la masculinité, comme l’indépendance, l’hégémonie ou l’objectivité. La distinction entre l’ici et l’ailleurs s’alignerait en outre sur l’opposition masculin/féminin dans la mesure où il s’agit pour le voyageur d’explorer et de dompter une réalité inconnue, d’apprivoiser en quelque sorte la différence3. Debbie Lisle précise toutefois que si beaucoup de récits reproduisent et rigidifient ces codes génériques, d’autres parviennent à déjouer la dichotomie entre le masculin et le féminin, voire à inverser les attributs respectifs des deux genres. Dès lors, dans quelle mesure peut-on considérer que les récits de Jean Rolin véhiculent un discours de la masculinité ? Il est vrai que l’approche de l’altérité a parfois tendance à se confondre, dans ses récits, avec l’approche de la gent féminine, au point que la trame narrative est en grande partie constituée de scènes de séduction. Mais le stéréotype du séducteur invétéré est généralement mis à distance avec force autodérision : par crainte de passer pour un malappris, le voyageur se replie sur lui-même et renonce à toute idée de conquête ; la scène de galanterie qui tourne au fiasco n’est pas loin d’être un topos de l’œuvre. Loin d’idéaliser l’expérience du baroudeur viril, le narrateur confesse volontiers sa difficulté à entrer en contact avec autrui, ou du moins à trouver la distance adéquate. Dans Savannah4, il reconnaît à son amie Kate, très à l’aise avec des inconnus, un talent bien supérieur au sien en matière de drague et de reportage, deux activités qu’il échoue pour sa part à combiner harmonieusement. Les caractéristiques du genre – genre et gender – sont dès lors inversées : la femme n’est plus saisie à travers un regard prédateur, elle devient un moteur de la quête et un modèle de voyageuse. Du Journal de Gand à Savannah, en passant par Traverses ou Campagnes, les figures féminines semblent jouer un rôle essentiel dans la dynamique du récit de voyage. Quand il n’évolue pas dans l’univers hyper-masculin des cargos et des ports, le narrateur se fait voyeur ou séducteur ; mais l’ironie retournée contre lui-même fragilise bien souvent le paradigme de la masculinité. L’enjeu de cet article est de voir comment est affirmé et déjoué le cliché du voyageur solitaire dans l’œuvre de Jean Rolin.

Une masculinité paradigmatique

3La figure du voyageur mâle et solitaire n’est jamais mieux représentée que dans les récits d’où les femmes sont quasiment absentes : des textes comme La Clôture ou Terminal frigo illustrent parfaitement le code de l’hyper-masculinité qui préside à la démarche viatique. Qu’il sillonne la banlieue parisienne ou les ports des côtes françaises, Jean Rolin invite son lecteur à un voyage décalé vers des espaces de la marge. Il apprivoise une réalité sociale et urbaine majoritairement masculine qui ne s’offre pas directement au regard du voyageur : SDF, squatteurs de caravanes, ferrailleurs ou prostituées le long du boulevard périphérique parisien ; ingénieurs, pilotes, syndicalistes ou dockers retraités dans les bassins portuaires. L’heure n’est certes plus aux voyages d’exploration et à l’héroïsme des premières découvertes5 ; mais l’écrivain-voyageur contemporain invente une nouvelle forme d’exotisme qui consiste à se faire l’aventurier du proche, le défricheur d’espaces insoupçonnés. Ce désir de se distinguer du simple touriste, Debbie Lisle le rapporte à l’hyper-masculinité : « Travel writers no longer have that treasured moment of being first anywhere, but they can certainly be the first to get there in an unusual, dangerous or impossible way6. » Il faut désormais trouver des formules de voyage inédites qui déplacent l’enjeu de la découverte sans remettre en cause le principe d’un regard masculin dominateur et centralisateur. La première phrase de La Clôture nous fait hésiter quant au genre du récit – récit de voyage ou roman d’aventure ? – en dramatisant la posture de l’homme qui contemple le monde, debout et en surplomb, à l’aube du XXIe siècle : « Quelques heures avant la fin du XXe siècle, l’homme se tient debout, un peu en retrait, une cigarette calée entre deux doigts de la main gauche, devant la fenêtre ouverte de la chambre 6117. » La chambre d’hôtel fait office de tour de contrôle stratégiquement placée pour superviser le périphérique parisien. Jean Rolin joue sur les représentations que suscite immanquablement cette image de l’homme à la fenêtre, et commence par suggérer qu’il pourrait s’agir d’un sniper « s’il était équipé d’un fusil à lunette ». Au-delà de son effet dramatique, ce rapprochement liminaire avec une figure belliqueuse accrédite l’idée qu’un processus de domination agressive est à l’œuvre dans le récit de voyage. Dans la suite du récit, la remontée du boulevard du Maréchal Ney déclenche toute une série de parallèles avec l’épopée napoléonienne, avec des effets de superposition entre l’exploration actuelle et les événements historiques racontés au présent. La bataille de Waterloo sert de toile de fond épique à la description d’une réalité prosaïque :

Un peu après 11 heures, à l’heure où le combat s’engage enfin, par une intense canonnade suivie d’assauts infructueux contre la ferme fortifiée d’Hougoumont, je décidai de faire mouvement vers la porte de la Chapelle. À mon avis, le grondement du périphérique offrait un équivalent acceptable des bruits de la bataille, et j’avais le sentiment qu’en explorant toutes les facettes de l’échangeur, qui en compte beaucoup, je parviendrais à dénicher un bout de terrain, si possible herbu, qui fût susceptible de jouer dans ma dramaturgie le rôle du plateau de Mont-Saint-Jean, sur lequel Wellington a solidement enraciné le centre de son dispositif8.

4En s’identifiant – certes, avec une bonne part d’autodérision – à Wellington, dirigeant de l’armée des Alliés contre Napoléon, le narrateur se range du côté des vainqueurs pour contempler le territoire défait qui s’étale sous ses yeux : la banlieue parisienne, souillée, dégradée, laissée à l’abandon. Il se déplace à la manière d’une armée qui « fait mouvement » pour aller se poster à l’endroit le plus stratégique et met en œuvre un véritable « dispositif » pour se faire accepter dans des milieux hostiles où il risque toujours d’apparaître comme un intrus. C’est ainsi qu’il parvient à aborder des figures masculines troubles ou intimidantes, comme Gérard Cerbère qui vit dans un pilier du périphérique parisien, ou Lito, un ancien officier des forces armées zaïroises. Lito apparaît également sous le nom de Foudron dans L’Explosion de la durite9, où il devient l’instigateur d’une entreprise improbable et risquée qui consiste à faire expédier au Congo une voiture d’occasion. Chargé de veiller sur le véhicule jusqu’à destination, le narrateur de L’Explosion de la durite tient à la fois de l’homme de main et de l’agent secret dans ce récit fortement inspiré du roman d’aventures, et notamment de Joseph Conrad. Du fait du brouillage générique entre récit de voyage et roman d’aventures, associé à une dramaturgie épique, le voyage relève d’une forme d’hyper-masculinité qui se déploie en l’absence de figures féminines.

5Or, c’est une œuvre à plusieurs faces que celle de Jean Rolin. Parallèlement aux récits de voyage hyper-masculins, qui prennent pour cadre des espaces interlopes où le narrateur s’engage avec un projet relativement précis – remonter le boulevard du Maréchal Ney, observer le quotidien des ports et des dockers, accompagner une Audi jusqu’à Matadi –, on distingue des récits d’un autre style, placés sous le double signe du désœuvrement et de la séduction. Ces récits qui mettent en scène une kyrielle de figures féminines font appel à d’autres codes de la masculinité associés au voyage : non plus l’aventure marginale ou dangereuse, mais l’appropriation de la différence à travers un regard prédateur. Le schéma binaire masculin/féminin est particulièrement commode pour rendre compte de l’altérité dans un texte, et ce depuis l’époque coloniale où l’on associait l’Ouest à une culture masculine et l’Est à une culture féminine10. À l’opposition homme/femme répond ainsi l’opposition entre l’ici et l’ailleurs, entre l’identité et l’altérité. L’extrait du Journal de Gand aux Aléoutiennes cité en introduction de cet article – « sitôt que l’on a fait le tour d’une ville étrangère… » – reflète cette appréhension masculine de l’altérité ; il est d’ailleurs précédé d’une remarque sur la Norvège qui pousse jusqu’à la caricature un intérêt quasiment exclusif pour la population féminine. La description de la Norvège est presque une parodie de récit de voyage ethnographique :

En Norvège, les gens qui adorent le Christ sont de plusieurs obédiences, et, pour le reste, les femmes ont cet œil très clair, à pupille aiguë, cerné de mille petites rides excessivement fines, qui doit se prêter merveilleusement à l’expression de la bienveillance ironique11.

6Non sans humour, le narrateur réduit ce pays à deux réalités anthropologiques : la diversité des Chrétiens – dont il ne prend pas la peine de détailler les obédiences, signe de sa nonchalance – et, « pour le reste », l’œil des femmes, qui suffit à emblématiser la Norvège. Les femmes sont présentées comme un élément central du folklore et concentrent entièrement l’attention du voyageur, qui voit en elles le seul accès possible à la réalité locale et le meilleur moyen de mettre fin à son ennui, malgré la « vieille impossibilité de les aborder gracieusement ». D’un récit à l’autre, la quête de l’altérité féminine est indéfiniment relancée, chaque nouvel échec appelant une nouvelle tentative, au point de constituer parfois l’unique trame narrative de voyages qui n’obéissent qu’aux principes de l’errance et de l’impulsion – selon un autre cliché qui fait du voyageur solitaire un être sans attaches. Dans Traverses, les tribulations du narrateur dans les zones reculées de la France sont ponctuées de rencontres avec des inconnues ou de retrouvailles avec des amies, à commencer par T., une ex-mannequin retirée à Tarbes dans un foyer glauque. T. semblant assez peu exaltée par cette visite, le narrateur s’interroge sur les raisons de sa présence dans cette ville mortellement ennuyeuse : « je me demandais si j’avais définitivement passé l’âge de plaire à une fille deux fois plus jeune que moi – présumant que la question ainsi posée n’avait guère de sens, et ne me souciant pas outre mesure, à cet instant du moins, de la réponse12 ». Le narrateur repousse à plus tard la question du sens et décide d’accélérer la fuite en avant, malgré l’échec cuisant de son séjour à Tarbes : à la fin de l’épisode, T. part pour Toulouse avec deux autres « gamines », tandis que le narrateur les attend longuement dans un café. Les hasards de l’errance le conduisent ensuite à Clermont-Ferrand, puis à Dijon, où le désœuvrement est à son comble. La narration à la première personne se dédouble pour offrir un regard comique et distancié sur cette déambulation frénétique qui semble ne jamais pouvoir s’arrêter :

Ainsi nous me voyons errer dans les rues de Dijon, au sortir de La Brioche dorée, m’abriter de la pluie, boire des cafés, côtoyer des monuments historiques, regarder des femmes à la dérobée (ou peut-être les dévisager avec insolence), prendre connaissance d’une affiche annonçant la représentation d’une pièce de théâtre adaptée d’un roman de Luc Dietrich […], hésiter à appeler une femme que je ne connais pas mais dont une amie commune m’a donné le numéro de téléphone à Dijon, entrer dans une cabine, l’appeler finalement, prendre rendez-vous pour le soir même, attendre ce rendez-vous, longer le Palais ducal, me faire annoncer, patienter, être introduit dans le bureau assez directorial de la personne avec qui j’ai pris rendez-vous par téléphone, me présenter, m’asseoir après y avoir été invité, prononcer quelques mots en essayant de paraître spirituel, me relever, sortir du bâtiment abritant l’administration du théâtre en compagnie de la personne susmentionnée. Et ainsi de suite. (T., 96-97)

7L’énumération des verbes d’action et la décomposition presque cinématographique de chaque mouvement pourraient d’abord faire croire à une profusion d’activités. En réalité, le narrateur meuble son ennui avec un très petit nombre d’actions, qui produisent une singulière impression de déjà-vu : sa manière de s’approprier une ville consiste à prendre vaguement connaissance de l’architecture et de la culture, avant de se focaliser sur la gent féminine. Il se représente en mâle solitaire à l’affût d’une rencontre, tantôt prudent et tantôt provocant ; après quelques bourbons, il explique à l’administratrice du théâtre de Dijon que leur « rencontre s’inscr[it] parmi d’autres hasards arrangés » et contribue donc à élaborer le « sens toujours dérobé, absolument insaisissable, de [s]a démarche littéraire ambulatoire » (T., 97). La femme n’est donc pas recherchée pour elle-même, mais en tant que jalon d’une interminable poursuite qui ne saurait se concevoir sans rencontres féminines.

Falstaff ou Caliban ? Le voyageur solitaire, une figure suspecte

8À travers le regard féminin naît cependant la conscience des limites de cette quête. Généralement enfermé dans sa subjectivité, le narrateur croit lire dans l’œil des femmes – Norvégiennes ou non – une « bienveillance ironique » à son égard, qui le renvoie toujours à sa propre image de séducteur importun ou bavard. En l’absence de véritable dialogue, il ne peut que formuler des hypothèses fondées sur des indices plus ou moins tangibles. Dans Traverses, les réactions d’une femme qu’il connaît à peine, directrice administrative d’un théâtre contactée sur le conseil d’une amie, font l’objet d’une interprétation pessimiste : elle « semblait éprouver à mon égard une sorte d’indulgence un peu lasse. Peut-être lui rappelais-je Falstaff, ou Caliban, ou tel autre monstre croisé jadis sur les rives de l’Avon. » (T., 100) Ou encore : « Tout indique que la directrice du théâtre avait depuis longtemps cessé de m’écouter. » (T., 101). L’autoportrait du voyageur relève donc d’une fiction personnelle, correspondant à ce que le narrateur imagine représenter pour l’autre : une forme de monstre ou de bouffon alcoolique et pédant, aux intentions mal définies. Par le recours à des archétypes shakespeariens, il fabrique un autoportrait tout à la fois grotesque et attachant, résolument subjectif et singulièrement proustien.

9La référence à la figure tragi-comique de Falstaff est à même de traduire la démesure et la fatuité dont s’accuse régulièrement le narrateur. Dans des pièces comme Henri IV ou Les Joyeuses Commères de Windsor de Shakespeare, Falstaff est l’incarnation d’une débauche à la fois physique et verbale, qui passe par l’ivrognerie, la séduction éhontée et la logorrhée verbale. Parce qu’il représente la face comique du vice, ce personnage carnavalesque crée à la fois la répulsion et la sympathie. Quant à Caliban, fils de la sorcière Sycorax dans La Tempête de Shakespeare, il symbolise la sauvagerie, la veulerie et la monstruosité, ou encore le cannibalisme que contient son nom par anagramme ; mais il suscite aussi la pitié pour avoir été réduit en esclavage par Prospero. Falstaff et Caliban renvoient donc aux impressions mêlées que le narrateur des récits de Jean Rolin est convaincu de susciter auprès des femmes, et qu’il retranscrit à son lecteur placé en position de juge et de témoin. Dans L’Explosion de la durite, il fait remonter à son adolescence en Afrique sa loquacité excessive en présence des jeunes filles, en l’occurrence les jeunes expatriées des ambassades congolaises. Il a le souvenir de s’être exercé dès cette époque à la séduction par le verbe à défaut d’avoir pu briller par ses qualités sportives :

Je m’efforçais de compenser ce handicap en tenant des discours radicaux, ou à tout le moins paradoxaux, qui me faisaient paraître à peu de frais comme un intellectuel, présumant que sur ce terrain je n’aurais aucun mal à triompher de mes rivaux, les jeunes gens sportifs, et que peut-être, parmi les jeunes filles américaines ou belges que je convoitais, certaines seraient agréablement surprises par de tels prodiges d’éloquence. Car si les idées que je professais, dans un continuel et sans doute exaspérant verbiage, étaient de nature à les choquer, la forme sous laquelle je les faisais chatoyer, et par moments disparaître, pouvait attendrir ou impressionner l’une ou l’autre, puisqu’il était manifeste que je ne déployais de tels efforts que pour leur plaire, même à rebours, et en aucun cas pour les convaincre. (ED, 28-29)

10Le moi présent coïncide totalement avec le moi passé, le portrait de l’adolescent faisant écho à celui du narrateur adulte. Dès les premières expériences, c’est une certaine opacité féminine qui se révèle, allant de pair avec une incertitude constante quant à l’attitude à adopter et à l’effet produit – d’où les nombreuses hypothèses et modalisations : « présumant que », « peut-être », « sans doute ». La phrase de Jean Rolin adopte alors le rythme et l’allure de la phrase proustienne pour déchiffrer le mystère des « jeunes filles en fleurs », qui resurgit de façon récurrente comme un motif matriciel de l’œuvre.

11Par les effets conjugués du « hasard » et de la « nécessité » (ED, 84), le narrateur ouvre systématiquement la Recherche aux mêmes pages lorsqu’un long voyage en cargo lui laisse le loisir de s’y plonger ou de s’y replonger. Vingt-cinq ans ont beau séparer la première lecture du tome 2 de la Recherche, en 1980 à Kinshasa, de sa relecture en 2005 au Havre, À l’ombre des jeunes filles en fleurs n’a rien perdu de son pouvoir de fascination. Le narrateur en fait une relecture obsessionnelle et minutieuse, consistant par exemple à « vérifier sur quel type d’ouvrage d’art, une digue ou une jetée, survient la première rencontre du narrateur avec la “petite bande” au sein de laquelle il va distinguer Albertine » (ED, 84). Il n’y a rien d’étonnant à ce que Jean Rolin se focalise ainsi sur des détails de l’épisode de Balbec, dans la mesure où ce dernier offre un exemple magistral de description d’une ambiance côtière tout en mettant en scène un groupe de jeunes filles qui attire l’œil irrésistiblement. Le texte de Proust réunit les deux univers à la faveur d’une comparaison entre le ballet des jeunes filles et celui des mouettes – et l’on sait l’intérêt de Jean Rolin pour les oiseaux marins :

presque encore à l’extrémité de la digue où elles faisaient mouvoir une tache singulière, je vis s’avancer cinq ou six fillettes, aussi différentes, par l’aspect et par les façons, de toutes les personnes auxquelles on était accoutumé à Balbec, qu’aurait pu l’être, débarquée on ne sait d’où, une bande de mouettes qui exécute à pas comptés sur la plage, – les retardataires rattrapant les autres en voletant – une promenade dont le but semble aussi obscur aux baigneurs qu’elles ne paraissent pas voir, que clairement déterminé pour leur esprit d’oiseaux13.

12L’épisode de la plage de Balbec s’impose donc au narrateur rolinien comme un fantasme originel affiné par chaque relecture de la Recherche. Dans Campagnes, le narrateur n’est plus seulement lecteur, mais s’identifie lui-même au narrateur proustien confronté à un groupe de « jeunes filles en fleurs » : dans une galerie d’art de Sarajevo, en 1993, se joue en effet une scène qualifiée de « fondatrice » (C., 87). Un groupe de jeunes Bosniaques gaies et sûres d’elles, « confusément conscientes du prestige qui émane de leur groupe » (C., 87), fait son apparition en compagnie d’un photographe de guerre que l’écrivain, au statut à première vue moins héroïque, ne manque pas d’envier aussitôt. Pour sa part, il s’estime « placé dans une position assez semblable à celle du narrateur lors de la première apparition de la “petite bande” sur la digue de Balbec » (C., 87), c’est-à-dire à l’écart, condamné à être un voyeur jaloux à défaut de pouvoir attirer l’attention du groupe qui s’avance ; à cela s’ajoute la rivalité masculine, que le narrateur considère avec distance comme une « volonté bien naturelle de prendre la place de l’autre » (C., 87), selon une conception très hobbesienne de la nature humaine. Cette scène initiale est bien fondatrice en ce qu’elle annonce une série de défaites amoureuses que subira au fil de Campagnes ce narrateur mi-Falstaff, mi-Caliban dont les jeunes filles de la digue de Sarajevo s’efforcent d’endiguer les pulsions coupables. L’écrivain d’âge mûr au regard libidineux se fait tout d’abord rappeler à l’ordre au cours d’un vernissage par Lejla, indignée de le voir « courtiser publiquement une gamine » (C., 106) de trente ans sa cadette, à savoir une jeune mannequin nommée Sejla. Conscient d’incarner le cliché du mâle prédateur, le narrateur se dépeint lui-même comme un « aigle qui vient de s’emparer d’une brebis » (C., 106) avec l’intention de la dévorer. La comparaison animale nous ramène à la figure du sauvage Caliban dont il était déjà question dans Traverses, paru un an avant Campagnes : les situations se répètent selon un schéma invariable où l’instinct de prédation est systématiquement désamorcé par une gent féminine inflexible, bien qu’indulgente. Dans la scène finale de Campagnes, qui scelle un échec définitif, le narrateur ne se trouve plus en Bosnie mais en Nouvelle-Zélande, où il a retrouvé pour une courte soirée Marijana, qui faisait partie de la « petite bande » de Sarajevo. L’alcool aidant, et par pur « réflexe » (C., 194), il tente un rapprochement aussitôt rejeté par la jeune femme, qui le dissuade d’un simple « “Oh ! Jean, don’t be stupid !” » (C., 194). Cette rebuffade amicale conclut le récit sur une note souriante, assimilant le narrateur à un sympathique Falstaff. La mise en scène des échecs du séducteur participe ainsi de la construction complexe d’une figure de voyageur prédateur qui finit, à force d’être suspect, par devenir lui-même une forme de victime ou de proie ; le mâle solitaire tend alors à se retrancher dans un mutisme anxieux à la limite de la paranoïa, interprétant certains signes comme une agression à l’encontre de son statut douteux, à l’image de la piscine « turbide » dans laquelle le narrateur de Savannah « hésit[e à [se tremper ». Devant la piscine, un écriteau précise « qu’il [est interdit de s’y baigner seul (“No solo swimming”, comme s’il s’agissait d’une pratique répréhensible et dégoûtante) » (S., 97). Ce que suggère ce détail symbolique, loin du cliché du mâle conquérant, c’est que l’activité solitaire, y compris l’activité viatique, a toujours un caractère anormal et suspect aux yeux de la société.

À bonne distance d’autrui : le modèle de la femme voyageuse

13Savannah témoigne plus largement d’un retournement des codes génériques par lequel le voyageur entre dans une spirale de méfiance, là où la voyageuse – Kate Barry, à qui est dédiée ce tombeau – se situe du côté de la confiance réciproque et de la conquête harmonieuse. Deux voyages se superposent dans Savannah : un premier voyage en duo, illuminé par la grâce de Kate, et un second voyage en solo effectué sept ans plus tard, soit en 2014, sur les traces du premier. Le narrateur revisite le souvenir du premier voyage à travers les séquences filmées par Kate, tout en relatant son propre parcours entièrement calqué, parfois jusqu’à l’absurde, sur le modèle d’origine.

14Ce récit alterné de deux voyages dans le Deep South américain révèle par contraste tout le talent de Kate pour aborder des inconnus, et laisse à penser que l’expérience et le savoir-faire du voyageur diffèrent considérablement en fonction du genre – idée notamment avancée par les gender studies14 pour montrer que les voyageuses ne sont prises au sérieux que lorsqu’elles souscrivent aux mêmes rites de passage que leurs homologues masculins. Dans Savannah, cette différence demeure effective, mais elle est inversée au détriment de la masculinité. Contre toute attente, c’est le savoir-faire de la voyageuse qui se révèle le plus opérant : le cliché du voyageur solitaire confiant et tourné vers l’altérité est fortement mis à mal par la comparaison des pratiques masculines et féminines. Telle que la décrit Jean Rolin, qui a revu et revécu l’intégralité du premier voyage à travers ce qu’en a filmé Kate Barry, la technique d’approche paradoxale de cette dernière consiste à ne filmer objets et personnes que de manière indirecte : elle filme de préférence les pieds de ceux à qui elle s’adresse. La captation d’image n’a rien alors d’une capture agressive, elle est bien au contraire un moyen de donner de l’importance à l’interlocuteur sans susciter la moindre gêne. La voyageuse parvient à se faire oublier derrière l’objectif de son appareil photo de manière à devenir quasiment transparente et à pouvoir aller vers autrui avec le plus grand naturel – à trouver, en somme, la bonne distance. Dépourvue de préjugés, de malveillance et donc d’appréhension, elle aborde facilement d’anciens combattants alcooliques ou des « types » à casquettes que le narrateur, pour sa part, serait plutôt tenté d’éviter. Dès le premier voyage, celui de 2007, il trouve Kate trop peu méfiante alors que

des groupes de gens, noirs pour la plupart, s’apostrophent assez bruyamment pour que l’on en retire l’impression qu’un sérieux différend les oppose. [Il] fai[t] à ce sujet une réflexion ironique, ou amère, puis [il] me[t] Kate en garde contre le risque qu’elle prend en filmant dans la rue, même très discrètement, des gens apparemment pris de boisson et enclins à chercher querelle. (S., 19)

15Le style très formel et la posture moralisatrice traduisent la raideur humaine d’un voyageur masculin sur le déclin, dans le sens où l’aigreur a fait place à la curiosité ; au contraire, ce sont la fraîcheur et la fluidité qui caractérisent la voyageuse dans ses rapports humains. Très conscient de sa tendance au repli sur soi, le narrateur ne cesse de la souligner pour mieux valoriser les qualités de Kate. Lors du second voyage, en 2014, cette tendance est encore plus marquée puisque le narrateur est désormais seul face au bloc étrange et inquiétant de l’altérité. Il raconte qu’il a pu observer, dans un défilé glauque entre un motel et une centrale électrique désaffectée,

un sans-abri, noir, âgé peut-être d’une trentaine d’années […]. Mais ce qui caractérisait surtout le petit homme, c’était qu’il progressait en ligne droite à une allure invariable, anormalement lente, le regard fixe, et qu’il émanait de toute sa personne une aura de démence et de solitude qui en d’autres circonstances aurait peut-être éveillé ma compassion, mais qui dans le contexte où je le rencontrai pour la première fois, au lever du jour, et dans le défilé, m’inspira surtout une appréhension très vive, irraisonnée, dont je ne pense pas qu’elle soit un sentiment très sympathique, ou très avouable, mais c’est ainsi. (S., 39-40)

16Un peu plus tard, le narrateur retourne à son motel « dans un taxi conduit par deux Noirs inamicaux et baraqués, coiffés de casquettes rigides » (S., 97), par lesquels il craint de se faire dépouiller. Ce narrateur qui avoue sa faiblesse et son anxiété dans des moments d’introspection lucide, comme l’avait déjà fait Nicolas Bouvier dans L’Usage du monde15, ne correspond que partiellement à la vision des écrivains voyageurs contemporains que propose Debbie Lisle : « Pour éviter l’ambigüité et la complexité de rencontres avec une altérité de genre et de race, [ils] se réfugient dans des aventures hyper-masculines en terre inconnue pour accomplir un « rite de passage » préfabriqué16. » Si Jean Rolin semble effectivement fuir dans Savannah les rencontres « complexes et ambiguës » avec des êtres marginaux, il ne se réfugie en revanche dans aucune forme d’aventure compensatoire. Il se contente d’enregistrer ses réactions et de livrer, à la manière d’un constat, son autoportrait de voyageur méfiant et grincheux. Il laisse à d’autres, comme Willy, le chauffeur de taxi, le soin de jouer les séducteurs : « Blagues de Willy, rires de Kate. » (S., 77) Cette phrase averbale aux airs de didascalie théâtrale révèle la position de spectateur dans laquelle se trouve le narrateur.

17Car la dynamique du voyage, dans Savannah, est entièrement du ressort de la voyageuse, et non du voyageur. Le désir impulsif de Kate est à l’origine du voyage lui-même et de tous les déplacements qui le composent, et lorsque Jean Rolin refait le même voyage, en 2014, il s’attache scrupuleusement à reproduire l’itinéraire de 2007, comme s’il craignait de trahir la mémoire de la défunte en prenant une initiative personnelle. Le programme qu’il s’est fixé consiste à « retrouver tous les lieux, sans considération de leur intérêt ou de leur accessibilité, par lesquels » ils sont passés en 2007 – la maison de Flannery O’Connor et le Best Value Inn à Milledgeville, un cimetière et un pub irlandais à Savannah, et ainsi de suite. S’abolissant dans la volonté de Kate, le voyageur n’est plus le maître de son propre mouvement, ce qui est une façon supplémentaire de contrevenir aux codes du voyage masculin. Il délègue la responsabilité du voyage à celle qu’il considère comme son alter ego, dans la mesure où elle partage son intérêt pour « les terrains vagues ou les friches portuaires ». Le goût des « zones » n’est donc pas l’apanage de la masculinité : en apercevant un porte-conteneurs, le narrateur de Savannah se remémore un autre voyage, encore plus ancien, qui l’a conduit à New York avec Kate.

[…] c’était elle, parce qu’elle éprouvait pour les lieux indécis, mouvants, la même attirance que moi, qui avait manifesté le désir de se rendre à Staten Island, dans le but d’y retrouver un cimetière de navires, en bordure d’un marécage, dont quelqu’un lui avait signalé l’existence. […] je revois Kate, armée de son appareil photo, montant à l’abordage d’un remorqueur en ruine, cependant que depuis la terre ferme nous lui enjoignons, l’ex-gendarme sénégalais et moi-même, de nous rejoindre au plus vite. (S., 35)

18En une forme de mea culpa, Savannah transforme ainsi radicalement le rapport entre les sexes qui prévalait dans les récits précédents de Jean Rolin : le désir, qui apparaissait comme unilatéral dans Traverses et Campagnes, repose désormais sur le partage d’une passion commune. La femme n’est plus un objet folklorique ou un expédient à l’ennui, elle fait désormais partie intégrante de la démarche ambulatoire et de ses directions hasardeuses. Elle passe du statut d’objet du regard à celui de sujet de la quête.

19 

20Jean Rolin met donc en question, bien plus qu’il ne le conforte, le « schéma masculin, rationnel et agressif » qui structure le voyage contemporain selon Debbie Lisle. Malgré des thèmes de prédilection a priori situés du côté d’une masculinité exacerbée, allant de pair avec une trame narrative invariablement jalonnée de scènes de séduction, la figure qui émerge est celle d’un voyageur contrit, embarrassé de cette masculinité qui tend à faire écran entre soi et autrui. Rejetant l’image idéalisée du voyageur au contact facile pour souligner la supériorité de l’approche féminine, Jean Rolin dévoile en somme l’illégitimité des codes du récit de voyage : ce genre littéraire s’est paradoxalement construit sur le modèle du genre masculin, alors même que le mâle solitaire n’est pas toujours le plus adroit dans l’art d’aborder autrui. Cette œuvre aux accents très proustiens propose in fine une vaste méditation sur le voyage comme géométrie du désir et comme déchiffrement des signes.

Notes de bas de page numériques

1 Jean Rolin, Journal de Gand aux Aléoutiennes, Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs », 1995, p. 23.

2 Debbie Lisle, The Global Politics of Contemporary Travel Writing, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 95 : « The public persona of the travel writer is empowered by a masculine, rational and aggressive organising scheme that succeeds to the extent that it writes over feminine characteristics in the self and in others. »

3 Debbie Lisle, « Gender at a Distance. Identity, Performance and Contemporary Travel Writing », International Feminist Journal of Politics, vol. 1, n° 1, 1999, p. 66-88 : « traditional notions of gender are one of the most powerful mechanisms of difference used to bolster the familiar/foreign landscape of contemporary travelogues » (p. 68) ; « travelogues are about colonizing and commanding the unfamiliar, and rendering it understandable through the sanctioned codes of what Butler calls the ‘hegemonic signifying economy of the masculine’«  (p. 70).

4 Jean Rolin, Savannah, Paris, P.O.L, 2015, p. 49. On renverra désormais à cet ouvrage au moyen de l’abréviation S.

5 Voir Olivier Hambursin (dir.), Récits du dernier siècle des voyages. De Victor Segalen à Nicolas Bouvier, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, coll. « Imago Mundi », 2005.

6 Debbie Lisle, « Gender at a Distance », op. cit., p. 72.

7 Jean Rolin, La Clôture, Paris, P.O.L, 2002, p. 11.

8 Jean Rolin, La Clôture, p. 111.

9 Jean Rolin, L’Explosion de la durite, Paris, [P.O.L, 2007], Gallimard, coll. « Folio », 2008. On renverra désormais à cet ouvrage au moyen de l’abréviation ED.

10 Voir Debbie Lisle, « Gender at a Distance », op. cit., p. 67 : « stereotypical conceptions of gender are used to tame the threat of different and exotic places. »

11 Jean Rolin, Journal de Gand aux Aléoutiennes, op. cit., p. 23.

12 Jean Rolin, Traverses, Paris, Nil Éditions, 1999, p. 16. On renverra désormais à cet ouvrage au moyen de l’abréviation T.

13 Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, dans À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. 2, 1988, p. 146.

14 Voir Tim Youngs, The Cambridge introduction to travel writing, Cambridge, Cambridge University Press, 2013. Le chapitre 9, « Gender and Sexuality », aborde l’idée qu’un voyageur homme n’aura pas le même genre d’expérience qu’une voyageuse de sexe féminin. On retrouve cette idée chez Debbie Lisle : « [Women must become ‘honorary men’ in order to be recognised within a genre that is shaped so powerfully by a discourse of masculinity. » (« Gender at a Distance », op. cit., p. 98).

15 « Il est temps de faire ici un peu de place à la peur. En voyage, il y a ainsi des moments où elle survient, et le pain qu’on mâchait reste en travers de la gorge. […] La moitié au moins de ces malaises sont – on le comprend plus tard – une levée de l’instinct contre un danger sérieux. » (Nicolas Bouvier, L’Usage du monde, dans Œuvres, Paris, Gallimard, 2004, p. 155).

16 Debbie Lisle, The Global Politics of Contemporary Travel Writing, op. cit. : « To avoid complex and ambiguous encounters with racial and gendered others, [they] ressort to hyper-masculine adventures in foreign lands to fulfil a predestined ‘rite-of-passage’. »

Pour citer cet article

Liouba Bischoff-Kompanietz, « Voyage et masculinité dans l’œuvre de Jean Rolin  », paru dans Loxias, 65., mis en ligne le 09 juin 2019, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=9195.


Auteurs

Liouba Bischoff-Kompanietz

Normalienne et agrégée de lettres modernes, Liouba Bischoff a soutenu une thèse sur l’œuvre de Nicolas Bouvier (Nicolas Bouvier ou l’usage du savoir) et publié une étude de L’Usage du monde (éditions Atlande). Elle s’intéresse plus généralement aux récits de voyage des XXe et XXIe siècles (Michaux, Pestelli, Chatwin, Rolin) et aux rapports entre littérature et sciences humaines.

Université Lyon III – Université de Lausanne