Loxias | 64. De seuil en seuil: Paul Celan entre les langues et entre les arts | I. De seuil en seuil: Paul Celan entre les langues et entre les arts 

Aurélie Moioli  : 

Le deuil de l’original. Nerval, Celan et les traducteurs « im Flor »

Résumé

Cet article porte sur la traduction du français et en français de Paul Celan, en amont et en aval de l’œuvre. Fait d’écart, de disjonction et de recréation, l’acte de traduire – pour Celan comme pour ses traducteurs – se pense comme une accentuation du deuil. L’attention portée à la traduction au sein du geste poétique permet de sortir le poème de sa solitude, de le lire en réseau avec d’autres écrivains (Nerval et Jean Paul) et dans la pluralité de ses traductions.

Index

Mots-clés : Celan (Paul) , intertextualité, Jean Paul, Nerval (Gérard de), traduction

Plan

Texte intégral

In Mundhöhe, fühlbar :
Finstergewächs
.

À hauteur de bouche, perceptible :
Excroissance ténèbre.
(Jean-Pierre Lefebvre)

Palpable, à hauteur de bouche :
la pousse de ténèbres.
(Martine Broda)1

Paul Celan est un poète traducteur. Il suffit de rappeler que deux des sept volumes de l’œuvre complète (publiée aux éditions Suhrkamp) sont consacrés aux traductions, dont un uniquement aux traductions en français, pour prendre la mesure du rôle essentiel de la traduction dans son œuvre. « Fremde Nähe2 », proximité étrangère ou lointaine : tel est le titre oxymorique que le poète plurilingue envisageait de donner aux volumes rassemblant ses traductions et qui met en lumière le double aspect de la traduction. L’expérience du traducteur imprègne tant et si bien l’œuvre poétique qu’il est difficile de séparer ces deux manières d’écrire. Alexis Nouss qui a montré que l’œuvre de Celan est traversée de multiples déplacements linguistiques écrit ainsi à propos du poète : « Sa langue provient d’un ailleurs. Il traduisit les autres comme il se traduisit lui-même et comme il traduisit ce qui se refusait au dire. Poésie et traduction forment une seule écriture3 ». Une telle œuvre poétique constitue aussi un véritable défi pour le traducteur, comme l’a notamment montré l’étude d’Evelyn Dueck portant sur les traductions françaises de l’œuvre4.

En mêlant herméneutique, étude intertextuelle et comparaison de traductions, nous nous attachons ici à la traduction du français et en français de Paul Celan : à la traduction que le poète fit de Gérard de Nerval et aux traductions en français qui ont été données de certains poèmes de Paul Celan, « Psalm » [« Psaume »] et « Ich bin allein » [« Je suis seul »]. Il s’agit de considérer la traduction comme partie intégrante de l’œuvre poétique, de voir comment l’acte de traduire transforme le poème et comment le poème original appelle son « Schwestermund » [sa « bouche sœur »] comme le suggère le poème « Ich bin allein ». Nous étudierons la traduction en amont, en aval et au cœur du poème. Nous mettrons l’accent sur le rapport entre Nerval et Celan qui a été peu étudié dans les publications en français5.

La traduction chez Celan apparaît comme un geste poétique d’accentuation du deuil. Qu’il s’agisse du poète lui-même ou de ses traducteurs, celui qui traduit apparaît « im Flor », c’est-à-dire à la fois dans « l’efflorescence » et dans le « deuil » de l’original, au cœur de sa négativité et dans un écart fécond par rapport à lui. Nous donnons un double sens à l’expression deuil de l’original. D’une part, Celan, quand il est traducteur, accentue la thématique et les images du deuil du poème qu’il traduit : le deuil des poèmes originaux est pour lui un objet de fascination et d’appropriation poétique. D’autre part, le deuil de l’original est une formule qui s’applique aussi au geste même de Celan traducteur, dans la mesure où quand Celan traduit, il fait le deuil du texte original qu’il faudrait préserver intégralement selon la doxa traductologique de la fidélité car il fait de la traduction une opération de « survie », de recréation et d’infléchissement de l’original.

Nous étudierons la traduction des poèmes de Nerval par Celan et la manière dont elle rejaillit dans le poème « Psalm » [« Psaume »]. Puis nous évoquerons les choix des traducteurs de Celan qui assurent différentes formes de « survie » [« fortleben »] au poème. Il s’agit de lire Celan en rapport avec ses interlocuteurs privilégiés : les poètes Nerval et Jean Paul et les traducteurs Martine Broda, Valérie Briet et Jean-Pierre Lefebvre. Ce parcours des traducteurs explorant le deuil sera ponctué par plusieurs mots composés de Celan qui sont des néologismes, des trouvailles poétiques forgées par la traduction : « trostverwaist », « Gräberfern », « himmelswüst ». À l’échelle de la morphologie comme à l’échelle sémantique, ces trois chimères poétiques qui expriment la désolation figurent la présence des autres dans la poétique propre de Paul Celan. Elles sont l’indice que l’invention poétique croît dans les ténèbres de la traduction – à l’image de cet autre mot composé de Celan « Finstergewächs », « la pousse de ténèbres », « excroissance ténèbre »6.

Celan traducteur de Nerval

Nerval fait partie des poètes que Celan traduit pendant la première période d’intense traduction à laquelle il se consacre de 1957 à 1960. Celan traduit « El Desdichado » le 30 juillet 1957 (en même temps que « Le Bateau ivre » de Rimbaud) et « Les Cydalises » le 30 octobre 1957 (en même temps que « Prière » d’Antonin Artaud)7. Les deux poèmes sont publiés pour la première fois en 1958 dans des revues : le célèbre sonnet dans la revue Akzente en accompagnement d’un article de Horst Rüdiger sur l’art de traduire (Über das Übersetzens von Dichtung) et « Die Cydalisen » dans la revue Neue Rundschau où le poème est inséré après le célèbre Discours de Brême dans lequel Celan définit sa poésie comme hospitalité et mouvement vers autrui : le poème « en chemin […] me[t] un cap. Sur quoi ? sur quelque chose qui se tient ouvert, disponible, sur un Tu, peut-être, un Tu à qui parler8 ». La même année, ces deux poèmes ouvrent l’anthologie bilingue de la poésie française « de Nerval à nos jours » composée par Flora Klee-Palyi qui a incité Celan à traduire « Les Cydalises »9. Celan avait le projet de constituer sa propre anthologie de poésie française et il envisageait de traduire Les Chimères de Nerval : outre les poèmes publiés, il a également traduit le deuxième quatrain de « Myrtho » et le premier sonnet du « Christ aux oliviers »10. Dès le départ, la traduction de « El Desdichado » et des « Cydalises » est donc en relation avec d’autres poèmes et avec d’autres auteurs. Aux textes de Rimbaud et d’Artaud, il faut ajouter « La mort des pauvres » (Baudelaire), « Nausée ou C’est la mort qui vient » (Michaux), « Et s’il revenait un jour » (Maeterlinck), « Airs » (Supervielle), « L’épitaphe » et « The Night of Loveless Nights » (Desnos) et « He wishes for the Cloths of Heaven » (Yeats) qui sont traduits à la même époque. C’est une constellation poétique rassemblée autour de la question de la mort qui se dessine11.

La question que poursuit Paul Celan dans les traductions qu’il entreprend à cette époque est la question du deuil en poésie. La biographie éclaire aussi bien sûr ce choix : Paul Celan a perdu ses parents en 1942 dans le camp de Michailovka en Ukraine, son père meurt du typhus et sa mère est probablement exécutée d’une balle dans la tête. La célèbre « Todesfuge » [« Fugue de mort »] de 1945 articule le deuil intime et le deuil historique. Outre le contexte, le sujet même des poèmes de Nerval traduits par Celan est le deuil des êtres chers. En effet, la perte de la femme aimée chantée par le poète au « luth constellé » dans « El Desdichado » résonne aussi dans les « Cydalises ».

Nous verrons que Celan, en traduisant, reprend et approfondit le deuil évoqué par les poèmes de Nerval. La traduction fonctionne comme un laboratoire poétique du deuil qui prend trois formes : deuil des femmes aimées, de Dieu et de soi. Elle est l’occasion pour le poète qu’est Celan de travailler des images et des formules du deuil. Lorsqu’il traduit Nerval, il s’écarte parfois sensiblement de l’original. Nous verrons qu’il infléchit le deuil de l’original, le deuil tel qu’il est mis en scène dans l’original nervalien : l’interprétation prend part à sa traduction.

Les spécialistes de Celan ont souligné le caractère fécond du décalage dans la poétique traductive de l’auteur, à l’instar de Ute Harbusch qui propose l’expression de « contre-traduction » [Gegenübersetzung] dans laquelle s’entend l’écho du « Gegenwort » de Celan, de cette « contre-parole » qui fait coïncider les deux sens contradictoires de contre, opposition et proximité12. Mais l’écart est parfois tel que les poèmes ne sont pas considérés par la critique comme des traductions à proprement parler. C’est le cas de « El Desdichado » ainsi que de plusieurs poèmes traduits entre 1957 et 1960 : « certaines de ces traductions s’éloignent de l’original tant du point de vue de la forme que, parfois aussi, du point de vue du sens13 », souligne Florence Pennone au seuil de son ouvrage consacré aux traductions de la poésie française par Celan. Ces textes dont la qualité poétique a souvent frappé les lecteurs posent problème à la critique à cause de leur nature double. Ni tout à fait traduction, ni tout à fait création propre, ils appartiennent à une zone trouble de l’autorité où le propre et l’autre s’entremêlent, où traduction et écriture se confondent.

Le décalage par rapport à l’original n’est pas propre aux traductions de poèmes en français. Claire De Oliveira a fait de la « disjonction » et de l’« inversion » les deux maîtres mots de la poétique traductive de Celan, en prolongeant le travail que Peter Szondi avait effectué sur les sonnets traduits de Shakespeare qui révélait le « parti-pris » d’un traducteur qui était aussi un interprète. « Chez Celan, l’interprétation préalable prend le pas sur le transcodage14 » et ce geste vaut pour les langues peu maîtrisées par Celan (roumain, portugais, italien) avec lesquelles il prend des libertés autant que pour les langues qui lui sont plus familières (anglais, russe, français). Autrement dit, la traduction apparaît comme une forme de commentaire et de recréation qui rend visible et lisible le poète-traducteur : Celan « marque la traduction de son sceau pour démentir l’invisibilité du traducteur ». Claire De Oliveira interprète les écarts de Celan par rapport à l’original comme le prolongement de la théorie de l’« accentuation » formulée par Antoine Berman dans L’Épreuve de l’étranger :

[Celan] délaisse la littéralité au profit de l’accentuation […], à savoir l’opération par laquelle la traduction rend l’original différemment lisible afin d’avoir une densité textuelle équivalente. Forgé à propos des traductions de Sophocle par Hölderlin, le concept de l’accentuation sert à analyser les écarts énigmatiques de la transposition qui, au risque de désorienter, grossit un trait du texte délibérément choisi par le traducteur, dont le libre-arbitre est mis en avant15.

L’hypothèse de l’accentuation est féconde pour lire les traductions de « El Desdichado » et « Les Cydalises ». Paul Celan accentue le deuil des poèmes de Nerval (au double sens du génitif) en augmentant les images du deuil présentes dans le poème original et en rendant visible ses écarts par rapport au poème nervalien dans des formules poétiques singulières. En effet, il intensifie la négativité des poèmes nervaliens et met en crise la sublimation poétique. D’autre part, il donne des inflexions personnelles au deuil, en particulier au « tombeau » [Grab] qui devient une image centrale dans les deux traductions et qui lui permet de creuser [graben, en allemand] sa propre voix poétique. Nous évoquerons notamment deux mots composés, deux néologismes celaniens, qui relèvent de l’accentuation et de l’infléchissement du deuil nervalien : « Trostverwaist » et « Gräberfern », deux trouvailles poétiques qui suggèrent, jusque dans leur morphologie, la fusion de l’écriture poétique singulière et de la pratique de la traduction.

La traduction de « El Desdichado » par Celan a été peu commentée, à l’exception notable de l’article de Michael Jakob (datant de 1990) que nous traduisons ici en partie et auquel nous donnons quelques prolongements16.

El Desdichado

Je suis le ténébreux, – le veuf, – l’inconsolé,
Le prince d’Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du tombeau, toi qui m’as consolé
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s’allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?...Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;
J’ai rêvé dans la grotte où nage la syrène…

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.

El Desdichado

Ich bin der Immerdüstre, der Witwer trostverwaist,
Der Aquitanenfürst vom Turm, der nicht mehr steht :
Des Sternenlosen Laute, mit Sternen übersät,
Sie trägt die Schwermutssonne, die schwarze, die da kreist.

Gib, die du Trost gewußt, der Nacht in meinem Grab
Den Posilip, zurück, gib ihr Italiens Meer,
Der Wein- und Rosenlaube, weis ihr den Weg hierher,
Die meinem Gram geleuchtet, die Blume reich herab.

Wer bin ich ? Eros ? Phoibos ? Sag : Biron ? Lusignan ?
Noch glüht mir auf der Stirne der Kuß der Königin ;
Wo die Sirenen schwimmen, da traümte ich und sann.

Den Acheron durchquert ich – zweimal durchquert ich ihn,
Auf Orpheus’ Leier spielend – ich spielte zweierlei:
Es war der Heilgen Seufzer, es war der Feenschrei
17.

« Trostverwaist » : quand le veuf devient orphelin

Parmi les écarts du poète-traducteur qui accentuent le deuil dans ce sonnet, le plus saisissant est sans doute l’ajout de la mort de la mère – absente de l’original. C’est dans « trostverwaist » que le fantôme maternel apparaît. Ce néologisme de Celan traduit « l’inconsolé » de Nerval. Littéralement, le mot composé de Trost et du participe passé de verwaisen signifie « être déserté, vidé par la consolation ». Mais le verbe verwaisen signifie aussi « devenir orphelin » et il fait entendre der Waise, « l’orphelin ». Lorsque Celan traduit Nerval, « le veuf », « l’inconsolé » est « veuf » [Witwer] et « orphelin ». Le « je » traduit est doublement « inconsolé » car en traduction la perte de l’épouse se réverbère dans la perte de la mère.

Michael Jakob a souligné que la forme poétique du sonnet est étroitement associée au souvenir de la mère chez Celan. Les deux seuls sonnets que Celan a composés lui-même sont des poèmes de jeunesse écrits à l’occasion de la fête des mères. Après l’assassinat de sa mère par les nazis, la forme sonnet devient impossible et ne sera plus tolérée que dans la traduction (de Shakespeare, Desnos, Baudelaire)18. Il est aussi frappant de noter l’originalité de la forme traduite. En effet, le vers n’est pas uniforme : Celan alterne les alexandrins et les Nibelungenverse alors qu’en général, entre 1957 et 1960, il traduit toujours l’alexandrin français par des Nibelungenverse qui deviendront un trait stylistique du traducteur19. L’hétérométrie nous apparaît comme une autre manière d’inscrire le deuil de la mère en rendant visible et audible une perte, une discordance, un décalage dans la forme poétique qui fut dédiée à celle qui n’est plus. Désarticuler l’alexandrin, voilà une autre manière de formuler l’impossible de la forme sonnet et d’infléchir le deuil de l’original.

Deuil et langue étrangère 

Celan conserve le titre original qui inscrit la langue étrangère au seuil du poème : « El desdichado », le malheureux en espagnol. L’autoportrait de l’endeuillé passe par une autre langue, l’espagnol, à laquelle s’ajoute le français traduit en allemand pour Celan. Le geste même de la traduction est inscrit dans les deux langues convoquées par Nerval : le sonnet peut apparaître comme la traduction du titre : au sens restreint (passage d’une langue à l’autre, de l’espagnol au français) et au sens large (transposition, commentaire, amplification).

La traduction en allemand de Paul Celan redouble l’endeuillement du sujet lyrique. Outre le deuil de la mère, Paul Celan transforme l’original en modifiant le statut du sujet lyrique dans sa traduction. En effet, passé au tamis d’une troisième langue (l’allemand), le « je » s’amenuise, tend à disparaître, il se trouve envahi et encerclé de nuit, comme mort, et non pas « vainqueur », à la différence de l’original.

En traduisant Nerval, Celan creuse le tombeau du sujet lyrique. « Dans la nuit du tombeau » devient « à la nuit dans mon tombeau » [« der Nacht in meinem Grab »]20. Alors que la nuit devient personnage, prenant chair et vie par la situation illocutoire, la première personne du singulier ne ressurgit que pour s’enterrer. La traduction enlève à l’original l’indétermination du « tombeau » (qui pouvait être celui de l’étoile ou celui du « je ») en en faisant l’attribut ou le lieu même du sujet lyrique. Or c’est la première apparition en allemand du possessif : « mein » car Celan a supprimé les possessifs de la strophe précédente, « mon luth » et « mon étoile », et avec eux, l’instrument et la muse du poète. En traduction, au cinquième vers, la seule possession du poète est « mon tombeau » [meinem Grab]. Vient ensuite « meinem Gram » qui traduit en allemand « mon cœur désolé ». Gram [affliction] est un terme rare en allemand. Il a ici le double intérêt de résonner par paronomase avec Grab et de faire entendre gramma, la lettre en grec. Par le biais d’un jeu translinguistique, la traduction associe le deuil de soi [Grab, tombe] à la lettre écrite [gramma, lettre], forgeant une sorte d’inscription funéraire plurilingue. Grab, Gram, gramma : le poète traducteur signe ainsi le poème comme on grave les lettres sur une pierre tombale.

Outre l’accentuation de meinem Grab/Gram qui s’éloigne de l’original, les choix de traduction de Celan infléchissent le sonnet dans le sens d’un effacement et d’un affaiblissement du « je » qui s’enlise dans la mélancolie. Dès le premier trait du poète, la négativité est accentuée par le traducteur : « le ténébreux » devient « der Immerdüstre ». L’imaginaire médiéval et la référence à la figure héroïque d’Amadis de Gaule se perdent dans la traduction qui insiste sur la durée et sur le caractère irrévocable de la mélancolie (immer, toujours, düster, sombre, morne, lugubre, sinistre). Le néologisme de Celan intensifie et intériorise l’obscurité avec l’adverbe, à l’inverse d’autres traductions, par exemple celle de Manfred Krüger qui traduit : « Ich bin der Dunkle21 » (je suis l’obscur). Dunkel renvoie à la couleur sombre tandis que düster allie la dimension chromatique au portrait moral. Le choix de l’adjectif düster par Celan renvoie à la grisaille de la mélancolie, à une obscurité tout intérieure, annonçant déjà le vers 4 et inscrivant donc l’obscurité dans la durée même du poème. C’est bien à la « traversée de la négation », à la « traversée d’un état mélancolique qui dure22 » qu’invite la traduction celanienne.

La traduction de Celan réduit voire supprime le je en faisant disparaître les possessifs : « ma seule étoile », « mon luth » disparaissent dans l’expression « Des Sternenlosen Laute ». Le « je » est dépossédé de son instrument qui n’a plus besoin de sujet lyrique pour faire entendre sa musique. Dans le deuxième quatrain, le « je » s’efface au profit d’un « tu » dont l’action est mise en relief par les impératifs qui ne sont pas associés au pronom « moi » (contrairement à l’original) : « gib », « gib », « weis ». Il faut ajouter que « la nuit » prend le pas sur le sujet lyrique et devient la destinataire de l’impératif : « Rends-moi le Pausilippe » devient « Gib […] der Nacht in meinem Grab » (Donne à la nuit dans mon tombeau le Pausilippe). Enterré, le « je » ne sort plus de son tombeau dans les tercets qui accentuent la traversée de la négation sans proposer de relève du « je ». Alors que Nerval joue de la mutabilité des figures qui sont autant d’avatars du poète (« Suis-je Amour ou Phébus ? »), son traducteur jette un doute quant à l’existence même du « je » : « Wer bin ich ? Eros ? Phoibos ? » (Qui suis-je ? Eros ? Phébus ?).

La crise de la sublimation poétique

Dans la traduction de Celan, le deuil et l’effacement du « je » sont étroitement liés à la crise de la sublimation poétique. Du début à la fin du poème traduit par Celan, le « je » est enlisé dans le cercle de la mélancolie alors que dans le sonnet nervalien, il finit par en sortir « vainqueur ». Cette crise s’énonce dans le quatrain final mais elle est aussi préparée dans le premier quatrain par le fait que le traducteur Celan désarticule les métaphores de l’original.

On se souvient que le poète perd ses attributs en traduction : son instrument et sa muse (« mon luth » et « mon étoile »). Le » je » traduit par Celan perd ses moyens. De plus, la traduction du premier quatrain effectue une réduction de la métaphorisation nervalienne. En témoigne le choix de Celan d’intégrer des propositions relatives explicatives dans les vers 2 et 4 : « à la tour abolie » devient « vom Turm, der nicht mehr steht » (à la tour qui n’est plus là, qui ne tient plus debout) et le « Soleil noir de la Mélancolie » devient « die Schwermutssonne, die schwarze, die da kreist » (le soleil de la mélancolie, le noir, qui tourne là en rond). La relative détruit la force poétique de l’original, en particulier dans le deuxième cas où le traducteur décrit le mouvement concret et mécanique des astres23. M. Jakob voit dans l’ajout du verbe kreisen le déploiement d’une image récurrente chez Celan, le cercle qui figure la temporalité négative propre à la mélancolie et se retrouve, un an plus tard, dans le poème « Engführung » (« Strette », 1958). Le verbe kreisen clôt le premier quatrain sur l’idée d’un état qui dure, qui ne passe pas, qui n’est ni transformé ni sublimé. D’autre part, le choix de traduire « Mélancolie » par « Schwermut » (littéralement, courage lourd, grave, pénible) au lieu de « Melancholie » est le signe d’un refus de l’allusion directe à la gravure de Dürer (Melencolia I) et d’un refus de la métaphorisation nervalienne24. Ce qui nous frappe, c’est que la traduction réduit et sépare les symboles existants, elle désarticule le syntagme harmonieux « Soleil noir de la Mélancolie » en trois groupes rythmiques et syntaxiques : « die Schwermutssonne, die schwarze, die da kreist ». Le célèbre symbole est ainsi malmené par cette désarticulation de la traduction qui introduit de la disjonction dans l’original.

La crise mélancolique évoquée en traduction dans l’image du cercle se poursuit dans le quatrain final qui infléchit le sens de l’original. Alors que le sonnet de Nerval décrit la victoire finale du sujet lyrique dans une relève du chant poétique traversé de plusieurs voix féminines, la traduction de Celan fait le portrait d’un poète vaincu qui ne sort pas de l’Achéron25. En traduction, la double traversée de l’Achéron est exprimée par l’adverbe et par la répétition de la phrase : « Den Acheron durchquert ich – zweimal durchquert ich ihn » (L’Achéron, je l’ai traversé – deux fois, je l’ai traversé). La traduction redouble l’original et ce geste nous apparaît comme le signe d’un creusement, c’est-à-dire approfondissement et évidement de l’original conduisant à sa métamorphose. En effet, le mot « vainqueur » disparaît dans la traduction. À sa place (rythmique et graphique), un tiret lisible comme un signe négatif. Est-ce un vide ? Est-ce l’indice d’un bégaiement du poème qui à cet endroit brise la voix, coupe le souffle ? Le tiret est redoublé dans le vers suivant. Le rythme de la traduction défait ainsi l’harmonie de l’original.

Celan traduit le verbe traverser par durchqueren au lieu de überqueren : le poète met ainsi l’accent sur l’action même, sur le mouvement de la traversée (passer durch, à travers) au lieu de souligner le résultat de l’action (le franchissement, le dépassement du fleuve qu’indiquerait la préposition über)26. De plus, dans la traduction, le « ich » (je) est cerné par les eaux funestes : Celan invente un chiasme par lequel l’Achéron (repris dans le complément d’objet ihn) à chaque extrémité du vers embrasse le « ich » (je) dont les possibilités de circulation sont réduites27. Le sujet lyrique semble bien vaincu, entouré, encadré par le fleuve infernal du deuil qu’il traverse sans pourtant en sortir. La traversée du fleuve est un enlisement plus qu’une sortie. Les répétitions, le bégaiement et le chiasme rappellent le cercle dans lequel tournait la « Schwermut » dans le premier quatrain. Les figures de la circularité entravent la relève poétique.

Loin de sortir « vainqueur » de la mélancolie par la sublimation poétique, le sujet lyrique en traduction creuse son tombeau et approfondit son deuil. M. Jakob interprète ces multiples écarts par rapport à l’original comme le signe d’une interrogation profonde sur la possibilité de la poésie, du chant et du « je » poétique que l’œuvre de Celan ne cesse de poser. Il s’intéresse à l’expression « ich spielte zweierlei » (j’ai joué de deux sortes, de deux manières) qui éclaire la poétique traductive de Celan dans ce sonnet. Le dernier tercet est organisé selon lui par le motif du « deux » (« zwei ») que la traduction redouble et augmente par ses répétitions verbales (durchqueren, spielen), pronominales (ich), adverbiales (le mot zwei apparaît dans zweimal et zweierlei), graphiques (le tiret) et syntaxiques (le chiasme et le parallélisme final). Le parallélisme de construction final accentue en allemand l’idée de contraste entre les « cris » et les « soupirs » au lieu d’évoquer le lien ou la complémentarité suggérée par le « et » de l’original. On pourrait lire le tercet final comme la vignette métapoétique de la traduction comme chant poétique à deux voix (Nerval, Celan), produisant deux directions et deux musiques qui contrastent l’une avec l’autre.

On voit comment la traduction du poème de Nerval est un travail poétique du négatif pour Celan, une manière d’explorer et d’approfondir le deuil de l’original. Dans « El Desdichado », le poète-traducteur creuse un tombeau pour soi et pour la défunte mère. La métamorphose de l’original fait apparaître des traits et des questions propres à la poétique celanienne telles la disjonction, la répétition, la brisure rythmique, la désarticulation poétique des figures existantes, la réflexion sur la possibilité même de la parole, de la figure et du sujet lyrique. La formule « trostverwaist » est un bon exemple du travail du traducteur-poète : Celan invente un mot composé qui représente un écart sémantique et formel par rapport à « l’inconsolé » original. L’orphelin de la consolation transfigure l’original tout en signant la traduction d’une plume de poète. On sait la fortune des mots composés dans l’œuvre poétique de Celan, qui mettent si souvent à l’épreuve ses traducteurs. La traduction de Nerval offre une trouvaille poétique qui donne une formule originale au vide qui habite le poète endeuillé. Creuser, travailler le vide pour se maintenir, c’est bien ce à quoi s’attachent les poèmes de Celan.

Stehen, im Schatten
des Wundenmals in der Luft
.

Rester là, tenir, dans l’ombre
de la cicatrice en l’air28.

« Gräberfern » : l’impossible deuil dans « Les Cydalises »

L’autre poème de Nerval que Celan traduit en entier fait également surgir la figure du tombeau. De nouveau, la traduction de Celan est faite de décalages (qui sont cependant moins grands que dans « El Desdichado »). Il s’agit du traitement réservé au « tombeau » ainsi qu’aux pronoms personnels et donc à la relation entre « je » et « tu », entre le vif et le mort.

Où sont nos amoureuses ?
Elles sont au tombeau :
Elles sont plus heureuses
Dans un séjour plus beau.

Elles sont près des anges,
Dans le fond du ciel bleu,
Et chantent les louanges
De la Mère de Dieu !

Ô blanche fiancée !
Ô jeune vierge en fleur !
Amante délaissée,
Que flétrit la douleur :

L’éternité profonde
Souriait dans vos yeux…
Flambeaux éteints du monde
Rallumez-vous aux cieux !

Die liebenden Geliebten,
wo sind sie? Gräberfern.
Sie sind die Seligeren,
sie wohnen gut und gern.

Sie sind in Engelsnähe,
ihr Haus – im tiefsten Blau,
sie singen Lob und Preisung
Unsrer Lieben Frau.

O Bleiche, mir Verlobte!
O Jungfrau kaum erblüht!
Ich ließ dich deiner Liebe,
am Schmerz bist du verglüht!

O Ewigkeit, o tiefe,
die aus dem Aug dir sprach.
O Fackel Welt, erloschen –
im Himmel neu entfacht!
29

À la manière de « trostverwaist » (orphelin de la consolation), c’est encore un mot composé – Gräberfern – qui condense l’originalité du geste du traducteur-poète qu’est Celan : la trouvaille poétique se niche au cœur de l’inversion de l’original, au cœur de la traduction disjonctive. Comme dans « trostverwaist », le mot composé évoque le deuil. Alors que le deuxième vers de Nerval localise les amantes défuntes « au tombeau », le traducteur qu’est Celan vide les tombes : les Cydalises sont « Gräberfern », loin (fern) des tombeaux (Gräber). À première lecture, ce néologisme de Celan dit le contraire de l’original : « elles sont au tombeau ». L’intervention du traducteur est le signe de « la dissolution de la tradition du tombeau » (M. Jakob)30. Celan mettrait ainsi en crise la possibilité même de consacrer un tombeau littéraire aux êtres chers dont la disparition, loin d’être sublimée dans l’espace du poème, continuerait à hanter l’écriture. Il y aurait ici l’indice d’une traduction et d’une poétique d’après Auschwitz qui prennent acte de l’impossibilité du tombeau. Rappelons que dans « Todesfuge », les victimes « creus[ent] dans le ciel une tombe où l’on n’est pas serré » [« wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng »]31.

À la seconde lecture, on voit que Celan par l’inversion retrouve le sens du poème original. En effet, le poème de Nerval déplace constamment le lieu où se trouvent « nos amoureuses », les transformant en êtres évanescents qui flottent de lieu en lieu, passant du « tombeau » « dans un séjour plus beau » puis « près des anges, / Dans le fond du ciel bleu » et finalement jusqu’aux « cieux ». Reprenant l’idée de l’immortalité de l’âme, le deuxième vers dit deux choses contradictoires en même temps : les défuntes sont au tombeau et elles n’y sont pas. C’est aussi l’idée que traduit Celan dans « Sie sind die Seligeren » pour l’expression : « elles sont plus heureuses ». L’expression allemande est polysémique : die Seligeren est une expression très spécifique qui peut désigner à la fois les bienheureuses et les épouses mortes. L’ambivalence du bonheur et du malheur, de la vie et de la mort, présente dans le poème nervalien ressurgit dans la traduction de Celan à travers un lexique choisi qui dramatise les paradoxes de l’original.

D’autre part, la traduction de Celan fait apparaître plus fortement la relation qui unit le « je » au « tu ». L’expression choisie par Celan pour traduire « nos amoureuses » met l’accent sur le couple (au lieu de se concentrer sur la figure féminine) et sur la réciprocité de l’amour, sur le fait d’aimer et d’être aimé : « die liebenden Geliebten » signifie littéralement : les aimées aimant32. Le poème traduit utilise trois pronoms désignant l’interlocuteur (du, dich, dir) suggérés par l’original et il fait surgir le « je » qui est absent de l’original aux vers 9 et 11 (mir, Ich). La traduction de Nerval accentue ici l’adresse à un « tu » aimé qui a disparu.

La traduction des « Cydalises » et de « El Desdichado » par Celan donne un relief et parfois un sens nouveau au deuil et à la situation d’interlocution que déploient les poèmes. La traduction des poèmes nervaliens est l’occasion pour Celan d’approfondir et d’explorer les formules d’un deuil impossible condensé dans ces deux mots composés : trostverwaist, Gräberfern.

Vers la mort de Dieu

Si Nerval intéresse Celan, c’est aussi peut-être parce que l’œuvre de Nerval donne forme poétique au désespoir religieux et qu’elle interroge l’existence de Dieu sous ses divers noms et avatars, en particulier dans les Chimères et Aurélia, deux œuvres qui ont retenu l’attention du traducteur33. C’est l’hypothèse qu’on peut formuler à partir des deux poèmes de Nerval que Celan a traduits partiellement : « Myrtho » dont Celan a traduit le deuxième quatrain et « Le Christ aux oliviers » dont il a traduit le premier sonnet. Les deux poèmes ont en commun de représenter le sujet lyrique en prière et d’adresser le poème à un dieu. À l’échelle de l’énoncé et de l’énonciation, ils évoquent la relation du « je » au « tu » divin. Par ailleurs, les deux poèmes réalisent la fusion du paganisme et du christianisme et s’ouvrent sur une possible renaissance après la destruction, à la faveur d’un syncrétisme religieux et poétique.

Dans « Myrtho », l’adresse à la « divine enchanteresse » est heureuse et apaisée. Le quatrain traduit par Celan offre la vignette poétique d’un poète « priant » « Iacchus » sous le regard « souriant » de Myrtho34. Au contraire, l’adresse au Dieu chrétien dans « Le Christ aux oliviers » est un cri désespéré lancé par le Christ-poète à un « père » qui n’est plus. Le premier sonnet (traduit par Celan) développe la plainte de l’orphelin inconsolable face à la mort de Dieu. Le Christ-poète fait figure de « victime » trahie par Dieu, qui en retour a lui-même trahi les siens : « Frères, je vous trompais : Abîme ! abîme ! abîme ! / Le dieu manque à l’autel, où je suis la victime… / Dieu n’est pas ! Dieu n’est plus !35 ». Le « je » poétique fait figure de victime sacrificielle – « Je suis sanglant, brisé, souffrant pour bien des jours ! » – jusque dans le dernier sonnet où coule « ce sang précieux ». Quoiqu’une renaissance ou une transfiguration du sang christique soit suggérée dans le dernier sonnet36, le poème s’achève sur le silence de Dieu : « – Celui qui donna l’âme aux enfants du limon37 ». Bien que Celan n’ait pas traduit le poème de Nerval en entier, il a certainement été sensible à la représentation de la mort de Dieu et à la réflexion sur la possibilité de la création après la destruction qui imprègnent ses propres poèmes, outre bien sûr la situation d’interlocution : l’adresse insistante à un Dieu silencieux ou absent.

En somme, qu’il s’agisse de « El Desdichado », des « Cydalises » ou des extraits des Chimères, la traduction des poèmes de Nerval fournit au poète Celan l’occasion d’approfondir des images de désolation (liées à la mort des femmes aimées, de soi et de Dieu) et la structure adressée du poème qui chemine vers un interlocuteur absent, autrement dit : d’approfondir deux traits caractéristiques de la poétique propre de Celan.

La présence de Nerval dans « Psalm » de Celan

Paul Celan traduit Nerval en 1957. Peu de temps après, en janvier 1961, il écrit « Psalm » [« Psaume »] qui sera publié dans le recueil Die Niemandsrose [La Rose de personne] en 1963. « Psalm » est l’un des poèmes les plus commentés de Paul Celan38. Il ne s’agit pas ici d’en proposer une nouvelle interprétation mais de voir comment Nerval est présent dans ce poème comme un intertexte possible. La présence de Nerval dans « Psalm » tient au fait que le poème de Celan entre en écho avec le « Christ aux oliviers » de Nerval (que Celan a partiellement traduit) et au fait que Martine Broda, l’une des traductrices de Celan, utilise des expressions nervaliennes pour traduire « Psalm ». En proposant une traduction nervalienne de « Psalm », Martine Broda révèle le souvenir de Nerval dans l’original celanien. Ce faisant, Nerval est bien une « bouche sœur » [« Schwestermund »] de Celan, en amont et en aval du poème.

Niemand knetet uns wieder aus Erde und Lehm,
niemand bespricht unsern Staub.
Niemand.

Gelobt seist du, Niemand.
Dir zulieb wollen
wir blühn.
Dir
entgegen.

Ein Nichts
waren wir, sind wir, werden
wir bleiben, blühend:
die Nichts-, die
Niemandsrose.

Mit
dem Griffel seelenhell,
dem Staubfaden himmelswüst,
der Krone rot
vom Purpurwort, das wir sangen
über, o über
dem Dorn.

Personne ne nous repétrira de terre et de limon,
personne ne bénira notre poussière.
Personne.

Loué sois-tu, Personne.
Pour l’amour de toi nous voulons
fleurir.
Contre
toi.

Un rien
nous étions, nous sommes, nous
resterons, en fleur :
la rose de rien, de
personne.

Avec
le style clair d’âme,
l’étamine désert-des-cieux,
la couronne rouge
du mot pourpre que nous chantions
au-dessus, au-dessus de
l’épine39.

« Dieu est mort ! le ciel est vide… » : Celan, Nerval et Jean Paul

On peut voir plusieurs points de rencontre entre « Le Christ aux oliviers » de Nerval (dont Celan traduisit le premier sonnet) et « Psalm » de Celan. Les deux poèmes font entendre la prière désespérée des orphelins de Dieu et se construisent sur fond d’absence et de silence divin. Dans les deux cas, la mort de Dieu devient l’occasion d’une réflexion métapoétique sur le devenir du verbe divin ainsi que sur la possibilité de la création et de la parole poétique après l’expérience du néant et de la destruction40.

Du point de vue du sujet du poème – l’absence de Dieu et la désolation des hommes –, « Psalm » entre fortement en écho avec le « Christ aux oliviers » de Nerval et avec le « Rede des toten Christus vom Weltgebäude herab, daß kein Gott sei » [« Discours du Christ mort du haut de l’édifice terrestre selon lequel Dieu n’existe pas »] de Jean Paul, inséré dans son roman Siebenkäs (1796-97)41. Les trois écrivains forment une constellation signifiante de poètes qui interrogent la mort de Dieu dans l’espace du poème. Lire le poème de Celan avec Nerval, c’est aussi lire le poème avec Jean Paul. En effet, le « Christ aux oliviers » de Nerval est une réécriture du texte de Jean Paul42. L’emprunt est mentionné dans l’épigraphe :

Dieu est mort ! le ciel est vide…
Pleurez ! enfants, vous n’avez plus de père !
Jean Paul43

L’épigraphe du poème de Nerval pourrait aussi bien ouvrir le poème de Celan. En effet, « Le Christ aux oliviers » et « Psalm » déploient tous deux l’une des lamentations possibles de ces « enfants » inconsolables de la mort de Dieu évoqués par Jean Paul qui est un écrivain fétiche de Celan. On pourrait lire les poèmes de Nerval et de Celan comme une variation et une amplification de cette épigraphe. Dans cette épigraphe, Nerval retient de Jean Paul l’image du ciel vide et la lamentation des « enfants », des orphelins désertés par la consolation, qui n’est pas sans rappeler l’expression « trostverwaist » par laquelle Celan traduit « l’inconsolé » de « El Desdichado ». Or, le passage du « Christ aux oliviers » que traduit Celan déploie précisément la lamentation désespérée de l’un de ces enfants : le Christ qui répète à tous les hommes la tragique nouvelle de l’épigraphe, « Dieu n’est pas ! Dieu n’est plus ! ». Ce qui a retenu l’attention du traducteur Celan, ce sont les pleurs de l’un de ces « enfants » esseulés, les pleurs du Christ « sanglant, brisé, souffrant pour bien des jours44 ». La traduction de ce passage par Celan éclaire peut-être la présence du Christ sanglant à la fin de « Psalm » (outre la référence biblique).

En effet, dans le poème de Celan, la référence à la Passion du Christ à travers « l’épine » [Dorn] et « la couronne rouge » [Krone rot] peut s’expliquer par le souvenir en filigrane du poème de Nerval où coule le « sang » du Christ dans le premier et dans le dernier sonnet. Alors que le sang sacrificiel se répand sur la terre à la fin du poème de Nerval annonçant une métamorphose à venir, le chant des victimes de Celan se déploie au cœur de la blessure, dans le « mot pourpre que nous chantions » [Purpurwort, das wir sangen]. Le mot sang n’apparaît pas directement mais souterrainement, si on accepte de lire du français dans le verbe allemand sangen (chanter, au prétérit) dans lequel il y a collusion translinguistique entre le sang (français) et le chant (allemand)45. Sang et chant (qui se dit das Gesang en allemand) se superposent dans le mouvement des langues. D’après Jean Bollack, Jean-Marie Winkler et Werner Wögerbauer, « le verbe de pourpre, ce serait alors une langue en adéquation avec le sang versé et l’anéantissement. La fleur des mots tire sa couleur de cette justesse d’un langage conforme à l’événement et à la néantisation historique46 ». Il y a donc une différence entre le sang du poème de Nerval et le sang du poème de Celan. Le sang du poème nervalien n’est pas une fin, c’est un moyen de transformation, il appelle à être dépassé. Dans « Psalm », le sang des victimes n’est ni sublimé ni transfiguré par le sacrifice, il ne promet pas de renaissance, à l’inverse du dernier sonnet de Nerval. Ce faisant, Celan réalise un geste comparable au geste qu’il accomplit lorsqu’il traduit « El Desdichado » : dans sa traduction, le poète sort vaincu et non « vainqueur » de l’Achéron, il creuse la négativité au lieu de croire à la sublimation poétique. Dans « Le Christ aux oliviers », le sang qui se répand sur la « terre » est une promesse de métamorphose et le dernier sonnet prend la forme d’une attente, d’un regard poétique tourné vers l’avenir. À l’inverse, le « Purpurwort, das wir sangen » de Celan installe le poème au cœur de la blessure, le chant sourd de la plaie sanglante : chant et sang se superposent.

« Himmelswüst », « désert-des-cieux »

Outre le sang qui circule de Nerval à Celan, il faut souligner le retour de l’image du « ciel […] vide » (mentionnée dans l’épigraphe du « Christ aux oliviers » citant Jean Paul) qui entre en écho avec l’adjectif « himmelswüst » de « Psalm ». Dans cet étrange mot composé de Celan résonne le double souvenir de Nerval et de Jean Paul.

Loin d’être anodine, l’image du ciel vide dans le texte de Jean Paul renvoie à l’absence divine et elle s’inscrit dans un réseau d’images du néant47 que déploie le « Rede des toten Christus » dont on trouve l’écho dans les poèmes de Nerval et de Celan. On connaît l’attachement de Paul Celan à Jean Paul. La seule œuvre complète qu’il ait emportée avec lui en France en juillet 1948 est l’œuvre de Jean Paul48. On sait qu’il avait souligné les deux premières parties de Siebenkäs où se trouve ce « Rede des toten Christus ». Le texte de Jean Paul n’a pu que frapper l’auteur de « Psalm ». Il se présente comme le rêve effrayant d’un homme qui a perdu la foi et qui voit le monde s’anéantir à l’annonce de la mort de Dieu. Dans le cauchemar, l’athée écoute le Christ raconter sa quête désespérée de Dieu. C’est alors qu’apparaît l’expression « die Wüsten des Himmels49 » (les déserts du ciel) que Nerval adapte dans son épigraphe (« le ciel est vide ») et que Celan métamorphose dans « Psalm » dans « himmelswüst » [« désert-des-cieux »].

Ce mot composé est un néologisme de Celan qui nous apparaît comme l’inversion de l’image de Jean Paul. Outre l’inversion graphique des deux mots (liée au choix d’un mot composé), il y a une transformation sémantique. Chez Jean Paul, « Die Wüsten des Himmels » [les déserts du ciel] figure la mort de Dieu tandis que chez Celan, « himmelswüst » [« désert-des-cieux »] s’applique à « l’étamine » [« Staubfaden »] de la « rose de personne » [« Niemandsrose »], c’est-à-dire à la communauté des victimes qui chantent le « mot pourpre » [« Purpurwort »]. Dans l’inversion du néologisme, l’image du néant divin devient l’image du néant humain.

En allemand, le mot composé « himmelswüst » fait surgir le souvenir de Jean Paul et, dans la traduction française, il rappelle Nerval. En effet, Martine Broda traduit cette chimère celanienne par une expression de Nerval, « désert-des-cieux », tirée du poème « Artémis » des Chimères (« Rose au cœur violet, fleur de sainte Gudule : / As-tu trouvé ta croix dans le désert des cieux ? »). Traductrice et poète, M. Broda propose ici une traduction intertextuelle qui met l’accent sur les rapports possibles entre Nerval et Celan, outre le fait qu’en général elle traduit Celan en fonction de la judaïté du poète50. L’allusion à Nerval « éclaircit sans doute la valeur mystique de la rose et le sens de l’allusion au Christ ». M. Broda rappelle que « désert-des-cieux » caractérise « Staubfaden » : « l’étamine » ou, au sens littéral, le « fil de poussière ». Elle voit dans le vers « dem Staubfaden himmelswüst » « les motifs de l’absence divine (« himmelswüst ») et du néant humain (« Staub », poussière) s’unissant une dernière fois » dans la rose mystique51. De plus, la traductrice rend Nerval présent dans le poème de Celan lorsqu’elle traduit « Lehm » par « limon » dans le premier vers – et non par « argile » ou « glaise »52 : « Personne ne nous repétrira de terre et de limon ». Certes, le « limon » rappelle la Genèse et le golem. Mais ce choix de traduction inscrit aussi le poème de Celan dans la continuité du « Christ aux oliviers » de Nerval qui s’achève, rappelons-le, sur le silence de Dieu, sur le silence de « – Celui qui donna l’âme aux enfants du limon »53. La traduction de M. Broda invite à lire la mémoire nervalienne dans le poème de Celan.

Le poème « Psalm » de Celan – original et traduit – s’écrit ainsi dans la mémoire de Nerval et de Jean Paul sans que l’on puisse authentifier avec certitude l’intertexte. Jean Paul hante l’écriture de Nerval de la même manière que Nerval hante le poème de Celan. Ces hantises intertextuelles sont conditionnées par la double activité des poètes-traducteurs (Nerval traduit et adapte les poètes allemands, Celan traduit les poètes français). Après « trostverwaist » et « Gräberfern », c’est encore un mot composé inventé – « himmelswüst » – qui révèle à la fois l’originalité du poète Celan et la présence en filigrane d’un autre écrivain. La morphologie même du néologisme est l’indice du travail poétique de Celan qui ne peut se faire sans un autre, sans un double, sans un interlocuteur. La composition poétique est com-position. Le mot composé devient une signature celanienne : le néologisme s’invente dans un art de la composition qui porte la trace des échanges littéraires permis par la traduction.

Le « Schwestermund », la « bouche sœur » du traducteur

À travers l’exemple de Nerval, nous avons vu comment le traducteur que fut Celan a transformé et prolongé l’original, lui offrant une forme de « survie » originale (Walter Benjamin) à laquelle prend part l’invention. La traduction de Nerval a donné à Celan l’occasion d’inventer des formules originales de désolation. Traduction et poésie sont deux formes d’écriture, de travail sur le langage, qui s’entremêlent et interagissent.

Nerval peut apparaître comme une « bouche sœur » [Schwestermund] du poète Celan, comme un interlocuteur qui imprègne l’œuvre celanienne. L’expression est employée dans un poème de Celan tiré du recueil Mohn und Gedächtnis [Pavot et Mémoire] qui se prête à une lecture métapoétique54. En effet, « Ich bin allein » nous apparaît comme une vignette poétique représentant le déploiement et le devenir du poème. Il met en scène la structure dialogique du poème, son ouverture fondamentale à autrui, à celui (présent et à venir) qui traverse le poème et qui se nomme ici « Schwestermund » [« bouche sœur »] ou « einen späten Vogel » [« oiseau tardif »]. Nous proposons de voir ces deux hôtes du poème comme la double image de l’énonciation poétique (plurielle, hantée) et de la traduction. Nous articulerons cette lecture métapoétique à une brève comparaison des traductions en français de ce poème par Valérie Briet et Jean-Pierre Lefebvre pour voir comment le principe de « fortleben » [« survie »] évoqué par Walter Benjamin dans son célèbre essai Die Aufgabe des Übersetzers [La Tâche du traducteur] anime l’écriture poétique de Celan.

Lecture métapoétique de « Ich bin allein »

Ich bin allein, ich stell die Aschenblume
ins Glas voll reifer Schwärze. Schwestermund,
du sprichst ein Wort, das fortlebt vor den Fenstern,
und lautlos klettert, was ich träumt, an mir empor.

Ich steh im Flor der abgeblühten Stunde
und spar ein Harz für einen späten Vogel:
er trägt die Flocke Schnee auf lebensroter Feder;
das Körnchen Eis im Schnabel, kommt er durch den Sommer
55.

Je suis seul, je dépose la fleur des cendres
au verre rempli de noir mûri. Bouche sœur,
tu dis un mot qui va encore sa vie aux fenêtres,
et ce que j’ai rêvé grimpe contre moi sans un bruit.

Je porte le deuil de l’heure flétrie
et je garde de la résine pour un oiseau tardif :
il porte le flocon sur sa plume rouge vie ;
grain de glace au bec, il traverse l’été.
Valérie Briet56

Je suis seul, je mets la fleur de cendre
dans le verre rempli de noirceur mûrie. Bouche sœur,
tu prononces un mot qui survit devant les fenêtres,
et sans un bruit, le long de moi, grimpe ce que je rêvais.

Je suis dans la pleine efflorescence de l’heure défleurie
et mets une gemme de côté pour un oiseau tardif :
il porte le flocon de neige sur la plume rouge vie ;
le grain de glace dans le bec, il arrive par l’été.
Jean-Pierre Lefebvre57

Le poème dément le sens de la première phrase : ce n’est pas la solitude qui définit l’énonciation poétique mais la présence d’hôtes qui la traversent. Loin d’être seul, le « Ich » [je] ne cesse de se rapporter à autrui. Si « die Aschenblume » [« la fleur de cendre »] est une figure du poème endeuillé, elle fleurit avec autrui. C’est ce que suggère la proximité sonore entre « Schwärze » et « Schwester » au vers 2 (traduite par J.-P. Lefebvre par la rime interne « noirceur »/» bouche sœur ») : le deuil mûrit à plusieurs, dans une communauté d’interlocuteurs.

La « Schwestermund » [« bouche sœur »] apparaît comme la figure de l’inspiration (§1) et le « späten Vogel » [« oiseau tardif »] comme la figure de la continuation du poème (§2). La « bouche sœur » est dotée du pouvoir de « dire » [sprechen] « un mot » [ein Wort] qui semble féconder le rêve (l’imagination, l’esprit ?) du « je ». Le mot d’autrui a une incidence sur « ce que je rêvais » [« was ich traümt »]. L’« oiseau tardif » est une figure du continuateur, d’une bouche sœur qui viendrait cette fois après coup (et non pas au moment de l’inspiration) participer au poème. Ce n’est pas un hasard s’il porte un grain de glace « dans le bec » [« im Schnabel »], métonymie de la parole qui redouble la « bouche » de la première strophe : l’oiseau est, comme la « bouche sœur », un autre interlocuteur du poète. Le reflet entre les deux interlocuteurs est souligné par la construction symétrique du poème. Au troisième vers de chaque strophe, la « bouche sœur » et l’« oiseau tardif » nourrissent l’énonciation poétique : ils apportent leur contribution au poème sous forme de « vie » [Leben] : « ein Wort, das fortlebt » [« un mot qui va encore sa vie », « un mot qui survit »] et « lebensroter Feder » [« la plume rouge vie »]. Celan emploie précisément le verbe fortleben utilisé par Walter Benjamin dans Die Aufgabe des Übersetzers pour parler du traduire. La traduction est pensée comme survie de l’original. Dans le poème de Celan, il est significatif que les verbes fortleben et leben soient mis en rapport avec les métonymies de l’écriture : la « plume » [Feder] de l’« oiseau tardif » et le « mot » [Wort] prononcé par la « bouche sœur ». Les interlocuteurs apportent voix et vie au poème qui ne s’écrit donc pas « seul » mais avec eux et avec leurs « plume » et « mot ». En utilisant le verbe de Benjamin pour décrire la parole de la « bouche sœur » et en rapprochant les deux figures d’interlocuteurs (présente et à venir), le poème suggère que ces interlocuteurs peuvent être des traducteurs.

Le fait que le poème soit traversé et hanté par d’autres interlocuteurs qui lui apportent « vie » ou « survie » explique en partie le paradoxe du vers 5 entre « Flor » et « abgeblühten », c’est-à-dire entre l’idée de fleurir abondamment et l’idée de faner. Le poème « fleur de cendre » [Aschenblume] est endeuillé, sur le point de mourir, de « défleurir », de se « flétrir » [abgeblühten] mais il trouve une nouvelle vie dans ses continuations possibles, à l’image des floraisons [Flor] qui se renouvellent.

La traduction d’« im Flor »

Ce poème célèbre les interlocuteurs qui prennent part à l’écriture et à l’énonciation poétique. Or il a donné lieu à deux traductions en français qui empruntent des chemins sémantiques différents. Ce poème qui évoque le « fortleben », la « survie » d’un mot à la fenêtre du poète offre deux formes différentes de traduction, de « fortleben » au sens de Benjamin, deux continuations de l’original en des sens contraires. C’est précisément au vers 5 que l’écart des deux traductions est le plus grand et que le poème traduit prend deux directions différentes, au moment où le mot « Flor » est traduit.

Ce terme allemand est rare et polysémique. J.-P. Lefebvre indique en note : « Der Flor, terme très poétique pour désigner la floraison, connote aussi le voile ou le crêpe noir porté en signe de deuil58 ». J.-P. Lefebvre traduit par « Je suis dans la pleine efflorescence de l’heure défleurie » tandis que V. Briet retient le symbole du « deuil » indiqué par l’étoffe : « Je porte le deuil de l’heure flétrie ». Effaçant l’idée de floraison abondante, V. Briet accentue le deuil de l’original en créant une image placée sous le signe du négatif et de la perte (« deuil » annonce « flétrie »). On pourrait dire que V. Briet traduit Celan à la manière dont Celan traduit Nerval : en accentuant la thématique et le lexique du deuil. La traduction de Celan par V. Briet est « celanienne » dans ses choix. Au contraire, J.-P. Lefebvre, en traduisant, accentue moins la perte que l’excès. En témoignent le choix d’« efflorescence » et l’ajout de l’adjectif « pleine ». J.-P. Lefebvre ajoute certes en note les significations plus sombres du mot Flor mais il les réserve pour les coulisses de la traduction que sont les annotations. Evelyn Dueck a souligné l’originalité de la méthode traductive de J.-P. Lefebvre :

Le but des annotations n’est pas d’éclaircir le ‘sens’ des poèmes pour faciliter la compréhension mais d’exposer le caractère ‘rhizomatique’ de l’œuvre. […] Les mots et leurs polysémies sont présentés comme des points de départ pour un déploiement polyphonique, pour un dialogue ‘multiple’ qui expose la lecture du traducteur aux yeux du lecteur cible59.

On pourrait dire que le mot « efflorescence » choisi par le traducteur est à l’image de son geste qui propose plusieurs chemins (efflorescents, proliférants, variés, contrastés) à l’expression originale, dans la traduction et dans les annotations. La traduction annotée de J.-P. Lefebvre met ainsi en œuvre l’épanouissement de la polysémie de l’original, le déploiement des différents sens de « Flor ». La traduction de J.-P. Lefebvre est fidèle à l’art poétique polysémique, profus et tremblant de Celan. Pour ainsi dire, V. Briet traduit Celan comme Celan traduit Nerval, J.-P. Lefebvre traduit Celan comme Celan écrit.

Accentuant leur propre choix de traduction (creuser la négativité ou au contraire l’effacer dans la traduction retenue), V. Briet et J.-P. Lefebvre proposent encore deux infléchissements de sens différents dans le vers qui suit la mention d’« im Flor ». Il s’agit de la traduction du mot « Harz » que « je » « garde […] pour un oiseau tardif » [und spar ein Harz für einen späten Vogel]. J.-P. Lefebvre traduit « Harz » par « gemme ». Il ajoute en note : « Contrairement à « gemme » en français, qui désigne aussi un minéral précieux, Harz désigne exclusivement la résine et connote la substance poisseuse60 ». Autrement dit, le traducteur emprunte délibérément une voie qui semble plus éloignée de l’original, une voie bien plus efflorescente, en choisissant un terme polysémique désignant la pierre précieuse, le suc résineux et aussi le bourgeon (dans le domaine botanique) – sens qui rappelle la prolifération de « l’efflorescence » au vers précédent. La traduction de J.-P. Lefebvre accroît et transforme la tonalité de l’original. En choisissant « gemme » et non « résine », le traducteur privilégie la paronomase contre la dénotation : le mot de résine, Harz, est phoniquement très proche en allemand du mot Herz, « cœur ». Garder de la résine pour l’oiseau tardif, c’est aussi lui garder un peu de son cœur – nécessaire à la « survie ». Le tour de force de la traduction de J.-P. Lefebvre est de faire entendre une déclaration d’amour (« j’aime ») homophone de la « gemme », préservant ainsi la paronomase de Celan entre Harz et Herz. Au contraire, V. Briet traduit Harz par « résine », en restant proche de la dénotation de l’original et en suivant la tonalité sombre qu’elle avait choisie pour traduire « Flor » [« deuil »] au vers précédent.

 

Ainsi, les poèmes de Celan gagnent à être lus avec le souvenir de Nerval et dans la pluralité de leurs traductions. Ils gagnent à être mis en rapport avec les différentes « bouches sœurs » qui prennent part au geste poétique et étoilent le sens de l’original. Non seulement Celan a traduit une partie des Chimères en forgeant ses propres formules poétiques de désolation mais sa poétique propre laisse aussi transparaître des fantômes nervaliens revivifiés par les traductions.

Notes de bas de page numériques

1 Paul Celan, « In Mundhöhe », Sprachgitter / Grille de parole, in Choix de poèmes, trad. Jean-Pierre Lefebvre, Gallimard, « Poésie », édition bilingue, 1998, pp. 148-149. Paul Celan, Grille de parole : édition bilingue, trad. Martine Broda, Paris, C. Bourgois, 1991.

2 L’expression a été reprise dans un important ouvrage collectif consacré à l’activité du traducteur : Axel Gellhaus (hrsg.), “Fremde Nähe” : Celan als Übersetzer, Marbach am Neckar, Deutsche Schillergesellschaft, 1997.

3 Alexis Nouss, Paul Celan. Les lieux d’un déplacement, Lormont, Bord de l’eau, 2010, p. 19.

4 Evelyn Dueck, L’étranger intime : les traductions françaises de l’œuvre de Paul Celan (1971-2010), Berlin, De Gruyter, 2014.

5 Nous nous appuierons en partie sur l’article de Michael Jakob dont nous traduirons et prolongerons certaines analyses. Michael Jakob, » […] ich spielte zweierlei […]. Nervals El Desdichado in Paul Celans Übertragung », Comparatio, [Torino], 1991, n° 2/3, S. 213-240.

6 Voir notre exergue.

7 Paul Celan et Gisèle de Lestrange, Correspondance, II, éditée et commentée par Bertrand Badiou, avec le concours d’Eric Celan, Paris, Seuil, 2001, p. 506-507.

8 « Gedichte sind […] unterwegs: sie halten auf etwas zu. Worauf ? Auf etwas Offenstehendes, Beseztbares, auf ein ansprechbares Du vieilleicht, auf eine ansprechbare Wirklichkeit. » Paul Celan, Le Méridien et autres proses, trad. Jean Launay, Seuil, « Librairie du XXIe s », édition bilingue, 2002, p. 58. “El Desdichado” in Akzente 5 (1958), Heft 2, S.189. “Les Cydalises” in Neue Rundschau 69 (1958), S. 119. Sur l’histoire éditoriale des traductions, voir Ute Harbusch, Gegenübersetzungen : Paul Celans Übertragungen französicher Symbolisten, Göttingen, Wallstein, 2005, S. 121-125.

9 Anthologie der französicher Dichtung von Nerval bis zu Gegenwart, hrsg. von Flora Klee-Palyi, Wiesbaden, Limes Verlag, 1958.

10 Ute Harbusch, Gegenübersetzungen, op. cit., S. 125.

11  Florence Pennone, Paul Celans Übersetzungspoetik. Entwicklungslinien in seinen Übertragungen französischer Lyrik, Tübingen, Niemeyer, 2007, S. 199. Ute Harbusch, Gegenübersetzungen, op. cit., S. 120.

12 Ute Harbusch, Gegenübersetzungen, op. cit. Voir aussi Leonard Olschner, Der feste Buchstab: Erläuterungen zu Paul Celans Gedichtübertragungen, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1985.

13 Florence Pennone, Paul Celans Übersetzungspoetik, op. cit., S. 15. Nous traduisons. Outre « El Desdichado », l’autrice cite comme exemples de tels écarts : « Le Bateau ivre » de Rimbaud, « La Jeune Parque » de Valéry et « La mort des pauvres » de Baudelaire.

14 Claire De Oliveira, « Traduction celanienne et multiculturalité », Etudes germaniques, 2007/1 (n° 247), URL : https://www.cairn.info/revue-etudes-germaniques-2007-1-page-145.htm, p. 155-156.

15 Claire De Oliveira, « Traduction celanienne et multiculturalité », op. cit., p. 156.

16 Michael Jakob, « […] ich spielte zweierlei […]. Nervals El Desdichado in Paul Celans Übertragung », op. cit.

17 Paul Celan, Gesammelte Werke, IV, hrsg. von Beda Alleman und Stefan Reichert, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1992 [1983], S. 808-809.

18 Michael Jabok, « […] ich spielte zweierlei […] », op. cit., S.217.

19 Florence Pennone, Paul Celans Übersetzungspoetik, op. cit., S. 144 et S. 395. Sur les différences de versification allemande et française, voir aussi Florence Pennone, « Le “Niebelungenlied-Vers” de Celan : un héritage d’Apollinaire ? Réflexions sur une transposition métrique », in Bernard Banoun et Jessica Wilker (dir.), Paul Celan. Traduction, réception, interprétation, suivi de Paul Antschel (1938-1939) à Tours (documents), Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2006, p. 42-45.

20 Michael Jabok, « […] ich spielte zweierlei […] », op. cit., S.230. M. Jakob voit dans l’expression « der Nacht in meinem Grab » le cœur ardent de la traduction de Celan placée sous le signe de la négation.

21 Gérard de Nerval, « El Desdichado », Die Chimären und andere Gedichte : französich/deutsch, hrsg v. Manfred Krüger, Stuttgart, Verlag Freies Geistesleben, 2008, S. 15.

22 Michael Jabok, « […] ich spielte zweierlei […] », op. cit., S. 224.

23 Florence Pennone, Paul Celans Übersetzungspoetik, op. cit., S. 298.

24 Celan fait le choix de « l’irreprésentable ». Michael Jabok, « […] ich spielte zweierlei […] », op. cit., S.226.

25 Michael Jabok, « […] ich spielte zweierlei […] », op. cit., S.232. Sur l’héroïsation du poète dans le poème de Nerval, voir Jean-Nicolas Illouz et Jean-Luc Steinmetz dans Gérard de Nerval, Œuvres complètes, XI, Paris, Classiques Garnier, 2015, pp. 423-424.

26 Michael Jabok, « […] ich spielte zweierlei […] », op. cit., S.231.

27 Michael Jabok, « […] ich spielte zweierlei […] », op. cit., S.231-232.

28 Paul Celan, Choix de poèmes, op. cit., trad. Jean-Pierre Lefebvre, p. 232-233.

29 Paul Celan, Gesammelte Werke, IV, hrsg. von Beda Alleman und Stefan Reichert, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1992 [1983], S. 810-811.

30 Michael Jabok, « […] ich spielte zweierlei […] », op. cit., S. 239.

31 Paul Celan, « Todesfuge » / « Fugue de mort », Choix de poèmes, trad. Jean-Pierre Lefebvre, op. cit., pp. 54-55.

32 Ute Harbsuch, Gegenübersetzungen, op. cit., S. 152-155.

33 Ute Harbusch indique que Celan avait souligné des passages de la version bilingue d’Aurélia qu’il possédait, probablement en vue de ses cours de traduction à l’ENS. Sur le fonds posthume et la bibliothèque nervalienne de Celan, voir Ute Harbusch, Gegenübersetzungen, op. cit., S. 461. Nous n’avons pas pu lire les traductions que Celan donna du « Christ aux oliviers » et de « Mytho ».

34 « C’est dans ta coupe aussi que j’avais bu l’ivresse, / Et dans l’éclair furtif de ton œil souriant, / Quand aux pieds d’Iacchus on me voyait priant, / Car la muse m’a fait l’un des fils de la Grèce. » Gérard de Nerval, Œuvres complètes, XI, édition de Jean-Nicolas Illouz et Jean-Luc Steinmetz, Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 352.

35 Gérard de Nerval, Œuvres complètes, XI, op. cit., p. 355.

36 Jean-Nicolas Illouz et Jean-Luc Steinmetz dans Gérard de Nerval, Œuvres complètes, XI, op. cit., p. 443-444.

37 « Réponds ! criait César à Jupiter Ammon, / Quel est ce nouveau dieu qu’on impose à la terre ? / Et si ce n’est un dieu, c’est au moins un démon… » // Mais l’oracle invoqué pour jamais dut se taire ; / Un seul pouvait au monde expliquer ce mystère : / - Celui qui donna l’âme aux enfants du limon. » Gérard de Nerval, Œuvres complètes, XI, op. cit., p. 358.

38 Il suffit de rappeler l’article de Jean-Marie Winkler qui retraçait déjà (en 1991, après 20 ans de succès critique) les grandes lignes de « l’histoire de la compréhension » de ce poème en analysant les interprétations doxographiques, théologiques, existentielles et historiques qui en avaient été donné. Jean-Marie Winkler, « Analyse critique de l’histoire de la compréhension », in Jean Bollack, Jean-Marie Winkler et Werner Wögebauer, « Paul Celan. Lecture à plusieurs », Revue des sciences humaines, n° 223, 1991, p. 183-211.

39 Paul Celan, La Rose de personne / Die Niemandsrose, trad. Martine Broda, Paris, Le Nouveau Commerce, 1979, p. 38-39.

40 Voir John E. Jackson, La question du moi : un aspect de la modernité poétique européenne : T.S. Eliot, Paul Celan, Yves Bonnefoy, Neuchâtel, Ed. La Baconnière, 1978 ; Martine Broda, Dans la main de personne. Essai sur Paul Celan, Paris, Éditions du Cerf, 1986 ; Jean Bollack, Jean-Marie Winkler et Werner Wögerbauer, « Psalm. Esquisse d’une compréhension », in « Paul Celan. Lecture à plusieurs », op. cit.

41 Notre traduction. Jean Paul, Rede des toten Christus vom Weltgebäude herab, daß kein Gott sei, Werke, II, hrsg. von Gustav Lohmann, München, Carl Hanser Verlag, 1960, S. 266-271.

42 Nerval avait publié une première fois « Le Christ aux oliviers » avec le sous-titre : « Imitation de Jean Paul » : Gérard de Nerval, « Le Christ aux oliviers », L’Artiste, 31 mars 1844, p. 201.

43 Gérard de Nerval, Œuvres complètes, op. cit., p. 355.

44 Gérard de Nerval, Œuvres complètes, op. cit., p. 355. 

45 Martine Broda (comme Alexis Nouss dans Paul Celan. Les Lieux d’un déplacement, op. cit., et Mathias Verger dans ce numéro de Loxias) suggère qu’il faut entendre d’autres langues dans l’allemand de Celan. Par exemple, dans « Psaume », M. Broda propose de lire « Niemand » comme ce vers comme s’il avait été écrit depuis le français, comme si Celan avait pensé à « Personne » plutôt qu’à « Niemand » : « Niemand » allemand est un pur négatif, « personne » français a double valence : nul homme ou la personne humaine, une personne, quelqu’un. Un mot qui fourche en sens contraires, un mot qui pourra être travaillé comme oxymore : pour Celan qui les recherche, quelle aubaine. Le fait qu’il ait vécu et écrit ici n’est jamais sans effet sur sa langue : allemand que du français encercle et parfois assaille. Martine Broda, Dans la main de personne, op. cit., p. 67-68. Sur « Niemand » dans « Psaume », voir p. 31.

46 Jean Bollack, Jean-Marie Winkler, Werner Wögerbauer, « Psalm. Esquisse d’une compréhension », op. cit., p. 181.

47 Bernard Böschenstein en fait la matrice poétique du texte. Bernard Böschenstein, « Der Lyriker Nerval, Hölderlin, Jean Paul », Leuchttürme. Von Hölderlin zu Celan, Wirkung und Vergleich, Frankfurt am Main, Insel-Verlag., 1977, S. 108-109.

48 Bernard Böschenstein, « Celan als Leser Hölderlin und Jean Pauls », in Beda Alleman, Amy D. Colin (eds.), Augmentum e silentio: International Paul Celan Symposium, Berlin; Boston: De Gruyter, 1986, S. 188. Étudiant la bibliothèque jeanpaulienne de Celan, B. Böschenstein a montré que le poète est fasciné par les étonnants mots composés et jeux de mots de Jean Paul, qu’il trouve dans cette œuvre des thèmes décisifs (comme les visions de la mort et de l’enfer tirées principalement du roman Titan) et une « poétologie de l’inachevé » qui reste ouverte à la possibilité de la venue du messie.

49 Jean Paul : « Ich flog mit dem Milchstraßen durch die Wüsten des Himmels » [« J’ai volé avec les Voies Lactées à travers les solitudes célestes »]. Jean Paul, Werke, op. cit., S. 269. La traduction française est d’Albert Béguin dans Charles Leblanc, Laurent Margantin, Olivier Schefer, La forme poétique du monde. Anthologie du romantisme allemand, Paris, J. Corti, 2003, p. 305.

50 Sur ce point, voir Evelyn Dueck, L’Étranger intime, op. cit., p. 335-357.

51 Martine Broda, Dans la main de personne, op. cit., p. 35.

52 Comme l’ont fait les autres traducteurs : John E. Jackson, Jean-Pierre Lefebvre traduisent « argile », Stéphane Mosès, « glaise ». Paul Celan, Poèmes, éd. et trad. de John E. Jackson, Paris, J. Corti, 2004, p. 137. Paul Celan, Choix de poèmes, trad. Jean-Pierre Lefebvre, op. cit., p. 180-181. Paul Celan, « Paul Celan », trad. Stéphane Mosès, Po&sie 2008/2 (n° 124), p. 3-6. URL de référence : https://www.cairn.info/revue-poesie-2008-2-page-3.htm , consulté le 2 mars 2019.

53 Martine Broda, Dans la main de personne, op. cit., p. 36. « Le dernier des quatre sonnets de Nerval se termine sur ces vers [qu’elle cite], qui me semblent jeter un jour singulier sur le début du Psaume, et peut-être aussi sur la valeur du mot « personne » ».

54 On sait que les poèmes de Celan ont souvent une dimension poétologique, qu’ils interrogent la possibilité même de la parole et du poème après Auschwitz. Voir Jean-Pierre Lefebvre dans son introduction à Paul Celan, Choix de poèmes, op. cit.

55 Paul Celan, « Ich bin allein », Pavot et mémoire, in Choix de poèmes, trad. Jean-Pierre Lefebvre, Gallimard, « Poésie », édition bilingue, 1998, pp. 67-68.

56 Paul Celan, Pavot et Mémoire, trad. Valérie Briet, Bourgois, 1987, p. 113.

57  Paul Celan, « Ich bin allein », Pavot et mémoire, in Choix de poèmes, trad. Jean-Pierre Lefebvre, Gallimard, « Poésie », édition bilingue, 1998, p. 67-68.

58 Paul Celan, Choix de poèmes, trad. Jean-Pierre Lefebvre, op. cit., note p. 334.

59 Evelyn Dueck, L’étranger intime : les traductions françaises de l’œuvre de Paul Celan (1971-2010), Berlin, De Gruyter, 2014, p. 359.

60 Paul Celan, Choix de poèmes, trad. Jean-Pierre Lefebvre, op. cit., note p. 334.

Bibliographie

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Autres textes

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Pour citer cet article

Aurélie Moioli, « Le deuil de l’original. Nerval, Celan et les traducteurs « im Flor » », paru dans Loxias, 64., mis en ligne le 25 mai 2019, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=9162.

Auteurs

Aurélie Moioli

Aurélie Moioli est Maîtresse de conférences en Littérature Générale et Comparée à l’Université Côte d’Azur et membre du CTEL. Elle est l’auteure d’une thèse de doctorat sur « Le Récit de soi. Poétique et politique de la dissemblance. Jean Paul, Ugo Foscolo, Stendhal et Gérard de Nerval ». Elle travaille sur les rapports entre littérature et mémoire et sur les problématiques de la traduction à l’époque romantique.

Université Côte d’Azur, CTEL