Loxias | 62. Doctoriales XV | I. Doctoriales 

Mylène Charon  : 

Les scènes de l’espoir. La danse du ventre dans Plains of Promise d’Alexis Wright

Résumé

Comment la danse du ventre peut-elle soigner une femme dont l’enfant lui a été retiré, victime d’une politique d’État qui disqualifie les mères non-blanches ? À travers une étude de la deuxième partie du roman d’Alexis Wright, Plains of Promise, « Glimpses of Distant Hills », cet article explore les ressorts d’une thérapie par l’art chorégraphique qui met en scène une solidarité féminine sans frontières, entre deux femmes du Sud. S’intéressant aux aspects intertextuels de l’épisode, il proposera de le lire comme une réécriture aborigène et contemporaine de Salomé comme de Shéhérazade. De la bacchanale à la danse martiale, il tâchera enfin de le penser comme une initiation à l’autodéfense en contexte colonial.

Abstract

How can bellydancing cure a woman, victim of the State-organised kidnapping of children born to non-white mothers? Through a study of the second part of Alexis Wright’s novel Plains of Promise, « Glimpses of Distant Hills », this article explores how the choreographic art therapy works, staging solidarity between two women of the South. It suggests reading this episode as an Aboriginal and contemporary rewriting of both Salome and Scheherazade. From a bacchanal to a martial dance, it will finally propose to interpret it as an initiation to self-defense in a colonial context.

Index

Mots-clés : autodéfense , bouc émissaire, colonialité, danse, féminisme, orientalisme, Wright (Alexis)

Géographique : Australie

Chronologique : Période contemporaine

Plan

Texte intégral

Si le ventre des femmes est un lieu d’observation privilégié de la colonialité du pouvoir selon Françoise Vergès dans son analyse des avortements et stérilisations forcés dans les Outre-mer dans les années 60-701, il l’est tout autant dans l’Australie du XXe siècle. Nous nous attacherons dans cet article à l’analyse de deux chapitres centraux2 des Plaines de l’espoir d’Alexis Wright (née en 1950) : Ivy Koopundi Andrews, métisse aborigène, est internée à l’hôpital psychiatrique de Sycamore Heights. Aphasique et amnésique, elle est apparemment incapable de raconter l’histoire qui l’y a menée, qui occupe la première partie du roman. Un narrateur extradiégétique y raconte comment, enfant, elle est déplacée avec sa mère, aborigène enceinte d’un gardien de bétail blanc, dans une Mission chrétienne pour y être éduquée, c’est-à-dire pour y être formée comme domestique sans salaire. Dans ces années d’expansion pastorale, la politique d’Assimilation consiste en effet à intégrer à la société blanche les métis aborigènes en tant que main d’œuvre réduite à esclavage. À St Dominic, Ivy subit les attaques sexuelles du missionnaire, Errol Jipp, jusqu’à ce que, adolescente enceinte de ses viols, elle soit mariée de force par lui à un Noir de la mission, Elliot, qui la bat. Laissée seule pour accoucher, elle ne verra jamais son enfant, qui lui a été retiré à la naissance, conformément à la politique d’Assimilation, selon laquelle les enfants de pères blancs doivent être retirés à leur mères noires, taxées d’immoralité, et séparés de leurs familles aborigènes, accusées d’exercer une mauvaise influence — cette politique d’enlèvement, de placement systématique, a constitué les Générations Volées et eu cours jusqu’au début des années 70. Apprenant de la bouche d’Elliot que son enfant a été enlevé par les Missionnaires, au motif culpabilisant qu’elle ne lui aurait pas prodigué les soins nécessaires à la naissance, Ivy explose de rage et est envoyée à Sycamore Heights.

Ainsi, dans l’Australie d’Alexis Wright, État fédéral autonome qui a cessé d’être une colonie britannique en 1901, comme dans la France de Françoise Vergès, la postcolonialité, pour être un véritable outil d’analyse, ne doit pas être comprise comme une période historique mais comme une politique qui discrimine entre ses citoyens3. Dans cette perspective, nous proposerons ici une interprétation de la thérapie par la danse du ventre comme une lutte décoloniale, dans la mesure où elle travaille contre la « fabrique de l’oubli4 », contre l’effacement d’un traumatisme infligé aux peuples premiers, du lieu même où ce pouvoir s’impose le plus violemment. Nous suggèrerons ainsi que la danse devient l’équivalent dans le texte de l’acte-même d’écrire, et la danseuse orientale, Madame Sadaan, une figure de l’auteure. Si les liens entre la danse et l’écriture ont depuis longtemps été mis au jour, nous ne les aborderons pas ici du point de vue esthétique, mais d’une lutte décoloniale : ce qui roule sous nos yeux, ce ne sont plus les plis de ventres blancs5, mais les cicatrices obscènes6 du ventre d’Ivy, la seule patiente aborigène, à travers les caractères noirs tracés par Alexis Wright, comme autant de traces contre l’« effacement collectif7 » : celles des violences sexuelles à la Mission, celles de politique d’Assimilation avec sa création de cohortes de Générations Volées, celles des violences tribales et conjugales, celles des violences obstétricales.

Le ventre en cratère d’Ivy devient donc le lieu d’observation privilégié d’une double domination, c’est-à-dire d’une violence raciale qui s’applique spécifiquement aux femmes à travers la fiction de la femme noire immorale et mauvaise mère, et d’une violence sexuelle perpétrée autant par les hommes blancs que par les hommes noirs. Cette situation de double oppression avait déjà été soulevée par Mary Montgomerie Bennett, une missionnaire anglaise et activiste pour les droits humains, dans une allocution à la Conférence du Commonwealth en 19338. L’épisode de la thérapie par la danse du ventre décrit le soin d’une femme du Sud à une autre femme du Sud, portant précisément sur le lieu de souffrance au croisement de la race et du sexe : Madame Saadan, elle-même victime de préjugés orientalistes hypersexualisants, n’est pas de celles et ceux qui veulent sauver les femmes noires. Sa danse n’est pas tant une chorégraphie dans laquelle ses patientes doivent rentrer, qu’un mouvement interne, tout en sensations, visant à inspirer l’amour de soi, à guérir la « blessure de solitude, de méfiance, de haine et d’amertume9 » qui leur a été infligée par la colonialité du genre, voire une « mètis du combat10 » visant à restaurer la souplesse dans des corps tétanisés par une double domination fondée sur la race et le sexe.

« “Now we dance. Dance for the love of ourselves,” she repeated over and over, until her words took charge of every thought, muscle and molecule of earthly existence in that curtained room11. » Ainsi s’ouvre la performance chorégraphique finale de Madame Sadaan. Qu’est-ce qui, dans cette expérience singulière de « vie pour la danse », rend cette thérapie par la danse du ventre plus efficace que des décennies de traitement médical ? Comment le personnage de la femme arabe est-il construit en contrepoint de celui de l’administrateur de l’hôpital, M. Penguin, comme le terrestre s’oppose au terre-à-terre (à l’adjectif « earthly » de la citation plus haut, nous confrontons celui de « mundane12 » de la réalité que Penguin prétend connaître) ? Pourquoi l’épisode se clôture-t-il sur l’expulsion de Madame Sadaan, puis sur celle d’Ivy, renvoyée dans sa communauté, ou plutôt, au plus près de ce « chez elle » qui ne peut pas avoir de réalité pour celle qui a été déplacée dès son plus jeune âge ?

Nous nous pencherons, en nous fondant sur l’analyse de Soumaya Mestiri, sur la figure de la femme arabe qui est élaborée avec le personnage de Madame Sadaan, dans son rapport citationnel avec Shéhérazade, pour montrer comment la supériorité féminine ici dessinée reconduit le fantasme colonial d’une femme du Sud hypersexualisée. Nous tâcherons enfin, avec la grille de lecture de l’autodéfense proposée par Elsa Dorlin, de penser la danse du ventre comme une danse martiale, une préparation au combat contre la gestion racialisée du ventre des femmes.

I. La colonisation du ventre

1. Shéhérazade en Australie

Lorsque Penguin, l’administrateur de l’hôpital psychiatrique de Sycamore Heights, approuve la thérapie par la danse du ventre, c’est à contre-cœur. Sa réticence à accueillir ce qu’il qualifie de « concept peu conventionnel » relève d’une résistance épistémique à un savoir indigène. Derrière la disqualification de la thérapie par la danse du ventre comme mode se joue la dévalorisation d’un savoir détenu par une femme du Sud. Son traditionalisme ressort de ces « vices épistémiques » que développent les groupes dominants (et ce que Spivak nommait déjà « violence épistémique13 ») à savoir l’arrogance et la paresse épistémiques ainsi que l’étroitesse d’esprit, autant de vices qui, précisément, empêchent la réciprocité dont nous parlions plus haut car « “ils affectent la capacité à apprendre des autres et des faits, ils inhibent la capacité à s’auto-corriger et à être ouvert aux corrections des autres”14 ». Penguin pense en effet détenir un savoir universel, disqualifiant non seulement les savoirs indigènes mais également les savoirs académiques des autres membres du conseil d’administration. Face à des membres à ce point ignorants de ce qui marche ou pas en termes de psychothérapie qu’ils donnent du crédit à une indigène, Madame Sadaan, Penguin se perçoit comme le seul qui sache. Son scepticisme s’apparente alors au « scepticisme misanthropique » décrit par Nelson Maldonado-Torres15 ; et si Penguin finit par approuver cette thérapie, ce n’est pas parce qu’il a été convaincu de sa validité – ou simplement pour se laisser convaincre – mais par opportunisme professionnel. Pour ce personnage, l’hôpital psychiatrique est une affaire comme une autre, où il ne s’agit pas tant de soigner les autres que de gagner.

Medical fashions and fads, including bellydancing, were considered by the progressive board as a foremost form of treatment in modern psychotherapy, its introduction at Sycamore Heights formed part of the ongoing research work. The Chief Administrator was Mr Des Penguin, a small, plump, middle-aged man with thick black hair rapidly receding from his forehead. Sceptical to the core, he had been hard-pushed to give his endorsement to this performance, though he had known he would have to give in eventually, to keep pace with the more innovative board members, particularly his colleague Quill. But Penguin still lacked conviction about the unconventional concept, which replaced the recreational two-step and Pride of Erin on the lawns on Saturday afternoons. He didn’t mind admitting he was something of a traditionalist ; in years gone by, as a mere junior nurse, he prided himself on his ballroom dancing skills. And he felt he knew what treatment worked and what did not. He had been in this business for a long time. He distrusted the claptrap solutions of the academically trained professionals who sat on the board. What did they know of the mundane sphere of reality16 ?

Le « je pense donc je suis » de Penguin semble bien être un « je conquiers donc je suis17 » qui annihile toute autre source de savoir que la sienne propre. Ainsi se trouve justifiée sa répugnance à toute « friction » des savoirs et la violence épistémique qu’il impose à Sycamore Heights. Cette violence épistémique est à l’œuvre dans les tests et traitements prescrits à Ivy18 – malgré leur échec à améliorer son état, ils restent qualifiés de « corrects », leur échec confiné à la différence d’Ivy – ainsi que dans sa constitution comme Autre19, son objectivation : c’est parce qu’Ivy est « some exotic vegetable20 », « an Aborigine of tribal background21 » avec laquelle il est impossible de communiquer, que les tests et traitements, universellement valables – « all the right tests […] and appropriate treatment22 » – échouent à la soigner. Ainsi en seulement cinq mois Madame Sadaan a-t-elle réussi ce que le personnel soignant de Sycamore Heights a échoué à faire en vingt ans : établir une communication avec Ivy. Du point de vue de Penguin et de son Église, la guérison d’Ivy ne peut être qu’un « miracle », c’est-à-dire une transformation imputable à Dieu et non au savoir indigène de Madame Sadaan (« And Madame flapped her arms in the air, excited as the Church would surely be to witness a miracle23 »). Mais si Madame Sadaan réussit à soigner Ivy, c’est précisément parce qu’elle ne s’inscrit pas dans une « rhétorique du salut », ne témoigne ni de l’arrogance ni de l’ignorance de ces femmes qui veulent en sauver d’autres24. Après Errol Jipp, « a man for the main chance25 » mu par son intérêt sexuel, Penguin semble bien être cet homme blanc très peu désintéressé qui s’est mis en tête de « protéger et sauver les femmes de couleur des hommes de couleur26 ». À la déclaration de Penguin qu’un jour Ivy parlera – à valeur d’anti-prophétie autoréalisatrice27 – fait écho l’injonction bienveillance de Madame Sadaan : « “My little Ivy remembers all. Don’t worry, dear. Do not tell me if you mustn’t.”28 » En transportant Shéhérazade en Australie29, et singulièrement dans une institution psychiatrique gérée par un ordre missionnaire, Alexis Wright nous permet de penser la « friction » de deux savoirs, oriental et occidental, mais également une solidarité féminine « sans frontières30 ».

2. Madame Sadaan n’est pas marocaine

Nous nous appuierons ici sur la lecture de la figure de la femme arabe de Fatima Mernissi par Soumaya Mestiri et reprenons ainsi le titre d’un des ouvrages de la première, Chahrazad n’est pas marocaine. Le personnage de Madame Sadaan permet à Alexis Wright d’introduire une figure de femme libre, en opposition avec les personnages féminins de victimes développés jusqu’alors, qu’il s’agisse de femmes blanches comme l’épouse du missionnaire, Beverly Jipp, ou de femmes non-blanches. Madame Sadaan semble ainsi bien plus proche de l’image de la femme donnée dans la littérature érotique arabe médiévale que de celle d’esclave sexuelle de harem véhiculée par le fantasme colonial orientaliste. Ainsi, dans le débat inaugural sur la pudeur de la tenue des danseuses, s’opposent deux points de vue inconciliables : celui, pudibond, des membres du conseil d’administration d’une institution chrétienne et celui de Madame Sadaan, qui pourrait relever de ce que Soumaya Mestiri nomme « libéralisme sexuel oriental31 ». Si Madame Sadaan ne juge pas ses tenues indécentes, c’est qu’elle est dépositaire d’une tradition dans laquelle religion et sexe, érotisme et Islam sont en lien étroit qui déculpabilise la sexualité32. Dans l’âpre négociation sur la décence du costume des danseuses se joue peut-être « l’idée que le sexe, en Islam, n’est ni sale ni culpabilisant33 » et dans l’incompréhension entre les deux parties, « la notion de souillure, de péché de la chair » qui existe dans la tradition chrétienne et non dans la tradition musulmane34. Si Madame Sadaan feint de donner raison aux membres de l’ordre chrétien pour mettre fin à la négociation (« “Oh yes, that’s just fine ! Over normal underwear, each dancer will wear a black bra and pants of plentiful proportions,” Madame Sadaan said in a sarcastic voice35 »), c’est parce qu’elle sait qu’elle aura le dernier mot (« “Off with those clothes !” She commanded, making the four women strip to their white bras and pants. “You are beautiful. Believe in your beauty,” she ordered36. ») Ainsi Madame Sadaan est-elle, pour remployer la distinction foucaldienne reprise par Soumaya Mestiri, détentrice bien plus d’un « ars erotica du désir satisfait » qui met en jeu « la complicité et la complémentarité sexuelles entre partenaires » que d’une « scientia sexualis du désir insatiable, […] du désir d’être désiré occidental37 ». Sa danse d’amour, avant d’être une danse d’amour pour l’autre, est d’abord une danse de l’amour de soi : nous y voyons là la condition pour un sujet d’entrer dans le contrat sexuel qui définit les relations dans la littérature arable médiévale. Pour faire de ses patientes des « actrices sexuelles à part entière », Madame Sadaan commence par désamorcer tout dispositif scénique : les rideaux et la lumière sont baissés (« The room was dimly lit, curtains down, dolent of the shared odour of perfumed oil and perspiration38. ») Le sujet sexuel a des droits et des devoirs, dont le premier est un soin de soi, propre « à éveiller le désir39 » : ainsi Madame Sadaan enseigne-t-elle à ses élèves, suivant les principes des traités d’érotologie, à s’enduire d’huile (« Eventually, she had her four stars in perfect physical fitness : they looked like top devotees of the aerobics scene. She taught them to massage each other with sandalwood oil, while they told each other how beautiful they were40. ») Madame Sadaan « est donc d’abord celle qui sait, et dont le savoir est aussi un savoir sulfureux qui lui donne une toute-puissance certaine41 », celle de guérir : « Soon they would be cured for life, because they would be sharing her deepest secret42. » Au rebours des personnages féminins soumis et asservis, blancs et non-blancs, que le roman avait jusque-là élaborés, Madame Sadaan devient un « symbole de pouvoir conquis par le savoir43 ». Le savoir en matière de sexe de Madame Sadaan l’humanise, lui confère un pouvoir de soigner que Penguin, après des années d’expérience ne détient pas, consacre sa supériorité féminine : en un mot il la « désorientalise » – et c’est en ce sens que ni Chahrazad ni Madame Sadaan ne sont marocaines ; elles n’incarnent pas « cette image désastreuse d’une femme asservie et soumise44 ». Mais on n’échappe pas si facilement à la « colonialité du genre45 » et cette supériorité féminine finit par se retourner contre elle.

3. Un saut qualitatif

Les traces de ce que Soumaya Mestiri nomme « mythification de la figure féminine », c’est-à-dire le glissement « de la femme libre, gentiment libertine, [au registre] de la femme vorace gloutonne, quasi-castratrice46 », sont visibles très tôt dans le chapitre. Ainsi le personnage de Madame Sadaan est-il introduit à travers une série de métaphores animales qui la déshumanisent :

The grace of a swan gliding over still waters. The speed of a jaguar in full pounce. A phenomenon. And always wobbling. If she had been the size of an elephant she would have caused earthquakes47.

Un véritable bestiaire à elle seule ; et ce ne sont pas les espèces les moins dangereuses pour l’homme qui sont citées. Quelques lignes seulement après avoir décrit la largeur du fessier du personnage (« An eye-catching behind so broad its wobbling was mesmerising to anyone walking behind48 »), l’hypothèse de la comparaison avec un pachyderme a valeur d’ironie. En effet, nous dit le texte, les hommes doivent procéder à des réparations après chacune de ses apparitions… Derrière l’hypothèse du tremblement de terre provoqué par la pachydermique Madame Sadaan se joue donc une subversion du rapport de forces femmes-hommes : « As it was, maintenance men had to nail down the floorboards after each performance49. » Aussi incompatible qu’elle soit avec la lourdeur de l’éléphant, la métaphore du fauve carnassier prêt à bondir révèle quant à elle le fantasme de la prédation, prolongé par celle du cygne, aussi gracieux que castrateur. Voilà donc, à travers l’hypersexualisation de Madame Sadaan, le « fantasme colonial » reconduit sous une autre forme, « la bestialité faite femme », la « femelle en rut, aux formes proprement monstrueuses, avide de sexe50 ». La fin du paragraphe illustre ce « saut qualitatif qui consiste à commencer par affirmer la supériorité sexuelle de la femme pour finir dans une sorte de délire fantasmatique, alimentant les passions les plus folles51 », celles d’une danse, ou d’un coït, jusqu’à épuisement, jusqu’à ce que mort s’ensuive : « A portable respirator accompanied her whenever she performed…or whenever she went to bed with a man who was game52 ».

Ainsi cette fête qu’est l’art de la danse pratiqué par Madame Sadaan semble-t-il contenir le risque de virer au festin, une exploration étymologique à laquelle nous invite le texte : « To watch her dance was a feast par excellence53 ». À travers l’image du festin est thématisé le fantasme colonial de la femme « mangeuse d’homme », si insatiable sexuellement qu’elle est « aussi croqueuse de femmes54 ». La fin du chapitre, décrivant une atmosphère de lesbianisme, donne corps à cette avidité qui traverse les frontières sexuelles. Filant la métaphore du tremblement de terre qui avait ouvert le chapitre, le texte se clôt sur l’éruption dans le plaisir des cinq femmes. Leur changement d’état n’est pas tant celui d’une fusion dans une lave d’humeurs que d’une sublimation, de monolithes devenus esprits détachés : « Together they were five floating spirits. […] Their pants were soaked with the hot flow of lava from subliminal sex55. » La rencontre de Madame Sadaan et d’Ivy permet ainsi de mettre en scène la double colonialité du genre, cette « double image coloniale » de la femme du Sud, « entre hypersexualité et passivité sexuelle56 » — l’ambivalence était déjà présente dans la première partie du roman mais elle est rendue ici plus explicite, chaque personnage incarnant un versant du fantasme colonial. L’une comme l’autre deviennent cet « ennemi par excellence57 » à éliminer : c’est en les hypersexualisant, donc au motif qu’elles sont indécentes, que Penguin va les expulser. Les accusations de débauche de Madame Sadaan (« The note she left behind stated that she was fed up with lies […] about how she conducted illicit sexual relationships and was no more that a common trollop58 ») font écho aux ébaudissements d’Ivy59. Dans la perspective de Penguin, ni Madame Sadaan ni Ivy ne sont « plus ni tout à fait humaine[s], ni tout à fait femme[s]60 », elles sont constituées en « altérités foncières » et c’est parce que leur différence est d’ordre colonial que toute violence à leur égard est justifiée : calomnies, exploitation, maltraitance physique61. En faisant d’elles des Autres radicales, Penguin « sauve sa peau », il est certain de rester sourd à leurs sirènes, de résister à la tentation. Cet homme insipide que le texte mentionne dans un effet d’annonce (« It would take a very dull man, Madame Sylvia thought, not to feel an irresistible temptation for her magnificently pursed lips, painted to perfection in crimson red62 »), c’est bien Penguin, celui qui qualifiera l’épisode de la thérapie par la danse du ventre de quasi-catastrophe : « “Well, even if she’s short of the full quid, at least we’re one short of a full catastrophe,” Penguin announced in a dull voice, summoning up whatever relief he could find in the circumstances63 ».

II. L’autodéfense du ventre

1. Une sensualité déchaînée

Dès les premières pages, le roman décrit la mauvaise qualité du sommeil d’Ivy : loin de n’être que des cauchemars enfantins, il s’agit de terreurs nocturnes qui se poursuivent jusqu’à Sycamore Heights. À trois décennies d’écart, la même scène se répète : pour éviter de hurler dans son sommeil, Ivy essaie, sans succès, de s’empêcher de s’endormir. Les deux épisodes se clôturent sur une même violence exercée par celles et ceux dont elle a troublé le sommeil : aux attaques des petites filles du dortoir

The other girls were not prepared to put up with Ivy becoming a major intrusion into a decent night’s sleep. They talked about the “Timekeeper” constantly and attacked her whenever their tempers flared up. Ivy was often left semi-conscious after these attacks. A rib. A bone. A finger. Broken to mend by itself64.

font écho les gifles et insultes du personnel soignant.

At night she would sit alert, eyes wide open, staring into the darkness until she fell into a fitful sleep. Then the night staff slapped her until she woke up. “Stop your bloody screaming, you bitch !”65

Le personnage est à ce point terrorisé qu’elle ne jouit même pas de cette liberté en rêve que Frantz Fanon décrit dans Les Damnés de la Terre66 ; elle est si tétanisée, si inhibée par la violence coloniale que même en songe son corps reste inerte. Ainsi ferons-nous l’hypothèse d’une « mise sous tension musculaire » du corps d’Ivy par Madame Sadaan : la comparant avec de grandes danseuses, la projetant dans un rêve de gloire

She likened them to the great bellydancers of the world, living their lives on the rim of a normal existence. She spoke of the great life the four would have when they left Sycamore Heights and described the grand performances she had planned for them67

elle la reconnecte avec un « soi fantasmatique », elle ranime son corps en lui redonnant une épaisseur onirique. Si Madame Sadaan connait bien l’aliénation68, elle maîtrise encore mieux la libération : remettant en mouvement les corps fantomatiques de ses élèves, elle travaille contre « la déréalisation de [leurs] propre[s] corps ». D’un bout à l’autre de la formation, Ivy reste enfermée, mais son existence a retrouvé de la consistance : du personnage passe-muraille qui n’a nulle part où aller (« She stared through anyone who spoke to her69 ») à la patiente qui réclame son repas (« “Can I eat now ?” Ivy asked, looking the nurse straight in the eye and speaking in a coherent voice instead of the rhythmless babble they were used to70. »), il semblerait que Madame Sadaan ait en partie conjuré la posture de damnation, cet « enfermement dans un corps fantomatique ». Se pourrait-il alors que cette danse d’amour soit en fait une préparation au combat ? Dans un roman où tous les personnages sont mus par ces trois émotions : l’amour, l’envie et la violence (« Many others used this track, driven by emotions that swayed between love, lust and violence71 »), l’hypothèse n’est pas improbable. Madame Sadaan commence par créer un « tonus musculaire » chez ses élèves (« She built up a program of muscle toning exercise routines that began quite gently72 ») pour le libérer dans une « danse plus ou moins extatique » : nous souscrivons ici à l’hypothèse d’Elsa Dorlin, selon laquelle la danse est « une forme de propédeutique de l’affrontement, […] une forme d’autodéfense psychique mais aussi une forme d’entrainement corporel, de visualisation anticipatrice de l’entrée dans la violence défensive. » Dans la métaphore des patientes en volcans

Together they were five floating spirits that swayed and wobbled as if they were once small hills that grew into mountains and became volcanœs on the verge of erupting73

se joue l’éruption de subjectivités qui ont retrouvé leur puissance d’agir : Madame Sadaan a déchaîné la sensualité de celles qui n’étaient pas encore des sujets, préparant leur explosion à travers une forme de transe qui les met hors d’elles74. Ainsi l’arrêt du programme prend-il une autre dimension ; celle d’une « panique blanche » face au déploiement d’un muscle qui n’est pas seulement un « exutoire » mais un « exécutoire », une hypothèse vérifiée par la réaction de l’aide-soignante à laquelle Ivy réclame son repas : « The nurse, stunned and slightly frightened, looked over the straps in case by some extraordinary means Ivy might leap up at her75. » Si Penguin met fin au programme de Madame Sadaan, c’est peut-être que lui aussi « soupçonne un pas de danse d’être déjà un engagement au combat. » De la danse du ventre à la danse martiale, l’écart n’est-il pas trop grand ? C’est la souplesse qui est au cœur de l’apprentissage de Madame Sadaan, c’est elle qui lui permet de déplacer des montagnes à mains nues : « “I have moved a monolith, inch by inch, with my bare hands”76 ». Cet art auquel elle initie Ivy, c’est bien celui d’une « mètis du combat », d’un « perpétuel mouvement polyrythmique77 ».

2. Quand danser c’est voler

C’est parce qu’Ivy est aliénée que sa danse choque : en dansant, elle prend possession de son corps. Danser, pour celle qui ne possède pas son corps en propre, c’est voler, c’est commettre une offense si grave, dans la perspective lockéenne, qu’elle s’apparente à une déclaration de « guerre sociale » qui exclut de l’humanité et légitime une punition disproportionnée78. Cette disproportion, ce traitement inhumain apparaissent bien dans ce passage consécutif à l’arrêt du programme :

Her withdrawal reached the stage where she had to be strapped to her bed. Penguin ordered this procedure to save everyone the embarrassment of encountering Ivy cavorting all over the establishment in a state of undress revealing her crater-shaped stomach. There had been complaints by visitors, patients and staff. Once she shook herself so violently as she lay on the bed that she broke the straps. The staff replaced them and made her lie on a flat board instead of the mattress. When she stopped shaking and lay babbling the bellydance music, the minders placed tape over her mouth. At last, having completely worn herself out, she fell into deep sleep. With the gag removed, she stayed asleep for four days79.

Dans une perspective lockéenne, Ivy, « a ward of the State80 », n’est pas un sujet libre, elle ne jouit pas de ce droit premier qu’est la propriété de son corps, elle est donc condamnée au vol81 ; ce que le roman thématise sous la forme d’une pathologie :

Then her thoughts, irresistibly kleptomaniac, eventually led her to grab at whatever she could while Penguin apologized on her behalf. “Be a good girl”, Ivy, and give back what is not yours. His kind, soothing words were a pre-taught trigger, enabling her to respond appropriately. Then, having thoroughly duped his audience, he would lead her outside, where an orderly was waiting82.

La conséquence de cette définition de la liberté en fonction de la propriété, c’est qu’Ivy est illégitime à se défendre, ce qu’illustre le passage suivant sur les violences obstétricales qu’elle subit à Sycamore Heights :

Ivy did not like these strange men and women prodding and poking her, but she knew she was incapable of stopping them. If she struggled – as, for instance, when excessive voltage was used in treating her – she would be strapped down. She often cried, but the words “You’re a good girl !” could pacify her, together with a few Minties to take to be with her83.

Si Ivy est incapable de se défendre, c’est qu’elle n’en a pas le droit, parce qu’elle n’est pas un sujet de droit. Dans cette perspective, une patiente « normale84 » est une patiente spectrale, hors d’elle, un « zombie » comme les autres participantes. Ainsi la catastrophe, c’est qu’une Aborigène prenne possession de son propre corps. Voilà le scandale de la danse d’Ivy expliqué par le vol comme offense dans le « schème de la subjectivité moderne dominante », qui fait du droit de propriété la source de la liberté85.

3. Un ventre obscène

Nous proposons de dresser un parallèle entre Dirty Weekend, tel qu’analysé par Elsa Dorlin, et Plains of Promise afin de mieux comprendre ce qui fait l’obscénité de la scène de la danse du ventre d’Ivy à Sycamore Heights. Si la rencontre de Bella avec un voyant iranien constitue le point de bascule du premier roman, nous pouvons faire l’hypothèse qu’avec celle de la danseuse arabe (« Madame was in her mid-fifties, a handsome woman of Arabic origins86 ») les chapitres douze et treize jouent un rôle similaire dans le second. C’est en effet seulement à partir de sa thérapie avec Madame Sadaan qu’Ivy accède au discours interne — signalé par des italiques ; dans les deux cas, un changement de point de vue semble s’opérer. Suite à ce pivot, les deux protagonistes accèdent à une intériorité. Dans cette nouvelle perspective, ce que Penguin craint, n’est-ce pas qu’Ivy raconte son histoire de son point de vue, défasse sa belle mise en scène, trouble le spectacle dans lequel elle joue le rôle principal ? Penser l’obscénité en termes de point de vue nous permet de comprendre que ce ne sont pas les cicatrices du ventre d’Ivy qui sont obscènes, mais ce qu’elle peut en dire. Penguin fait les questions et les réponses, il intègre tout événement à son point focal :

He would pose the question : “Can these inherited genes be turned into traditional qualities ?” He seldom received an answer : if he did, he would manage to incorporate it into his own theories. Then he would answer his own question : “Yes, I believe they can”87.

Ses paroles sont antiphrastiques puisque dès qu’Ivy recouvrera la parole et la mémoire, il l’expulsera de l’hôpital :

“yet I have a feeling it is only a matter of time before Ivy comes out of her melancholy and will be able to tell us who she really is herself.” At this point he would place a fatherly hand on Ivy’s shoulder. “One day she will tell us why she is so sad.”88

À la compassion contrefaite de sa propre mise en scène

“And here is my little Ivy” – Penguin would have her brought in to meet important visitors and recite the well-worn story of the mystery surrounding Ivy’s former life. Mysteries still to be resolved, he would add sadly. Then, as tough turning the page to a better story, he would explain how progressive the institution was towards the study of Aboriginal mental health89.

correspond sa terreur de l’empathie que peut générer la danse du ventre d’Ivy ; c’est-à-dire cet étonnement qu’un autre point de vue existe. La véritable catastrophe, pour Penguin, serait que les autres « [fassent] connaissance avec un autre point de vue, étranger, ignoré, effacé, et, par définition, obscène90 », celui d’Ivy. En exhibant son corps mutilé, Ivy menace de raconter une histoire mutilée, de défaire la « fabrique de l’oubli91 », de faire s’effondrer le monde des dominants. C’est bien ce qu’il se passe lorsque le scandale de détournement des fonds alloués aux Aborigènes est révélé :

Ivy Koopundi never knew she had caused the toppling of mission control over so many Aboriginal lives. In future years, if the lives of Aboriginal women such as Ivy are unravelled, their names may be remembered like latter-day Joans of Arc or Florence Nightingales92.

Pourtant, comme chez Helen Zahavi, la protagoniste est préservée dans sa « banalité féminine », elle reste une « antihéroïne » : sa métamorphose n’est peut-être aussi rien d’autre qu’une anamorphose. Si, comme Bella, Ivy (re)donne de la consistance à son point de vue à la suite d’une « parenthèse introspective », celle-ci reste à un niveau infra-politique. Plains of Promise réalise une phénoménologie de la proie, décrivant non seulement « ce que ça fait d’être une femme93 » mais ce que cela fait d’être une femme non-blanche : Ivy est un cobaye, une bête de foire.

It was Ivy, more than anything else, who made it possible for Sycamore Heights to become a showpiece. Penguin was the proud beneficiary of contributions made to the institution based on her case. […] And always the star patient was Ivy94.

Et le texte décrit minutieusement ses tactiques pour survivre aux violences médicales :

Ivy gulped down solid balls of air to clock out the pain of the stinging disinfectant. Ivy was on the show for the medical profession. […] In bed she curled her thin body into a fœtal position to ease the pain. She swallowed the tablet that would make her sleep, and in the morning she woke with the nice felling of the Minties still locked in her hand95.

Comme Bella, Ivy échoue à se raccrocher à une « vie ante-agression96 » ; le souvenir auquel elle fait appel se perd dans une histoire de violences qui l’a rendue amnésique :

She did not understand why she could not return to the laughing woman with the child the she remembered. […] Ivy’s sense of herself was contained in far-off glimpses, like remembering distant hills seen once from the window of a car moving through the landscape. She saw a small child with her mother’s arms around her. She could not make the bits in between fit with the face of the young woman she saw reflected in the window. She tried hard and often to bring back the lost memories, only to sense her mind revolving faster and faster into a black vortex, disappearing into nothing. There was nothing there to remember97.

Comme Bella, Ivy deviendra une meurtrière. Cependant son meurtre n’a pas la même portée que ceux de Bella : il ne témoigne pas d’une prise de conscience politique mais de la désertification d’un monde où les rapports se sont figés dans une « prédation généralisée98 ».

4. Le poison de la sécurité

Ivy recouvre sa puissance d’agir au sein de l’espace de sécurité mis en place par Madame Sadaan ; pourtant, du point de vue de la critique du « safe » par Elsa Dorlin, c’est peut-être le confinement sécuritaire même de cet espace qui l’empêche de devenir un « sujet politique révolutionnaire ». Madame Sadaan crée un entre-soi à géométrie invariable (« “In that case I will start now with these four and this is how the class must remain, with the same four pupils.”99 ») et impénétrable (« In this time she would take the phone off the hook and lock the front door, hanging a sign that said Do Not Disturb on the knob100 »). Ainsi a-t-elle créé des sujets « rassurées » mais pas « enragées101 », impuissantes à nouveau lorsqu’elles se retrouvent dans le monde, car sans communauté de référence102 : au cœur de ce cercle où elles se massent, se tiennent les mains et se confient :

She taught them to massage each other with sandalwood oil, while they told each other how beautiful they were. “How beautiful”, she would coo. “So beautiful,” they would reply. Then they would make a circle on a large piece of olive silk spread on the floor, join hands and talk103.

Les élèves de Madame Sadaan retrouvent un microcosme vivable, mais n’y puisent pas de « rage autoprotectrice » pour leur retour dans le monde :

They could now rejoin a society where the walls were much more expansive than the inner walls of their safe cell with had previously held them prisoners to their own minds104.

L’entre-soi « safe » est un mirage et l’espoir de cette conclusion de chapitre a en effet été désamorcé quelques pages avant par cet effet d’annonce dramatique : « The open gates represented a bigger trap than the one she was in already105 ». À peine sortie de l’hôpital, Ivy se retrouve déjà hors d’elle-même, dans une inquiétude radicale (« Ivy was beside herself with worry and held on tightly to the nurse’s arm as he desperately tried to disentangle himself from her in order to leave the train106»). Sa paranoïa se met en place, que nous analyserons ici comme la thématisation de ce soin aux autres négatif qu’Elsa Dorlin qualifie de « care négatif » : un « souci des autres [qui] advient par et dans la violence. […] La violence endurée génère une posture cognitive et émotionnelle négative qui détermine les individu.e.s qui la subissent à être constamment à l’affut, à l’écoute du monde et des autres ; à vivre dans une inquiétude radicale, épuisante, pour nier, minimiser, désamorcer, encaisser, amoindrir ou éviter la violence, pour se mettre à l’abri, pour se protéger, pour se défendre107 ». L’épisode du voyage en train d’Ivy est emblématique de ce « sale soin que l’on porte à soi-même108 », entre sa terreur de sentir et de se faire remarquer :

The last thing Ivy wanted was to create a scene, but she felt she had to leave the train immediately. She knew she must stay calm, otherwise she would begin to smell and then people would stare at her. […] She did not use the dining carriage, where people would have noticed her109.

et sa difficulté à faire confiance au conducteur en charge de sa correspondance.

Ivy was at the platform snack bar and when he did find her he had to spend some time convincing her that he was just trying to help her onto her new train110.

Lorsqu’Ivy, recueillie chez Bessie, décide de cuisiner pour ne pas risquer l’empoisonnement, c’est bien le même « care » négatif qui est en jeu : « She decided she would prepare anything she ate herself, so that the old woman didn’t bait her food with poison111. » Lorsqu’Ivy prête attention à elle-même, c’est uniquement pour y déceler les traces d’une violence subie :

Ivy had lived in fear that she was somehow being poisoned ever since Bob, disguised as the small dog, had made his accusation against Bessie. As a result, the younger woman generated enough acid in her stomach to withstand the increasing dosages of poisonous substances she imagined Bessie was secretly adding to her food. Ivy’s stomach upsets were usually nothing more than a feeling of nausea, but sometimes she had bouts of debilitating vomiting and diarrhea. Every day she would examine her phlegm on a saucer for suspicious signs. Remembering from her years at Sycamore Heights how to self-monitor such symptoms as dizzy spells, double vision and systolic functions, she carried out self-examinations according to the annual calendar that arrived each year from the baker’s shop112.

Dans ce monde de paranoïa, les rapports se réduisent à une suspicion mutuelle :

Life went on this way for several years, during which time each woman created a world full of suspicions against the other. Bessie made veiled threats about getting rid of Ivy113.

Tandis que chacun devient sous la contrainte un.e « expert.e des autres », seule tactique pour survivre

She would smile while Ivy agonized whether to eat the stew or not, knowing what was running though the younger woman’s mind : Had there been time to do it while Ivy fetched another piece of wood for the stove ? […] Phlegmatically Bessie would calculate how long it would take Ivy to overcome her gear and eat. She knew poor Ivy must eventually lose out to her own command of tactics114.

Dans ce monde où l’altérité s’est dissoute dans la prédation, le « rabattement du possible dans l’ordre de la menace et du danger115 » est tel qu’Ivy décide de ne s’occuper d’elle – aller aux toilettes, se laver, laver ses vêtements – que dans le secret de la nuit, à l’abri de regards qui n’existent que dans son imagination paranoïaque (« Bessie’s place was in fact quite isolated from any neighbour — there was no one around as far as they eye could see, but that did not deter Ivy from making her decision116. ») La paranoïa atteint son paroxysme lorsqu’Ivy accuse Bessie de l’avoir empoisonnée avec du savon ; survivant à l’explosion, non de sa rage, mais des explosifs entassés depuis près de vingt ans par le défunt mari de Bessie, elle rejoint le troupeau de chèvres et réalise son destin infra-humain de proie.

Conclusion

À travers la danse, Ivy se réapproprie son corps, elle ne se tient plus « à côté » de lui, dans un « hors de soi » qui est, selon Elsa Dorlin, la posture fondamentale du colonisé117. Avec Madame Sadaan, Ivy apprend à jouir de son corps. Mais en postcolonie, même après 1967 et l’octroi de la citoyenneté aux Aborigènes, la colonisée, si elle détient désormais en droit la propriété de son corps, en est punie. Sa sanction sera l’éloignement de la société blanche, d’abord chez une veuve aborigène, puis à la périphérie d’un de ces camps héritiers de ceux où les Aborigènes, depuis l’installation des colons, ont été parqués pour y laisser leur race s’éteindre, dans l’espoir de réaliser la fiction d’une Australie blanche, de faire advenir cette « terra nullius » qui en légitime leur appropriation.

Si la thérapie par la danse fonctionne pour Ivy, plus que pour les trois autres femmes blanches du programme, c’est peut-être parce que, menée par une autre femme du Sud, elle vient soigner un ventre victime de racialisation. La panique blanche qu’elle soulève, qui mène à l’expulsion consécutive des deux personnages, semble accréditer notre hypothèse d’une danse décoloniale, dont l’enjeu est la parole des subalternes. Le risque que fait courir Ivy, à qui Madame Sadaan a redonné du pouvoir, à Sycamore Heights et plus largement à la société coloniale australienne, c’est de raconter une autre histoire que la fiction élaborée par Penguin, celle des Générations Volées. Les mouvements de son ventre concave dessinent ainsi une « contre-géographie118 » bien gênante pour les dominants : Ivy n’est pas seulement en quête d’elle-même, mais de sa mère, de sa fille (« In a place like Sycamore Heights, Penguin told Madame, Ivy was the typical inmate trying to find a missing person : herself119. »).

Au cœur de ce « contre-univers120 », il n’y a plus ni aphasie ni amnésie : Madame Sadaan a restauré la confiance d’Ivy, pourtant limitée au cercle « safe » qu’elle a dessiné. C’est pourquoi elle est rassurée, entraînée au combat par une danse peut-être aussi sensuelle que martiale, mais pas politisée. Sa rage, qui n’est pas orientée dans une lutte de libération, nourrit une paranoïa qui n’est que l’envers d’un « care » négatif qui désertifie le monde, appauvrit les relations humaines, vide la communauté de son sens pour le réduire à un programme d’assistance sociale. « “Community – what a welfare term, she thought121. »

Notes de bas de page numériques

1 « L’étude fine des politiques de la reproduction dans le long temps colonial révèle une gestion du ventre des femmes qui éclaire la colonialité du pouvoir telle qu’elle se décline dans la seconde moitié du XXème siècle. » F. Vergès, Le ventre des femmes : capitalisme, racialisation, féminisme, Paris, Albin Michel, 2017, p. 12.

2 Deuxième partie « Glimpses of Distant Hills », traduit en français par « Visions de lointaines collines », chapitres XII et XIII, Alexis Wright, Les Plaines de l’espoir : roman [Plains of promise, Queensland (AU), University of Queensland press, 1997] trad. Sabine Porte, Arles, Actes Sud, 1999.

3 F. Vergès, Le Ventre des femmes : capitalisme, racialisation, féminisme, op. cit., p. 14.

4 F. Vergès, Le Ventre des femmes : capitalisme, racialisation, féminisme, op. cit., p. 215.

5 « On an improvised stage the assembled audience watched the jelly-like movements of variously shade white bellies moving with tantalizing speed. Some rippled folds of fat up and down like rolling waves. Others were either sunk deep in ribcages or disappeared within the pit of empty navels. Belly-button eyes stared at the silent audience. » A. Wright, Plains of promise, Queensland (AU), University of Queensland press, 1997, p. 163. « Le public assemblé observait les mouvements gélatineux de ventres blancs de formes diverses et variées qui s’agitaient à une vitesse fascinante sur une scène improvisée. Les uns parcourus d’une houle de plis de graisse qui s’enroulaient comme des vagues, d’autres engloutis sous les côtes ou noyés dans les creux des cavités ombilicales. Des yeux en boutons de nombril fixaient le public muet. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, trad. S. Porte, Arles, Actes Sud, 1999.

6 Si le ventre d’Ivy est obscène, c’est ainsi, dans la perspective que nous adoptons, parce qu’il « force » l’administrateur de l’hôpital à « faire connaissance avec un autre point de vue, étranger, ignoré, effacé, et, par définition, obscène. » E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, Paris, Zones  : la Découverte, 2017, p. 173.

7 F. Vergès, Le Ventre des femmes : capitalisme, racialisation, féminisme, op. cit., p. 215.

8 « Le noyau du problème des Aborigènes était que le pouvoir des hommes blancs et des hommes noirs s’unissait dans une double répression contre la femme » M. M. Bennett, « The Aboriginal mother in Western Australia in 1933 », British Commonwealth League Conference, juin 1933, p. 4, cité in S. Lindqvist, Terra nullius, Paris, les arènes, 2006, p. 144.

9 « Ils ont dit que nous aurions une vie et un futur meilleurs en étant élevés comme des blancs, loin de nos parents, dans un cadre religieux. Tout ce qu’ils ont apporté à notre éducation, c’est une blessure de solitude, de méfiance, de haine et d’amertume », Lilla Millicent, citée in Bringing them home, Sydney, NSW : Human Rights and Equal Opportunity Commission, 2001 cité in in S. Lindqvist, Terra nullius, op. cit., p. 135-136.

10 Elsa Dorlin décrit ainsi la mètis du combat comme un « perpétuel mouvement polyrythmique » qui trouble, grise l’adversaire. E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 33.

11 A. Wright, Plains of promise, Queensland (AU), University of Queensland press, 1997, p. 177. « “Et maintenant, dansons. Dansons pour l’amour de nous”, répéta-t-elle inlassablement jusqu’à ce que ses paroles pensent en charge la moindre pensée, le moindre muscle, la moindre particule d’existence terrestre dans cette salle aux rideaux tirés. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit, p. 198.

12 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 165. « terrestre » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 185.

13 « Le concept de vices épistémiques développé par Medina rejoint l’idée de violence épistémique telle que systématisé par Spivak qui elle-même reprend, en partie, l’analyse de Michel Foucault. Spivak définit la violence épistémique comme le fait d’imposer [aux populations colonisées] certains codes européens […] » G. Spivak, The Post-colonial Critic : Interviews, Stratégies, Dialogues, Routledge, 1990, p. 126, cité in cité in S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, Paris, Vrin, 2016, p. 18 (note 1).

14 J. Medina, The Epistemology of Resistance. Gender and Racial Oppression, Epistemic Injustice and Resistance Imaginations, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 31, cité in S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, Paris, Vrin, 2016, p. 18.

15 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 54 : « Ce dernier (s’inspirant aussi de Dussel) parle d’une “colonialité de l’être”, typique de la modernité, dans laquelle l’ego cogito cartésien s’incarne en un ego conquiro (qui se manifeste essentiellement comme un “ego phallique”) caractérisé par un “scepticisme misanthropique” : “Je pense (les autres ne pensent pas, ou pas correctement) donc je suis (les autres ne sont pas, ont un manque d’être ou ne doivent pas exister ou ne sont pas indispensables”. »

16 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 22-23. « Le conseil d’administration progressiste voyait dans les modes et les marottes médicales en tout genre, danse du ventre y compris, une forme essentielle de méthode de la psychothérapie moderne, dont l’introduction à Sycamore Heights s’inscrivait dans le carde d’un travail de recherche permanent. Le conseil d’administration était présidé par Mr Des Penguin, un petit homme replet entre deux âges avec d’épais cheveux noirs qui se clairsemaient rapidement sur son front. Foncièrement sceptique, il s’était fait prier avant de donner son aval à ce spectacle, tout en sachant qu’il finirait par devoir céder, afin de ne pas se laisser dépasser par les membres les plus novateurs du conseil, et notamment son collègue Quill. Mais Penguin n’était toujours pas convaincu par ce concept fort peu conventionnel, qui remplaçait sur la pelouse les pas de deux et autre folklore irlandais des récréations du samedi après-midi. Il admettait volontiers être quelque peu traditionaliste ; par le passé, quand il n’était encore que simple infirmier débutant, il s’enorgueillissait de ses talents de danseur mondain. Et il avait le sentiment de savoir quels étaient les traitements efficaces et ceux qui ne l’étaient pas. Il était dans le métier depuis longtemps. Il se méfiait des solutions miracles des experts sortis des universités siégeant au conseil d’administration. Que savaient-ils de la sphère bassement terrestre de la réalité ? » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 185.

17 La formule est d’Enrique Dussel, cité in S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 16.

18 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 18 : « Spivak définit la violence épistémique comme “le fait d’imposer [aux populations colonisées] certains codes européens […], un système éducatif complètement différent ainsi que divers autres mécanismes.” »

19 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 18 : « Elle explique ailleurs que “le plus clair exemple de cette violence épistémique est me vaste projet, hétérogène et orchestré à distance, de constitution du sujet colonial comme Autre” ; et d’ajouter que “ce projet consiste aussi en l’occultation asymétrique de la trace de cet Autre dans sa précaire subjectivité.” »

20 « quelque légume tropical », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 190.

21 « une Aborigène qui avait vécu en tribu », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 190.

22 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 169. « Tous les tests nécessaires avant été pratiqués et on lui avait prescrit un traitement approprié. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 190.

23 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 176. « Et madame battit des bras en l’air, tout aussi exaltée que l’Église le serait sans doute devant un véritable miracle. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 197.

24 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 36 : « Lorsque vous sauvez quelqu’un, vous le sauvez nécessairement de quelque chose. Vous le sauvez, par ailleurs, en vue de quelque chose. Quelles violences sont impliquées par cette transformation ? Quelles présomptions sont faites quant à la supériorité de ce pourquoi vous les sauvez ? Les projets de sauver des femmes différentes se fondent sur un sentiment de supériorité, [un sentiment qu’ils] renforcent par ailleurs. Ils représente une forme d’arrogance qui mérite d’être combattue. »

25 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 20. « Errol Jipp est homme à songer à ses propres intérêts. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 31.

26 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 39.

27 Cf. note 121.

28 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 176. « “Ma petite Ivy se souvient de tout. Ne t’inquiète pas, mon petit. Si tu ne peux rien me dire, ne dis rien”. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 197.

29 Nous paraphrasons ici la formule d’« Habermas au Bengale » d’Elsa Dorlin, reprenant elle-même le titre de cet article : R. Bertrand, « Habermas au Bengale ou comment provincialiser l’Europe avec Dipesh Chakrabarty », Travaux de science politique, Université de Lausanne, n° 40, in S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 21.

30 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 10.

31 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 51.

32 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 46.

33 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 42.

34 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 46.

35 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 166. « “Mais oui, c’est absolument parfait ! Par-dessus des sous-vêtements normaux, toutes les danseuses porteront un soutien-gorge et une culotte noire d’amples proportions”, rétorqua Mme Sadaan d’une voix sarcastique. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 186.

36 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 176. « “Ôtez-moi ces vêtements !” ordonna-t-elle en disant aux quatre femmes de ne garder que leur slip et leur soutien-gorge. “Vous êtes belles. Croyez en votre beauté”, leur enjoignit-elle. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 198.

37 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 42.

38 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 175. « La salle était faiblement éclairée, les rideaux tirés, imprégnée d’une odeur de parfum mêlé de transpiration. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 196.

39 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 47.

40 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 175. « Elle finit par remettre ses quatre étoiles en parfaite forme physique : on aurait cru de ferventes adeptes de l’aérobic. Elle leur apprit à se masser l’une l’autre avec de l’huile de bois de santal, tout en les complimentant sur leur beauté. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 196.

41 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 54.

42 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 176. « Bientôt elles seraient définitivement guéries, car elles partageraient son secret le plus intime. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 197.

43 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 54.

44 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 40.

45 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 52.

46 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 51.

47 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 164. « La grâce d’un cygne glissant sur des eaux paisibles. La vitesse d’un jaguar bondissait. Un phénomène. Et le tout, sans cesser de ballotter. Si elle avait eu la taille d’un éléphant, elle aurait provoqué des tremblements de terre. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 184.

48 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 164. « Offrant à toute personne qui se trouvait derrière elle le spectacle fascinant d’une coupe si large qu’elle ballottait dangereusement. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 184.

49 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 164. « Les hommes de la maintenance étaient déjà forcés de reclouer les lames du plancher après chacun de ses spectacles. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 184.

50 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 53.

51 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 43.

52 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 164. « Un respirateur portatif l’accompagnait à chaque fois qu’elle donnait un spectacle… ou qu’elle couchait avec quelque amant intrépide. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 184.

53 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 164. « La voir danser était une fête par excellence », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 184.

54 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 52.

55 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 177. « Ensemble, elles étaient cinq esprits flottants qui se balançaient. […] La lave brûlante du sexe subliminal trempait leurs culottes. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 198.

56 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 52.

57 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 56.

58 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 179. « Dans le mot qu’elle laissa derrière elle, elle disait en avoir par-dessus la tête des mensonges l’accusant […] d’entretenir des relations sexuelles illicites, de n’être guère plus qu’une vulgaire catin. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 200.

59 Cf. note 68. A. Wright, Plains of promise, o. cit., p. 179. A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 200.

60 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 56.

61 S. Mestiri, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, op. cit., p. 54 : « Ce qui est valable pour l’étranger en général, est valable, plus particulièrement pour la femme indigène : la différence coloniale (ou “subontologique” comme l’appelle Torres dans une veine fanonienne) est bien “la différence qui existe entre l’être et ce qui se situe en dessous de cet être ou encore ce qui est négativement maqué aussi bien comme accessoire que comme cible de viol et de meurtre”. »

62 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 164. « Seul le plus ennuyeux des hommes, estimait Mme Sylvia, pouvait ne pas se sentir irrésistiblement attiré par sa magnifique bouche en cœur peinte à la perfection d’un nuage écarlate. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 184.

63 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 180. « “Bon, même si elle ne va pas jusqu’à retrouver toute sa tête, nous au moins, on ne court pas à la catastrophe générale”, annonça Penguin d’une voix morne, en rassemblant le peu de soulagement qu’il pouvait encore éprouver dans les circonstances. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 201.

64 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 22-23. « Les autres filles n’étaient pas disposées à accepter qu’Ivy empiète outre mesure sur leur nuit de sommeil. Elles ne cessaient de parler de “l’Horloge” et l’attaquaient dès que leur mauvaise humeur se déchaînait. Après ces agressions, Ivy était souvent abandonnée dans un état de semi-conscience. Une côte. Un os. Un doigt. Cassés. Forcés de se ressouder tout seuls. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 33.

65 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 170. « La nuit, elle demeurait ainsi, redressée, les yeux grands ouverts, le regard perdu dans le vide, jusqu’à sombrer dans un sommeil agité. Puis l’équipe de nuit la giflait jusqu’à ce qu’elle se réveille. “Arrête de hurler, espèce de garce !” » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 191.

66 « Le corps du colonisé ne peut être réanimé que par et dans une temporalité onirique. Hors du temps, l’indigène peut enfin déployer un muscle en songe : “Accroupi, plus mort que vif, le colonisé s’éternise dans un rêve toujours le même […]. La première chose que l’indigène apprend, c’est à rester à sa place, à ne pas dépasser les limites ; c’est pourquoi les rêves de l’indigène sont des rêves musculaires, des rêves d’action, des rêves agressifs […]. Pendant la colonisation, le colonisé n’arrête pas de se libérer entre neuf heures du soir et six heures du matin.” » F. Fanon, Les Damnés de la Terre [1961], Paris, La Découverte, 2002, p. 52-53 in E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 30.

67 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 174-175. « Elle les comparait aux plus grandes danseuses du ventre du monde, qui vivaient en marge d’une existence normale. Elle leur parlait de la belle vie qui les attendait toutes quatre quand elles quitteraient Sycamore Heights, et décrivait les magnifiques spectacles qu’elle avait projetés pour elles. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 196.

68 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 168-169 : « “I understand alienation well,” she added. » « “Je comprends bien l’aliénation, ajouta-t-elle” », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 189.

69 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 167. « Quand on lui adressait la parole, elle ne semblait pas voir son interlocuteur. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 188.

70 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 179. « “Je peux manger, maintenant ?” demanda Ivy en regardant l’infirmière droit dans les yeux et s’exprimant d’une voix cohérente et non de ce babil monotone auquel ils étaient habitués. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 201.

71 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 129.

72 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 174. « Elle mit en œuvre un programme de musculation au fil d’exercices de routine qui commençaient très doucement. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 195.

73 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 177. « Ensemble, elles étaient cinq esprits flottants qui se balançaient, ballottaient comme si elles avaient été jadis de petites collines devenues des montagnes, qui s’était muées en volcans au bord de l’éruption. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 198.

74 E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 30 : « Aliéné, le sujet colonisé n’est plus que le témoin angoissé de la dématérialisation, de la déréalisation de son propre corps et de son propre agir ; mais c’est depuis ce processus de déréalisation que se déploie une mécanique de la libération, qui passe nécessairement par une forme de sensualité révoltée ou plutôt déchaînée et, par conséquent, inexorablement violente. Si la brutalité coloniale flanche ne serait-ce qu’un instant, celui qui n’est pas encore un sujet explosera. L’autodéfense devient alors extatique : c’est dans et par ce travail de la violence où le colonisé est hors de soi qu’il se libère et devient sujet. »

75 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 179. « L’infirmière, stupéfaite et quelque peu effrayée, vérifia les angles au cas où, par extraordinaire, Ivy pourrait lui sauter dessus. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 201.

76 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 175-176. « “J’ai déplacé un monolithe, centimètre par centimètre, de mes mains nues”, déclara-t-elle. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 197.

77 Cf note 10.

78 E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 90 : « Quiconque se rendrait coupable de vol pourrait ainsi être légitimement puni par n’importe quel autre homme et traité comme une bête. »

79 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 179. « Ce changement prit chez elle de telles proportions qu’il fallut l’attacher à son lit. Penguin ordonna cette mesure afin d’éviter à tous l’embarras de croiser Ivy gambadant à travers l’établissement dans une petite tenue qui révélait son ventre en cratère. Il y avait eu des plaintes émanant de visiteurs, de patientes et de membres du personnel. Un jour, elle s’agita si violemment dans son lit qu’elle rompit les sangles. Le personnel les remplaça et la força à coucher sur une planche au lieu d’un matelas. Quand elle cessa de trembler et resta à gazouiller l’air de la danse du ventre, les surveillants lui collèrent du scotch sur la bouche. Enfin, à bout de forces, elle sombra dans un profond sommeil. Son bâillon ôté, elle passa quatre jours à dormir. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 200.

80 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 167. « Pupille de l’Etat » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 187.

81 E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 90 : « ceux dont le vol est en passe de devenir la condition même d’existence. Ces voleurs en tous genres ne sont pas défendus car on ne leur reconnaît pas ou plus de corps propre, pas ou plus de droit, pas de soi : ce ne sont pas davantage des personnes. Corps destinés à se voler eux-mêmes s’ils veulent survivre : pour eux, se défendre, c’est encore un vol. »

82 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 173. « Puis ses pensées, irrésistiblement cleptomaniaques, la conduisaient à s’emparer de tout ce qui lui passait sous la main tandis que Penguin l’excusait. “Sois sage, Ivy, et rends ce qui ne t’appartient pas”. Ses paroles bienveillantes, apaisantes, agissaient comme un déclic inculqué qui lui permettait de réagir de façon appropriée. Puis, après avoir royalement dupé son auditoire, il la reconduisait dehors, où l’attendait un infirmier. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 198.

83 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 169-171. « Ivy n’aimait pas que ces hommes et ces femmes étrangers la palpent et la piquent de tous les côtés, mais elle savait qu’elle était impuissante à les en empêcher. Si elle se débattait – lorsque le courant employé pour la traiter était excessif, par exemple –, on la ligotait. Elle pleurait souvent, mais les mots “C’est bien, ma fille !” suffisaient à la calmer, accompagnés d’une poignée de bonbons à la menthe à rapporter au lit. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 190.

84 E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 166 : « c’est d’après son échelle de l’acceptable et du crédible, d’après ‘son monde à lui’, que nous jugeons qu’il est ‘normal’ de subir ce qu’il faut puisque c’est lui qui juge normal d’agit comme il le fait. »

85 E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 91 : « Pour les autres, les Indiens jouisseurs des bienfaits de la nature, les esclaves, les domestiques, les femmes et les enfants, les indigents, les criminels et les scélérats… il n’y a personne dans de tels corps dépossédés d’eux-mêmes. Leur existence est celle d’un hors de soi radical. »

86 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 163. « Âgée d’une cinquantaine d’années, madame était une belle femme d’origine arabe. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 184.

87 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 172. « Puis il posait sa question : “Peut-on transformer cet héritage génétique en qualités traditionnelles ?” Il ne recueillait que rarement une réponse : si jamais il en obtenait une, il s’arrangeait pour l’incorpore à ses propres théories. Puis il répondait à sa propre question : “Oui, j’en suis persuadé.” », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 183.

88 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 173. « “Je ne suis qu’un profane en la matière, déclarait Penguin à ses visiteurs, mais toutefois, j’ai le sentiment qu’Ivy finira par sortir de sa mélancolie et sera capable de nous dire elle-même qui elle est.” Sur ces mots, il posait une main paternelle sur l’épaule d’Ivy. “Un jour, elle nous dira pourquoi elle est si triste”. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 194.

89 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 172. « “Et voici ma petite Ivy…” – Penguin la faisait venir pour rencontrer des visiteurs de marque et racontait le récit éculé du mystère qui entourait le passé d’Ivy. “Il reste des mystères à éclaircir”, ajoutait-il tristement. Puis, comme s’il tournait la page pour entamer une meilleur histoire, il s’étendait alors sur l’approche progressiste de l’institution à l’égard de la santé mentale des Aborigènes. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 193.

90 E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 173.

91 F. Vergès, Le ventre des femmes : capitalisme, racialisation, féminisme, op. cit., p. 215.

92 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 180. « Ivy ne sut jamais qu’elle avait causé effondrement du contrôle qu’exerçaient les missionnaires sur tant de vies aborigènes. Si, dans les années qui viennent, on parvient à démêler l’écheveau de la vie de femmes aborigènes telles qu’Ivy, elles devront rester dans les mémoires comme des Jeanne d’Arc ou des Florence Nightingale des temps modernes. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 202.

93 E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 166.

94 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 172. « Ce fut Ivy qui, plus que toute autre chose, permit à Sycamore Heights de s’imposer comme un établissement modèle. Penguin fut l’heureux bénéficiaire des contributions que le cas d’Ivy rapporta à l’institution. […] Et la patiente vedette était toujours Ivy. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 193.

95 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 170-171. « Ivy déglutissait de grandes goulées d’air pour neutraliser la piqûre du désinfectant. Ivy était offerte en pâture au corps médical. […] Une fois dans son lit, elle recroquevillait son corps frêle en position fœtale pour calmer la douleur. Elle avalait le comprimé qui la faisait dormir, et le matin se réveillait avec la sensation agréable des bonbons à la menthe bien serrés dans sa main. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 191-192.

96 E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 166 : « Il n’y a pas de possibilité de ‘revenir’ en arrière car, de fait, il n’y a pas de point d’accroche pour retrouver une féminité épargnée, qu’il faudrait restaurer ou déviolenter. »

97 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 168-169. « Elle ne voyait pas pourquoi elle ne pouvait pas retourner auprès de cette femme riant avec son enfant quelle gardait en mémoire. […] La conscience qu’avait Ivy d’elle-même se résumait à de lointaines visions fugitives, semblables au souvenir de collines distantes aperçues un jour par la vitre d’une voiture traversant un paysage. Elle voyait un petit enfant dans les bras de sa mère. Elle ne réussissait pas à raccorder les fragments intermédiaires au visage de la jeune femme qu’elle voyait se refléter dan la vitre. Souvent, elle s’acharnait à retrouver les souvenirs perdus, mais elle ne parvenait qu’à sentir son esprit tournoyer de plus en pus vite dans les ténèbres d’un maelström avant de disparaître dans le néant. Et là, il n’y avait rien dont elle puisse se souvenir. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 189.

98 E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 179.

99 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 174. « “En ce cas, je commencerai dès aujourd’hui avec ces quatre-là et la classe restera ainsi, avec les quatre mêmes élèves.” » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 193.

100 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 174. « Elle décrochait alors le téléphone et verrouillait la porte d’entrée en accrochant sur la poignée un panneau “Ne pas déranger”. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 193.

101 E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 149 : « La question n’est pas d’être en sécurité dans un entre-soi fantasmatique, mais de construire et de créer des territoires depuis lesquels politiser, capitaliser, de la rage pour déclarer et mener la lutte : ‘Montrez-moi votre pouvoir et je ressentirai de la fierté’. June Jordan en appelle à créer d’autre formes de communautés, coalisées non pas sur le fondement d’un sujet rassuré, mais sur un engagement enragé au combat. »

102 E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 150 : « Plus on se protège contre l’insécurité, plus on épuise le pouvoir de ce que signifie une “communauté” solidaire, coalisée, de laquelle puiser la puissance et la rage. »

103 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 175. « Elle finit par remettre ses quatre étoiles en parfaite forme physique : on aurait cru de ferventes adeptes de l’aérobic. Elle leur apprit à se masser l’une l’autre avec de l’huile de bois de santal, tout en les complimentant sur leur beauté. “Comme vous êtes belles”, roucoulait-elle. “Si belles”, répondaient-elles. Puis elles formaient un cercle sur une grande étoffe de soie olive étendue par terre, se prenaient par la main et parlaient. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 196.

104 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 177. « Elles étaient libres désormais de rejoindre une société aux murs bien plus reculés que les parois intérieures de la cellule si sûre où leur esprit les détenait jusqu’alors prisonnières. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 198.

105 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 169. « Le portail ouvert était un piège plus grand en ce que celui où elle se trouvait déjà prise. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 189.

106 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 181. « Ivy était folle d’inquiétude et s’agrippait au bras de l’infirmer qui tentait désespérément de se dégager pour descendre du train. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 203.

107 E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 175.

108 E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 176.

109 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 182. « Ivy voulait éviter à tout prix de faire un scène, mais elle avait le sentiment de devoir descendre du train immédiatement. Elle savait qu’elle devait garder son sang-froid, autrement elle se mettrait à sentir et les gens la regarderaient. […] Elle évita d’aller au wagon-restaurant, où les gens ne manqueraient pas de la remarquer. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 203-204.

110 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 183. « Ivy se trouvait au buffet de la gare, et quand il finit par la trouver, il dut passer un certain temps à la convaincre qu’il voulait seulement l’aider à changer de train. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 204-205.

111 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 189. « Elle décida de préparer elle-même tout ce qu’elle mangerait, pour éviter que la vieille femme ne glisse du poison dans sa nourriture. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 210.

112 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 195. « Ivy avait vécu dans la crainte d’être empoisonnée d’une manière ou d’une autre depuis que Bob, déguisé en petit chien, avait accusé Bessie. La plus jeune des deux femmes s’était donc mise à générer suffisamment d’acide dans son estomac pour supporter les doses croissantes de poison que Bessie, dans son imagination, ajoutait à sa nourriture. Les problèmes intestinaux d’Ivy se bornaient généralement à une sensation de nausée, mais il lui arrivait d’avoir des crises de vomissement et de diarrhée. Tours les jours, elle inspectait ses glaires dans une soucoupe en guettant le moindre signe suspect. Elle se rappelait encore, depuis l’époque de Sycamore Heights, comment dépister chez elle des symptômes tels que les accès de vertige, les dédoublements de vision et les dérèglements systoliques, et s’examinait régulièrement en suivant le calendrier annuel que distribuait chaque année le boulanger. » A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 218.

113 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 194. « La vie se poursuivait ainsi plusieurs années, pendant lesquelles les deux femmes se créèrent tout un monde de soupçons réciproques. Parfois, Bessie proférait des menaces voilées en insinuant qu’elle avait envie de se débarrasser d’Ivy. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 216.

114 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 196. « Elle souriait en voyant Ivy au supplice, hésitant à toucher au plat, consciente des doutes qui agitaient l’esprit de sa cadette : Avait-elle eu le temps d’agir pendant qu’Ivy allait chercher une autre bûche pour la cuisinière ? […] Flegmatique, Bessie jaugeait le temps que mettrait Ivy à surmonter sa peur et attaquer son repas. Elle savait qu’au bout du compte la pauvre Ivy ne pouvait que perdre, face à sa propre maitrise de la tactique. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 219.

115 E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 179.

116 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 189. « La maison de Bessie était à l’écart de tout voisinage – il n’y avait pas âme qui vive à parte de vue mais cela ne détourna pas Ivy de sa résolution. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 211.

117 E. Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, op. cit., p. 30.

118 F. Vergès, Le ventre des femmes : capitalisme, racialisation, féminisme, op. cit., p. 219.

119 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 167-168. « Dans un lieu comme Sycamore Heights, déclara Penguin à madame, Ivy tait le type même de pensionnaire en quête d’une personne disparue : elle-même. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 189.

120 S. de Beauvoir, Le Deuxième sexe. II, L’expérience vécue, Paris, Gallimard, 1949, p. 440 : « On voit que la copine remplit à peu près le rôle que joue l’ami de cœur pour la femme honnête confinée parmi des femmes : c’est elle qui est une camarade de plaisir, c’est avec elle que les rapports sont libres, gratuits, qu’ils peuvent donc être voulus ; fatiguée des hommes, dégoûtée d’eux ou souhaitant une diversion, c’est dans les bras d’une autre femme que souvent la prostituée cherchera détente et plaisir. En tout cas, la complicité dont j’ai parlé et qui unit immédiatement les femmes existe plus fortement en ce cas qu’aucun autre. Du fait de leurs rapports avec la moitié de l’humanité sont de nature commerciale, que l’ensemble de la société les traite en parias, les prostituées ont entre elles une étroite solidarité ; […] mais elles ont profondément besoin les unes des autres pour constituer un “contre-univers” où elles retrouvent leur dignité humaine. »

121 A. Wright, Plains of promise, op. cit., p. 266. « Communauté – c’est fou ce que ça fait assistance sociale, se dit-elle. », A. Wright, Les Plaines de l’espoir, op. cit., p. 296.

Bibliographie

Œuvres d’Alexis Wright

Wright Alexis, Plains of Promise, Queensland (AU), University of Queensland press, 1997

Wright Alexis, Les Plaines de l’espoir, trad. Sabine Porte, Arles, Actes Sud, 1999

Autres textes

Zahavi Helen, Dirty week-end, trad. Jean Esch, Paris, Phébus, 2000

Études

Beauvoir Simone de, Le Deuxième sexe. II, L’expérience vécue, Paris, Gallimard, 1949, « Folio »

Bennett Mary Montgomerie, « The Aboriginal mother in Western Australia in 1933 », British Commonwealth League Conference, juin 1933

Dorlin Elsa, Se défendre : une philosophie de la violence, Paris, Zones/la Découverte, 2017

Human Rights and Equal Opportunity Commission, Bringing Them Home, Sydney, NSW, Human Rights and Equal Opportunity Commission, 2001

Lindqvist Sven, Terra nullius, Paris, les Arènes, 2006

Lugones Maria, « The Coloniality of Gender ». The Worlds & Knowledges Otherwise Project 2, 2008, https://globalstudies.trinity.duke.edu/sites/globalstudies.trinity.duke.edu/files/file-attachments/v2d2_Lugones.pdf

Maldonado-Torres Nelson, « On the coloniality of being », Cultural Studies 21, no 23 (2007), p. 240-270

Medina José, The Epistemology of Resistance. Gender and Racial Oppression, Epistemic Injustice and Resistance Imaginations, Oxford, Oxford University Press, 2012

Mernissi Fatima, Chahrazad n’est pas Marocaine : autrement, elle serait salariée !, Casablanca, Éditions le Fennec, 1991

Mestiri Soumaya, Décoloniser le féminisme : une approche transculturelle, Paris, Vrin, 2016

Spivak Gayatri Chakravorty, The Post-colonial Critic : Interviews, Stratégies, Dialogues, Routledge, 1990

Vergès Françoise, Le Ventre des femmes : capitalisme, racialisation, féminisme, Paris, Albin Michel, 2017

Pour citer cet article

Mylène Charon, « Les scènes de l’espoir. La danse du ventre dans Plains of Promise d’Alexis Wright », paru dans Loxias, 62., mis en ligne le 16 septembre 2018, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=9019.

Auteurs

Mylène Charon

Doctorante en littérature comparée, Université Paris-Seine, laboratoire AGORA. Créatrice du site web dédiée aux littératures aborigènes australiennes contemporaines The OZ Reader Project.