Loxias | 60. Hommage à Michel Butor | I. Hommage à Michel Butor 

Maria-Cristina Pîrvu  : 

Les transformations silencieuses de l’écriture. Analyse poïétique/poétique d’une page de Michel Butor : Le Génie du lieu

Résumé

Empruntant la notion de transformation silencieuse à la philosophie de François Jullien, nous proposons une interprétation poïétique/poétique d’une page de Michel Butor, basée sur la lecture génétique de la fin d’un manuscrit de jeunesse : Le Génie du lieu, premier volume, publié en 1958, de ce qui allait devenir la série homonyme qui s’achève, en 1996, avec la publication de Gyroscope, dit « Génie du lieu, 5 et dernier », mais qui continue à se mouvoir et à se transformer, plus ou moins silencieusement, à l’occasion de sa publication dans l’ensemble des Œuvres complètes, en 2007. Cette analyse permet de revisiter la notion poétique de page paysage proposée par Jean-Pierre Richard en 1984, mais aussi l’idée d’écriture en transformation que Michel Butor associait, en suivant une suggestion de ses collègues, à ses propres Improvisations sur Michel Butor (texte de 1993 issu de son dernier cours, tenu à l’Université de Genève en 1991). Entre les transformations silencieuses (imperceptibles et lentes, se produisant à notre insu) et les changements sonores voire bruyants (des événements), nous proposons la notion de transformations musicales, pour désigner ces formes d’intervention artistique qui se nourrissent de leur polarité. Les transformations musicales sont capables de se tenir à l’écoute des transformations silencieuses et de ne pas se laisser assourdir par leurs bruits, dans le but d’y pouvoir agir au mieux et de se servir de l’énergie de leur tension pour y laisser jaillir le nouveau : un son nouveau, qui n’ait pas l’effet de choc d’un bruit, mais l’arrivée discrète d’une fluidité musicale. Notre entreprise vise à donner à penser l’écriture comme fluidité. L’écriture y apparaît comme un exemple de transformation musicale, un faire humain attentif aux transformations silencieuses de la vie. Notre plongée analytique dans la matière des textes de Michel Butor est ainsi accompagnée par l’hypothèse d’une discipline poïétique/poétique qui puisse instaurer un dialogue fécond entre la philosophie et la critique génétique des textes.

Index

Mots-clés : écriture , écriture en transformation, page paysage, poétique/poïétique, transformation musicale, transformation silencieuse

Géographique : Égypte  , France

Chronologique : Période contemporaine

Plan

Texte intégral

Puisque toujours dans une parole il y a le bruyant, et le silencieux.
P.B.

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Anonyme, Inondation, 1875, tirage albuminé, 18,5 x 24,5 cm. Collection G. Fournier, Concarneau

Le titre initial de ce travail, Les transformations silencieuses de l’écriture. Analyse poïétique et génétique d’une page de Michel Butor, prenait appui sur les transformations silencieuses, une notion des chantiers philosophiques de François Jullien1, mais depuis, il y a eu transformation dans le titre lui-même, car tout en avançant dans sa recherche, tout en jardinant le terrain de sa lecture des textes de Michel Butor, le terme génétique s’est glissé dans l’ombre de son voisin et y a disparu, permettant de la sorte l’éclosion de ce dernier. Le travail est ainsi arrivé au titre actuel, qui ne fait que reprendre la formule de poïétique/poétique proposée par Irina Mavrodin2, à l’instar de Paul Valéry3, et qui répond à cette idée d’union de la poétique et de la génétique4 que Raymonde Debray-Genette mettait en relief dans ses Métamorphoses du récit.

Ce nouveau titre dit d’emblée le problème qui anime notre démarche : il s’agit de vivre pleinement la rencontre avec l’expérience scripturale de Michel Butor, avec le génie du lieu de sa page paysage et d’essayer, à partir de cette rencontre, de penser l’écriture en tant que fluidité, en tant que traversée des formes5 – transformation capable d’entrer en dialogue avec d’autres transformations et de définir ainsi, chemin faisant, son parcours créateur de pages de texte.

Une telle approche consiste à travailler entre la critique génétique et la philosophie, entre la poétique et la philosophie or, pour rendre compte de la polarité qui active cette démarche, la perspective d’une discipline comme la poïétique/poétique nous semble pertinente car elle s’intéresse à la tension créatrice qui « relie l’auteur à son œuvre en train de se faire6 », l’écrivain à son texte naissant. Elle est attentive aux cheminements de l’auteur (vers l’œuvre, vers lui-même, vers où ?) mais aussi aux cheminements de l’œuvre à travers ses différentes ébauches, versions et reprises.

Le titre contient déjà quelques termes importants qui nous aident à déployer notre analyse, à savoir l’écriture, la page, le texte, nuancés petit à petit, au fil des explorations, en écriture en/comme transformation, page paysage, texte comme lieu d’un mouvement de transformation musicale.

François Jullien appelle transformation silencieuse « cette transformation qui chemine sans bruit et dont on ne parle pas – silence des deux côtés7. » Il s’agit d’un changement naturel, qui va de soi. Les transformations silencieuses sont des glissements incessants, lents, évidents et comme secrets, qui tissent la vie. Elles sont ces mouvements de translation qui se produisent sous nos yeux, mais comme à notre insu. Ce sont des transformations qu’on ne voit qu’un beau jour. François Jullien préfère le terme de transformation silencieuse à celui de « transformation invisible », car il s’agit de transformations qui ne se cachent pas : elles se produisent sous nos yeux, mais nous n’y faisons pas attention, nous ne les regardons pas. Elles se font discrètes. Parmi ces transformations, à titre d’exemple, on compte le vieillissement, l’herbe qui pousse, la neige qui fond ou bien, le changement climatique.

Nous citons un déploiement poétique du texte de François Jullien qui revient, dans Une seconde vie, sur cette notion de ses premiers chantiers philosophiques qu’est la transformation silencieuse :

Comme elle est globale est continue, elle ne se démarque pas suffisamment du cours de notre vie, pour que, d’abord, on la remarque. Puis, ne cessant de se ramifier et de se conforter, cette transformation, tel un trait d’écume, un jour commence d’affleurer : un résultat se fait jour enfin qui s’impose à notre attention. Et même cet avènement est alors d’autant plus sonore qu’on ne l’a pas perçu précédemment cheminer. 8

La transformation silencieuse semble s’opposer à l’action volontaire d’un sujet. La question qui se pose, et l’un des défis à relever par cette étude, est celle de savoir si la notion de transformation silencieuse permet d’envisager sous un angle nouveau le travail littéraire de Michel Butor. Peut-on scruter les mouvements de son écriture en y cherchant les traces des grandes translations de la vie ?

L’écriture en transformation est le titre du dernier cours donné par l’écrivain à l’Université de Genève ; c’est un syntagme qui lui a été suggéré par ses collègues, mais qu’il assume et reprend à son compte et au compte de son texte. Dans quel sens le lire ? La présente étude en propose quatre pistes.

Écriture en transformation dans le sens d’une écriture qui se transforme d’un projet à l’autre, d’une période à l’autre, au cours d’une vie d’écrivain. Nous citons Michel Butor : « Le monde dans lequel nous sommes se transforme avec une immense rapidité, ce qui fait que nous avons beaucoup de mal à comprendre ce qui est en train de se passer. À l’intérieur de ce monde qui se transforme, notre écriture se transforme aussi9. » Un autre sens s’y ajoute : « écriture en transformation » dans le sens d’une écriture qui est une perpétuelle transformation. On peut ainsi dire écriture en transformation comme on dit portrait de l’artiste en jeune homme (ou en jeune singe, pour citer le titre de Michel Butor). L’écriture est en elle-même une transformation, car elle avance par la reprise et par la réécriture, elle va tout le temps au-delà d’une forme, elle traverse les formes. Elle ne fait pas que vivre de transformations, elle agit aussi par transformation, car elle a le pouvoir d’intervenir sur la vie et de la transformer. Michel Butor l’écrit : « Est-ce que l’écriture peut se transformer de telle sorte que la transformation du monde, que nous subissons, puisse être une transformation pour un mieux, au moins pour un moins mauvais ? Il suffit de lire les journaux pour comprendre que c’est tout à fait indispensable10. »

Aux deux sens ainsi évoqués s’ajoutent (au moins) deux autres.

Le sous-titre écriture en transformation que Michel Butor utilise pour expliciter le titre Improvisations sur Michel Butor peut également pointer vers une écriture qui se trouve à bord d’une transformation. La transformation est son moyen de transport (comme on voyage « en train », « en avion », « en bateau », on peut écrire en transformation, l’écriture y étant un moyen d’expérimentation et de connaissance par le faire, une manière de mieux percevoir les transformations du vivre, en les habitant). En est ici la préposition d’un embarquement, et un grand voyageur comme Michel Butor n’aurait peut-être pas rejeté une telle possibilité d’interprétation. L’écriture est embarquée dans les mouvements de la vie, elle est portée par ses transformations, et si elle arrive à les percevoir, cela est possible grâce au fait qu’elle leur fait confiance et s’inscrit dans leurs mouvements.

L’écriture en transformation est aussi comme un voyage en Égypte : c’est l’écriture qui explore le territoire de la transformation, la transformation y étant un pays, un paysage dans lequel on se promène et qu’on découvre, petit à petit, au fur et à mesure qu’on y avance.

Pour comprendre la richesse de ses déploiements de sens dans la pratique scripturale de Michel Butor, notre travail fait appel à deux outils conceptuels : les transformations silencieuses de François Jullien et les pages paysages de Jean-Pierre Richard, tout en revisitant leur acception d’origine et en essayant de participer, modestement, à leurs vies, en les transformant légèrement. Nous utilisons la transformation silencieuse dans le sens des chantiers de François Jullien, qui est celui de « discrète influence se distillant de jour en jour11 », sans faire de bruit, imperceptible presque (par opposition avec l’événement qui, lui, est bruyant), mais nous proposons de faire un pas de côté, et d’imaginer, entre la transformation silencieuse et l’événement bruyant, en activant leur polarité, la possibilité d’une transformation musicale, qui serait à l’écoute de la transformation silencieuse, attentive à elle, afin de se servir de son énergie pour agir et opérer un changement sonore, un travail sur le son (pour filer ainsi l’expression métaphorique de François Jullien : silencieux, bruyant, musical). Il s’agit d’un travail discret. L’écriture de Michel Butor serait un tel exemple de transformation musicale ou de transformation sonore faite en douceur.

Pour que les choses et surtout, les transitions et les translations entre les choses soient plus explicites, la nécessité d’un exemple s’impose. Ce sera celui du chapitre Égypte dans Le Génie du lieu, premier volume de la série homonyme. Ses dernières pages portent sur le voyage du jeune professeur Michel Butor à Louqsor. La transformation silencieuse est en train de se produire dans la langue : le syntagme Obélisque de Louqsor qui nomme le célèbre monument de Paris est devenu un cliché en français. Il est une coquille vide de sens. Tout le monde l’emploie, mais l’usure, le travail du temps y ont agi. Qui sait pourquoi l’obélisque est là ? Comment est-il arrivé là ? Où est Louqsor ? Que signifient les hiéroglyphes écrits dans sa pierre ?

Le fait de venir en contact avec les mots obélisque de Louqsor dans

ces rues qui nous avaient été si familières, mais s’étaient tellement éloignées de nous au cours de notre séjour, les Champs-Élysées et surtout cette place de la Concorde avec l’obélisque au milieu dont nous savions bien autrefois, dont nous avions bien entendu dire qu’il était un obélisque de Louqsor, formule dont nous ne commencions qu’à présent à percevoir le sens et les implications12 

est déjà une manière de rencontrer quelque chose d’étranger. La transformation silencieuse a collé ensemble deux noms (obélisque, Louqsor) dans un syntagme appauvri de sens. Michel Butor est attentif à cette transformation et il y intervient. Il sépare les deux noms réunis dans le syntagme, et inverse l’ordre de leur apparition dans le texte : il écrit Louqsor page 197 : « Or le lieu par excellence où ce foyer s’ouvre, se déploie et se propose splendide à l’examen, quelles que soient les beautés d’autres sites, c’est évidemment cette énorme ville de tombes et de temples sur les deux rives à Louqsor […]13 » et ce n’est qu’à la page 198 que l’auteur écrira le mot « obélisques », au pluriel donc, en opérant un autre écart et en citant Bossuet : « entremêlées d’obélisques que tant de siècles n’ont pu abattre14 ». Michel Butor y déconstruit le syntagme « obélisque de Louqsor », en séparant les termes, en choisissant le pluriel à la place du singulier, en passant par la citation et en choisissant le passage par un tiers lieu : Rome (entre Louqsor et Paris, entre l’Égypte et la France, la gloire de l’Empire Romain qui s’est tant inspiré de l’Égypte et qui a tant contribué, à son tour, en tant que modèle, à la création de la France). Nous citons Butor qui cite Bossuet : « Il n’appartenait qu’à l’Égypte de dresser des monuments pour la postérité. Ses obélisques font encore aujourd’hui, autant par leur beauté que par leur hauteur, le principal ornement de Rome ; et la puissance romaine, désespérant d’égaler les Égyptiens, a cru assez faire pour sa grandeur d’emprunter les monuments de leurs rois15. » Il convient d’attirer l’attention sur la complexité des opérations d’écriture de Michel Butor qui participent de son travail de sape du syntagme obélisque de Louqsor. Il n’y a pas que la séparation des termes, le changement de leur ordre, le passage du singulier au pluriel, mais aussi, une opération intertextuelle et une tentative narrative. Il se produit, avec cette citation de Bossuet, une cure de neutralisation, de nettoyage, un passage par la lessiveuse de la langue, comme dirait Francis Ponge, en occurrence, par la langue d’un auteur du dix-septième siècle, Bossuet (ni antique ni contemporain), et comme une mise en perspective, comme le début d’une autre mise en récit. Il s’agit du récit de l’histoire de la France. Bossuet est aussi l’auteur des Oraisons funèbres (comme des monuments aux morts, comme autant de pyramides discursives). Il était le contemporain de Louis XIV, roi pour lequel on trace la ligne d’une avenue comme les Champs-Élysées, avenue qui débute Place de la Concorde, ancienne Place Louis XV devenue Place de la Révolution, place de la guillotine, donc lieu central de la Révolution française où l’Obélisque de Louqsor sera installé des dizaines d’années plus tard.

Cet ensemble d’opérations littéraires (qui se tiennent à l’écoute d’une transformation silencieuse pour y intervenir au mieux) constitue ce que nous appelons une transformation musicale. Ainsi, pour lire Butor, nous utilisons la notion de transformation silencieuse proposée par François Jullien tout en la transformant, en quelque sorte, par le biais de cette idée de transformation musicale.

De même, nous utilisons la page paysage de Jean-Pierre Richard sans oublier la définition du poéticien poète, mais nous prenons des distances par rapport au volet psychanalytique de cette notion. Tel que Jean-Pierre Richard la définissait en 1984, dans Microlectures II, la lecture des « pages paysages » correspond à un « désir double » : il s’agit d’« une lecture qui se fonderait à la fois sur l’essence verbale des œuvres littéraires (ce qui les constitue en pages), et sur les formes, thématico-pulsionnelles, par où s’y manifeste un univers singulier (ce qui les organise en paysages)16 », d’une tentative de lire les faits de langue et de texte, au regard des faits d’une psyché, la page de texte au regard d’un paysage psychique, tout en restant sensible à l’osmose qui se produit entre les deux car, comme le précise Jean-Pierre Richard lui-même, « les pages peuvent se comporter comme des paysages17 », avec les pentes et les reliefs de « leurs dispositifs littéraux », de même que les paysages, de par « leurs configurations sensorielles, leur logique, leur ordre secret18 » peuvent se comprendre comme des pages de texte. Mais là où Jean-Pierre Richard voit une identité (les paysages peuvent se comprendre comme étant des pages, les pages peuvent se comprendre comme étant des paysages), nous voyons plutôt une polarité, un va-et-vient entre les deux, une fluidité agissant dans l’écart19. L’un ne se met pas à la place de l’autre, mais l’un se tient en regard de l’autre, le dévisage, et active ainsi l’espace de l’entre20.

La notion de page paysage sera employée dans plusieurs acceptions, sans trop trahir les propos de Jean-Pierre Richard, mais en les nuançant, en s’inscrivant dans la fluidité de sa pensée, dans le courant de la rivière de sens dont elle est la source. Ce sont d’ailleurs ces différentes acceptions qui structurent notre entreprise visant l’interprétation du texte de Butor. Ainsi, un premier temps de ce travail sera dédié à la page comme paysage typographique, graphique. L’écriture y est une question de mise en page. Il s’agit d’une page qu’on regarde plus qu’on ne lit. La page de texte y est le cadre, le lieu d’un paysage en transformation, d’un débordement textuel. Dans un deuxième temps, nous analysons la page de manuscrit comme paysage de la décantation du texte à travers ses versions successives. L’écriture y est donnée à penser en tant que fluidité, mais dans un autre sens, non pas comme flux d’une graphie (du haut vers le bas, de gauche à droite), mais comme travail de réparation, de rectification, de premier jet et retour correcteur sur ce premier jet, dans le but d’un ressourcement. Cette fois, nous ne faisons pas que regarder la page paysage du manuscrit, nous lisons ses mots et ses mouvements, en regard des pages du texte publié, car décanté. Dans un troisième temps, nous passons du microcosme de la page au macrocosme de l’œuvre. La page paysage est aussi la page de texte dans le paysage de son contexte qui évolue. Le solide du texte publié se dissout dans l’océan de l’œuvre de toute une vie. Enfin, dans un quatrième temps de notre travail, la page en train de s’écrire est, si l’on reprend la pensée de François Jullien, comme un paysage chinois21. On y chemine entre deux pôles, entre la montagne et l’eau, shan-shui, entre le paysage de l’auteur (projets, plans, décisions, hésitations, rêves, réflexions) et la page qu’il écrit, entre l’auteur et son œuvre en train de se faire. L’écriture y est entrevue comme quête de formes et comme quête de sens : flux d’une pensée qui essaie de comprendre, chemin faisant. Nous nous y attachons à la page en tant que paysage, dans le sens d’une polarité (auteur-œuvre) et au paysage, non pas en tant que spectacle auquel on assiste, non pas en tant que vue, mais comme faisant partie du vivre. Nous citons sur ce point François Jullien et son livre Vivre de paysage ou L’impensé de la Raison :

En nommant le paysage « montagne(s)-eau(x) », la Chine, qui est la première civilisation à avoir pensé le paysage, nous sort puissamment de tels partis pris. Elle dit la corrélation du Haut et du Bas, de l’immobile et du mouvant, de ce qui a forme et de ce qui est sans forme, ou encore de ce qu’on voit et de ce qu’on entend... Dans ce champ tensionnel instauré par le paysage, le perceptif devient en même temps affectif ; et de ces formes qui sont aussi des flux, se dégage une dimension d’« esprit » qui fait entrer en connivence. Le paysage n’est plus affaire de « vue », mais du vivre22.

Or, cette vision du paysage que François Jullien élabore entre l’Europe et la Chine correspond tout à fait à la vision de Michel Butor, le grand voyageur. On peut citer sur ce point un fragment d’un entretien que Michel Butor a donné à Lucinges, dans sa maison de Haute-Savoie, près de la frontière suisse, à l’Écart, et dans lequel il revient sur cette question du paysage, en parlant du « paysage à plat » et du « paysage traversé » :

Je suis très sensible au paysage. Je suis très sensible au paysage en mouvement, c’est-à-dire à la façon dont le paysage se transforme quand on le parcourt. Le paysage immobile, c’est la peinture. Je suis passionné par la peinture, bien sûr. Mais j’ai envie d’entrer dans le tableau. Il y a des arbres, j’ai envie d’aller de l’autre côté des arbres. Donc ici, je suis très heureux d’avoir une espèce de tableau à ma fenêtre, avec des arbres, et avec la lumière, ça change tout le temps. C’est très beau. Et j’aime bien les paysages de montagne parce que l’horizon change considérablement, parce qu’il y a des objets qui passent les uns devant les autres. J’aime beaucoup les paysages mobiles, donc les paysages vus du train, les paysages vus de l’avion. Et puis j’aime aussi beaucoup la déambulation, la façon dont on explore le paysage. Je crois qu’on peut distinguer deux choses : le paysage à plat – le cadre, donc ce qu’on voit en restant immobile devant un cadre, même si on peut se rapprocher ; quand on regarde de la peinture, on va aller regarder des détails, et cætera, mais après il y a ce paysage qui est quand même sur un plan – et le paysage traversé, le paysage à l’intérieur duquel on se promène23.

Avant d’entrer dans le paysage et dans le vif du sujet, il serait temps de rappeler que ce travail sur les transformations silencieuses des pages-paysages de Michel Butor implique de relever plusieurs défis, car comment parler de transformations silencieuses, qui se produisent à notre insu, dans le cas d’un écrivain si inventif et bricoleur ? Comment parler d’une transformation imperceptible dans le cas d’un écrivain qui réfléchit beaucoup sur ce qu’il fait, qui a une conscience très éveillée par rapport à son faire ? Ce que nous essayons de montrer c’est le fait que, justement, parce qu’il s’est tenu à l’écoute des transformations silencieuses que Michel Butor a réussi à capter leur énergie et à créer, à inscrire son écriture dans leurs flux ou bien, au contraire, à les détourner vers quelque chose de plus humain, de plus vivable. Ainsi, le fait d’associer son nom au titre La Modification fait, peut-être, plus de sens qu’on ne le pense, car son roman dit précisément l’histoire d’une transformation progressive, et comme silencieuse.

Un autre défi, pour ce travail dans l’écart, est celui du grand écart. Pourquoi chercher dans le travail de François Jullien, entre la Grèce et la Chine, des outils conceptuels pour sonder un texte de Butor sur l’Égypte ? N’y a-t-il pas quelque chose d’incongru dans cette entreprise ? Nous avons pourtant le sentiment que ce détour par la Chine aurait plu au grand écrivain-voyageur, auteur de Gyroscope, dernier volume de la série du Génie du lieu, qui visite, entre autres, la Chine, avec les statues de Rodin, avec Claudel et les grands poètes classiques chinois. Comme un photographe, comme un astronome, Michel Butor a toujours aimé jouer avec l’espace, créer des perspectives, régler, ajuster les distances, se tenir à l’écart ou aux antipodes, pour mieux voir.

Michel Butor est, d’ailleurs, un écrivain particulièrement sensible aux transformations silencieuses et n’oublie pas de les mettre en relation avec son écriture. Il ne prend pas de notes sur un lieu quand il y est, pour pouvoir rester attentif aux transformations silencieuses qui se produisent dans la mémoire, tel qu’il le confesse dans son entretien de 1982 avec Madeleine Santschi : « Alors, au bout d’un certain nombre d’années, les choses s’estompent, et il faut pouvoir être capable de les ranimer24 ». C’est le cas du Génie du lieu : son séjour en Égypte date de 1950-1951, mais il écrit son texte sur l’Égypte cinq ans plus tard. Il est aussi à l’écoute des transformations silencieuses qui se produisent, progressivement, avec lenteurs et renversement de situation, dans le paysage de Minieh et dans son propre paysage mental :

Rien que de terne et d’anodin dans tout cela de prime abord ; il faisait beau, il avait toujours fait beau depuis que j’avais débarqué, mais je ne voyais là encore rien d’extraordinaire, rien que d’agréable ; ce n’est que peu à peu que le paysage dans lequel je me trouvais, et la ville en faisant partie, et les hommes y habitant, sous ce très mince vernis d’européanisation qu’ils affichent avec tant de soin, m’ont découvert leur étrangeté, lentement, mais de plus en plus fortement, de telle sorte qu’au lieu de m’habituer, j’ai vécu pendant tout mon séjour dans un état de dépaysement croissant se transformant bientôt en émerveillement sur le fond de l’ennui nostalgique […]25

Pour entrer dans le paysage des transformations silencieuses, des actions sonores, bruyantes et des transformations musicales des pages de Michel Butor, la présente étude propose un corpus de textes constitué du manuscrit du volume Le Génie du lieu conservé à la BMVR de Nice – Bibliothèque Romain Gary (Ms 696 : Ms BUT 2. Le Génie du lieu,) et, plus précisément, de son dernier feuillet, feuillet 61 (dactylographié)/51 (selon la pagination manuscrite), auquel s’ajoutent l’édition de 1994 du texte Le Génie du lieu publié pour la première fois en volume en 1958 par les Éditions Bernard Grasset dans la collection Les Cahiers Rouges, et les pages 106-109 extraites de l’édition des Œuvres complètes (parues sous la direction de Mireille Calle-Gruber, Paris, Éditions de la Différence, 2007), tome V, Génie du lieu 1, pour y retrouver la dernière page du premier Génie du lieu, sous une forme légèrement modifiée, mais aussi la fragmentation et la dissolution de la première page du premier Génie du lieu dans un autre texte, qui est celui du Pique-nique au pied des pyramides dans Transit A. Transit B, quatrième volume de la série Génie du lieu, que nous retrouvons dans le tome VII, intitulé Génie du lieu 3, de 2008, appartenant au même ensemble des Œuvres complètes et dont nous analysons l’exemple des pages 278-279.

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Michel Butor, fin du texte sur Minieh, dans la partie intitulée Début d’un texte sur l’Égypte, MS 696 : Ms BUT 2. Le Génie du lieu, feuillet 61 (foliotation dactylographiée) / 51 (foliotation manuscrite), Fonds Michel Butor, BMVR de Nice - Bibliothèque Romain Gary © Ayants droit Michel Butor

I. La page paysage d’un point de vue graphique

Écrire, c’est mettre des signes sur un papier. Fluidité 1 : l’écriture comme mise en page d’un flux. Débordements

Notre analyse porte sur le feuillet 61/51 du manuscrit Ms 696, avec les champs labourés, bien alignés, géométriquement réguliers du corps du texte tapuscrit, et les flots de l’écriture manuscrite, ultérieure, avec sa crue, sur la gauche, qui inonde les champs, les fertilise de son limon, Nil d’une Égypte ‑ pays de l’écriture et de la mort (qui serait une vie), image à partir de laquelle nous pouvons penser que le texte n’est pas « lettre morte » tant qu’il a, en lui, cette capacité de débordement, de transformation.

La page du texte tapuscrit-manuscrit y vit en paysage. Il s’agit d’une composition graphique qui peut amener l’œil du lecteur-voyageur vers les plaines de l’Égypte ou ailleurs, mais certainement, en dehors du cadre habituel d’un rectangle de texte traditionnellement inscrit dans un rectangle plus grand de papier blanc. On y voit bien, au premier coup d’œil, graphiquement parlant, qu’il y a action sur le texte et qu’il y a comme un débordement.

Nous sommes dans un paysage qui se définit entre deux pôles : montagne et eau. La montagne, c’est le rectangle de la page, un rectangle blanc, et l’eau, c’est le flux de l’écriture, la succession de gouttes de noir qui viennent creuser le lit de la rivière dans la page, avec une sortie du lit de la rivière, un débordement, sous la forme des corrections manuscrites qui habitent cette page.

Gérer graphiquement une page de texte revient, de manière générale, à gérer la répartition des zones de noir et de blanc dans la page. Le feuillet 61/51 du manuscrit portant la dernière page du texte, il est facile d’observer ce blanc (gris-beige du papier pelure) qui occupe le dernier tiers de la feuille et qui fait suite au bloc de texte. Michel Butor sait qu’il travaille sur la dernière page de son texte (qui du coup, deviendra, en partie, l’avant-dernière voire l’avant-avant-dernière page du texte imprimé en petit format, étant donné ses ajouts) et son bloc de texte arrive au bord de ce précipice, de ce vide qu’est ce tiers de la page fait de blanc. Tout texte arrive à un point final (même si c’est un point d’interrogation, il reste néanmoins un point), ce qui constitue un exemple de transformation silencieuse à l’œuvre dans chaque processus d’écriture. La fin arrive, plus ou moins à l’insu de celui qui écrit. Le grand blanc y arrive. Et là, on voit le geste du stylo de Michel Butor qui ralentit cette chute dans le blanc, qui crée deux alinéas là où il n’y avait aucun. Il convient de regarder ces coins-hirondelles sur la droite, qui indiquent la constitution d’une nouvelle phrase : « Or, le soleil était déjà très bas en accélérant sa chute » et sa sortie du bloc du texte, son isolement, par des blancs, du texte qui la précède et du texte qui suit, ces deux parties de texte se retrouvant ainsi dans deux paragraphes distincts. Là où, dans le manuscrit, il y a accumulation du « noir » : les signes de correction pour le retour charriot (coins-hirondelles), la virgule transformée en point, la lettre O majuscule, ce noir sert à faire venir plus de blanc. C’est pour faire entrer du blanc dans la page, pour la faire respirer, pour reprendre son souffle, juste avant la fin. Cette phrase devient un seuil, une dernière étape, avant le terme du texte. (De plus, c’est une phrase qui porte sur le soleil, sur le coucher du soleil. C’est une phrase sur le passage de la lumière, mais gardons-nous de lire, et regardons, encore un peu, avant de lire.)

Il y a donc une transformation silencieuse de tout bloc de texte qui arrive au blanc typographique marquant sa fin, dans laquelle Michel Butor intervient, en suivant son modèle, mais à petite échelle, à l’échelle d’une phrase et d’un paragraphe (transformé, tout d’un coup, en trois paragraphes, ce qui semble reprendre, en petit, comme par mise en abyme, la grande transformation silencieuse du texte, mais de fait, ce n’est qu’une action qui introduit, comme elle, du blanc, là où il y avait du noir), et pourtant, l’effet est inversé : cette action ne vise pas la fin, mais un ralentissement de la chute vers la fin. Ce n’est pas la mort qu’il dit, mais le souffle de la vie qui y est. Encore. Heureusement. La vie qui continue. (Comme l’atteste cette fatigue dans les vertèbres dont l’auteur décrit, avec joie, la présence – garante d’un bonheur.) Le geste d’écriture par lequel Michel Butor crée ces deux alinéas est un exemple de transformation musicale, car l’écrivain intervient ainsi dans la transformation silencieuse d’une écriture qui alterne le noir et le blanc (alternance à laquelle notre œil s’est tellement habitué), qui alterne donc le noir et le blanc jusqu’au grand blanc de la fin d’un texte (fin qui fait événement, qu’on remarque, qui ne peut pas nous échapper), tout en ralentissant son rythme, en la rendant vivable, respirable.

Il est possible de voir dans ce premier coin-hirondelle, qui ressemble assez à la lettre v, cette graphie particulière de la lettre t minuscule, propre à la façon dont Michel Butor écrivait son nom, dans sa célèbre signature, graphie qui n’avait rien de spectaculaire mais qui laissait entrevoir comme la silhouette d’un oiseau qui prend son envol, manière subtile et joueuse de transformer graphiquement le nom de l’oiseau « butor » en nom de plume. Nom réel, assumé par l’écriture, et transformé, de la sorte, en nom de plume. (Rappelons, au passage, que le butor est un oiseau migrateur qui va, chaque hiver, en Égypte.)

On voit aussi que le noir de l’écriture mord sur le blanc du rectangle de la page, que le noir de l’écriture inonde ces lieux du blanc que sont les marges et les interlignes. L’écriture dérange la rigidité géométrique des lignes de la page et fait parler son silence, par débordement.

II. Le paysage d’une page de manuscrit

Écrire, c’est réécrire, donc réparer, rectifier. Fluidité 2 : près de la source, les ondes qui préparent. En amont du texte publié. Décantations

Butor y décrit la rencontre avec le paysan égyptien, le bonheur procuré par ce moment d’échange, sa charge de culture (en partage) et d’humanité, tout en soulignant le fait que cette entente avait eu lieu comme en dehors du langage, car ils ne parlaient pas une même langue, le Français (le jeune professeur Michel Butor) ne parlait pas arabe et l’Égyptien ne parlait pas français.

Le texte manuscrit dans la marge de gauche peut être transcrit comme suit : « Il y avait ainsi cette entente parfaite mais quasi muette et je savais bien », « Et je savais bien que cette entente entre nous, ni même moi, en restant muette, pour qu’elle pût passer sur le plan du langage, d’une conversation véritable, il aurait fallu qu’elle pût se développer en conversation véritable, il aurait fallu que déjà ce soit dans ce langage/ se soit fait par/ fait par une organisation satisfaisante pour nous deux de ces divers lieux et moments que l’instant présent contractait. »

Quelle est la transformation silencieuse qui y agit ? On voit la recherche du mot juste, qui dise l’entente entre les deux hommes qui ne parlent pas la même langue. Dans le texte publié, on lit « cette entente si pure et si sûre », sans soupçonner le processus de transformation qui a débouché sur ces deux épithètes. Il n’y a eu rien sur cette entente au début. Le texte tapé à la machine ne la nommait pas. Il flottait dans l’implicite du texte, mais il n’était pas encore posé, déposé comme tel, décanté, solide, perceptible à l’œil nu. Puis, dans l’ajout manuscrit, en marge du texte tapuscrit, il y a eu « cette entente parfaite », et puis, une formule plus sobre, qui la remplace : « cette entente entre nous ». Et c’est en observant cette transformation : pas de mot pour l’entente – « cette entente parfaite » – « cette entente entre nous » – « cette entente si pure et si sûre » que le lecteur transforme son regard, modifie le texte composé par sa lecture, perçoit autrement le poids de ce terme dans l’économie de la page de texte. C’est le terme-clé qui indique la source du bonheur extraordinaire qui illumine ces lignes : « le monde s’est dévoilé un peu à moi » : sous la forme de cette entente, quasi muette, avec le paysan égyptien.

Là où le dialogue et la compréhension réciproque avaient du mal à s’installer, il y a eu, tout d’un coup, « entente » et le bonheur de ce renversement de situation est tellement fort que l’écrivain n’hésite pas à la décrire par une épithète aussi catégorique que « parfaite ».

Tout le séjour en Égypte a été dominé par un sentiment d’étrangeté, par une incompréhension généralisée et tout d’un coup, là, juste avant la fin, il y a renversement de la situation et entente. C’est une transformation silencieuse de la vie (car il y a eu aussi l’épisode de la fabrication de la table, quand Butor a dû s’accommoder de la situation et accepter une table trop haute devenue trop basse, en mettant des piles de livres sous les pieds de la table, donc en faisant un effort vers l’autre, vers le menuisier égyptien) et l’écriture se tient attentive à cette translation progressive vers l’entente : elle la décrit mais ne la nomme pas dès le début, c’est seulement dans cette dernière page du manuscrit que l’entente est nommée. La recherche du mot juste est un exemple d’intervention littéraire de Butor dans la transformation silencieuse de son vécu. Dans ce cas précis, c’est dans cette recherche du mot juste pour dire l’entente que nous voyons un exemple de transformation musicale.

L’expérience de vie était tellement forte qu’au début, il ne la nommait même pas. Le mot « parfaite » arrive avec le nom « entente » pour décrire le degré d’intensité du moment, mais ce n’est pas encore le mot juste, car trop pauvre en nuances, trop « cliché », pour dire la richesse de ce vécu. Il est trop abstrait pour nommer ce qu’il y avait de très humain, de très ouvert dans cette entente. Michel Butor renomme ce moment et remplace « une entente parfaite » par « cette entente entre nous », le déterminant démonstratif « cette » apportant la proximité, la préposition « entre » et le pronom « nous » étant capables, quant à eux, de dire ce qu’il y a de personnel, d’intime, ce qu’il y a d’attention réciproque, de l’un à l’autre (nous), là-dedans (entre). Il décrit le lieu d’une entente, le génie du lieu d’une entente, en le situant, en indiquant ses deux repères, les deux pôles entre lesquels il (se) vit : « entre nous ».

Mais la nostalgie de l’épithète « parfaite » y travaille et l’écrivain finit par la reprendre, sous une autre forme, double cette fois : « cette entente si pure et si sûre entre nous ». L’épithète « pure » reprend une partie des sèmes de l’épithète « parfaite » et l’écrivain n’hésite pas à lui associer l’épithète « sûre », tout en les figeant dans cette rime (pure/ sûre) qui scelle le bonheur d’un tel moment de grâce. L’épithète « sûre » est à mettre en lien avec le mot « certitude » un peu plus loin, quand l’idée de perfection revient sous le jour de l’épithète « absolue ». Michel Butor écrit : « mais dans une certitude absolue qui ne m’abandonnerait jamais ». « Certitude », voilà un mot auquel l’écrivain tient, il le rature pour le nuancer par l’adverbe « confusément », mais il le reprend (version ouverte) et le renforce par l’épithète « absolue » qui ressuscite, d’ailleurs, en quelque sorte, l’épithète « parfaite » abandonnée, un peu avant, dans la description de l’entente. Décanté. Ou bien, déposé dans la pyramide manuscrite du texte, avec l’espoir d’un au-delà, rendu ainsi disponible pour les éventuelles fouilles qui le découvriront un jour (« fouilles » comme métaphore d’une lecture curieuse).

Ce qui nous occupe c’est de saisir la manière dont les actions de Michel Butor s’articulent avec les transformations silencieuses du vivre et de l’écrire, en se servant de l’énergie de leurs renversements pour propulser le courant de l’écriture.

Lisons l’avant-dernière page du texte publié : « cette entente si pure et si sûre ». Le lecteur n’y voit pas de trace de « cette entente parfaite » qui illumine le coin supérieur gauche de la page de manuscrit. C’est juste en regardant le dossier préparatoire et les différentes versions du texte, qu’il peut filtrer sa lecture à travers elles et la moduler. En observant les différents changements opérés par Michel Butor sur la page de son tapuscrit/manuscrit, la première impression de lecture qui courait le risque de rester bloquée, comme gênée, interloquée, sur une note de ridicule pompeux : « si pure et si sûre » s’y voit modifiée, voire renversée, dans un élan d’admiration devant la rareté de tels moments dans une vie d’homme et devant les efforts de les décrire, d’en dresser un éloge aussi fidèle que possible. Sans se rendre compte, le lecteur est porté par l’enchaînement des versions et sa lecture est à son tour embarquée dans une transformation silencieuse qui débouche sur un renversement de situation.

De même, au début de l’avant-dernier paragraphe de la page de manuscrit, on lit « c’était la nuit noire », indication temporelle barrée en x et remplacée par « La nuit était tombée depuis longtemps », ce qui diminue la gravité du retard et renforce l’idée d’un temps long (« depuis longtemps ») qui a déjà commencé à cheminer depuis un moment dans l’écriture de cette page : « Nous sommes restés longtemps à boire la fraîcheur qui coulait des images26 », en accord avec un autre circonstanciel de temps du même type : « Ainsi, après nous être gorgés, saoulés toute une journée de lumière et d’Antiquité, dans l’ombre fraîche de cette chambre […]27 ».

« La nuit était noire » est un indice temporel qui aurait fait glisser le texte vers une connotation négative, en aggravant la situation de la promesse non tenue face au batelier, or il était important d’écrire ce retard, justement pour accentuer l’idée du temps en tant que durée (durée heureuse) que la répétition de l’adverbe « longtemps » a bien installée dans le texte.

On y sent le basculement vers une autre perception du temps, un pas (heureux) vers le temps à l’égyptienne (que Butor décrit dans ses Improvisations : ses difficultés de jeune professeur en Égypte, liées à la salle de classe et aux horaires28), ce qui montre que l’entente entre le parisien et le paysan de Louqsor n’était pas qu’un moment clos, isolé, mais une rencontre véritable, dans laquelle chacun fait un pas vers l’autre, se montre disponible à apprendre la langue de l’autre, langue dans le sens large du terme, comme ici : la langue du temps de l’autre.

Et cette entente continue à se mouvoir dans l’esprit, même après la séparation physique des deux personnages, car l’adverbe « longtemps » revient dans la description de ce temps ultérieur à la rencontre mais qui se nourrit d’elle, qui continue à l’utiliser comme ressource.

« Ainsi, après nous être gorgés, saoulés, toute une journée de lumière et d’Antiquité […] », « Longtemps nous sommes restés à boire cette fraîcheur […] », « La nuit était tombée depuis longtemps lorsque […] ». C’est un temps du ressourcement que l’écrivain rend métaphoriquement par les verbes « boire », « se gorger », « se saouler », ce qui correspond à une leçon égyptienne, car c’est bien là, en Égypte, dans la vallée du Nil, qu’on vit le temps comme une durée, comme une étendue qu’on arpente en verres de thé. Le verre de thé devient l’unité de mesure du temps. Et la réplique du batelier égyptien, présente dans le manuscrit mais disparue du texte publié, le dit clairement : « Notre batelier se plaignait : Je vous ai attendus toute l’après-midi, je ne suis même pas allé boire un thé », phrase corrigée à la main et devenue : « Je ne suis même pas allé boire un thé de l’après-midi pour vous attendre et vous arrivez à cette heure ! ». Le renversement de situation est saisissant. Ce n’est plus le jeune professeur français qui s’inquiète maintenant du temps des horloges, mais le batelier égyptien qui y fait un rappel à l’ordre. Il y a un espace de l’entre qui s’y construit. Le jeune professeur français a appris le bonheur du temps qui dure, sans oublier complètement le temps appris par son éducation en Europe, le temps de l’« après » (« Après nous ») et du « quand » (« Quand retournerai-je en Égypte ?29 »), tandis que le batelier égyptien fait attention au temps des horloges : « et vous venez à cette heure ! », sans oublier le temps de l’attente, de la durée : « je vous ai attendus toute l’après-midi », avec un accent bien mis sur le début de la phrase : « Je ne suis même pas allé boire un thé de l’après-midi pour vous attendre, et vous venez à cette heure ! »

Dans le texte publié, toutes ces nuances disparaissent, le discours direct du batelier étant remplacé par une phrase très concise : « Notre batelier se plaignait30. »

Quand Michel Butor écrit « C’était la nuit noire » et barre ces mots, c’est peut-être pour ne pas trop grossir le trait, pour ne pas rendre la couleur trop sombre et clore son texte sur une note d’obscurité qui pourrait menacer la note lumineuse du moment de bonheur si précisément décrit : « j’étais heureux ». Le courant descriptif le portait vers une épithète plus fidèle, picturalement et temporellement parlant, à la réalité de l’expérience vécue : « nuit noire », mais il est possible qu’il ait voulu ne pas se laisser porter par ce courant de noirceur qui se faisait déjà sentir depuis un moment (rive des morts, tombeaux, pyramides, sarcophages), le texte des pyramides allant le submerger des ombres de la mort. Il ne peut plus s’y laisser submerger et y succomber, maintenant qu’il a goûté au bonheur de la rencontre, de la vie, et d’une entente parfaite entre deux êtres humains. Du coup, il y opère un changement, rature et écrit tout de suite après : « La nuit était tombée depuis longtemps », ce qui frôle la sonorité du tombeau (tombée/ tombeau), mais dilue l’effroi dans une expression commune de la langue : « la nuit tombe », et met l’accent sur le circonstanciel temporel « depuis longtemps », qui est à mettre en rapport avec les autres « longtemps » du contexte élargi de ces dernières pages du texte.

Page 209 du texte publié, nous trouvons un développement de phrase qui n’existe pas dans la page de manuscrit : « une organisation sur laquelle nous aurions pu tabler », dans le sens de « compter », « nous appuyer ». Michel Butor n’y emploie ni le verbe « compter », ni le verbe « s’appuyer », mais leur synonyme plus rare et plus technique, qui laisse entendre la stabilité de « la table ». Le choix du mot « tabler » n’est pas anodin. Cette opération littéraire de Michel Butor donne à sentir une transformation silencieuse qui s’est produite dans le texte et son renversement de situation.

Cette phrase désigne un regret, un manque (par son usage du conditionnel passé : « nous aurions pu tabler31 »). Mais il y avait déjà, sur la première page du texte, un conditionnel qui pointait vers un manque : « et il faudrait ici un adjectif pour rendre compte de la déception, mais bien plus fort que « décevant », un mot pour exprimer une véritable trahison tout à fait inattendue […] 32 ». Or là, avec cette page de manuscrit, nous sommes arrivés à la dernière page du texte. Le texte a vieilli depuis. Le visage du manque se montre toujours, mais la situation a changé. Tout un texte est venu depuis se décanter dans les flots de ce sentiment d’insuffisance. La construction de ce texte n’est-elle pas déjà une forme d’organisation sur laquelle on peut tabler ?

De table, on passe à tabler. Du concret, vers l’abstrait. Michel Butor accompagne cette transformation silencieuse du « manque », par un choix lexical assez spectaculaire. La table, objet sur lequel on s’appuie pour écrire, objet indispensable pour la pratique de l’écriture, perd ici sa matérialité d’objet et se mue en verbe : tabler, et c’est l’action de ce verbe qui s’appuie sur quelque chose, qui nécessite une base d’appui qui est celle d’une organisation langagière satisfaisante pour les deux parties, organisation que Michel Butor a essayé de créer sous la forme de l’écriture même de ce texte.

Tabler sur quoi ? Quelle serait la base solide sur laquelle on puisse construire une entente ? La réponse est dans le génie du lieu appelé Égypte, dans l’étrangeté des hiéroglyphes qui y couvrent des pans de mur entiers, dans cette Égypte antique qui est « aussi étrangère aux Européens qu’aux musulmans du Caire33 ». On ne peut tabler que sur une forme de partage. Les habitants du pays et ses visiteurs partagent un sentiment d’étrangeté mélangée de familiarité devant l’Égypte antique : elle y est présente par ses monuments, sans y être, en quelque sorte, car comptée parmi « les civilisations disparues ». Son étrangeté vient du fait qu’on ne sait pas lire les hiéroglyphes : on regarde les pyramides, les temples, et on ne comprend pas vraiment le sens que leurs constructeurs y mettaient, mais cette étrangeté est teinte de familiarité car d’une part, les cultures européennes se sont largement construites à partir de l’héritage de l’Empire romain, qui s’est nourri lui-même, pour beaucoup, du dialogue entretenu avec la culture de l’Égypte antique, et d’autre part, Ismaël, l’ancêtre mythique des peuples arabes est le fils d’une esclave égyptienne, donc les Arabes sont, de ce point de vue, à moitié égyptiens, et habitant le pays depuis tant de temps, leur familiarité avec les monuments de l’Égypte antique n’a fait qu’accroître : « La civilisation de l’Égypte musulmane était donc faite d’un équilibre entre des éléments d’âge et de provenance fort distincts […]34 ».

Ce passage d’une transformation silencieuse vers une autre s’est fait sans heurt, il n’y a pas eu de révolution ou de coup d’éclat, mais il y a eu comme une musique ou du moins, c’est ce que nous voulons vous faire entendre dans le murmure de cette lecture. Il y a comme une espèce de cohérence sonore qui s’y installe. Ainsi, nous proposons le terme de transformation musicale pour nommer ce type de transformations qui sont à l’écoute des transformations silencieuses et s’inscrivent dans leur fluidité, en agissant subtilement, efficacement ou bien, qui détournent l’énergie de leurs eaux pour éviter la catastrophe de la chute, du précipice liquide qui inonde et qui noie, en fabriquant une cascade bienfaisante, qu’il s’agisse des cataractes du Nil ou de la cascatella du jardin de Tivoli.

Mais les transformations silencieuses peuvent aussi avoir quelque chose de très grave. Un dernier mot sur les transformations silencieuses du génie du lieu égyptien : la grande transformation silencieuse que Michel Butor perçoit déjà dans les années ’50 (et que nous venons à peine de voir sous la forme de ce que l’histoire récente appelle « les révolutions arabes » ou « les printemps arabes ») est un mouvement de grande complexité : « Il faut dire qu’en ce temps-là (le roi Farouk était encore au pouvoir pour une dernière année, on sentait bien que les choses ne pouvaient plus durer longtemps telles quelles, mais personne alors n’osait espérer que la déflagration viendrait si vite) […]35 ».

Et c’est à cette transformation silencieuse (que Michel Butor a su scruter bien avant nous), qu’il a répondu par ces textes qui incarnent son écriture sur l’Égypte, tout en s’appuyant sur la réponse que l’Égypte aurait offerte à la question qui se posait en lui : « un renouvellement, une amélioration dans la position des problèmes qui m’avaient troublé depuis des années et qui me troublaient là bien plus directement et profondément36. » Lesquels ?

Michel Butor rend ainsi possible, en quelque sorte, des années plus tard, dans le contexte actuel des relations avec le monde arabe, la conversation véritable dont il rêvait. Dans un autre lieu et à un autre moment, certes, mais lieu et moment qui font partie de ces « divers lieux et moments que le présent instant contractait37 », plus ou moins à son insu.

III. La page dans le paysage de l’œuvre

L’écriture comme reprise : tourner la page, donner une seconde vie au texte. Fluidité 3 : l’embouchure du fleuve de l’écrire. En aval du texte publié. Dissolutions

La transformation de la page paysage vient du dedans du texte, mais aussi du dehors, du contexte toujours nouveau dans lequel il est mis. Un même texte, coupé en morceaux, voyage à l’intérieur d’autres textes. Il s’agit d’un fait courant dans la pratique scripturale de Michel Butor : la reprise des textes, le retour d’un texte déjà publié, dans un cadre nouveau, avec un autre fonctionnement, dans un nouveau contexte. Le lecteur fait avec joie de telles découvertes, comme au retour des personnages dans La Comédie humaine de Balzac. Sauf que ce n’est pas un personnage, mais tout un texte qui revient chez Butor. Par exemple, dans Transit (volume de la série du Génie du lieu), le texte Pique-nique au pied des pyramides est composé de huit « références entrelacées38 » où l’on retrouve, à côté des souvenirs bibliques, des fragments du voyage en Égypte du premier Génie du lieu. Nous citons le texte de la page 278 des Œuvres complètes, Génie du lieu 3, intitulé Septième repère :

Or, s’il y a une chose dont je sois bien certain et je le savais dès mon retour ; je n’avais même pas besoin pour cela de ces conversations depuis avec des gens qui avaient eux aussi passé quelque temps en Égypte, touristes ou hommes d’affaires, quelques-uns un temps bien plus long que moi ; j’avais bien vu, à de rares occasions au Caire, de ses compatriotes vivants à Héliopolis ou Garden-City profondément absents d’Égypte, aveugles à l’Égypte, n’en subissant la magie que par son aspect le plus anesthésiant et délétère, d’autant plus dangereuse naturellement que l’on refuse d’en reconnaitre l’existence….39

Or, ce fragment est extrait comme tel du Génie du lieu de 195840. Ce septième repère du Pique-nique au pied des pyramides (version Œuvres complètes) n’est pas n’importe quel fragment du texte sur l’Égypte, mais précisément son septième paragraphe. Les premiers huit paragraphes du premier Génie du lieu se retrouvent, un par un, dans chacune des huit parties de cette version du Pique-nique au pied des pyramides.

On voit bien que la phrase est coupée, que la deuxième partie de la phrase manque : « or, s’il y a une chose dont je sois bien certain […], c’est que […] », mais cette partie qui commence par « c’est que » est le début du paragraphe suivant dans le texte d’origine, par conséquent cette partie n’apparaitra que plus loin dans le Pique-nique, comme Huitième repère. En changeant de contexte, parsemé comme il est dans le texte du pique-nique, le texte du premier Génie du lieu fonctionne autrement. Il devient une espèce de plan de repérage, une table d’orientation pour lire cet autre texte sur l’Égypte. Il fonctionne comme le mode d’emploi d’un autre texte.

Ce texte vieux de cinquante ans (Le Génie du lieu, 1958), qui se balade dans un autre, plus jeune (Pique-nique au pied des pyramides, publié en 1985, donc ayant vingt ans) pourrait y passer inaperçu : fragments parmi tant d’autres, un morceau parmi tant d’autres morceaux du pique-nique, un fruit parmi d’autres, un mets parmi d’autres, un morceau choisi parmi d’autres. Le fait que le texte du premier Génie du lieu passe par le Pique-nique, qu’il soit là, présent, en éclaireur, relève d’une transformation silencieuse. Qui saura l’y reconnaître ? Plus petit, représenté juste par un fragment, son début, et celui-ci même fragmenté à son tour et répandu dans l’autre texte. Écrire, c’est couper menu, dans ce cas, éparpiller, s’y perdre. Faire dissoudre. Et c’est justement là, quand ce texte d’antan passait comme incognito dans l’autre texte, plus circonstanciel, du Pique-nique, que tout d’un coup, il y a renversement. On remarque son étrangeté, on voit bien qu’il ne fait pas corps commun avec le reste, que la phrase reste inachevée au milieu des autres phrases. On le remarque, on le reconnait. Le fait de couper le texte de son contexte d’origine le rend presque méconnaissable, mais en choisissant de couper d’une certaine façon, assez abrupte, au milieu de la phrase, Butor pousse plus loin la transformation silencieuse et nous donne à sentir la présence de ce texte autre qui se promène à l’intérieur du texte proprement-dit.

Le fragment porte d’ailleurs sur une transformation silencieuse, sur le fait que l’Égypte, avec la grandeur de ses monuments, est devenue invisible pour les visiteurs. Quand on est au pied de la pyramide, elle est tellement grande, qu’on ne la voit pas. C’est ce qui se passe avec une transformation silencieuse : elle est tellement grande, on est si proche d’elle, voire à l’intérieur même de cette transformation, qu’on ne la voit pas, on la subit. « Magie dangereuse », avec « un effet anesthésiant », mortifère, pour ceux qui refusent d’admettre qu’elle « existe41 ».

Ce n’est pas en zoomant ou en étant sur place qu’on voit mieux. Des fois, et c’est ce que le geste d’écriture de Michel Butor montre, si l’on veut mieux voir, il convient de diminuer les choses (de couper le texte en morceaux) et de changer de place (disloquer le bloc de texte de son contexte d’origine). Dans un univers en plein expansion, en pleine entropie, comme celui de l’œuvre (œuvres complètes) de Michel Butor, le fait d’agir dans l’autre sens (en diminuant, en contractant, en fragmentant un texte) fonctionne comme une soupape : cela permet de descendre le niveau de pression, de souffler. Il s’agit d’éviter l’explosion, le bruit. C’est aussi une manière d’œuvrer aux cohérences des Œuvres, en permettant à certaines solidités de se dissoudre dans de nouvelles fluidités, en permettant aux différentes fluidités de l’écriture de communiquer entre elles, les eaux de l’une se perdant dans les flots d’une autre, comme un fleuve au lieu de son embouchure.

IV. La page comme paysage poïétique/poétique

L’écriture comme quête de formes, l’écriture comme quête de sens. Écrire, c’est penser entre deux pôles. Entre être et faire, réfléchir sur son faire, donc être présent à son ouvrage. Fluidité 4 : les vagues, le large. Courants marins

Nous arrivons ainsi au quatrième temps de notre propos, qui est un temps conclusif.

Nous avons vu l’écriture en tant que fluidité au niveau du flux qui s’inscrit graphiquement dans le lit de rivière qu’est, graphiquement, la page, nous avons vu les débordements du texte et ses décantations à travers les versions, mais aussi ces transformations par dissolution dans l’océan de tout un œuvre, de l’œuvre d’une vie, et cette fois, c’est la fluidité de l’écriture en tant que processus qui nous occupe.

L’écriture est le processus qui relie l’auteur à son texte qu’il est en train de produire ou bien, qui est en train de se produire sous sa main. La philosophie de François Jullien nous aide à transformer notre vision européenne sur le rapport auteur-œuvre, sur le poiein grec, et à remplacer le dualisme sujet-objet du faire, par une vision plus nuancée, plus sensible aux détails, qui tient compte du double sens impliqué par le processus de création ( voir le créateur créé et la célèbre formule de Paul Valéry : « L’œuvre modifie l’auteur42 ») et qui met l’auteur et son texte dans un rapport de polarité, comme les deux pôles du paysage chinois (shan-shui), montagne et eau, entre lesquels il y a mouvement, cheminement. Recherche, quête.

Auteur-œuvre en train de se faire, comme montagne-eau. Comme lumière-vent ? Dans quel sens ?

Dans le chapitre VIII de son livre Cette étrange idée du beau, François Jullien écrit :

N’oublions pas d’ailleurs que ce qu’on traduit ici par « paysage » : « montagne(s) – eau (x) » (shan-shui), loin de s’offrir à la perception unitaire d’un sujet, celui-ci sous son regard y découpant l’horizon, dit exemplairement ce jeu des polarités : celles non seulement du Haut et du Bas, mais aussi du vertical et de l’horizontal, de ce qui a forme (la montagne) et de ce qui n’a pas forme (l’eau), de l’immobile et du mouvant, de l’opaque et du transparent… Le paysage condense ainsi et concentre en lui les interactions qui ne cessent de tisser le monde et de l’habiter : de l’animer. C’est pourquoi il est dit que « le paysage contient bien en lui de la matérialité mais tend au spirituel » (zhi you er qu ling)43.

Pôles du matériel et du spirituel, dans l’écrire. Matérialité de l’œuvre : palpable, texte à tenir entre les mains, et spiritualité de la personne qui l’écrit, mais aussi polarité inversée : main qui écrit, corps bien matériel, solide, devant nous, d’une part, et réalité fuyante, fluide, de l’œuvre qui n’ est pas encore là, qui y est en train de se faire, d’autre part. Ou bien, polarité vécue en termes de texte et d’écriture. Le texte est un point remarquable, un événement dans la transformation silencieuse qu’est l’écriture ou le fait d’écrire (vu en tant que fluidité).

Ce qui importe, c’est d’activer une telle polarité : s’y installer, entre la montagne et l’eau, et y cheminer, faire quelque chose. Inter-venir, c’est-à-dire venir entre les deux pôles, entre la transformation silencieuse et l’événement bruyant, dans cet écart, se tenir dans leur tension et s’en servir pour produire du son, pour faire un travail sur le son, travail sur le son qu’on peut identifier à la musique, d’où l’initiative de l’appeler transformation musicale, en filant ainsi l’expression métaphorique de François Jullien (transformation silencieuse, événement bruyant).

Il s’agit d’un dialogue, d’un va-et-vient chercheur et créateur, artisan et penseur, que le caractère de la barre oblique (poïétique/poétique) écrit, met en page, dans le sens typographique du terme, donne à sentir et à méditer : approche oblique, chemin de traverse, passerelle, fluidité qui va d’une concentration vers une autre.

La transformation silencieuse n‘est pas un concept de la philosophie, mais un concept de la sagesse, comme l’affirme François Jullien44. Il n’est pas « découpé net », comme un bloc de pierre taillée, mais il est à l’image de ce qu’il pense : « il se décante progressivement ». Et le texte de François Jullien nous le donne à sentir, avant tout, par ces phrases conclusives qui ne sont pas loin d’une écriture poétique :

Qu’y a-t-il d’autre sous nos yeux, toujours, que de l’herbe qui pousse et des montagnes qui s’érodent, des corps qui s’alourdissent et des visages qui s’émacient, de la vie qui se féconde, ou qui s’épuise, ou plutôt qui, se fécondant, commence déjà de s’épuiser ? Et aussi des attentes vagues qui se cristallisent en pression fébrile, ou bien des rendez-vous qui s’espacent ? Ou des complications amoureuses qui, sans de l’avouer, tournent au rapport de force ? ou des révolutions héroïques qui – sans qu’on ait pu repérer quand – se muent en privilèges du Parti ? ou encore des blessures de jadis qui se déplacent, enfouies, et se condensent, se transcrivant dans la figuration cryptée des rêves – et des œuvres qui murissent en silence ?45

Et la fin de cette énumération ouverte, car interrogative, rhétorique, d’exemples de transformations silencieuses nous amène vers l’écriture de Michel Butor, auteur de Matière de rêves, homme qui rêve ( sur l’Égypte mais aussi sur tant d’autres choses), qui se laisse rêver par ses rêves, mais qui les regarde aussi, qui essaie de les scruter, de les lire, de déchiffrer, par l’écriture, par sa propre écriture, « la figuration cryptée des rêves » (autant d’hiéroglyphes sur le mur de la nuit), tout en restant, comme tous les écrivains, l’auteur des œuvres qui se détachent de lui, qui lui échappent, partiellement, « des œuvres qui murissent en silence », dans le silence graphique de la page de texte vue comme tableau ( regardée et non pas lue), dans le silence des manuscrits, dans le silence de l’intertextualité et d’un titre commun (comme nous avons vu dans l’analyse de l’exemple du titre, paratexte, du Génie du lieu), dans le silence des lectures anonymes qui ravivent, chaque fois, la lettre de ses textes. Même s’il acquiesce à ce détachement, au fait que les œuvres murissent en silence et se détachent de lui, en tant qu’auteur, en rejoignant le grand cours de la fluidité de la vie, Michel Butor ne cesse d’interroger ce détachement, d’explorer le comment de cette transition. Il affirme, d’ailleurs, à plusieurs reprises, que les textes d’un écrivain sont, un peu, comme un boomerang : ils partent vers le lecteur, mais ils reviennent, en quelque sorte, vers leur auteur : « Tout livre pour moi est un boomerang. C’est un objet que l’écrivain lance, mais qui doit lui revenir : ses lecteurs l’éclairent et, parfois, le transforment. Ils font partie du jeu46. »

Or, avec cette idée chinoise de paysage constitué de deux pôles, montagne et eau, entre lesquels on chemine, dans lequel on est (on est en mer, au large, et non pas en bord de mer, pour parler du paysage de la mer), et avec cette idée de transformation silencieuse qui ne tranche pas, qui ne coupe pas, qui, au contraire, encourage la pensée de la fluidité, du continuum, il apparaît comme plus approprié de dire les deux : poïétique /poétique, « rapport où la différence, maintenue, est perpétuellement transgressée47. » Ce que la poïéticienne roumaine appelle « différence », n’est pas une différence qui coupe, qui discrimine, qui tranche, mais une différence féconde, active car perpétuellement transgressée, correspondant plutôt au terme d’écart que promeut le travail de François Jullien. Car là où la différence fait une distinction entre deux termes (« poétique », différent de « poïétique »), en supposant un genre commun, l’écart, lui, donne à sentir une distance, un détachement (ce i de poïétique, donnant à entendre l’étymon grec, marque justement ce détachement par rapport a la poétique). Il s’agit d’ouvrir un espace entre les deux, de ne pas les confondre dans un seul mot, « poétique », comme Valéry dans le titre de son cours introductif au Collège de France (il a tranché), de les mettre en regard, de les faire se regarder l’une l’autre. De se mettre à l’écoute de leur dialogue48.

Là ou la différence range : la poétique du côté des disciplines littéraires et la poïétique du côté de la philosophie (« philosophie de l’acte créateur49 »), l’écart, lui, maintenu par cette barre oblique du syntagme poïétique/poétique dérange, sort de la norme, des classes, des classifications. La langue le dit bien : faire un écart. L’écart est aventureux, comme le souligne François Jullien, curieux, explorateur, touche à tout, mais c’est un tel concept qui sera plus à même, nous semble-t-il, de rendre compte d’une réalité qui est, elle-même, mouvante, complexe, polarisée, comme celle du processus d’écriture. La poétique seule ne peut pas tout saisir, car son intérêt vise les formes, l’aboutissement du faire, or l’écriture trans-forme, elle est en transformation et elle est transformation, donc il est important de s’intéresser aussi à ce trans-, à ce mouvement de transition qui relie les formes, à cette traversée de la forme, au processus, aux conditions du passage d’une forme à l’autre et là, c’est à la poïétique d’y intervenir, et de se tenir tout près de la poétique, pour œuvrer ensemble, mais dans l’écart. Et le mot POIEMA choisi par Béatrice Bonhomme pour nommer l’axe de recherche du CTEL dans le cadre duquel s’inscrivent les actes de ce colloque, travaille dans cet écart de la poïétique/poétique, car il dit l’objet auquel aboutit le processus de création. Il dit ce qui est fait, sans couper le lien avec ce faire (poiein). Poiema ne dit pas tant l’œuvre, que l’ouvrage. On y entend le mot poème, mais aussi le poiein du poète (poïéticien/poéticien).

La transformation silencieuse est une philosophie de l’amont de l’action, qui s’intéresse aux conditions mouvantes, lentes, silencieuses, qui rendent possible le changement, par renversement, par surprise, un beau jour, qu’on ne voit qu’un beau jour, quand c’est fait, donc le plus souvent, trop tard (et dans ce trop tard de l’œuvre, seule la poétique, étude de la forme, peut encore intervenir). Sur le plan des disciplines littéraires, la génétique textuelle et la critique génétique, et dans un cadre et un sens plus larges, la poïétique, sont celles qui s’intéressent à ces conditions de la création, à cet amont de l’œuvre qu’est l’ouvrage, à cet amont (et aval, d’ailleurs) de la forme qu’est la transformation.

C’est dans ce sens que nous proposons la poïétique/poétique comme discipline travaillant l’écart, entre la philosophie et la poétique, entre la philosophie et la critique génétique, comme lieu d’un dialogue fécond, espérons-nous, empruntant encore un autre terme au dictionnaire de François Jullien.

« Arts de la maturation50 », les transformations silencieuses semblent s’inscrire dans le cours naturel des choses : comme des rides qui naissent dans la peau d’un visage, les signes de l’écriture apparaissent dans le paysage de la page et en les scrutant, la poïétique/poétique découvre la nature humble du travail de l’artiste : il s’agit de faire et surtout de laisser faire, de collaborer avec les forces silencieuses de la vie, avec les propensions qui y sont à l’œuvre51. Il s’agit de faire silence, en tant qu’écrivain, afin de pouvoir partager, en quelque sorte, leur nature, et de la respecter. Travailler en artiste revient ainsi à faire cet effort de production du silence qui permette de mieux scruter le monde et de percevoir ses inflexions. « Aider ce qui vient tout seul, dit aussi en écho le Laozi, défaisant notre opposition grecque du naturel et du technique (phusis/techné)52 », souligne François Jullien. Si les transformations silencieuses disent la transition discrète de ce qui vient tout seul, les transformations musicales consistent à aider ce qui vient tout seul, techné ne s’opposant plus à phusis, mais se tenant à son écoute. Travailler pour mettre au point un art qui accompagne au mieux ce qui est naturel, qui ne bloque pas la vie, mais qui s’inscrive dans sa fluidité, dans son continuum. Écrire, comme respirer. Se frayer un chemin à travers le paysage, en tenant compte du dialogue entre ses deux pôles : entre la lumière et le vent, entre la montagne et l’eau.

Grand promeneur, Michel Butor fait un tel usage musical du paysage quand il écrit. Sa pratique scripturale est curieuse, aventureuse, scrutatrice des transformations silencieuses de la vie. Le début métatextuel de son texte Égypte en fait signe : « Je suis au pied du mur ; il est grand temps que je m’y mette enfin à ce texte que j’ai promis sur l’Égypte, promis à tout ce qui en moi est devenu dans une certaine mesure égyptien par ce passage de huit mois dans la vallée […]53. »

Notes de bas de page numériques

1 François Jullien, Les Transformations silencieuses, Chantiers, I (2009), Paris, Grasset, 2016.

2 Irina Mavrodin, Poietică şi poetică (1982), Craiova, Editura Scrisul Românesc, 1998, p. 235.

3 Paul Valéry, « Première leçon du cours de poétique (1937). Leçon inaugurale du cours de poétique du Collège de France » dans Variété V, Paris, Gallimard, NRF, 1944, p. 295-322.

4 Raymonde Debray-Genette, Métamorphoses du récit. Autour de Flaubert, Paris, Le Seuil, coll. Poétique, 1988, p. 46. Voir aussi, pour la première publication du texte, l’article de Raymonde Debray-Genette, « Génétique et poétique : esquisse de méthode » paru dans Littérature, numéro 28, 1977, p. 39.

5 Voir sur ce point le concept de « l’entre-formes » proposé par François Jullien dans son livre Les Transformations silencieuses, Chantiers I (2009), Paris, Grasset, 2016, p. 22.

6 Irina Mavrodin, Poietică şi poetică (1982), Craiova, Editura Scrisul Românesc, 1998, p. 14.

7 François Jullien, Une seconde vie, Paris, Grasset, 2017, p. 25.

8 François Jullien, Une seconde vie, Paris, Grasset, 2017, p. 25.

9 Michel Butor, Improvisations sur Michel Butor. L’Écriture en transformation (1993), Paris, Éditions de la Différence, 2014, p. 11.

10 Michel Butor, Improvisations sur Michel Butor. L’Écriture en transformation (1993), Paris, Éditions de la Différence, 2014, p. 12-13.

11 François Jullien, Les transformations silencieuses, Chantiers I, (2009), Paris, Grasset, 2016, p. 16.

12 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 208.

13 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 197.

14 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 198.

15 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 199.

16 Jean-Pierre Richard, Microlectures II Pages Paysages, Paris, Le Seuil, 1984, p. 7.

17 Jean-Pierre Richard, Microlectures II Pages Paysages, Paris, Le Seuil, 1984, p. 7.

18 Jean-Pierre Richard, Microlectures II Pages Paysages, Paris, Le Seuil, 1984, p. 7.

19 Pour la notion d’écart, voir François Jullien, L’écart et l’entre. Leçon inaugurale de la chaire sur l’altérité, Paris, Galilée, 2012, p. 31.

20 Pour la notion d’entre, voir François Jullien, L’écart et l’entre. Leçon inaugurale de la chaire sur l’altérité, Paris, Galilée, 2012, p. 50.

21 Pour la notion de paysage, voir François Jullien, Cette étrange idée du beau. Chantiers, II (2010), Paris, Grasset, 2011, p. 78.

22 François Jullien, Vivre de paysage ou L’impensé de la Raison, Paris, Gallimard, Bibliothèque des Idées, 2014.

23 Michel Butor dans Nathanaël Gobenceux, « Quelques éclaircissements sur la relation de Michel Butor à la géographie », paru dans Cybergeo : European Journal of Geography [online], paragraphe 99, article mis en ligne le 12 septembre 2007, consulté le 16 mars 2018, URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/9952 ?lang =en

24 Michel Butor, Madeleine Santschi, Voyage avec Michel Butor, Lausanne, L’Âge d’homme, 1982, p. 92.

25 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 118.

26 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 209.

27 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 208.

28 Michel Butor, Improvisations sur Michel Butor. L’Écriture en transformation (1993), Paris, Éditions de la Différence, 2014, p. 67.

29 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 210.

30 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 210.

31 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 209.

32 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 109.

33 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 197.

34 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 188.

35 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 113-114.

36 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 196.

37 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 209.

38 Raphaël Monticelli, « Une œuvre réseau » dans la revue Europe, 943-944, novembre-décembre 2007, p. 7.

39 Michel Butor, « Pique-nique au pied des pyramides » dans Œuvres complètes, Tome VII, Génie du lieu 3, sous la direction de Mireille Calle-Gruber, Paris, Éditions de la Différence, 2008, p. 278.

40 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 111.

41 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 112.

42 Paul Valéry, « Autres Rhumbs » dans Œuvres II, Tel quel II, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1960, p. 673.

43 François Jullien, Cette étrange idée du beau, Chantiers, II (2010), Paris, Grasset, 2011, p. 54.

44 François Jullien, Les Transformations silencieuses, Chantiers, I (2009), Paris, Grasset, 2016, p. 153.

45 François Jullien, Les Transformations silencieuses, Chantiers, I (2009), Paris, Grasset, 2016, p. 155.

46 Michel Butor, Curriculum vitae, entretiens avec André Clavel, Paris, Plon, 1996, p. 229-230.

47 Irina Mavrodin, Poietică şi poetică (1982), Craiova, Editura Scrisul Românesc, 1998, p. 235.

48 François Jullien, L’écart et l’entre. Leçon inaugurale de la Chaire sur l’altérité, Paris, Galilée, 2012, p. 32-46.

49 Richard Conte, « La poïétique de Paul Valéry » dans Recherches poïétiques, numéro 5, hiver 1996-1997, p. 43.

50 François Jullien, Les Transformations silencieuses, Chantiers, I (2009), Paris, Grasset, 2016, p. 146,

51 François Jullien, Les Transformations silencieuses, Chantiers, I (2009), Paris, Grasset, 2016, p. 77.

52 François Jullien, Les Transformations silencieuses, Chantiers, I (2009), Paris, Grasset, 2016, p. 149.

53 Michel Butor, Le Génie du lieu (1958), Paris, Éditions Bernard Grasset, 1994, p. 109.

Bibliographie

Corpus

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Pour citer cet article

Maria-Cristina Pîrvu, « Les transformations silencieuses de l’écriture. Analyse poïétique/poétique d’une page de Michel Butor : Le Génie du lieu », paru dans Loxias, 60., mis en ligne le 13 mars 2018, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=8906.

Auteurs

Maria-Cristina Pîrvu

Maria-Cristina Pîrvu travaille comme chercheur littéraire, bibliothécaire et traductrice. Soutenue en 2005, sa thèse de doctorat a été publiée sous le titre Le Retour en avant. Michel Butor et le problème poïétique de la répétition (L’Harmattan, 2011). Dans le cadre du CTEL, elle a organisé la journée d’étude Michel Butor - Voyage dans l’écriture et son exposition Le Texte-Promenade (2008). Entre 2009 et 2011, elle a co-animé le séminaire de recherche Bilinguisme, double culture, littératures, un partenariat scientifique entre la Roumanie et la France. Ses traductions de poésie roumaine contemporaine sont parues, en 2017, dans le numéro 63 de la revue NU(e). Maria-Cristina Pîrvu poursuit ses recherches dans le domaine de la poïétique/poétique et de la littérature contemporaine.