Loxias | 50. Doctoriales XII |  Doctoriales 

Fabienne Marié Liger  : 

Métaphore et poétisation du réel chez Apollinaire, Cendrars et Maïakovski

Résumé

Apollinaire, Cendrars et Maïakovski ont inscrit la quête de leur identité de poète dans le monde en pleine mutation du début du vingtième siècle. La confrontation à une époque mouvante remet en question des certitudes et invite à un questionnement fondamental sur l’écriture poétique, ses enjeux, ses possibilités et ses expérimentations. Une partie de ma thèse s’est intéressée à la métaphore. Celle-ci pose des problèmes définitionnels qui révèlent la complexité d’un mécanisme qui s’appuie sur trois éléments : l’élément comparé, le comparant et le principe de l’analogie. La subjectivité s’inscrit dans ce mécanisme qui associe deux réalités dépourvues de liens. La métaphore implique la mise à l’œuvre d’une création volontaire et réfléchie tout en permettant un épanouissement du sens devenu pluriel. En tant que glissement ou encore passage à un second sens que Ricœur appelle « extension de sens », « epiphora », la métaphore n’est pas un ornement vain de rhétorique, elle implique un mouvement de sens et de création poétique. C’est cet aspect que je souhaiterais développer en examinant un corpus composé essentiellement de « Zone », la Prose du Transsibérien et Le Nuage en pantalon, trois poèmes qui posent des interrogations fondamentales sur l’écriture poétique et expérimentent des procédés novateurs.

Index

Mots-clés : Apollinaire (Guillaume) , Cendrars (Blaise), Maïakovski (Vladimir), métaphore, poésie, représentation

Géographique : France , Russie

Chronologique : XXe siècle

Plan

Texte intégral

Apollinaire, Cendrars et Maïakovski, poètes du vingtième siècle, ont été confrontés à un monde moderne en pleine mutation. Le monde évolue de façon spectaculaire tant sur le plan scientifique que technologique, les innovations se succèdent. Une impression de mouvement et de rapidité se dégage. Les poètes sont sensibles à la nouveauté et à l’inconnu comme le suggère Apollinaire, dans le poème « 1909 » :

J’aimais les femmes atroces dans les quartiers énormes
Où naissaient chaque jour quelques êtres nouveaux
Le fer était leur sang la flamme leur cerveau
J’aimais j’aimais le peuple habile des machines1.

« 1909 » montre des images de la modernité qui suscitent une certaine angoisse. Pour Maïakovski le monde moderne s’illustre par un mouvement incontrôlé :

Et soudain
toutes les choses
se sont ruées
en se déchirant la voix
pour rejeter des haillons de noms trop portés2.

Pour le poète russe la modernité s’observe dans la prise de pouvoir des choses dépourvues d’âme. Cendrars montre une image de la modernité à travers le brouhaha d’un New-York vivant et confus :

Déjà un bruit immense retentit sur la ville.
Déjà les trains bondissent, grondent et défilent.

Les métropolitains roulent et tonnent sous terre
Les ponts sont secoués par les chemins de fer3.

Les trois poètes situent leurs poèmes dans le monde contemporain qu’ils observent et se frottent au réel. Leur poésie se fait le témoin du renoncement à un état stable, à une fixité désormais révolue. Fascination et angoisse se mêlent. Les innovations concernent également l’art. La peinture renonce à une reproduction figurative du réel et remet en jeu la question de la représentation pour émanciper l’œuvre d’art de sa référence servile au réel et lui donner une existence autonome. Les poètes posent à leur tour un questionnement sur la poésie et ses moyens d’expression. Apollinaire proposait même de « machiner la poésie comme on a machiné le monde4 ». Le monde moderne offre un terrain d’observation qui permet à ces poètes d’avant-garde de poser la question de la perception et de la transcription poétique du monde vu et vécu grâce à l’exploration de la dualité du langage qui est à la fois commun, utilitaire et à la fois poétique. L’appréhension du réel s’accompagne d’une quête d’une identité qui se constitue au fil de l’écriture poétique. C’est ainsi que la métaphore, comme mécanisme langagier et poétique, passage à un second sens que Ricœur appelle « extension de sens5 », « epiphora6 », joue un rôle fondamental dans l’écriture et l’expérimentation poétique des avant-gardes.

La métaphore pose tout d’abord un problème de définition. D’après Aristote :

La métaphore est l’application à une chose d’un nom qui lui est étranger par un glissement de genre à l’espèce, de l’espèce au genre, de l’espèce à l’espèce, ou bien selon un rapport d’analogie7.

La métaphore permet d’opérer un « glissement ». Elle représente un mécanisme qui s’appuie sur le langage et donne une dynamique constructive à l’énoncé en l’enrichissant d’un second plan. Du Marsais propose alors ceci :

La Métaphore est une figure par laquelle on transporte, pour ainsi dire, la signification propre d’un nom à une autre signification qui ne lui convient qu’en vertu d’une comparaison qui est dans l’esprit. Un mot pris dans un sens métaphorique, perd sa signification propre, et en prend une nouvelle qui ne se présente à l’esprit que par la comparaison que l’on fait entre le sens propre de ce mot, et ce qu’on lui compare [...]8.

Ce processus est voulu par l’auteur et revécu par le lecteur autrement dit la métaphore est le passage d’un sens à un autre sens. Elle combine à la fois une lecture et une réécriture en s’appuyant sur un schéma paradoxal de présence et d’absence. Paul Ricœur montre l’idée d’une destruction d’un sens premier pour l’avènement d’un sens second :

C’est dans l’analyse même de l’énoncé métaphorique que doit s’enraciner une conception référentielle du langage poétique qui tienne compte de l’abolition de la référence du langage ordinaire et se règle sur le concept de référence dédoublée9.

Le langage mis en œuvre fonctionne sur une dualité constante. Le texte offre une double lecture et les réseaux thématiques permettent un épanouissement de sens pluriels. La question de la signification et de la référence est donc essentielle. En effet, Pierre Fontanier propose la définition suivante :

Les Tropes par ressemblance consistent à présenter une idée sous le signe d’une autre idée plus frappante ou plus connue, qui, d’ailleurs, ne tient à la première par aucun autre lien que celui d’une certaine conformité ou analogie. Ils se réduisent, pour le genre, à un seul, à la Métaphore [...]10.

La métaphore fonctionne comme une association de deux réalités qui permet une multiplication des significations. Le Guern évoque le rapprochement de deux signifiés :

La métaphore apparaît donc comme la formulation synthétique de l’ensemble des éléments de signification appartenant au signifié habituel du mot qui sont compatibles avec le nouveau signifié imposé par le contexte à l’emploi métaphorique de ce mot [...]11.

Autrement dit, la métaphore s’appuie sur trois éléments, le comparant, le comparé et le principe d’analogie qui permet le passage de l’un à l’autre. Elle combine ces éléments tout en suggérant une transgression, non un simple écart linguistique mais un franchissement des limites du sens12.

Bernard Dupriez montre l’importance d’un quatrième élément la sensibilité et propose ceci :

Au sens strict, l’image littéraire est donc un procédé qui consiste à remplacer ou à prolonger un terme – appelé thème ou comparé et désignant ce dont il s’agit « au propre » – en se servant d’un autre terme, qui n’entretient avec le premier qu’un rapport d’analogie laissée à la sensibilité de l’auteur et du lecteur. Le terme imagé est appelé phore (d’où le mot métaphore) ou comparant et s’emploie pour désigner la même réalité par le détour d’une autre, par figure ; il est pris « au sens figuré »13.

En s’appuyant sur l’image dont la métaphore serait une catégorie, l’analogie, alchimie mystérieuse et subjective, se trouve ainsi fondée sur la sensibilité, notion peut-être floue mais ayant le mérite de mettre en lumière le caractère unique de la mise en œuvre d’une figure à la définition complexe. La singularité du poète est alors mise à jour. Le principe de l’analogie est lié à une quête. Apollinaire, Cendrars et Maïakovski posent une interrogation sur l’identité du poète dans des poèmes qui présentent des bilans personnels. Ils cherchent à définir le rôle du poète et son statut dans le poème. Pour cela ils expérimentent les ressources du langage dans toutes ses potentialités. La métaphore joue le rôle d’une exploration du langage et du monde.

Le corpus sera constitué de trois œuvres : le poème « Zone » écrit en 1912 et placé en tête du recueil Alcools d’Apollinaire (publié en 1913), la Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France écrit en 1913 par Cendrars et le poème Le nuage en pantalon que Maïakovski a écrit en 1915. Ces trois longs poèmes offrent une vision du monde moderne ainsi qu’un terrain d’expérimentation poétique qui permet d’aborder la question de la métaphore à travers des exemples précis et révélateurs de la naissance d’une poétique moderne. Apollinaire, Cendrars et Maïakovski utilisent ainsi la métaphore comme une réalisation de l’écriture poétique et la création d’un univers propre qui fonctionne sur un jeu d’analogie mettant en scène un moi maître d’œuvre de l’écriture.

En effet, il est possible de s’interroger sur la tension que pose la poésie entre le sens « ruiné » et le nouveau sens, entre le réel comme référent et l’image. Comment la métaphore est-elle amorcée dans le poème, comment permet-elle l’engendrement du texte poétique par la concomitance de deux sens et comment met-elle en valeur la relation du poète au monde ?

Le mécanisme métaphorique s’appuie tout d’abord sur la quête d’une identité fondée sur l’expérience que le poète fait du monde. L’avènement de l’image métaphorique fonctionne à partir d’une association d’idées amenant une lecture plurielle. Ensuite la métaphore opère une matérialisation de l’abstrait en s’appuyant sur un glissement syntaxique et une animalisation du monde. Enfin, les expériences poétiques posent une image « en tant que telle » (pour reprendre la notion du « mot en tant que tel » des futuristes russes) qui institue la métaphore comme une donnée autonome de sens. Le risque de l’illisibilité (déjà présent chez Mallarmé dans sa conception de la métaphore) frôle la volonté de surprendre en imposant paradoxalement un univers cohérent et une cosmogonie personnelle.

La quête d’une identité

Le mécanisme langagier mis en œuvre dans le schéma métaphorique révèle une quête identitaire qui transparaît dans un véritable puzzle d’images. Cette interrogation sur soi s’exprime dans une dualité entre le moi du poète et le je poétique dans la poésie d’Apollinaire, Cendrars et Maïakovski.

L’expérience du poète

Apollinaire, Cendrars et Maïakovski ont écrit trois longs poèmes, construits autour d’un récit mettant en scène le je poétique dans une situation particulière. Apollinaire se représente dans une déambulation à travers Paris qui commence un matin et se finit le matin suivant, c’est l’occasion pour lui de dresser un bilan personnel et poétique. Cendrars rapporte le voyage réel ou rêvé, mythique, en transsibérien, alors que le je poétique accompagne un voyageur de commerce. L’enfermement, le mouvement et le bruit du train accompagnent ce voyage-écriture. Maïakovski construit son poème Le nuage en pantalon autour de l’attente de Marie, la femme aimée qui est en retard. L’angoisse générée par cette absence est l’occasion d’une réflexion sur les fonctions de la poésie.

La poésie moderne rejette un lyrisme saturé de subjectivité et ses thèmes traditionnels devenus des clichés. La remise en question du genre lyrique s’exprime par une interrogation sur le statut du je dans sa dimension variable. Le poète construit son identité lyrique sur une idée d’expérience. Se frotter au monde moderne permet d’universaliser le propos lyrique comme l’exprime Käte Hamburger qui explique cette notion d’expérience par cet exemple de poèmes courtois : « L’amour qui s’y exprime sous une forme littéraire, aussi stéréotypée soit-elle, est bien le champ d’expérience du Je lyrique, que cet amour ait été pour lui une réalité ou un fantasme14 ». Elle poursuit :

On peut décrire ce fonctionnement par la formule suivante : le sujet lyrique ne prend pas pour contenu de son énoncé l’objet de l’expérience, mais l’expérience de l’objet – ce qui signifie, par analogie avec notre description de la structure énonciative, que la corrélation sujet-objet n’est pas abolie [...].
Certes, l’expérience peut être « fictive » au sens d’invention, mais le sujet de l’expérience, et, avec lui, le sujet d’énonciation, le Je lyrique, ne peut être que réel15.

En effet, le poète met en scène, dans le poème, le je, véritable double du moi réel. Si ces deux entités sont distinctes (le poète n’est pas le je qui parle dans le poème), Käte Hamburger propose l’idée originale que l’expérience et le je lyrique sont réels. Cette idée se voit illustrée par de nombreuses indications spatio-temporelles qui révèlent l’expérience du poète comme chez Cendrars avec « En ce temps-là, j’étais en mon adolescence », « J’avais à peine seize ans », « 16000 lieues du lieu de ma naissance », accompagnées d’hyperboles comme « mille et trois tours » lui permettent de créer le recul nécessaire à la découverte d’un monde étranger lors du voyage et d’enchaîner sur une série d’associations d’images comme le Kremlin représenté comme « un gâteau tartare / Croustillé d’or16 ». Le réel s’impose dans le poème. Le voyage offre un moment de répit qui est aussi celui d’un bilan à la manière d’Apollinaire. Cendrars découvre son environnement comme on le voit dans l’exemple suivant :

Je suis couché sur un plaid
Bariolé
Comme ma vie [...]
Ma pauvre vie
Ce châle
Effiloché sur des coffres remplis d’or17.

Cendrars rapproche « ma pauvre vie » et ce « ce châle effiloché » après avoir posé une comparaison, le bilan personnel est, pour lui, l’occasion d’observer le décor qui l’entoure et qui lui procure une source d’images.

Le dédoublement de l’instance du poète se révèle alors dans une opposition entre le passé et le présent :

En ce temps-là, j’étais en mon adolescence
J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J’étais à 16000 lieues du lieu de ma naissance
J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours18.

Apollinaire utilise en plus le pronom de la deuxième personne « tu » de manière à créer une distance qui permet au « je » d’être une forme de témoin :

Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut [...]
Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées19

De plus l’observation du décor comme dans ce vers :

Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours20

provoque chez lui le sentiment d’un bilan désabusé :

Et tu recules aussi dans ta vie lentement21.

De même Maïakovski énonce au début du poème une opposition entre le présent et le futur :

je vais la provoquer avec le chiffon ensanglanté du cœur [votre pensée]22,

il projette le je lyrique dans l’action et dans l’avenir.

On perçoit ainsi le rapport existant entre le décor, l’environnement et l’action du poète sur celui-ci. La dualité entre le je et le moi s’affirme dans une écriture elle-même duelle.

En effet, la métaphore dans sa dimension de mouvement s’illustre dans une dynamique qui agit comme un moyen de construction du poème. Des verbes d’action et de mouvement scandent les poèmes comme on le voit chez Apollinaire ou encore chez Maïakovski. L’action entamée, tout comme le mouvement, permet d’amorcer la métaphore. Apollinaire rapproche l’action de lire avec « les prospectus et les affiches qui chantent tout haut » comme il rapproche sa « marche dans Paris » et « les femmes ensanglantées ». De cette façon, il montre que l’action qu’il exerce sur son environnement lui permet d’engager une association d’images et de pensées. Les catalogues et les affiches se trouvent personnifiés, le poète donne vie à ce qui l’entoure. Son mouvement de marche dans Paris lui fait penser aux femmes, à ses déboires amoureux grâce au terme polysémique d’ « ensanglantées » qui suggèrent les menstrues comme la blessure. Pour Cendrars :

Je suis en route
J’ai toujours été en route [...]
Le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues23,

le voyage sert de cadre à la métaphore du train qui « fait un saut périlleux ». Le mouvement exprimé par la répétition de « route » illustre la notion de déplacement grâce à la métaphore du train devenu un équilibriste. La mise en place de la métaphore s’appuie aussi sur des récurrences sonores. Chez Cendrars le mouvement suggère le risque potentiel.

Maïakovski met aussi en scène le je poétique. En effet, dans notre précédent exemple, le verbe « provoquer » permet d’amener le complément de moyen « avec le chiffon ensanglanté ». Maïakovski théâtralise le je en le plaçant en acteur de son poème. L’action est liée à la parole transmise au monde. La marche assure alors la dynamique de la génération du texte :

Entonnerrant le monde par la puissance de ma voix,
je marche dans la beauté
de mes vingt-deux ans.24

La voix du poète transmet sa force, par l’image du tonnerre, au monde. Il montre que les métaphores se rattachent à un élément du corps et à la voix du poète lui-même. Cette action est un privilège attribué au seul poète comme il le précise :

Mais vous ne pouvez pas, comme moi, vous mettre à l’envers
afin de n’être plus tout entiers que deux lèvres !25

La métaphore du « retournement » souligne le processus de transformation subi par le je réduit à l’image de deux lèvres, symboles d’une affectivité surdimensionnée. Dans l’exemple suivant le poète matérialise l’âme en divisant le je. Il rend visible l’invisible tout en montrant le je comme porte-parole du « vous » :

[...] je m’arracherai l’âme,
je la piétinerai pour l’agrandir,
et, tout ensanglantée, je vous la donnerai comme un drapeau26.

Il suggère que le je poétique est toujours à l’origine de la mise en œuvre de métaphores.

L’écriture poétique d’Apollinaire, Cendrars et Maïakovski se manifeste d’emblée par la mise en scène théâtralisée d’un « moi » qui assume une expérience du monde.

La déambulation et le voyage permettent également aux poètes de se confronter au monde et d’exercer leur perception. En cela ils font l’expérience du monde. Apollinaire et Cendrars emploient le verbe « j’ai vu » dans les exemples suivants :

J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon27,

J’ai vu les trains silencieux les trains noirs qui revenaient de l’Extrême-Orient et qui passaient en fantômes28.

En tête de vers, ces verbes montrent que le hasard, caractère fortuit d’une rencontre, a montré au poète une image, issue du réel, qui s’exprime dans la métaphore « jolie rue ». L’accumulation des adjectifs qualifiant la « rue » amène l’association de la rue et du « clairon ». Le regard du poète est le témoin du monde. Les qualités qu’il observe trouvent leur expression dans le rôle de « clairon du soleil » qu’il attribue à la rue. De même pour Cendrars, les adjectifs « silencieux » et « noirs » amenant la métaphore « fantômes » imposent l’interprétation du poète. Le poète est à l’écoute du monde comme il l’exprime :

Je reconnais tous les pays les yeux fermés à leur odeur
Et je reconnais tous les trains au bruit qu’ils font29.

La vue et l’ouïe provoquent une épiphanie de l’image comme le suggèrent les précédentes définitions de la métaphore. Plus encore le poète interprète le monde qu’il voit en déclenchant une vision personnelle et en replaçant l’image dans la perspective de sa création poétique et dans la création d’un tableau qui fonctionne par association d’idées.

Enfin l’expression des sentiments et l’appréciation personnelle s’illustrent dans une tendance à exprimer un jugement personnel. La déambulation est aussi l’occasion d’un retour sur soi accompagné d’un jugement porté sur ce qui entoure le poète. Confronté au monde extérieur, il exprime un avis positif et parfois négatif sur ce qui l’entoure comme le fait Apollinaire avec l’expression suivante :

J’aime la grâce de cette rue industrielle30.

La rue est personnifiée et dotée de qualités. En évoquant les souvenirs avec René Dalize, il montre leur attachement d’enfant aux symboles religieux tous marqués par des qualifications positives ainsi :

Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église31.

Cette appréciation permet d’enchaîner sur toute une série d’images religieuses qui représentent la foi naïve comme celles-ci :

C’est le beau lys que tous nous cultivons32.

Mais la promenade-errance ou encore le voyage sont des occasions pour le poète de se confronter à des sentiments plus contrastés. Aussi Apollinaire montre son rapport avec l’image :

Et l’image qui te possède te fait survivre dans l’insomnie et dans l’angoisse.
C’est toujours près de toi cette image qui passe33.

La création et l’image sont ici marquées par l’idée de l’échec possible et de l’incapacité à écrire l’image. Le poète, entouré par les éléments du monde extérieur qu’il perçoit, est ainsi tourmenté par des images potentielles c’est-à-dire par la retranscription du paysage vu et arpenté. Mais les images semblent insaisissables.

Cendrars montre le même état d’esprit partagé entre la joie insouciante et l’appétit du voyage comme on le voit :

J’étais très heureux, insouciant
Je croyais jouer aux brigands
Nous avions volé le trésor de Golconde
Et nous allions grâce au transsibérien le cacher de l’autre côté du monde
Je devais le défendre contre les voleurs de l’Oural qui avaient attaqué les saltimbanques de Jules Verne34.

Cendrars ici ne crée pas à proprement parler une métaphore verbale, cependant le bonheur d’avoir entamé son voyage ouvre son imagination à un récit imaginaire dont il est le héros, de telle sorte qu’il s’imagine jouer un rôle autre que celui qu’il occupe dans la réalité et que le processus métaphorique s’applique au récit. Le poète transfigure le réel en enchaînant les éléments d’un récit fictif qui se superposent à la réalité. Cendrars met en évidence le pouvoir de la pensée de recréer un monde qui occulte le réel en le submergeant. Lui-même subit ce processus comme on peut le voir dans l’évocation de Jeanne :

J’étais triste comme un enfant [...]
Ma pauvre amie est si esseulée,
Elle est toute nue, n’a pas de corps – elle est trop pauvre35.

Le personnage féminin est évoqué dans une série de quatrains qui tranchent avec la disposition libre du poème. L’expression du sentiment de tristesse s’appuie sur plusieurs constats qui montrent le personnage de Jeanne marqué par la négation et le manque. Le « pauvre lys » symbolise la pureté, qui contraste avec le métier de prostituée de Jeanne, il est aussi l’emblème du poète, « la fleur du poète ». L’évocation de Jeanne fait progresser l’anxiété chez Cendrars par un effet de ressassement :

Les inquiétudes
Oublie les inquiétudes
Toutes les gares lézardées obliques sur la route36.

La répétition du terme « inquiétudes » et la tentative maladroite du poète de convaincre Jeanne de ne pas s’inquiéter apportent tout de suite après l’image « des gares lézardées » et d’un paysage chaotique qui suggère le risque et le danger. L’écriture semble échapper au poète, dictée par une montée progressive de l’angoisse. La poésie, chez Cendrars, s’absente par le « dépouillement » subi par la figure de Jeanne. L’expression lyrique s’épuise pour laisser place à un travail sur le langage qui déréalise la muse.

Maïakovski affirme lui-même un contraste de sentiments. Il évoque sa réaction face aux événements et en particulier face à l’indifférence de Marie :

Si vous voulez,
je serais tout de viande déchaîné
ou bien, comme le ciel changeant de ton,
si vous voulez,
je serais irréprochablement tendre,
plus un homme, mais un nuage en pantalon37 !

Cette double métaphore s’exprime à travers un parallélisme qui marque l’ambivalence des sentiments et des réactions du poète. D’un côté la violence s’exprime par la trivialité de l’image de la « viande », de l’autre l’image de la tendresse est assimilée à une dématérialisation du « nuage ». La dualité qui se dégage de cette hypothèse montre le poète face à la femme aimée qui a tout pouvoir sur lui et qui « choisit » l’image. Plus encore cette opposition révèle le paradoxe que la poésie moderne met en évidence, c’est-à-dire la confrontation entre le réel observé, retranscrit et la poésie, créatrice d’un autre monde éthéré. Le poète semble pris dans cette contradiction. Comment concilier la provocation violente et l’expression lyrique et donc renouvelée du sentiment ?

On perçoit ainsi l’inscription, dans le texte, d’un je, mis en scène, qui acquiert une existence autonome devenant le fondement de l’analogie. Le développement du mécanisme métaphorique se pose dans une interrogation sur le lyrisme entre tradition de l’expression des sentiments et renouvellement.

L’association d’idées

Le principe de l’analogie s’appuie sur un principe d’association d’idées qui constituent un réseau cohérent. On assiste à la création d’un univers personnel original. L’isotopie agit comme révélateur de cet univers comme on peut le voir chez Apollinaire dans l’exemple suivant :

Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent38.

L’isotopie du bruit plonge le lecteur dans l’univers imaginaire du poète. Les termes « cloches, inscriptions, enseignes, plaques, avis » révèlent un univers urbain dont l’harmonie provient paradoxalement de sons discordants. Les allitérations assurent la cohérence de l’ensemble. Il fait de même avec l’évocation des symboles religieux débutant par l’anaphore du présentatif « c’est » :

C’est le beau lys que tous nous cultivons
C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent
C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère
C’est l’arbre toujours touffu de toutes les prières
C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité
C’est l’étoile à six branches
C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche
C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs39.

Cette énumération de symboles fonctionne à la manière d’une litanie. Une image appelle une autre image issue des souvenirs du poète. Le thème de la religion est constant dans le poème « Zone » qui montre la quête d’une croyance comme on le voit dans l’exemple suivant :

Ils sont des Christ d’une autre forme d’une autre croyance
Ce sont des Christ inférieurs des obscures espérances40.

L’évocation du Christ au début du poème a amené, au fil de la déambulation, à une ouverture vers une pluralité de Christ et de fétiches comme nouvelle forme de croyance.

Cendrars utilise le même principe de fonctionnement, lorsqu’il évoque le Mexique :

Viens au Mexique41 !

La suite du poème est constituée de vers consacrés au paysage, aux végétaux :

Sur ses hauts plateaux les tulipiers fleurissent
Les lianes tentaculaires sont la chevelure du soleil
On dirait la palette et les pinceaux d’un peintre
Des couleurs étourdissantes comme des gongs42.

Le poète utilise des éléments d’analogie comme la multiplicité des « lianes » évoquant une « chevelure » ou encore la lumière du « soleil » évoque les « couleurs » d’un peintre, les couleurs fortes rappellent la comparaison avec la musique, les « gongs ». Le système métaphorique de Cendrars fonctionne par ajout d’éléments nouveaux qui s’appuient sur une association d’idées, ce qui permet la génération de son texte43.

Maïakovski reprend le même principe et développe des images dans son poème comme celles-ci :

Et voici que le soir,
morose,
décembreux
a quitté les fenêtres
pour plonger dans l’angoisse de la nuit.

Dans mon dos décrépi, ricanent et hennissent les candélabres. [...]
Et minuit, égorgeur
brandissant son couteau,
m’a rattrapé
à la course44 !

Le « soir » et les « candélabres » sont des actants d’une action qui met le poète dans une situation dangereuse. Maïakovski pose clairement une opposition entre le je poétique et les éléments de l’univers animés par l’esprit échauffé. L’angoisse permet de matérialiser une série de personnages qui comblent l’absence de Marie, obsèdent le poète et l’entourent de manière dangereuse. L’espace semble se resserrer ainsi autour du poète.

L’exemple le plus développé est celui de « l’incendie du cœur » :

Dites aux pompiers
que sur un cœur en flamme,
on monte chaussé de caresses. [...]
Sur le visage calciné,
à la fissure des lèvres,
un petit baiser charbonneux a grandi pour s’élancer. [...]
Les silhouettes noircies de mots et de chiffres sortent du crâne
comme les enfants s’échappent d’un édifice en flammes45.

Cet incendie permet à une succession d’images toutes liées au thème du feu de dérouler l’histoire du « moi » et de sa douleur. Le poème se construit sur l’impression de mouvement et d’une échappée hors de l’incendie. « Le visage, le baiser, le cœur et les silhouettes de mots et de chiffres, la bouche » sont des éléments qui appartiennent au corps et à l’esprit, embrasés par la douleur amoureuse, ils tentent une fuite éperdue qui mime le désespoir et permet de dérouler ainsi le poème qui s’embrase par une série d’images. Le poète fait glisser le sentiment de l’abstraction vers une image concrète grâce à un réseau de termes appartenant au thème du feu. Le corps est sollicité dans l’expression du désespoir. Le feu de la passion contrariée se communique à l’être tout entier. La génération du texte s’appuie sur l’idée de fuite. Le mouvement imprimé au texte représente la transgression de l’image qui agit comme une provocation et revient à régénérer le cliché poétique du « feu », symbole de passion, par un symbole de destruction. Le je poétique s’assimile alors au « cri », parole poétique transmise au monde à la manière d’un sacrifice.

Apollinaire, Cendrars et Maïakovski s’appuient sur une vie intellectuelle oppressante qui fait de la pensée, de la perception et du souvenir les moyens de produire des images et illustre le principe d’analogie que nous avions observé dans les définitions. La pensée, le souvenir ou l’image vue affleurent à la conscience et permettent de projeter une image nouvelle qui se superpose à celle vue dans le réel. C’est tout un réseau personnel qui se met en place.

La matérialisation de l’abstrait

Le processus métaphorique se traduit par une volonté de donner un aspect brut et charnel à la vision du monde moderne. La métaphore fait irruption dans le poème.

Le glissement syntaxique

Les métaphores d’Apollinaire, Cendrars et Maïakovski se construisent de plusieurs façons. Elles interviennent souvent de façon simple par insertion ou juxtaposition comme on peut le voir dans ces quelques exemples : « les troupeaux d’autobus », « le chiffon ensanglanté du cœur », « [...] les pigeons du Saint Esprit s’envolaient [...] / Et mes mains s’envolaient aussi46 ». L’image se trouve intégrée syntaxiquement dans une phrase.

Mais les trois poètes utilisent également des formules simples comme des présentatifs « voilà », « il y a » que l’on peut voir dans les exemples suivants :

Voilà la poésie [...]
Il y a les livraisons [...]
Voilà la jeune rue [...]47.

Les phrases sont brèves, comportent peu ou pas de verbes et amènent à lire une image de façon à la mettre en valeur sans chercher à l’intégrer dans une structure plus complexe. Ces structures simples, comme « Te voici », et l’utilisation de l’adverbe « maintenant » reviennent à plusieurs reprises :

Maintenant tu es au bord de la Méditerranée [...]
Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague [...]
Te voici à Marseille au milieu des pastèques
Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant
Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon
Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide48.

Cendrars montre aussi une syntaxe simple qui fonctionne par ajout « avec les grandes amandes des cathédrales », l’utilisation de la négation restrictive « elle n’est qu’une fleur candide » et qui suggère une connotation dépréciative. Maïakovski emploie la parataxe :

Huit heures.
Neuf heures.
Dix heures.

Et voici que le soir, [...]
Et voilà que
d’abord il [nerf] a fait un pas, [...]

Maintenant c’est deux autres avec lui
qui se déchaînent en crécelles furieuses49.

Apollinaire, Cendrars et Maïakovski s’emploient à insérer des images de façon rapide. Elles subissent un phénomène d’actualisation grâce au déictique « maintenant », ceci confère une dramatisation et crée un effet de rupture dans le texte qui relance d’une certaine façon le processus métaphorique.

La répétition est également utilisée à plusieurs reprises comme dans l’exemple d’Apollinaire « C’est le beau lys [...] », on ne dénombre pas moins de huit occurrences du présentatif « c’est » qui donnent un caractère très monotone au texte comme une forme de collage d’images a priori dépourvues de liens. Cendrars utilise le même principe avec l’anaphore très fréquente de la conjonction de coordination « et » en tête de ses vers. Ce principe de répétition donne l’impression que Cendrars écrit son texte dans une forme d’improvisation par un ajout sans fin d’images qui traduisent une aspiration à produire des associations d’images que le « mauvais poète » a du mal à mettre en place :

Et mes yeux éclairaient des voies anciennes
Et j’étais déjà si mauvais poète [...],
Et toutes les vitrines et toutes les rues
Et toutes les maisons et toutes les vies Et toutes les roues des fiacres [...],
Et j’aurais voulu broyer tous les os
Et arracher toutes les langues
Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus [...]50.

On retrouve ce phénomène d’actualisation dans l’énumération des surnoms de Jeanne comme une compilation de comparants qui tentent de cerner le personnage ainsi qualifié :

Jeanne Jeannette Ninette Nini ninon nichon
Mimi mamour ma poupoule mon Pérou
Dodo dondon
Carotte ma crotte
Chouchou p’tit cœur
Cocotte
Chérie p’tite-chèvre
Mon p’tit-péché mignon
Concon
Coucou
Elle dort51.

L’écriture de ce passage est simple et dépourvue de verbes et de phrases. Ces vers brefs font surgir l’être au cœur du texte.

Maïakovski utilise une ponctuation expressive, il emploie également des impératifs comme par exemple :

Regardez,
on a de nouveau décapité les étoiles,
le carnage de nouveaux ensanglante le ciel52 !

Maïakovski interpelle le ciel et le lecteur pour attirer l’attention sur les images qu’il envoie et qui traduisent son angoisse et sa recherche d’une forme de communion.

La place occupée par les métaphores dans les poèmes révèle une volonté de donner un aspect brutal à l’écriture, l’animalisation du monde complète cela.

L’animalisation du monde

L’animalisation du monde s’exprime par un certain nombre de métaphores qui s’appuient sur des comparants appartenant au lexique de l’animal comme le montrent les exemples suivants :

Pupille Christ de l’œil
Vingtième pupille des siècles il sait y faire
Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air [...]
L’avion se pose enfin sans refermer les ailes [...]
Et tous aigles phénix et pihis de la Chine
Fraternisent avec la volante machine [...]
Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent53,

La folie surchauffée beugle dans la locomotive [...],
Entends les mauvaises cloches de ce troupeau galeux
Tomsk Tcheliabinsk Kainsk Obi Taïchet Verkné-Oudinsk Kourgane Samara Pensa-Touloune [...],

Les moteurs beuglent comme les taureaux d’or
Les vaches du crépuscule broutent le Sacré-Cœur54.

Les troupeaux des rues s’ensauvagent. [...]
L’univers d’or :
il a posé sur sa patte
une immense oreille grouillante d’étoiles55.

L’avion assimilé à un oiseau, la succession des oiseaux évoqués par Apollinaire ou encore les « troupeaux d’autobus » ou « troupeaux galeux » de Cendrars ou « troupeaux des rues » manifestent une grande cohérence qui suggère plusieurs éléments. La solitude du poète s’exprime à travers ce jeu de métaphores animales car il traduit le besoin de peupler un espace vide et angoissant que le voyage et la déambulation ne cessent de réactiver. De même ces « troupeaux » d’autobus, de villes ou de rues semblent resserrer l’espace autour du poète.

En même temps l’appréhension de ce monde moderne en pleine mutation s’exprime grâce aux hyperboles contenues dans ces métaphores qui montrent une forme de violence. Le monde échappe au contrôle du poète comme le suggère cette forme d’instinct auquel il est livré et que rien ne peut arrêter. Le thème de l’animal permet d’expliquer la sensation d’angoisse qui s’incarne dans l’instinct libéré qui caractérise cette modernité.

La personnification sous la forme de la métaphore56 apparaît à de nombreuses reprises comme par exemple grâce à l’hypallage « jeune rue » :

Voilà la jolie rue et tu n’es encore qu’un petit enfant57.

Le comparé inanimé prend soudain vie. Le poète donne l’impression de conférer le souffle de vie à ce qui l’entoure mais en revanche les objets ainsi animés semblent échapper à son contrôle comme Apollinaire le suggère à travers des figures féminines qui sont toujours indifférentes et lointaines :

La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle Métive
C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive58.

Cendrars, au fur et à mesure de l’avancée du voyage, suggère que le mouvement irrépressible du train s’exprime par des éléments inanimés qui s’animent jusqu’à s’avérer tout à fait hors de contrôle du poète voire dangereux. Le train intervient en anaphore, sujet de verbes d’action, qui le montrent comme un équilibriste jouant une sorte de numéro de cirque :

Le train fait un saut périlleux et retombe sur toutes ses roues
Le train retombe sur ses roues
Le train retombe toujours sur toutes ses roues [...],
Le train palpite au cœur des horizons plombés [...],
Toutes les gares lézardées obliques sur la route [...],
Les fils télégraphiques auxquels elles pendent
Les poteaux grimaçants qui gesticulent et les étranglent [...],
Dans les déchirures du ciel les locomotives en furie
S’enfuient59.

Il donne au train un souffle de vie que l’expression des « poteaux grimaçants » confirme. Les verbes « gesticulent, étranglent » rejoignent les termes de « déchirures » et de « folie » qui suggèrent que les éléments du décor, menaçants, sont doués d’une vie et échappent à tout contrôle. L’action du poète d’animer ce qui est inanimé conduit à la possibilité que le poème s’engage dans une voie où il échappe au contrôle du poète. Le mécanisme métaphorique mis en œuvre par la sensibilité subit ici une sorte d’emballement qui mime le mouvement irrépressible des éléments décrits.

Maïakovski matérialise aussi son angoisse et son attente grâce à la personnification de « minuit » ainsi que des « nerfs » :

Et minuit, égorgeur [...]
Sur les vitres, les gouttes de pluie grises
hurlent à l’unisson, [...]
un nerf a bondi. [...]
Les nerfs,
grands
petits
nombreux !
Galopent en furie
et déjà
ils ont les jambes coupées60 !

L’image de la personnification des nerfs s’accompagne d’une hyperbolisation qui les démultiplie littéralement tout en suggérant l’oppression dont le poète est victime. Le mouvement que font les nerfs, animés et extraits du corps, échappe au poète, comme on l’a vu avec Cendrars, pour acquérir une existence autonome.

Les métaphores d’Apollinaire, Cendrars et Maïakovski donnent une épaisseur charnelle à un monde qui leur échappe et permettent de retranscrire l’angoisse progressive. Le monde est livré à une forme d’instinct animal et le poème, dans sa génération, se trouve livré à une forme de hasard périlleux et dangereux.

L’image « en tant que telle »

À la manière des futuristes russes qui ont prôné une émancipation du matériau artistique vis-à-vis du réel, on peut considérer que la métaphore moderne se libère d’une contrainte de sens ce qui l’amène à frôler l’illisibilité pour assurer l’avènement d’une cosmogonie.

Le risque de l’illisibilité

Les futuristes russes ont rédigé plusieurs manifestes proposant leurs théories sur l’émancipation de l’art de sa référence au réel pour prôner son autonomie61. Ils ont ainsi remis en cause les fondements de la représentation donnant lieu à l’écriture de poèmes dans la langue transmentale. Cette idée rejoint les expérimentations des poètes d’avant-garde qui ont travaillé les images dans la perspective de donner un caractère personnel et subjectif à leurs impressions et à la construction de leurs poèmes de telle sorte que la métaphore frôle le risque de l’illisibilité. La métaphore acquiert une forme d’autonomie qui convoque un sens nouveau. Ce sens second prend le pas sur le référent réel pour créer tout un monde.

Le premier indice de cette tendance est le principe d’inversion que l’on retrouve chez Apollinaire dans l’exemple suivant :

Le fleuve est pareil à ma peine62.

Il semble que ce soit la peine éprouvée qui soit semblable au fleuve. En effet, Apollinaire s’attache à l’expression de la peine, le fleuve intervenant comme un comparant63 mais Apollinaire en créant cette inversion ramène le monde extérieur et l’environnement que nous avons décrits précédemment à ses propres sentiments et à sa propre subjectivité. Nous voyons ainsi que le référent réel, par le système d’inversion entre le comparé et le comparant, se trouve subordonné à l’image et non l’inverse. La métaphore, dans le fait qu’elle apporte une donnée nouvelle et un sens second, n’est pas dépendante du référent réel.

Le même type d’exemple se retrouve chez Cendrars :

Et tout au haut d’un trapèze une femme fait la lune64.

On peut clairement lire que la lune ressemble à une femme sur un trapèze mais ce que Cendrars met en évidence c’est le comparant, il nous donne l’impression de voir une femme sur un trapèze qui ressemble à la lune et non l’inverse.

Maïakovski suggère un principe similaire :

Mais vous ne pouvez pas vous mettre à l’envers afin de n’être plus tout entier que deux lèvres65 !

Il met aussi en évidence un principe d’inversion qu’il illustre métaphoriquement par le retournement de l’individu aboutissant à deux lèvres qui métonymiquement représentent l’homme dans sa capacité à aimer ou ressentir des sentiments. La transformation que subit le poète lui-même est une clé de lecture pour l’ensemble du poème dans lequel Maïakovski crée une véritable fantasmagorie qui double le réel sans lui être subordonnée et propose une vision neuve que le lecteur devra accepter dans une forme de lecture-réécriture.

Mais le risque de l’illisibilité est perçu essentiellement par Cendrars qui évoque à de nombreuses reprises l’aveu d’un échec :

Et j’étais déjà si mauvais poète
Que je ne savais pas aller jusqu’au bout. [...],
Pourtant, j’étais fort mauvais poète.
Je ne savais pas aller jusqu’au bout. [...],
Moi, le mauvais poète, qui ne voulais aller nulle part, je pouvais aller partout [...],
Autant d’images associations que je ne peux pas développer dans mes vers66.

Ce constat de l’incapacité à écrire, accompagné de négations fréquentes, de verbes au conditionnel, expriment un échec lié à l’écriture métaphorique comme une écriture en suspens. Cendrars ressasse l’impuissance à créer c’est-à-dire à assembler des images comme le montre le besoin de se justifier :

Car je suis encore fort mauvais poète
Car l’univers me déborde
Car j’ai négligé de m’assurer contre les accidents de chemin de fer
Car je ne sais pas aller jusqu’au bout
Et j’ai peur.

J’ai peur
Je ne sais pas aller jusqu’au bout67.

La succession des vers démarrant par la conjonction « car » montre l’auteur submergé par ses propres justifications.

Maïakovski affirme lui aussi un refus qui s’apparente à une révolte contre un ordre établi : l’amour, l’art, l’ordre, la religion68 qu’il évoque ainsi de manière radicale.

Sur tout ce qui a été fait
j’appose un « nihil ».

Jamais
je ne veux rien lire.
Les livres ?
Eh bien quoi, les livres ?

Avant, je pensais
que les livres se faisaient comme ça :
un poète arrivait, desserrait légèrement les lèvres,
et de suite le benêt inspiré se mettait à chanter69.

Il met en œuvre une nouvelle forme d’écriture qui remet en cause le passé. Maïakovski illustre le caractère provocateur des futuristes russes en montrant une volonté de détruire le passé et ses représentations. Le nihil futuriste agit comme rejet du cliché lyrique. Le poète refuse l’idée d’une écriture poétique prédéterminée mais préconise une écriture en devenir, c’est ce que montre la métaphore comme création innovante.

La métaphore dans l’écriture poétique d’Apollinaire, Cendrars et Maïakovski fonctionne alors par un effet de surprise voire de déstabilisation du lecteur. Apollinaire emploie de nombreuses références mythologiques ou religieuses comme par exemple :

Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder
Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée
Ils crient qu’il sait voler qu’on l’appelle voleur
Les anges voltigent autour du joli voltigeur
Icare et Enoch Elie Apollonius de Thyane70.

La lecture devient difficile voire hermétique, car elle sollicite une culture que le lecteur n’a pas forcément. Apollinaire n’attend pas de son lecteur qu’il connaisse toutes ces références mais ce qu’il propose est un univers personnel où le sens s’absente pour créer un monde duel et mystérieux loin de l’image de « boutique de brocanteur » que Georges Duhamel71 donnait de lui. Cette opération qui apparemment obscurcit le texte lui donne en réalité une identité neuve qui pose une forme de pacte avec le lecteur qui doit accepter de se laisser entraîner dans un monde poétique et changeant comme le monde moderne, inattendu et étranger.

Cendrars opère le même processus par l’utilisation de nombreuses références à des destinations, des pays étrangers et lointains, il crée ainsi une géographie personnelle et moderne comme il le suggère avec Archimède. Le rôle du poète selon lui est de déchiffrer comme il l’exprime ici :

J’ai déchiffré tous les textes confus des roues et j’ai rassemblé les éléments épars d’une violente beauté
Que je possède
Et qui me force72.

Maïakovski se pose en chantre d’un monde nouveau. Il exprime à plusieurs reprises l’importance de sa parole. Il utilise pour cela la référence au Golgotha73. La parole du poète devient un cri qui tente de toucher le lecteur. On relève à plusieurs reprises des questions dans son poème :

Penser que c’est un délire de malaria ? [...],
Est-ce l’amour qui va se produire ?
Et quel amour
grand ou minuscule ?
Comment serait-il grand dans un corps pareil74 ?

Il interpelle le lecteur de façon assez brutale :

Tendres !
Vous couchez l’amour sur des violons. [...]
Venez vous instruire,
digne fonctionnaire de la ligue des anges,
avec votre batiste de salon75.

Il s’attache ainsi à placer le lecteur dans la position d’un interlocuteur actif et réceptif à un discours qui propose, comme Apollinaire et Cendrars, la création d’un monde nouveau.

Une cosmogonie

Les poèmes d’Apollinaire, Cendrars et Maïakovski utilisent donc la métaphore dans le but de construire un monde poétique, non pas le double du monde réel ou l’équivalent du monde réel mais une entité dotée d’une existence à part entière qui se superpose comme un filtre. La métaphore permet de laisser entrevoir le réel sous le filtre de l’image rapportée. L’ensemble des métaphores créées dans ces poèmes constitue un réseau cohérent d’images.

La thématique du mouvement assure la dynamique de l’enchaînement de ces images et permet au texte sa génération. On peut le voir avec la thématique du voyage chez Apollinaire par le mouvement d’élévation :

C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs
Il détient le record du monde pour la hauteur76.

Chez Cendrars les mouvements du train créent une forme de dislocation du paysage et une nouvelle géométrie :

Bilboquets diaboliques
Il y a des trains qui ne se rencontrent jamais
D’autres se perdent en route Les chefs de guerre jouent aux échecs
Tric-trac
Billard
Caramboles
Paraboles
La voie ferrée est une nouvelle géométrie
Syracuse
Archimède
Et les soldats qui l’égorgèrent
Et les galères
Et vaisseau
Et les engins prodigieux qu’il inventa
Et toutes les tueries
L’histoire antique
Histoire moderne
Les tourbillons
Les naufrages77.

Apollinaire et Cendrars démultiplient les oiseaux et les trains donnant ainsi une densité supplémentaire à leurs images. Maïakovski joue sur l’hyperbole en agrandissant les effets de son angoisse :

Mon dernier cri,
toi au moins,
à la face des siècles gémis que je brûle ! [...]
la rue se tord, privée de langue :
elle n’a rien pour crier ni parler78.

Les trois poètes synthétisent enfin l’ensemble de leur réseau d’images dans leurs créations cosmogoniques à travers les expressions suivantes :

Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie79.

Apollinaire résorbe tout le parcours qu’il a effectué dans Paris et le bilan personnel dans l’image de l’alcool équivalent de la vie et équivalent des poèmes du recueil qui s’ouvre. La folie déchaînée du train de Cendrars qu’il représente ainsi :

Les accents fous et les sanglots
D’une éternelle liturgie80,

se dénoue dans cette liturgie à laquelle il donne une éternité et une forme d’universalité. Maïakovski termine son poème par l’animalisation de l’univers :

l’univers dort :
il a posé sur sa patte une immense oreille grouillante d’étoiles81.

Il achève son poème, construit comme l’expansion du mouvement de l’angoisse, en une figure unique, l’univers animalisé revenu au calme après la tempête et le chaos.

Apollinaire, Cendrars et Maïakovski ne se contentent pas d’expérimenter des métaphores, de créer des effets de surprise déstabilisants et de jouer sur les images. Ils bâtissent un monde personnel, témoignage de leur expérience de la dualité du langage en proposant une forme d’harmonie retrouvée et recréée et ce malgré la possibilité que ce réseau d’associations d’images ne fonctionne pas comme Cendrars l’a tout particulièrement évoqué.

Conclusion

La métaphore n’est donc pas un simple ornement mais elle assure le dynamisme de l’écriture poétique moderne comme le suggère Paul Ricœur qui montre que la métaphore a été considérée par Aristote sur deux plans, l’un purement rhétorique et l’autre poétique. Pour lui la métaphore n’est pas une simple figure ornementale :

Le déclin de la rhétorique résulte d’une erreur initiale qui affecte la théorie même des tropes, indépendamment de la place accordée à la tropologie dans le champ rhétorique. Cette erreur initiale tient à la dictature du mot dans la théorie la signification. De cette erreur on n’aperçoit que l’effet le plus lointain : la réduction de la métaphore à un simple ornement82.

La multiplicité des images assemblées dans le poème se fait le miroir d’un monde mouvant. Elle rend compte des préoccupations des poètes d’avant-garde de transcrire le monde moderne dans sa diversité déstabilisante et révèle des angoisses liées à l’identité problématique du poète qui peine à trouver sa place. Cendrars et Maïakovski sont de jeunes poètes qui envisagent l’écriture de leur poème frôlant un échec toujours possible. Apollinaire, lui, comprend le tournant de la modernité de l’art du début du siècle.

Ces poèmes sont les récits d’un voyage et d’une déambulation mais aussi démontrent la capacité à expérimenter une forme d’écriture qui met le processus métaphorique, le rapprochement des images et la question de l’analogie au cœur d’une problématique d’une écriture poétique moderne.

Si la métaphore a connu une disgrâce que les romantiques ont véhiculée par la désuétude de la rhétorique, elle est une source de modernité comme le montre P. Caminade :

Jusqu’à ces dernières années, image dominait. Le mot, la notion, devait leur prééminence à la définition stricte qu’André Breton, à la suite de Pierre Reverdy, en avait donnée en 1924 dans Manifeste du surréalisme. L’image devenait, dès lors, sinon l’essence de la poésie, tout au moins l’agent principal de son dynamisme et de sa modernité. Cette conception fut contestée de bonne heure – 1930, 1933 – ; elle résista aux attaques, et les adversaires eux-mêmes employaient le mot image.
Sans doute métaphore n’avait-il pas été tout à fait oublié, s’il était tombé dans cette disgrâce de la rhétorique que le Romantisme avait provoquée et qui, après la guerre de 1914-1918, avait même gagné l’enseignement scolaire.
Métaphore, et l’on évoquait pour les mépriser le poncif, l’artifice rationnel et prudent de toute la rhétorique, qu’on identifiait péjorativement à la cuisine comme Platon l’avait nommée dans le Gorgias. Métaphore, rhétorique, tout cela était figé, vieux, sclérosé, sans vie ni vérité.
Image : voici l’inconnu, l’épiphanie hors des ténèbres, le jaillissement de l’inconnu, l’accueil aux profondeurs, le buisson ardent, la collusion flamboyante de mots83.

Les surréalistes ont bien compris l’importance de la métaphore dans l’écriture poétique en lui donnant cette dimension d’arbitraire et de surprise qui allait faire le pivot de leur poétique.

Notes de bas de page numériques

1 Guillaume Apollinaire, « 1909 », Alcools, Œuvres poétiques complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 139.

2 Vladimir Maïakovski, Vladimir Maïakovski tragédie, Poèmes 1913-1917, traduction du russe par Claude Frioux, Paris, Messidor / Temps actuels, 1984, p. 47. « И вдруг / все вещи / кинулись, / раздирая голос, / скидывать лохмотья изношенных имен. »

3 Blaise Cendrars, Les Pâques, Poésies complètes : avec 41 poèmes inédits, textes présentés et annotés par Claude Leroy, Paris, Denoël, 2005, p. 13.

4 Guillaume Apollinaire, L’Esprit nouveau et les poètes, Œuvres en prose complètes, tome II, textes établis, présentés et annotés par Pierre Caizergues et Michel Décaudin, Paris, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1991.p. 954.

5 Paul Ricœur, La métaphore vive, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1975.p. 7.

6 Paul Ricœur, La métaphore vive, p. 24.

7 Aristote, Poétique, trad. Michel Magnien, Paris, Le livre de poche, 1990, p. 118.

8 César Chesneau Du Marsais, Les Tropes, Tome1, Paris, Belin-le-Prieur, 1818, (source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France), p. 155.

9 Paul Ricœur, La Métaphore vive, p. 289.

10 Pierre Fontanier, Les Figures du discours, Paris, Flammarion, coll. « Champs classiques », 1977, p. 99.

11 Michel Le Guern, Sémantique de la métaphore et de la métonymie, Paris, Larousse, coll. « Langue et langage », 1972, p. 43.

12 Voir l’explication de Daniel Leuwers, Introduction à la poésie moderne et contemporaine, Paris, Nathan, 2001 (2°édition), p. 16.

13 Bernard Dupriez, Gradus. Les procédés littéraires, Union Générale d’Éditions, coll. « 10 / 18 », 1984, p. 242.

14 Käte Hamburger, Logique des genres littéraires, trad. de Pierre Cadiot, Préface de Gérard Genette, Paris, Éditions du Seuil, Coll. « Poétiques », 1986, [1957], p. 242.

15 Käte Hamburger, Logique des genres littéraires, p. 243.

16 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, Poésies complètes : avec 41 poèmes inédits, textes présentés et annotés par Claude Leroy, Paris, Denoël, 2005, p. 19.

17 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 22.

18 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 19.

19 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, Œuvres poétiques complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 39, 41.

20 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 42.

21 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 42.

22 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, Poèmes 1913-1917, traduction du russe par Claude Frioux, Paris, Messidor / Temps actuels, 1984, p. 71. « буду дразнить об окровавленный сердца лоскут[...] ».

23 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 24.

24 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 71. « Мир огро́мив мощью голоса, / иду — красивый, / двадцатидвухлетний. »

25 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 71. « А себя, как я, вывернуть не можете, / чтобы были одни сплошные губы ! »

26 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 75, 81, 91. « вам я / душу вытащу, / растопчу, / чтоб большая ! — / и окровавленную дам, как знамя. »

27 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 39.

28 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 31.

29 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 32.

30 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 40.

31 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 40.

32 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 40.

33 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 41, 42.

34 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 21

35 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 23.

36 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 25.

37 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 71. « Хотите — / буду от мяса бешеный / — и, как небо, меняя тона — / хотите — / буду безукоризненно нежный, / не мужчина, а — облако в штанах ! »

38 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 39.

39 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 40.

40 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 44.

41 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 27.

42 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 28.

43 Cendrars reprendra ce principe dans Dix-neuf poèmes élastiques par des énumérations de vers brefs et des notations rapides.

44 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 73, 75. « Вот и вечер / в ночную жуть / ушел от окон, / хмурый, / декабрый. // В дряхлую спину хохочут и ржут / канделябры.[...] / Полночь, с ножом мечась, / догна́ла, / зарезала, — / вон его ! »

45 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 81. « Скажите пожарным : / на сердце горящее лезут в ласках. [...] / На лице обгорающем / из трещины губ / обугленный поцелуишко броситься вырос. [...] / Обгорелые фигурки слов и чисел / из черепа, / как дети из горящего здания. »

46 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 41. Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 71, « окровавленный сердца лоскут ». Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 19.

47 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 39.

48 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 42.

49 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 73, 75, 77. « Восемь. / Девять. / Десять. / Вот и вечер [...] / И вот, — » - 178 – « сначала прошелся / едва-едва [...] / Теперь и он и новые два / мечутся отчаянной чечеткой. »

50 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 20.

51 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 28.

52 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 113. « Смотрите — / звезды опять обезглавили / и небо окровавили бойней ! »

53 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 40, 41.

54 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 25, 26, 33.

55 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 105, 113. « Вселенная спит, / положив на лапу / с клещами звезд огромное ухо. »

56 Fontanier montre que la personnification s’appuie en partie sur la métaphore.

57 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 40.

58 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 44.

59 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 24, 25.

60 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 75, 77. « Полночь, с ножом мечась, [...] / В стеклах дождинки серые / свылись, [...] / Нервы — / большие, / маленькие, / многие ! — / скачут бешеные, / и уже / у нервов подкашиваются ноги ! »

61 Voir les manifestes « Le mot en tant que tel » de A. Kroutchonykh et V. Khlebnikov et « Déclaration du mot en tant que tel » de Kroutchonykh. Léon Robel (choix et traduction des textes), Manifestes futuristes russes, Paris, Les Éditeurs Français Réunis, 1971.

62 Guillaume Apollinaire, « Marie », Alcools, p. 81.

63 Gil Charbonnier, Danielle Jaines parlent de « discrète inversion » car « Le fleuve, placé au premier plan de la conscience, met à distance la douleur », dans Étude sur Apollinaire « Alcools », Ellipses, Résonances, 1999, p. 56.

64 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 24.

65 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 71. « А себя, как я, вывернуть не можете, / чтобы были одни сплошные губы ! »

66 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 19, 20, 30.

67 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 30.

68 Voir l’introduction au poème par C. Frioux dans l’édition utilisée, p. 69.

69 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 83. « Я над всем, что сделано, / ставлю « nihil ». / Никогда / ничего не хочу читать. / Книги ? / Что книги ! / Я раньше думал — / книги делаются так : / пришел поэт, / легко разжал уста, / и сразу запел вдохновенный простак — ».

70 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 40.

71 Dans le Mercure de France, le 16 juin 1913.

72 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 32.

73 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 89.

74 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 73, 75. « Вы думаете, это бредит малярия ? [...] / Будет любовь или нет ? / Какая — / большая или крошечная ? / Откуда большая у тела такого [...]. »

75 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 71. « Нежные ! / Вы любовь на скрипки ложите. / [...] Приходи́те учиться — / из гостиной батистовая, / чинная чиновница ангельской лиги. »

76 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 40.

77 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 29, 30.

78 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 83. « Крик последний, — / ты хоть / о том, что горю, в столетия выстони ! »

79 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, p. 44.

80 Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, p. 31.

81 Vladimir Maïakovski, Le nuage en pantalon, p. 113. « Вселенная спит, / положив на лапу / с клещами звезд огромное ухо. »

82 Paul Ricœur, La métaphore vive, p. 64.

83 Pierre Caminade, Image et métaphore : un problème de poétique contemporaine, Paris, Bordas, coll. « Études supérieures », 1970, p. 3.

Bibliographie

Œuvres

APOLLINAIRE Guillaume, Œuvres poétiques complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1965.

CENDRARS Blaise, Poésies complètes : avec 41 poèmes inédits, textes présentés et annotés par Claude Leroy, Paris, Denoël, 2005.

MAÏAKOVSKI Vladimir, Poèmes 1913-1917, traduction du russe par Claude Frioux, Paris, Messidor / Temps actuels, 1984.

Études

BACHELARD Gaston, L’air et les songes : essai sur l’imagination du mouvement, [1943], Paris, Le Livre de Poche, coll. « Biblio essais », 2010.

BACHELARD Gaston, L’eau et les rêves : essai sur l’imagination de la matière, [1942], Paris, Le Livre de Poche, coll. « Biblio essais », 2011.

BACHELARD Gaston, La poétique de l’espace, [1957], Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Quadrige », 2011.

CAMINADE Pierre, Image et métaphore : un problème de poétique contemporaine, Paris, Bordas, coll. « Études supérieures », 1970.

DU MARSAIS César Chesneau, Les Tropes, Tome1, Paris, Belin-le-Prieur, 1818, (Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France).

FONTANIER Pierre, Les figures du discours, Paris, Flammarion, coll. « Champs classiques », 1977.

GARDES-TAMINE Joëlle, Au cœur du langage : la métaphore, Paris, H. Champion, 2011.

KONRAD Hedwig, Étude sur la métaphore, Paris, J. Vrin, 1958.

LE GUERN Michel, Sémantique de la métaphore et de la métonymie, Paris, Larousse, coll. « Langue et langage », 1972.

RICOEUR Paul, La métaphore vive, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », 1975.

NB : Certains travaux plus récents ont prolongé les recherches sur la métaphore. Nous citerons : BONNIER Xavier (dir.), Le parcours du comparant. Pour une histoire littéraire des métaphores, Paris, Éditions Classiques Garnier, coll. « Rencontres », 2015 (Université de Rouen, Centre d’Étude et de Recherche Éditer et Interpréter).

Pour citer cet article

Fabienne Marié Liger, « Métaphore et poétisation du réel chez Apollinaire, Cendrars et Maïakovski », paru dans Loxias, 50., mis en ligne le 13 septembre 2015, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=8132.

Auteurs

Fabienne Marié Liger

Professeur de Lettres modernes au Lycée Sud des Landes à Saint Vincent de Tyrosse et docteur en Littératures française, francophones et comparée, Fabienne Marié Liger appartient à l’équipe Clare, Université Bordeaux Montaigne. Elle a participé à des colloques et des études portant sur les relations entre la littérature française, la littérature russe et les arts en s’intéressant plus particulièrement à l’avant-garde européenne.