Loxias | 47. Autour du programme des concours 2015 | I. Programme de l'agrégation de Lettres 

Anastasia Scepi  : 

Le Spleen de Paris sous le masque de la pantomime

Résumé

Dans De l’essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques, Baudelaire se souvient de la représentation d’une pantomime au théâtre des Variétés : au Pierrot français, discret et muet, s’oppose l’excentrique Pierrot anglais, dont le rire qui « ressemblait à un joyeux tonnerre », fit « trembler la salle ». Par sa gestuelle et son masque démesurément outrés, le Pierrot anglais provoque « une ivresse de rire, quelque chose de terrible et d’irrésistible ». D’emblée, la caricature est placée sous le signe de la violence. Violence de l’exagération, d’une part, qui vient déformer les traits des personnages ; violence de la réception, d’autre part, qui laisse le spectateur sous « le vertige de l’hyperbole ». C’est la violence de l’exagération qui vient faire grimacer la représentation à la fois du corps et du texte, qui nous intéressera dans cet article.

Index

Mots-clés : Baudelaire (Charles) ; rire moderne ; masque ; pantomime ; poème en prose

Géographique : France

Chronologique : XIXe siècle

Plan

Texte intégral

Dans De l’essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques, Baudelaire se souvient de la représentation d’une pantomime au théâtre des Variétés : au Pierrot français, discret et muet, prenant les traits du « regrettable Deburau1 » et qui trouvera sa parfaite filiation dans les œuvres fin-de-siècle2, s’oppose l’excentrique Pierrot anglais, dont le rire « qui ressemblait à un joyeux tonnerre » fit « trembler la salle3 ». Loin du masque français squelettique et blafard, à la limite de l’évanescence, les traits du Pierrot anglais trouvent leur origine dans l’étymologie : il est celui qui vient du clod4, littéralement « motte de terre », c’est-à-dire, un paysan lourdaud. Le masque hérité de la commedia dell’arte est donc double : tantôt « droit et long », « pâle comme la lune », tantôt « court et gros » portant « un costume chargé de rubans5 ». Et c’est le souvenir de ce Pierrot « pétri de lourde pâte terrestre6 », résidant dans « les royaumes brumeux du spleen7 », qui permet au poète d’illustrer sa conception du « comique absolu », « éternel », entendu comme « ivresse de rire » faisant basculer le lecteur-spectateur « à la frontière du merveilleux8 ». Le « comique absolu », réservé à quelques happy few, et s’opposant en cela au « comique relatif » trouve ainsi son illustration dans cet art mineur qu’est la pantomime. Et quelle figure l’incarne le mieux ? Le Pierrot anglais. D’emblée, celui-ci est placé sous le signe de la violence. Violence des traits du masque, d’une part, qui vient défigurer le personnage : « La bouche était agrandie par une prolongation simulée des lèvres au moyen de deux bandes de carmin, de sorte que, quand il riait, la gueule avait l’air de courir jusqu’aux oreilles9 ». Violence paroxystique, même, qui fait perdre sa tête au personnage : « La tête se détachait du cou, une grosse tête blanche et rouge, et roulait avec bruit devant le trou du souffleur10 ». Violence de la représentation, d’autre part, qui vient abolir les frontières entre le réel et l’imagination, et ce dès la création. C’est en tout cas ce que suggèrent non seulement Baudelaire, mais aussi les témoins des clowneries des Hanlon Lees, ces comédiens anglais, qui se cachent sous le masque du Pierrot, et qui, après chaque représentation, ne manquent pas de s’enivrer :

Mais ces ivresses elles-mêmes n’étaient pas perdues pour le travail. On se réunissait le lendemain, on se contait ses rêves. On essayait d’en faire un spectacle11.

Avec la pantomime, « les mondes imaginaires sont plus vrais que les mondes réels12 ». On ne s’étonne donc pas que le Pierrot, après avoir été guillotiné, se relève : « Mais voilà que, subitement, le torse raccourci, mû par la monomanie irrésistible du vol, se dressait, escamotait victorieusement sa propre tête comme un jambon13 ». Enfin, violence de la réception, qui laisse le spectateur sous « le vertige de l’hyperbole14 ». Expression du « choc perpétuel de deux infinis », « d’un sentiment double et contradictoire15 », la poésie baudelairienne, se tient sur un fil : celui de la tension entre exagération et « épuration16 ».

Le masque du Pierrot funambulesque, entendu comme relatif à l’art de la pantomime, est alors à comprendre métaphoriquement : il est celui qui, en faisant « exploser » les possibles de la représentation, en repoussant les limites assignées jusque là à la poésie, conduit non pas vers une profusion de vie, mais à la frontière de la vie et de la langue17. L’expérience douloureuse vécue au théâtre des Variétés, Baudelaire entend ainsi la faire subir à son lecteur : les « horreurs » et « monstruosités » exposées dans le recueil sont envisagées comme pouvant faire « avorter [des] lectrices enceintes18 ». Il conviendra alors de se demander comment Baudelaire arrive à faire grimac[er]19 non seulement les corps de ses personnages mais aussi le texte poétique, faisant du Spleen de Paris un véritable « bal d’outre tombe20 », peu éloigné des comédies de la mort dont parlera si bien Paul de Saint-Victor quelques années plus tard, et des pantomimes noires de la fin du siècle21.

Le Spleen de Paris, une pantomime féroce : « Le rire d’une grande bouche, rouge et blanche » (« Le désir de peindre »)

La poésie moderne à l’œuvre dans Le Spleen de Paris est à envisager comme une « pantomime sublime au bord de la tombe22 ». Le recueil baudelairien invite alors le lecteur à participer à un « ballet macabre23 » en faisant parader ces masques qui terrifiaient tant Musset dans La Confession d’un enfant du siècle. Il s’agit pour Baudelaire de « fai[re] défiler devant [nos] yeux, dans sa réalité fantastique et saisissante, tout ce qu’une grande ville renferme de trésors effrayants, grotesques, sinistres et bouffons24 ». Il n’est qu’à feuilleter le recueil et regarder la caractérisation des différents personnages pour s’en convaincre : dans « Les veuves », la foule est composée de « parias », dans « Le joueur généreux », les « visages […] d’hommes et de femmes » sont « marqués d’une beauté fatale », dans « La femme sauvage et la petite-maîtresse », la figure féminine est un « monstre poilu » souffrant la comparaison animalière :

Considérons bien, je vous prie, cette solide cage de fer derrière laquelle s’agite, hurlant comme un damné, secouant les barreaux comme un orang-outang exaspéré par l’exil, imitant, dans la perfection, tantôt les bonds circulaires du tigre, tantôt les dandinements stupides de l’ours blanc, ce monstre poilu dont la forme imite assez vaguement la vôtre25.

Ailleurs, c’est un enfant qui glapit26, ou une femme-» araignée » qui, poussée au paroxysme de la maigreur, n’est plus qu’un « squelette27 ». C’est que, comme l’indique la paronomase dans « À une heure du matin28 », la ville et la vie sont si « horrible[s] », qu’on se masque et qu’on joue à être un autre.

Une identité masquée : « Laquelle est la vraie ? »

Les identités sont brouillées et les jeux de rôles possibles. Dans la nouvelle baudelairienne La Fanfarlo, le personnage joue plusieurs rôles, dans Le Spleen de Paris, les personnages sont des saltimbanques (« Une mort héroïque », « Le vieux saltimbanque »), et les femmes sont des monstres de foire comme l’indique l’un des narrateurs dans « Portraits de maîtresses » : « –J’aurais pu faire ma fortune en la montrant dans les foires comme monstre polyphage ». D’autres, s’ils ne sont pas à proprement parler des comédiens ou des artistes, semblent posséder, eux aussi, des identités instables, voire réversibles. C’est le cas, par exemple, des deux femmes dans « Laquelle est la vraie ? » :

J’ai connu une certaine Bénédicta, qui remplissait l’atmosphère d’idéal, et dont les yeux répandaient le désir de la grandeur, de la beauté, de la gloire et de tout ce qui fait croire à l’immortalité. […] Et comme mes yeux restaient fichés sur le lieu où était enfoui mon trésor, je vis subitement une petite personne qui ressemblait singulièrement à la défunte, et qui, piétinant sur la terre fraiche avec une violence hystérique et bizarre, disait en éclatant de rire : « C’est moi, la vraie Bénédicta ! C’est moi, une fameuse canaille ! Et pour la punition de ta folie et de ton aveuglement, tu m’aimeras telle que je suis !29 ».

Cette identité double peut se comprendre comme les deux faces d’une même personne : le visage et le masque. Le narrateur s’enfonçant dans la tombe, doit alors faire face à un masque terrifiant, qui n’est pas sans rappeler les squelettes ou les têtes de mort des danses macabres, auxquelles les pantomimes renvoient :

Mais moi, furieux, j’ai répondu : « Non ! non ! non ! » Et pour mieux accentuer mon refus, j’ai frappé si violemment la terre du pied que ma jambe s’est enfoncée jusqu’au genou dans la sépulture récente, et que, comme un loup pris au piège, je reste attaché, pour toujours peut-être, à la fosse de l’idéal30.

Ainsi, le narrateur « affronte un crâne qui, lui renvoyant l’image terrifiante » de la femme idéalisée, « le fixe intensément d’un regard moqueur31 ». Le déclenchement anamorphotique, bouleverse l’image de la femme, laquelle se « déform[e] et se déf[ait]32 ». Le surgissement de cette autre, de cette « réalité cachée », masquée, fait éclater « une altérité dévastatrice33 ». Le démasquage révèle une nouvelle identité qui vient faire passer la précédente pour une fausse. Le narrateur retrouve ainsi « le tout et le rien34 », l’Idéal et la Chute.

Une identité jouée : des « pacotilles d’êtres » (« Les tentations »)

Parfois, le masque ne « dévoile rien d’autre que lui-même35 » : le visage sous le masque n’est pas, il est simple reproduction, simple copie d’un autre. Celui qui incarne le mieux ce simulacre est le blagueur, figure littéraire qui innerve toute la littérature de la deuxième moitié du XIXe siècle, qui s’incarne dans le personnage d’Anatole de Manette Salomon des frères Goncourt :

Parce qu’il est un rôle susceptible d’être tenu par tous dans une société du simulacre [et du spectacle, d’où l’effacement des frontières entre le réel et l’imagination], parce qu’il imite tout, le blagueur est donc pris en défaut ontologique […]. Il devient la figure du jeu36.

Il est celui qui copie « trait pour trait, taille pour taille, les bois de Tony Johannot du Paul et Virginie publié par Curmer37 ». Il n’existe que dans l’imitation, et comme le souligne Jean-Louis Cabanès, « il n’est pas gratuit qu’Anatole soit un clown, qu’il peigne des Pierrots, qu’il endosse le rôle et l’habit, comme il revêt le costume d’un saltimbanque dans une scène de bal masqué38 ». Soit cet extrait de Manette Salomon :

Ce n’était pas sa danse de tout à l’heure, une danse de tour de force et gymnastique ; c’était maintenant une danse qui ressemblait à la pantomime sérieuse et sinistre de la blague – une danse qui blaguait39 !

On retrouve dans Le Spleen de Paris ce personnage en habit noir : c’est le « plaisant », ce « beau monsieur ganté, verni, cruellement cravaté et emprisonné dans des habits tout neufs », qui s’agite comme les personnages de Cruikshank. Ce poème en prose n’est donc pas sans rappeler les propos du poète dans Quelques caricaturistes étrangers : « Tous ses petits personnages miment avec fureur et turbulence comme des acteurs de pantomime. […] Tout ce monde minuscule se culbute, s’agite et se mêle avec une pétulance indicible […]40 ». Comme les personnages de la pantomime anglaise du théâtre des Variétés qui « […] font le moulinet avec leurs bras, [et qui] ressemblent à des moulins à vent tourmentés par la tempête41 », la fièvre s’empare de la redingote du poème en prose, qui reproduit de façon mécanique et mimétique des gestes insignifiants. En effet, pris dans son élan, dans le « tohu-bohu » qui l’entoure, ce dernier salue toute « personne » sur son passage, soit, dans ce cas, un âne :

Il s’inclina cérémonieusement devant l’humble bête, et lui dit, en ôtant son chapeau : « Je vous la souhaite bonne et heureuse ! » puis se retourna vers je ne sais quels camarades avec un air de fatuité, comme pour les prier d’ajouter leur approbation à son contentement.

Les « habits tout neufs » rappellent ici « la redingote chétive et grimaçante42 », des bourgeois croqués par Daumier. Mais ce « type », c’est non seulement le bourgeois mais aussi, et surtout, le blagueur. Le volume phonique de l’adverbe « cérémonieusement », qui vient caractériser le procès verbal, et qui rend le geste disproportionné au regard de celui qui en est le récepteur, à savoir « l’humble bête », en témoigne. Comme Anatole qui n’est rien d’autre qu’un « peintre-singe43 », le « plaisant » de Baudelaire se montre aussi superficiel dans son apparence que ridicule dans sa gestuelle. Il est celui qui revêt l’habit du siècle, tel un déguisement universel, et qui se meut sur la scène du monde comme un personnage de pantomime. Certains personnages du Spleen de Paris incarnent donc ce que le poète, dans « Danse Macabre », poème des Fleurs du Mal, a nommé, le « néant follement attifé44 », à savoir, le creux, le vide. Dépourvu « de volonté, d’autonomie, de visage et de voix », de « toute réalité personnelle45 », Le Spleen de Paris célèbre « le triomphe de l’automate46 ». C’est alors tout naturellement que les corps de ces personnages sont déformés, fragmentés.

Une identité et un corps fragmentés

Tel le Pierrot anglais du théâtre des Variétés qui perd sa tête, ou les personnages des Fleurs du Mal qui mis à nus deviennent squelettes, les personnages du Spleen de Paris subissent eux aussi la violence de la défiguration et de la déformation. Le corps de « la belle Dorothée » est ainsi disloqué :

Elle s’avance, balançant mollement son torse si mince sur ses hanches si larges. Sa robe de soie collante, d’un ton clair et rose, tranche vivement sur les ténèbres de sa peau et moule exactement sa taille longue, son dos creux, sa gorge pointue. […] Le poids de son énorme chevelure presque bleue tire en arrière sa tête délicate et lui donne un air triomphant et paresseux47.

La démarche saccadée du personnage, la rapproche des gestuelles des pantins ou des automates, ce que ne manque pas de souligner le polyptote « souriant d’un blanc sourire ». Dorothée devient ainsi une sorte de « Gwynplain tragique », pour reprendre les mots de Jean de Palacio, dont la « gaité », serait, « assurément triste et profonde ». Ou plus exactement, si l’on suit Jean-Louis Cabanes, le Pierrot anglais et le héros hugolien seraient à rapprocher de la figure féminine baudelairienne. En effet, sous l’effet de la déformation, le « déjà-vu, le déjà-su », soit les références romanesques et pantomimiques, « fournissent certes un point de comparaison48 », mais qui se voit oblitéré par la représentation masquée. Autrement dit :

C’est le sujet caricaturé qui désormais ressemble, aux yeux du rieur, à son double grotesque et dégradé. Il est devenu l’autre dans une sorte d’équivalence identitaire dont on dira qu’elle implique, le temps du rire, un déni de métaphoricité […]49.

« Triomphe de l’automate », on l’a dit, mais aussi de l’illusion : le « je » se perd dans ses multiples miroitements – « si parfaitement semblable au premier qu’on aurait pu le prendre pour son frère jumeau » (« Le gâteau ») – ; et questionne son identité50 – « […] j’eus un instant l’idée bizarre que je pouvais avoir un frère à moi-même inconnu. » (« Les vocations ») ; quand il ne devient pas cadavre51.

Tiraillés, « Pierrot [, les personnages du recueil, mais aussi le « je »] peine[nt] à trouver [une] assise ». « A[ux] questions Où est Pierrot ? [Qui sommes-nous ? Qui suis-je ?], il faudra répondre : et/ou52 ». « La juxtaposition hésite entre le choix et le cumul53 » identitaires. Le narrateur des « Fenêtres » en témoigne : « Et je me couche, fier d’avoir vécu et souffert dans d’autres que moi-même ».

Au rebours de « la poétique de douce rêverie qu’avait développée Deburau aux Funambules54 », la pantomime anglaise est féroce et « projette sur son visage sombre le fard sanglant de ses reflets » (« La belle Dorothée »). « Désarmé[s], désancré[s]55 », les personnages ne sont dès lors plus que des « figures anguleuses aux cassures brusques56 »qui s’interrogent non seulement sur leur identité, mais également sur le langage. Le recueil baudelairien se « fait [ainsi] l’expression d’une violence sans retenue57 », laissant alors la bouche « saig[ner] au lieu de parler58 ».

Le Spleen de Paris, la parole sur un fil : vers une « éloquence du silence »

Le masque du Pierrot anglais qui fait vaciller la salle du théâtre des Variétés est double, comme le sont les personnages mis en scène dans le recueil. Blanc car enfariné, il est métaphoriquement cette « épuration », cette réduction, dont parle Baudelaire à propos de la pantomime dans son essai sur le rire ; il est aussi taché de rouge, qui, par contraste, rappelle l’exagération, la « violence de l’hyperbole » qui vient gagner les masques italiens et français sur la scène : « Par dessus la farine de son visage, il avait collé crûment, sans gradation, sans transition, deux énormes plaques de rouge pur59 ». Cette tension entre exagération et réduction, symbolisée ici par les deux couleurs du masque, conduit le recueil baudelairien vers une poétique du choc60, le poète faisant « grimac[er] » ses textes, comme le rouge carmin vient défigurer le Pierrot anglais. La langue poétique est alors tiraillée entre ces deux pôles.

« Deux bandes de carmin […] jusqu’aux oreilles » : la tentation de l’exagération

En effet, à l’image de la ville moderne, le recueil baudelairien se présente comme une « explosion », un véritable « chaos », « grouillant61 » de signes entassés et confus62. Loin de déguiser le travail sur le texte, les secrets rhétoriques s’exhibent. Les ficelles se montrent, ce qui n’est pas sans rejoindre les propos de Baudelaire à propos du maquillage « et de ses prétendus excès63 » :

Il importe fort peu que la ruse et l’artifice soient connus de tous, si le succès en est certain et l’effet toujours irrésistible. […] Le maquillage n’a pas à sa cacher, à éviter de se laisser deviner ; il peut, au contraire, s’étaler, sinon avec affectation, au moins avec une espèce de candeur64.

Le maquillage serait alors à comprendre comme ce « peu de charlatanerie », ces ficelles grossières, outrancières dont peut user le « génie » : « c’est comme le fard sur les pommettes d’une femme naturellement belle, un assaisonnement nouveau pour l’esprit65 ». C’est la raison pour laquelle, il y a, dans Le Spleen de Paris, et pour reprendre les mots d’Alain Vaillant, « une poétique de l’éloquence66 » : « la rhétorique ne sert plus au titre de technique indifférenciée et banale », elle devient « l’outil spécifique qui assure » à Baudelaire « la possibilité de concrétiser textuellement sa singularité67 » :

Et jamais les prosodies et les rhétoriques n’ont empêché l’originalité de se produire distinctement. Le contraire, à savoir qu’elles ont aidé l’éclosion de l’originalité, serait infiniment plus vrai68.

Baudelaire admirant Poe, cet « écrivain des nerfs69 », propose, avec Le Spleen de Paris, une rhétorique tout autre. Comme les acteurs de pantomime qui se fardent et se déguisent, il façonne la singularité de son œuvre en exposant sur la scène poétique ses artifices, qui se révèlent être des signaux, des marques de rupture et de disjonction. En effet, l’outrance se construit ici sur les figures de l’opposition que sont l’oxymore, l’antithèse, et le paradoxe. C’est l’incongruité entendue comme la « somme hétérogène constituant [une] unité sémantique70 » qui s’expose. Il s’agit alors pour le poète de mettre sous les yeux du lecteur cette « monstruosité de la signification plurivalente71 ». C’est ainsi que le portrait du personnage féminin dans « Un cheval de race » se construit sur le mode de l’antithèse :

Elle est bien laide. Elle est délicieuse pourtant ! Le temps et l’amour l’ont marquée de leurs griffes et lui ont cruellement enseigné ce que chaque minute et chaque baiser emportent de jeunesse et de fraicheur. Elle est vraiment laide ; elle est fourmi, araignée, si vous voulez, squelette, même ; mais aussi elle est breuvage, magistère, sorcellerie ! en somme, elle est exquise72.

L’harmonie du geste scriptural et poétique est rompue par « l’éclatant contraste » (« Les veuves ») qui structure non seulement le poème mais aussi le recueil.

Mais la logorrhée, ce « tohu-bohu », ce « capharnaüm73 » de significations, se trouve tiraillée. Cette « union des contraires74 » sur laquelle les poèmes en prose reposent, se confronte à son extrême. Ce n’est dès lors plus le rouge éclatant qui surgit de la page, mais le blanc, et avec lui la tentation de cette « épuration » que mentionne le poète. Cette « poétique de l’éloquence » dont parle Alain Vaillant serait peut-être alors plutôt une « éloquence du silence75 ».

« La farine de son visage » : vers la réduction au « blanc »

Les personnages du recueil, s’ils ne s’expriment pas par des cris76 – « Elles se faisaient, en vérité, une concurrence formidable : elles piaillaient, beuglaient, hurlaient » (« Le vieux saltimbanque ») – ou par des formules s’apparentant à des onomatopées venant masquer la trivialité des propos – « Non ! non ! à moins que ce ne soit pour te couper la tête ! S …s …c … de ….s…. m … ! » (« Mademoiselle Bistouri ») – empruntent ou ressassent une parole qui n’est pas la leur. C’est ainsi que le lecteur entend résonner des paroles empruntées à autrui.

En effet, les poèmes du Spleen de Paris se « nourri[ssent] par autophagie, c’est-à-dire réécritures, parodies et variations ». Comme les masques italiens des pantomimes ou les frères anglais, ils travaillent sur de « multiples reprises et reformulations d’un même matériau77 », d’une même parole. Celles –ci peuvent être des citations ou des renvois littéraires, comme cet extrait du poème « La femme sauvage et la petite-maîtresse » : « […] gare la grue qui vous croquera, vous gobera et vous tuera à son plaisir », qui renvoie à la fable Les Grenouilles qui demandent un roi de Jean de La Fontaine, ou encore la mention de Vauvenargues dès l’ouverture des « Veuves » : « Vauvenargues dit que dans les jardins publics il est des allées hantées principalement par l’ambition déçue […]78 ». Plus loin, ce sont des formules figées que le lecteur pourra découvrir : « S’il existe un phénomène évident, trivial, toujours semblable, et d’une nature à laquelle il soit impossible de se tromper, c’est l’amour maternel » (« La corde »).

Ailleurs, ce sont les clichés qui émaillent certains poèmes, comme cet extrait de « La chambre double » où le poète convoque les topoi romantiques : « Les étoffes parlent une langue muette, comme les fleurs, comme les ciels, comme les soleils couchants ». Patrick Labarthe a souligné l’importance du cliché dans Le Spleen de Paris :

Un des aspects les plus frappants de la « rhétorique profonde » du Spleen de Paris est sans aucun doute l’intérêt fasciné pour le cliché, pour ce spectacle de la réflexion morale que sont les lieux79.

Mais « le même est toujours déjà autre80 » : les clichés sont convoqués pour mieux être retravaillés. Patrick Labarthe en propose une analyse très éclairante :

Ainsi, « Perte d’auréole », glose t-il le cliché « les auréoles changnt souvent de tête », lui-même fondé sur une ironisation du topos romantique de l’élection du vates, le poète inspiré, dont le « beau diadème éblouissant et clair » de « Bénédiction » était l’emblème. Le cliché de l’enfant poète, qui culmine dans l’assomption du génie de Fancioulle, est violemment déchiré par le « coup de sifflet » dirimant du petit page. L’élan ascensionnel et mystique est violemment rabattu « dans la boue », la « fange du macadam » […]81.

L’écriture du lieu commun propose alors sa propre « désécriture82 » : le langage poétique s’appuie sur la parole d’autrui tout en la retravaillant, sans toutefois aboutir à une signification stable. Les poèmes baudelairiens se font « pénélopéens83 » : ils se font et se défont en fonction des lectures que chaque lecteur en proposera.

Parfois, la parole n’est que ressassement des mêmes sèmes, s’apparentant alors à un jeu d’échos : « parce que ! parce que ! » s’écrie le personnage dans le poème « Les dons des fées ». Le discours semble « bégayer comme si chaque syntagme, chaque proposition, se construisait en écho84 ». Ainsi, dans « Les yeux des pauvres » : 

Les yeux du père disaient : « Que c’est beau ! que c’est beau ! on dirait que tout l’or du pauvre monde est venu se porter sur ces murs. » – Les yeux du petit garçon : « Que c’est beau ! que c’est beau !85 »

Le flux de parole se brise, il ne fait que tourner en rond, rendant impossible toute signification stable. Avec lui, c’est non seulement l’harmonie de la phrase qui se réduit, mais également, la parole poétique. Celle-ci, en vient même à s’éclater, comme dans « L’étranger » : 

J’aime les nuages … les nuages qui passent … là-bas … là-bas … les merveilleux nuages !

La ponctuation témoigne de ce morcellement. Les tirets, très présents dans le recueil, viennent introduire une nouvelle secousse, une réinterprétation ou une réévaluation de ce qui avait été précédemment formulé. C’est le cas dans « Les vocations » :

« Tenez, il va passer derrière cette rangée d’arbres qui est presque à l’horizon … et maintenant il descend derrière le clocher …Ah ! on ne le voit plus ! » Et l’enfant resta longtemps tourné du même coté, fixant sur la ligne qui sépare la terre du ciel des yeux où brillaient une inexprimable expression d’extase et de regret86.

La parole se perd en ne trouvant pas d’assise dans le réel, ce qui laisse l’enfant, mais aussi le lecteur face à un vide, tant significatif qu’interprétatif87.

Tel le narrateur des « Veuves » qui ne finit pas sa phrase88, la parole se confronte au silence, elle se tient sur un fil. Et ce fil, c’est aussi celui de la corde, omniprésente dans le recueil, qui, comme la guillotine venant faire rouler la tête du Pierrot anglais sur la scène, vient « couper la parole au visage89 » : c’est à la « coercition visible de la gorge serrée » que l’on assiste dans le recueil baudelairien, au tiraillement entre l’excès et « l’émission suspendue90 ».

La parole, une « turbulence vide » (« Les veuves ») : poétique du « bruit et du silence »

En effet, comme le souligne Jean de Palacio dans son ouvrage sur la figure de Pierrot dans la littérature fin-de-siècle, « on ne s’étonnera pas de voir la pendaison alliée aux questions de langage91 » : si le bruit peut envahir certains poèmes, c’est bien souvent la mort et le silence92 qui triomphent, comme dans « La corde » :

Quels ne furent pas mon horreur et mon étonnement quand, rentrant à la maison, le premier objet qui frappa mes regards fut mon petit bonhomme, l’espiègle compagnon de ma vie, pendu au panneau de cette armoire ! […] Mais cela fait, tout n’était pas fini ; le petit monstre s’était servi d’une ficelle fort mince qui était entrée profondément dans les chairs, et il fallait maintenant, avec de minces ciseaux, chercher la corde entre les deux bourrelets de l’enflure, pour lui dégager le cou […].

« Entre la corde du pendu et le fil du pantin, la différence est mince93 » : les personnages du Spleen de Paris sont tenus ou pris au piège par un fil. « Serré[e][s] à la gorge » comme cette enfant dans « Les bienfaits de la lune », les personnages n’ont ici pas d’existence propre. Véritables marionnettes ou pantins, leur corps « se contente de suivre », de se laisser guider mener, tirer par autrui – il « […] attira ses camarades plus près de lui […] » (« Les vocations ») – et leurs désirs sont calqués sur ceux des autres : « tu subiras éternellement l’influence de mon baiser. Tu seras belle à ma manière » (« Les bienfaits de la lune »). Plus loin, les personnages peuvent devenir les victimes d’autrui, comme cette femme dans « Portraits de maîtresses » :

Pendant plusieurs années, je l’ai admirée, le cœur plein de haine. Enfin, ce n’est pas moi qui en suis mort ! – Ah ! firent les autres, elle est donc morte ? – Oui ! cela ne pouvait continuer ainsi. L’amour était devenu pour moi un cauchemar accablant. Vaincre ou mourir, comme dit la Politique, telle était l’alternative que m’imposait la destinée ! Un soir, dans un bois … au bord d’une mare … après une mélancolique promenade où ses yeux, à elle, réfléchissaient la douceur du ciel, et où mon cœur, à moi, était crispé comme l’enfer … – Quoi ! – Comment ! – Que voulez-vous dire ? – C’était inévitable. J’ai trop le sentiment de l’équité pour battre, outrager ou congédier un serviteur irréprochable. Mais il fallait accorder ce sentiment avec l’horreur que cet être m’inspirait ; me débarrasser de cet être sans lui manquer de respect. […] Les trois compagnons regardèrent celui-ci avec un regard vague et légèrement hébété, comme feignant de ne pas comprendre et comme avouant implicitement qu’ils ne se sentaient pas, quant à eux, capables d’une action aussi rigoureuse, quoique suffisamment expliquée d’ailleurs94.

La narration de la mort ne tient donc qu’à un fil, celui discontinu des aposiopèses, ou des tirets, qui se chargent de dramatiser la scène95 ; laissant les adverbes et la modalité exclamative des propos des interlocuteurs traduire la monstruosité du meurtre. « Bruit et silence » sont ici associés dans une même saccade.

Gilles Bonnet le rappelle dans La pantomime noire, « le Pierrot de la pantomime » « est bien une schize », « déchiré qu’il est entre l’élan vital qui sans cesse le pousse à l’action, et l’arrêt […] ». Ainsi, nombreux sont les commentateurs des Hanlon Lees à avoir souligné qu’il s’agissait là d’une « de leurs principales caractéristiques » : « une alternance entre agitation folle et soudaine stase96 » :

À l’instant même où ils vont se lancer dans mille sauts périlleux et autant d’invraisemblables culbutes à travers les murs, les glaces et les armoires, les artistes observent une fixité de marbre : ils semblent figés, inquiétants même par une immobilité cataleptique. […]. Puis soudain, quand Arlequin les examine curieusement, quand le public va les quitter de l’œil, […] ils s’élancent à immenses enjambées dans l’impossible, déroutant l’attention par les centaines de bras et de jambes qu’ils vont voltiger dans tous les coins de la scène97.

Baudelaire ne dit pas autre chose lorsqu’il commente la représentation à laquelle il a assisté, dans De l’essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques :

Une des choses les plus remarquables comme comique absolu, et, pour ainsi dire, comme métaphysique du comique absolu, était certainement le début de cette belle pièce, un prologue plein d’une haute esthétique. Les principaux personnages de la pièce, Pierrot, Cassandre, Harlequin, Colombine, Léandre, sont devant le public, bien doux et bien tranquilles. Ils sont à peu près raisonnables et ne diffèrent pas beaucoup des braves gens qui sont dans la salle. Le souffle merveilleux qui va les faire se mouvoir extraordinairement n’a pas encore soufflé sur leurs cervelles. Quelques jovialités de Pierrot ne peuvent donner qu’une pâle idée de ce qu’il fera tout à l’heure. La rivalité de Harlequin et de Léandre vient de se déclarer. Une fée s’intéresse à Harlequin : c’est l’éternelle protectrice des mortels amoureux et pauvres. Elle lui promet sa protection, et, pour lui en donner une preuve immédiate, elle promène avec un geste mystérieux et plein d’autorité, sa baguette dans les airs. Aussitôt le vertige est entré, le vertige circule dans l’air ; on respire le vertige qui remplit les poumons et renouvelle le sang dans le ventricule. Qu’est-ce que ce vertige ? C’est le comique absolu ; il s’est emparé de chaque être. Léandre, Pierrot, Cassandre, font des gestes extraordinaires […]98.

Tout se joue autour du couple « épilepsie/catalepsie99 » dans les poèmes en prose. C’est pourquoi, la seconde femme dans « Laquelle est la vraie ? », qui « ressemblait singulièrement à la défunte » – et donc à la mort, à l’immobilité – se met à « piétin[er] sur la terre fraîche avec une violence hystérique et bizarre », tout en « éclatant de rire. »

La langue poétique, telle une funambule, se tient écartelée entre l’excès et la réduction, se résout ici en une grimace d’effroi que l’on imagine aisément sur le visage des personnages, mais aussi du lecteur. C’est désormais le corps qui se fait parole, et avec lui, la grimace ou le masque, c’est-à-dire le visage enfariné.

Le Spleen de Paris, un recueil « grimaçant et douloureux » : le visage comme masque

Ce n’est pas seulement le visage des acteurs de pantomime ou du lecteur-rieur qui subit la férocité du masque de la grimace100, c’est aussi le texte poétique. Dans sa préface à Arsène Houssaye, Baudelaire souligne cette violence qui est au cœur du recueil :

Nous pouvons couper où nous voulons, moi ma rêverie, vous le manuscrit, le lecteur sa lecture ; car je ne suspends pas la volonté rétive de celui-ci au fil interminable d’une intrigue superflue. Enlevez une vertèbre, et les deux morceaux de cette tortueuse fantaisie se rejoindront sans peine. Hachez-la en nombreux fragments, et vous verrez que chacun peut exister à part101.

Une poésie de la « ligne [et de la vitre] brisées » : dire « la souffrance du monde » moderne ?

La prose, ayant la « corde sous [l]es pieds ou [la] corde autour du cou », se voit elle aussi malmenée. Les « démarches si lentes ou si saccadées » des « Veuves » caractérisent la syntaxe. Dans « La belle Dorothée », la dissymétrie syntaxique est indiquée par la phrase hétérométrique à cadence majeure du début du portrait :

Elle s’avance, balançant mollement son torse si mince sur ses hanches si larges. Sa robe de soie collante, d’un ton clair et rose, tranche vivement sur les ténèbres de sa peau et moule exactement sa taille longue, son dos creux, sa gorge pointue. […] Le poids de son énorme chevelure presque bleue tire en arrière sa tête délicate et lui donne un air triomphant et paresseux.

Loin de l’harmonie des vers de la poésie classique, la prose baudelairienne non seulement se déstructure, mais fait également entendre des sons discordants. Les registres de langue opposés se côtoient, se heurtent, et l’oxymore devient figure royale, faisant ainsi résonner le mal de vivre, cette mélancolie que d’aucuns ont nommé « spleen ». La muse des poèmes en prose trouve alors son illustration dans la voix de cette « petite folle amoureuse » mise en scène dans « La soupe et les nuages » :

Et tout à coup, je reçus un violent coup de poing dans le dos, et j’entendis une voix rauque et charmante, une voix hystérique comme enrouée par l’eau-de-vie, la voix de ma chère petite bien-aimée, qui disait : « -Allez-vous bientôt manger votre soupe, s…. b….. de marchand de nuages ?102 »

Caractérisée sur le mode carnavalesque, la muse présidant le recueil est bien loin des muses académiques. Elle ressemble en cela au Pierrot anglais, dont la trivialité atteint son paroxysme, lorsqu’après avoir été guillotiné, il court récupérer sa tête pour la mettre dans sa poche, comme « une bouteille de vin103 ».

Ainsi, de la violence de l’acte commis par le narrateur du « mauvais vitrier » qui fait voler en éclats les vitres du malheureux marchand, nait la nouvelle poésie :

Je m’approchai du balcon et je me saisis d’un petit pot de fleurs, et quand l’homme reparut au débouché de la porte, je laissai tomber perpendiculairement mon engin de guerre sur le rebord postérieur de ses crochets ; et le choc le renversant, il acheva de briser sous son dos toute sa pauvre fortune ambulatoire qui rendit le bruit éclatant d’un palais de cristal crevé par la foudre.

Derrière les vitres brisées, c’est la conception de la poésie moderne qu’il faut lire. C’est ainsi que Baudelaire note, dans sa correspondance : « Nouvelles Fleurs du Mal faites. À tout casser, comme une explosion de gaz chez un vitrier104 ». Et que signifie « casser les vitres » ? Littré nous le rappelle : « n’user d’aucun ménagement dans ses paroles », « tout dire » : n’est-ce pas ce que Baudelaire entreprend avec Le Spleen de Paris105 ?

Un recueil « à la fois tête et queue »

On l’a vu, le « je » et les personnages mis en scène, en étant masqués, sont placés sous le signe du double, de la réversibilité, de la multiplicité. Ils voient ainsi leur identité fractionnée, comme le sera très probablement leur corps. Le recueil baudelairien est à l’image de ces comédiens puisqu’il est envisagé « à la fois tête et queue106 », soit, tel un « grouillement de parties107 ». Cette discontinuité formelle du recueil se retrouve dans le texte poétique sous la forme du zigzag. Et la figure qui traduit le mieux cette dualité, cette disjonction108, c’est l’allégorie109.

En effet, l’allégorie permet de fragmenter le réel, de le diviser : « Ecriture en excès et en défaut, trop de la fragmentation infinie », « figure de la défiguration », l’allégorie souligne « l’absence fondamentale de ce qu’elle rend présent110 ». L’allégorie « met en relief la dualité qui apparaît après un démasquage111 ». Elle « déconstr[uit] […] l’illusion de la totalité112 ». Autrement dit, avec ce trope, Baudelaire est libre d’exprimer à la fois « la représentation concrète de la chose vue » et « un sens second113 ». Il construit pour cela ses poèmes en prose sur le mode de l’énigme afin de jouer sur les effets de surprise et de déchiffrement. C’est ainsi que dans « Une mort héroïque », « l’ébranlement du narrateur s’accroit à proportion de l’avancée dans le récit114 ». Que représente la pantomime du bouffon ? Selon Patrick Labarthe, elle représente l’art tendu vers l’Idéal.

La figure de l’allégorie permet alors au poète d’exprimer les deux faces de l’art : la Chute et l’Idéal. Le lecteur, tel ce personnage du poème « Les fenêtres », est confronté à l’« explosion » (« Le désir de peindre ») des signifiants et des signifiés dans le recueil baudelairien : avec « presque rien » « [il] refait l’histoire » d’un poème (« Les fenêtres »). C’est à lui de construire des « légende[s] » (« Les fenêtres »). La langue poétique se pare et nous « fournit en masques, mensonges, ceux de la farine pour la fausse innocence, et ceux de charbon pour le faux satanisme115. » Le lecteur est donc celui qui doit démasquer le langage, ce qui ne le laissera pas indemne.

« Un violent coup de poing dans le dos » (« La soupe et les nuages ») : la violence de la réception

En effet, le lecteur du Spleen de Paris est lui aussi malmené. Baudelaire l’affirme dans sa correspondance, lorsqu’il écrit : « c’est encore Les Fleurs du Mal, mais avec beaucoup plus de liberté et de détail, et de raillerie116 ».

Loin de la « limpidité […] exaspér[ante] » ressenti par le narrateur dans « Le confiteor de l’artiste », c’est le choc qui est recherché117. On songe alors à la douloureuse expérience vécue par Baudelaire au théâtre des Variétés, ou à ces propos recueillis dans Fusées :

Ce qui n’est pas légèrement difforme a l’air sensible ; – d’où il suit que l’irrégularité, c’est-à-dire l’inattendu, la surprise, l’étonnement sont une partie essentielle et la caractéristique de la beauté118.

Mais aussi et surtout à Virginie, cette jeune femme, qui, dans De l’essence du rire et généralement du comique dans les arts plastiques, contemple une caricature de Gavarni :

Virginie a vu ; maintenant elle regarde. Pourquoi ? Elle regarde l’inconnu. Du reste, elle ne comprend guère ni ce que cela veut dire ni à quoi cela sert. Et pourtant, voyez-vous ce que ce reploiement d’ailes subit, ce frémissement d’une âme qui se voile et veut se retirer ? L’ange a senti que le scandale était là. Et en vérité, je vous le dis, qu’elle ait compris, ou qu’elle n’ait pas compris, il lui restera de cette impression je ne sais quel malaise, quelque chose qui ressemble à la peur119.

Assistant à ce « joli feu d’artifice de monstruosités120 » qui fait « explos[er]121 » les possibles de la représentation, et laisse sans signes stables, voire même sans voix, le lecteur reste ébranlé. C’est qu’il est lui même frappé par cette « stupeur effarée », cette grimace, qui vient déformer ses traits. Il subit le « rire de Melmoth », qui « déchir[e] et brul[e] les lèvres du rieur122 ». La poésie moderne telle que Baudelaire entend la proposer à ses lecteurs place donc « la douleur » « au centre de l’expérience » : « il y a quelque chose d’électrique dans ce qui va s’avérer être la rencontre de la douleur et de la beauté modernes123 ». Et cette douleur serait alors « comparable à celle éprouvée face » à Méduse124 : « qui affronte le monstre porteur de mort se voit façonné à l’image du masque terrifiant de Gorgô125 ».

 

Ainsi, le masque « ne masque plus », ne dissimule plus une identité ou un être, mais « affiche et ex-prime126 » rien d’autre que l’affreuse « condition du poète et de la poésie127 ». Le Spleen de Paris exhibe la difformité, convie « à la contemplation de l’insupportable128 » et des « ordures soigneusement choisies » (« Le chien et le flacon »). Envisagée « dans une visée explicitement pragmatique129 », la langue poétique du recueil baudelairien se fait et devient monstre130 en mettant sur le devant de la scène le squelette de la langue, ce qui laisse le lecteur sous le « vertige de l’hyperbole131 ».

Le visage n’est plus qu’un simulacre, indissociable de la grimace : la bouche métamorphosée en gueule par le maquillage, laisse le rieur « masqué à jamais avec son propre visage132 ».

Notes de bas de page numériques

1 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 538.

2 Que l’on songe par exemple aux illustrations de Willette, pour ne citer que lui.

3 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 538.

4 Dario Fo, « Qu’est-ce qu’un clown ? », Clowns et farceurs, sous la direction de Fabbri et Sallée, Paris, Bordas, 1982 : « Aujourd’hui, le clown est devenu un personnage destiné à amuser les enfants. Il est synonyme d’enfantillages naifs, de candeur un peu niaise, de sentimentalisme. Le clown a perdu de sa capacité de provocation, son engagement politique. Il a en effet autrefois exprimé la violence, la cruauté, le besoin de justice. En réalité, il s’agit, à l’origine, d’un personnage obscène vicieux, méchant, diabolique : dans les cathédrales du Moyen Age, on trouve des représentations de bateleurs montrant leur sexe. Il ne faut pas oublier que le clown le plus ancien mentionné dans les documents en Angleterre, portait le masque de Polichinelle, le bossu, le maudit ». C’est ce personnage qui donnera plus tard le clod, devenu clown.

5 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 538.

6 Jean Starobinski, Portrait de l’artiste en saltimbanque, Paris, Gallimard, 2004, p. 61.

7 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 538.

8 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 538.

9 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 538.

10 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 539.

11 Pierre Jourde, dans son édition de Pierrot sceptique, La Chasse au Snark, Jaignes, 2003, p. 13, cite les propos de H. Le Roux dans Les jeux du cirque et la vie foraine, Paris, Plon, 1889, p. 218.

12 Sophie Basch, « Le théâtre d’ombres des romantiques Nerval, Gautier et Champfleury spectateurs de Karagoz », Pitres et pantins, transformations du masque comique : de l’Antiquité au théâtre d’ombres, PUPS, collection « Theatrum mundi », 2007, p. 260.

13 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 539

14 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 539

15 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 534.

16 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 540.

17 Ainslie McLees, Baudelaire’s « Argot plastique, Poetic Caricature and Modernism, University of Georgia Press, 1989, p. 47 : « Pierrot is a plastic form for modern man’s condition of despair ».

18 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 465.

19 Fanny Bérat-Esquier, « De la douleur fulgurante à la beauté convulsive », article publié suite au colloque Représentations littéraires et picturales de la douleur du XIXe au XXe siècle, CELIS, 2007, p. 7. Consultable sur http://celis.univ-bpclermont.fr/IMG/pdf/Fanny_Berat-Esquier_-_De_la_douleur_fulgurante.pdf.

20 Jean de Palacio, Pierrot fin-de-siècle ou les métamorphoses d’un masque, Paris, Séguier, 1990, p. 153.

21 Paul de Saint Victor, « Les comédies de la mort », dans Hommes et dieux. Études d’histoire et de littérature, Paris, M. Lévy frères, 1867. Cité dans Sophie Basch, Pitres et pantins, transformations du masque comique : de l’Antiquité au théâtre d’ombres, PUPS, collection « Theatrum mundi », 2007, pp. 387-399.

22 Jean Starobinski, Portrait de l’artiste en saltimbanque, Paris, Gallimard, 2004, p. 70.

23 Sophie Basch, « Le théâtre d’ombres des romantiques Nerval, Gautier et Champfleury spectateurs de Karagoz », Pitres et pantins, transformations du masque comique : de l’Antiquité au théâtre d’ombres, PUPS, collection « Theatrum mundi », 2007, p. 387.

24 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 554.

25 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 289.

26 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, « Le désespoir de la vieille », I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 277 : « Mais l’enfant épouvanté se débattait sous les caresses de la bonne femme décrépite, et remplissait la maison de ses glapissements ».

27 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, « Un cheval de race », I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 343 : « Elle est vraiment laide ; elle est fourmi, araignée, si vous voulez, squelette même ».

28 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, « A une heure du matin », I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 287 : « Horrible vie ! Horrible ville ! ».

29 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 342.

30 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 342.

31 Richard Stamelman, « L'anamorphose baudelairienne : l'allégorie du « Masque », dans Cahiers de l'Association internationale des études françaises, n°41, 1989, p. 254.

32 Richard Stamelman, « L'anamorphose baudelairienne : l'allégorie du « Masque », dans Cahiers de l'Association internationale des études françaises, n°41, 1989, p. 254.

33 Richard Stamelman, « L'anamorphose baudelairienne : l'allégorie du « Masque », dans Cahiers de l'Association internationale des études françaises, n°41, 1989, p. 255.

34 Richard Stamelman, « L'anamorphose baudelairienne : l'allégorie du « Masque », dans Cahiers de l'Association internationale des études françaises, n°41, 1989, p. 254.

35 Jean-Louis Cabanès, Le négatif. Essai sur la représentation littéraire au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 138.

36 Jean-Louis Cabanès, Le négatif. Essai sur la représentation littéraire au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 139.

37 Edmond et Jules de Goncourt, Manette Salomon, Paris, Gallimard, « Folio », éd. Michel Crouzet, 1996, p. 96. Cité par Jean-Louis Cabanès, Le négatif. Essai sur la représentation littéraire au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 139.

38 Jean-Louis Cabanès, Le négatif. Essai sur la représentation littéraire au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 139.

39 Edmond et Jules de Goncourt, Manette Salomon, Paris, Gallimard, « Folio », éd. Michel Crouzet, 1996, p. 96. Cité par Jean-Louis Cabanès, Le négatif. Essai sur la représentation littéraire au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 140.

40 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 566.

41 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 540.

42 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 553.

43 Jean-Louis Cabanès, Le négatif. Essai sur la représentation littéraire au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 141.

44 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 97.

45 Jean de Palacio, Pierrot fin-de-siècle ou les métamorphoses d’un masque, Paris, Séguier, 1990, p. 38.

46 Expression d’André Suarès, cité par par Jean de Palacio, Pierrot fin-de-siècle ou les métamorphoses d’un masque, Paris, Séguier, 1990, p. 38.

47 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, « La belle Dorothée », I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 316.

48 Jean-Louis Cabanès, Le négatif. Essai sur la représentation littéraire au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 222.

49 Jean-Louis Cabanès, « La fantaisie et le grotesque : éléments d’un double jeu », dans Esthétique du rire, Alain Vaillant (dir.), Presses universitaires de Paris Ouest, 2012, p. 222.

50 On pourrait également citer, dans Charles Baudelaire, Œuvres complètes, « Le mauvais vitrier », I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 285 : « J’ai été plus d’une fois victime de ces crises et de ces élans, qui nous autorisent à croire que des Démons malicieux se glissent en nous et nous font accomplir, à notre insu, leurs plus absurdes volontés ».

51 Jean Starobinski propose l’idée selon laquelle derrière le « vieux saltimbanque » ou le bouffon, c’est la figure du poète qu’il faut voir : « Le bouffon, autoportrait travesti de Baudelaire lui-même, figure sous une forme à peine parodique le vertige mortel auquel l’artiste est exposé, non seulement parce qu’il a osé attenter à la personne du maitre (du Père), mais parce qu’il subit le manque d’être qui s’attache à la nature illusoire de l’art », Portrait de l’artiste en saltimbanque, Paris, Gallimard, 2004, p. 70.

52 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 149.

53 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 149. Gilles Bonnet rappelle que la question identitaire est centrale dans la pantomime noire. Soit cet extrait de Pierrot Narcisse de Giraud, A., dans Héros et Pierrots, Paris, Fischbacher, 1898 : « C’est un autre, et c’est moi ».

54 Jérôme Solal, « Pantomime et vaudeville : le rire entre le pire et le dire », dans Le rire moderne, Roselyne de Villeneuve et Alain Vaillant (dir.), Presses universitaires de Paris Ouest, collection RITM, 2013, p. 445.

55 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 149.

56 Jean Richepin, Braves gens, p. 95. Cité par Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p 227.

57 Jérôme Solal, « Pantomime et vaudeville : le rire entre le pire et le dire », dans Le rire moderne, Roselyne de Villeneuve et Alain Vaillant (dir.), Presses universitaires de Paris Ouest, collection RITM, 2013, p. 445.

58 Jean de Palacio, Pierrot fin-de-siècle ou les métamorphoses d’un masque, Paris, Séguier, 1990, p. 107.

59 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 539.

60 Expression empruntée à Fanny Bérat-Esquier, « De la douleur fulgurante à la beauté convulsive », article publié suite au colloque Représentations littéraires et picturales de la douleur du XIXe au XXe siècle, CELIS, 2007, p. 7. http://celis.univ-bpclermont.fr/IMG/pdf/Fanny_Berat-Esquier_-_De_la_douleur_fulgurante.pdf.

61 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, « Un plaisant », I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 279 : « C’était l’explosion du nouvel an : chaos de boue et de neige, traversé de mille carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités et de désespoirs, délire officiel d’une grande ville fait pour troubler le cerveau du solitaire le plus fort ».

62 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 648 : « Tout est nombre. Le nombre est dans tout. Le nombre est dans l’individu. L’ivresse est nombre ».

63 Alain Vaillant, Baudelaire, poète comique, Presses Universitaires de Rennes, collection « Interférences », 2007, p. 241.

64 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 710.

65 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 344.

66 Alain Vaillant, Baudelaire, poète comique, Presses Universitaires de Rennes, collection « Interférences », 2007, p. 241.

67 Alain Vaillant, Baudelaire, poète comique, Presses Universitaires de Rennes, collection « Interférences », 2007, p. 242.

68 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 627.

69 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 321.

70 Pierre Cahné, « Oxymore, paradoxe et ironie dans Les Fleurs du Mal », Styles, genres, auteurs, n°2, sous la direction de Anne-Marie Garagnon, PUPS, 2002, p. 133.

71 Richard Stamelman, « L'anamorphose baudelairienne : l'allégorie du « Masque », dans Cahiers de l’Association internationale des études françaises, n°41, 1989, p. 263 : « la coulée de signes dans un poème ne peut s’empêcher de virer, de tourner, et de foisonner ».

72 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 343.

73 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 549.

74 Pierre Cahné, « Oxymore, paradoxe et ironie dans Les Fleurs du Mal », Styles, genres, auteurs, n°2, sous la direction de Anne-Marie Garagnon, PUPS, 2002, p. 133.

75 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 181. On pourrait également citer dans Charles Baudelaire, Œuvres complètes, « Le tir et le cimetière », I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 351 : « Un immense bruissement de vie remplissait l’air, – la vie des infiniment petits, coupé à intervalles réguliers par la crépitation des coups de feu d’un tir voisin, qui éclataient comme l’explosion des bouchons de champagne dans le bourdonnement d’une symphonie en sourdine ».

76 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, « Le confiteor de l’artiste », I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 278 : « Mes nerfs trop tendus ne donnent plus que des vibrations criardes et douloureuses ».

77 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 100.

78 On pourrait également citer l’allusion à Chateaubriand dans Charles Baudelaire, Œuvres complètes, « La chambre double », I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 280 : « La chambre paradisiaque, l’idole, la souveraine des rêves, la Sylphide, comme disait le grand René, toute cette magie a disparu au coup brutal frappé par le Spectre ».

79 Patrick Labarthe, Petits poèmes en prose, Le Spleen de Paris, Paris, Gallimard, 2000, p. 137. Cela illustre les propos de Baudelaire formulés dans Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 662 : « Sois toujours poète, même en prose. Grand style (rien de plus beau que le lieu commun) ».

80 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 148.

81 Patrick Labarthe, Petits poèmes en prose, Le Spleen de Paris, Paris, Gallimard, 2000, p. 138.

82 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 181.

83 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 181.

84 Jean-Louis Cabanès, Le négatif. Essai sur la représentation littéraire au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 142.

85 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 317.

86 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 352.

87 Dans Charles Baudelaire, Œuvres complètes, « L’étranger », I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 277, l’interlocuteur dit même : « Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu ».

88 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, « Les veuves », I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 292 : « Quelle est la veuve la plus triste et la plus attristante, celle qui traine à sa main un bambin avec qui elle ne peut pas partager sa rêverie, ou celle qui est tout à fait seule ? Je ne sais … ».

89 Jean de Palacio, Pierrot fin-de-siècle ou les métamorphoses d’un masque, Paris, Séguier, 1990, p. 106.

90 Jean de Palacio, Pierrot fin-de-siècle ou les métamorphoses d’un masque, Paris, Séguier, 1990, p. 106.

91 Jean de Palacio, Pierrot fin-de-siècle ou les métamorphoses d’un masque, Paris, Séguier, 1990, p. 107.

92 Jean de Palacio, Pierrot fin-de-siècle ou les métamorphoses d’un masque, Paris, Séguier, 1990, p. 107.

93 Jean de Palacio, Pierrot fin-de-siècle ou les métamorphoses d’un masque, Paris, Séguier, 1990, p. 109.

94 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 345.

95 Patrick Labarthe rappelle que Philippe Hamon dans L’Ironie littéraire considère les tirets et les points de suspension comme une « dramaturgie typographique ». Cité Patrick Labarthe, Petits poèmes en prose, Le Spleen de Paris, Paris, Gallimard, 2000, p. 130.

96 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 135.

97 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 135. Il s’agit d’une citation de P. Hugounet dans Mimes et Pierrots. Notes et documents inédits pour servir à l’histoire de la pantomime, Paris, Fischbacher, 1889, p. 190.

98 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 549.

99 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 135.

100 L’expression « grimaçant et douloureux », de même que la suivante, « la souffrance du monde », sont empruntées à Fanny Bérat-Esquier, « De la douleur fulgurante à la beauté convulsive », article publié suite au colloque Représentations littéraires et picturales de la douleur du XIXe au XXe siècle, CELIS, 2007, p. 7. Consultable sur http://celis.univ-bpclermont.fr/IMG/pdf/Fanny_Berat-Esquier_-_De_la_douleur_fulgurante.pdf.

101 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 275.

102 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 350.

103 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 539 : « La tête se détachait du cou, une grosse tête blanche et rouge, et roulait avec bruit devant le trou du souffleur, montrant le disque saignant du cou, la vertèbre scindée, et tous les détails d’une viande de boucherie récemment taillée pour l’étalage. Mais voilà que, subitement, le torse raccourci, mû par la monomanie irrésistible du vol, se dressait, escamotait victorieusement sa propre tête comme un jambon ou une bouteille de vin, et, bien plus avisé que le grand saint Denis, la fourrait dans sa poche ! »

104 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 568.

105 Dans la préface du Spleen de Paris, qu’il adresse à Arsène Houssaye, Baudelaire dit s’être inspiré « du fameux Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand », et avoir « tent[é] quelque chose d’analogue » en « appliqu[ant] à la description de la vie moderne […] le procédé qu’il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque ». Si les poèmes en prose de Bertrand exploitent le modèle pictural, pour faire voyager dans un passé moyenâgeux, les poèmes du Spleen de Paris, se donnent, quant à eux, pour objectif de plonger les lecteurs dans le présent de la vie et de la ville modernes. Dans ces « anecdotes parisiennes », comme le souligne Claude Pichois dans la notice de la Pléiade (OC, II, p. 554), le poète est ce flâneur qui se laisse entrainer « à travers la foule du boulevard », observe des figures excentriques, en reconnaît la beauté controversée, et accorde une place toute particulière à la ville de Paris. Les frères Hanlon mettent aux aussi, la ville moderne au cœur de la représentation. C’est ainsi que « la pièce anglaise, c’est la rue de Londres, encombrée, tumultueuse […] ». (Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 224, cite les propos de P. Hugounet, Mimes et Pierrots. Notes et documents inédits pour servir à l’histoire de la pantomime, Paris, Fischbacher, 1889, p. 190.)

106 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 275 : « Mon cher ami, je vous envoie un petit ouvrage dont on ne pourrait pas dire, sans injustice, qu’il n’a ni queue ni tête, puisque tout au contraire, y est à la fois tête et queue, alternativement et réciproquement ».

107 Jean de Palacio, Pierrot fin-de-siècle ou les métamorphoses d’un masque, Paris, Séguier, 1990, p. 144.

108 Antoine Compagnon, Baudelaire devant l’innombrable, Paris, PUPS, 2003, p. 180 : « le poème allégorique suppose toujours la disjonction ».

109 Dans « Le cygne », poème des Fleurs du Mal, Baudelaire écrit : « Paris change ! mais rien dans ma mélancolie / n’a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,/ Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie ».

110 Richard Stamelman, « L'anamorphose baudelairienne : l'allégorie du « Masque », dans Cahiers de l'Association internationale des études françaises, n°41, 1989, p. 259.

111 Richard Stamelman, « L'anamorphose baudelairienne : l'allégorie du « Masque », dans Cahiers de l'Association internationale des études françaises, n°41, 1989, p. 259.

112 Richard Stamelman, « L'anamorphose baudelairienne : l'allégorie du « Masque », dans Cahiers de l'Association internationale des études françaises, n°41, 1989, p. 259.

113 Patrick Labarthe, Petits poèmes en prose, Le Spleen de Paris, Paris, Gallimard, 2000, p. 148.

114 Patrick Labarthe, Petits poèmes en prose, Le Spleen de Paris, Paris, Gallimard, 2000, p. 152.

115 Jérôme Thélot, Baudelaire. Violence et poésie, Paris, Gallimard, 1993, p. 85.

116 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 615.

117 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 230. Il cite Jean Richepin, Braves gens, p. 95 : « En coups de couteau. Ou plutôt, de rasoir ».

118 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 656.

119 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 529.

120 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 132.

121 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, « Le désir de peindre », I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 340 : « C’est une explosion dans les ténèbres ».

122 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 531.

123 Fanny Bérat-Esquier, « De la douleur fulgurante à la beauté convulsive », article publié suite au colloque Représentations littéraires et picturales de la douleur du XIXe au XXe siècle, CELIS, 2007, p. 5. Consultable sur http://celis.univ-bpclermont.fr/IMG/pdf/Fanny_Berat-Esquier_-_De_la_douleur_fulgurante.pdf.

124 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 176. Cette idée avait déjà été proposée par Walter Benjamin dans Paris, capitale du XIXe siècle, Paris, Allia, 2003 : « Paris, Le visage de la modernité elle-même foudroie d’un regard immémorial. Tel le regard de la Méduse pour les Grecs », p. 36.

125 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 176.

126 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 106.

127 Jean Starobinski, Portrait de l’artiste en saltimbanque, Paris, Gallimard, 2004, p. 67 : « [cela] aboutit à une image infiniment complexe de la condition du poète et de la poésie ».

128 Gilles Bonnet, La pantomime noire, Paris, Hermann, 2014, p. 178.

129 Alain Vaillant, Baudelaire, poète comique, Presses Universitaires de Rennes, collection « Interférences », 2007, p. 241.

130 Pour le mot « monstre », outre les acceptions relevant « d’un individu dont la morphologie est anormale », ou d’ « une créature légendaire, mythique », le TLFi indique : « chose qui s’écarte des normes habituelles » ; « chose (abstraite) qui provoque l’étonnement ou la désapprobation par son caractère […] ».

131 Charles Baudelaire, Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1975, p. 539.

132 Jean de Palacio, Pierrot fin-de-siècle ou les métamorphoses d’un masque, Paris, Séguier, 1990, p. 152.

Bibliographie

Œuvres de Baudelaire

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Études sur Baudelaire

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THÉLOT Jérôme, Baudelaire. Violence et poésie, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des idées », 1993.

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VILLENEUVE Roselyne de, VAILLANT Alain (dir.), Le Rire moderne, Presses universitaires de Paris Ouest, collection RITM, 2013.

Pour citer cet article

Anastasia Scepi, « Le Spleen de Paris sous le masque de la pantomime », paru dans Loxias, 47., mis en ligne le 13 février 2015, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=7927.

Auteurs

Anastasia Scepi

Professeur dans le secondaire, et chargée de TD de grammaire et stylistique (L1 et L3) à Paris-Sorbonne, Anastasia Scepi est inscrite en doctorat depuis octobre 2013, sous la direction du Professeur Jacques Durrenmatt. Son travail de recherche, intitulé « Stylistique de la caricature. 1855-1901 », se propose de questionner la caricature en tant qu’objet plastique, graphique et littéraire. Elle a publié un article dans le numéro d’octobre 2014 de L’information grammaticale qui interroge les stylèmes caricaturaux chez Baudelaire.