Loxias | Loxias 43. Autour des programmes littéraires de concours 2014 |  I. Questions de Littérature comparée à l'agrégation de Lettres modernes 

Sylvie Ballestra-Puech  : 

Thalie au miroir : héroïsme féminin et métathéâtralité

Résumé

Cet article fait l’hypothèse d’une métathéâtralité spécifique à la comédie dans laquelle la question du genre revêt une importance significative. Induite par les conditions concrètes de la représentation sur la scène antique et élisabéthaine où les rôles féminins sont joués par des hommes, la part de jeu inhérente à la comédie interfère avec le topos du théâtre du monde, dont les incidences sur la métathéâtralité ont été soulignées d’emblée par l’inventeur de la notion de métathéâtre. Lorsque des protagonistes féminins occupent le devant de la scène, l’interrogation sur le jeu de l’acteur semble l’emporter sur la lecture métaphysique de la métaphore qui privilégie les fonctions de l’auteur et du spectateur, confondues en Dieu dans la lecture chrétienne du topos. Sous le signe du féminin, la comédie semble plutôt interroger les rôles sociaux et remettre en question la naturalité du genre.

Index

Mots-clés : Aristophane , Goldoni, Locandiera, Lysistrata, métathéâtre, Molière, Shakespeare

Géographique : Angleterre , France, Grèce, Italie

Chronologique : Antiquité , XVIe siècle, XVIIe siècle, XVIIIe siècle

Plan

Texte intégral

La notion de métathéâtralité a fait son entrée dans le champ des études littéraires en 1963 avec le livre de Lionel Abel, Metatheatre. A New View of Dramatic Form. Celui-ci a pris soin de souligner qu’il ne s’agissait pas de donner simplement un nouveau nom au procédé bien connu du théâtre dans le théâtre, même si celui-ci implique naturellement un jeu métathéâtral, mais de caractériser le phénomène par lequel se trouve mise en scène la conscience du caractère théâtral de la vie elle-même1. En d’autres termes, la métathéâtralité2 a toujours partie liée avec le topos du theatrum mundi, topos qui remonte aux origines du théâtre occidental, puisque la première formulation que nous en ayons conservée est celle de Démocrite, et qui a révélé au cours des siècles une très grande plasticité, notamment du point de vue idéologique. La réinterprétation chrétienne du motif et l’exploitation dramatique qu’en a faite Calderon sont bien connues.

Parmi les manifestations de la métathéâtralité, Abel met l’accent sur les personnages qui se caractérisent par la conscience qu’ils ont de leur propre théâtralité, à la différence des personnages de tragédie3. Abel, dans la lignée d’Aristote, considère l’Œdipe de Sophocle comme le héros tragique par excellence si bien que celui-ci peut effectivement apparaître comme l’antithèse du personnage doté d’une dimension métathéâtrale : alors que dans la tragédie grecque, selon Jean-Pierre Vernant, « chaque héros, enfermé dans l’univers qui lui est propre, donne au mot un sens et un seul4 », le personnage conscient de jouer un rôle sur la scène du théâtre du monde exhibe la polysémie des mots et ne cesse d’en jouer. Mais dans la mesure où Abel cherche à définir le métathéâtre comme genre à part entière, il n’est guère enclin à s’interroger sur un éventuel rapport privilégié entre comédie et métathéâtralité. Il tend au contraire à détacher du corpus des comédies shakespeariennes une série de pièces qui relèvent selon lui du métathéâtre : Comme il vous plaira, Le Songe d’une nuit d’été, La nuit des rois et Tout est bien qui finit bien, au motif que nous ne pouvons pas rendre compte du plaisir que nous procurent ces pièces en termes d’humour, lequel y serait souvent laborieux et parfois grossier5.

Que la métathéâtralité joue un rôle déterminant dans le plaisir que procure au spectateur une pièce comme As you like it est indéniable mais ne pourrait-on en dire autant de nombre de comédies, depuis les origines du genre comme le montre bien l’exemple de Lysistrata et sans doute le théâtre d’Aristophane dans son intégralité ? Les travaux de Florence Dupont ont montré par ailleurs que la métathéâtralité était inhérente à la comédie romaine en tant que théâtre rituel et codifié, ce qui n’exclut pas des variations dans le degré d’explicitation de cette métathéâtralité. L’exemple du théâtre comique latin auquel la comédie européenne est largement redevable, on le sait, invite à chercher d’abord du côté des conditions concrètes de la représentation théâtrale les facteurs de métathéâtralité. Mais de même qu’un auteur comme Plaute exploite avec virtuosité le cadre rituel des ludi scaenici pour en tirer des effets appuyés de métathéâtralité dans ses dialogues, les conditions concrètes de la représentation et notamment le fait que les rôles féminins soient joués par des hommes fournissent à Aristophane et Shakespeare l’occasion de mettre en scène la manière dont se construit au théâtre une identité féminine ou masculine. Or la réversibilité entre la scène et le monde qu’implique le theatrum mundi peut susciter en retour chez le spectateur une interrogation sur la construction des rôles masculins et féminins dans la comédie sociale. En témoignent le diptyque constitué par L’École des Femmes et La Critique de l’École des femmes mais aussi La Locandiera dans laquelle l’introduction des comédiennes ne se réduit pas à une adaptation circonstancielle aux nécessités de la troupe pour laquelle travaillait Goldoni6. Ce corpus diachronique semble donc particulièrement propice pour mettre à l’épreuve l’hypothèse d’un usage ironique, dans l’acception étymologique du terme, du theatrum mundi sur la scène comique, à rebours de l’usage apologétique qu’en fait le théâtre baroque sérieux, notamment espagnol.

Travestissements

Il n’est sans doute pas fortuit que Lysistrata et As you like it, écrites pour une représentation théâtrale dans laquelle les rôles féminins sont interprétés par des hommes, soient aussi les deux pièces de notre corpus dans lesquelles apparaît le motif d’un changement de sexe produit par un travestissement que le spectateur voit se produire sous ses yeux. Même si ce motif riche de potentialités dramatiques et symboliques ne disparaît évidemment pas avec l’arrivée des actrices, il semble se prêter plus facilement au jeu métathéâtral lorsque le changement de genre au sein de la fiction vient se superposer à la non coïncidence du sexe de l’acteur et de celui de son personnage dans la réalité concrète de la représentation. Mais lorsque les jeux de rôles donnent le vertige, comme dans As you like it, la question se pose de savoir s’il reste encore une identité stable sous les masques.

Ce qu’il faut ajouter à un homme pour en faire une femme

Dans Lysistrata le renversement de « la guerre sera l’affaire des hommes », formule homérique devenue proverbiale, en « la guerre sera l’affaire des femmes » s’accompagne de la métamorphose du commissaire en femme, qui s’opère sous les yeux du spectateur :

Lysistrata. — Tais-toi.
Le commissaire. — Me taire pour toi, maudite ? pour toi qui portes un voile sur la tête ? Plutôt cesser de vivre.
Lysistrata. — Si c’est là ce qui t’arrête, je te le passe , ce voile, prends-le, tiens, et ceins-en ta tête, puis tais-toi.
Cléonice. — Prends encore ce fuseau, et la petite corbeille que voilà. Puis rassemble les plis de ta ceinture et file la laine en croquant des fèves.
La guerre sera l’affaire des femmes.7

La dernière réplique souligne le lien étroit entre le détournement de la citation homérique et la construction visuelle sur scène du stéréotype féminin. En effet, le jeu scénique autour du fuseau restitue en quelque sorte le contenu des vers qui précèdent celui cité, dans la scène célèbre des adieux d’Hector et d’Andromaque du chant VI de l’Iliade8 où l’on trouve donc la formulation complète du stéréotype : « la guerre aux hommes, le tissage aux femmes ». On le retrouve dans l’Odyssée en une variante suggestive dont Aristophane pourrait bien s’inspirer aussi. Alors que Pénélope vient d’interrompre l’aède Phémios parce que son chant évoquant les épreuves qui attendaient les Danaens à leur retour de Troie est pour elle une torture, Télémaque réprouve son intervention et la renvoie à son tissage :

Va ! rentre à la maison et reprends tes travaux, ta toile, ta quenouille ; ordonne à tes servantes de se remettre à l’œuvre ; le discours c’est à nous les hommes qu’il revient, mais à moi tout d’abord qui suis maître céans9.

Dans cette variante, le discours a donc remplacé la guerre mais celle-ci est toujours présente, à la fois en tant que sujet du chant de Phémios et en tant que sujet de l’Odyssée elle-même qui s’achève sur le massacre des prétendants. La reprise avec variation des paroles d’Hector à Andromaque se charge d’ironie dans le contexte odysséen car renvoyer Pénélope à son tissage, c’est la renvoyer à la ruse qui lui permet de tenir tête aux prétendants, donc à sa propre façon de faire la guerre10.

Dans la déconstruction du stéréotype à laquelle se livre Aristophane en opérant un double transfert, verbal et visuel, des attributs supposés du féminin sur le commissaire, le silence, auquel se trouve renvoyée Pénélope dans l’Odyssée, joue aussi un rôle décisif. Celui-ci est fortement souligné par le dialogue qui précède au cours duquel Lysistrata a rapporté un échange domestique à valeur paradigmatique : l’épouse interrogeant le mari sur ce qui s’est dit à l’Assemblée au sujet de la paix se voit brutalement intimé l’ordre de se taire et reçoit des coups si elle n’obtempère pas (v. 514-519), ce silence et ces coups se trouvant aussi étroitement associés au tissage : « Si tu ne tisses pas la toile, la tête t’en cuira longtemps » (v. 519-520, p. 51). C’est donc cette scène domestique qui se trouve rejouée et détournée avec une inversion des rôles lorsque le commissaire reçoit à son tour l’ordre de se taire avant de se voir accoutré en femme. Or se taire lui paraît un sort pire que la mort (v. 531, p. 53), ce qui par un effet d’ironie dramatique annonce le prochain travestissement qui lui est réservé, suffisamment proche dans le temps de la représentation pour que le parallèle s’impose au spectateur : avant de quitter la scène le commissaire subira comme ultime affront d’être déguisé en mort comme il l’avait naguère été en femme (v. 603-607, p. 59-61). Pénélope, rappelons-le, prétendait tisser un linceul pour Laërte, le père d’Ulysse, encore bien vivant pourtant. D’où l’hypothèse, formulée par Ioanna Papadopoulou-Belmehdi, d’une grande proximité entre Lysistrata et Pénélope :

Quelques siècles plus tard, Lysistrata dira tout haut ce que Pénélope dissimule dans un langage de ruse : user de moyens purement féminins pour influencer les affaires des hommes. En effet, Pénélope et Lysistrata représentent une logique similaire : se soustraire à tout échange, devenir « indisponibles » sexuellement pour infléchir le cours des événements hors de leur portée. Entre Homère et Aristophane, la même opération symbolique est en œuvre ; en les plaçant sous la protection de la déesse poliade, loin de tout échange conjugal, le poète comique fait des femmes athéniennes des vierges11.

Pour saisir les enjeux de la réclusion volontaire des femmes sur l’Acropole, il faut se souvenir qu’Athéna, dont l’hymne orphique qui lui est consacré dit qu’elle est « née mâle et femelle à la fois, belliqueuse et sage12 », réunit quant à elle le tissage et la guerre, la navette et le bouclier.

L’opération qui consiste à affubler le commissaire d’attributs féminins paraît donc étroitement corrélée à la « régression militante » des femmes à l’état de « jeunes filles », comme si la construction exhibée sur la scène d’une identité féminine par adjonction d’attributs n’était que la manifestation visible de la possible déconstruction de cette même identité par la régression temporelle, en deçà du mariage. Le fait que les personnages féminins soient interprétés par des acteurs fournit donc, grâce au jeu métathéâtral, un modèle ludique de la réversibilité des genres. Mais il ne faut pas oublier que celle-ci s’inscrit dans le contexte plus général d’une pensée de l’ambivalence dont Athéna n’est pas, loin s’en faut, la seule manifestation, même si elle est paradigmatique à cet égard. Comme le rappelle Jean-Pierre Vernant, la vierge guerrière cristallise un lien très prégnant dans l’imaginaire grec dont témoignent aussi bien les rites que la mythologie : « Le mariage est à la fille ce que la guerre est au garçon : pour tous deux ils marquent l’accomplissement de leur nature respective, au sortir d’un état où chacun participe encore de l’autre. Aussi une fille qui se refuse au mariage, renonçant du même coup à sa “féminité”, se trouve-t-elle en quelque sorte rejetée du côté de la guerre pour devenir paradoxalement équivalente à un guerrier13 ». Parmi les témoignages antiques, celui d’Hérodote sur le culte rendu à Athéna en Lybie près du lac Tritonis auquel la déesse devait l’épithète de Tritogeneia, mérite particulièrement de retenir notre attention dans la mesure où l’on y trouve associés la virginité, la guerre et le travestissement :

Le jour de la fête annuelle d’Athéna, les filles du pays réparties en deux camps se livrent bataille à coups de pierre et de bâtons ; c’est là, disent-elles, un rite ancien du culte qu’elles rendent à leur déesse indigène, celle que nous appelons, nous, Athéna. Les filles qui succombent à leurs blessures sont traitées de fausses vierges. Avant qu’on les envoie se battre, il y a une cérémonie : le peuple désigne la fille la plus belle, qu’on promène sur un char, parée d’un casque corinthien et d’une armure complète à la grecque, tout autour du lac14.

Si l’aptitude au combat devient la preuve de la virginité dans ce rite, Jean-Pierre Vernant fait remarquer, que, de manière symétrique, « le jeune guerrier peut révéler sa nature authentiquement belliqueuse par une apparence de parthenos », en citant à l’appui l’exemple d’Achille, « élevé en fille, parmi les filles, en habit de fille » et de Parthénopée, dont le nom « dit assez son apparence de jeune vierge15 ».

De même le rappel des rites féminins16 dans Lysistrata (v. 641-646, p. 63) participe de la régression à cet état qu’implique la réclusion volontaire sur l’Acropole sous la protection des deux déesses vierges, Athéna et Artémis, tandis que le chœur des vieillards, en convoquant le souvenir de Mélanion (v. 785-792, p. 75), pourrait bien, selon l’interprétation que Pierre Vidal-Naquet propose de cette figure17, évoquer la tentation d’une régression similaire du côté masculin, comme s’il s’agissait de retourner de part et d’autre dans un état d’indifférenciation pour que puisse s’opérer sur des bases renouvelées la réconciliation finale. La mise en scène du travestissement ne pouvait manquer de convoquer dans l’esprit du spectateur la dimension rituelle que celui-ci revêtait, notamment dans les rites prénuptiaux spartiates18.

En outre, le rite des Brauronies19, au cours duquel les « oursonnes » revêtent la crocote, cette tunique couleur safran à laquelle il est si souvent fait référence dans la pièce (v. 44, 47, 219, 220, 645), avant de l’enlever pour se mettre à courir nues, montre, comme l’histoire de Mélanion telle que la raconte le chœur des vieillards, que cette indifférenciation a partie liée avec l’animalité et avec l’espace sauvage de la montagne ou de la forêt, celui-là même qui, dans la pièce de Shakespeare, permet grâce au travestissement visuel et verbal, de faire éprouver au spectateur le vertige de la réversibilité des genres20.

Ce qui reste d’une femme lorsqu’elle se travestit en homme

D’une manière assez troublante le travestissement de la jeune fille en homme dans certains rituels prénuptiaux antiques semble trouver un lointain écho dans la métamorphose de Rosalinde en Ganymède qui précède son mariage avec Orlando. Le jeu avec les stéréotypes n’est d’ailleurs pas moins manifeste dans la pièce de Shakespeare que dans celle d’Aristophane. Dans As you like it aussi les femmes refusent la guerre même si celle-ci se réduit désormais à un combat fratricide et c’est de ce refus que naissent la fuite dans la forêt et le travestissement, ce dernier étant justifié dans le discours des protagonistes en tant que moyen de se protéger contre la violence masculine. Le dialogue ironique avec l’épopée, si manifeste dans Lysistrata, n’est d’ailleurs pas absent chez Shakespeare dont le protagoniste masculin porte un prénom, Orlando, qui l’inscrit dans la lignée du Roland de la chanson de geste et plus encore de son avatar italien, du poème chevaleresque de Boiardo, l’Orlando innamorato, dont le titre correspondrait parfaitement à ce qui se passe dans la forêt, à l’Orlando furioso de L’Arioste, dont une traduction anglaise par Sir John Harington avait paru en 1591 et dont Robert Greene avait proposé une adaptation théâtrale assez libre : The Historie of Orlando Furioso, One of the twelve Pieres of France, créée en 1592 et publiée en 1594. Orlando y découvrait le nom d’Angélique associé à celui de Médor sur l’écorce des arbres de la forêt d’Ardennes, ce qui le confrontait d’abord à un « nœud gordien » inextricable avant que, l’amour d’Angélique pour Médor lui ayant été confirmé par un berger, il ne se lance dans une diatribe d’une rare misogynie, incluant des passages en italien directement empruntés à l’Arioste21. Ce moment marque le basculement dans la folie destructrice d’Orlando. Celle de son homonyme shakespearien ne relève quant à elle que de la passion amoureuse et lorsque Jaques le prie « de ne pas abîmer les arbres davantage en gravant [ses] chansonnettes sur leur écorce » (III, 2, l. 221-222), on ne peut apprécier le sel de sa plaisanterie qu’en se rappelant que chez l’Arioste, Roland commence par s’en prendre à la nature qui a accueilli les amours d’Angélique et de Médor, ce qui donne lieu au tableau d’une destruction cataclysmique22. On ne s’étonnera pas non plus que Jaques prenne congé de lui en le nommant « good Signor Love », l’irruption de l’italien étant soulignée à dessein dans la traduction de Victor Bourgy : « signor Amore » (III, 2, p. 597, l. 248), ce moment fugitif de trilinguisme (puisque Jaques fait usage du français dans sa réponse : « Monsieur Melancholy » faisant peut-être écho à celui de la tirade d’Orlando chez Greene, qui commence en latin, continue en anglais et s’achève en italien. L’Orlando shakespearien apparaît donc comme un Roland de pastorale et la réponse qu’il fait à Jaques souligne le jeu littéraire : « Je vous prierai de ne pas abîmer mes poèmes davantage en les lisant de travers ». La stricte équivalence instaurée ici entre la nature et le texte fait écho à celle qui concluait la réplique inaugurale du père de Rosalinde, au début de l’acte II :

And this our life, exempt from public haunt,
Finds tongues in trees, books in the running brooks,
Sermons in stones, and good in everything.

Et cette vie à l’écart de la foule nous révèle
Dans les arbres : des voix, dans les ruisseaux : des livres,
Dans les pierres : des sermons, du bon en toute chose. (II, 1, v. 17, p. 557)

Entrer dans la forêt c’est, pour les spectateurs comme pour les personnages, s’engager dans un labyrinthe de miroirs car, « tout y est doté d’un double exposant : littéral et métaphorique. Existe pour soi-même et en même temps est son propre reflet, sa généralisation, son archétype23. »

Métathéâtralité et intertextualité sont donc étroitement liées dans cette pièce comme, du reste, dans l’ensemble du corpus shakespearien. L’identité masculine choisie par Rosalinde est emblématique à cet égard : Ganymède, objet du désir de Jupiter, lui permet d’acquérir une identité masculine sans renoncer à être l’objet du désir masculin, double dimension que le jeu de rôles qu’elle propose à Orlando vient actualiser sur la scène. Comme le souligne Gilbert Pham-Thanh commentant la lecture qu’Oscar Wilde fait de Shakespeare, « jubilatoire et iconoclaste, ce tourbillon des genres sexués offre la possibilité même d’une existence festive qui ne rompt pas avec les conventions mais s’en joue24 », formule qui pourrait définir la comédie elle-même telle qu’elle pouvait exister sur la scène élisabéthaine. Jan Kott, l’un des premiers à avoir mis l’accent sur le lien étroit entre l’effet de théâtre dans le théâtre et la confusion des genres, insiste sur ce point :

Dans les scènes d’amour qui se déroulent dans la forêt d’Ardennes […] il existe une correspondance complète entre la forme théâtrale et le sujet, et ils s’imprègnent l’un l’autre. A condition évidemment, que comme sur la scène élisabéthaine, les rôles de jeunes filles soient tenus par des garçons. L’acteur travesti en fille joue une fille déguisée en garçon. Tout est à la fois réel et irréel, faux et vrai. Et nous serions bien incapables de dire de quel côté du miroir nous nous sommes trouvés25.

Le spectateur éprouve d’autant plus le vertige des apparences trompeuses que le discours de Rosalinde exprime le besoin récurrent de réaffirmer une identité féminine que le travestissement met en péril. Le recours aux stéréotypes ne témoigne peut-être pas seulement d’une éventuelle complicité phallocentrique entre le dramaturge et ses spectateurs, comme le postule Nicole Loraux pour Aristophane, mais surtout du fait que le genre se construit d’abord à partir de l’image que lui impose le regard de l’autre. L’identité choisie par Célia n’est à ce titre pas moins révélatrice que celle choisie par Rosalinde : Aliena condense l’expérience de l’altérité que constitue le séjour dans la forêt, de cet « estrangement » par lequel Antoine Vitez proposait de traduire le Verfremdungseffekt de Brecht26. Dans As you like it, le travestissement induit dans le discours de Rosalinde une double distance réflexive, à l’égard des stéréotypes de la féminité comme de la masculinité, ce que montre bien la première réplique qu’elle prononce sous cette apparence :

Il could find in my heart to disgrace my man’s apparel and too cry like a woman. But I must comfort the weaker vessel, as doublet and hose ought to show itself courageous to petticoat; therefore, courage, good Aliena! (II, 4, l. 3-6)

Je pourrais trouver dans mon cœur de quoi déshonorer mon habit d’homme et pleurer comme une femme. Mais je dois réconforter le sexe faible car pourpoint et haut de chausses doivent se montrer courageux face à un cotillon ; donc courage, ma bonne Aliena !

J’ai traduit aussi littéralement que possible cette phrase car elle suggère que l’intériorité (my heart) n’existe plus que sur le mode de l’irréel et que le vêtement masculin dicte désormais le comportement de Rosalinde. Cet impératif s’énonce sous la forme d’une sentence dans laquelle la double métonymie réduit le genre à une apparence. Dans cette pièce où l’on joue constamment sur les mots, on a d’ailleurs quelques raisons de penser que Shakespeare joue ravive la métaphore lexicalisée biblique du weaker vessel dont le substantif s’intègre assez bien dans la série des vêtements dès lors que ceux-ci deviennent les contenants d’une intériorité sujette à caution. Un tel discours fait directement écho à celui qui avait accompagné la décision de se travestir en homme à la fin du premier acte :

Were it not better,
Because that I am more than common tall,
That I did suit me all points like a man,
A gallant curtal-axe upon my tigh,
A boar-spear in my hand, and in my heart,
ie there what hidden woman’s fear there will.
We’ll have a swashing and a martial outside,
As many other mannish cowards have,
That do outface it with their semblances.

Ne vaudrait-il pas mieux,
Puisque je suis d’une taille qui dépasse la moyenne,
Que je m’équipe en tout à la façon d’un homme —
Un coutelas valeureux attaché à ma cuisse,
Au poing l’épieu à sanglier [, et si dans mon cœur
Se trouvent cachées des peurs de femmes]
Nous prendrons le dehors martial du fier-à-bras
Qu’adoptent bien d’autres [lâches virils
Qui nous font perdre la face avec leurs faux-semblants.] (II, 1, v. 105-113, p. 55-557, traduction modifiée)

Victor Bourgy remarque à propos du we du vers 111 : « Célia ne se changeant pas en garçon, ce “nous” ne désigne sans doute que Rosalinde, qui mime déjà son personnage », hypothèse corroborées par la forme même du discours qui a vu le pronom personnel de la première personne céder la place à l’adjectif possessif avant de disparaître. Ne reste de Rosalinde sous son déguisement qu’un cœur susceptible de contenir des craintes de femmes ou, à l’acte II, des larmes réputées féminines mais l’existence des unes et des autres restera tout aussi invérifiable que la lâcheté dissimulée sous une apparence virile, comme le souligne l’oxymore « mannish cowards ». L’habit fait le genre, telle paraît être la conviction de Rosalinde, confirmée par le commentaire de Célia au début de l’acte IV :

You have simply misused our sex in your love-prate. We must have your doublet and hose plucked over your head, and show the world what the birth hath donne to her own nest.

Vous avez bel et bien diffamé votre sexe dans votre baratin d’amoureuse. Il va falloir qu’on vous arrache pourpoint et chausses pour montrer au monde quel oiseau a là souillé son propre nid. (IV, 1, l.155-157, p. 625)

L’aveuglement d’Orlando comme celui de Phébé suggèrent une toute-puissance de l’apparence, un triomphe de l’habit mais aussi du théâtre, souligné par la construction symétrique du dénouement et de l’épilogue : après avoir abandonné l’habit de Ganymède pour celui de Rosalinde, l’héroïne revendique encore une identité féminine au début de l’épilogue : « It is not the fashion to see the lady the epilogue », avant de se démasquer : « If I were a woman Il would kiss as many of you as had beards that pleased me » (p. 627), confirmant la connivence entre le travestissement et le mode irréel.

Métamorphoses

Alors que Lysistrata met en scène un renversement carnalesque, cette « Acropole comique analysée par Nicole Loraux27, tandis qu’As you like it transporte le spectateur dans une Arcadie où les genres se font et se défont par le pur jeu théâtral des apparences et des discours, proclamant la toute puissance de l’illusion comique, L’École des femmes et La Locandiera paraissent beaucoup plus ancrées dans la réalité sociale contemporaine avec des personnages et des situations dont l’exemplarité est revendiquée de diverses manières. Au suspens temporel de l’utopie ou de la pastorale se substitue le temps de la métamorphose pour interroger moins l’identité que la destinée féminine.

De la bête à la femme

L’École des femmes peut se lire comme l’affrontement dramaturgique de deux processus de construction du genre. Agnès est d’abord soumise à l’éducation d’Arnolphe avant de se mettre à une autre école, substitution que résume la formule placée dans la bouche d’Horace, empruntée à Corneille28, qui semble servir de « morale » à la pièce : « l’amour est un grand maître » (III, 4, v. 900, p. 90).

Or l’éducation mise en œuvre par Arnolphe, qui apparaît dans la pièce, avec la lecture des Maximes du mariage (III, 2), comme résultant de l’application littérale de la doctrine officielle de l’Eglise en la matière, n’a produit qu’une « bête ». La polysémie de ce terme est exploitée avec virtuosité par Molière, non seulement à des fins comiques mais aussi comme pivot permettant la remise en question du dogme par un questionnement philosophique nourri d’épicurisme et de scepticisme mondains. De manière significative, la première occurrence du mot (I, 1, v. 107) se trouve dans une réplique de Chrysalde, « celui qui parle d’or » d’après son nom, « héritier de la sagesse humaniste et du relais qu’en constitue au XVIIe siècle le syncrétisme philosophique du penseur sceptique La Mothe Le Vayer29 ». Dans cette première scène de la pièce le mot apparaît comme synonyme de « sotte » (v. 81 et 104) et de « stupide » (v. 103, 115). Mais lorsqu’il est repris par Agnès elle-même à l’acte IV, la forme réflexive de l’énoncé oblige à en reconsidérer la portée :

Vous avez là-dedans bien opéré vraiment,
Et m’avait fait en tout instruire joliment,
Croit-on que je me flatte, et qu’enfin, dans ma tête,
Je ne juge pas bien que je suis une bête ?
Moi-même j’en ai honte, et dans l’âge où je suis
Je ne veux plus passer pour sotte si je puis. (IV, 4, 1554-1559, p. 124)

La lucidité manifestée ici par Agnès interdit définitivement de réduire la bête à la bêtise et la réponse d’Arnolphe (« Vous fuyez l’ignorance ») le confirme, si besoin était. Et il n’est certainement pas fortuit que le même Arnolphe désigne ensuite les femmes par la périphrase « ces animaux-là » (v. 1579). Aussi la réplique de Climène dans la Critique : « et pour moi, je vous avoue que je suis dans une colère épouvantable, de voir que cet auteur impertinent nous appelle des animaux. » (6, p. 167), manifeste-t-elle surtout le plaisir qu’a pris Molière à attribuer à la précieuse ridicule une remarque fort peu pertinente. Aux arguments que lui opposent Uranie « Ne voyez-vous pas que c’est un ridicule qu’il fait parler ? ») et Dorante (« Et puis, Madame, ne savez-vous pas que les injures des amants n’offensent jamais ? »), il faudrait en ajouter un troisième, qui ne pouvait être explicité davantage dès lors qu’il renvoyait à une anthropologie épicurienne incompatible avec le dogme religieux. Gassendi, dont Molière a été l’élève, récusait fermement la théorie cartésienne des animaux machines30, dont plusieurs théologiens avaient, en revanche, proposé une interprétation augustinienne, le déni de la sensibilité animale s’accordant avec l’interprétation de la souffrance comme seule conséquence du péché originel31. Le De natura rerum de Lucrèce dont Molière avait entrepris la traduction32 et dont il utilisera un fragment dans Le Misanthrope, met l’accent à plusieurs reprises sur la continuité qui existe entre l’animal et l’homme et s’ouvre sur une célébration de la force du désir qu’illustre la métamorphose d’Agnès. Dans sa lettre « la pure nature/ exprime de l’amour la première blessure » (III, 4, v. 944-945, p. 92) et le crime d’Arnolphe consiste, selon Horace, à avoir « voulu de cet esprit étouffer la clarté » (III, 4, v. 955, p. 93). Ce n’est pas sans ironie d’ailleurs que l’énumération des termes qui expriment l’animosité d’Horace envers Arnolphe en cet instant commence par « ce franc animal » (v. 958). Mais le « beau naturel » d’Agnès a triomphé des « soins maudits d’un injuste pouvoir » v. 950-951) et il n’est pas anodin que ce triomphe de la nature sous l’impulsion d’éros se manifeste par une lettre alors que, deux scènes plus tôt, la septième des « Maximes du mariage » précisait : « Il ne faut écritoire, encre, papier, ni plumes », le seul mari devant « écrire tout ce qui s’écrit chez lui » (III, 2, v. 780-783, p. 84). Ce n’est donc pas seulement le projet d’Arnolphe qui apparaît comme contre-nature mais bien le mariage tel que le conçoit le Catéchisme du Concile de Trente auquel sont empruntées les « Maximes du mariage », la réduction de la femme au statut d’objet y étant marquée d’emblée : « Que l’homme qui la prend ne la prend que pour lui » (III, 2, v. 751). Cette phrase résonne de manière singulière pour le spectateur qui a entendu précédemment la comparaison d’Alain dont la charge comique est proportionnelle à la force critique : « la femme est en effet le potage de l’homme » (II, 3, v. 436). Assumant ici la fonction démystificatrice caractéristique du gracioso de la comedia espagnole, Alain révèle le véritable statut de la femme pour Arnolphe, corps réservé à sa consommation exclusive qu’il ne peut accepter de se voir « enlever jusque sur la moustache » alors qu’il avait « cru la mitonner pour [lui] durant treize ans » (IV, 1, v. 1031-1033, p. 97). Si l’on évoque souvent la figure de Pygmalion à propos d’Arnolphe, comme l’image de la cire malléable y invite, il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit d’un Pygmalion à rebours dont le rêve n’est pas de voir s’animer la matière inerte mais bien de réifier le vivant. Son orthopédie mortifère33 échoue face à « “ce grand travail de la nature” qui s’effectue en Agnès, au double sens, actif et passif, du terme de travail — fabrication et fécondation, nature travailleuse et travaillée pour mettre au monde le sujet libre et accompli34 ». Ce sujet libre, l’ironie moliéresque le fait qualifier par Arnolphe de « bête trop indocile » (V, 4, v. 1608, p. 126), formule qui atteste la pérennité des clichés misogynes dont joue Aristophane : « Il n’est point de bête plus indomptable qu’une femme » (v. 1014, p. 94), formule que Cléonice la bien nommée avait retourné en titre de gloire plus tôt dans la pièce (v. 253, p. 27). Le recours au récit, reproché à Molière par ses détracteurs, révèle dès lors son génie dramaturgique en ce qu’il permet d’introduire une distance réflexive et de conférer à l’itinéraire d’Agnès une valeur exemplaire. Grâce à lui, comme on le verra, l’affrontement entre le « beau naturel » (III, 4, v. 951, p. 93) d’Agnès et la « marotte » (I, 1, v. 103, p. 43) d’Arnolphe devient le conflit de deux dramaturgies.

De la femme à la Sirène

La démonstration que vise le jeu métathéâtral dans La Locandiera est d’une tout autre nature si l’on en juge d’après les déclarations de Goldoni dans son « Avis au lecteur » :

Je ne savais presque plus quoi faire dans le troisième, mais il me vint à l’esprit que ces femmes trompeuses [lusinghiere donne] ont l’habitude, quand elles voient tomber un homme dans leur piège, de le traiter durement. Et j’ai voulu donner un exemple de cette cruauté barbare, de ce mépris injurieux avec lequel elles se rient des malheureux qu’elles ont vaincus, pour mieux faire abhorrer la servitude que se procurent ces pauvres gens, et rendre odieux le caractère des Sirènes enchanteresses [incantatrici Sirene]. (p. 25)

S’il serait sans doute naïf de prendre cette déclaration pour argent comptant, celle-ci n’en met pas moins en lumière la très forte cohérence dramaturgique de la pièce et montre notamment que le jeu métathéâtral autour des comédiennes n’a rien de gratuit. Dans son premier monologue Mirandoline se présente très explicitement en championne de la cause féminine qui entreprend de venger le mépris dont elle et son sexe sont victimes de la part du Chevalier : « et je veux employer tout mon art [tutta l’arte] pour vaincre, abattre et briser ces cœurs barbares et durs, ennemis de nous les femmes, nous qui sommes ce que la belle Nature, notre mère à tous, a jamais produit de meilleur au monde » (I, 9, p. 63). Le vocabulaire héroïque dont use Mirandoline pour caractériser son entreprise de séduction justifie parfaitement la périphrase de « Don Juan en jupon »s par laquelle Mario Baratto l’a désignée35, surtout si l’on se souvient de « l’ambition des conquérants » du Don Juan de Molière qui se pensait en nouvel Alexandre (I, 2). Mais la figure de la Sirène convoquée par Goldoni rend compte de la perception qu’a de l’héroïne le Chevalier à la fin de la pièce, confirmé dans la misogynie viscérale qu’il professait au début. La Sirène est, de fait, une figure emblématique de la misogynie36, notamment dans la tradition italienne marquée par l’image qu’en a donnée Dante dans le chant XIX du Purgatoire, où il en fait une infirme37, ce qui n’est peut-être pas sans rapport avec la définition de la femme comme « insupportable infirmité » (« infermità insopportabile », I, 2, p. 45) que donne le Chevalier. L’intrigue de La Locandiera peut dès lors se résumer ainsi : le Chevalier est pris au mot par Mirandoline qui en se métamorphosant en sirène incarne, le temps de la comédie, son fantasme du féminin et l’on comprend que cette expérience ne le laisse pas indemne : « Si è indiavolato maledettamente » (III, 13, p. 249), traduit par « il s’est mis dans une rage effroyable », ce qui occulte une référence au diabolique qui n’est pourtant pas anodine. La trajectoire du Chevalier n’est ainsi pas sans analogie avec celle du héros tragique telle que la définit Jean-Pierre Vernant : « l’ironie tragique pourra consister à montrer comment, au cours de l’action, le héros se trouve littéralement “pris au mot”, un mot qui se retourne contre lui en lui apportant l’amère expérience du sens qu’il s’obstinait à ne pas reconnaître38 ». Mais la pièce fait aussi apparaître une forme de contrapasso, pour rester dans l’univers dantesque, dont le motif du linge donne une illustration saisissante dans son prosaïsme même. Instrument de l’humiliation de Mirandoline par le Chevalier (I, 6, p. 53), il devient celui de la vengeance de l’aubergiste (III, 6, p. 223) tandis que le fer à repasser se transforme en arme héroï-comique (ibid., p. 225) dont la brûlure concrétise fort prosaïquement le feu de la passion amoureuse. C’est encore la logique du contrapasso qui voue le chevalier à faire les frais de cette « arte, arte sopraffina » (I, 4, p. 46, traduit par « rouerie, rouerie suprême ») dont il faisait l’essence du féminin et dont Mirandoline revendique l’usage, on l’a vu : « tutta l’arte ». Le lexique récurrent du jeu et du divertissement (I, 19, p. 63 ; III, 13, p. 249, etc .) vient cependant rappeler au spectateur qu’il ne s’agit pour Mirandoline que de jouer la Sirène, comme les comédiennes jouent les dames de qualité, même si l’art de la comédienne occasionnelle l’emporte en l’occurrence sur celui des professionnelles. Lorsque le jeu devient trop dangereux (III, 19, p. 275 ; III, 20, p. 277), Mirandoline se hâte de troquer le masque de la Sirène pour le statut de femme mariée. Ce retour à la réalité bourgeoise après la parenthèse ludique de la comédie peut sans doute produire un effet déceptif sur les spectateurs du XXIe siècle, en ce qu’il pose de strictes limites aux velléités d’émancipation féminine. Ce n’en est pas moins lui qui apporte un démenti incontestable au discours misogyne de l’avis au lecteur tout en transférant la force contestatrice de la comédie dans l’affrontement entre nobles et bourgeois. Si fugace soit-il, le moment où Fabrice ose tenir tête au Chevalier (III, 16, p. 259), manifestant en l’occurrence un courage qui le rend digne d’être choisi par Mirandoline comme époux à la scène suivante, n’est pas si banal, pas plus que l’éviction finale des trois aristocrates. Si, comme le rappelle Gérard Luciani, les comédiennes « sont des types qui se rattachent au thème de la courtisane traditionnel depuis la Renaissance » (p. 13), dès le VIe siècle av. J. C., les Sirènes homériques étaient interprétées comme la transfiguration mythologique des courtisanes, inaugurant une longue tradition que Joyce ne dédaignera pas de reprendre dans Ulysse. Mais cette tradition est récusée par le dénouement de la comédie : les comédiennes quittent l’auberge pour rejoindre le reste de la troupe et la formule par laquelle le Comte commente l’événement : « la favola è terminata » (III, 12, p. 246) – écho du « acta est fabula » qui annonçait aux spectateurs romains la fin du spectacle, immortalisé par l’usage métaphorique qu’en fit l’empereur Auguste au moment de mourir – convient tout autant à la fin du jeu de Mirandoline. La disparition de la Sirène coïncide avec l’éviction d’une aristocratie figurée par l’épée brisée du marquis, ce « tronçon de lame » (« questo pezzo di lama » (I, 17, p. 265) que brandit le Chevalier. Discours misogyne et discours nobiliaire se trouvent confondus en un même symbole d’impuissance. La pièce offre donc le spectacle de l’incarnation dramaturgique des stéréotypes de la virilité et de la féminité suivie de leur brutale démolition.

Comédie de la séduction, séduction de la comédie

Anne Teulade propose à juste titre de considérer les sirènes goldoniennes comme « l’image d’un genre destiné à procurer un plaisir fondé sur la jubilation liée à la maîtrise des emboîtements fictionnels et permettant par le leurre, de procurer un enseignement à ses spectateurs »39. Ce plaisir est précisément celui que procure le jeu métathéâtral en tant que variation comique sur le théâtre du monde.

Genres et théâtre du monde

La plus ancienne formulation qui nous soit parvenue de cette « métaphore absolue », selon la terminologie de Hans Blumenberg40, est celle de Démocrite : « Le monde est une scène ; la vie un passage41. On entre, on regarde, on sort » (o9 ko/smoj skhnh/, o9 bio/j pa/rodoj : h[lqej, ei]dej, a0fh =lqej.42) Une telle formulation ne se comprend qu’en fonction de la réalité scénique grecque dans laquelle le spectateur voit les acteurs entrer sur l’espace scénique au début de la représentation – l’eisodos – et les voit sortir à la fin –l’exodos. Or le début de Lysistrata nous fait entrer d’emblée dans le jeu métathéâtral puisque Lysistrata, d’abord seule devant sa maison, est ensuite rejointe par Cléonice qui justifie le retard des autres femmes par une phrase dont la formulation semble être celle de la vérité générale : « la sortie est difficile pour les femmes » (xaleph/ toi gunaikw =n e1codoj, v. 16, p. 4) qui, pour peu qu’on donne à exodos sa signification théâtrale, suggère que la mise en scène d’une héroïne et des personnages qui l’entourent implique d’emblée un renversement de l’ordre des choses : la femme grecque étant confinée dans le gynécée et l’espace scénique dans le théâtre grec ne pouvant représenter qu’un lieu extérieur dans la fiction, les personnages féminins ne peuvent entrer dans cet espace qu’en sortant. Le principe d’inversion qui porte le comique tout au long de la pièce se révèle donc d’emblée à la fois sur le plan spatial : pour entrer dans l’espace scénique, on doit sortir dans l’espace fictionnel, et sur le plan temporel : le geste qui marque le début de l’action sur le plan fictionnel est celui qui marque sa fin sur le plan théâtral. De façon symétrique à la fin de la pièce, l’exodos des acteurs coïncidera avec le retour des femmes dans leurs foyers respectifs. Durant le temps de la représentation les acteurs auront endossé une identité féminine, processus comiquement redoublé au sein de la fiction par le travestissement en femme puis en mort du commissaire, on l’a vu, tandis que les personnages féminins mis en scène s’emparaient des attributs masculins. Sans doute serait-il hasardeux de conjecturer qu’un tel dispositif dramaturgique ait pu induire chez le spectateur athénien une réflexion sur le genre en tant que pur rôle, même si, comme le fait remarquer Olivier Thévenaz, la dimension utopique du théâtre d’Aristophane « transcende[r] l’espace du théâtre43 » et si Aristophane excelle à brouiller la frontière entre l’espace de l’acteur et celui du spectateur comme l’a montré N. W. Slater à propos du début des Acharniens44. Lysistrata contient en germe, notamment avec la référence à Euripide, un jeu de miroir qui révèlera tous ses enjeux dans Les Thesmophories, enjeux mis en lumière par l’analyse de Ghislaine Jay-Robert :

Un tel jeu aboutit naturellement à une mise en abyme du théâtre et au-delà à une réflexion sur le caractère réversible de tout élément ou de toute notion. […]
Cet extraordinaire jeu de miroir, au centre duquel Aristophane place la femme, permet donc au poète de décomposer le phénomène théâtral en faisant apparaître les principes sur lesquels il se fonde. Le redoublement d’une image pose en effet la question de la création et de son rapport avec la réalité, un problème qui prend d’autant plus d’importance au théâtre, où l’on apprend, à cette époque, à la fois à jouer avec la fiction et à réfléchir sur la cité45

Dans As you like it, c’est de façon très explicite que le travestissement redoublé par le jeu de rôles de Rosalinde apparaît comme la mise en scène littérale du théâtre du monde tel que le formule Jacques (II, 7, p. 581). La célébrité du début de la sentence (« All the world’s a stage ») ne doit pas en faire oublier la fin (« And all the men and women merely players) qui assigne explicitement au genre le statut de persona avant de dresser le tableau des sept âges de la vie et des rôles qui leur sont liés, d’un point de vue exclusivement masculin, ce qui s’accorde sans doute aux usages d’une culture phallocentrée dans laquelle homo se confond avec vir mais qui n’est peut-être pas sans rapport avec le sexe des acteurs. Dès lors la non reconnaissance du sexe de Rosalinde par Phébé et surtout par Orlando qui, frappé comme l’ancien duc par la ressemblance, n’a pu envisager que l’hypothèse d’un frère de sa bien-aimée (V, 4, v. 29, p. 647) relève peut-être moins d’une désinvolture à l’égard de la vraisemblance que d’un renchérissement sur le jeu métathéâtral.

En effet, en succombant à l’illusion, les personnages se qualifient sur le plan métathéâtral en tant que « bons » spectateurs, tout en attestant l’excellence de Rosalinde en tant qu’actrice, si l’on se réfère à la phrase de Gorgias rapportée par Plutarque, souvent citée par les théoriciens du théâtre à partir de la Renaissance46 : « Gorgias disait que la tragédie est une tromperie [a0pa/thn] où le trompeur est plus juste que celui qui ne trompe pas et le trompé plus sage que celui qui n’est pas trompé47 ».

Or cette citation est encadrée chez Plutarque48 par deux références homériques qui lient étroitement l’illusion théâtrale à la séduction féminine. Il s’agit d’abord des vers de l’Iliade évoquant le moment où Aphrodite accepte de prêter à Héra le ruban qui lui permettra de faire naître chez Zeus le désir d’une étreinte amoureuse afin de le détourner de la bataille et de permettre à Poséidon de donner l’avantage aux Grecs : « Elle dit et de son sein elle détache alors le ruban brodé, aux dessins variés, où résident tous les charmes. Là sont tendresse, désir, entretien amoureux aux propos séducteurs qui trompent le cœur des plus sages49 ». On notera au passage qu’en utilisant la sexualité comme ruse de guerre, les compagnes de Lysistrata peuvent se réclamer d’un illustre et divin modèle. La colère de Zeus, au début du chant suivant, quand il s’éveille et comprend la ruse de son épouse, s’exprime d’ailleurs en des termes assez proches de ceux qui évoquent le comportement des maris athéniens dans Lysistrata (v. 516-520, p. 49-50) : « Je me demande si je ne vais pas te rouer de coups [plhgh| =sin i9ma/ssw]50 ». Mais le commentaire de Plutarque qui suit la citation de Gorgias n’est pas moins éclairant pour notre corpus puisqu’il se demande s’il faut suivre l’exemple d’Ulysse et boucher les oreilles des jeunes gens avec de la cire en les obligeant à passer rapidement les rivages dangereux de la poésie ou s’il ne vaut pas mieux enchaîner leur raison par des principes solides (o0rqw| = tini logismw =|) afin que cette voix séduisante ne les entraîne pas dans le précipice. En comparant Mirandoline aux « incantatrici Sirene », Goldoni pourrait donc aussi convoquer subrepticement le souvenir des sirènes de Plutarque qui métaphorisent la poésie et plus particulièrement la poésie dramatique. Mais la pièce montre que le Chevalier eût été plus avisé de se boucher les oreilles avec de la cire que de se fier au mât de sa raison misogyne pour résister à l’enchantement.

Dans la longue histoire de ces sirènes de la poésie dramatique, un jalon important, par l’influence qu’il a exercée sur la tradition occidentale, à commencer par Dante, est l’ouverture de la Consolation de Philosophie de Boèce51, au début du VIe siècle de l’ère chrétienne. En effet, le premier geste de Philosophie, lorsqu’elle arrive auprès de l’auteur, concerne à chasser les Muses en les traitant successivement de « filles de théâtre » (scenicas meretriculas ) et de « Sirènes douces jusqu’à la mort » (Sirenes usque in exitium dulces), deux insultes dont la complémentarité est particulièrement révélatrice et qui trouvent dans la pièce de Goldoni et dans son paratexte une remarquable illustration.

L’héroïsme féminin comme envers du tragique

Fait notable cependant, la citation de Gorgias rapportée par Plutarque concerne la tragédie et c’est aussi la poésie tragique qui se voit rejetée à l’orée de la Consolation sous les traits des Muses Sirènes. Celles-ci viennent, en effet, d’inspirer une élégie à Boèce, qui rappelons-le, écrit dans sa cellule, condamné à mort par l’empereur Theodoric sur une accusation de trahison contre laquelle il n’a pas pu se défendre, et en étant régulièrement soumis à la torture. Philosophie chasse ces Muses en tant que Sirènes mortifères parce que « l’émotion tragique relève de la pathologie, et il faut soigner le prisonnier52 ». Or, comme on l’a vu, dans La Locandiera, la Sirène Mirandoline inspire bien au Chevalier une passion délétère qui le transforme malgré lui en héros tragique, victime d’une vengeance qui apparente aussi Mirandoline à Némésis. L’ultime affrontement des deux protagonistes peut alors se lire, dans une perspective qui rejoint celle d’Abel, comme celui de l’aveuglement du héros tragique pris au mot et de la conscience métathéâtrale de l’héroïne comique :

Mirandoline : Oh, mais Monsieur le Chevalier ne tombe pas amoureux. Monsieur le Chevalier connaît la chanson ; il sait la fourberie des femmes ; leurs paroles, il n’y croit pas ; leurs larmes, il ne s’y fie pas. Quant aux évanouissements, il s’en moque.
Le Chevalier : Les larmes des femmes sont donc fausses ? et ils sont mensongers, leurs évanouissements ?
Mirandoline : Comment ? Vous ne le savez pas ou vous faites semblant [o finge di non saperlo] ?
Le Chevalier : Par Dieu, je le jure ! Une telle fausseté [finzione] mériterait un coup de stylet dans le cœur !
Mirandoline : Monsieur le Chevalier, ne vous échauffez pas, sinon ces Messieurs diront que vous êtes amoureux pour de bon ! (III, 18, p. 269-271)

La confrontation de la métathéâtralité comique et de la grandiloquence tragique traverse l’histoire de la comédie depuis ses origines comme en témoigne avec éclat tout le théâtre d’Aristophane. Si sa présence dans Lysistrata ne semble pas quantitativement plus importante que dans d’autres pièces, il faut cependant souligner que la pièce où elle prend les proportions les plus considérables appartient aussi à la trilogie féminine d’Aristophane puisqu’il s’agit des Thesmophories. Celle-ci, très proche de Lysistrata du point de vue thématique autant que chronologique, se construit autour de la misogynie supposée d’Euripide, évoquée à plusieurs reprises dans Lysistrata (v. 283, p. 31 ; v. 368-369, p. 37) mais Lysistrata, quant à elle, s’en tient à une formulation plus générale : « Ce n’est pas pour rien que de nous sont faites les tragédies. » (v. 138, p. 17). L’explication proposée, dans les termes les plus crus, est que les femmes « n’en ont que pour le cul » (pagkata/pugon, v. 137, p. 17). Cette caractérisation de la tragédie comme mise en scène des désastres provoqués par la lubricité féminine, que celle-ci ait nom Hélène, Phèdre ou Clytemnestre, pour s’en tenir à quelques exemples célèbres, a pour conséquence non négligeable de faire de Lysistrata l’exact envers de la tragédie puisque l’abstinence féminine y permet le triomphe de la paix sur la guerre. Renversement du modèle tragique et renversement du discours misogyne y vont donc de pair comme le souligne, quelques vers plus loin, la manière dont Lysistrata salue le ralliement à sa cause de Lampito : « ô ma bien chère, et la seule de celles-ci qui soit femme » (v. 145, p. 19). Or l’énoncé est doublement paradoxal, dans l’acception stricte du terme : en tant que Spartiate, Lampito s’écarte autant que faire se peut de la représentation athénienne de la femme comme l’ont mis en lumière les commentaires appuyés dont son corps a fait l’objet à son entrée en scène (v. 11-13, p. 11-12). Ce corps, musclé et hâlé, incarne l’altérité spartiate dans l’imaginaire grec. A cette exception physique par rapport à la norme grecque, et athénienne en particulier, correspond une exception morale : le sacrifice qu’elle accepte, contrairement aux autres femmes, s’inscrit dans la lignée de l’héroïsme spartiate dont le sacrifice des trois cents compagnons de Léonidas aux Thermopyles est le paradigme, fortement lié à l’épopée comme l’a bien montré Nicole Loraux53. Dire donc que Lampito est la seule femme, comme le fait Lysistrata, après avoir fait de la lubricité féminine le trait constitutif de la tragédie, consiste à définir simultanément et corrélativement la comédie en tant qu’envers de la tragédie et l’héroïsme féminin en tant qu’envers du stéréotype misogyne. Le choix de Lampito pour incarner ce renversement est d’autant plus riche d’implications que l’Hélène mythique est aussi spartiate. La comédie semble dès lors obéir à un principe de déconstruction généralisée des discours et des codes, provoquée par leur simple juxtaposition.

La confrontation de la métathéâtralité comique et de la grandiloquence tragique est encore plus explicite chez Molière qui, en écrivant La Critique de L’École des femmes pour répondre aux détracteurs de L'École des femmes construit un diptyque dans lequel la « dissertation […] en dialogue » (Préface, p. 36) vient souligner la portée métathéâtrale du dialogue initial. La parodie de la tragédie est manifeste à la fin de l’affrontement entre Arnolphe et Agnès puisque la passion d’Arnolphe s’y exprime dans des images empruntées à La Marianne de Tristan L’Hermite (V, 4, v. 1602, p. 126). La réplique d’Agnès : « Tenez, tous vos discours ne me touchent point l’âme, / Horace avec deux mots en ferait plus que vous » (v. 1605-1606) célèbre de manière encore plus visible la victoire de la comédie sur la tragédie lorsqu’on la rapproche de la comparaison entre les deux genres à laquelle se livre Dorante dans la Critique (6, p. 70) et surtout lorsque lui font écho les mots d’Uranie : « Pour moi, quand je vois une comédie, je regarde seulement si les choses me touchent ; et lorsque je m’y suis bien divertie, je ne vais point demander si j’ai eu tort, et si les règles d’Aristote me défendaient de rire. » (6, p. 174). L’intrigue de L’Écoles des femmes apparaît alors comme le conflit de deux dramaturges, le dénouement de tragédie découlant de celle d’Arnolphe (V, 9, v. 1718-1725, p. 133) n’étant retourné qu’in extremis et par le recours ostensible à la convention comique de la reconnaissance.

Mais c’est dès le début de la pièce que Molière a instauré cette profondeur métathéâtrale grâce au recours au récit qui permet une traduction dramaturgique de la volonté d’emprise d’Arnolphe. La dernière scène du deuxième acte est particulièrement révélatrice à cet égard : le récit qu’Agnès y fait à Arnolphe de sa rencontre avec l’entremetteuse y prend la forme d’un dialogue rapporté au style direct, fait d’autant plus notable que la théâtralité de ce dialogue y est soulignée par un caractère stéréotypé, l’entremetteuse de Molière appartenant indubitablement à la lignée de la Célestine. Dans la Tragicomedia de Calisto y Melibea de Fernando de Rojas (1499), traduite en français dès 1527 puis de nouveau en 1578 par Jacques Lavardin, Célestine, à l’acte IV, prétend d’abord solliciter la jeune fille pour un « malade qui endure si estrangement que son mal, et sa guérison sortent d’une même fontaine54 ». L’entremetteuse de Molière parle, elle, d’un « blessé » (II, 5, p. 69) et d’yeux qui peuvent « du mal qu’ils ont fait être la médecine » (v. 532) tandis qu’Agnès évoque la « guérison » que sa vue a procurée à Horace (v. 70). Mais l’intérêt de la comparaison réside surtout dans la mise en lumière du transfert opéré par Molière : là où Mélibée perce rapidement à jour les intentions de Célestine et l’accable d’injures, celles-ci se retrouvent dans les apartés d’Arnolphe devenu spectateur malgré lui de la scène évoquée (v. 511, p. 69 et 535-536, p. 70). À la fin de la scène, Arnolphe croit renverser la situation à son profit en retrouvant une position de dramaturge par rapport à Agnès, contrainte à jouer le rôle qu’il lui impose dans une mise en scène dont il prétend aussi jouir en spectateur :

À choisir un mari, vous êtes un peu prompte.
C’est un autre en un mot que je vous tiens tout prêt,
Et quant au monsieur, là… Je prétends s’il vous plaît,
Dût le mettre au tombeau le mal dont il vous berce,
Qu’avec lui désormais vous rompiez tout commerce ;
Que venant au logis pour votre compliment
Vous lui fermiez au nez la porte honnêtement,
En lui jetant, s’il heurte, un gès par la fenêtre,
L’obligiez tout de bon à ne plus y paraître.
M’entendez-vous, Agnès ? Moi, caché dans un coin,
De votre procédé je serai le témoin. (v. 627-638, p. 77)

Il s’agit donc de substituer au mariage des amoureux, dénouement de comédie, qu’Agnès a cru voir se profiler dans les paroles d’Arnolphe, non sans quelque étonnement à vrai dire (v. 620-621, p. 76), une péripétie dont la teneur tragique va se confirmer dans la dernière réplique de la scène, empruntée au Sertorius de Corneille : « Je suis maître, je parle, allez, obéissez. » (v. 642, p. 78). On voit bien ici comment le détournement du modèle tragique par la comédie consiste à vider la réplique de sa teneur politique au profit, notamment, d’une portée métathéâtrale dont la force comique se révèlera pleinement grâce à l’exploitation dramaturgique de la confidence inappropriée. Dans la scène 4 de l’acte III, déjà évoquée, Horace apprend à un Arnolphe médusé l’indocilité de son actrice, le condamnant ainsi à retrouver une position de spectateur d’une dramaturgie qu’il ne contrôle pas. Traduit dans les termes du théâtre du monde tel que le met en scène Calderon55, le « crime » d’Arnolphe consiste à avoir voulu usurper la place réservée à Dieu, lui seul pouvant être à la fois l’auteur et le spectateur d’une action dont l’homme ne saurait être qu’acteur. Le dernier vers de la pièce restaure d’ailleurs cette interprétation chrétienne de la métaphore puisqu’il s’agit de « rendre grâce au Ciel qui fait tout pour le mieux » (v. 1777, p. 132) tandis que le « hasard » invoqué un peu plus tôt par Horace (v. 1766, p. 135) avait une tonalité plus épicurienne. Quant au châtiment d’Arnolphe, il consiste à devenir malgré lui l’acteur du dénouement comique tout en conservant l’aveuglement du héros tragique qui se trouve pris au mot par un sort « propice » qui rime avec « supplice » dans la réplique de Chrysalde (v. 1760-1761, p. 135). Dépossédé de toutes les prérogatives dramaturgiques dont il a abusé, Arnolphe est réduit pour finir au « silence des bêtes », « s’en allant tout transporté et ne pouvant parler » (didascalie du vers 1764, p. 135).

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Peut-être faut-il, en guise de conclusion provisoire, revenir aux origines, c’est-à-dire en l’occurrence à la création mythique de la première femme telle que la raconte Hésiode dans la Théogonie56 et dans Les Travaux et les Jours dont le texte est le plus suggestif du point de vue du rapport entre féminin et métathéâtralité :

Il dit et éclate de rire, le père des dieux et des hommes ; et il commande à l’illustre Héphaïstos de tremper d’eau un peu de terre sans tarder, d’y mettre la voix et les forces d’un être humain et d’en former, à l’image des déesses immortelles, un beau corps aimable de vierge ; Athéna lui apprendra ses travaux, le métier qui tisse mille couleurs ; Aphrodite d’or sur son front répandra la grâce, le douloureux désir, les soucis qui brisent les membres, tandis qu’un esprit impudent, un coeur artificieux seront, sur l’ordre de Zeus, mis en elle par Hermès, le Messager, tueur d’Argos.
Il dit et tous obéissent au seigneur Zeus, fils de Cronos. En hâte, l’illustre Boiteux modèle dans la terre la forme d’une chaste vierge, selon le vouloir du Cronide. La déesse aux yeux pers, Athéna, la pare et lui noue sa ceinture. Autour de son cou les Grâces divines, l’auguste Persuasion mettent des colliers d’or ; tout autour d’elle les Heures aux beaux cheveux disposent en guirlandes des fleurs printanières. Pallas Athéna ajuste sur son corps toute sa parure. Et, dans son sein, le Messager, tueur d’Argos, crée mensonges, mots trompeurs, coeur artificieux, ainsi que le veut Zeus aux lourds grondements. Puis, héraut des dieux, il met en elle la parole et à cette femme il donne le nom de « Pandore », parce que ce sont tous les habitants de l’Olympe qui, avec ce présent, font présent du malheur aux hommes qui mangent le pain57.

Athéna, Aphrodite, Persuasion, ces trois déesses qui jouent un rôle déterminant dans la fabrication de Pandore règnent aussi dans l’univers féminin de Lysistrata. Si la femme est un agent de métathéâtralité particulièrement efficace pour Aristophane, c’est bien d’abord parce que le mythe hésiodique a fait d’elle « la créature mimétique par excellence58 ». Dans ce mythe la femme n’est qu’une apparence trompeuse mais c’est aussi une œuvre d’art, modèle peut-être pour toute création artistique humaine comme le suggère Jean-Pierre Vernant59. L’exploitation dramaturgique de la supposée duplicité féminine est d’ailleurs une constante de notre corpus, en une sorte de reviviscence de la métaphore lexicalisée que constitue le mot « hypocrite ». Dès lors que la femme est « une actrice née », les héroïnes de comédie rappellent dès qu’elles entrent en scène, la réversibilité du théâtre et du monde. Dans la description hésiodique de la création de Pandore, « derrière son voile si éclatant, sous ses bijoux magnifiques, il n’y a rien60 », ce qui apparente la femme à un pur masque, une persona61. Aussi l’héroïsme féminin, en tant que jeu avec les codes et les conventions, rencontre-t-il nécessairement le métathéâtre en tant qu’exhibition du caractère théâtral de la vie sociale :

Le théâtre est de par sa nature la représentation de toutes les relations humaines, et cela nullement parce qu’il est leur imitation plus ou moins réussie. Le théâtre est l’image de toutes les relations humaines parce que la fausseté en constitue le principe. Une fausseté originelle — comme le péché originel. L’acteur joue un personnage qu’il n’est pas. Il est celui qu’il n’est pas. Il n’est pas celui qu’il est. Être soi, cela signifie seulement jouer son propre reflet dans le regard des autres62.

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Notes de bas de page numériques

1  Lionel Abel, Metatheatre. A New View of Dramatic Form, New York, Hill and Wang, « Dramabook » 33, 1963, p. 60: « Surely the plays I am referring to should not be described so variously. Some of them can, of course, be classified as instances of the play-within-a-play, but this term, also well known, suggests only a device and not a definite form. Moreover, I wish to designate a whole range of plays, some of which do not employ the play-within-the-play, even as a device. Yet the plays I am pointing at do have a common character: all of them are theatre pieces about life seen as already theatricalized. »

2  Sans méconnaître la distance qui sépare le métathéâtre de Lionel Abel, qu’il pensait en tant que genre, de la métathéâtralité en tant que caractéristique qu’on peut observer dans différents genres théâtraux, je considère que les observations d’Abel conservent une valeur opératoire et heuristique même si on renonce à la thèse, difficilement soutenable, de la généricité du métathéâtre. Pour un examen critique de la position d’Abel et sa postérité, voir Catherine Larson, « Metatheatre and the Comedia : Past, Present, Future », The Golden Age Comedia. Text, Theory and Performance, ed. Charles Ganelin and Howard Mancing, West Lafayette, Purdue University Press, 1994, p. 204-221.

3  Lionel Abel, Metatheatre, p. 60: « By this I mean that the persons appearing on the stage in these plays are there not simply because they were caught by the playwright in the dramatic postures as a camera might catch them, but because they themselves knew they were dramatic long before the playwright took note of them. What dramatized them originally? Myth, legend, past literature, they themselves. They represent to the playwright the effect of dramatic imagination before he has begun to exercise his own; on the other hand, unlike figures in tragedy, they are aware of their own theatricality. »

4  Jean-Pierre Vernant, « Ambiguïté et renversement. Sur la structure énigmatique d’Œdipe-Roi » [1970], Œdipe et ses mythes, Paris, Editions Complexe, 1994, p. 24.

5  Lionel Abel, Metatheatre, p. 66.

6  Comme l’affirme Gérard Luciani dans la préface de l’édition au programme : Paris, Gallimard, « Folio bilingue », 1991, p. 10. Les références de toutes les citations renverront à cette édition.

7  Aristophane, Lysistrata, éd. et trad. Hilaire Van Daele, introduction et notes de Silvia Minaezi, Paris, Les Belles Lettres, « Classiques en poche », 1996, rééd. 2011, p. 53, v. 529-538. Les références de toutes les citations ultérieures renverront à cette édition.

8  Homère, Iliade, VI, v. 490-493, cité dans l’article de Guillaume Navaud.

9  Homère, Odyssée, I, v. 356-359, trad. Victor Bérard, Paris, Les Belles Lettres, « Classiques en poche », 2002, p. 32-33.

10  Sur le tressage très subtil des différentes valeurs symboliques du tissage dans le poème voir Ioanna Papadopoulou-Belmehdi, Le chant de Pénélope, préface de Nicole Loraux, Paris, Belin, « L’Antiquité au présent », 1994.

11  Ioanna Papadopoulou-Belmehdi, « Tissages grecs ou le féminin en antithèse », Diogène, n° 167, septembre 1994, p. 49-50.

12  Orphée, Hymnes, Discours sacrés, présentation, traduction et notes Jacques Lacarrière, Paris, Imprimerie nationale, « La Salamandre », 1995, hymne 32 « A Athéna », v. 10, p. 100 : a1rshn me\n kai\ qh =luj e1fuj, polemato/ke, mh =ti

13  Jean-Pierre Vernant, Introduction à Problèmes de la guerre en Grèce ancienne [1968], Paris, Editions de l’E.H.E.S.S., 1993, p. 15.

14  Hérodote, Enquête, IV, 180, trad. A. Barguet, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1964, p. 349.

15  Jean-Pierre Vernant, Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, p. 16

16  Pour l’étude de ces différents rites, voir Pierre Brulé, La fille d’Athènes. La religion des filles à Athènes à l’époque classique. Mythes, cultes et société, Paris, Les Belles Lettres, 1987 et Lydie Bodiou, Véronique Mehl (éd.), La religion des femmes en Grèce ancienne : mythes, cultes et société, Presses universitaires de Rennes, 2009.

17  Pierre Vidal-Naquet, Le chasseur noir. Formes de pensée et formes de société dans le monde grec, Paris, Maspero, rééd. La Découverte Poche 2005, p. 171-172. La conclusion est que « le chasseur noir, c’est, en somme, un éphèbe qui a échoué, un éphèbe qui, à chaque tournant, a la possibilité d’échouer » (p. 963). Mais dans Lysistrata l’échec est travesti en choix volontaire, symétrique de la régression féminine, librement et pleinement assumée.

18  Le texte toujours cité à ce sujet, et ce depuis le XIXe siècle au moins, est Plutarque, Vie de Lycurgue, 15, 4-7 : « On se mariait à Sparte en enlevant sa femme, qui ne devait être ni trop petite ni trop jeune, mais dans la force de l’âge et de la maturité. La jeune fille enlevée était remise aux mains d’une femme appelée numpheutria, qui lui coupait les cheveux ras, l’affublait d’un habit et de chaussures d’homme et la couchait sur une paillasse seule et sans lumière. Le jeune marié, qui n’était pas ivre, ni amolli par les plaisirs de la table, mais qui, avec sa sobriété coutumière, avait dîné aux phidities, entrait, lui déliait la ceinture, et la prenant dans ses bras, la portait sur le lit. Après avoir passé avec elle un temps assez court, il se retirait décemment et allait suivant son habitude, dormir en compagnie des jeunes gens. » (trad. R. Flacelière, Paris, Les Belles Lettres, C.U.F., 1964).

19  Sur ce rituel voir Pierre Brulé, « De Brauron aux Pyrénées et retour : dans les pattes de l’ours », Dialogues d’Histoire Ancienne, 16, 2, 1990, p. 9-27 ; Bruno Gentile, Franca Perusino (éd.), Le orse di Brauron : un rituale di iniziazione femminile nel santuario di Artemide, Pise, ETS, 2002 et la comparaison suggestive avec les rites polynésiens de Christine Pérez, Cultures méditerranéennes anciennes, culture du triangle polynésien d’avant la découverte missionnaire : les formes et les pratiques du pouvoir, Paris, Publibook, 2007, p. 334-340.

20  Dans la mythologie grecque cette réversibilité trouve son expression emblématique dans la figure de Tirésias. Voir Nicole Loraux, Les expériences de Tirésias : le féminin et l’homme grec, Paris, Gallimard, 1989.

21  Robert Greene, The Historie of Orlando Furioso, One of the twelve Pieres of France[1594], The Dramatic Works of Robert Greene, ed. Alexander Dyce, London, William Pickering, 1831, t. 1, p. 27. Les vers empruntés à L’Arioste ne sont pas prononcés par Roland mais par Rodomont (chant 27, str. 117 et 121).

22  L’Arioste, Roland furieux [Orlando furioso, 1532], éd. bilingue André Rochon, Paris, Les Belles Lettres, « Bibliothèque italienne », 1998-2002, 4 vol. , chant 23, str. 129-131.

23  Jan Kott, Shakespeare notre contemporain, traduit du polonais par Anna Posner, Paris, Julliard, 1962, rééd. Petite Bibliothèque Payot, 2006, p. 296.

24  Gilbert Pham-Thanh, « What’s in a name : la masculinité à l’épreuve de Shakespeare relu par Wilde », Modernités shakespeariennes, éd. Jane Avner, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 54.

25  Jan Kott, Shakespeare notre contemporain, p. 292.

26  Antoine Vitez, Émile Copfermann, De Chaillot à Chaillot, Paris, Hachette, « L’Échappée belle », 1981, p. 57 : « C’est pour cela que, tout compte fait, je ne méprise pas les émissions populaires où on me faisait jouer des personnages avec accent. J’ai fait des choses absurdes, à cette époque-là, dérisoires : la voix du Dalaï Lama, par exemple. Je lui avais donné l’accent chilien de Daniel Emilfork. C’était pour rire, mais ça m’a appris quelque chose. C’étaient des jeux avec l’étrangeté. On signale le décalage et le décalage dégage l’effet. Effet d’étrangeté ou d’estrangement (c’est le néologisme que j’ai inventé), comme le demande Brecht. »

27  Nicole Loraux, « L’Acropole comique » [1981], Les Enfants d’Athéna, Paris, 1990, p. 157-196.

28  Corneille, La Suite du Menteur, II, 3, v. 586.

29  Georges Forestier et Claude Bourqui, notice de L’École des Femmes, Œuvres complètes, éd. Georges Forestier, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, p. 1352-1353.

30  Si l’argumentation gassendiste nourrit le Discours à Madame de La Sablière de la Fontaine, elle trouve un écho plus discret mais non moins révélateur chez Molière dans le prologue d’Amphitryon : « Et dans le mouvement de leurs tendres ardeurs, / Les bêtes ne sont pas si bêtes que l’on pense. » Sur les répercussions du débat philosophique entre Descartes et Gassendi dans les milieux littéraires, voir Marc Fumaroli, La Diplomatie de l’esprit : de Montaigne à La Fontaine, Paris, Hermann, 1998, p. 507.

31  Voir Henri Gouhier, Cartésianisme et augustinisme au XVIIe siècle, Paris, Vrin, 1978, notamment p. 58-68. Elisabeth de Fontenay conclut le chapitre qu’elle consacre à la théorie cartésienne sur une interrogation qui entre singulièrement en résonance avec le champ lexical de l’animalité dans la pièce de Molière : « Mais pourquoi Descartes n’a-t-il pas renoncé à ce mot, “animal”, si plein d’âme quand on ne lui accole pas son adjectif latin brutum ? Les langues aux racines latines empêchent qu’animal et machine fassent bon ménage. C’est de « bêtes-machines » qu’il faudrait parler. » (Le silence des bêtes : la philosophie à l’épreuve de l’animalité, Paris, Fayard, 1998, p. 378). Molière paraît plus conséquent sur ce point puisqu’il n’utilise dans la pièce le mot « animal » qu’en tant que désignation métaphorique de l’humain, toujours chargée affectivement, de désir chez Arnolphe parlant des femmes, d’animosité chez Horace parlant d’Arnolphe.

32  Les principaux documents relatifs à cette traduction sont réunis dans Œuvres complètes de Molière, nouvelle édition […] par M. Eugène Despois et Paul Mesnard, Paris, Hachette, 1873-1900, t. v, p. 559, accessible en ligne sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k52187/f567.image

33  Dont la gravure sur laquelle s’ouvre le livre de Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, pourrait fournir un emblème, avec la devise : « haec est regula recti ».

34  Patrick Dandrey, Molière ou l’esthétique du ridicule, Paris, Klincksieck, 1992, nouvelle édition augmentée 2002, p. 334

35  Mario Baratto, Sur Goldoni, trad. Jean-Pierre Vincent, Paris, L’Arche, 1971, p. 91.

36  Voir, pour une approche psychanalytique de ce lien, Horacio Amigorena, « Portrait de misogyne avec sirènes », La Nuit, éd. François Angelier, Nicole Jacques-Chaquin, Grenoble, Jérôme Millon, 1995, p. 241-254.

37  Dante, Purgatoire, 19, v. 7-9, éd. bilingue Jacqueline Risset, Paris, Flammarion GF, 1992, p. 173 : « une femme bègue, / aux yeux louches, aux pieds tordus,/ les mains coupées, de couleur blême ».

38  Jean-Pierre Vernant, « Ambiguïté et renversement. Sur la structure énigmatique d’Œdipe-Roi », p. 24.

39  Anne Teulade, Comédie et héroïsme féminin, Neuilly, Atlande, 2013, p. 333.

40  Voir Hans Blumenberg, Paradigmes pour une métaphorologie, trad. D. Gammelin, Paris, Vrin, 2006.

41  Comme le souligne Guillaume Navaud (Persona : le théâtre comme métaphore théorique de Socrate à Shakespeare, Genève, Droz, « Travaux d’Humanisme et Renaissance » 478, 2011, p. 34) auquel je renvoie pour un commentaire très éclairant des implications de cette formulation, la parodos désigne « la révolution accomplie par le chœur sur l’orchestra du théâtre grec », c’est-à-dire sur l’espace scénique.

42 Die Fragmente der Vorsokratiker, éd. H. Diels et W. Kranz, Zürich Weidmann, 1906, rééd. 1966, t. 2, p. 165, n° 84*.

43  Olivier Thévenaz, « Comment déjouer la tragédie ? Marques tragiques et travestissements comiques dans les Acharniens d’Aristophane et l’Amphitryon de Plaute », Poétique d’Aristophane et langue d’Euripide en dialogue, éd. Claude Calame, Études de lettres (Lausanne), 2004/4, p. 71-94.

44  N. W. Slater, « Space, character and apath: transformation and transvaluation in the Acharnians », Tragedy, Comedy and the Polis, Papers from the Greek Drama Conference Nottingham, 18-20 July 1990, ed. Alan H. Sommerstein, Stephen Halliwell, Jeffrey Henderson, Bari, Levante, 1993, p. 399: « We are physically in a theatre, watching a comedy. Could it be that he too is in a theatre, waiting for a performance to begin? ».

45  GhislaineJay-Robert, « Rôle de la femme dans Lysistrata, Les Thesmophories et L’Assemblée des femmes d’Aristophane ou les femmes et la création théâtrale », Euphrosyne, 2006, N.S. 34, p. 48 ; repris dans L’Invention comique : enquête sur la poétique d’Aristophane, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2009, p. 106.

46  Voir, par exemple, l’avis au lecteur du traducteur Vion d’Alibray (Le Torrismon du Tasse, tragédie par le Sr Dalibray, Paris, D. Houssaye, 1636, [p. 5]) : « que la tragédie n’étant qu’une tromperie selon l’avis de Gorgias, où celui qui abuse le mieux est estimé le plus juste […] ».

47  Plutarque, De audiendis poetis, 15d. La plus récente édition, assortie d’une riche annotation, est Plutarch, How to study poetry, ed. Richard Hunter, Donald Andrew Russell, Cambridge University Press, 2011.

48  On la trouve aussi dans un autre traité de Plutarque, La Gloire des Athéniens, 348c. Voir la citation et le commentaire de Guillaume Navaud dans Persona…, p. 25 sqq.

49  Iliade, XIV, v. 214-217, traduction Paul Mazon, Paris, Les Belles Lettres, C.U.F., 1938.

50  Iliade, XV, v. 17.

51  Boèce, Consolation de Philosophie, trad. Jean-Yves Guillaumin, Paris, les Belles Lettres, « La Roue à livres », 2002.

52  Joëlle Wasiolka, « Tragique et tragédie : Boèce lecteur de Sénèque dans la Consolation de Philosophie (ImV) », actes de la journée d’études « Melpomène dans tous ses états. Le tragique hors de la tragédie dans la littérature latine », Mosaïque, revue de jeunes chercheurs en Sciences Humaines, n° 1, juin 2009, URL : http://revuemosaique.net/numero-1-actes-des-journees-detude-melpomene-dans-tous-ses-etats-le-tragique-hors-de-la-tragedie-dans-la-litterature-latine-2/

53  Nicole Loraux, Les expériences de Tirésias, p. 86-90.

54  La Célestine, fidellement repurgé et mise en meilleure forme par Jacques de Lavardin, Paris, N. Bonfons, [s.d.], acte IV, p. 73r : http://gallica.bnf.fr/ark :/12148/btv1b8626357s/f171.image .

55  Calderon, Le Grand Théâtre du monde [El gran teatro del mundo, 1645], éd. bilingue François Bonfils, Paris, GF Flammarion, 2003.

56  Hésiode, Théogonie, v. 565-592, trad. Paul Mazon [1928], Paris, Les Belles Lettres, C.U.F., 1982, p. 52-53 : « Aussitôt, en place du feu, il créa un mal, destiné aux humains. Avec de la terre l’illustre Boiteux modela un être tout pareil à une chaste vierge, par le vouloir du Cronide. La déesse aux yeux pers, Athéna, lui noua sa ceinture, après l’avoir parée d’une robe blanche, tandis que de son front ses mains faisaient tomber un voile aux mille broderies, merveille pour les yeux. Autour de sa tête elle posa un diadème d’or forgé par l’illustre Boiteux lui-même, de ses mains adroites, pour plaire à Zeus son père : il portait d’innombrables ciselures, merveille pour les yeux, images de bêtes que par milliers nourrissent la terre et les mers ; Héphaïstos en avait mis des milliers – et un charme infini illuminait le bijou – véritables merveilles, toutes semblables à des êtres vivants. Et quand, en place d’un bien, Zeus eût créé ce mal si beau, il l’amena où étaient dieux et hommes, superbement paré par la Vierge aux yeux pers, la fille du dieu fort ; et les dieux immortels et les hommes mortels allaient s’émerveillant à la vue de ce piège profond et sans issue, destiné aux hommes. Car c’est de celle-là qu’est sortie la race, l’engeance maudite des femmes, terrible fléau installé au milieu des hommes mortels ».

57  Hésiode, Les Travaux et les Jours, v. 59-82, trad. Paul Mazon [1928], Paris, Les Belles Lettres, C.U.F., 1982, p. 88-89.

58  Froma I Zeitlin, « Playing the Other: Theater, Theatricality, and the Feminine in Greek Drama », Nothing to do with Dionysos? Athenian drama in its social context, ed. John J. Winkler and Froma I. Zeitlin, Princeton University Press, 1992, p. 85: « Woman is the mimetic creature par excellence, ever since Hesiod’s Zeus created her as an imitation with the aid of the other artisan gods and adorned her with a deceptive allure. Woman is perennially under suspicion as the one who acts a part – that of the virtuous wife – but hides other thoughts and feelings, dangerous to men, within herself and the house ».

59  Jean-Pierre Vernant, « Les semblances de Pandora », Le Métier du mythe : lectures d’Hésiode, éd. Fabienne Blaise, Pierre judet de La Combe et Philippe Rousseau, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1996, p. 387.

60  GhislaineJay-Robert, « Rôle de la femme dans Lysistrata […], p. 49.

61  Cf. la réflexion de Schopenhauer que Guillaume Navaud a fort judicieusement choisie pour épigraphe de son livre : « Le mot personne, employé dans toutes les langues européennes pour désigner l’individu humain, est, inconsciemment, exact ; car persona signifie, à proprement parler, un masque de comédie. Or, nul être humain ne se montre tel qu’il est, chacun porte un masque, et joue un rôle. » (Parerga & Paralipomena : petits écrits philosophiques, II, 26, § 315, trad. Jean-Pierre Jackson, Paris, Coda, 2005, rééd. 2010, p. 883-884).

62  Jan Kott, Shakespeare notre contemporain, p. 291.

Bibliographie

 Textes

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Pour citer cet article

Sylvie Ballestra-Puech, « Thalie au miroir : héroïsme féminin et métathéâtralité », paru dans Loxias, Loxias 43., mis en ligne le 09 décembre 2013, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=7634.

Auteurs

Sylvie Ballestra-Puech

Sylvie Ballestra-Puech est professeur de littérature comparée à l’Université Nice Sophia Antipolis où elle dirige actuellement le Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature et des Arts vivants (C.T.E.L.). Elle a notamment publié Lecture de La Jeune Parque (Klincksieck, 1993), Les Parques. Essai sur les figures féminines du destin dans la littérature occidentale (Éditions Universitaires du Sud, 1999), Métamorphoses d’Arachné. L’artiste en araignée dans la littérature occidentale (Droz, 2006) et Templa Serena : Lucrèce au miroir de Francis Ponge (Droz, 2013).