Loxias | Loxias 39. Autour des programmes de concours littéraires |  Autour des programmes d'agrégation 2013 

Hugo Hengl  : 

Enfance et mimesis. Commentaire composé du groupement de textes « La commerelle » / « Les couleurs »

Résumé

Au sein du recueil Enfance berlinoise de Walter Benjamin, les textes « La commerelle » et « Les couleurs » mettent en parallèle, sous le signe de l’activité mimétique et de la sensorialité, l’appropriation du monde par le jeune enfant et la création artistique. Ils nous éclairent ainsi sur l’enjeu de l’ouvrage de Benjamin, entre autobiographie, document historique et manifeste poétique, en mettant en particulier l’accent sur le statut de l’auteur dans le projet esthétique benjaminien.

Index

Mots-clés : dépersonnalisation créatrice , mimétisme, sensorialité

Géographique : Allemagne

Chronologique : XXe siècle

Plan

Texte intégral

L’un des traits prêtés par Walter Benjamin au petit protagoniste d’Enfance berlinoise1 est une compulsion à « reconnaître des similitudes », que l’auteur associe aux vestiges d’un instinct mimétique ancestral, et qu’il prête dans son texte, notamment dans « Chasse aux papillons », au chasseur qui se fond dans le milieu naturel en s’identifiant à sa proie2. Pétri par son entourage, l’enfant se transforme lui aussi en ce qui l’entoure, à commencer par les objets qui composent son quotidien : idée poussée à son comble dans « La commerelle » avec l’image du mollusque épousant la forme intérieure du coquillage que Benjamin érige en symbole du XIXe siècle tout entier.

Or loin de relever d’une impuissance ou d’une passivité qui serait le propre de l’enfance, cet instinct mimétique est reconnu comme une tendance créatrice, appropriatrice (comme le suggère l’image du chasseur dans « Chasse aux papillons ») : l’enjeu de cette propension est pour l’enfant de conquérir la réalité, de « prendre pied dans la vie ». Ces deux textes traitent ainsi plus particulièrement, quoique paradoxalement, de la constitution de l’identité, à partir de détails en apparence anecdotiques dont, selon le dessein de Benjamin, il s’agit de dégager la portée générale. Dans un deuxième temps, ces textes nous donnent l’occasion de montrer l’importance accordée par Benjamin aux impressions sensorielles dont le moi, qu’elles aident à constituer, est le théâtre, ainsi que de nous interroger sur les régimes sensoriels mis en œuvre dans le dispositif du texte lui-même. Un autre thème commun (et connexe) est enfin celui de la création artistique, porté par la métaphore des arts plastiques : nous tenterons donc en troisième lieu de montrer comment l’enfant devient ici une image de l’écrivain adulte en déployant de façon « prémonitoire », en particulier par son appréhension du langage, l’art poétique dont Enfance berlinoise se veut la mise en œuvre.

1. Mimétisme et métaphore

a. Un mimétisme créateur

Les deux textes sont placés sous le thème du mimétisme par les nombreuses occurrences des mots « ähnlich » et « Ähnlichkeit »3, traduits par « semblable », « similitude », « ressemblance ». Or comme nous l’avons signalé d’entrée, le mimétisme n’est pas ici simplement la propension du jeune enfant à se conformer aux attentes de son entourage parental. La compulsion décrite n’est pas uniquement sociale (même si elle l’est bien sûr également)4. Derrière le fait culturel, il s’agit bien plutôt, de façon plus « biologique » et élémentaire, de la survie et de l’adaptation de l’animal à son environnement : le narrateur insiste ainsi sur le fait que l’enfant est rendu semblable non aux « modèles de moralité, mais aux appartements, aux meubles, aux vêtements ». Dans « Les couleurs », on le voit, véritable caméléon, prendre les couleurs de son entourage physique, voire se « métamorphoser » en lui. En définitive, plus qu’en fonction des personnes, l’enfant se construit ainsi à partir des objets qui constituent son univers domestique, et en dehors desquels son identité elle-même paraît mise en doute : impossible en effet pour lui de faire preuve d’une « ressemblance avec [lui]-même » attendue de lui lorsqu’on le photographie. Cependant, on note que cette influence de l’environnement n’est pas uniquement subie, dans la mesure où l’enfant a la possibilité d’en infléchir le sens par la voie d’un détournement : c’est le sens de l’épisode où il s’approprie le mot « taille-douce » (Kupferstich) pour en faire la figure de son propre surgissement (Kopf-verstich), sorte de deuxième naissance (« je sortais brusquement ma tête de dessous une chaise ») par laquelle il affirme son existence autonome. Le mimétisme s’avère donc bénéfique (« structurant », pourrait-on dire) pour le jeune protagoniste tant qu’il est en mesure d’assigner, au moyen des références dont il dispose, un sens aux objets et aux mots inconnus et ainsi de métaphoriser le monde pour son propre compte.

b. Le rituel photographique, négation de la mimesis créative

Les séances de photographie extrêmement codifiées de l’époque, visant à faire correspondre le plus parfaitement le sujet à un stéréotype préétabli, constituent en quelque sorte l’illustration a contrario de cet état de fait. Le fatras d’accessoires pittoresques dont l’enfant se trouve entouré dans le studio du photographe rend impossible toute identification constructive. Exposé à la sollicitation d’objets qui « réclament son image », l’enfant voit s’inverser le rapport d’innocente prédation qu’il entretient par ailleurs avec les choses. Aussi les identités factices de montagnard ou de Mexicain qui lui sont imposées (auxquelles s’ajoute l’immobilisme exigé par la prise de vue), outre qu’elles n’entraînent pour l’enfant aucune impression de métamorphose libératrice, sont-elles perçues par lui de manière extrêmement négative, comme l’indique l’allusion répétée au registre du supplice et de la torture (« l’animal sacrifié », « le sourire torturé », « chambre des tortures »). Rendu « semblable à tout ce qui est ici autour de [lui] », il se trouve ici nié, « désemparé », « défiguré », donc méconnaissable, hors de mesure de se construire.

c. Mimer n’est pas copier

Mais plus encore que de ces déguisements imposés, le caractère aliénant de la situation semble provenir, selon le narrateur, du modèle de représentation que la photographie met en œuvre, représentation censément objective, où le sujet est « semblable à lui-même », idée que Benjamin fait refuser implicitement à son jeune alter ego au profit de la revendication d’une représentation subjective, métaphorique du réel, procédant par associations libres, permettant par exemple que la recherche de la mystérieuse « commerelle » au fond de « l’étang aux nymphéas » des frères Grimm5 soit identifiée à l’action de mise au jour du singe peint sur le fond de l’assiette à soupe. De ce fait, le constat du caractère factice des accessoires du photographe (en particulier de l’exotisme de pacotille très « dix-neuvième siècle » : palmier d’appartement, bouquet de plumes d’autruche, etc.) ne donne pas lieu pour autant à un quelconque mot d’ordre d’authenticité : l’importance du détour par un « déguisement », voire même d’une sorte de dissolution momentanée du moi reste au contraire pleinement assumée. Pour Benjamin, ainsi, l’enfant doit en quelque sorte se perdre pour se trouver, certes selon des modalités qui ne sont pas celles du monde adulte et de ses clichés.

2. Régimes visuels et univers sonore

a. Ambivalence du statut de l’œil

Le caractère traumatisant des séances de photographie attire notre attention sur le rôle ambigu attribué dans ces deux textes au regard. Regard angoissé, traqué de l’enfant qui se voit littéralement cerné par les objets du photographe (« Partout où je portais mes regards, je me voyais entouré de paravents, de coussins ... »). Regard immobile, en « hors-champ », de la mère, suggérant une surveillance autoritaire et menaçante, plus attentive aux détails extérieurs (« Elle regarde [...] mon costume de velours ») qu’à l’enfant « lui-même ». Le processus de réification mis en œuvre par le regard d’autrui6 est particulièrement sensible dans l’allusion aux magazines de mode dont paraît issu le costume de l’enfant, ainsi que dans la notion même de cliché photographique, faisant littéralement du sujet un objet observable à loisir.

Par comparaison, dans « Les couleurs », on observe l’ébauche d’une hiérarchie des sens profitant à la vue. Le goût, sens considéré traditionnellement comme peu noble dans le cadre de l’appareil cognitif, est ici aussi associé à une sensualité « inférieure », demandant à être sublimée par le sens plus spirituel de la vue : c’est, « un jour », l’œil, et non plus le palais de l’enfant qui, grâce à la médiation des emballages colorés, ressent « la douceur du chocolat », « dans le cœur plus que sur la langue », et ce dépassement est présenté comme un moment essentiel et triomphal du processus de la construction du soi (« le sens supérieur avait en moi d’un coup d’aile surpassé la sensibilité inférieure7 »). L’influence de Freud paraît ici patente, à plus forte raison si on considère que dans le texte « Le garde-manger », la gourmandise est explicitement comparée au désir sexuel, qu’elle préfigure en quelque sorte chez l’enfant8.

b. Un double regard

Cependant, il semble que Benjamin, dans ces deux textes, envisage deux types de vue bien différents : d’une part, la vue en tant que mise à distance objectivante, rationnalisante et réifiante (à l’œuvre dans la séance photographique), de l’autre une vision sensuelle (enivrée par le jeu des couleurs) confuse, kaléidoscopique (à travers les vitraux polychromes du pavillon dans « Les couleurs »), hypnotique (qui se perd dans le tourbillon de neige de la boule de verre dans « La commerelle »), favorisant une sorte de transe de dépersonnalisation9. On a tout lieu de penser qu’il s’agit pour cette dernière d’une vision propre à l’enfance, ensuite perdue par l’adulte : c’est en tout cas ce que Benjamin semble suggérer en mettant en scène un contact visuel entre lui-même et son alter ego enfantin, qui va d’ailleurs permettre le glissement progressif de l’instance du « je » du moi « narré » au moi « narrant » (« le regard du visage d’enfant [...] ce regard qui me transperce »). Or le narrateur adulte assume à cet endroit un ton ostentatoirement neutre en se livrant à une sobre description ekphrastique de la photographie « au palmier », qui apparaît après-coup comme un condensé de tous les objets du XIXe siècle. Cette tentative d’appréhension visuelle « objective », où l’auteur décrit l’enfant qu’il a été comme un objet parmi d’autres, grevée par la dimension coercitive du dispositif photographique, n’aboutit pas, la stérilité de la démarche étant suggérée par l’image de la coquille vide.

c. Le pouvoir de l’ouïe

C’est alors que Benjamin opère un remarquable déplacement, ou retournement, sensoriel : la « coquille vide », portée à l’oreille, se révèle riche de sons, et il s’avère que le monde auditif est, plus que le champ visuel, à même de répondre à la tâche fixée par l’auteur de révéler l’essence de son expérience historique. On notera que de par sa nature enveloppante et immersive, le domaine du sonore présente plus d’affinités avec le second régime visuel, foisonnant et extatique, exemplifié par le Benjamin enfant. De manière tout aussi remarquable, le narrateur élimine de son expérience les sons « officiels », rappelant de façon stéréotypée les réalités politiques ou culturelles du XIXe siècle (canons de campagne, musique d’Offenbach...), pour ne conserver que les sons issus de l’intimité de sa sphère domestique (bruit du bec de gaz, cliquetis des clés...). Le message de Benjamin est ici clair, et évoque le projet d’ensemble de son livre : c’est par les plus subjectifs et personnels de ses souvenirs qu’il est question de parvenir à cerner le champ historique et culturel considéré.

3. Figuration et « défiguration »

a. La paronymie, moteur de création

De manière signifiante, le dernier son écouté par le narrateur dans la coquille vide du XIXe siècle est la chanson enfantine dont le nom du protagoniste est « défiguré » par le jeune héros d’Enfance berlinoise. Dans « La commerelle », Benjamin insiste dès le début sur le fait que le mimétisme auquel l’enfant se livre est inséparable de sa pratique du langage, et même qu’il trouve dans celui-ci son expression la plus aboutie (« cette contrainte, c’étaient les mots qui l’exerçaient sur moi »), grâce aux méprises et déformations verbales que l’enfant plaque sur le réel mais qui, néanmoins, lui permettent d’accéder au sens intime des choses : « Mes méprises défiguraient mon univers ; mais de manière bénéfique : elle me montraient les voies qui conduisaient à sa nature intime ». Les « méprises » de l’enfant préfigurent ainsi la pratique littéraire du narrateur adulte : la grande attention apportée aux sonorités de la langue et aux associations qu’elles permettent est en effet assumée par le narrateur lui-même dans son effort de démêler la vérité au cœur de son expérience intime. Ainsi, c’est bien la création verbale « commerelle » (Mummerehlen, combinaison de « Muhme [terme vieilli pour « tante »] et du patronyme « Rehlen ») qui donne lieu au développement sur la propension à se « dissimuler dans les mots » (in die Worte [...] mich zu mummen)10 et à être « déguisé » (vermummt) par les couleurs, de manière analogue à la façon qu’a l’enfant de supposer tout naturellement que la mystérieuse « Mummerehlen » a son logis au fond de l’insondable « Mummelsee » décrit par les frères Grimm11.

b. Un art du détournement

Il y a donc lieu de parler dans ces textes d’une logique de la défiguration, suggérant que la vérité ne serait accessible que par le biais d’une déformation (et plus largement d’une utilisation subjective) de la réalité apparente, dans « La commerelle » en particulier de l’enveloppe sonore des mots. Mais si « défigurer » est le terme choisi par la traduction de Lacoste pour rendre le terme « verstellen », puis dans la suite du texte – à quatre reprises – le verbe « entstellen », il faut garder à l’esprit que ces termes possèdent en allemand d’autres significations en raison du sens concrètement spatial de la racine « stellen » (poser). « Verstellen » signifie « contrefaire », mais aussi « obstruer », « barrer », ce qui met en évidence l’ambivalence dialectique des méprises verbales de l’enfant, qui lui obstruent l’univers aussi bien qu’elles lui montrent les voies menant à la nature intime des choses. Lorsque Benjamin emploie l’adjectif « entstellt » dans l’expression rendue par « tout l’univers défiguré de l’enfance », il évoque naturellement aussi bien l’éloignement temporel et spatial12 de cet univers que son altération. Une cinquième occurrence du verbe « entstellen », qui n’a pu être rendue par « défigurer », a d’ailleurs lieu lorsque l’enfant, en peignant, se trouve littéralement transporté, déplacé13 « dans le tableau » (ins Bild entstellt). Il est donc plus précisément question ici d’une esthétique du déplacement, ou du transport, opérant de l’échelle du mot à celle du régime sensoriel tout entier, sans excepter de son action l’artiste lui-même.

c. Création et dépersonnalisation

L’enfant décrit pendant ses séances d’aquarelle apparaît dès lors comme une sorte de « portrait de l’écrivain en jeune peintre ». C’est dans le libre jeu avec les couleurs que le mimétisme atteint chez lui son potentiel maximal d’efficacité (et de jouissance sensorielle) : l’enfant « se perd » dans les couleurs, qui le « déguisent » (vermummen) lui-même. Le mimétisme, qui ne passe plus par des objets, mais s’effectue pour ainsi dire sans référent, à partir des couleurs avant même le motif, prend l’allure d’une pure extase, qui n’est pas sans évoquer la transe mystique et, sur un autre versant des préoccupations de Benjamin, l’expérience psychédélique. Or on constate que cette dissolution momentanée du moi est directement mise en lien avec la pratique du langage, comme en témoigne la phrase déjà citée selon laquelle le mimétisme est chez le jeune protagoniste primordialement déclenché par les mots. Par ailleurs, Benjamin dit au début de « La commerelle » que les mots sont « en réalité des nuages », fait qu’il est impossible de ne pas mettre en relation avec l’association ultérieure, à plusieurs reprises, des transes visuelles de l’enfant à l’image du nuage (« comme un nuage au cœur des choses », « nuages en déliquescence », « un nuage de couleurs » ; et, dans « Les couleurs », le passage « les choses m’ouvraient leur giron dès que je m’en emparais dans un nuage humide »). Par ce jeu de correspondances, l’auteur nous invite à considérer sa propre pratique littéraire selon les modalités créatrices de l’enfant qu’il a été14. Ce faisant, il se sert de la comparaison classique de la littérature au paradigme des arts plastiques pour la subvertir, en considérant ceux-ci non selon leur caractère descriptif (pris désormais en charge par la photographie), mais par une approche propre au matériau artistique, rappelant par bien des aspects celle de l’abstraction picturale. De même que la « reproduction » des porcelaines de Chine par le petit peintre n’a pas tant pour but leur imitation que sa propre transfiguration, l’objectif de la composition éminemment « picturale », en vignettes ou miniatures, d’Enfance berlinoise, n’en est pas moins, au-delà du réalisme ponctuel de la description et de son caractère autobiographique et anecdotique, de recréer un univers cohérent de sensations dépassant le plan de l’individu.

Conclusion

Benjamin se livre ainsi dans ces deux textes à l’évocation parallèle d’un souvenir d’enfance et de sa propre pratique littéraire, dont il suggère les modalités d’imitation, de sublimation, de dépersonnalisation. L’enfant s’aidant pour se définir des objets qui éveillent en lui un écho, sans craindre de se « perdre » au cours du processus, brosse le programme esthétique de Benjamin, qui propose bien avec Enfance berlinoise sa propre version de la « mort de l’auteur » symptomatique de la modernité, comme l’explicite le remarquable passage final de « La commerelle ». Celui-ci présente en effet une ekphrasis (celle du « dernier tableau » du peintre chinois) appelant une comparaison avec la description de la photographie au palmier, dont elle apparaît comme le pendant et le contrepoint positif : ici encore, le sujet principal en est l’artiste lui-même, mais non pas (comme sur la photographie) un double contrefait (défiguré au mauvais sens du terme), mais le peintre en personne qui, s’engouffrant dans son propre tableau, y a disparu. Cette fois-ci, l’image (et le type de « défiguration » mis en œuvre) correspond à la pratique créatrice de l’enfant et plus largement au projet esthétique d’Enfance berlinoise15, qui implique un délicat exercice d’équilibre entre traitement objectif et expérience subjective, refusant aussi bien le parti d’une objectivité « historienne » ou « photographique » que celui de l’épanchement individuel, « rousseauiste » de la littérature confessionnelle16.

Notes de bas de page numériques

1  Les éditions utilisées pour ce commentaire sont : Walter Benjamin, Sens unique précédé de Enfance berlinoise et suivi de Paysages urbains, traduction Jean Lacoste, nouvelle édition revue, Paris, Maurice Nadeau, 2007 et Walter Benjamin, Berliner Kindheit um Neunzehnhundert, in Gesammelte Schriften, vol. IV, éd. par Tillman Rexroth, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp Verlag, 1991.

2  Benjamin a consacré par ailleurs en 1933 au mimétisme deux courts essais, « Théorie de la ressemblance » et « Sur le pouvoir d’imitation ».

3  Cinq occurrences dans « La commerelle », une (traduite par « de même ») dans « Les couleurs »).

4  On peut noter que la traduction « la vieille compulsion à devenir semblable aux autres et à se conduire comme eux » est proche du faux sens : l’allemand se contente en effet de dire, littéralement « à devenir et à se comporter de façon ressemblante » (ähnlich zu werden und sich zu verhalten), sans invoquer de dimension sociale.

5  Notons que la traduction « l’étang aux nymphéas » (pour « Mummelsee ») ne correspond pas au récit des frères Grimm, qui parlent d’un lac de montagne magique et insondable au cœur de la forêt noire, peuplé de nains aquatiques (Wassermännlein).

6  Sur ce thème, voir en particulier aussi « Le petit bossu ».

7  Ceci n’empêchant d’ailleurs pas une certaine ironie de s’exprimer dans le ton emphatique du passage...

8  Dans cet ordre d’idées, il n’est pas innocent que le petit Walter associe un acte gustatif (l’ingestion de la soupe) à la recherche de la « commerelle ». On peut avancer que le « mystère » souvent évoqué dans Enfance berlinoise est toujours aussi celui de la sexualité, que le jeune enfant pressent confusément, par d’autres types de volupté.

9  Transe qu’à son tour on pourrait aisément rapprocher d’une préfiguration de l’extase sexuelle.

10  On notera qu’un autre sens de « mummen » est « déguiser » (c’est d’ailleurs la traduction choisie plus tard par Jean Lacoste dans la phrase « Avant même que je ne les [les couleurs] appliquasse sur le dessin elle me déguisaient moi-même ». Dans l’anecdote relative aux tailles-douces, on note que c’est bien littéralement en mot que l’enfant se déguise.

11  On peut aussi se demander si Benjamin aurait employé l’image du coquillage (Muschel) si « Hörmuschel » (littéralement : coquille à écouter) n’était pas le nom de l’écouteur des anciens téléphones. Sur l’importance du téléphone dans le recueil, voir bien sûr en particulier le texte « Le téléphone ».

12  N’oublions pas que Benjamin écrit les textes de ce livre en situation d’exil.

13  La traduction de Jean Lacoste donne « perdu dans le tableau ».

14  On notera qu’un registre d’images identique met, dans le texte « Romans d’aventure », en rapport le nuage orageux et fertile, le texte et les couleurs.

15  Dont on peut rappeler qu’il s’est précisé au fil des différentes versions du texte, du projet abandonné d’une Chronique berlinoise aux versions successives d’Enfance berlinoise.

16  On peut utilement rapprocher ce projet d’une célèbre citation de la Chronique berlinoise : « Si j’écris un meilleur allemand que la plupart des écrivains de ma génération, je le dois en grande partie à une seule petite règle que j’observe depuis vingt ans. C’est la suivante : ne jamais utiliser le mot “je” sauf dans les lettres. » (Écrits autobiographiques, traduit de l’allemand par Christophe Jouanlanne et Jean-François Poirier, Paris, Christian Bourgois Éditeur, coll. « Détroits », 1990, p. 260).

Pour citer cet article

Hugo Hengl, « Enfance et mimesis. Commentaire composé du groupement de textes « La commerelle » / « Les couleurs » », paru dans Loxias, Loxias 39., mis en ligne le 20 avril 2013, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=7391.

Auteurs

Hugo Hengl

Hugo Hengl est traducteur (notamment de Jakob M. R. Lenz, Ernst Meister, Friederike Mayröcker, Rose Ausländer, Oskar Pastior, Anja Utler) et enseignant d’allemand et d’anglais (PRAG) à l’IUT de Clermont-Ferrand 1. Docteur en littérature comparée à l’Université de Nice, il est depuis 2013 membre associé du CTEL. Axes de recherche : mouvements littéraires germaniques du XVIIIe siècle, théories du romantisme et modernisme littéraire européen.