Loxias | Loxias 37. Arts et Littératures des Mascareignes | I. Arts et littératures des Mascareignes 

Jean Claude Abada Medjo  : 

Poétique de la ville dans l’œuvre d’Ananda Devi

Résumé

Cet essai s’intéresse à la mise en écriture du phénomène urbain dans l’œuvre d’Ananda Devi. Prenant en compte les jeux de langages hétéromorphes à l’œuvre dans certains de ses récits, il montre, à la lumière des présupposés théoriques et méthodologiques de la sémiologie urbaine de Roland Barthes (1985), que la ville métaphorise les mutations sociopolitiques, économiques et culturelles, ainsi que les dynamiques identitaires propres à la complexité des sociétés contemporaines. En tant que l’un des phénomènes les plus puissants des sociétés postmodernes, la ville déroule et tisse à l’infini les motifs de l’errance, de l’exclusion, de la pauvreté et de la mort, qui sont autant de réalités du vécu insulaire ou subcontinental contemporain qu’une certaine littérature exotisante a souvent tenté d’ignorer.

Index

Mots-clés : Devi (Ananda) , insularité, littérature francophone, océan Indien, rupture, ville

Géographique : Mascareignes , Océan indien

Chronologique : Période contemporaine

Plan

Texte intégral

1La ville serait-elle le parent pauvre de la critique littéraire consacrée à l’espace indocéan ? Cette question mérite au moins d’être posée au regard de la rareté des travaux spécifiquement consacrés à l’imaginaire urbain des îles de l’océan Indien. Il y a, en réalité, un paradoxe : autant l’espace-temps insulaire est reconnu dans sa complexité et son hétérogénéité, autant l’insularité est presque toujours saisie dans sa globalité. Il faut aller contre cet holisme qui, s’il offre le confort d’une approche de « large ceinture », comme dirait Lanson parlant d’autre chose, ne met pas suffisamment en évidence la singularité, l’étrangeté voire l’étrangèreté ? de lieux et d’espaces qui abritent des jeux de langages hétéromorphes rendant compte des dynamiques socio-économiques, politiques et identitaires des îles. Il reste pourtant qu’un seul article comme celui-ci, qui doit s’insérer dans un espace précisé, ne saurait combler à lui seul ce déficit. L’un des objectifs de cette contribution est d’attirer l’attention de la critique sur la poétique urbaine qui se déploie dans la littérature narrative des auteurs de l’archipel des Mascareignes, et notamment celle d’Ananda Devi. Quelles en sont les spécificités ? Par quelles voies rejoint-elle la problématique générale des écritures des villes telle qu’on la connaît aujourd’hui ? En s’appuyant sur quelques textes de Devi, une des figures les plus représentatives de la francophonie littéraire indocéane, il s’agit de montrer que l’espace-temps urbain est un paradigme pertinent à partir duquel peuvent s’appréhender les mutations des sociétés insulaires contemporaines. L’œuvre de Devi s’est, dès ses débuts, imposée au grand public, gagnant même quelques prestigieux prix dans l’Hexagone. Dans le champ littéraire mauricien, elle est une référence. Mais si la critique a suffisamment souligné son obstination à peindre une féminité recluse et maltraitée, il reste à mettre l’accent sur la détermination de l’espace-temps urbain dans la structuration de ce destin qui n’épargne pas d’ailleurs tous les autres personnages. Il y a là un argument engageant pour revisiter l’œuvre de cette romancière. Sans en être la topique centrale, la ville constitue un motif signifiant dans les récits de Devi. Sa poétique de l’urbanité se déploie à contre-courant des clichés qui associent ordinairement les îles à un imaginaire utopique, où tout ne serait que Sea, Sun, Sand and Sex. Vicram Ramharai1 souligne cette rupture qu’opère Devi dès son premier roman, Rue La Poudrière2, par rapport à ses devanciers et à un certain exotisme quant à la figuration de la ville insulaire. L’auteure dévoile des aspects repoussants de Port-Louis, la capitale politique et économique de l’île Maurice : misère, insalubrité, promiscuité, prostitution, dissolution de l’individu, mort, etc. Ces réalités souvent passées sous silence ou édulcorées par les écrivains, et que les dépliants touristiques, comme du reste partout, ignorent soigneusement, sont révélées sous une plume qui souscrit à une « écriture de la socialité3 » ; car il s’agit, au moins, de « dire » l’île de l’intérieur, et de l’affranchir des prédations imaginaires qui la menacent. Les analyses ici concernent la ville insulaire mauricienne ; mais elles pourraient toutefois déborder sur la ville indienne, en raison de la proximité des imaginaires du sous-continent et de Maurice. L’œuvre de Devi est d’ailleurs abondamment nourrie de l’indianité, de sorte qu’il n’est pas pertinent d’aborder le phénomène urbain dans son œuvre en en omettant les développements indiens.

2En suivant au mieux l’ornière de la sémiologie urbaine de Roland Barthes4, qui pense que la ville est dotée d’un potentiel communicatif décryptable pour celui qui sait l’approcher, cette étude prétend que chez Devi, la ville est un espace-temps du désenchantement et de la souffrance, vérifiant ainsi l’hypothèse de Jeanne Bourin5, pour qui la ville moderne est un cadre agressif pour l’homme. On empruntera à la plateforme théorique du sociologue Yankel Fijalkov, qui considère la ville comme une forme sociale où « la répartition des activités et des lieux de pouvoir, les séparations entre les espaces résidentiels et économiques, les formes d’habitation et de peuplement sont l’expression de la société, de ses normes, valeurs, habitudes6 ». La démarche critique ici est donc forcément interdisciplinaire : elle convoque des éléments de la géo-poétique (transcription poétique des espaces humains, sorte de creative writing du territoire), de la géocritique7, de la géographie, de l’histoire, de l’architecture, de la sociocritique et de la sémiotique. Cette attitude est dictée par le conseil de Barthes, qui avertissait : « Celui qui voudrait esquisser une sémiotique de la cité devrait être à la fois sémiologue (spécialiste en signes), géographe, historien urbaniste, architecte et probablement psychanalyste8 ». On ne prétendra pas à une telle érudition. L’essai considère la ville dans les textes de Devi comme une « sémiosphère », d’après les présomptions de Youri Lotman, un laboratoire sémiotique. La sémiotique, dit Umberto Eco, « peut être considérée comme la science qui travaille tous les phénomènes culturels comme s’ils étaient des systèmes de signes9 ». La ville étant de ces « phénomènes culturels », les objets, les configurations géographiques ainsi que les constellations thématiques qui lui sont associés constituent des signes susceptibles d’être interprétés dans les textes de Devi. Qu’il s’agisse des images géographiques et urbaines globales (cartographie, aménagement), des images bidimensionnelles (peintures murales, graffitis, panneaux publicitaires), tridimensionnelles (monuments, bâtiments, sculptures) ou mentales de Port-Louis, ville-personnage dans Rue La Poudrière, espace-temps d’une modernité impétueuse et irrespectueuse des harmonies passées évoquées avec nostalgie dans Le Voile de Draupadi10, Moi, l’interdite11 et Ève de ses décombres12,de Port-Mathurin, le pendant urbain de Soupir, un lieu-dit maudit de l’île Rodrigues, dans le roman éponyme13, ou de New Delhi, métaphore vivante du sous-continent indien, dans Indian tango14,la fiction de Devi figure l’urbanité insulaire ou subcontinentale comme un paradigme signifiant. Il s’agit d’approcher cette signifiance.

Un espace-temps de la déchéance

3Avec ses « symétries », ses « oppositions de lieux », sa « syntaxe » et ses différents paradigmes architecturaux, affirme Barthes15, la ville se laisse saisir par la conscience qui la perçoit comme un espace-temps signifiant. Mais qu’elle soit perçue dans sa dimension égologique, écologique, sociologique, politique, économique, anthropologique ou phénoménologique, la ville est globalement chez Devi un objet chronotopologique hautement dysphorique. Si la ville constitue, en effet, un « discours », un « langage » signifiant pour les personnages qui l’habitent, la parcourent et la regardent, elle s’appréhende comme un espace-temps hostile, voire inhumain, qui égrène à profusion les motifs de l’enfermement, de la rupture et de l’anéantissement. Ce pouvoir d’anéantissement s’exerce principalement sur les personnages féminins. Comme Paule, dans Rue La Poudrière, ou Ève et Savita, dans Ève de ses décombres, les personnages féminins de Devi entrent souvent dans l’espace-temps urbain comme on entre en enfer : pour y souffrir, et se laisser écraser dans l’indifférence totale. Ici, la ville se présente comme un « piège », un espace-temps sans horizon qui anesthésie la volonté des personnages. Il y a là une intention poétique que Vicram Ramharai a bien perçue :

Le choix de Port-Louis comme cadre romanesque permet à Ananda Devi d’évoquer un espace qui fonctionne comme un piège. Pour Paule les chemins de Port-Louis ne conduisent que vers sa déchéance et vers sa chute. Le lecteur a une vision de la ville où règne la misère, où les habitants n’ont aucune perspective d’avenir ni d’amélioration de leur condition. Ils sont emmurés dans un espace qui a annihilé chez eux toute velléité de révolte, les transformant ainsi en victimes consentantes […] Loin d’être un paradis artificiel, Port-Louis est plutôt ressenti comme la capitale de douleur16.

4Dans Rue La Poudrière,Port-Louis fonctionne comme un ensemble spatio-temporel où se détachent trois micro-chronotopes de la déchéance à l’intérieur desquels se meut l’héroïne. D’abord les Dockers’ Flats, cadre familial, spatio-temporalité de la promiscuité et de l’insalubrité ; ensuite la Butte, lieu-temps faussement enjoué, où la musique de la mandoline de Freddy, de la ravane de Paulo, de la boîte de conserve de Lolo et de la caisse vide de Jérémie déchaîne l’ardeur des femmes et leur donne une raison de vivre, alors qu’il s’agit en réalité d’un espace-temps transitoire, de l’épuisement ; et, enfin, la Rue La Poudrière, étape finale de la descente aux enfers, où le piège de la prostitution se referme sur Paule. C’est à la Rue La Poudrière, en effet, qu’elle découvre l’horreur de la prostitution à laquelle elle est assujettie par Mallacre, le gourou du proxénétisme portlouisien, avant de s’éteindre, elle aussi, comme toutes les filles rabotées par l’esclavage sexuel. Trois stations, pourrait-on dire pour employer une métaphore chrétienne, de la Passion de l’héroïne.

5Il en est de Port-Louis comme de Port Mathurin, dans le roman Soupir. Principale ville de l’île Rodrigues, où les filles sont condamnées à se dépraver auprès de touristes occidentaux pour survivre, Port Mathurin est, à l’image de Port-Louis, un lieu où se consume l’être. C’est un espace-temps qui abrite des « lieux de pluie, lieux de sècheresse, lieux de maladies, lieux de mort17 », et où des filles sulfureuses, dérisoires et provisoires ont des « rires sonores », des « regards allumés de convoitise » et des « gestes de la vie qui se méprise18 ». Lili, Yvette et Marie-Thérèse n’intéressent les touristes à la magnanimité condescendante que pour leurs « jambes brunes, dodues, fermes » et leurs « chairs qu’on respire de loin, qui remplissent l’air d’une fureur sexuelle19 », même si depuis quelque temps elles s’éveillent également à la conscience de l’argent, grâce aux conseils avisés de Corinne, leur mentor. On reconnaît ici le destin de Paule, sexuellement abusée et exploitée par son père, étranglée dans l’étau du puissant Mallacre, dont le nom métaphorise parfaitement la vénalité, puisqu’il peut se décomposer en « mal » et « âcre ». C’est le sort de toutes les filles qui garnissent le « harem » et constituent le capital de commerce de ce dernier : Marielle, Solange, Emeline, Anita, Sheela, à qui il ne reste plus que l’impasse de l’alcool, avant de fondre dans la nuit ou de « sombrer dans un jour » qui, lui-même, « se désagrège par lambeaux comme un corps pestiféré », pendant que « le soleil se désintègre doucement20 ». Arrivée à Port-Louis, Paule peut mesurer l’ampleur de la fracture dont sont victimes les filles ici, et qu’elle connaîtra elle-même :

Les filles, toutes ces filles de Port-Louis. Filles des îles, filles mixtes, filles indéfinies. Toutes sans but et sans enfance. J’ai essayé de leur demander, de les interroger – votre père ? votre mère ? Mais elles détournent les yeux, leurs cheveux sales abritent leur regard, leur bouche devient amère. Elles ne veulent pas répondre. Elles n’ont pas de passé. Elles vivent pour le présent. Elles n’ont pas de futur21.

6La grande énigme reste donc celle d’une mémoire hachurée et estompée : l’impossibilité de nommer ce dont on fait partie. La vacance d’une filiation et d’une mythologie des origines troue le Moi d’une béance inqualifiable et irremplissable qui rend problématique le sens de l’être. Les lumières de Port-Louis sont un mirage pour ces filles brisées au plus profond de leur être, en complète rupture avec elles-mêmes et avec tout leur passé. Ayant rompu toute amarre au noyau familial, elles sont des embarcations ivres, livrées au gré des flots d’une vie aventureuse, dangereuse. Ce qui tient encore lieu de vie pour ces personnages pris au piège de la ville ne l’est que par procuration. Que reste-t-il d’humain, en effet, à toutes ces filles qui, comme Paule, ont fait don de leur être, corps et âme, au perfide « dieu-Mallacre22 » ? Si, ailleurs, le don de soi et la désappartenance du Sujet postmoderne reçoivent une interprétation positive, ils sont, ici, les signes évidents d’une désespérance généralisée qui caractérise le vécu féminin. C’est qu’à Port-Louis ou à Port Mathurin, la misère et la précarité rabotent l’individu jusqu’à sa dilution complète23.

7L’espace-temps urbain que représente Devi affecte au plus haut point la psychologie des personnages qui le ressentent comme une chape de plomb sous laquelle il ne leur reste aucun espoir de survie. Le désespoir a pris de telles proportions dans leur esprit qu’il n’est plus de futur possible. Seule reste l’impasse d’un « présent liquide24 », vide de tout sens, qui expose à toutes sortes de peurs et d’obsessions. La ville devenant un lieu de concentration de la pauvreté, l’anéantissement des personnages est inscrit dans le temps :

C’est comme le frémissement nerveux du temps, qui a aussi envie d’en finir. Des jours mous de tiédeur, des jours sucrés, des jours de pollen, des jours de pollution, des pluies comme des gouttes d’ombres noyant les âmes. Hivers pâles, plats comme le dos de la main. Étés explorant les corps de leurs doigts brûlants. Cyclones et sécheresses se succédant en accéléré25.

8Cette temporalité qui alterne « en accéléré » le froid des « hivers pâles », la chaleur des « étés brûlants » et l’impétuosité des « cyclones » est chargée des signes de la mort. Devi décrit la ville insulaire comme un espace-temps de l’épuisement, de l’étouffement, de la dislocation mentale et de la disparition physique des personnages.

9Même dans un roman comme Le Voile de Draupadi, où la ville de Port-Louis est évoquée dans un récit analeptique, la narratrice y recherche désespérément, au lieu-dit les Salines, un « endroit rescapé des bouleversements industriels de Port-Louis, des points de repères, des points disséminés un peu partout, de ce « Nous » quadruple qui n’existe plus26 ». Espace-temps de la perte, de la dégradation et de l’absence, Port-Louis a perdu pour Anjali, du fait d’un urbanisme inquiétant, toutes les traces de l’harmonie familiale de son enfance. Tous les indices du passé euphorique, qui contraste avec les tourments de son espace conjugal présent, ont été balayés par la poussée du modernisme. De ce fait, la ville insulaire rejoint le destin de toutes les villes modernes :

Dans les cités modernes, tout est élevé à la gloire de l’homme, pour satisfaire son confort, ses humeurs, son plaisir, ses besoins ou ses modes. Mais toutes ces créations se retournent contre lui. La quantité de gens rassemblés empêche chacun d’en tirer parti. La vie devient une course effrénée et sans merci. Tout y est contraint, même ce qui reste de la nature27.

10Chez Devi, l’industrialisation anarchique devient souvent l’un des principaux moteurs de la discrimination et de l’ostracisme dans la ville insulaire ou subcontinentale.

Un espace-temps compartimenté et ségrégatif

11La ville de New Delhi esthétisée dans le roman Indian tango se caractérise d’emblée par une immensité tumultueuse cependant soigneusement délimitée en quartiers riches et pauvres. Cette urbanité s’érige comme le paradigme du pouvoir d’un ordre nouveau. De fait, elle est tout à la fois symbole et archétype des inégalités économiques, politiques et culturelles qui s’observent entre les différentes couches sociales indiennes. Comme à Port-Louis, à Maurice, les quartiers riches de New Delhi, en Inde, caractérisés par une architecture exceptionnellement géométrisée, sont réservés aux nantis, à des castes « supérieures », alors que les bidonvilles au profil architectural improbable sont le lot des défavorisés issus des castes « inférieures ».

12Du fait d’une croissance accélérée et non contrôlée, la ville dans le sous-continent indien a pris assez rapidement des formes extrêmement variées : extension anarchique, fractionnement de l’espace urbain, etc. Cette anarchie urbanistique signale certainement l’absence d’une pensée de la ville en termes d’urbanisme. Les contradictions socioéconomiques relatives à ce désordre se projettent avec violence sur l’espace social urbain, dont les distorsions structurelles font monter en épingle des « dichotomies tragiques28 ». L’organisation spatiale de la ville, ici, est anti-intégrative, ségrégative : elle regroupe et isole en même temps les uns des autres29. Raymond Ledrut pensait justement que « la ségrégation urbaine dans laquelle chaque groupe doit, selon une certaine conception de l’ordre, "rester à sa place" met en question l’unité même de la communauté30 ». L’organisation discriminatoire de l’espace social urbain met en échec les tentatives d’intégration interraciale ou intercommunautaire. Aucun brassage n’est envisageable entre les différents groupes sociaux qui, dans un tel contexte, coexistent sans s’interféconder. Illustrations parfaite de cette situation, les villes de Port-Louis et New Delhi sont loin de réaliser le projet intégratif qu’on est en droit d’attendre de tels cadres de socialité, puisqu’elles se constituent, dans leur prolifération exubérante, comme des espace-temps fortement polarisés, avec, souvent, un centre opulent et une périphérie engluée dans le misérabilisme. Dans son architectonique, la ville de Port-Louis dessine les contours d’une ségrégation urbaine qui fait de Troumaron une zone de « périurbanisation », une « banlieue-ghetto31 », une zone de relégation vouée à la précarité, et recueillant les rebus du corps social. La description faussement avantageuse qu’en donneÈve, le personnage éponyme du roman Ève de ses décombres, est illustrative de ce propos :

Ce quartier était un marécage au pied de la montagne. On l’a comblé pour construire ces blocs, mais ils n’ont pas comblé l’odeur de goémon ni l’incertitude du sol où ne poussent que des cadavres de ronces et des rêves. Déjà certains immeubles se penchent. Bientôt, on aura notre tour de Pise à nous. La huitième merveille du monde : le quartier Troumaron32.

13Effet d’une modernisation discriminante, la polarisation du milieu urbain a des conséquences graves33. La division entre centre et périphérie, plus généralement associée à la division internationale des plus riches et des plus pauvres (Nord/Sud)34, est désormais au cœur des sociétés nationales. La banlieue se transforme en un lieu-territoire où se donne à voir une tension permanente entre le centre et la périphérie, et où la différenciation spatiale recouvre une différenciation sociale, voire raciale :

Notre cité, rapporte Sad, est notre royaume. Notre cité dans la cité, notre ville dans la ville. Port Louis a changé de figure, il lui est poussé des dents longues et des immeubles plus hauts que ses montagnes. Mais notre quartier, lui, n’a pas changé. C’est le dernier retranchement. Ici, on se construit une identité par défaut : celle des non-appartenants. On nous appelle bann Troumaron – les Troumaron –, comme s’il s’agissait d’une nouvelle communauté dans cette île qui en a déjà tellement. Peut-être effectivement le sommes-nous35.

14Les pauvres, les exclus, les « non-appartenants » sont désormais repérables dans des portions du territoire urbain insulaire – sans pour autant y être systématiquement concentrés –, et identifiables à des groupes sociaux stigmatisés – « les Troumaron36 ». La mise en scène de Sujets marginalisés par les Autres se fait ici selon la modalité de l’« autoprésentation réfractée » suggérée par Michel Metzeltin37. En tout cas, les habitants de ces espaces de la relégation migrent vers le centre urbain qui abrite les potentialités d’une vie meilleure.

15Dans les récits de Devi, l’espace-temps urbain insulaire ou subcontinental est présenté comme le théâtre de la violence. Dans la ville polarisée, en effet, les habitants des ghettos hétérogènes s’expriment le plus souvent sur le mode de la rage. La violence est portée par des jeunes qui manifestent leur colère par des poussées destructrices tels que des assassinats, des mises à sac de symboles du système social dont ils sont exclus, des conduites à risques et autres addictions : l’alcoolisme, la toxicomanie ou encore la prostitution38. Dans ce sens, la violence des exclus peut relever du nihilisme. C’est sous cet angle qu’on peut comprendre la brutalité de Clélio et sa bande, qui se livrent à des excès nocturnes dans les rues et les établissements malfamés de Port-Louis dans Ève de ses décombres39. La configuration essentiellement carcérale de cet espace-temps est productrice de violence et génératrice de poussées thanathologiques40. On retrouve d’ailleurs dans ce roman tous les stéréotypes de la population urbaine exclue qu’énumère Joëlle Bordet41 : jeunes violents (comme Clélio et sa bande), fille soumise et sexuellement abusée (comme Ève), et famille démissionnaire (comme celles de Troumaron). Sans repères véritables, sans héritage patrimonial, et vivant d’expédients, les jeunes de la banlieue-ghetto de Troumaron exemplifient la tragédie d’une jeunesse urbaine en déshérence, sans avenir et perdue dans un espace-temps qui, comme New Delhi, se déploie en des mensurations inquiétantes.

Un espace-temps agressif et aux « certitudes diluées »

16L’unique discours, le seul langage de la ville dans la fiction de Devi semble être celui de l’agressivité et de la pauvreté, où se perçoit l’extrême fragilité de la vie au milieu d’une prolifération spontanée et absurde. Dès les premiers mots du récit de la nouvelle « Inde », la ville de Delhi est présentée dans toute la flagrance de ses contrastes : « New Delhi choque par l’odorat, déséquilibre par la vue et séduit par ses poches de silence42 ». Il est évident que l’entrée dans cette ville sollicite les sens pour les mettre à rude épreuve, suivant la logique de la douche froide : « C’est le principe de la douche écossaise : la plongée dans le bruit, le brun uniforme qu’applique la pollution sur toute chose, l’assaut du mazout dans les narines inhabituées…43 » L’ébranlement sensoriel que provoque l’entrée dans New Delhi entraîne une disjonction automatique entre cet espace-temps et les personnages. On peut même soutenir que la sensibilité de l’auteur autant que celle du lecteur ne sont guère épargnées par l’agressivité de cette ville. Le même constat est valable pour le roman Indian tango, qui peut se lire comme le développement de la nouvelle évoquée ci-haut. Dès l’incipit, Subhadra se trouve en relation de disjonction avec la ville infinie :

Or donc, après l’agenouillement, elle se retrouve, marchant sans s’étouffer dans le nuage qui baigne la ville et qui donne, en se répandant, une fausse douceur d’ambre et une apparence tiède aux choses […]. Une part d’elle s’est détachée et refuse de renouer avec la réalité, même si ses yeux notent avec distance l’état de déréliction avancée des choses44.

17Avec ses contradictions, Delhi met en exergue deux niveaux de rupture chez le personnage : la disjonction d’avec son environnement, et une fissure plus intime qui menace son équilibre psychologique, le conduisant à une sorte de déconnection avec la réalité. En fait, le personnage se déploie dans un cadre phénoménologique factice, superficiel, artificiel et empoisonné par une pollution de plus en plus dangereuse, en raison d’une industrialisation anarchique. L’individu y expérimente la déréliction, malgré le fatras d’objets, de choses et l’agitation des foules. La ville s’impose aux sens et à la conscience des protagonistes comme un monde désordonné, encombré, avec son tohu-bohu de klaxons, ses pétarades de moteurs, ses battements de pneus, et une agitation frénétique qui en font un univers malsain et dangereux :

Les autobus et les camions éructent une fumée qui s’arrime à tout ce qu’elle touche avec une moiteur animale. Les mobylettes et les motocyclettes encombrent la rue et le trottoir et s’engouffrent, suicidaires, dans le moindre espace libre. Elles zèbrent l’espace de leur mort sans cesse annoncée […]45.

18La saturation de l’espace urbain empêche une circulation libre, étouffe l’individu, et exacerbe sa dépersonnalisation.

Les choses tourbillonnent dans ma tête, dit Clélio. Port Louis vole quelque chose en moi. Trop de gens, trop de voitures, trop de buildings, trop de verre fumé, trop de nouveaux riches, trop de poussière, trop de chaleur, trop de chiens errants, trop de rats. Je ne sais pas où aller. Je poursuis ma course circulaire. Je me mords la queue46.

19Les rues sont si embarrassées de « camionsbustaxis qui éternuent leur fumée poussiéreuse et acide47 » que la promenade devient un véritable « parcours d’obstacles48 ». En fait, New Delhi est, à l’image de l’Inde contemporaine, un espace-temps qui n’échappe ni à la prolifération incontrôlée ni au fractionnement de l’espace, et encore moins à la violence, à la surpopulation et au misérabilisme propres aux villes d’un tiers-monde pris dans le tourbillon de la mondialisation49. Pour s’en rendre compte, il suffit d’épouser l’angle d’occularisation de la narratrice d’Indian tango :

La ville tentaculaire et téméraire s’ouvre sur d’autres villes cachées, sur des mondes souterrains que l’on peut côtoyer chaque jour sans jamais les reconnaître. Des strates isolées les unes des autres, chacune avec ses codes et son langage50.

20L’un des aspects les plus saisissants des métropoles tiers-mondistes actuelles est, en effet, ce gigantisme déraisonnable. Cette démesure spatiale possède en elle-même quelque chose d’hallucinant et recèle des virtualités de la violence et de la mort. La ville de Delhi, comme du reste nombre de villes indiennes contemporaines (Bombay ou Mumbai, Agra, Goa, Calcutta, etc.)51, ne semble répondre à aucune géométrie explicite de l’espace52. La ville subcontinentale indienne que poétise la fiction de Devi semble se (dé)multiplier, en offrant les mensurations d’un réel visiblement détraqué. Il s’y forme des îlots plus ou moins autonomes, véritables nids de pauvreté et de violence : ce sont des « slums », quartiers très dangereux et saturés, dont le bidonville T… est un exemple dans le roman53. Ce mot anglais signifie au départ un endroit pauvre et malfamé. C’est à Londres, au XIXe siècle, qu’il a pris le sens actuel pour désigner les taudis proches des usines où s’entassent les ouvriers. En fait, il s’agit de zones d’habitat précaires, où pauvreté rime si bien avec insécurité. Dans certains pays d’Amérique latine, on parle de « favelas » (Brésil), « barriadas » (Pérou), « conventillos » (Équateur), « barracas » (Mexique). Ici ou là, il s’agit de véritables « ciudades esperdidas54 », les villes perdues. Le foisonnement de cet habitat sommaire est souvent la conséquence du phénomène de périurbanisation qui multiplie des ghettos à l’intérieur des ghettos, et réduplique les périphéries des périphéries en de boursouflures gigantesques.

21Aux États-Unis, Mike Davis a étudié ce phénomène qu’il appelle la « losangélisation » ou « urban sprawl » à l’américaine55. L’extension infinie et illimitée d’entités post-urbaines en strates isolées les unes des autres invente des stratégies de contrôle spatial donnant lieu à la privatisation des territoires urbains. Davis montrera plus tard une autre forme d’illimitation et de démesure de l’espace-temps urbain, celle des bidonvilles et des zones de logements tentaculaires se multipliant moins à la périphérie qu’à l’intérieur des méga-cités elles-mêmes, prédisant l’avènement du « pire des mondes possibles56 ». Ces villes dans la ville constituent de véritables mondes à part. Correspondant à une telle configuration géographique épouvantable, la ville de Delhi semble échapper à toute limitation géographique ; elle se dilate et s’étend à l’infini. Aussi devant Subhadra, « la ville semble [-t-elle] naître au fur et à mesure qu’elle marche57 ». Cette immensité devient le cadre où prolifère une population hétéroclite : trafiquants, bandits, débrouillards, pauvres, mendiants qui hantent les rues, le jour, et, la nuit venue, prennent d’assaut les halls des immeubles. Il arrive très souvent qu’à défaut d’un abri couvert, ces misérables passent la nuit à la belle étoile, à même l’asphalte, dans la rue58.

22Ville hétéroclite, plurielle et cosmopolite, New Delhi est en plus menacée d’éclatement à cause de nombreuses crispations identitaires : « Delhi est un soleil éclaté : il fait sang de toutes parts59 », dit la narratrice. Ici, peut-être plus qu’ailleurs, le repli identitaire tient de cet « instinct social de survie » dont parlait Maurice Halbwachs, que commente Jean Christophe Marcel60. La revendication des valeurs dont l’individu se réclame et l’affirmation de l’identité singulière ou groupale qui l’accompagne se formulent ici en termes d’agression et de suppression des autres (individus, groupes sociaux, communautés). L’espace-temps de la ville devient, dans ce contexte, le théâtre d’enjeux anthropologiques et culturels, où le rapport à l’altérité n’est fait que de conflits et d’affrontements, rallumant la mèche des identités meurtrières61 si bien pourfendues par Amin Maalouf. Le projet que Barthes formulait au sujet de « la dimension érotique de la ville » devient alors improbable. Au lieu d’être « le lieu de rencontre avec l’autre62 », la ville devient un espace d’oppositions et d’antagonismes sanglants. L’archipélisme caractéristique de l’identité des peuples dans les sociétés de référence des récits de Devi trouve rarement un cadre d’épanouissement ; mais plutôt émergent des comportements belliqueux entre individus ou entre communautés. Le récit proleptique que la narratrice d’Indian tango fait des violences qui s’abattraient sur Kamal, l’hindou, et sa fiancée musulmane, Zohra, si d’aventure leur transgression des barrières ethniques et religieuses devait conduire au mariage renseigne sur les risques d’affrontements interethniques à New Delhi :

Mais ne se pourrait-il pas que la violence les rattrape un jour ? Les affrontements reprennent. S’étalent comme une vague, comme un incendie. Les quartiers s’enflamment. Les esprits basculent dans cette jouissance impensante qu’est la haine. La haine sature leurs pores, exsude une sueur aigre, un liquide vénéneux et contagieux qui bondit d’homme en homme. Des familles sont violées et massacrées. Des sexes coupés. Des gorges tranchées. Œil pour œil, rien ne différencie les meurtriers. Physiquement, rien ne les distingue, sauf, pour les hommes, un petit bout de peau qui manque chez les uns et pas chez les autres, et, pour les femmes, un petit point de poudre rouge sur le front des unes, et pas des autres. Et, forts de ces minuscules différences, ils sont libres de se crever le cœur63.

23Les fractures sociales inhérentes à ce radicalisme identitaire, aux extrémismes politiques et religieux qui, en Inde, fondent la notion de caste sur la « différence », remettent en question, selon Arjun Appadurai, l’idée même d’espèce humaine64.

24Mais dans sa vastitude, singulière métaphore de l’Inde moderne débordante de vitalité et de contradictions, New Delhi est un espace-temps de l’anonymat, où rien n’existe en propre et en permanence. C’est un espace-temps aux « certitudes diluées, bouleversées », malgré le repli identitaire instinctif qui fait que « chacun se croit obligé de citer une longue généalogie géographique pour prouver qu’il existe65 ». Or, la revendication de l’autochtonie (droit de demeurer, de rester) véhicule en sous-main l’affirmation de l’authenticité culturelle et, souvent, l’exacerbation des « liens de sang », de la pureté morale et de l’excellence spirituelle dans les récits généalogiques66. Les tensions sociales urbaines inhérentes à cette revendication identitaire manifestent très concrètement la conflictualité qui structure la question de l’appartenance et de la relation à l’autre67. C’est, in fine, une « sociologie urbaine horrifiante68 » que donne à voir la prose narrative d’Ananda Devi à propos de l’urbanité insulaire ou subcontinentale.

25La poétique anandadevienne de l’urbanité s’appuie abondamment sur le paradigme d’une territorialité dysphorique. Bien qu’elle soit un cadre de socialisation assez bien établi dans le contexte indocéan, la ville n’en constitue pas moins un univers hostile à l’individu. L’intégration de ce dernier dans l’espace-temps urbain insulaire ou subcontinental reste problématique. L’exclusion, la pauvreté, la prostitution et la violence sont autant de maux auxquels les personnages sont confrontés dans l’immensité de l’espace-temps urbain, centre germinal qui, pour le dire comme Julien Gracq, se dilate dans une « prolifération anarchique69 ». Espace-temps de l’absence, malgré le trop-plein d’objets et de personnes, théâtre de la rupture, la ville est ressentie comme un lieu de douleur et de souffrance. L’imagination y est butée par la morne solitude et l’insoutenable absence due à l’abondance des espaces technologisés, où l’architecture elle-même vaut comme agression perpétuelle. C’est pourquoi les images qu’elle engendre sont dépourvues de toute vertu tranquillisante. Cette écriture réaliste veut remettre en cause les clichés et les stéréotypes qui servent à décrire le vécu mauricien ou indien. La géophysique de la ville insulaire ou subcontinentale étale une configuration catastrophique qui exacerbe les disparités socio-économiques et les discontinuités socioculturelles des communautés. Les rapports des personnages avec cet espace-temps phénoménologique artificiel se déclinent alors majoritairement sur le mode disjonctif. On est ici à distance respectable des images d’Épinal qui circulent au sujet de l’imaginaire urbain indien et mauricien. Au corps à corps avec les mots, Devi propose un regard distancié qui déjoue ou interroge les discours ordinaires sur l’être-au-monde dans ces espaces rêvés, mythologisés.

Notes de bas de page numériques

1  Vicram Ramharai, « La ville de Port-Louis dans Rue La Poudrière d’Ananda Devi », in Kumari R. Issur et Vinesh Y. Hookoomsing (dir.), L’Océan Indien dans les littératures francophones. Pays réels, pays rêvés, pays révélés, Paris/Réduit (Maurice), Karthala/Presses de l’Université de Maurice, 2001, pp. 373-384. Il convient de signaler également l’étude pénétrante qu’Odile Gannier a consacrée aux jeunes en difficulté dans les romans du Pacifique, et dans laquelle elle s’est intéressée à Ève de ses décombres d’Ananda Devi. Elle montre que les auteurs qu’elle étudie dans une perspective comparée décrivent l’espace urbain comme une réalité dysphorique et essentiellement violente, contrairement au discours exotisant des auteurs occidentaux sur l’expérience insulaire du Pacifique ou spécifiquement de Maurice. Lire Odile Gannier, « Jeunes déboussolés dans le Pacifique, dans les romans d’Alan Duff, Sia Fiegel, Chantal T. Spitz, Albert Wendt et Ananda Devi, Loxias, Loxias 25, mise en ligne le 27 juin 2009, consulté le 27 avril 2012, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=2937 .

2  Ananda Devi, Rue La Poudrière, [1989], Vacoas (Maurice), Éditions Le Printemps, 1997.

3  Claude Duchet, « Une écriture de la socialité », in Poétique, n° 16, 1973, p. 449.

4  Voir Roland Barthes, L’Aventure sémiologique, [1967], Paris, Le Seuil, 1985.

5  Jeanne Bourin, Le Sourire de l’ange, Paris, Julliard, 1996.

6  Yankel Fijalkov, Sociologie de la ville, Paris, Anthropos, 2002.

7  Bertrand Westphal, La Géocritique. Réel, fiction, espace, Paris, Éditions de Minuit, 2007.

8  Roland Barthes, « Sémiologie et urbanisme », in L’Aventure sémiologique, [1967], Paris, Le Seuil, 1985, p. 261.

9  Umberto Eco, La Structure absente : introduction à la recherche sémiotique, [1968], trad. fr. de Uccio Esposito-Torrigiani,Paris, Mercure de France, 1972, p. 253.

10  Ananda Devi, Le Voile de Draupadi, [1993], Vacoas (Maurice), Éditions Le Printemps, 1999.

11  Ananda Devi, Moi, l’interdite, Paris, Dapper, 2000.

12  Ananda Devi, Ève de ses décombres, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 2006.

13  Ananda Devi, Soupir, Paris, Gallimard, coll. « Continents noirs », 2002.

14  Ananda Devi, Indian tango, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 2007.

15  Roland Barthes, « Sémiologie et urbanisme », p. 265.

16  Vicram Ramharai, « La ville de Port-Louis dans Rue La Poudrière d’Ananda Devi », p. 383.

17  Ananda Devi, Soupir, op. cit.,, p. 37.

18  Ananda Devi, Soupir, op. cit.,, p. 37.

19  Ananda Devi, Soupir, op. cit., pp. 37-38.

20  Ananda Devi, Rue La Poudrière, [1989], Vacoas (Maurice), Éditions Le Printemps, 1997, p. 101.

21  Ananda Devi, Rue La Poudrière, op. cit.,, p. 100.

22  Ananda Devi, Rue La Poudrière, op. cit., p. 99.

23  Sur les effets et les ravages de la précarité sur l’individu contemporain, on lira avec intérêt Michel Serres, L’Incandescent, Paris, Le Pommier, 2006, p. 24.

24  Zygmunt Bauman, Le Présent liquide. Peurs sociales et obsessions sécuritaires, Paris, Le Seuil, 2007.

25  Ananda Devi, Ève de ses décombres, p. 110.

26  Ananda Devi, Le Voile de Draupadi, p. 112. Le « Nous quadruple » dont il est question ici représente le tout premier cercle familial (le père, la mère, Anjali et le frère adulé Shyam).

27  Jeanne Bourin, Le Sourire de l’ange, p. 57.

28  Pius Ngandu Nkashama, Ruptures et écritures de violence. Études sur le roman et les littératures africaines contemporaines, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 358.

29  Jean Christophe Marcel, « Les derniers soubresauts du rationalisme durkheimien : une théorie de “l’instinct social de survie” chez Maurice Halbwachs », in Yves Deloye et Claudine Laroche (dir.), Maurice Halbwachs. Espaces, mémoires et psychologie collective, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Sciences politiques », 2004, p. 51.

30  Raymond Ledrut, Sociologie urbaine, [1968], Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Le Sociologue », 1979, p. 27.

31  Christophe Sibieude, Vivre la ville, Paris, Hatier, coll. « Enjeux », 1992, p. 45.

32  Ananda Devi, Ève de ses décombres, p. 29.

33  Alain Touraine, Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992. La pensée de Touraine se distingue de celle d’auteurs comme Comte, Marx, Nietzsche ou Freud. Pour lui, ce n’est pas la modernité, « alliance à prérogatives égales de la Raison et du Sujet », mais la modernisation, « marche en avant » effrénée, qui est mise en cause.

34  Voir Zygmunt Bauman, Globalization, Cambridge, Polity Press, 1998.

35  Ananda Devi, Ève de ses décombres, p. 17.

36  Ananda Devi, Ève de ses décombres, pp. 63 ; 68.

37  Michel Metzeltin, « L’imaginaire roumain de l’Occident. Questions de méthode et essais d’application », in Danièle Chauvin (éd.), Imaginer l’Europe, Grenoble, Iris, 1998, p. 176. Voici la taxinomie séduisante des perspectives ouvertes par les discours de mise en scène du Sujet par l’Autre que propose l’auteur : 1/ A se présente à A d’une certaine façon (autoprésentation intérieure) ; 2/ A selon B se présente à A d’une certaine façon (autoprésentation réfractée) ; 3/ A se présente à B d’une certaine façon (autoprésentation extérieure) ; 4/ A selon A se présente à B d’une certaine façon (hétéroprésentation selon le présentant) ; 5/ A selon B présente B d’une certaine façon (hétéroprésentation selon le présenté).

38  Lire Sophie Body-Gendrot, Les Villes : la fin de la violence ?, Paris, Presses des Sciences Po, 2001, p. 20.

39  Ananda Devi, Ève de ses décombres, pp. 128 ; 142.

40  Ananda Devi, Ève de ses décombres, pp. 40 ; 65 et sq.

41  Joëlle Bordet, Oui à une société avec les jeunes des cités, Paris, Éditions de l’Atelier, 2007.

42  Ananda Devi, « Inde », in Barlem Pyamootoo et Yama Poonoosamy (éd.), Travel Stories. Voyages. Zistwar vwayazé, Port-Louis (Maurice), Immedia Publication, coll. « Maurice », 2002, p. 113.

43  Ananda Devi, « Inde », p. 113.

44  Ananda Devi, Indian tango, p. 10.

45  Ananda Devi, Indian tango, p. 10.

46  Ananda Devi, Ève de ses décombres, p. 39.

47  Ananda Devi, Indian tango, p. 46. Le mot-valise, « camionsbustaxis », illustre bien la saturation de l’espace urbain de New Delhi.

48  Ananda Devi, « Inde », p. 114.

49  Voir Arjun Appadurai, Géographie de la colère. La violence à l’âge de la globalisation, Paris, Payot, 2007. Aujourd’hui, le pays a fait des bonds en avant et l’Inde se classe parmi les pays dits émergents. Mais c’est dans un désordre inquiétant qu’il s’éveille à la conscience du développement technologique.

50  Ananda Devi, Indian tango, pp. 38-39.

51  Voir Thierry Paquot, L’Inde des villes, Paris, L’Harmattan, 2004.

52  Cf. Pier Paolo Pasolini, L’Odeur de l’Inde, [1962], trad. R. de Ceccatty, Paris, Denoël, 1984. L’auteur proposait les schématisations suivantes au sujet de l’Inde des villes : « Qu’il soit bien clair que l’Inde n’a rien de mystérieux, comme le prétendent les légendes. Au fond, il s’agit d’un petit pays, avec seulement quatre ou cinq grandes villes, dont une seule, Bombay, est digne de ce nom ; sans industrie, ou presque, très uniforme et avec des stratifications et des cristallisations historiques très simples », p. 82. Il est clair que ces réflexions sont aujourd’hui complètement caduques : non seulement l’Inde compte plusieurs villes dignes de ce nom, mais aussi l’industrialisation y est galopante, de même que les stratifications sociales et les cristallisations socio-identitaires se sont extrêmement complexifiées.

53  Ananda Devi, Indian tango, pp. 176-177.

54  Licia Valladares, « Louis Joseph Lebret et les favelas de Rio de Janeiro », Genèses, 60, numéro spécial « La ville des savants », Paris, Belin, 2006 .

55  Mike Davis, City of Quartz, Paris, La Découverte, 1977.

56  Mike Davis, Le Pire des mondes possibles. De l’explosion urbaine au bidonville global, Paris, La Découverte, 2006.

57  Ananda Devi, Indian tango, p. 190.

58  Ananda Devi, Indian tango, p. 46 et sq.

59  Ananda Devi, Indian tango, p. 20. Pour les conflits communautaires en Inde, voir aussi Richard Attenborough, Gandhi. His Triumph changed the World for Ever, New York/New Delhi/London, Columbia Pictures/International Film Investors/Goldcrest Films International/National Film Development Corporation LTD of India/Indo-British Films LTD, 1978. Durée du film : 3 h 11’ 04’’.

60  Jean Christophe Marcel, « Les derniers soubresauts du rationalisme durkheimien : une théorie de « l’instinct social de survie » chez Maurice Halbwachs », in Yves Deloye et Claudine Laroche (dir.), Maurice Halbwachs. Espaces, mémoires et psychologie collective, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Sciences politiques », 2004.

61  Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998.

62  Roland Barthes, « Sémiologie et urbanisme », p. 269.

63  Ananda Devi, Indian tango, pp. 191-192.

64  Arjun Appadurai, « Violence et colère à l’âge de la globalisation », Entretien avec Judit Carrera et Josep Ramoneda, Barcelone, 23 novembre 2006, traduit de l’anglais par Béatrice Taupeau, et présenté par Olivier Mongin, Esprit, mai 2007.

65  Ananda Devi, Indian tango, p. 44.

66  André Burguière, « La généalogie », in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire, tome 3, Paris, Gallimard, « Quarto », 1997, p. 3879.

67  Voir Alain Bertho, « Penser la “ville monde” », Socio-anthropologie [En ligne], N°16 | 2005, mis en ligne le 21 novembre 2006, consulté le 23 avril 2012. URL : http://socio-anthropologie.revues.org/index430.html .

68  Marcel Roncayolo, Lectures de villes. Formes et temps, Paris, Éditions Parenthèses, 2002.

69  Julien Gracq, La Forme d’une ville, Paris, Corti, 1988, p. 28.

Bibliographie

Bibliographie récapitulative des romans d’Ananda Devi

Rue La Poudrière (1989), Vacoas (île Maurice), Éditions Le Printemps, 1997.

Le Voile de Draupadi (1993), Vacoas, Éditions Le Printemps, 1999.

L’Arbre fouet, Paris, L’Harmattan, coll. « Lettres de l’Océan Indien », 1997.

Moi, l’interdite, Paris, Dapper, 2000.

Pagli, Paris, Gallimard, coll. « Continents noirs », 2001.

Soupir, Paris, Gallimard, coll. « Continents noirs », 2002.

La Vie de Joséphin le fou, Paris, Gallimard, coll. « Continents noirs », 2003.

Ève de ses décombres, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 2006. Prix RFO du Livre, Prix de la Francophonie des Cinq continents.

Indian tango, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 2007.

Le Sari vert, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 2009.

Les Hommes qui me parlent, Gallimard, coll. « Blanche », 2010.

Pour citer cet article

Jean Claude Abada Medjo, « Poétique de la ville dans l’œuvre d’Ananda Devi », paru dans Loxias, Loxias 37., mis en ligne le 29 mai 2012, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=7044.


Auteurs

Jean Claude Abada Medjo

Jean Claude Abada Medjo est enseignant au Département de Langue Française et Littératures d’Expression Française à l’École Normale Supérieure de l’Université de Maroua (Cameroun). Ses enseignements portent sur l’épistémologie de la littérature, notamment l’approche épistémocritique du texte de fiction en contexte francophone (Afrique subsaharienne, océan Indien, Caraïbe, Maghreb). Il est auteur de plusieurs articles, dont les plus récents sont : « Savoirs culturels et processus de développement de l’Afrique dans le discours poétique de Jacques Fame Ndongo », in KALIAO, Hors-série, N° 1, mai 2011, pp. 143-155 ; « La mise en scène de la raison impérialiste de l’« universel » : scènes et lieux discursifs dans les nouveaux discours politiques sur l’Afrique », in Mosaïques, N° 1, avril 2011, pp. 321-374 ; « Lieux discursifs et idéologie impérialiste dans les nouveaux discours politiques sur l’Afrique », in Revue roumaine d’études francophones, N° 3, « Le politique », mars 2011, pp. 116-123. Poète, il a publié La Parole tendue chez l’Harmattan en 2010.