Loxias | Loxias 34 Doctoriales VIII | Doctoriales VIII
Céline Sangouard-Berdeaux :
Quel sublime chez Bataille ?
Résumé
On retient souvent de la querelle entre Bataille et Breton dans les années 1929 et 1930 l’opposition du matérialiste à l’idéaliste, de la désublimation à la sublimation. Le but de cet article est de repenser cette polémique et plus largement le rapport de Bataille à la sublimation, mais surtout au sublime, deux notions à distinguer, en prenant en compte l’évolution de la pensée de Bataille et en considérant son esthétique à la lumière de l’histoire du sublime, notion plus complexe que le sens courant d’élévation et de grandeur spirituelle ou morale dans lequel Bataille emploie à cette époque l’adjectif qui lui correspond, et qui, comprise dans son rapport à la terreur et au mal, peut permettre de caractériser l’esthétique bataillienne. Il apparaîtra ainsi que, si l’esthétique de Breton et celle de Bataille prennent des chemins très divergents, la première étant positive et constructive, la seconde négative et tragique, elles se fondent toutes deux sur une quête partagée, celle d’un sublime originel qui échapperait justement à la sublimation.
Abstract
One often remembers in the argument between Bataille and Breton in the late 1920s the opposition of the materialist against the idealist, of desublimation against sublimation. This article aims at rethinking this controversy, and more largely the relation Bataille had to sublimation, and mostly to sublime, to distinct notions. One should also take into account the evolution of Bataille’s thought, and consider his aesthetics under the light of the history of sublime, a notion more complex than the usual meaning of elevation and spiritual and moral greatness in which Bataille uses in his days the adjective best suited and which, once understood in this link between terror and evil, may allow one to characterize Bataillienne aesthetics. One will therefore realize that if Breton and Bataille’s aesthetics follow two very different paths, the former being positive and constructive, the latter negative and tragic, they both come from a shared quest, a quest for an original sublime which would precisely differ from sublimation.
Index
Mots-clés : Bataille (Georges) , désublimation, sublimation, sublime, surréalisme
Géographique : France
Chronologique : XXe
Plan
- Bataille anti-sublime
- Un autre sublime
- L’évolution des positions de Bataille
- Un sublime originel commun à Bataille et Breton
Texte intégral
On retient souvent de la querelle entre Bataille et Breton dans les années 1929 et 1930 l’opposition du matérialiste à l’idéaliste. La critique s’est d’ailleurs souvent plu à exacerber ces divergences de vue entre le chef de file du surréalisme et le dissident, en associant le premier à la sublimation, tandis que le second prônerait sans ambiguïté la désublimation. Mais en insistant ainsi sur ce qui sépare Bataille de Breton à cette époque, on néglige quelque peu l’évolution des positions de Bataille sur le surréalisme, et considère peut-être un peu vite comme acquis et allant de soi le rejet du sublime qui accompagne la critique du surréalisme chez Bataille. En effet, malgré les propos fracassants qu’a pu tenir le Bataille bas matérialiste de ces années-là, sa position anti-sublime n’est pas aussi claire qu’on pourrait le croire, et si Bataille rejette le sublime au sens le plus courant du terme, c’est-à-dire étroitement lié à l’idée d’élévation et de sublimation, l’ensemble de son œuvre, de façon de plus en plus visible au fil du temps, évolue, en même temps que vers une reconsidération du surréalisme, vers l’élaboration d’une esthétique que l’on peut considérer comme relevant du sublime, un sublime détaché des notions d’élévation et de transcendance, ancré dans la matérialité et en lien étroit avec les notions de terreur et de mal.
Bataille anti-sublime
Revenons tout d’abord sur le nœud du problème : la polémique entre Breton et Bataille, que le texte de ce dernier, « La "vieille taupe" et le préfixe sur dans les mots surhomme et surréaliste », écrit à l’époque de la publication du Second manifeste (1930)mais finalement non publié1, illustre parfaitement. C’est en effet autour de la question du sublime, et de façon élargie, de la sublimation, que s’est cristallisé le désaccord entre les deux écrivains. Si Breton ne qualifie pas encore, dans Le Second manifeste, le fameux « point de l’esprit » où les opposés cessent d’ « être perçus contradictoirement » de sublime, ce qu’il ne fera que quelques années plus tard dans L’Amour fou, Bataille l’identifie déjà comme tel ; de plus, Breton, dans ce nouveau manifeste, place au principe de l’activité surréaliste le phénomène de sublimation qu’il emprunte ouvertement à Freud. Or, c’est bien sur ces deux éléments capitaux que porte la virulente critique de Bataille dans « La "vieille taupe" ». Dans cet article, Bataille n’utilise qu’une fois le terme de sublimation mais emploie à plusieurs reprises l’expression de « valeurs sublimes », auxquelles il oppose les « valeurs basses » :
La même tendance double [que chez Nietzsche] se retrouve dans le surréalisme actuel qui conserve, bien entendu, la prédominance des valeurs supérieures et éthérées (nettement exprimée par cette addition du préfixe sur, piège dans lequel avait déjà donné Nietzsche avec surhomme). Plus exactement même, puisque le surréalisme se distingue immédiatement par un apport de valeurs basses (inconscient, sexualité, langage ordurier, etc.), il s’agit de donner à ces valeurs un caractère éminent en les associant aux valeurs les plus immatérielles.
Peu importent aux surréalistes les altérations qui en résultent : que l’inconscient ne soit plus qu’un pitoyable trésor poétique ; que Sade, lâchement émasculé par ses apologistes, prenne figure d’idéaliste moralisateur… Toutes les revendications des parties basses ont été outrageusement déguisées en revendications des parties hautes : et les surréalistes, devenus la risée de ceux qui ont vu de près un échec lamentable et mesquin, conservent obstinément la magnifique attitude icarienne2.
L’abolition des contraires qui caractérise le surréel pour Breton est ainsi vu par Bataille comme le « déguisement » des valeurs basses en parties hautes, voire leur anéantissement et, en conséquence, l’anéantissement de l’hétérogénéité elle-même :
Car « tout porte à croire, affirme M. Breton, qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. Or, c’est en vain qu’on chercherait à l’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de détermination de ce point… » Il ne s’agit de rien de moins, on le voit, que d’anéantir les contingences salubres comme les contingences insalubres de la nature3.
Ce « point sublime » que Breton maintient avoir toujours recherché dans L’Amour fou ne peut en effet être accepté par Bataille à cette époque de sa vie où il revendique un matérialisme intégral, lequel, d’une part, se démarque du matérialisme érigé en système philosophique – selon l’écrivain, ce dernier transforme, par un effet pervers, la matière en idée –, d’autre part, se définit précisément par le caractère inassimilable de la matière, fondamentalement hétérogène, par la pensée, et enfin, nécessite d’être pensé de façon anti-systémique et dans la contradiction.
Cette conception du sublime, associé à l’esprit, à l’élévation et à la hauteur, et opposé aux « valeurs basses » était déjà la sienne dans son premier texte, « Notre-Dame-de-Rheims », alors qu’à cette époque, celle de la Première Guerre mondiale, Bataille affichait une pensée catholique et patriotique inverse de sa position dans « La "vieille taupe" » : « [La cathédrale] est trop sublime, trop haute en son élan pour laisser prise à la salissure de la mort […]4». C’est à Denis Hollier que l’on doit d’avoir porté à la connaissance du public, dans La Prise de la Concorde, ce premier texte écrit par Bataille pendant la Première Guerre mondiale, que l’écrivain ne cita jamais et qui tomba dans l’oubli. Dans ce texte, le sublime est clairement associé au monumental, à l’architecture, c’est-à-dire à ce qui, selon Denis Hollier, représente la pensée de système homogène que Bataille, lorsqu’il aura perdu la vocation religieuse, ne cessera de combattre et de détruire. Quelle que soit donc la position de Bataille, catholique ou matérialiste, le sublime semble être pour lui, depuis son premier texte jusqu’à « La "vieille taupe" », un synonyme d’idéal et d’élévation spirituelle, et un antonyme de bassesse.
Le point sublime que Breton recherche étant, si l’on suit le raisonnement du Second manifeste, le fruit de la sublimation, Denis Hollier considère donc, dans La Prise de la Concorde, que Bataille rejette non seulement le sublime, mais aussi la sublimation, et qu’il se positionne même en écrivain de la désublimation. Selon lui, toute l’écriture de Bataille consiste à défaire le phénomène hypocrite de la sublimation qui est au principe du langage, de la philosophie, de la science, bref, de la pensée systémique et homogène qui fonde la culture d’une société :
Le langage est à la fois, en tant que code, l’espace théorique (sous domination du signifié) qui implique pour protéger son homogénéité l’identité des contraires, et, en tant qu’écriture, l’espace d’une pratique qui, d’une part, valorise les thèmes de rupture et, d’autre part, se déploie elle-même selon un rythme de rupture, de destruction de l’unité sublimatoire5.
Bataille, selon le critique, reproche à la sublimation d’aboutir à l’identité des contraires et ainsi de nier qu’il existe de l’inassimilable, de l’essentiellement hétérogène. À cette sublimation, il opposerait donc la désublimation, c’est-à-dire l’expression crue et violente de cet hétérogène : le bas, le sexuel, l’abject, … La psychanalyse ayant mis à jour les origines obscènes de la pensée et de l’art sublimés, Denis Hollier postule que Bataille représente l’écrivain qui choisit de ne pas ignorer cette origine basse de l’homme et de passer à « un autre genre d’exercice qui impliquerait une écriture désublimée, une écriture soutenant (au lieu de le recouvrir) le désir pervers6». Il résume ceci dans une formule : « Contre la sublimation culturelle névrotique, réveiller le désir pervers.7»
Un autre sublime
Cependant, cette opposition si franche entre le surréalisme et la sublimation d’une part, et Bataille et la désublimation d’autre part, mérite d’être nuancée et interrogée de nouveau à la lumière des différentes conceptions du sublime dans l’histoire de l’esthétique et de la littérature, et d’être complétée en prenant en compte l’évolution de la pensée de Bataille dans le temps. En effet, si l’on suit Bataille dans sa définition et son rejet du sublime comme élévation icarienne, on conclut aisément que Bataille est un auteur anti-sublime. Or, ceci n’est vrai que si l’on associe le sublime à l’idée d’élévation et à la sublimation auxquelles Bataille l’assimile dans « La "Vieille taupe" »8. Si, dans ce texte, il rejette le sublime et en fait même la preuve de l’idéalisme vain de Nietzsche et des surréalistes, ceux-ci échouant dans leur critique de la société bourgeoise par le fait même qu’ils continuent à se donner une autorité supérieure, à accorder de la valeur à l’idée de hauteur, c’est parce qu’il associe justement le sublime à l’élévation de l’esprit, et ne conçoit pas le premier autrement que par la seconde, conformément à son sens en latin.
Mais ce rejet ne doit pas cacher que l’esthétique générale de Bataille relève pourtant du sublime, plus exactement d’un certain sublime. Non le sublime de l’esthétique kantienne, qui a pour objet la nature imposante ou l’infini mathématique, et qui a pour effet, conformément à la philosophie idéaliste de l’auteur des trois Critiques, de révéler à l’homme sa « destination suprasensible », autrement dit sa portée transcendante et métaphysique, mais un sublime qui trouve bien davantage ses sources dans l’intensivisme et le sublime terrible d’Edmund Burke9, l’un des premiers philosophes du XVIIIe siècle à avoir extrait le sublime de son sens moral de grandeur et d’élévation et de sa sphère originelle, la rhétorique, pour le transporter dans l’esthétique, ainsi que dans le sublime du mal sadien et préromantique, même si, dans cette généalogie, l’héritage de Burke d’une part, et des écrivains du sublime du mal préromantique de l’autre, est beaucoup moins conscient que celui de Sade. Concernant l’influence de Sade, Jean Paulhan, qui pensa lui-même le poids de la « Terreur dans les lettres » dans son essai Les Fleurs de Tarbes, semble presque décrire Bataille lorsqu’il évoque la quête du « sublime dans l’infâme » qui caractérise selon lui les écrivains de sa génération et qu’il identifie comme le fruit de l’influence sadienne :
Je me demande, quand je vois tant d’écrivains, de nos jours, si consciemment appliqués à refuser l’artifice et le jeu littéraire au profit d’un événement indicible dont on ne nous laisse pas ignorer qu’il est tout à la fois érotique et effrayant, soucieux de prendre en toute circonstance le contre-pied de la Création, et tout occupés à rechercher le sublime dans l’infâme, le grand dans le subversif, exigeant d’ailleurs que toute œuvre engage et compromette à jamais son auteur […], je me demande s’il ne faudrait pas reconnaître, dans une aussi extrême terreur, moins une invention qu’un souvenir, moins un idéal qu’une mémoire, et bref si notre littérature moderne, dans sa part qui nous semble la plus vivante – la plus agressive en tout cas – ne se trouve pas tout entière tournée vers le passé, et très précisément déterminée par Sade…10
En effet, le recours systématique de Bataille « à tout ce qui est choquant, impossible à détruire et même abject, à tout ce qui abat, dévoie et ridiculise l’esprit 11» apparaît bien comme une confrontation à un sublime qui, d’une part, se définit par le sentiment de la terreur qu’il provoque, le domaine du mal dans lequel il s’expérimente, et par son caractère informe, hétérogène, et qui, d’autre part, indique à l’homme ses limites en même temps que l’étendue de ses possibles. Selon Burke, par opposition au beau qui est le propre de la bonne santé, du plaisir et de l’harmonie de la vie en société, le sublime est issu du principe de conservation de soi, et est ressenti par le sujet précisément quand il est face à ce qui menace cette conservation, autrement dit à ce qui inspire la terreur :
Tout ce qui est propre à exciter les idées de la douleur et du danger ; c’est-à-dire, tout ce qui est en quelque sorte terrible, tout ce qui traite d’objets terribles, tout ce qui agit d’une manière analogue à la terreur, est une source du sublime ; ou, si l’on veut, peut susciter la plus forte émotion que l’âme soit capable de sentir12.
Plusieurs éléments du matérialisme revendiqué dans « La "vieille taupe" » peuvent ainsi se lire sous ce prisme. Ainsi, quand Bataille insiste sur la nécessité de maintenir l’antinomie du haut et du bas que, selon lui, les philosophes idéalistes ont justement tendance à nier, il l’illustre notamment par cette image : « l’obscurité terrifiante des tombes ou des caves et la splendeur lumineuse du ciel13». Or, selon l’esthétique burkienne, la « splendeur lumineuse du ciel » relève certainement moins du sublime que « l’obscurité terrifiante des tombes ou des caves ». Outre le fait que la mort, suggérée dans cette citation par les tombes, est « la reine des terreurs » selon Burke, la lumière et l’harmonie relèvent davantage du beau, tandis que l’obscurité est pour le philosophe l’une des sources premières de la terreur sublime : « Pour rendre une chose très terrible, l’obscurité semble généralement nécessaire.14» De la même façon, la révolution matérialiste souhaitée par Bataille, « forme la plus grandiose de la dépense sociale15», est moins recherchée dans le cadre d’un projet politique que pour la terreur qu’elle provoque, terreur sublime dans laquelle l’homme vit entier et intensément, profondément conscient de sa mort, mettant à l’épreuve le principe de conservation qui le guide en temps normal, principe que Bataille, plus tard dans La Littérature et le mal, appelle le Bien16. Le Mal est en effet pour Bataille, comme il le théorise dans La Littérature et le mal, l’inverse du principe de conservation et le domaine d’exploration des possibles humains qui se prête le plus à l’intensité des états et à l’expérience du sublime :
L’humanité poursuit deux fins, dont l’une, négative, est de conserver la vie (d’éviter la mort), l’autre, positive, d’en accroître l’intensité. […] Cette opposition de l’intensité à la durée vaut dans l’ensemble, et réserve bien des accords (l’ascétisme religieux ; du côté de la magie, la poursuite des fins individuelles). La considération du Bien et du Mal est à revoir à partir de ces données.
L’intensité peut être définie comme la valeur (c’est la seule valeur positive), la durée, comme le Bien (c’est la fin générale proposée à la vertu). La notion d’intensité n’est pas réductible à celle de plaisir, car, nous l’avons vu, la recherche de l’intensité veut que nous allions d’abord au-devant du malaise, aux limites de la défaillance. Ce que j’appelle valeur diffère donc à la fois du Bien et du plaisir. La valeur tantôt coïncide avec le Bien et tantôt ne coïncide pas. Elle coïncide avec le Mal. La valeur se situe par-delà le Bien et le Mal […]. Le désir du Bien limite le mouvement qui nous porte à chercher la valeur. Quand la liberté vers le Mal, au contraire, ouvre un accès aux formes excessives de la valeur17.
Mais si la pensée de Bataille rejoint la pensée du sublime de Burke dans la mesure où tous deux pensent une expérience extrême dans laquelle l’intégrité du sujet et le principe de conservation sont mis à mal, elle s’en démarque en revanche dans le fait que, chez Burke, ce principe de conservation est en effet menacé, mais seulement menacé, et jamais réellement en danger, auquel cas, selon le philosophe irlandais, le sentiment du sublime serait impossible. Chez Bataille, la terreur sublime s’expérimente directement, sans distance, surtout dans les écrits de la première période de Bataille, celle de l’écrivain bas matérialiste et politique des années vingt et trente. Le dégoût qu’il éprouve et manifeste dans ses écrits à plusieurs reprises pour ce qu’il considère être une récupération et une expurgation de Sade par les surréalistes, illustre bien cet écart : pour Bataille, Sade ne peut s’apprécier, Sade repousse, est abject, car ses textes sont écrits depuis le territoire du mal, sont ouvertement et férocement scatologiques, cruels, pornographiques et donc terribles, et empêchent toute distance esthétisante qui est, selon Bataille, celle que prennent les surréalistes lorsqu’ils louent sa liberté d’imagination.
L’évolution des positions de Bataille
Le rejet du sublime affiché par Bataille au tournant des années vingt et des années trente, qui est le rejet de l’élévation spirituelle et de la sublimation conçue comme idéalisation, n’empêche donc pas de le rattacher, dès cette époque, à une certaine tradition du sublime, le sublime terrible, mais aussi et surtout au sublime du mal dont Sade est le plus violent représentant. Mais c’est l’évolution de l’œuvre de Bataille et de sa pensée qui permettent de mettre encore plus en évidence cet aspect de son esthétique. Ainsi, ce qui se perçoit déjà dans « La "Vieille taupe" » devient plus visible encore à la fin des années 1930, par exemple dans l’article « Le Sacré » (1939) dans lequel Bataille décrit le « Graal » des écrivains de sa génération et de lui-même :
Si l’on veut maintenant se représenter avec une première clarté le « graal » obstinément poursuivi à travers des profondeurs nuageuses successives et décevantes, il est nécessaire d’insister sur le fait qu’il n’a jamais pu être question de quelque réalité substantielle et que, tout au contraire, il s’agissait d’un élément caractérisé par l’impossibilité qu’il dure. Le nom d’instant privilégié est le seul qui rende compte avec un peu d’exactitude de ce qui pouvait être rencontré au hasard de la recherche : rien qui constitue une substance à l’épreuve du temps, tout au contraire, ce qui fuit aussitôt apparu et ne se laisse pas saisir. […] Il en résulte un mélange de malheur et d’exaltation, de dégoût et d’insolence18.
Cet extrait permet de mesurer à quel point l’esthétique de Bataille, que l’on retrouve ici à travers la notion centrale d’impossible, ainsi que par le biais des attitudes désacralisantes de dégoût et d’insolence, relève du sublime : immaîtrisable, insaisissable, provoquant souffrance et exaltation – les émotions jumelles du sublime –, l’« instant privilégié » évoqué ici rappelle l’ « instant souverain » qui constitue le but de la quête littéraire de Bataille, et qui correspond dans L’Expérience intérieure au saisissement, à la connaissance paradoxale et éphémère de l’inconnu qu’est le non-savoir.
L’Expérience intérieure est souvent l’œuvre qui symbolise, pour la critique, le changement radical de position de Bataille par rapport à la politique. Très virulent pendant l’entre-deux-guerres, il se désengage radicalement à la fin des années 1930, pour diverses raisons. Or, ce renversement au niveau politique transporte le sublime terrible de la révolution matérialiste dans le domaine de la littérature, et rapproche alors davantage ce que nous avons identifié comme le sublime bataillien du sublime burkien, car la distance esthétique considérée par le philosophe comme nécessaire au sublime est maintenant présente dans la médiation de la poésie que Bataille rejetait et qu’il accepte désormais, sous certaines conditions. Le rapport de Bataille à Nietzsche évolue également. Ainsi, en plaçant cette phrase de Nietzsche en exergue : « La nuit aussi est un soleil », Bataille positionne d’emblée cette œuvre dans une autre relation, non seulement à Nietzsche, mais aussi au sublime, puisque le soleil était dans « La "vieille taupe" » le symbole icarien du sublime. Cependant, Bataille n’est de toute évidence pas en train d’adopter une position radicalement inverse de celle qu’il soutenait en 1930. Simplement, s’il ne renonce pas à la matière, l’érotisme restant l’un des moyens privilégiés d’accès à ces « états d’intensité » recherchés dans L’Expérience intérieure, il ne considère plus la poésie comme une forme d’idéalisation incompatible avec celle-ci19. Ainsi, sous le patronage constant de Nietzsche, il cite une des phrases de ce dernier qui emploie l’adjectif « sublime » :
Il disait :
« Mais où se déversent finalement les flots de tout ce qu’il y a de grand et de sublime dans l’homme ? N’y a-t-il pas pour ces torrents un océan ? – Sois cet océan : il y en aura un » (fragment de 80-81).
Mieux que l’image de Dionysos philosophos, le perdu de cet océan et cette exigence nue : « sois cet océan » désignent l’expérience et l’extrême auquel elle tend. »
Dans l’expérience, il n’est plus d’existence limitée. Un homme ne s’y distingue en rien des autres : en lui se perd ce qui chez d’autres est torrentiel. Le commandement si simple : « Sois cet océan », lié à l’extrême, fait en même temps d’un homme une multitude, un désert. C’est une expression qui résume et précise le sens d’une communauté. Je sais répondre au désir de Nietzsche parlant d’une communauté n’ayant d’objet que l’expérience (mais désignant cette communauté, je parle de « désert »)20.
Ce passage appelle plusieurs remarques. Premièrement, Bataille ne rejette pas le sublime nietzschéen mais au contraire, l’identifie à « l’extrême » qui est la quête même de L’Expérience intérieure. Néanmoins, Bataille prend tout de même soin de se distinguer de Nietzsche en insistant sur le caractère « perdu » de cet océan sublime et en le transformant en désert. Par ce changement d’image, qui passe de la profusion à l’aridité, le sublime se trouve lui aussi transformé. À la différence de Nietzsche qui, comme le lui reprochait Bataille en 1930, conçoit la recherche de tous les possibles de l’homme comme une quête d’élévation (surhomme) et de grandeur (« tout ce qu’il y a de grand et de sublime »), Bataille conserve du matérialisme l’idée que le sublime ne se trouve pas au-dessus de l’homme, mais bien plutôt en-deçà, dans l’abîme du non-savoir. Or, le désert est plus à même que l’océan de représenter la sécheresse de ce non-savoir, la solitude fondamentale et paradoxale dans laquelle il entraîne l’homme, ainsi que le caractère fondamentalement tragique du sublime bataillien.
Si L’Expérience intérieure peut donc se lire comme une réévaluation du point de vue défendu par Bataille dans « La "vieille taupe" » sur le sublime nietzschéen, le surréalisme y est néanmoins encore attaqué et invalidé à cause du projet, de la direction qu’il impose à sa quête littéraire et extralittéraire et que Bataille rejette, considérant que l’idée même de projet est incompatible avec l’inconnu dans lequel l’expérience intérieure plonge le sujet. En outre, si la poésie est acceptée à partir du moment où elle se définit comme déchirure et comme expérience extrême de communication, elle est encore l’objet d’une lourde méfiance, et est fortement critiquée lorsqu’elle se réduit à une « facilité », une « féminité », une « nonchalance » et une contemplation21. Néanmoins, après la Seconde Guerre mondiale va s’opérer une évolution à l’égard du sublime surréaliste – et dans le même mouvement, de la poésie ou littérature22 – du même type que celle concernant le sublime nietzschéen dans L’Expérience intérieure. Dans La Littérature et la mal (1957) qui peut se lire comme l’aboutissement de cette réflexion, Bataille cite à deux reprises le célèbre « point de l’esprit » de Breton. Denis Hollier voit dans ces citations une preuve supplémentaire de la contradiction comme principe fondamental de la pensée bataillienne. Cependant, les propos qui entourent ces deux citations témoignent bien d’une reconsidération du point sublime de Breton :
« Tout porte à croire, écrit André Breton, qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable cessent d’être perçus contradictoirement. »
J’ajouterai : le Bien et le Mal, la douleur et la joie. Ce point, une littérature violente et la violence de l’expérience mystique le désignent l’une et l’autre. La voie importe peu : le point seul importe23.
Certes, dans ce passage, Bataille tronque légèrement la citation de Breton et y ajoute des notions qui lui sont propres, celles du Bien et du Mal, de douleur et de joie. Cependant, cela ne contredit pas le fait qu’il reprend la quête de ce « point » à son compte. Ainsi, à la fin de l’ouvrage, il considère la formule de Breton, juste avant de la citer cette fois intégralement, comme « l’une des meilleures approches de la souveraineté »24. On le voit donc, la souveraineté bataillienne et le point sublime surréaliste sont présentés comme une même chose, à savoir l’objet même de la quête de ces deux auteurs. Ceci témoigne non seulement d’une réévaluation des rapports du sublime et de la souveraineté, l’un et l’autre ne relevant plus d’une opposition entre haut et bas, mais aussi d’une réévaluation de la poésie, qui était considérée dans L’Expérience intérieure comme moins efficace que l’expérience intérieure elle-même pour atteindre l’inconnu, alors qu’ici, en affirmant que « la voie importe peu », Bataille place désormais la littérature au même rang que l’expérience intérieure et l’érotisme.
Un sublime originel commun à Bataille et Breton
Le rapport de Bataille au sublime, est donc plus complexe que l’opposition entre Bataille, écrivain de la désublimation, et Breton, écrivain de la sublimation, ne le laisse paraître. De plus, chez le surréaliste également, le recours à la notion freudienne de sublimation n’est pas aussi univoque qu’il n’y paraît. En effet, la sublimation chez Breton ne correspond pas purement et simplement à la sublimation freudienne : à chaque occurrence ou presque de la notion psychanalytique, le surréaliste modifie la définition freudienne et manifeste parfois une certaine distance avec le maître à penser de la psychanalyse. Cette déformation de la notion freudienne est sensible dès le Second manifeste, que Bataille critiqua si vigoureusement à l’époque :
Mais, comme il est donné de par leur nature à ceux qu’il rassemble de prendre en considération toute spéciale cette donnée freudienne sous le coup de laquelle tombe la plus grande partie de leur agitation en tant qu’hommes – souci de créer, de détruire artistiquement – je veux parler de la définition du phénomène de « sublimation », le surréalisme demande essentiellement à ceux-ci d’apporter à l’accomplissement de leur mission une conscience nouvelle […]25.
Dès la première apparition du terme sous la plume de Breton, la formule « souci de créer, de détruire artistiquement » marque clairement un décalage entre la définition freudienne et l’interprétation qu’en fait l’auteur du manifeste. L’idée de destruction, quand bien même elle serait artistique, ne pourrait être acceptée par Freud comme l’une des manifestations de la sublimation : pour le psychanalyste, la sublimation consiste en la satisfaction des pulsions par le déplacement de l’objet désiré initial dans un objet socialement valorisé. Cette idée de valorisation sociale est incompatible avec celle de destruction et lui est même opposée. Breton se permet donc là une compréhension large et peu scrupuleuse de la notion freudienne. Or, cette liberté, l’écrivain continue à la prendre en d’autres occasions26. Parfois même, il maintient une certaine distance vis-à-vis du concept, comme dans La Clé des champs où il avoue que le mot de « sublimation » lui « arrachait un soupir d’aise » alors qu’il eût été « fort en peine de savoir au juste ce que [Freud] mettait dessous, et si ce mot n’introduisait pas une faille dans son système.27 ». La sublimation selon Breton est donc très éloignée de la simple idée de recouvrement du désir pervers.
La sublimation freudienne est alors in fine inadéquate, non seulement pour appréhender l’œuvre de Bataille, mais aussi celle de Breton. Si l’on tient à conserver un point de vue psychanalytique sur leur processus créatif et leur conception de l’art, c’est davantage à la sublimation lacanienne qu’il est intéressant de se reporter. Dans son séminaire de 1959-1960, Lacan détache la notion de l’idée de valorisation sociale et place en son cœur un autre terme freudien à partir duquel il forge un véritable concept psychanalytique : das Ding, la Chose. Or, cette approche permet d’appréhender les éventuels liens entre sublime et sublimation dans l’œuvre de Bataille sous un jour nouveau. En effet, comme le montre Klem James dans son article « Breton, Bataille and Lacan’s Notion of « Transgressive » Sublimation »28, Lacan s’écarte de Freud – tout en partant de lui, comme toujours – en mettant la sublimation en rapport avec la transgression et la jouissance. Ainsi, son exemple type de sublimation, l’amour courtois, célèbre toujours un amour interdit, et Lacan observe que la poésie la plus crue et la plus sexuée, en tant que poésie, reste sublimation. En cela, cette conception de la sublimation est plus proche des œuvres de Bataille et de sa pensée sur l’érotisme et la transgression – aussi bien que de la conception de l’amour surréaliste, en dehors des conventions sociales et religieuses – que la sublimation freudienne qui développe, pour reprendre et traduire par un néologisme les termes de Klem James, une vision plus assainissante du phénomène29.
Cependant, un autre point de la théorie lacanienne est ici éclairant, à savoir le concept de Chose, dont Lacan propose la définition suivante :
La Chose, si elle n’était pas foncièrement voilée, nous ne serions pas avec elle dans ce mode de rapport qui nous oblige – comme tout le psychisme y est obligé – à la cerner, voire à la contourner, pour la concevoir. […] Elle se présente toujours comme unité voilée. […] c’est qu’elle est, cette Chose, ce qui du réel – entendez ici un réel que nous n’avons pas encore à limiter, le réel dans sa totalité, aussi bien le réel qui est celui du sujet, que le réel auquel il a affaire comme lui étant extérieur – ce qui, du réel primordial, pâtit du signifiant30.
Il apparaît tout d’abord que la Chose est présentée comme étant inaccessible, fondamentalement voilée, ce qui rappelle la thématique du voile qui traverse les religions31 et la philosophie du sublime : la Chose s’apparente ici au sublime conçu comme irreprésentable. De plus, elle est définie comme ce qui « pâtit du signifiant ». Voilée, irreprésentable, ineffable, ces trois caractéristiques du sublime sont donc attribuées au concept lacanien.
Enfin, le troisième élément à souligner, peut-être le plus déterminant, est la caractérisation de la Chose à partir de l’idée de « réel primordial ». On sait que la notion de réel, chez Lacan, prend un sens particulier et complexe. Ici, le psychanalyste prend soin de donner au mot son sens le plus large. Il fait provenir la Chose d’un réel encore illimité dans lequel sujet et objet, sujet et monde extérieur, ne sont pas encore distingués, et qu’il qualifie de « primordial ». On sait que Lacan définissait également le réel comme « l’Impossible ». Une telle notion est alors très proche de l’origine sexuelle et animale de l’homme, l’en-deçà sublime et terrible du langage et de la séparation sujet-objet, sujet-autrui, qui forme l’objet de la quête bataillienne.
Que l’on aborde l’écriture de Bataille sous l’angle de la sublimation ou de la désublimation, il ressort néanmoins qu’au fondement de sa quête artistique et intellectuelle se trouve le sublime. Pas un sublime classique dans la tradition de la rhétorique latine, mais un sublime terrifiant, informe32, obscur, originel, qui place le sujet face à ses propres limites, à sa propre mort. Un sublime, en quelque sorte, insublimable. Car si Lacan développe le concept de Chose dans le cadre de la sublimation, il semble pourtant, si l’on ose s’éloigner de la pensée psychanalytique, que c’est bien l’insublimable qu’il décrit là : le reste, le fondamentalement hétérogène, l’inassimilable, l’irreprésentable, l’animal qui se trouvent au fond de l’homme, et que celui-ci, paradoxalement, ne doit pas nier s’il veut être pleinement humain.
Cela revient-il à dire à gommer toute différence, toute divergence, entre le Breton du Second manifeste et le Bataille de «La "Vieille taupe" » ? Certes non. Mais leurs désaccords ne sont pas si profonds que la polémique de 1930 put le laisser croire. En cherchant à faire parler la « bouche d’ombre », expression de Hugo qu’il affectionne, Breton opère le même mouvement descendant vers l’en-deçà sublime que Bataille. Là où ils se distinguent, c’est dans le rapport à entretenir vis-à-vis de ce sublime originel : le surréaliste est en effet nettement plus dialectique que le dissident, et développe une esthétique du sublime positive et constructive, fondée sur la foi en le « génie de l’invention » humain et en sa capacité de connaissance illimitée. Bataille, quant à lui, développe une esthétique négative, dans laquelle l’expérience du sublime, conformément à sa pensée de la dépense, est une expérience tragique qui ne produit rien, n’aboutit à aucune connaissance nouvelle, mais consiste seulement en une confrontation terrible, à la fois angoissante et exaltante, avec le non-savoir.
Notes de bas de page numériques
1 S’il ne fut pas publié comme il l’aurait dû dans la revue Bifur, Breton en a très certainement eu connaissance, et il était connu du milieu surréaliste élargi.
2 Georges Bataille, « La "vieille taupe" et le préfixe sur dans les mots surhomme et surréaliste », Œuvres complètes, t. II, Gallimard, nrf, 1970, p. 103.
3 Georges Bataille, « La "vieille taupe" et le préfixe sur dans les mots surhomme et surréaliste », Œuvres complètes, t. II, p. 106.
4 Georges Bataille, « Notre-Dame-de-Rheims », in Denis Hollier, La Prise de la concorde. Essais sur Georges Bataille, Gallimard, N.R.F., 1974, p. 42.
5 Denis Hollier, La Prise de la concorde. Essais sur Georges Bataille, p. 167.
6 Denis Hollier, La Prise de la concorde. Essais sur Georges Bataille, p. 210.
7 Denis Hollier, La Prise de la concorde. Essais sur Georges Bataille, p. 211.
8 Dans ce texte, Bataille n’emploie pas le substantif, mais l’adjectif « sublime ». Mais cet adjectif est bien utilisé au sens d’« élevé », « idéal », et correspond ainsi au substantif sublime défini comme élévation.
9 Edmund Burke, Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau [1757], Vrin, 1973.
10 Jean Paulhan, Introduction, in Le Marquis de Sade, Les Infortunes de la Vertu, Le Point du Jour, 1946, pp. 11-12.
11 Bataille, « La "vieille taupe" et le préfixe sur dans les mots surhomme et surréaliste », Œuvres complètes, t. II, p. 93.
12 Edmund Burke, Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau, p. 69.
13 Edmund Burke, Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau, pp. 97-98.
14 Edmund Burke, Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau, p. 104. Kant, dans ses Observations sur le sentiment du beau et du sublime, publiées avant la Critique de la faculté de juger, écrit à ce sujet, fidèle à Edmund Burke : « La nuit est sublime, le jour est beau. » (Observations sur le sentiment du beau et du sublime, Vrin, 1992, p. 19)
15 Georges Bataille, Œuvres complètes, t. I, p. 316.
16 Par ailleurs, la révolution en général est généralement considérée comme l’événement historique sublime par excellence, que ce soit chez ces défenseurs comme chez ces détracteurs. Ce caractère sublime, elle ne le tire alors pas tant des « valeurs sublimes » qu’elle met en jeu et que Bataille condamne dans la révolution surréaliste, que de son caractère précisément terrible. On peut ainsi se rappeler, par exemple, l’admiration qu’ont pu lui témoigner les philosophes Kant et Hegel, ou se référer aux écrits des antimodernes et antirévolutionnaires Joseph de Maistre et Chateaubriand. Pour ce qui est du rapport de Kant à la révolution considéré sous l’angle du sublime, cf. Jean-François Lyotard, L’Enthousiasme. La critique kantienne de l’histoire, Galilée, 1986. Au sujet du regard de Chateaubriand et De Maistre sur la révolution, cf. Antoine Compagnon, Les Antimodernes, Gallimard, 2005.
17 Georges Bataille, La Littérature et le mal, Œuvres complètes, t. IX, 1979, p. 219. Au sujet de la valeur de l’intensité au sein de l’esthétique du sublime bataillienne, cf. Céline Sangouard-Berdeaux, « Breton, Bataille : deux esthétiques du sublime, deux formes d’intensité dans l’entre-deux-guerres », La Licorne : L’Intensité, Presses universitaires de Rennes, à paraître.
18 Georges Bataille, « Le sacré », Œuvres complètes, t. I, p. 560.
19 Cf. Michel Surya, Georges Bataille. La Mort à l’œuvre, Gallimard, 1992.
20 Georges Bataille, L’Expérience intérieure, Gallimard, Tel, 1943 et 1954, p. 40.
21 « Ce que je vois : la facilité poétique, l’allure diffuse, le projet verbal, l’ostentation et la chute dans le pire : vulgarité, littérature. On claironne qu’on va rénover l’homme : on l’engage un peu plus dans la vieille ornière. Vanité ! c’est vite dit (la vanité n’est pas ce qu’elle semble, elle n’est que la condition d’un projet, d’un renvoi de l’existence à plus tard). On n’a de satisfaction vaniteuse qu’en projet ; la satisfaction échappe dès qu’on réalise, on revient vite au plan du projet ; on tombe de cette façon dans la fuite, comme une bête dans un piège sans fin, un jour quelconque, on meurt idiot. » (Georges Bataille, L’Expérience intérieure, p. 63).
22 Par poésie, il faut entendre la littérature, mais Bataille préfère généralement le premier terme au second, qu’il a trop utilisé dans un sens péjoratif, comme d’ailleurs Breton à une époque.
23 Georges Bataille, La Littérature et le mal, Œuvres complètes, t. IX,p. 186.
24 Georges Bataille, La Littérature et le mal, Œuvres complètes, t. IX,pp. 315-316.
25 Second manifeste du surréalisme, in André Breton, Manifestes du surréalisme, Gallimard, « Folio essais », 1979, pp. 109-110.
26 Citons, par exemple, ce passage de La Clé des champs dans lequel il est question de l’engagement des artistes dans l’actualité politique : « À mon sens, on rouvre par là très inutilement une querelle qui trouve tout apaisement dans la prise de conscience du mécanisme de sublimation chez certains êtres à l’exclusion d’autres : dérivation et utilisation à des fins communes lointaines « d’excitations excessives découlant des différentes sources de la sexualité ». Ici, l’idée freudienne d’objet socialement valorisé est noyée dans la formule volontairement vague de « fins communes lointaines » qui met l’accent sur l’idée de communauté, d’humanité, et gomme celle de valeur, trop associée à la culture bourgeoise.
27 André Breton, La Clé des champs, Œuvres complètes, t. III, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 873.
28 Klem James, « Breton, Bataille and Lacan’s Notion of “Transgressive” Sublimation », E-pisteme, “Boundaries”, volume 2 (1), Newcastle University, 2009.
29 “Freud’s rather sanitising view of the phenomenon” (Klem James, « Breton, Bataille and Lacan’s Notion of “Transgressive” Sublimation », p. 64).
30 Jacques Lacan, Le séminaire, livre 7, L’Ethique de la psychanalyse, 1959-1960, Seuil, 1986, p. 142.
31 Le voile est en effet souvent un attribut du sacré dans les religions polythéistes et monothéistes, et illustre l’interdiction de la représentation du dieu. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, le temple de la déesse Isis porte l’inscription : « Je suis tout ce qui est, qui était et qui sera, et aucun mortel n’a levé mon voile. »
32 Cf. Georges Bataille, « Informe », Œuvres complètes, t. I, p. 217 sq.
Pour citer cet article
Céline Sangouard-Berdeaux, « Quel sublime chez Bataille ? », paru dans Loxias, Loxias 34, mis en ligne le 15 septembre 2011, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=6880.
Auteurs
Professeur agrégé de Lettres modernes, Céline Sangouard-Berdeaux termine un doctorat à l’université Paris 7 Denis-Diderot, sous la direction de Nathalie Piégay-Gros, au sein de l’équipe de recherche CERILAC. Sa thèse porte sur la pensée et l’écriture du sublime dans la littérature du XXe siècle, plus précisément chez Breton, Bataille, Blanchot et Gracq. Elle a participé à différents colloques et rencontres doctorales, et a écrit plusieurs articles à paraître, notamment : « La Terreur comme mythe de l’écriture, de Breton à Blanchot », Textuel : Mythe(s), construction, traduction, interprétation, Université Paris-Diderot, Paris, 2011.