Loxias | Loxias 30 Doctoriales VII |  Doctoriales VII 

Sonia Marteau  : 

Le rôle politique des femmes dans Aliscans

Résumé

Au XIIe siècle, le royaume de France est une société qui cherche un nouvel équilibre ; peu à peu, les règles féodales se codifient et contribuent à la lente formation d’un nouveau corps qui ne sera pleinement constitué qu’au XIIIe siècle : la noblesse. Tandis que le droit gagne progressivement la France depuis son berceau italien, où l’on redécouvre et l’on glose les textes du droit romain, la théologie politique – notamment à travers le Policraticus de Jean de Salisbury – accroît son influence et fait du roi le « ministre de Dieu ». L’épopée constituant un terrain très propice à la célébration des valeurs et idées collectives, elle s’enrichit de ces thèmes et de leurs problématiques inhérentes. C’est ainsi que des chansons de geste telles qu’Aliscans présentent, en plus de leurs intérêts proprement littéraires, des enjeux juridiques en lien avec les préoccupations de l’époque qui les a vu naître. Le poète ne se contente évidemment pas, dans sa chanson, d’une simple transposition du droit en vigueur ; il va plus loin en plaçant les femmes au centre de la scène juridique et politique du récit qu’il développe. Ainsi, de La Chanson de Guillaume à Aliscans, le personnage féminin acquiert une autonomie, une consistance et une influence que l’on peine à retrouver dans d’autres genres littéraires du XIIe siècle et qui sont très largement absentes de la littérature renaissante.

Index

Mots-clés : Aliscans , chanson de geste, droit, femmes, politique

Géographique : France

Chronologique : Moyen Age

Plan

Texte intégral

Introduction

Depuis le célèbre ouvrage de Jean Frappier sur Les Chansons de geste du cycle de Guillaume d’Orange1, dans l’esprit des médiévistes, Le Couronnement de Louis2 reste « la plus politique de nos chansons de geste3 ». Elle est politique, cela est indéniable : il s’agit, dans cette chanson centrale du point de vue de l’intrigue globale du cycle, d’organiser la succession de Charlemagne avant que celui-ci ne meure. Dans cette tâche, c’est bien évidemment Guillaume qui, du point de vue du poète, accomplit son devoir le plus loyalement : non content d’anéantir par la force les ambitions d’un Arnéïs d’Orléans qui se proposait d’assurer la régence du royaume le temps que Louis acquît un âge qui le rendrait plus digne de la fonction royale, Guillaume se saisit de la couronne et la place lui-même sur la tête de Louis4. Ce geste fort, approuvé par Charlemagne et tous les barons, constitue pourtant un acte par lequel Guillaume va au-delà de son devoir d’homme lige : certes, il agit comme on l’attend d’un « baron » en défendant Louis et en rétablissant son autorité ; mais d’ordinaire, ce ne peut être le vassal qui couronne le roi. Guillaume est donc déjà au-delà de ses fonctions. Qui plus est, quelques vers plus loin5, Guillaume encore dépasse les limites de ses devoirs lorsqu’il accepte de prendre en charge la mission même qu’Arnéïs se proposait de remplir – chose qui lui a valu d’être frappé à mort par Guillaume –, à savoir d’assurer la régence le temps que Louis grandisse et qu’il soit capable de gérer dignement le sort de son royaume. On comprend donc pleinement pourquoi Jean Frappier qualifiait cette chanson de « politique ». Aussi ne faut-il pas être surpris que les autres chansons formant le Cycle de Guillaume d’Orange soient, elles aussi, très politiques. Ayant pour personnage central Guillaume lui-même, il ne pouvait en être autrement. Si l’on considère de plus que, dans toute société aristocratique médiévale, l’équilibre de la société dépend tout autant de la personne royale que de ceux qui l’entourent et qui sont parfois, eux aussi, bafoués dans leurs droits et donc dans leur honneur, on comprendra que l’on cherche à analyser cette dimension politique dans chacune des chansons de ce cycle.

Dans le cadre de cette étude, nous verrons qu’Aliscans6 offre un intérêt particulier sur les aspects politiques et juridiques du Cycle de Guillaume d’Orange : du fait de la place étonnante – et nous verrons qu’elle l’est à plusieurs titres – que prend l’exercice de la justice par les femmes, elle constitue effectivement une chanson de geste remarquable. Ainsi, pour mieux le comprendre, un premier développement montrera en quoi le droit est effectivement essentiel pour le cycle et en quoi il est intrinsèquement lié à la notion de justice. Par la suite, un deuxième développement, centré cette fois sur le rôle des femmes dans les chansons de geste, nous permettra de déceler les fonctions esthétiques généralement attachées aux personnages féminins. Enfin, de ces éléments nous tirerons les conclusions nous permettant de mettre en évidence les particularités du rôle de la femme dans Aliscans.

Droit et justice

Si l’on s’en réfère à la très riche étude lexicale menée par W.G. Van Emden7 sur l’étymologie du terme « geste », on peut rappeler que le mot « geste » renvoie, entre autres, à deux notions distinctes : celle d’exploits, de hauts faits d’armes ; et celle de lignée, de famille illustre, de race. De cela découlent plusieurs éléments constants dans les chansons de geste : la présence quasi systématique du roi, ou du moins celle, obligatoire, de personnages de haute naissance ; le récit de batailles effectuées à grande échelle ; la volonté de ces hauts personnages de faire respecter des codes, des valeurs, des idées ou des règles qui assurent leur place dans la société. Ainsi, cohabitent paradoxalement des éléments qui concourent à un certain ordre, une certaine stabilité dans la société, et d’autres qui fragilisent cet équilibre et tendent à le rendre précaire. Cette situation reflète parfaitement les déséquilibres de la société féodale tels que les connaissent les XIe et XIIe siècles : une société contentieuse qui commence néanmoins à chercher des moyens sûrs pour régler les conflits qui la fragilisent. Dans le Cycle du roi8, on voit que le principal remède à ces discordes est le plus souvent la personne royale elle-même ou une cause supérieure qui dépasse et transcende cette fonction, comme la croisade : Charlemagne apparaît alors comme un souverain, sinon modèle, du moins assez puissant pour endosser les lourdes responsabilités que lui confère sa charge ; notons que ces responsabilités sont majoritairement d’ordre juridique : il s’agit, pour lui, de faire respecter la justice, c’est-à-dire de proclamer, dans un conflit, qui « a tort » et qui « a dreit9 ». De cette façon, le royaume cesse d’être mis à feu et à sang pour des querelles privées et désormais les batailles sont davantage politiques en ce qu’elles ont lieu pour des causes territoriales et/ou religieuses.

Il faut, malgré tout, admettre que cela n’est pas toujours le cas, ni dans le Cycle du roi, ni, à plus forte raison, dans celui de Doon de Mayence. Il n’est que de citer l’exemple de Girart de Roussillon10, chanson dans laquelle, à de nombreuses reprises, Charlemagne fait preuve d’une pusillanimité incroyable qui le conduit à agir d’une manière insoutenable pour ses barons : ne mentionnons, pour exemple, que sa volonté de prendre pour femme celle qui était destinée à Girart pour constater que c’est par son injustice même qu’il remet en cause le bien-fondé de son exercice du pouvoir et met donc en péril tout l’équilibre de la société. En effet, que l’on relise, à ce sujet, l’ouvrage de Henri-Xavier Arquillière11 pour se souvenir du rôle essentiel que joue le monarque dans le maintien de l’ordre social dans l’imaginaire du pouvoir que reflète largement l’univers littéraire épique. S’il gouverne, c’est par Dieu et bel et bien pour la paix et la concorde, ainsi que pour exercer la justice de Dieu. De là découlent les nombreuses guerres contre les Sarrasins, dont l’objectif premier n’est pas de tuer les infidèles mais de les amener à renier leur religion afin qu’ils soient élevés au sacrement du baptême et qu’ils rejoignent la communauté chrétienne – ainsi rendue plus forte. Mais de là aussi doit découler une exemplarité sans faille de la part du souverain : si lui-même n’est pas en mesure d’être juste, qui le sera ? Si lui-même est à l’origine d’injustices criantes, qui pourra empêcher que le pouvoir ne soit remis en cause – par les Sarrasins eux-mêmes – et qui pourra légitimement préserver le royaume des prétentions de seigneurs français, dont la force est d’autant plus importante qu’ils ont des lignages puissants ? Il se dessine donc ici une opposition forte et extrêmement récurrente dans la chanson de geste entre la fonction et la personne royales. Si la première est généralement incontestablement respectée, la seconde, par les décisions et les actes injustes qui la caractérisent parfois, peut amener certains barons à défaire le serment qui les lie au roi et ainsi à se libérer de tout devoir envers lui.

Cependant, tous les barons n’ont pas systématiquement recours à cet acte extrême en cas de désaccord avec leur souverain. Dans le Cycle de Guillaume d’Orange, et c’est là sa particularité, le plus souvent, le vassal exemplaire – qui est généralement Guillaume lui-même, voire ses neveux ou du moins quelqu’un de sa parenté – exprime son désaccord en même temps qu’il conseille le roi et le guide vers un choix plus juste : là encore, il s’agit d’un devoir que tout vassal, dans le système féodal, a envers son souverain. Certes, le consilium n’est pas un fait propre au cycle de Guillaume12; cependant, il y acquiert un poids et un pouvoir incomparables à ceux des autres cycles. Nous verrons plus loin dans quelle mesure et par quels moyens cet aspect apparaît plus nettement dans Aliscans. En guise de préambule, citons tout d’abord le cas du Charroi de Nîmes13. Dans ce texte, Guillaume est en colère après Louis : sans sembler se souvenir que c’est grâce à Guillaume qu’il est roi, Louis distribue des fiefs à ses vassaux et commet l’erreur d’oublier le marquis au court nez14. Pour effacer sa faute, Louis propose à Guillaume de prendre Chartres ainsi que la couronne de France, et qu’en échange, il ne le laisse pas seul sur ses terres. Motivé non par ses intérêts personnels mais par la gloire attachée à la couronne de France, Guillaume refuse et ne demande que le droit d’aller combattre en terre d’Espagne pour conquérir un fief qui deviendra le sien15. Louis accepte. Une fois encore, le rôle primordial du conseil est démontré : sans lui, la figure royale perd de sa grandeur car la personne du roi ne se trouve jamais à l’abri de commettre quelque injustice ou quelque erreur de jugement. Dans ce cas, comme on l’a vu précédemment, c’est tout l’équilibre de la société qui est en péril : Guillaume, offusqué de cet oubli, aurait pu, comme Girart, appeler tout son lignage à la révolte. Il n’en fait rien ; le conseil est donné au roi, qui le suit avec respect et l’ordre social est maintenu. On ne peut donc se contenter de dire que le baron des chansons de geste n’est là que pour tempérer l’hybris dont peut parfois faire preuve le roi : il est un réel acteur du système juridique dont la présence est essentielle à l’équilibre général de la société. Grâce à lui, des batailles internes peuvent être évitées. De la même façon que, dans l’antiquité grecque, la « démesure » était considérée comme un crime et comme une offense aux dieux, elle est, dans la chanson de geste médiévale, à la fois un danger pour le royaume et un acte de défiance qui remet en cause l’ordre qui a été institué par Dieu. En épargnant au royaume une querelle interne, Guillaume lui permet aussi de s’élargir aux terres d’Espagne qui deviennent alors des terres chrétiennes : il lutte donc pour que la justice de Dieu soit universellement reconnue.

Ainsi paraît-il essentiel d’accorder à la justice et au droit une place primordiale dans le cycle de Guillaume d’Orange et de replacer ces questions au cœur de toute étude portant sur les hauts faits du marquis qui est, à juste titre, surnommé « Fierebrace16 ».

Dans cet univers à la fois juridique et extrêmement guerrier, on peut s’interroger sur la place qui est accordée aux figures féminines ainsi que sur les rôles qui vont leur être attribués. Afin de mieux mettre en valeur l’originalité d’Aliscans sur ce point, voyons d’abord comment cette question est traitée dans l’ensemble de notre cycle.

Le statut juridique des femmes dans la chanson de geste

En effet, si Aliscans constitue un cas particulier, il faut admettre que, dans les chansons les plus anciennes17 du cycle de Guillaume, la femme est généralement davantage montrée comme un personnage évoluant aux côtés de l’homme que comme une entité réellement autonome et cela est bien évidemment dû à son statut social.

En effet, il faut rappeler qu’au Moyen Âge – et pendant des siècles encore ensuite –, la femme de haute naissance, c’est-à-dire celle dont il est question dans la chanson de geste, a un statut nécessairement dépendant de celui d’un homme. Si elle n’est pas mariée, cet homme sera son père ; à partir du moment où le père la libère de son autorité, c’est pour la placer sous celle de son époux ; Georges Duby cite d’ailleurs l’exemple frappant de Charlemagne lui-même qui, pour éviter tout désordre quant à sa succession, garde ses propres filles à l’écart de la société et ne les marie pas18. Bien entendu, comme tous les liens qui sont noués dans nos textes, ces liens de parenté ne sont pas sans conséquences. Dans une société où tout est affaire d’honneur et où tout invite souvent à défendre celui-ci, même au prix de querelles incessantes, le lien est souvent un moyen de rendre un peu plus sûre sa défense en cas de mise en accusation ou même d’attaque par les armes. Ainsi, qu’elle soit liée à son père par le lien du sang ou à son époux par le lien marital, la femme doit défendre ce lien et faire de lui la première de toutes ses priorités. Le mariage chrétien se fondant essentiellement sur les textes scripturaires pour ses principes fondamentaux, notre détour par ceux-ci est nécessaire. Dans l’Ancien Testament, c’est le statut d’épouse et ensuite de mère qui accorde à la femme un rang digne et qui légitime son existence : « Yahvé dit : “Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie.”19 » La femme est donc utile, mais subalterne à son mari, c’est ce que développe Saint Paul : « Le mari est le chef de sa femme comme le Christ est le chef de l’Église […]. » Mais il ajoute : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église20 ». Il ne faudrait donc pas croire que le mariage obligeât davantage l’épouse que l’époux : il s’agit bien d’un contrat consensuel21 qui engage les deux parties liées. Comme le précise Anne Lefebvre-Teillard : « À partir du XIe siècle la compétence juridictionnelle et législative de l’Église est définitivement acquise. Les attaques portées contre le mariage par certains mouvements hérétiques des XI-XIIe siècles ont conduit à l’affirmation de sa nature pleinement sacramentelle par la théologie médiévale. A ce titre, le mariage relève du droit canonique et des tribunaux ecclésiastiques : les officialités22. » De ce fait, le mariage devient pleinement un acte contractuel selon lequel la femme, lorsqu’elle manifeste du respect et de l’obéissance envers son mari ne fait que remplir sa part du contrat. « En contrepartie le mari doit protéger sa femme et la traiter affectu maritali...23», ajoute Anne Lefebvre-Teillard.

Bien entendu, dans nos chansons de geste, la femme remplit ses devoirs bien volontiers, constituant ainsi un véritable adjuvant pour son mari. La païenne Orable en est un très bon exemple. Si, dans la Prise d’Orange24, elle se détache de ses liens familiaux et fait libérer Guillaume qui est en mauvaise posture, c’est parce qu’amoureuse de celui-ci, elle ne peut en aucun cas espérer conquérir son estime ni se marier avec lui, si elle ne lui montre pas clairement qu’elle abandonne les intérêts de sa lignée au profit de ceux de Guillaume. Effectivement, plutôt que d’être considérée comme une traîtresse, elle est au contraire valorisée par le poète. Guillaume lui-même sera très touché de son geste ; ainsi, pour que ce lien soit renforcé, il faut qu’il soit officialisé, c’est-à-dire qu’il acquière un statut juridique : Orable est donc baptisée sous le nom de Guibourc – accédant ainsi à son premier statut au regard de la religion chrétienne – et devient ensuite la femme de Guillaume. Dans la suite du récit, dans la Chanson de Guillaume, on retrouve, de la part de Guibourc, les mêmes manifestations de soutien :

Li quons Willame est del manger levé,
Prest fu li liz, s’i est culcher alé.
Guiburc la franche l’i tastunad suef ;
Il n’i out tele femme en la crestienté
Pur sun seignur servir e honorer,
Ne pur eshalcer sainte crestienté,
Ne pur lei maintenir e garder.
Tant fu od lui qu’il s’endormi suef,
Puis comandad sun cors a l’altisme Deu,
Dunc vait en la sale as chevalers parler25.

On le voit, ici, le mérite de Guibourc est de savoir « bien servir et honorer son époux » à travers des actes qui sont directement orientés vers la personne de Guillaume : le masser, le veiller jusqu’à ce qu’il s’endorme, le recommander à Dieu. Même si l’on a vu plus haut pourquoi il ne faut pas interpréter cette réaction comme un acte de soumission et d’humilité de la part de Guibourc, on peut néanmoins remarquer, pour la suite de notre étude, que cette attitude est celle qui sied à une femme, en aucun cas au mari. Un peu plus tôt dans le texte, Guillaume, dans son propre intérêt, autorise Guibourc à mentir : plutôt que d’avouer aux chevaliers qui se trouvent dans la salle à manger que Guillaume est en déroute et qu’il a perdu beaucoup des siens, l’épouse leur tient un discours beaucoup plus optimiste :

Ja est venu Willame al curb niés,
Tut sains e salfs, solunc la merci Deu,
Si ad vencu la bataille champel,
E ocis le paien Deramé26.

Sur ces deux seuls exemples, on voit à quel point la femme tient, dans la plupart des chansons de notre cycle, le rôle de réconfort moral auprès de son mari, ce qui fait écrire à Claude Lachet que « dans un monde sombre, horrible, violent, haineux, macabre, [la femme] offre un rayon de lumière, de beauté, de douceur, d’amour et de vie. Pour le poète d’Aliscans, [elle] est le réconfort et l’espérance de l’homme27. » Georges Duby, lui, constate que « les chants épiques, célébrant la vaillance militaire et la loyauté vassalique, cantonnent sur les marges les figures féminines. Épouses des héros, ces femmes tiennent de fort petits rôles […] Certaines, excellentes « adjutoires », nourricières, pourvoyeuses, des compagnes comme on en souhaiterait. D’autres […] chargées de cette mauvaiseté qui fait le péril du mariage. Tout cela, en arrière-fond, à peine esquissé, fugace28. »

Pour résumer, la lecture et l’interprétation de ces exemples nous montrent une femme épique qui acquiert un statut juridique et social en s’unissant à l’homme. Comme dans le droit canon, de cette union découlent des obligations pour les deux époux : abstraction faite du devoir conjugal et de l’obligation alimentaire, le mari a un devoir de protection, la femme, une obligation d’honorer la réputation de son mari en le servant convenablement et en lui apportant une source de réconfort quand les épreuves que Dieu lui envoie sont trop rudes. Limitée en terme de prises de décisions, la femme peut facilement être perçue comme un être inférieur, voire subordonné à l’homme du point de vue de l’action : elle n’agit que très peu et lorsqu’elle le fait, c’est souvent pour obéir à un ordre qui lui a été donné par son mari29.

Le cas particulier des femmes dans Aliscans : un équivalent de l’homme du point de vue politique

Or, l’étude d’Aliscans nous permet d’affirmer avec Claude Lachet que la femme est « capable de rivaliser avec l’homme dans le domaine guerrier [et qu’elle] lui est supérieure dans la conduite de l’action par sa vitalité, son sens de la mesure et son intelligence de cœur30. »

En effet, dans la Chanson de Guillaume, alors que son époux est sur le point de partir pour Laon afin de demander l’aide de Louis pour reprendre la cité d’Orange, Guibourc répond à Guillaume, qui lui demande qui pourra défendre sa ville pendant son absence :

– Sire, dist ele, Jhesu e ses vertuz,
E set cenz dames que ai ça enz e plus.
As dos avront les blancs halbercs vestuz,
E en lur chefz les verz healmes aguz,
En petit de hure serra ço trescoru,
Si Deus le volt, si serrad le socurs venu31.

Dans Aliscans, c’est la mère de Guillaume, Hermenjart, qui prend la parole et se met en scène armée, prête au combat. Il s’agit en fait de la réécriture d’un épisode de la Chanson de Guillaume32qui, pour être comprise, nécessite un court rappel du passage qui vient d’être cité : Guibourc et Guillaume sont sur le point de se séparer car ce dernier doit aller demander du secours à la cour du roi Louis, qui se tient à Laon. Dans La Chanson de Guillaume, seuls les barons de Louis sont présents. Dans Aliscans, la cour se réunit à Laon pour le couronnement de la reine et l’attribution du Vermandois ; la reine étant la sœur de Guillaume, leurs parents, Aymeri et Hermenjart, sont également présents. Or, au moment où Guillaume explique devant toute la cour qu’il n’a plus de ressources armées pour remporter la victoire, ce n’est pas le roi, ni un baron, ni même un homme du lignage du marquis au court nez qui prend la parole pour inciter la cour à une entraide militaire, mais Hermenjart elle-même, une femme donc, la mère de Guillaume :

Dame Hermengart fu droite en son estant,
A sa voiz clere se vet mout escriant :
« Par Deu, François, tuit estes recreant !
Aymeris sire, or te va cuer faillant !
Beau filz Guillelmes, ne te va esmaiant. […]
Et je meïsmes i seré chevauchant,
L’auberc vestu, lacié l’iaume luisant,
L’escu au col et au costé le brant.
Por ce se j’ai le poil chenu et blanc,
S’ai je le cuer hardi et combatant,
Si aideré, de Deu plest, mon enfant.
Puis que seré armee en l’auferrant,
N’encontrerai Sarrazin si vaillant
Que je ne fiere de mon acier tranchant.
Mar i entrerent li Turc ne li Persant33. »

Ajoutons enfin, pour compléter cette peinture guerrière des femmes dans nos deux chansons, que c’est Guibourc elle-même, sur la demande de Guillaume, qui se charge de remettre à Rainouart ses armes avant qu’il ne parte pour les Aliscans. De ce fait, on peut aisément conclure avec C. Lachet que la femme est, dans La Chanson de Guillaume comme dans Aliscans, une égale de l’homme en ce qu’elle ne craint pas le combat et qu’elle constitue une véritable aide militaire.

Cependant, ce n’est pas précisément en cela que la femme acquiert un statut égal à celui de l’homme. En effet, loin s’en faut, tous les hommes qui vont au combat ne partagent pas le même statut social. Encore une fois, c’est davantage par ses actes en lien plus étroit avec la justice que la femme est valorisée ; admettons que c’est principalement dans Aliscans que le fait est observable. Plus récente d’une quarantaine d’années, cette chanson, comme le dit Jeanne Wathelet-Willem, nous montre que les hommes, même « s’ils restent des [êtres] d’exception, […] cessent d’être des surhommes pour se rapprocher davantage de l’humanité quotidienne34. » Ainsi, la faillibilité n’est pas l’apanage du roi : désormais, l’homme, même lorsqu’il est l’un des conseillers les plus fidèles et sûrs du souverain, n’est pas à l’abri d’un découragement ou d’une faiblesse. Dans ce cas, le poète est face à une alternative : ou bien le baron, confronté à la pusillanimité du roi et manquant lui-même de conviction, brise son engagement et se révolte (c’est ce que l’on observe, par exemple, dans Raoul de Cambrai35) ; ou bien la femme entre dans le système de règlement des conflits et rétablit l’ordre et l’équilibre de la société par de sages paroles. Dans Aliscans, les exemples de cette seconde possibilité sont nombreux. Nous ne prendrons que celui d’Aélis, fille de Louis et de la sœur de Guillaume, Blanchefleur. Aélis est présentée par le poète comme une belle jeune fille courtoise et respectée. Ce respect, elle le doit surtout à sa sagesse qui, nous allons le voir, dépasse de beaucoup celle de sa mère. En effet, après l’épisode durant lequel la mère de Guillaume doit intervenir devant toute la cour afin que son fils obtienne justice et aide de la part de Louis, ce dernier, honteux lorsque Guillaume lui rappelle que c’est bel et bien grâce à lui qu’il a été couronné roi devant Charlemagne, finit par lui concéder toute la France. A ces mots, Blanchefleur ne peut s’empêcher de s’écrier :

Voire, dist ele, s’iere desheritee !
Or ont deable fete ceste acordee36.

En entendant cela, Guillaume croit devenir fou et manque de tuer sa sœur ; là encore, la présence d’Hermenjart est capitale puisque c’est elle qui arrête le bras de son fils. Blanchefleur profite du geste de sa mère pour s’enfuir dans sa chambre. C’est là qu’elle rencontre sa fille, Aélis, qui, en entendant ce qui s’est passé par le récit de sa mère, désapprouve ouvertement le comportement de celle-ci. Cependant, comprenant que Blanchefleur a agi sous le coup de la folie, elle souhaite s’entretenir avec son oncle afin que sa mère soit définitivement lavée de tous ses torts. On assiste donc à une scène de supplication au terme de laquelle Guillaume, attendri par les mots de sa nièce, et heureux de voir que cela a poussé Louis à mettre une armée à sa disposition, finit par pardonner à sa sœur37. La paix est faite, l’équilibre est retrouvé et l’on peut donc penser aux préparatifs de la bataille contre les Sarrasins. Ainsi, même s’il est vrai dans cette scène que la beauté, la douceur et la grâce d’Aélis font face à la violence, à la colère et à la rancœur de Guillaume, il semble néanmoins justifié de nuancer les propos de C. Lachet et de constater, avec Stephanie L. Hathaway38 la chose suivante :

[…] Females in the chanson de geste [play] an important role in their social space between lord and vassal, between brother and husband, and [...] contrary to the women in romance texts whose social space [is] their identification as objects of desire […] they [have] voice.

Ainsi paraît-il injustifié de faire de la femme épique dans Aliscans une héroïne romanesque ou  courtoise avant l’heure. Au contraire, elle affirme davantage son statut et la légitimité de sa présence sur la scène politique par des aspects qui ne sont pas réellement propres à la femme, et c’est précisément en agissant ainsi qu’elle devient l’égal de l’homme épique. Ainsi, c’est bien le rôle du baron qui défend l’honneur et l’intérêt de celui à qui il est lié par un serment, que l’on retrouve chez la femme. Quant aux remarques sur le rôle émotif des femmes dans cette chanson, elles peuvent également être contredites. En effet, lorsque C. Lachet affirme que « le rôle de la femme consiste à adoucir la colère des hommes et à ramener l’harmonie entre eux », on peut nuancer le propos en regard de la scène où Hermanjart pousse les barons au combat en leur faisant remarquer qu’ils ne sont pas à la hauteur de leur serment : en agissant ainsi, elle ne peut pas passer pour un personnage qui tente d’apaiser Guillaume. Au contraire, ce dernier sera davantage enclin à défaire les liens qu’il a noués avec les Français. Un peu plus loin, c’est Aymeri et non une femme qui s’adresse à Guillaume en ces termes :

Biau filz Guillelmes, lei ester ta rustie,
Ta volenté sera toute acomplie39.

Enfin, concernant les pleurs et les baisers et étreintes qui parsèment la chanson, il ne faut pas oublier que les manifestations physiques du Moyen Âge ne sont pas celles de notre temps et que pleurs, baisers et plaintes sont partagés par les hommes et les femmes. Guillaume, lié par un serment envers Guibourc, est contraint à plusieurs reprises de passer pour un homme quelque peu rustre à cause de sa promesse qui l’empêche d’embrasser parents et amis.

Les mêmes éléments sont également visibles dans les scènes où, cette fois, la femme se fait le conseiller de l’homme et l’aide à tempérer ses excès. L’épisode le plus significatif est peut-être celui où Guibourc, à la fin de la chanson, tente de convaincre son frère, Rainouart, qu’il ne doit pas en vouloir à Guillaume de l’avoir oublié lors du grand repas organisé à l’occasion de la victoire40 des chrétiens. Dans cette scène, la sœur demande au frère qu’en « récompense des armes [qu’elle lui a] fournies, [soit oubliée] la faute qui a été commise à [son] égard ». Ici, elle est bien ce conseiller qui, dans une situation de conflit, tempère les caractères en rappelant à chacun quel est son dû et quel est son devoir. Elle illustre donc parfaitement le rôle primordial de modérateur qu’elle doit souvent endosser pour que survivent l’équilibre et l’ordre de cette société en perpétuelle tension.

Conclusion

On le voit, le rôle de la femme dans la chanson de geste n’est pas simple. Dans Aliscans plus qu’ailleurs, la femme devient un personnage épique à part entière qui, du point de vue de l’action, joue un rôle essentiel. Non seulement à l’origine de changements notables, elle est souvent la source de dénouements heureux auxquels on n’accède pas seulement par une admiration – trop excessive pour être réaliste – de sa beauté, mais par sa capacité à analyser les situations et à savoir juger de manière juste les droits et les torts de chacun. Par son entrée sur la scène politique, elle devient, selon l’expression de Stephanie L. Hathaway une « liege-lady » dont la profondeur fait d’elle l’égal de l’homme. Grâce à sa présence, l’univers épique acquiert une stabilité plus grande et de véritables plages de sérénité. Par cet aspect, Aliscans nous permet de rejoindre pleinement la conclusion de Dominique Boutet qui voit dans la chanson de geste un genre détenant une « remarquable capacité à accepter et à promouvoir de l’intérieur la mutation profonde et nécessaire de sa fonction, et donc de sa signification culturelle41. » Ici, comme dans d’autres chansons de ce cycle, c’est manifestement une fonction liée au droit. Quoi de plus de naturel, en somme, pour ce genre littéraire dont le but premier est d’unifier autour de valeurs collectives une société que l’on sent fragile, éclatée. Le droit s’insère alors parfaitement dans ce projet unificateur, réunissant religieux et politique, hommes et femmes, forts et faibles, autour de la notion d’État qui n’est certes pas encore nommée, mais déjà souhaitée.

Notes de bas de page numériques

1  Jean Frappier, Les chansons de geste du cycle de Guillaume d’Orange. II, Le couronnement de Louis ; Le charroi de Nîmes ; La prise d’Orange, Paris, SEDES, 1967.

2  Le Couronnement de Louis, chanson de geste, éd. Ernest Langlois, Paris, Champion, 1888.

3  Jean Frappier, Les chansons de geste du cycle de Guillaume d’Orange, p. 51.

4  Le Couronnement de Louis, éd. Ernest Langlois, p. 5, vers 145-146 : « Tenez, bels sire, el nom del rei del ciel, / Qui te doinst force d’estre bons justiciers ! »

5  Le Couronnement de Louis, éd. Ernest Langlois, p. 8, vers 221-224.

6  Aliscans, éd. Claude Régnier et Jean Subrenat, trad. Andrée Subrenat, Paris, Champion, 2007 (Champion classiques Moyen âge).

7  Wolfgang G. Van Emden, « Contribution à l’étude de l’évolution sémantique du mot ‘geste’ en ancien français », dans Romania, 96, 1975, pp. 105-122.

8  Bertrand de Bar-sur-Aube, Girart de Vienne, éd. Wolfgang G. Van Emden, Paris, SATF, 1977. Je reprends la subdivision et la dénomination présentées par Bertrand de Bar-sur-Aube lui-même et communément employées par les médiévistes : « N’ot que trois gestes en France la garnie ; / Ne cuit que ja nus de ce me desdie. / Des rois de France est la plus seignorie, / Et l’autre apres, bien est de droiz que jeu die, / Fu de Doon a la barbe florie, / Cil de Maience qui molt ot baronnie. / […] La tierce geste, qui molt fist a prisier, / Fu de Garin de Monglenne au vis fier. », vers 11-47. On distingue donc le Cycle du roi ou le Cycle de Charlemagne, qui retrace les actions de son illustre famille – dont la Chanson de Roland fait partie – ; le Cycle de Garin de Monglane, également appelé Cycle de Guillaume d’Orange – Guillaume est en fait un descendant du fameux Garin de Monglane ; et le Cycle de Doon de Mayence qualifié également de Cycle des barons révoltés.

9  « a dreit » : “qui a droit, qui est dans son bon droit, qui a le droit pour lui”. Citons l’exemple fameux de la Chanson de Roland, éd. Cesare Segre, Genève, Droz, 1989, p. 144, vers 1015 : « Paien unt tort e chrestïens unt dreit. »

10  Girart de Roussillon, éd. Winifred Mary Hackett, Paris, SATF, 1955.

11  Henri-Xavier Arquillière, L’Augustinisme politique : essai sur la formation des théories politiques du Moyen-Age, Paris, Vrin, 1934.

12  « consilium » : “conseil”. Charlemagne, dans le Couronnement, au moment où Louis va être couronné, rappelle à son fils l’importance de savoir s’entourer de fidèles et honnêtes barons dont les conseils n’auront pas à être remis en cause. Dans le Cycle du roi, c’est le duc Naimes qui endosse exemplairement ce rôle.

13  Le Charroi de Nîmes, chanson de geste du XIIe siècle, éd. et trad. Duncan McMillan, Paris, Klincksieck, 1972.

14  « marquis au court nez » : surnom donné à Guillaume dans de nombreuses chansons.

15  Le Charroi de Nîmes,éd. et trad. Duncan McMillan, p. 84, vers 538-546 : « Sire Guillelmes, dist li rois, frans guerriers, / Et vos que chaut de mauvés reprovier ? / En ceste terre ne quier que me lessiez. / Vos avroiz Chartres et me lessiez Orliens, / Et la corone, que plus ne vos requier. / – Non ferai, sire, Guillelmes respondié ; / Ge nel feroie por tot l’or desoz ciel. / De vostre hennor ne vos quier abessier, / Ainz l’acroistrai au fer et a l’acier ».

16  « Fierebrace » : autre surnom de Guillaume, qui apparaît notamment dans ce passage tout à fait significatif : Le Couronnement de Louis, éd. Ernest Langlois, p. 57, vers 1804-1808 : « Sire Acelins, nobiles gentilz om, / Savez que mande Guillelmes li frans om, / C’est Fierebrace, qui cuer a de lion ? / Dreit venez faire Looïs vo seignor / Isnelement, car de vos se plaint molt. » Traduction : « Sire Acelin, vous qui êtes un homme noble respectable, savez-vous ce que vous demande le sincère Guillaume Fierebrace, qui a un cœur de lion ? Que vous veniez immédiatement rendre justice à Louis, car il se plaint beaucoup de vous. »

17  Noyau composé du Couronnement de Louis, du Charroi de Nîmes et de la Prise d’Orange.

18  Georges Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre, Le mariage dans la France féodale, Paris, Hachette, 1981 (Littérature générale), p. 47 : « L’empereur avait engendré des filles. Il ne les maria pas, il ne les donna pas, par crainte de multiplier les prétendants à la succession royale ; il les garda dans sa maison […] en son pouvoir. »

19  Bible, Genèse, 2, 18.

20  Bible, Épître de Paul aux Ephésiens, 5, 23-25.

21  Cet aspect est primordial et c’est un point important sur lequel Gratien et Pierre Lombard s’entendent. Pour un développement plus précis sur ces questions, voir Anne Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, Paris, PUF, 1996, pp. 133-134.

22  Anne Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, p .132.

23  Anne Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, p. 142.

24  La prise d’Orange : chanson de geste de la fin du XIIe siècle, éd. Claude Régnier, Paris, Klincksieck, 1986.

25  La Chanson de Guillaume, éd. et trad. François Suard, Paris, Livre de poche, 2008 (Lettres gothiques), p. 180. Traduction de François Suard : « Le comte Guillaume s’est levé de table ; son lit est bientôt prêt, et il va s’y étendre : la noble Guibourc le masse doucement. Nulle femme, en toute la chrétienté, ne sut comme elle servir et honorer son époux, exalter la cause de la foi, observer et défendre la Loi divine. Elle reste auprès de lui jusqu’à ce qu’il s’endorme doucement, puis elle le recommande à Dieu le Très-Haut et revient dans la salle trouver les chevaliers. »

26  La Chanson de Guillaume, éd. et trad. François Suard, p. 172. Traduction de François Suard : « Guillaume au nez courbe, le voici de retour sain et sauf, grâce à Dieu ! Il a remporté la victoire au combat et tué le païen Deramé. »

27  Claude Lachet, « Figures féminines dans Aliscans », dans Mourir aux Aliscans : "Aliscans" et la légende de Guillaume d’Orange, Paris, Champion, 1993 (Unichamp), p. 119.

28  Georges Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre, Le mariage dans la France féodale, p. 232.

29  La Chanson de Guillaume, éd. et trad. François Suard, p. 230, vers 2222-2306.

30  Claude Lachet, « Figures féminines dans Aliscans », p. 119.

31  La Chanson de Guillaume, éd. et trad. François Suard, p. 244. Traduction de François Suard : « Seigneur, répond-elle, Jésus et sa puissance, et plus de sept cents dames qui sont ici avec moi. Elles auront endossé le blanc haubert, et porteront sur leur tête le heaume aigu de couleur verte ; elles se tiendront là-haut aux créneaux, lanceront des javelines, des pierres et des pieux aiguisés. Le temps passera vite : si Dieu le veut, le secours sera déjà arrivé. »

32  Voir, au sujet de ces réécritures, les minutieux articles de Jeanne Wathelet-Willem : « Aliscans, témoin de l’évolution du genre épique à la fin du XIIe siècle », dans Mélanges de langue et littérature françaises du Moyen âge et de la Renaissance offerts à Charles Foulon, t.1, Rennes, Institut de français, Université de Haute-Bretagne, 1980, p. 381 ; ead., « La femme de Rainouart » dans Mélanges de langue et de littérature du Moyen âge et de la Renaissance offerts à Jean Frappier, t. 2, Genève, Droz, 1970 (Publications romanes et françaises), p. 1103 ; et « Le roi et la reine dans La chanson de Guillaume et dans Aliscans » dans Mélanges de littérature du Moyen Age au XXe siècle offerts à Jeanne Lods, t. 1, Paris, ENS JF, 1978, p. 558.

33  Aliscans, éd. Claude Régnier et Jean Subrenat, trad. Andrée Subrenat, p. 236, vers 3127-3146. Traduction de Andrée Subrenat : « Dame Hermenjart, debout bien droite, s’écrie d’une voix sonore : “Par Dieu, Français, vous êtes tous des lâches ! Aymeri, seigneur, le cœur te manque ! Guillaume, mon cher fils, ne t’inquiète pas. […] J’y serai moi-même à cheval, portant un hauberc, le heaume brillant lacé sur la tête, l’écu pendant au cou, l’épée au côté. J’ai beau avoir les cheveux gris et blancs, j’ai le cœur plein de courage et d’ardeur ; j’irai, s’il plaît à Dieu, secourir mon fils. Dès lors que je serai en armes sur mon cheval fougueux, je ne rencontrerai pas de Sarrasin, si courageux soit-il, que je ne frappe de ma lance tranchante. Turcs et Persans sont venus chercher leur malheur.” »

34  Jeanne Wathelet-Willem : « Aliscans, témoin de l’évolution du genre épique à la fin du XIIe siècle », p. 391.

35  Chanson qui appartient au Cycle des barons révoltés.

36  Aliscans, éd. Claude Régnier et Jean Subrenat, trad. Andrée Subrenat, p. 238, vers 3186-3187. Traduction d’Andrée Subrenat : « Mais je vais être déshéritée ! Ce sont les diables qui ont conclu cet accord. »

37  Cet attendrissement qui résout un conflit n’est pas sans rappeler l’attitude d’Etéocle devant la fille de Daire le Roux dans le Roman de Thèbes.

38  Stephanie L. Hathaway, « Women at Montlaon : the influential roles of the Female Characters in Court Negotiations in Aliscans and Wolfram’s Willehalm », dans Neophilologus, XCIII / 1, janvier 2009, p. 104.

39  Aliscans, éd. Claude Régnier et Jean Subrenat, trad. Andrée Subrenat, p. 248. Traduction de Andrée Subrenat : « Laisse là ta violence, Guillaume, mon cher fils. Tu obtiendras tout ce que tu veux. »

40  Victoire très largement acquise grâce à la participation de ce frère !

41  Dominique Boutet, La Chanson de geste, Paris, PUF, 1993, p. 271.

Pour citer cet article

Sonia Marteau, « Le rôle politique des femmes dans Aliscans », paru dans Loxias, Loxias 30, mis en ligne le 09 septembre 2010, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=6391.

Auteurs

Sonia Marteau

Sonia Marteau est actuellement allocataire de recherche à l’UFR de Lettres, Langues et Sciences humaines d’Orléans. Elle prépare, sous la direction de Bernard Ribémont, Professeur de Littérature médiévale à Orléans (laboratoire META), une thèse sur « le Juste et l’Injuste dans le Cycle de Guillaume d’Orange ». En parallèle de vacations de français et d’ancien français dans le secondaire et le supérieur, elle s’intéresse aux liens entre droit et littérature dans l’épopée française.