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Aki Taguchi  : 

Voyageur traducteur : Nicolas Bouvier, ou le désir de Bashô

Résumé

La traduction de Bashô, presque la seule qu’il ait faite du japonais, a contribué à l’évolution esthétique de l’œuvre de Nicolas Bouvier. Elle a changé la composition de son œuvre ultérieure, plus retravaillée et plus « poétisée » ; pour finir, il s’est approprié l’esthétique et la quintessence des journaux qu’il a traduits. La traduction de Bashô donne donc dans ce cas au traducteur une forme qui lui permet de saisir des moments de bonheur et de tristesse, ces petits riens qui s’agencent et qui conspirent pour former aussi bien un climat que le « sentiment géographique ».

Index

Mots-clés : affinité , barbare, Bashô, Bouvier, étrangeté, haïku, noms propres, Seiffert

Texte intégral

1Écoutons Valéry Larbaud nous proposer une formule qui ouvre toute sa dimension à la question posée : « Eros traducteur » et à laquelle nous souhaitons réfléchir. « Avec les premiers efforts en vue de la conquête par la traduction, nous avons pu nous flatter d’être devenus amants de la belle héritière. Enfin lorsque notre prise de possession s’est affirmée dans la transfusion du texte, nous avons été promus au rang d’époux1 ». L’acte de traduire peut être assimilé à un roman d’amour : les traducteurs sont des amoureux plus ou moins effrontés de « la fille d’un roi barbare ». Le sexué (ou le sexuel) dans l’acte de traduire, voilà ce que Larbaud nous fait clairement entendre.

2Regardons-y de plus près : « la fille d’un roi barbare ». Quelque barbare qu’elle soit, la princesse est belle. Il la trouve belle parce que cette beauté correspond à la beauté qu’il cherchait sans en connaître l’existence. En même temps, il la trouve étrangement belle, il est attiré par cet étrange-là, par l’étranger, par l’inconnu.

3Sur les traces de l’exote de Segalen, Nicolas Bouvier est un auteur dont la matière littéraire même se nourrit justement de son attirance pour l’étrange, pour l’étranger, pour l’inconnu. Auteur voyageur, il est aussi lecteur de Bashô, le poète voyageur du Japon. Parce qu’il désire inventer, explorer, construire, l’auteur nous invite à suivre ses pas, à parcourir le paysage qu’il a construit dans sa langue et son imaginaire. Puis, quand le voyage intérieur se fait parcours spirituel et exploration du réel dans la dimension la plus charnelle du corps ─ mettre des mots sur ses pas, faire des phrases de ce que l’on voit, rendre l’inspiration de ses émotions ─ le voyage de la lecture et celui de l’écriture entrent dans un rapport de conquête mutuelle, rapport qui peut se voir élever à un niveau exponentiel quand il entre en résonance avec un parcours analogue.

4Cependant, voici le sentiment que notre voyageur suisse ressent devant l’objet à interpréter et à traduire : « J’essaie de réconcilier le chaud et le froid, le nommé et l’innommable, mais je me sens bien mince pour un tel travail2 ».

5Certes, pour un traducteur francophone, cette littérature extrême-orientale est difficile à traduire. Dans la littérature japonaise classique, les récits de voyage étaient originellement écrits en vers, puis ils s’allongèrent de petites mentions insérées entre deux poèmes dans les recueils. Ces lignes expliquaient la circonstance dans laquelle tel poème avait été écrit. Le récit de voyage en prose n’aura donc été qu’une résultante de cette extension de sa part auxiliaire. Bien qu’il ait existé avant Bashô d’autres récits dans lesquels la prose et la poésie furent intimement mêlées, c’est lui qui a innové, au XVIIe siècle, la poétique du haïku et de la littérature de voyage par la forme qu’il donna à ses œuvres, par sa réflexion sur ce genre littéraire et par une sensibilité alors inédite. Dans Oku no hosomichi ou Voyage poétique à travers le Japon d’autrefois. La Route étroite vers le District du Nord et Haïku choisis par Bashô3, la prose est contaminée par le haïku. C’est de la prose poétique, rythmée, tandis que le haïku lui-même y prend un caractère prosaïque, composé avec un vocabulaire quotidien, voire terre-à-terre. La situation prosaïque est évoquée par un haïku comme celui-ci : « Puces et poux mordaient / la nuit j’entendais le cheval / pisser tout contre mon chevet4 ». Son écrit est marqué par la contamination de la prose par la poésie et vice-versa ; références et allusions littéraires y sont très riches, l’amour porté aux gens du peuple et à la nature s’y lit, ainsi que le goût de l’humour et de la nostalgie. Quand Bouvier nous fait entendre l’océan de pensée qui sépare les langues japonaise et française, comment comprendre cet acte violent du ramené dans une langue si lointaine d’un texte dont il semble nous laisser entendre qu’il vient d’un monde si délicat à saisir ?

6Si l’on peut s’autoriser cet acte traître et violent quant à la langue qu’est la traduction d’un auteur si loin et si proche, c’est que la distance qui nous en sépare est inhérente au désir de rapprochement qu’il nous procure. C’est parce que Bashô est lointain que Bouvier le désire. C’est parce qu’il sent qu’il y a en Bashô quelque chose de proche de Bouvier que notre écrivain-voyageur ressent le besoin de le traduire pour nous.

7Ce monde, cette littérature de voyage japonaise se nourrit d’une poétique de l’énumération des noms de sites naturels et culturels qui fournissent leurs chants à des poètes-voyageurs5. Le but de leurs voyages est de se rendre sur le site même rendu célèbre par les légendes ou par les œuvres d’autres auteurs : à la recherche d’une émotion neuve, si celle-ci vient au jour, elle donnera lieu à une composition nouvelle. L’évocation poétique se trouve ainsi enrichie par les enchâssements de références aux poèmes antérieurs sur le lieu6. Certaines émotions mystiques quant à un lieu se voient ainsi cristallisées sous forme lyrique par l’évocation du paysage. Comme notre voyageur japonais poursuit cette tradition, il est inévitable pour son traducteur d’envisager ce grand problème qui est celui de la traduction de noms propres : il lui faut faire un choix entre une transcription phonétique et une traduction sémantique. Les caractères chinois que les Japonais utilisent sont en effet des idéogrammes qui ont à la fois une valeur sémantique et plusieurs lectures phonétiques. Traduire un nom propre japonais en langue française oblige donc le traducteur à faire un choix entre le son et le sens. René Sieffert, grand japonisant contemporain de Bouvier (ce dernier avoue d’ailleurs avoir consulté la traduction, déjà publiée, de son confrère, pour retraduire la même œuvre), lui, transcrit phonétiquement les noms et c’est seulement en cas de difficulté de compréhension du texte qu’il traduit le sens. Chez Sieffert, la traduction de noms propres est donc minimale. Bouvier, lui, veut garder les deux : le son et le sens. Chez lui, chaque lieu visité est nommé et résonne à la fois pour l’oreille et pour l’esprit. Pour notre écrivain-traducteur, tout est poésie qui fait rêver. Ainsi, il écrit : « Kasayama, l’île du chapeau de pluie », « Iwanuma, les marais pierreux », « île de Kinkazan, fleurs d’or qui s’épanouissent », « Gassan, le mont de la Lune », « Haguro, Aile-de-corbeau » etc. etc. Son choix est d’autant plus adéquat qu’on se rend compte de la polyphonie et de la polysémie des toponymes chantés par l’auteur. Tandis que Sieffert, satisfait de la transcription de noms propres, passe outre, Bouvier, lui, demeure gourmand ; il veut savourer son original au maximum. Il nous ouvre plus grand un univers mythologique polythéiste, bouddhiste, populaire, microcosmique, et laisse libre cours à l’imagination du lecteur.

8Dans la strophe citée plus haut « Puces et poux mordaient / la nuit j’entendais le cheval / pisser tout contre mon chevet », le lecteur ne comprendrait pas l’émotion du voyageur sans la traduction du nom de lieu de composition de ces vers. Pour le préciser, Bouvier traduit « Shitomaé, barrière du pisseur ». Pourquoi ce nom ? La raison se trouve dans la mémoire de l’enfant de Yoshitsuné, le héros guerrier infortuné de La Légende de Heiké, une des chroniques japonaises les plus célèbres, qui a soulagé là sa vessie pour la première fois. Mais comment suggérer cette histoire tragique, très connue au Japon, du héros poursuivi par les guerriers de son frère aîné (celui-ci deviendra le shôgun de l’ère Kamakura après l’assassinat de ce petit frère pour qui Bashô a composé un fameux « requiem ») ? Au cours de la fuite de Yoshitsuné avec sa famille vers ce lieu, tous furent obligés de supporter ces inconvénients que les vers décrivent : « Puces et poux mordaient / la nuit j’entendais le cheval / pisser tout contre mon chevet ». Bouvier est sensible aux sentiments de Bashô qui sait faire naître en notre esprit un riche réseau d’évocations quand il parle de « la Barrière du pisseur » et du pauvre logis de passage où un cheval « pisse ». Le traducteur a manifestement compris cette relation organique de l’œuvre : il est entré en communion d’esprit avec le texte original et il a pu former une nouvelle unité de celui-ci avec sa traduction. L’examen d’autres traductions nous éclairera mieux sur ce point.

9Au poste d’Ichifuri, Bashô contemple la mer, la veille de la fête de Tanabata et compose deux haïku : « Fumizuki-ya / Muika mo tsuné no / yo ni ha nizu » » Aranami ya / Sado ni yokotau / Amanogawa ». Sieffert traduit : « De la septième lune / la nuit du six non plus n’est / aux autres pareilles » « Sur la mer houleuse / vers l’île de Sado s’étire / le fleuve céleste7 » Dans le premier haïku, « Fumizuki » correspond au mois de juillet, « Muika » correspond au 6, « yo » à « nuit », et « nizu » veut dire « n’est pas pareil ». La traduction du japonisant est tout à fait correcte : la manière japonaise de s’exprimer sans évocation du sujet et le modèle syllabique du haïku « 5-7-5 » sont rigoureusement respectés. Mais le discours est équivoque, faute de note (et il n’y a pas de note). Voici la traduction par Bouvier : « Veille de Tanabata demain / l’étoile du Bouvier retrouve Véga la fileuse / impatience des amants » ; et encore : « Sur les flots sauvages / jusqu’à Sado la lointaine, s’étend la voie lactée ». On pourrait croire que ce ne sont pas les traductions des mêmes versets. Tanabata, fête des étoiles au septième jour du septième mois du calendrier lunaire fait appel à une ancienne légende chinoise : c’est la fête de Véga et Altaïr dont l’histoire d’amour est devenue un archétype même du grand amour au Japon. Dans la traduction de Bouvier, l’attention et la position du sujet lyrique sont déplacées. Chez Sieffert, c’est le voyageur-poète qui ressent un sentiment différent à la pensée du rendez-vous des amants, le lendemain, et c’est lui qui attend impatiemment cette fête des étoiles où l’on a coutume d’offrir des fruits et des légumes de saison aux deux étoiles, ainsi que de composer des poèmes à leur mémoire. Mais ce que Bouvier met en scène, ce sont les amants eux-mêmes, impatients de se rapprocher après s’être adonnés à l’amour au point d’en oublier leurs autres occupations et qui, pour finir, se trouvent condamnés à rester séparés par la voie lactée toute l’année à l’exception de ce seul jour. Bashô se met toujours à la place de la personne à laquelle il fait allusion, – pense Bouvier. Le haïku ainsi traduit par Bouvier nous ouvre à l’ensemble des âmes et il convoque la culture du monde. La traduction de Bouvier est lisible, élégante et uniforme8, mais il faudrait la qualifier de « belle infidèle », puisqu’elle n’est pas littérale, mais interprétative et, pour ainsi dire, initiatrice. Pourtant, parmi les lecteurs francophones, qui pourrait se rappeler cette fête nationale japonaise par la simple évocation du fleuve céleste et du 6 juillet dans le calendrier lunaire ? Le poème le plus bref du monde s’ouvre à toutes les interprétations. Outre cela, Bouvier lui-même pense que « considérer simultanément tous les aspects d’une même affaire est une attitude qui correspond à [la] nature [des Japonais]9 ». Ainsi s’impose, au-delà de la question de la compréhension du texte, la question de sa valeur expressive. « [R]ien de ce que nous pouvons formuler n’exprime décidément jamais la réalité finale10 », avoue notre traducteur. Pour cela, s’il fixe un sens au poème, cette solution n’est jamais que provisoire, car il écrit encore : « les questions qu’elle me pose augmentaient au carré des réponses que je leur trouve11 ». Ne serait-ce donc pas là que « la poétique (du traduire) est l’essai de penser le continu dans le discours » ? Et encore qu’« elle tente d’atteindre, à travers ce que disent les mots, vers ce qu’ils montrent mais ne disent pas, vers ce qu’ils font […]12 ».

10Bouvier formule ainsi sa position de traducteur : « le "traducteur idéal" est d’ailleurs une création mythique (qui n’existe pas plus que le sabbat des sorcières ou que la "fourmi de dix-huit mètres" de Robert Desnos). Et il n’existera jamais à moins d’en savoir un peu plus que Dieu lui-même. Il devrait connaître non pas toutes les langues ─ qui ne sont là que pour nous confondre depuis la Tour de Babel ─ mais, par exemple tous les âges de la vie, tous les climats des pôles aux tropiques, tous les goûts sur la langue, du curry à l’irish stew, sans oublier les parallèles et les méridiens. Impossible13 ».

11Cette impossibilité du traducteur idéal n’aboutit cependant pas à une impasse. Pour la surmonter, le vagabond du monde nous propose une démarche corporelle : il s’agit de voyager dans sa chair. Et à l’instar du maître du haïku, Bouvier a véritablement marché jusqu’au bout du nord lors de ses voyages en 1955-1956 et en 1964-1966 (au XVIIe siècle, il s’agissait de Tôhoku, mais de nos jours, il faut s’en aller vers Hokkaïdô). Dans son récit de voyage intitulé Chronique japonaise, ouvrage marqué à la fois par le caractère personnel et impersonnel du sujet, on ne participe à ce qu’il appelle le « sentiment géographique » que par la sensibilité particulière de l’auteur et, cependant, le voyage de Bouvier se trouve caractérisé par l’effacement même du sujet. Aurait-il vu un maître de cette poétique chez Bashô ? Il y présente en tout cas le haïku suivant du poète japonais : « Ceux du monde profane remarquent à peine / la fleur du châtaignier sous l’auvent14 ». Et Bouvier le commente ainsi : « Dans le monde que Bashô déjà habite, « Je » a disparu, l’identité ne porte plus ombre15 ». Bouvier y répond dans son récit sur le Japon quand il écrit : « dans des paysages faits de peu, je me dis : c’est comme moi, presque vide16 ».

12Cette affinité de la démarche, de l’état d’esprit, cette affinité du parcours est précisément ce qui peut mener plus loin, plus loin à l’intérieur, comme lorsque Bouvier plonge dans le passé (l’origine, y compris mythologique) et le lointain (le Japon, ce bout du monde) pour mieux saisir le monde qui lui est contemporain, pour se rapprocher de lui-même en explorant la différence. Il savait qu’« à notre époque […] on commence […] à passer d’une opposition entre l’identité et l’altérité, à la reconnaissance d’une interaction entre l’identité et l’altérité, telle que l’identité apparaît comme n’advenant que par l’altérité, par une pluralisation dans la logique des rapports interculturels. Traduire contient une poétique et une politique de la pensée. Où le statut du sujet est capital17 ».

13Dans la carrière de Bouvier, la traduction de Bashô est presque la seule traduction qu’il a effectuée en langue japonaise. Avant de devenir traducteur, il était et il demeure toujours un écrivain-voyageur. Sa Chronique japonaise est connue comme récit de voyage sur le Japon, mais ce n’est qu’une seconde version d’un livre publié en 1967 à la demande d’un éditeur suisse sous le titre de Japon. Cette première version était informative, accompagnée des photos qu’il avait prises lui-même sur place et de renseignements pratiques sur le Japon des années 50 et 60. Déjà dans la première version, l’écrivain explorateur nous livre par bribes, dans le corps de son récit de voyage, des poèmes, et des traductions. C’est au moment du départ pour l’île du nord, au cours de son second voyage au Japon, qu’il s’est inspiré de Bashô et qu’il s’est mis à écrire des feuilles de route, tout comme Bashô l’avait fait dans La route étroite dans le District du Nord. Mais, au moment de la publication de sa première version, Bouvier ne savait pas encore utiliser les poèmes qu’il avait écrits sur les sites visités. Après la publication de la première version, Bouvier a publié de nouveau en 1976 cette traduction de Bashô. Mais, juste avant, dans sa Chronique japonaise, publiée en 1975, sont insérés les carnets écrits sur les sites japonais eux-mêmes. Rappelons que le remaniement de la Chronique japonaise et la traduction de Bashô sont contemporains. Notre hypothèse est que cette traduction a contribué à l’évolution esthétique de l’œuvre de Bouvier, qu’elle a changé la composition de son œuvre ultérieure, plus retravaillée et plus « poétisée » et, pour finir, qu’il s’est approprié l’esthétique et la quintessence des journaux qu’il a traduits. La traduction de Bashô donne donc dans ce cas au traducteur une forme qui lui permet de saisir des moments de bonheur et de tristesse, ces petits riens qui s’agencent et qui conspirent pour former aussi bien un climat que ce « sentiment géographique ». L’exergue de Bashô pris pour Chronique japonaise est éloquent : « Somnolant sur mon bourrin / Rêvasseries / La Lune au loin / Fumée du thé18 ». Le sujet du poème, qui somnole en croupe, laisse aller le bourrin qui connaît le chemin. Il se sera ouvert aux démarches de l’autre jusqu’à l’écriture.

14Pour conclure, tandis que Sieffert, spécialiste de littérature japonaise, finit par traduire une centaine d’œuvres, peut-être Bouvier a-t-il renoncé à traduire à cause de l’impossibilité mise au jour dès sa première expérience. Sieffert a promu la littérature japonaise classique, mais c’est Bouvier qui a enrichi la littérature de voyage comme écrivain. L’expérience unique de ce dernier est décisive pour sa littérature, puisqu’elle lui a permis de trouver ce qu’il cherchait – dans une autre culture, dans une autre forme d’expression –, ajoutant de la sorte une autre dimension à sa littérature. La quête du Japon qu’est pour lui sa Chronique japonaise n’aurait pas aussi justement représenté son imaginaire sans cette « transfusion ». Eros traducteur qui fait désirer l’autre – dans le corps même de son écriture, – ne lui permet donc pas de rester toujours lui-même. Il transforme le sujet. Lié avec l’autre dans une relation charnelle, dans la mesure où cette liaison produit la différence, celui qui l’admire échappe à l’infini, à l’Un comme à l’identité. Alors, dans cette relation, il ne cesse de désirer l’autre et un autre à venir. Ne serait-ce pas là la source sans cesse renouvelée du besoin littéraire ?

Notes de bas de page numériques

1  Valéry Larbaud, Sous l’invocation de Saint Jérôme, Paris, Gallimard, « tel », p. 87. (L’adjectif « barbare » s’interprète en l’occurrence ici comme ce qui est étranger, au sens grec du terme).

2  Nicolas Bouvier, Japon, Lausanne, Éditions Rencontre, 1967, p. 173.

3  Cette traduction est une double traduction d’un livre en anglais, mais Bouvier nous relate dans la postface qu’il se réfère aux poèmes de Bashô en japonais aussi. Ce qui nous semble singulier, c’est que la bio-bibliographie de Bouvier présentée dans ces Œuvres telle qu’elle a été publiée chez Gallimard en 2004, ignore l’existence de cette traduction de Bashô. Cette omission de la part de l’éditeur de la collection « Quarto » vient-elle de son ignorance quant à ce fait, ou bien alors ne prend-il pas en compte l’importance de cette traduction ?

4  « Nomi-shirami Uma-no-shitosuru makuramoto ». Voyage poétique à travers le Japon d’autrefois. La Route étroite vers le District du Nordet Haïku choisis par Bashô. Introduction de Dorothy Britton. Traduction française de Nicolas Bouvier. Photo de Dennis Stock. Tokyo, Kodansha international, 1974 ; Fribourg, Office du Livre, 1976, p. 44.

5  Voir Jacqueline Pigeot, Michiyuki-bun. Poétique de l’itinéraire dans la littérature du Japon ancien, Paris, G.-P. Maisonneuve et Larose, 1982.

6  Cette écriture du monde est aussi une réécriture de la bibliothèque. Cette tendance opposée, référentielle, intertextuelle, autobiographique, universelle et personnelle est constitutive des apories du récit de voyage, comme Christine Montalbetti l’établit dans Le Voyage, le monde et la bibliothèque, Paris, PUF, 1997.

7  «Fumi zuki ya / Muika mo tsuné no / yo ni ha nizu ».  « Ara-umi ya / Sado ni yokotau / Amanogawa ». Bashô, Journaux de voyage, La sente étroite du Bout-du-Monde, traduction de René Sieffert, Publications orientalistes en France, 2001, p. 93.

8  Trois conditions nécessaires qu’Ignês Oseki-Dépré définit pour la traduction littéraire. Théories et pratiques de la traduction littéraire, Paris, Armand Colin, 1999, p. 75.

9  Nicolas Bouvier, Japon, Lausanne, Editions Rencontre, 1967, p. 186

10  Nicolas Bouvier, Japon, Lausanne, Editions Rencontre, 1967, p. 173.

11  Nicolas Bouvier, Japon, Lausanne, Editions Rencontre, 1967, p. 173.

12  Henri Meschonnic, Poétique du traduire, Verdier, 1999, p. 140.

13  Nicolas Bouvier, « Traduire ! », L’écrivain et son traducteur en Suisse et en Europe, éditions Zoé, 1998, p. 16.

14  Un haïku de Matsuo Bashô, dans Le chemin étroit vers les contrées du Nord, (XVIIe siècle), cité par Bouvier dans « Réflexions sur l’espace et l’écriture », Œuvres, Gallimard, 2004, coll. « Quarto », p. 1056.

15 N. Bouvier « Réflexions sur l’espace et l’écriture », Œuvres, Gallimard, 2004, coll. « Quarto », p. 1056.

16 N. Bouvier, Chronique Japonaise, Œuvres, Gallimard, 2004, coll. « Quarto », p. 668.

17  Henri Meschonnic, Poétique du traduire, Verdier, 1999, p. 73.

18  Un haïku de Bashô, cité par Bouvier dans Chronique japonaise, Œuvres, Gallimard, 2004, coll. « Quarto », p. 497. « Uma ni nété / Zammu tsuki tôshi / Cha no kéburi », Nozarashi kikô).

Pour citer cet article

Aki Taguchi, « Voyageur traducteur : Nicolas Bouvier, ou le désir de Bashô », paru dans Loxias, Loxias 29, mis en ligne le 22 juin 2010, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=6244.


Auteurs

Aki Taguchi

Université de Tokyo