Loxias | Loxias 5 (juin 2004) Doctoriales I 

Magali Pettiti  : 

Quête identitaire : processus initiatique et dimension mythique

Horizons français et sud-africain

Résumé

Le roman La quarantaine (1995) du français J.M.G. Le Clézio s’enracine dans l’aire géo-culturelle des Mascareignes, construisant une intrigue où se mêlent passé, présent et temps mythique. Pour sa part, André Brink, dans Les imaginations du sable (Imaginings of sand) (1995), puise dans le voyage retour de ses personnages en terre sud-africaine l’occasion d’évoquer une chronique familiale dont les prolongements rejoignent les espoirs et les difficultés politiques de “ l’après-apartheid ”. La mémoire ancestrale resurgit sous des formes diverses et originales dans les romans, l’auteur sud-africain donnant vie à des légendes empreintes “ d’africanité ”, tandis que de son côté l’écrivain français construit son intrigue en parallèle à l’évocation de récits ancestraux mythiques. La confrontation interculturelle des textes français et sud-africain offre des champs d’étude nouveaux et féconds alliant les méthodes littéraires et anthropologiques dans un souci d’enrichissement et d’élan novateur.

Index

Mots-clés : initiation , littérature comparée, mythe, origines, voyage

Texte intégral

S’il est indéniable qu’aventure, voyage et quête ont des points communs, il est également certain que toute aventure ou tout voyage ne peut être qualifié de quête. Comme l’a constaté Simone Vierne,

le voyage conçu comme une quête a un but, qui va au-delà du dé-paysement, même si le voyageur n’en est pas toujours conscient : il s’agit pour lui de transcender l’humaine condition, en touchant comme Ulysse aux portes de la mort, ou comme Enée en descendant aux Enfers, et d’en ressortir autre, selon un schème initiatique bien connu1.

Dans cet esprit, nous fonderons notre approche sur les liens qui unissent littérature et quête identitaire en nous appuyant sur un texte de l’auteur français J.M.G. Le Clézio intitulé La quarantaine2 s’enracinant dans l’aire géo-culturelle des Mascareignes, et le récit de l’écrivain sud-africain André Brink, Les imaginations du sable3, texte qui narre le retour des protagonistes en terre sud-africaine4.

Cette approche n’a pas pour dessein d’être exhaustive, elle s’axera essentiellement sur la démonstration des convergences et divergences intéressantes à analyser concernant la quête identitaire qui sera envisagée dans une perspective individuelle et personnelle mais aussi doit être lue dans un cadre plus large qui est celui du contexte socio-culturel5 ou du mythe. Cette mise en regard de textes sera l’occasion d’analyser l’émergence du parcours initiatique6 qui sous-tend le récit de voyage des protagonistes et qui est à l’origine de la quête identitaire, ainsi que la quête de soi liée à la connaissance ancestrale. Nous observerons la dimension mythique du voyage initiatique7 et la transfiguration littéraire de mythes d’origine liés aux figures féminines en appuyant notre réflexion sur les théories de la mythocritique8 et de la mythanalyse9 qui nous permettent d’ouvrir des perspectives et de passer du texte au contexte.

Pour examiner les liens entre voyage initiatique et connaissance des origines, nous confronterons les romans en réfléchissant à la fois sur les convergences mais aussi sur les divergences enracinant les fictions dans des aires géo-culturelles distinctes, le voyage “ physique ” ou spirituel des protagonistes réitérant les différentes étapes propres au scénario initiatique qui fait succéder les épreuves, la mort initiatique et la renaissance.

Le roman La quarantaine met en scène un double parcours initiatique : il présente tout d’abord le voyage de Léon, frère de Jacques, qui se rend sur l’île Plate au XIXe siècle, puis le séjour du second Léon, petit-fils de Jacques, qui part sur les traces de son Grand-Oncle Léon sur l’île Maurice et l’île Plate10. En ce qui concerne le “ Premier Léon ” (d’un point de vue diachronique), il connaît une véritable initiation sur l’île Plate11. Ce migrant subit des épreuves, une mort initiatique représentée symboliquement par la traversée maritime12 et son premier voyage sur l’îlot Gabriel13. Enfin, la renaissance du protagoniste est symbolisée par l’épisode du baptême où la jeune femme aimée, Suryavati, inscrit des signes sur le visage de Léon avec la cendre des bûchers14 : cet acte rituel enracine Léon dans une culture “ autre ” liée aux origines hindoues. Par cet acte le jeune homme devient un descendant de la lignée d’Ananta15, mère de Suryavati. Quant à Léon, petit-fils de Jacques, son parcours initiatique débute par un retour sur les traces de son Grand-Oncle : il se rend sur l’île Plate et l’îlot Gabriel à la recherche de l’ancêtre disparu dont il porte le nom16. C’est en revenant sur les lieux où vécut son ancêtre et en rencontrant la dernière descendante de la famille Archambau, Anna17, que Léon pourra renaître18. Ce voyage de retour sur les lieux mais aussi sur un épisode crucial du passé du Grand-Oncle19 ont été nécessaires à Léon pour se réconcilier avec lui-même et avec ses origines20. Donc, dans La quarantaine, le parcours initiatique sous-tend le voyage des deux “ Léon ” et semble intimement lié à la thématique de la quête identitaire.

Le roman Les imaginations du sable présente le voyage initiatique de la protagoniste prénommée Kristien qui, après un long exil en Europe, rentre enfin en Afrique du Sud à la demande de sa grand-mère Ouma Kristina qui vient d’être victime d’un attentat et qui éprouve le besoin de transmettre sa connaissance des ancêtres et de leur histoire21. Dans le récit, cette prise de connaissance des légendes familiales s’apparente à des épreuves initiatiques d’ordre personnel22. De plus, l’immersion dans le pays d’origine à la veille des élections démocratiques prend également valeur d’épreuves initiatiques, mais cette fois-ci d’un point de vue socio-culturel23. La mort euphémisée de Kristien permet la renaissance de cette dernière en tant que femme mais également en tant que Sud-africaine24. Ainsi le séjour de la jeune femme en Afrique Australe est intimement lié à un retour à la transmission de la parole et à la transmission identitaire. Par la connaissance légendaire, la Grand-mère et sa petite-fille reproduisent “ la Geste ” des ancêtres25.

La confrontation interculturelle des deux textes permet de constater l’émergence du processus de l’initiation qui sous-tend le voyage-retour des protagonistes. Ces deux récits mettent en scène un voyage initiatique où la mort symbolique est associée à l’acquisition des connaissances nécessaires aux personnages pour parvenir à transcender leur propre condition, rejoignant ainsi la définition que donne Simone Vierne :

C’est en général durant la période de sa mort initiatique que le novice reçoit au moins une partie de l’enseignement qui l’intégrera à sa nouvelle communauté et fera de lui un autre homme26.

Le retour géographique de Léon ou de Kristien est lié à une quête des origines, à un retour sur les traces des ancêtres. La mise en correspondance des deux romans permet de constater des divergences d’ordre socio-culturel27 : alors que le texte Les imaginations du sable s’enracine dans l’univers sud-africain, pays d’où est originaire l’auteur, le roman de Le Clézio quant à lui prend place dans l’ailleurs, c’est-à-dire les Mascareignes. La quête identitaire apparaît rattachée à l’ailleurs et à l’altérité dans La quarantaine alors que pour l’écrivain sud-africain, la fiction s’enracine dans le contexte socio-culturel dont il est issu.

La transmission orale a ainsi pour fonction de révéler les racines familiales ou sociales aux protagonistes28, démontrant la nécessité de la quête de soi et de la connaissance ancestrale. En effet, cet enseignement nécessite la présence d’initiateurs auprès des néophytes, sachant que la résurgence de récits légendaires dans les romans est indispensable à la renaissance des protagonistes qui pourront enfin trouver leur place dans la “ dynastie ” familiale ou la société dans laquelle ils évoluent29.

Dans le roman La quarantaine il est intéressant de noter l’omniprésence de personnages initiateurs : pour Léon frère de Jacques, la connaissance ancestrale est transmise par les personnages d’Ananta et de Giribala : la légende de leur périple en Inde racontée par Suryavati permet à Léon de remonter aux origines de la lignée indienne. En ce qui concerne Léon petit-fils de Jacques, il est initié au passé familial et légendaire par le truchement de la parole d’Anna, petite-fille du Patriarche Archambau30. Ces personnages initiateurs transmettent les légendes familiales aux initiés : cette connaissance leur permettra de s’inscrire dans une longue lignée. Léon frère de Jacques trouve enfin ses origines et peut en quelque sorte devenir un descendant de la famille d’Ananta31 ; quant à Léon petit-fils de Jacques, il mêle en lui origines européenne et mauricienne.

En ce qui concerne Les imaginations du sable, la grand-mère Ouma Kristina joue un rôle semblable auprès de sa petite-fille puisqu’elle est celle qui détient la connaissance ancestrale. En racontant la vie des huit femmes qui les ont précédées, elle initie sa petite-fille à la connaissance des origines32. Kristien, initiée, pourra à son tour transmettre les mythes ancestraux aux femmes à venir : le lien entre passé, présent et futur s’est établi. Les légendes racontées par la grand-mère ont pour fonction d’une part de lui permettre de devenir femme (en prenant conscience de ses origines et de ses ancêtres féminins qui l’ont précédée33), et de faire d’elle une citoyenne sud-africaine qui choisira de s’engager et de rester dans son pays. A la renaissance individuelle et personnelle de Kristien34 répond la renaissance de l’Afrique du Sud : les deux dimensions se rejoignent pour n’en faire plus qu’une35. En ayant pris conscience de ses origines, Kristien devient à son tour la détentrice de la mémoire ancestrale et la boucle du cycle se perpétue, reliant passé légendaire et avenir36. Ainsi le roman est sous-tendu par la création d’un monde nouveau, et l’omniprésence du discours féminin symbolise le retour aux origines.

Cette mise en correspondance nous permet de constater que les deux romans présentent un parcours initiatique étroitement lié à l’apprentissage et à la connaissance des origines familiales : les personnages initiateurs transmettent le savoir ancestral par le truchement du récit et des légendes insérées dans les textes modernes. Pour A. Brink, le retour en Afrique du Sud semble lié à la nécessité d’un retour dans le passé pour tenter d’expliquer le présent sud-africain et de trouver des repères dans un pays qui connaîtra instabilité politique et identitaire, la quête du protagoniste et son évolution préfigurant celle de la nation entière. Quant à l’écrivain français, la quête des origines qu’il narre pourrait traduire une volonté de “ reconstruire ” ses origines mauriciennes37 par le truchement de la fiction faisant ainsi converger la recherche du protagoniste et celle de l’auteur. L’écriture tenterait de faire revivre l’espace-temps des origines d’un continent et d’un peuple, les récits légendaires s’enracinant dans une dimension mythique.

Les récits légendaires étudiés précédemment ont pour fonction de recréer la lignée familiale et de permettre le retour aux origines des protagonistes, mettant en scène des éléments appartenant au mythe38 et plus spécifiquement au mythe cosmogonique39, établissant au sein des œuvres analysées la dimension mythique du voyage initiatique. Simone Vierne rappelle à propos de l’enseignement que reçoivent les novices que

Le rituel d’initiation, en effet, parce qu’il réactualise les gestes par lesquels les dieux, puis les Ancêtres mythiques, ont établi ce processus de mort mystique et de renaissance, réitère aussi la naissance de la vie du monde, qui pour les primitifs sont absolument coexistants – et même coexistentiels. “ L’initiation récapitule l’histoire sacrée de la tribu, donc en fin de compte, l’histoire sacrée du Monde. ”40

Par le truchement des légendes, les romans créent un monde nouveau accordant une place importante aux figures symboliques féminines41, comme l’atteste d’ailleurs une lecture “ mythocritique ”42 des textes mis en regard.

Le roman La quarantaine réactualise un mythe qui rappelle les commencements du monde et met en avant le personnage d’Ananta, dont la figure s’apparente à celle de la Déesse-mère et à l’image de la femme originelle, en effet “ [...] comme si c’était par elle que tout commençait ”43. Dès son adoption par Giribala, la jeune enfant est baptisée dans le fleuve la Yamuna, lieu sacré qui la lie au “ Seigneur Krishna ”44. La légende d’Ananta s’enracine dans un Temps mythique, un temps qui permet un retour aux commencements, aux origines, à l’image du radeau45 sur lequel séjournent Giribala et la petite fille qui glisse sur le fleuve et traverse des contrées pour atteindre Plate puis enfin Maurice46. Cette émergence du récit légendaire mettant en scène le personnage d’Ananta permet de remonter aux origines de la féminité qui prend l’apparence d’une Déesse-mère47 rattachant la femme à l’aire et à la mythologie indiennes. Ainsi, la longue lignée féminine se perpétue par le truchement des figures féminines descendantes d’Ananta et de sa mère d’adoption Giribala, redonnant vie à l’espace-temps des origines.

Dans le roman Les imaginations du sable, il est intéressant de remarquer les interactions entre les récits légendaires que conte Ouma Kristina à sa petite-fille Kristien et leur lien avec le mythe, légendes qui tentent d’expliquer les origines du monde. En effet, ces récits mettent en scène les figures légendaires de femmes, remontant aux origines de la famille de Kristien et rejoignant la création du monde48. Notons également que ce retour dans le temps qui est à envisager par le truchement des figures féminines49, s’érige en contre-point de l’Histoire fondée sur une conception qui se veut objective des événements50. Nous remarquons que les histoires personnelles que conte la vieille femme sont une forme de réécriture sur l’Histoire officielle sud-africaine51 donnant un point de vue complémentaire et enrichissant de l’Histoire de ce pays. Les femmes prennent la parole à l’aube de la création d’une Nouvelle Afrique du Sud52 remettant également en cause la vision patriarcale de la société.

La mise en résonance des deux textes observés confirme la réactualisation du mythe d’origine dans les fictions et donne une dimension et une interprétation complémentaires aux romans. Le mythe se rattache à la naissance d’un monde nouveau, univers dans lequel les protagonistes trouveront enfin leur place et leur rôle. De plus, l’émergence d’éléments mythiques liés aux origines sous-tend une réflexion profonde concernant le contexte dans lequel s’inscrivent les romans. En effet, les romans impliquent un questionnement sur les origines et les sources de problématiques socio-culturelles, c’est-à-dire l’histoire du continent indien dans le roman de Le Clézio53 ou la réflexion d’A. Brink sur la mise en place d’un régime ségrégationniste en Afrique du Sud. Ainsi,

les mythes d’origine peuvent participer de l’histoire particulière d’un peuple, d’une nation ou d’une cité. Ce type de mythe, qui se situe à mi-chemin entre la légende et l’Histoire, qui permet de relier le national et le sacré, est souvent constitué a posteriori, à partir de récits archaïques auxquels il s’agit de donner une vigueur nouvelle. On peut presque parler de mythe “ fabriqué ”, ou reconstitué à des fins politiques de cohésion sociale54.

Par ailleurs, les mythes inscrivent la figure féminine au centre de la connaissance des origines et lui accordent une place symbolique de tout premier plan55.

Les développements qui précèdent nous ont permis de mettre en évidence la résurgence du scénario initiatique dans les deux romans issus d’aires géo-culturelles distinctes, parcours à la fois géographiques et spirituels. Puis nous avons pu constater la résurgence de la connaissance ancestrale par le truchement des récits et des légendes, permettant un retour vers les origines. Le récit mythique enfin enrichit le texte littéraire en lui apportant un rayonnement nouveau :

Le mythe nourrit la texture du récit, lui donne son rayonnement. [...] Grâce à son actualisation de schémas mythiques, le récit touche notre conscience et notre sensibilité en profondeur. L’oeuvre engagée ne rencontre un accueil favorable que si elle sollicite la sensibilité du lecteur, les structures profondes de l’Imaginaire, le fond mythique56.

Cette irradiation est à analyser en correspondance avec le contexte socio-culturel.

Ainsi nous constatons que l’étude comparatiste entreprise dans ce travail nécessite une mise en correspondance plus large des textes analysés. Le roman de J.M.G. Le Clézio réitère la quête originelle du protagoniste comme celle de l’auteur présente par exemple dans Le chercheur d’or57 ou dans Voyage à Rodrigues58, de même que dans le texte publié en 2003, Révolutions59. Quant à l’oeuvre de l’écrivain sud-africain, ses textes font resurgir une quête identitaire fortement enracinée dans l’histoire de son pays : le retour dans le passé récurrent dans ses ouvrages comme par exemple Un instant dans le vent60 ou encore Un turbulent silence61 s’avère indispensable à la connaissance du présent et de l’avenir. Ce qui nous amène à constater que les analyses comparatistes doivent prendre en considération l’évolution diachronique d’un pays ainsi que le contexte socio-culturel dans lequel s’enracine l’œuvre. La littérature reste le lieu de questionnements humains où l’homme et la société sont au centre des problématiques contemporaines.

Notes de bas de page numériques

1 Simone Vierne, Des romans du Graal aux romans de Jules Verne : surgissements et éclipses du mythe de la quête, in Loxias 2-3, Eclipses et surgissements de constellations mythiques. Littératures et contexte culturel – champ francophone, p. 143.
2 J.M.G. Le Clézio, La quarantaine. En ce qui concerne le texte de l’auteur français, il met en scène deux récits qui s’interpénètrent : d’une part, le séjour de Léon Archambau, frère de Jacques, qui se rend sur l’île Maurice au XIXe siècle pour rejoindre la propriété familiale, Anna, d’où leurs parents avaient été exilés. Une épidémie à bord du bateau les contraint à séjourner en quarantaine sur l’île Plate située en face de Maurice. D’autre part, le voyage de Léon Archambau, petit-fils de Jacques qui se rend au XXe siècle sur les traces de ses ancêtres dans l’aire des Mascareignes croise le récit du Grand-Oncle Léon. Par ailleurs, de nombreux récits légendaires entrecoupent le texte et ouvrent le roman sur la dimension spatio-temporelle des légendes hindoues.
3 André Brink, Les imaginations du sable. Ce roman se déroule à la veille des élections démocratiques sud-africaines de 1994 et met en scène le retour de Kristien en Afrique du Sud après plusieurs années d’exil. Sa grand-mère Ouma Kristina, grièvement blessée après un attentat, rappelle sa petite-fille auprès d’elle pour lui transmettre la connaissance familiale de toutes les femmes qui les ont précédées. Le récit de Kristien est entrecoupé des légendes qui racontent les origines de l’histoire sud-africaine mais aussi les origines de la domination de la femme.
4 Ce roman donne l’occasion d’évoquer une chronique familiale dont les prolongements rejoignent les espoirs et les difficultés politiques de l’ “ après-apartheid ”.
5 “ (…) Toute littérature, toute fiction est nécessairement le reflet, dans une certaine mesure, des éléments socio-culturels, historiques et socio-historiques inhérents à la société qui l’inspire. A ce titre, le romancier, en tant qu’individu, fait nécessairement partie d’une collectivité dont les traits psychologiques, culturels, historiques et sociaux sont partagés par tous les membres de la communauté. Dans un tel contexte, chaque individualité partage avec les autres ce que l’on pourrait appeler une mémoire collective. ”, Daniel M. Mengara, La représentation des groupes sociaux chez les romanciers noirs sud-africains, op. cit., p 251
6 On pourra se référer utilement aux développements de Simone Vierne, Rite, roman, initiation, op. cit., notamment p. 27 et suivantes.
7 Frédéric Monneyron et Joël Thomas ont rappelé les interactions qui existent entre le parcours initiatique et la dimension mythique du texte littéraire. Frédéric Monneyron et Joël Thomas, Mythes et littérature, op. cit., p 27
8 Pierre Brunel, Mythocritique : théorie et parcours, op. cit.
9 Gilbert Durand, Figures mythiques et visages de l’œuvre, op. cit.
10 Ce voyage se déroule en 1980.
11 L’île Plate et l’îlot Gabriel (se situant en face de la première île) représentent le lieu où les passagers du navire “ l’Ava ” seront contraints de séjourner à cause d’une mise en quarantaine.
12 J.M.G. Le Clézio, La Quarantaine, op. cit, p. 160.
13 Nous rejoignons la notion de Centre avec l’île, se reporter à Simone Vierne, Rite, roman, initiation, op. cit., p. 54.
14 J.M.G. Le Clézio, La Quarantaine, op. cit., p. 191.
15 Il nous faut préciser que dans le roman, le personnage d’Ananta est censé avoir été recueilli par Giribala lors de la guerre des Sepoys sur le continent indien. Giribala adopta l’orpheline et la baptisa dans le fleuve Yamuna en lui donnant le nom d’Ananta signifiant “ Eternité ”. Nous reviendrons sur la symbolique du personnage d’Ananta dans la troisième partie de ce travail intitulée “ Dimension mythique du voyage initiatique ”.
16 “ Aussi le nom de Léon, que je porte en mémoire du Disparu, ou peut-être pour combler le vide de sa disparition. Depuis mon enfance, il y a en moi ce creux, cette marque dans le genre de celle que laisse un doigt appuyé trop longtemps sur la peau. ”, J.M.G. Le Clézio, La Quarantaine, op. cit., p. 490.
17 Se dédoublant dans le nom de la propriété “ Anna ” et rappelant les sonorités d’Ananta, d’Alama, de Surya, voire même d’Ouma dans Le chercheur d’or de J.M.G. Le Clézio, op. cit.
18 “ […] Je comprends enfin que c’est ici que j’appartiens, à ces rochers noirs émergés de l’océan, à cette quarantaine, comme au lieu de ma naissance. Je n’ai rien laissé ici, rien pris. Et pourtant, je me sens différent. ”, J.M.G. Le Clézio, La Quarantaine, p. 512.
19 Cet épisode est symbolisé par la quarantaine sur l’île Plate et sa rencontre avec la jeune indienne Suryavati.
20 J.M.G. Le Clézio, La Quarantaine, op. cit., p. 532.
21 Nous pourrons constater que dans les deux ouvrages, la transmission orale de la connaissance est associée à l’initiation et à l’accès à un niveau supérieur de connaissance pour le néophyte, rejoignant ainsi la définition de Mircea Eliade, “ On comprend généralement par initiation un ensemble de rites et d’enseignements oraux, qui poursuit la modification radicale du statut religieux et social du sujet à initier. […] A la fin de ses épreuves, le néophyte jouit d’une tout autre existence qu’avant l’initiation : il est devenu un "autre". , Mircea Eliade, Initiation, rites, sociétés secrètes, op. cit., p. 12 :
22 Se reporter à André Brink, Les imaginations du sable, p. 377.
23 Le retour de Kristien est censé avoir lieu à quelques semaines des élections sud-africaines de 1994.
24 Ibid., p. 503-504.
25 Selon André Jolles, la geste est “ […] une disposition mentale liée à la famille, au clan, aux liens du sang, elle a construit tout un univers à partir d’un arbre généalogique. ”, André Jolles, Formes simples, pp 69-70. En effet, rappelons que la Grand-mère conte à sa petite-fille Kristien les légendes des événements et exploits de femmes qui les ont précédées. Par le truchement de ces récits oraux, les protagonistes rejoignent le Temps Mythique.
26 Simone Vierne, Rite, roman, initiation, op. cit., p. 27.
27 “ Le domaine littéraire, et plus largement, celui de la culture (dont in ne peut séparer la littérature) constitue le contexte indispensable de l’œuvre littéraire, et de la position, en son sein, de l’auteur ; hors de ce contexte, on ne peut comprendre ni une œuvre, ni les intentions de l’auteur qu’elle reflète. ”, Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op. cit., p 396.
28 Simone Vierne, Rite, roman, initiation, p. 85 et suivantes.
29 “ Etre initié équivaut à apprendre ce qui s’est passé dans le Temps primordial – et non pas ce que sont les Dieux et comment le Monde et l’homme on été créés. La science sacrée et secrète dépend maintenant des Ancêtres mythiques – et non plus des Dieux. Ce sont les Ancêtres mythiques qui ont vécu le drame primordial qui a fondé le Monde dans sa forme actuelle – et, par conséquent, ce sont eux qui savent et peuvent transmettre cette science. , Mircea Eliade, Initiation, rites, sociétés secrètes, p. 96.
30 “ Grâce à Anna, je touche enfin au souvenir de la quarantaine, à cet instant où Jacques et Suzanne s’éloignent, tandis que Léon et Surya sont restés sur le rivage. ”, J.M.G. Le Clézio, La quarantaine, op. cit., p. 521.
31 ibid, p. 322.
32 André Brink, Les imaginations du Sable, op. cit., p. 23.
33 “ Je commence à saisir pourquoi elle a ressenti le besoin de me faire revenir auprès d’elle. Pour annoncer le passé, comme les prophètes annoncent l’avenir. "C’est pour cela qu’il fallait que tu reviennes, dit-elle […] Pour savoir d’où tu viens. Pour avoir quelque chose à emporter avec toi. Peut-être pour t’aider à comprendre" , ibid, p. 261-262.
34 ibid, p. 189-190.
35 ibid., p. 448.
36 “ Je crois que cette sensation vient plutôt du simple fait que je me trouve ici, enfin, seule, avec elle, avec tous les souvenirs contenus et définis par ce maigre petit paquet de peau, d’os et de mèches de cheveux. Je connais maintenant l’étendue de ma responsabilité et ce que cela signifie d’être exposée ici au passé et au futur, consciente des origines et des fins possibles. ”, ibid, p. 96.
37 Rappelons que la famille Le Clézio, d’origine bretonne, s’exile à l’île Maurice au XVIIIe siècle. François-Alexis, aïeul de l’auteur, achète la maison familiale baptisée Eurêka, et à la mort de ce dernier, les deux frères se disputent l’héritage : c’est la naissance de deux clans dont l’un connaîtra l’exil. Sources : Gérard de Cortanze, J.M.G. Le Clézio : le nomade immobile, op. cit., p. 172 à 182.
38 Frédéric Monneyron et Joël Thomas ont rappelé les liens entre l’émergence du parcours initiatique et l’enracinement de la fiction dans un substrat mythique. Se reporter à Frédéric Monneyron et Joël Thomas, Mythes et littérature, p. 27.
39 Se reporter à Mircea Eliade, Traité d’Histoire des religions, p. 335 ; Mircea Eliade, Aspects du mythe, p. 35-36.
40 Simone Vierne, Rite, roman, initiation, p. 91
41 L’émergence du mythe dans les textes donne une lecture nouvelle des romans. En effet, “ L’enjeu est pourtant d’importance, puisqu’il s’agit, avec l’aide des mythes, de mieux lire la littérature, en dégageant ce qu’une Création individuelle doit à des récits appartenant au vieux fonds intemporel d’une Civilisation, mais aussi, inversement, de manifester la pérennité d’un mode de pensée mythique à travers ce qui peut apparaître comme un de ses vecteurs privilégiés et, au-delà, l’importance d’un tel mode de pensée dans toute activité socio-culturelle en général. ”, Frédéric Monneyron et Joël Thomas, Mythes et littérature, op. cit., p. 5.
42 Pierre Brunel, Mythocritique : théorie et parcours; Gilbert Durand, Figures mythiques et visages de l’œuvre : de la mythocritique à la mythanalyse.
43 J.M.G. Le Clézio, La quarantaine, op. cit., p. 429.
44 ibid, p. 182.
45 ibid, p. 104 : “ Nous voguions ensemble sur un radeau, emportés par le flux qui descend à l’envers, qui nous ramène au commencement. ”.
46 Léon s’insère d’ailleurs dans ce temps qui n’est plus calculable : il perd sa montre à son arrivée sur l’île et seules ses traces dans la terre lui permettent une constatation du temps écoulé. Se reporter ibid, p. 142, p. 146.
47 En effet dans le panthéon indien, Ananta est liée aux Nâgas sur lequel se repose le dieu Vishnu. Sources : Encyclopédie illustrée de la mythologie, op. cit. p. 390.
48 André Brink, Les imaginations du sable, op. cit., p. 261. Ces récits ont pour fonction de narrer les destins de femmes qui ont précédé Ouma Kristina en remontant jusqu’à la première femme, Kamma-Maria, la femme née des eaux.
49 ibid, p. 453.
50 Se reporter aux analyses de Paul Coquerel, La nouvelle Afrique du Sud, op. cit., p. 16-17.
51 André Brink, Les imaginations du sable, op. cit., p. 467-468 ;
52 “ Que cela ait lieu en thérapie, en historiographie ou en littérature, l’acte puissant d’appropriation du passé par la compréhension imaginative - c’est-à-dire par les moyens de la métaphore plutôt que par une “ objectivité scientifique ” qui essaie de masquer ses propres incertitudes - est nécessaire pour la santé d’esprit de la communauté. ”, André Brink, “ Réinventer un continent ”, in Retour au jardin du Luxembourg : littérature et politique en Afrique du Sud (1982-1988), op. cit., p. 327-328.
53 Notamment l’épisode historique concernant la guerre des Sepoys.
54 Christophe Carlier, Nathalie Griton-Rotterdam, Des mythes aux mythologies, op. cit., p. 27-28.
55 Comme le rappelle Gabriel Padova à propos de l’image de la Déesse, “ L’image féminine de la divinité occupe dans la mémoire des humains une place essentielle. La masculinisation en force du divin, ainsi que celle de la société, n’en a pas effacé le souvenir. ”, Gabriel Padova, article “ Grande-Déesse ”, in Dictionnaire des mythes féminins, op. cit., p. 860.
56 Arlette Chemain, article “ La critique littéraire et le mythe. Comprendre les “ Nouvelles littératures ” ”, in Mélanges offerts à A. Daspre, op. cit., p. 273.
57 J.M.G. Le Clézio, Le chercheur d’or, op. cit.
58 J.M.G. Le Clézio, Voyage à Rodrigues, op. cit.
59 J.M.G. Le Clézio, Révolutions, op. cit.
60 André Brink, Un instant dans le vent, op. cit.
61 André Brink, Un turbulent silence, op. cit.

Bibliographie

Corpus

- Brink André, Imaginings of sand, Vintage, 1995, trad. R. Fouques-Duparc, Les imaginations du sable, Ed. Stock (1997).

- Le Clézio J.M.G., La quarantaine, Gallimard, 1995, Coll. Folio (1997).

Ouvrages complémentaires

- Brink André, An instant in the wind, Vintage, 1976, trad. R. Fouques-Duparc, Un instant dans le vent, Ed. Stock (1998).

- Brink André, A chain of voices, Vintage, 1981, trad. Jean Guiloineau, Un turbulent silence, Ed. Stock (1999).

- Le Clézio J.M.G., Le chercheur d’or, 1985, Gallimard, Coll. Folio (1999).

- Voyage à Rodrigues, 1986, Gallimard, Coll. Folio (1997).

- Révolutions, 2003, Gallimard.

Critique littéraire spécifique

- Brink André, Reinventing a continent, Retour au jardin du Luxembourg : littérature et politique en Afrique du Sud, 1982-1998”, 1999, Stock.

- De Cortanze Gérard, J.M.G. Le Clézio : Vérités et légendes, 1999, Ed. du Chêne.

- Gordimer Nadine, Vivre dans l’espoir et dans l’Histoire : Notes sur notre siècle, 2000, Plon.

- Mengara Daniel M., La représentation des groupes sociaux chez les romanciers noirs sud-africains : réalisme, falsification ou idéalisation, 1996, L’Harmattan.

- Munnick Yvonne, Ecriture romanesque et engagement politique dans le roman contemporain d’Afrique Australe, 1992, Ed. Universitaires du Sud.

- Stendal Boulos Miriam, Chemins pour une approche poétique du monde. Le roman selon J.M.G. Le Clézio, 1999, Institut d’Etudes Romanes, Université de Copenhague.

Théories et critiques littéraires générales

- Bakhtine Mikhaïl, Esthétique et théorie du roman, 1978, Gallimard, Coll. Tel.

- Brunel Pierre, Mythocritique : théorie et parcours, 1992, PUF.

- Durand Gilbert, Figures mythiques et visages de l’œuvre : de la mythocritique à la mythanalyse, 1979, Dunod (1992).

- Eliade Mircea, Traité d’histoire des religions, 1949, Payot, Coll. Folio Essais (1996).

- Initiation, rites, sociétés secrètes, 1959, Gallimard, Coll. Folio Essais (1999)

- Aspects du mythe, 1963, Gallimard, Coll. Folio Essais (1989).

- Jolles André, Formes simples, 1972, Ed . Seuil, Coll. Poétique.

- Monneyron Frédéric et Thomas Joël, Mythes et littérature, 2002, PUF, Coll. Que sais-je ?

- Siganos André, Le Minotaure et son mythe, 1993, PUF.

- Vierne Simone, Rite, roman, initiation, 1973, Presses Universitaires de Grenoble (2000).

- Dictionnaire des mythes féminins, sous la direction de Pierre Brunel, 2002, Ed. du Rocher.

- Mélanges offerts à A. Daspre, 1993, Publication de la Faculté des Lettres de Nice.

- Eclipses et surgissements de constellations mythiques. Littératures et contexte culturel – champ francophone, 2002, Loxias n° 2-3, A. Chemain-Degrange (dir.), Publications de la Faculté des Lettres de Nice.

Sciences humaines

- Carlier Christophe et Griton-Rotterdam Nathalie, Des mythes aux mythologies, 1994, Ellipses.

- Coquerel Paul, La nouvelle Afrique du Sud, 1992, Gallimard, Coll. Découvertes, 1999.

- Encyclopédie illustrée de la mythologie, 2000, EDDL.

Pour citer cet article

Magali Pettiti, « Quête identitaire : processus initiatique et dimension mythique », paru dans Loxias, Loxias 5 (juin 2004), mis en ligne le 15 juin 2004, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=47.

Auteurs

Magali Pettiti

Doctorante à l’Université de Nice-Sophia Antipolis