Loxias | Loxias 25 Littératures du Pacifique |  Littératures du Pacifique 

Odile Gannier  : 

Jeunes déboussolés dans le Pacifique, dans les romans d'Alan Duff, Sia Figiel, Chantal T. Spitz, Albert Wendt ; et Ananda Devi

Résumé

Parmi les romans des vingt dernières années écrits par des écrivains du Pacifique, un certain nombre (de Samoa, Nouvelle-Zélande, Polynésie française, ou Maurice, pour A. Devi, par exemple) ont pour héros des jeunes en difficulté, ou dont l’itinéraire est chaotique. Maltraités, drogués, violents, prostitués, suicidaires, ou tout simplement à la dérive, ils sont présentés de l’intérieur, dans leur intimité : cette marginalité devient plus proche, tandis que se présentent toutes les explications, voire les excuses de leur comportement, lié indissolublement à la fracture des sociétés traditionnelles. Certains évidemment sont relativement épargnés, à moins qu’ils ne finissent par trouver, seuls ou avec de l’aide, les moyens de recouvrer un équilibre. Doit-on y voir une illustration par synecdoque de sociétés écartelées entre les repères de la tradition et l’infiltration ou le déferlement plus ou moins brutal d’autres valeurs et d’autres modes de vie ? La construction romanesque peut d’ailleurs révéler cette incertitude par le brouillage des voix et des fils narratifs.

Index

Mots-clés : Ame des guerriers , Baiser de la mangue, Devi (Ananda), Duff (Alan), Eve de ses décombres, Figiel (Sia), Hombo, littérature du Pacifique, Petite fille dans le cercle de la lune, Spitz (Chantal), Wendt (Albert)

Chronologique : Période contemporaine

Plan

Texte intégral

La littérature ne se contente pas de transmettre des informations factuelles ; elle véhicule aussi toute une philosophie de la vie, toute une culture, une conception différente du rythme et du temps qui force le lecteur à s’interroger sur ses attentes1.

1Devant des textes écrits dans le Pacifique par des auteurs nés dans le Pacifique, le lecteur aujourd’hui doit réviser ses vieilles habitudes. Les voyageurs ont été nombreux à décrire les îles, voire à situer des romans, qui devenaient de ce fait, pour des lecteurs continentaux, à la fois exotiques – en raison du dépaysement – et familiers, puisque la façon d’interpréter et de rendre compte était celle de métropolitains. « Bien souvent, trop souvent, la Polynésie a été perçue par la double médiation des livres et des lectures filtrantes, au lieu de l’être à travers ses habitants, leurs geste, leurs humeurs et leurs traditions. Tahiti relève donc de l’imaginaire occidental2 », marqué par Melville, Loti et Segalen. Le mode d’écriture a très longtemps été inféodé aux conventions littéraires extérieures, de type colonial. Mais un renversement s’est produit qui change l’origine du regard et de la voix. Les thèmes et les personnages ne sont plus les mêmes, et les lecteurs ne constituent plus un public relativement homogène. Les écrivains du Pacifique écrivent aussi, dorénavant, pour ceux dont ils sont proches, ceux de leur village ou de leur île, voire du « triangle polynésien » qui lisent ainsi ces textes comme leur propre histoire, avec leurs propres mots.

2Or dans un certain nombre de romans écrits ces dernières années, les personnages sont des jeunes, ou des enfants, malmenés par une société qui n’offre plus les repères familiers installés par les traditions. Les changements apportés par la technique étrangère, l’invasion des produits importés, des habitudes venues d’ailleurs, par les risques de « monoculture3 » dus au « progrès », rendent difficile le passage à un équilibre adulte, puisque les cadres qui avaient organisé la vie de leurs aînés ont éclaté, ou plutôt ont intégré des éléments étrangers, dans un mélange qui présente ainsi un ensemble bigarré et parfois discordant.

3Albert Wendt montre ces transformations dans ses romans, particulièrement dans The Mango’s Kiss, Le Baiser de la mangue : dans un village des Samoa, le romancier décrit l’évolution des habitudes et des mentalités à travers le regard de Pele, supposée être née en 1880, qui vit les changements, la guerre, l’épidémie de grippe espagnole, la possibilité nouvelle de déplacement hors du cadre de son village, bref l’explosion du cadre qui avait suffi au bonheur de ses parents – eux-mêmes, en tant que pasteurs, en partie acculturés aux modes de pensée extérieurs. Déjà son père Mautu avait décidé d’apprendre l’anglais, sa mère de cultiver différemment son potager. Mais ce sont les enfants qui vont vraiment changer de vie, Pele l’entreprenante, Arona qui part un jour sur un bateau, tandis que leur sœur, Ruta, reste du côté samoan en apprenant la médecine traditionnelle. Aux Samoa également se déroule le roman de Sia Figiel, The Girl in the Moon Circle (La Petite fille dans le cercle de la lune), qui montre, à travers le regard de Samaoana, une fillette de dix ans, la vie dans un village progressivement en contact avec la télévision, et toutes les images presque absurdes qu’elle diffuse, les objets, les façons de penser étrangères, néo-zélandaises et américaines. Là non plus tout n’est pas facile, et les enfants sont très concernés par la fracture que cette cohabitation entre la tradition et la « globalisation » détermine. Chantal T. Spitz, dans Hombo, présente l’histoire d’un jeune garçon écartelé entre des idées nouvelles, venues d’ailleurs, et les habitudes auxquelles les Polynésiens continuent d’être attachés. Les « hombos » sont ces jeunes doublement marginalisés par le passage de l’enfance à l’âge adulte dans une société qui elle-même perd ses repères. Alan Duff, quant à lui, avait dès 1990 montré la difficulté à vivre des Maoris dans la Nouvelle-Zélande moderne : partagés entre le désir de cultiver leurs propres valeurs, et l’abandon à l’alcool, à la violence, à une facilité plus que médiocre, qui les amène à se déconsidérer eux-mêmes. Once were Warriors est l’histoire d’une famille dont les membres, les parents et les six enfants, tentent de trouver leur voie : pour eux, la vie est tout sauf facile à la Cité des Pins. De l’autre côté de l’eau, dans l’Océan indien, Ananda Devi, habituée à nous raconter l’existence difficile des femmes, des pauvres, des obscurs, traite dans Ève de ses décombres du sort de quatre adolescents au parcours chaotique dans une ville laide, salie, à la dérive. « Un jour on se réveille et l’avenir a disparu4 », dit l’un d’entre eux. Le décor est ainsi planté dès les premières pages.

4À travers cette démonstration liée au sort des adolescents, doit-on voir une illustration par synecdoque de sociétés écartelées entre les repères de la tradition et l’infiltration – ou le déferlement plus ou moins brutal – d’autres valeurs et d’autres modes de vie ? La construction romanesque peut d’ailleurs révéler cette incertitude par le brouillage des voix et des fils narratifs : en donnant la parole à ces jeunes, en prenant des libertés avec la chronologie, les écrivains de cette veine parviennent à nous donner, de l’intérieur, des clés pour les comprendre.

5La société peinte du point de vue des adolescents, dans ces romans, est une part de la population qui a perdu tout repère, qui abandonne tout idéal, et laisse ses enfants simplement pousser au hasard.

6Le décor n’est pas celui des îles de rêve, des représentations exotiques faciles. Dans Hombo :

Toerauroa, Long Vent du Nord, aux encombrantes mémoires dernier parleur de paroles qui ne parle plus son monde qu’à son propre silence. […] Toerauroa est dans un espace différent.
Construite à la sortie du village sa maison est comme lui. Extravagante. Vestige d’un monde disparu. Promesse d’un monde à naître. C’est l’ultime maison d’habitation traditionnelle dont les pilotis sont plantés dans la mer qui défie les bouleversements qui depuis trois décennies parsèment l’île de maisons bâties à même le sol et de plus en plus souvent coiffées de tôles rouillantes5.

7L’espace même où vit Ève, parmi les décombres, est marqué par le mélange des aménagements coutumiers et des nouvelles constructions, généralement laides et inadaptées, qui semblent en elles-mêmes être grosses d’une violence latente.

Je suis dans un lieu gris. Ou plutôt brun jaunâtre, qui mérite bien son nom : Troumaron. Troumaron c’est une sorte d’entonnoir ; le dernier goulet où viennent se déverser les eaux usées de tout un pays6.

8En fait les romanciers optent pour des présentations différentes : un espace ravagé est celui d’Ève de ses décombres : en désagrégation, envahi par les ordures, Troumaron ne peut qu’engendrer la violence7. C’est le lieu unique du roman, dont les quatre jeunes gens n’imaginent même pas sortir. Un frère émigré est considéré comme mort8. Sia Figiel au contraire met en miroir deux espaces, celui des Samoa dans lequel vit son héroïne et dans lequel se situe toute l’histoire, et l’extérieur, dont l’image stéréotypée arrive par la télévision et les quelques visiteurs, et qui finit transformé par l’imagination de la fillette :

En Nouvelle-Zélande tout le monde a de la chance. Tout le monde est riche et n’a pas de problèmes. Comme en Amérique et en Australie. Et on rêve de moyens d’aller là-bas. Où on vivra. Comme Cendrillon. Heureuses, jusqu’à la fin des temps9.

9Dans Le Tatouage inachevé, au contraire, les Samoa constituent le cadre d’une partie du récit, mais alterne, en même temps que les personnages dont il raconte l’histoire, avec un autre espace, celui de la Nouvelle-Zélande. Cette bipartition du décor est également accomplie par Albert Wendt dans Le Baiser de la Mangue, puisqu’une partie du roman s’y déroule, Auckland représentant alors le lieu de la violence et de la perdition où Arona a disparu. L’extérieur – et encore cet espace éloigné est-il en fait géographiquement voisin – constitue à la fois une voie d’accession au savoir et au pouvoir, pour les enfants de Pele (comme la capitale des Samoa avait été pour les parents, Mautu et Lalaga, le lieu déjà hybride de leurs études : le monde ne fait que s’élargir) ; et en même temps un repoussoir, puisque c’est le lieu potentiel de la perdition. Le même éclatement des lieux reflète l’éclatement des structures sociales dans Hombo : C.T. Spitz y peint l’effet des archipels dans lesquels on circule, mais aussi l’effet de l’outremer, qui fait miroiter à certains la perspective du départ vers la métropole. Dans L’Âme des guerriers, Alan Duff peint une société coupée en deux, bien que l’accent porte presque exclusivement sur les seconds : d’un côté les Néo-Zélandais blancs, financièrement aisés, dont la vie semble facile ; de l’autre, les habitants globalement d’origine maorie, pauvres, déboussolés, violents et alcooliques. De part et d’autre de la rue, les deux communautés se croisent sans se côtoyer. Les « Trambert », représentants presque uniques des Blancs, vivent apparemment heureux et sans histoires, alors que les locataires de la « Cité des pins » attendent leurs allocations-chômage pour aller les boire, tandis que les enfants se débrouillent comme ils peuvent. Cette opposition spatiale suffit à représenter les deux mondes existant dans la société néo-zélandaise.

10Un certain nombre de ces enfants vivent dans les rues, abandonnés de tous : Troumaron grouille de ces jeunes devenus redoutables dans la jungle de la ville en déliquescence. La ville de Two Lakes, chez A. Duff,

ne manquait pas de gamins sans abri, ainsi que Jake le remarquait de plus en plus. Et la plupart d’entre eux avaient des visages étrangement familiers, comme s’il les connaissait. Mais puisque c’était impossible, Jake se dit qu’il devait connaître leurs pères, ou qu’il avait vu leurs mères dans le coin, au McClutchy’s, à une fête, ou quelque part dans la cité des Pins.
Mais essayer de leur dire ne serait-ce que bonjour, c’était comme de parler à un putain de mur : ils regardaient Jake et se tiraient. Ils lui faisaient penser à des chiens errants10.

11Ainsi, que ces lieux soient uniques et étouffants, ou dérisoirement opposés, ou éclatés entre plusieurs choix de vie, en fin de compte, les romanciers présentent ces espaces déstabilisés comme symbole et origine des difficultés de leurs personnages à se construire des repères fiables.

12Dans L’Âme des guerriers, l’héroïne, Beth, tente d’élever ses six enfants en conservant une certaine dignité, sans s’illusionner sur le sort des habitants de son lotissement :

Des Maoris. En tout cas pour la plupart.
Se sentant comme un traître en son propre milieu parce que ses pensées virent si souvent au dégoût, au rejet, à la honte, et parfois à la colère ou même à la haine. Contre eux, les gens de son peuple. Et la façon dont ils se comportent. Contre les limites qu’ils s’imposent eux-mêmes (comme avoir des enfants sans le choisir) quand ils croient que la vie n’est rien d’autre que cette bataille quotidienne, quand ils se résignent à l’idée d’être un peuple inférieur, quand ils noient leur vie dans l’alcool et puis que l’alcool déforme tout, pervertit tout, finit en violence11.

13Les premiers à en souffrir sont les enfants :

Beth regardait les enfants ; les gosses aux genoux couverts de croûtes, au nez morveux, aux habits de va-nu-pieds, les gosses du coin, livrés à leurs diverses occupations. Beth qui songeait, qui n’arrêtait pas de songer. À eux. Aux gosses. À ces gamins mal éduqués, mal orientés, négligés. Quel genre de vie vont-ils connaître ? Quel genre de vie connaissent-ils pour l’instant ? Si on peut encore parler de vie quand on habite dans cet ensemble de logements d’État appelé la cité des Pins. […] dans la rue sous la fenêtre, les gosses s’entraînent à être les riens du tout, les non-entités qui deviennent quand même les adultes violents de l’avenir12.

14Ce triste constat est dressé dès la première page. Tout en étant parfaitement consciente, elle garde le rêve d’avoir une vraie famille, mais doit, aussi, reconnaître l’échec de son éducation. À dix-sept ans, « L’aîné. Son fils préféré. Mon Nig13 » a quitté la maison pour entrer dans une bande : « Mais il faut que tu penses à ton avenir. Et Nig de répondre, Quel avenir ? Il n’y a pas d’avenir pour un Maori. Et il était parti14. »

Abe, quinze ans. Ce sera lui, le prochain ? Boogie, quatorze ans, et déjà mêlé à de plus en plus d’embrouilles au collège. Grace – en fait je ne sais pas grand-chose d’elle. […] Polly n’a que dix ans et elle dort encore avec sa poupée. Huata, lui, a tout juste sept ans, donc ils seront encore avec leur mère au moins quelques années.

15Le père, au chômage, boit la moitié de ses allocations et bat sa femme. Cependant, il n’est pas foncièrement mauvais et Beth reste attachée à lui15. Le jour où Boogie doit passer au tribunal, seule sa jeune sœur Grace l’accompagne, car Beth, que Jake a rouée de coups la veille au soir, n’est pas en état de s’y rendre. Beth se rend compte qu’elle n’a pas élevé ses enfants comme elle l’avait projeté, la vie a tourné autrement, malgré qu’elle en ait.

… même une mère est étrangère à ses enfants. […] Et mon Nig qui ne rêve que d’entrer dans les Brown Fists. Et maintenant c’est Boogie, mon propre fils qu’on m’enlève et qui risque fort de m’avoir rejetée dans le camp des étrangers parce que je ne me suis pas présentée, comme une bonne mère aurait dû le faire, et que je n’ai pas dit du bien de lui pour qu’il ait une chance de s’en sortir. Et là, dans mes bras, il y a cette fille que je ne connais même pas. Elle a treize ans et je ne la connais ni des lèvres ni des dents16.

16Grace est une fille simple et généreuse. Boogie n’est apprécié que par sa mère et sa sœur. Bref, la vie familiale est heurtée et à son exemple toute la société est présentée comme à la dérive. Parmi les mères qui accompagnent leur progéniture au tribunal, Grace observe

Les mères : mégots aux lèvres ou dans des mains tatouées, d’autres tatouages sur un bras, puis deux que Grace arrivait à voir. La majorité de ces mamans – il y en avait bien huit ou neuf – étaient des tas de graisse. Et elles avaient pour la plupart l’air féroce. La Tribu perdue17

17La petite amie de Nig, Tania, lui raconte le drame qui l’a détruite, montrant à quel point les adultes ont été démissionnaires :

douze ans, seulement, juste un peu plus jeune que ta pauvre sœur, et je devais m’occuper de mes deux petits frères et d’une sœur encore bébé. On était quatre. Et quatre pères différents. Tu trouves ça incroyable, Nig ? Quatre pères différents. Et il n’en reste pas un ? Un jour, bon, elle est partie faire la foire, m’a laissée avec les gosses, rien à bouffer dans les placards à part un paquet de céréales et même pas de lait pour aller avec, tu vois ?… elle est pas revenue ce soir-là. J’ai passé la moitié de la nuit sans dormir parce que j’avais la trouille, tu vois, des fantômes, des cambrioleurs, des sadiques. Même le noir me faisait flipper. Tout le lendemain – c’était un dimanche – on a attendu et attendu… mes petits frères et le bébé ont pleuré toute la journée, ils avaient la dalle. Et cette salope qui rentrait pas18.

18L’un des petits frères trouve alors par hasard cinq dollars dans le canapé :

Je me suis dit, super, on va s’acheter des beignets de poisson et des frites pour l’heure du thé. […] Bon, je leur ai dit, attendez-moi, j’en ai pas pour longtemps. Elle inspira à travers ses dents. Je, euh… Elle inspira à nouveau. J’étais tellement… heureuse, tu vois, à cause de ces cinq dollars que Mark avait trouvés quand on en avait le plus besoin… Et, euh, euh… Bon, je suis revenue… et la maison, elle, euh – La saloperie de maison était en flammes !19

19Tania est entrée dans la bande des Brown Fists – on le comprend à demi-mot – pour compenser une existence démolie par un sentiment de culpabilité : elle se trouve ainsi victime d’une responsabilité excessive imposée à la fillette qu’elle était. Les enfants abandonnés sont un thème récurrent : la survie est forcément dramatique – pour les victimes – ou violente pour ceux qui tentent de trouver un nouvel ordre. Le premier grief invoqué contre les adultes par la voix des jeunes est la démission, le fait d’avoir baissé les bras, abandonné l’idée même d’une vie sociale.

20Jake, le père de famille de L’Âme des guerriers, se pose finalement, la question :

Il buvait avec Dool et il lui demanda : Dool, est-ce que j’ai été un mauvais père ? No-on, man, je crois pas. Mais il y avait un truc qui clochait dans le ton de Dool. Bon, tu vois, je dis pas que j’ai été le père de l’année, pas du tout. Mais… Et il regarda Dool avant d’ajouter : Dis-moi s’il y a un père à la cité des Pins qui soit, disons, un… père convenable. Dis-le-moi, Dool.
Je te suis tout à fait, Jake. Je te comprends. Y en a pas un de nous qui soit vraiment fort pour ces machins de père, c’est vrai, mon frère. Et les deux eurent un petit rire, mais pas très dégagé quand même20.

21L’Âme des guerriers est tout entière tournée vers cette famille très représentative des schémas traditionnels encore assez proches mais déjà perdus, gaspillés, sans autre profit ; Ananda Devi fait parler de la même façon l’un de ses adolescents :

Les mères disparaissent dans une brume démissionnaire. Les pères trouvent dans l’alcool les vertus de l’autorité. Mais ils n’en ont plus, d’autorité. L’autorité, c’est nous, les garçons. Nous avons tracé nos divisions comme des chefs militaires. Nous nous sommes approprié des morceaux du quartier. Depuis que nos parents ne travaillent plus, nous sommes les maîtres. […] À partir de ce moment-là, chacun s’est mis à vivre à sa façon, délivré de tout, affranchi des règles. Les règles, c’est nous qui les dictons21.

22 L’alcoolisme des parents semble être, pour Alan Duff, l’une des premières conséquences de la désorganisation sociale, et à son tour l’une des raisons de cette fracture avec la génération suivante. Comme le remarque Beth, pendant que les parents sont au bar occupés à se saouler consciencieusement, les enfants jouent comme ils peuvent sur le parking. Mais elle va tomber aussi dans le même piège. Quant à Samoana, dans le roman de Sia Figiel, elle entend rentrer son père ivre et sa mère lui crier : « Alors tu as encore dépensé tout mon argent ? C’est ça ?22 » La famille souffre ainsi doublement de cette situation.

23Ainsi les personnages peuvent être lucides et offrir de la sorte au lecteur les éléments de compréhension de cette situation. À la fin d’Ève de ses décombres s’esquisse comme un dialogue entre la jeune fille et sa mère, qui dresse ce constat :

Je crois l’entendre marmonner : Je t’ai abandonnée.
Je pense que je me suis trompée. Mais elle le redit plus clairement : je t’ai abandonnée. Aucune mère ne devrait faire ça à ses enfants. C’était par lâcheté et par démission23.

24Au contraire, dans Le Baiser de la mangue, l’esprit entreprenant de la famille, tout particulièrement de Pele, transforme radicalement le mode de vie du village samoan, mais sans trop de douleur car le bien collectif – produit par et pour un travail individuel, ce qui certes n’est guère traditionnel – reste malgré tout en vue : si des tiraillements se font sentir, ce n’est pas par démission, tout au contraire, c’est par excès d’énergie et de volonté de part et d’autre. À aucun moment l’un des membres de la famille n’est rejeté ou abandonné avec indifférence. Si les conditions matérielles évoluent, la cohésion familiale reste la règle malgré les aléas et les épreuves.

25La solidarité du village, de la famille, de l’« aiga » aux Samoa, relève des valeurs traditionnelles.

Mautu passait de plus en plus de temps à apprendre des choses à ses enfants mais il n’avait pas du tout conscience de ce qui leur arrivait, car, pour lui, l’enfance était une période sans intérêt, indigne de son attention. Non pas qu’il ne les aimait pas : ils étaient très importants pour lui et il désirait leur faire partager ses connaissances. […] Tandis que Mautu continuait ses spéculations, entraînant leurs enfants avec lui, Lalaga tissait autour d’eux un cocon protecteur. […] Un lien d’alofa indestructible se développa entre eux, leur dévouement pour leurs parents se renforça et devint l’un des points forts de leur vie24.

26Cette solidarité familiale, qui va de fait organiser tout le roman, semble, au regard des autres textes, tout à fait remarquable. De même, chez Chantal Spitz, le vieux Toerauroa est le symbole du passage des valeurs :

Il a parmi la communauté une place particulière due à son âge qui en fait le doyen mais surtout à sa manière de vivre qui refuse de se plier aux règles dont il aime à rappeler à tous qu’elles leur sont imposées par ceux-là mêmes qui dans son enfance massacrèrent son peuple pour lui voler sa terre. Toute sa personne grince sa résistance dérisoire à force de solitude mais qui continue de déranger les autres quand il apparaît, muet reproche qu’ils aimeraient oublier définitivement25.

27Ce changement s’opère par les échanges, les voyages, l’éducation en dehors des villages, voire par la naissance médicalisée hors du cadre ancestral, et se trouve très efficacement relayé par les images d’un ailleurs supposé favorisé et enviable, devenues inévitables.

La télé de Tagi était quelque chose de nouveau. Quelque chose que tout le monde voulait. Quelque chose que tout le monde enviait. Des images de palagi heureux qui se promenaient dans leurs voitures. Qui nous posaient des questions impossibles. Chaque fois qu’ils sortaient. Et se trémoussaient. Et souriaient. En exhibant toutes leurs dents éclatantes. Avez-vous récemment conduit une Ford ? demandaient-ils26.

28Les images de la télévision, elle-même « exotique », paraissent complètement dénuées de sens, purs reflets d’une société qui semble par suite être incompréhensible ; mais en même temps, ces images s’incrustent dans la vie samoane et ne peuvent plus s’effacer : « C’est pour ça que la télé de Tagi est un repère dans ma vie27. »

Quand la télé s’éteint
Les images ne disparaissent pas. Elles restent. Elles continuent d’exister dans notre esprit. Tatouées dans nos pensées. Et on pense à elles. Tout le temps. Toujours. […]
On se balade dans Malaefou avec des lumières bleues qui nous sortent de la tête. Des yeux. Une télé permanente installée dans notre cerveau. Si bien que quand la télé s’éteint. Les images ne disparaissent pas.
Elles sont rangées dans notre tête. Dans nos oreilles. Sur notre langue. Et elles ne disparaissent pas.
Jusqu’à ce que la nuit tombe. Et que les chiens cessent d’aboyer. Et que les bébés lézards. Chient. Sur notre mémoire28.

29Ainsi le désir de changement est inéluctable en particulier chez les jeunes, plus perméables à ses invites : la transmission de la culture samoane est évidemment menacée, comme le montre l’image finale « Chient. Sur notre mémoire. ». Évidemment la cohabitation est difficile entre un monde de rêve et la réalité parfois un peu plus sordide : la petite fille dans le cercle de la lune doit lutter pour décider de son destin.

30 Si la famille ne suffit plus à structurer la vie sociale, les jeunes pensent trouver un réconfort auprès d’une autre forme de cohésion, par le groupe d’âge. Cette forme était traditionnelle, ce que montre Chantal Spitz, dans Hombo, mais avec le temps la marginalisation momentanée des jeunes gens a pris un autre tour.

Jusques hier les traditions coulaient paisiblement et les changements variaient les habitudes posément, presqu’étourdiment. Jusques hier l’existence était évidente et le taureà était joyeusement épuisé dans un monde ordonné et familier. Aujourd’hui ils désertent la tradition de l’alcool pour se plonger dans les drogues. Le village a du mal à reconnaître ses fils dans ces jeunes gens au corps mal propre aux gestes saccadés au verbe pâteux qui se liquéfient dans l’alcool s’évaporent dans le cannabis s’hallucinent dans les champignons se naufragent dans les rixes. Ils en deviennent la honte. Ils en sont la plaie. Ils atteignent la communauté au plus profond de sa fierté, vivants symboles de l’échec d’une antique civilisation. Leur échec. À tous. Les taureàreà abolissent aujourd’hui les repères ancestraux. Ils sont désormais « hombo » nouveau mot pour une nouvelle réalité jeunes gens à la lisère de la société que la société renie29.

31Changement de valeurs, révolte :

Les taureàreà ne veulent pas ressembler à leurs parents. Ils se veulent autres, aux vêtures inusuelles aux attitudes inhabituelles pour affirmer leur différence leur dissemblance leur dissidence. Ils désavouent les adultes aux propos sentencieux et moralisateurs aux agissements poisseux et imposteurs ceux qui les jugent et les condamnent ceux qui s’abritent derrière la religion et brandissent leurs responsabilités au sein de l’Église, diacres membres d’Église, pour exiger un respect immérité transgresser impudemment impunément toutes les règles de charité de compassion d’humilité d’amour du prochain qu’ils clament chaque dimanche et pour lesquelles une fois par mois ils communient la cène pleins d’un air d’extrême componction. Impudiques30.

32L’incompréhension mutuelle s’installe entre les générations, entre ceux qui sont imprégnés d’autres cultures et ceux qui tentent de sauvegarder la leur. Une jeune fille qui rentre de l’étranger fait scandale au village.

Et puis l’événement le plus important de toute notre vie. Le jour où Siala « l’instruite » est revenue de Nouvelle-Zélande sans oso. […] Et sans soutien-gorge non plus. On voyait facilement ses tétons. Qui sortaient de son T-shirt Woodstock Experience. Elle portait un short kaki. Qui mettait bien ses vae pulepulea en valeur. Et des sandales de la mauvaise pointure ! Et des idées qui ont choqué tout Malaefou.
Les femmes surtout.
Et sa mère, surtout… Surtout.
Qui pleurait toutes les larmes de son corps et disait qu’il n’était pas question que Sele profite d’une bourse de ce genre si des choses comme ça devaient arriver chaque fois que quelqu’un allait là-bas, Seigneur, mais qu’est-ce que ces salauds ont fait à ma fille ? Où est la Siala d’autrefois ? La petite fille modèle. Qui vivait dans la crainte de Dieu. Dans la crainte de sa mère. De son père. De ses frères. De ses sœurs aînées. De ses oncles. De ses tantes. De ses cousins. De ses aînés. De tous-les-gens-plus-vieux-qu’elle-à-Malaefou ?
Nous, les filles, on n’était pas aussi choquées par la nouvelle Siala que toutes les femmes de Maleafou, et à dire vrai on préférait cette nouvelle Siala à l’ancienne31.

33Ce décalage est sensible dans tous les cas. Même dans Le Baiser de la mangue, les parents – la mère surtout –, ne sont pas satisfaits des choix de leurs enfants. Lalaga et Mautu avaient choisi un mari pour leur fille Pele, mais celle-ci était amoureuse d’un autre garçon et s’enfuit avec lui : Lalaga leur fera payer cher cette incartade, cette désobéissance aux règles du clan. Arona s’embarque, et ne revient jamais, de sorte que la trame du roman peut se lire comme une quête familiale pour retrouver le fils perdu. Quant à Ruta, elle est choisie par sa tante pour reprendre les connaissances en médecine traditionnelle, ce qui n’est pas du goût de Lalaga, qui y voit des pratiques rétrogrades et superstitieuses. Bref l’équilibre entre la voie de l’occidentalisation et celle du respect des coutumes ancestrales est difficile et parfois peu cohérent.

34 Dans Hombo, la musique des jeunes gens représente bien leur désarroi. Le changement de repères ne se traduit pas par un nouvel équilibre.

Le taureà des hombos est à l’image de la décomposition du village. […] Une décennie de modernité a suffi pour ajourner en eux le ârearea. Leur musique est monochrome et syncopée inharmonieuse et agressive, accordée à leur désolation interne qui fige leur essence en parodie d’humanité. Leur musique est un non-sens dans ce monde qui s’entrouvre au monde, symptôme de ce nouveau monde aux sons et images mondialisés pour universaliser les valeurs normaliser les esprits occidentaliser les cœurs unilinguiser les peuples. Leur musique ne transporte pas leur âme et n’insuffle aucune émotion dans leur intimité. Elle suffoque leur vitalité et délabre leur personnalité. Elle accentue leur désarroi et travestit leur réalité32.

35Chantal Spitz souligne la difficulté pour Ehu – le personnage principal –, de se situer, à l’image de jeunes qui comme lui sont relégués hors de tout, « exilé parmi les siens33 ». Refuser le ârearea, la fête, c’est renoncer à cette « partie de la mémoire portée par les mémoires pour fuser l’allégresse et fuir la tristesse34. »

36« Aujourd’hui ils désertent la tradition de l’alcool pour se plonger dans les drogues. » écrit Chantal Spitz35. Le changement de traditions, si l’on peut parler, ironiquement, de « tradition de l’alcool », est nécessairement déjà une altération d’un état antérieur de la culture, de sorte que la « tradition » risque de perdre aussi son sens, d’être le fruit d’une reconstitution idéologique, nostalgique d’un autre temps qui n’a peut-être jamais existé. Mais ces regrets s’expriment en termes lourds :

Puaa neòneò mā. E aha te nā teòteò to òutou. Puhipuhi te àvaàva taèro. Te manaò rā paha ia òutou mea nehenehe terā mau peu ta òutou. Mauà te ao mauà te fenua nà òutou. Ahani aè mātou i fānau mai te ûri mea maitaì aè. Eere òutou te tamarii na mātou. Eere òutou te taata. E ànimara.
– Bande de cochons immondes. Saloperie de drogués. Vous vous croyez intéressants. Vous ne méritez pas de vivre. On aurait mieux fait d’enfanter des chiens. Vous n’êtes pas nos enfants. Vous n’êtes pas des êtres humains. Vous êtes des bêtes36.

37Ces réprimandes, voire ces insultes, typographiquement composées dans les caractères romains propres à l’ensemble du roman, sont attribuées aux adultes ou aux anciens du village, tandis que la traduction en français se trouve, par les italiques, rompre avec la continuité du texte, qui mêle le français et des mots en tahitien : destinée au lecteur qui ne maîtrise pas le reo ma’ohi, la traduction montre aussi la situation hybride des « hombos », non pas écartelés entre deux cultures et deux langues, mais perdus dans le fossé qui les sépare, ou pris entre deux feux.

38Dans le clan des jeunes, même, la survie n’est pas facile.

Hé, p’tit mec, hé – Allez, j’vais rien te faire. Jake secoua la tête en voyant le garçon sortir à reculons […] Qu’est-ce qui t’arrive ? Tes potes t’ont lâché ? Je croyais que les gosses des rues restaient ensemble. Ils t’ont largué parce que tu sais pas te battre, c’est ça ? Pas de réponse. T’es nul pour voler ? Toujours pas un mot. Mais Jake savait que le gamin avait été abandonné par les gosses des rues. Il avait déjà vu son visage quand il faisait partie de la bande37.

39L’alcool aidant, les jeunes entretiennent aussi les vieux conflits, ainsi que les tensions entre groupes.

Le vendredi est invariablement réservé aux virées en ville. Elles se terminent régulièrement en rixes. Ils continuent ainsi à régler les comptes des générations précédentes et perpétuent la légendaire rivalité qui oppose depuis toujours ceux du village à ceux de la ville38.

40Ces enfants eux-mêmes sans pitié représentent le présent gâché et l’avenir hypothéqué d’une société qui ne sait comment gérer harmonieusement la cohabitation inévitable des cultures, qui est illustrée par le conflit des générations.

41 Les enfants du Pacifique sont pris entre deux feux : dans la société traditionnelle, malgré les observations de Margaret Mead, les traditions sont très restrictives de la liberté des filles. Sia Figiel consacre un chapitre à dresser la liste des interdits en tout genre39, « De ne jamais donner à manger aux cochons le soir », « De ne jamais répondre au clin d’œil de quelqu’un à l’église », « De ne jamais aller nager seule dans la Vaiola »… tous les interdits possibles sont recensés, qui vont de préceptes religieux ou moraux à des conseils d’hygiène. Mais comme le souligne Chantal Spitz dans Hombo :

La mutation a commencé longtemps avant eux. Avec la morale particulièrement répressive de la pudibonde nouvelle religion. Celle qui a appris aux générations précédentes le poids de la faute la honte du corps la salissure de la sexualité la vomissure du plaisir le péché de la vie40.

42Les parents, entre des interdits contradictoires, eux-mêmes perdus, semblent ne plus savoir quoi transmettre à leurs enfants, ni comment. Certains ne conçoivent plus d’issue à leur désarroi, ne savent plus à quoi cela pourrait bien servir. Cette tension est explosive. Ces textes contemporains pourraient représenter une forme désespérée, presque suicidaire, d’une culture dépecée. En outre, les enfants sont bien sûr les éléments les plus vulnérables de la société : après avoir peint des femmes, la littérature contemporaine met en scène des enfants, doublement « subalternes41 ».

43Ces romans présentent beaucoup d’enfants battus – souvent par leur mère, et du reste, souvent comme leur mère42. Certes ce n’est pas systématique : Jake le bagarreur bat sa femme mais 

Comme maman aimait le répéter, Jake n’avait jamais tapé sur ses gosses. Et parce que leur mère était sévère, les enfants avaient grandi sans se battre physiquement43.

44Mais ces mauvais traitements sont fréquents et emmurent les enfants dans une sourde violence. Dans La Petite fille dans le cercle de la lune, l’héroïne sait « quand [sa] mère est en colère », parce qu’elle se rue sur ses enfants pour les battre :

Ça n’arrive pas souvent. Peut-être trois fois par mois. Une fois, avec un peu de chance. Sans compter les fois où Pili rentre soûl mais pas inconscient. Ce qu’on souhaite toujours quand il rentre. Là, au moins, l’alcool est tellement imprégné dans ses veines. Qu’il va se coucher sur la paepae en arrivant44.

45Mais les enfants ne savent pas pourquoi leur mère se met en colère. En tout cas, la raison des violences familiales peut être tout à fait dérisoire, et n’avoir aucun rapport avec leurs victimes. Elles peuvent ne sanctionner aucun manquement aux règles établies. La violence fonctionne sans motif ou même vise seulement à établir un climat de domination absolue et de négation de la personnalité des enfants, des filles surtout. Parfois des proches prennent la défense des enfants45, quand la punition est manifestement imméritée.

Quand tout a été fini. J’ai touché ma tête pour sentir mes cheveux. Est-ce que tout était encore intact ? Est-ce que Lafi les avait tous arrachés ?
Lafi avait commencé avec la ceinture, mais elle a vu que je ne pleurais pas. Ensuite, elle s’est remise à crier. Tu parles comme une putain de prostituée, Ana ! […] Et Lafi m’a frappée, tiré les cheveux, frappée, elle est montée sur mes cuisses et m’a frappée de plus belle. Jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive que je ne pleurais toujours pas. Et elle s’est arrêtée. Pas parce qu’elle m’avait brisée, comme elle disait qu’elle allait le faire, mais pour la simple raison qu’elle était fatiguée46.

46Même situation pour Ève à la fin d’Ève de ses décombres :

Une fois de plus, mes cheveux ont pratiquement été arrachés de ma tête. Mais cette fois, il s’en est servi pour balancer mon corps contre les murs. Je ne sais plus où j’ai mal. Je ne sais plus où et contre quoi j’ai été heurtée. Partout47.

47À plusieurs reprises, il est question de filles à qui les parents coupent les cheveux, plus pour les mater que pour les punir d’une faute quelconque, la marque de l’infamie étant réversible mais très visible. Le sacrifice violent des cheveux équivaut une forme de pulsion castratrice48. « J’aurais pleuré si quelqu’un avait touché à mes cheveux. Ce dont Lafi me menaçait en permanence, disant que j’étais trop effrontée avec les cheveux longs49. » Quant à Ève, dans une rare scène de réconciliation avec sa mère, elle se laisse caresser la tête.

Elle passe la main dans mes cheveux. Je suppose qu’elle essaie de compter combien de fois ils ont offert une prise facile à la main. Comme s’ils étaient la partie la plus forte de mon corps, la partie par où mon énergie pouvait être saisie et aspirée.
Parce que c’est la partie la plus visible de ma féminité, c’est aussi par là que l’on commence, c’est par là que l’on blesse50.

48Pour Ève en effet, les cheveux tondus sont un motif évoqué immédiatement, dès la première page. « L’absence de cheveux me rend plus nue que jamais. Puis, je me souviens : ma mère les a tondus51. » En réalité, c’est Ève elle-même qui a choisi par ce geste de se trouver en face d’elle-même, pour ressembler à une lionne, se rendre redoutable, tandis que sa mère, pour la première fois, n’a fait que l’aider.

49Dans La Petite fille dans le cercle de la lune, c’est encore une mère qui maltraite ainsi sa fille, une amie de l’héroïne Samoana.

Ina, qui avait le rire le plus sonore. […] Qui était la plus jolie fille de Malaefou. Mais ne le faisait jamais sentir. Ina, dont les cheveux tombaient jusqu’aux genoux. […] Ina, qui s’est pendue à un arbre à pain. Parce que Laveai la battait. Parce qu’elle était soi-disant amoureuse du fils du pasteur. Et que soi-disant elle lui souriait. Tout le temps. Laveai l’a battue jusqu’au sang. Lui a coupé les cheveux. L’a traitée de sale truie. Make i fale ! Et cette nuit-là, elle n’a rien dit. Rien du tout. Et on l’a trouvée à l’aube. Pendue à une branche de ulu. La bouche grande ouverte52.

50De même, l’un des passages les plus durs du roman d’A. Duff est le suicide de Grace, treize ans, une fille dont on a suivi le monologue intérieur, par bribes, jusque vers la moitié du roman. Grace est violée un soir de beuverie, par un homme qui pourrait être son père mais qu’elle ne reconnaît pas dans l’obscurité de sa chambre. Bouleversée, elle ne parvient pas à surmonter le traumatisme, et après être allée demander un peu de réconfort à son seul ami, Toot – un pauvre gosse qui vit dans une vieille voiture et se drogue, pendant que ses parents ne se soucient pas de lui le moins du monde – elle monte dans l’arbre des Trambert, se glisse une corde au cou et saute. Ce drame est le choc qui réveille les consciences endormies, car Grace a laissé un petit billet dans lequel elle livre son secret, laissant planer l’accusation sur son père. Jake, qui était ivre et ne se souvient de rien, doute quand même d’avoir été aussi immonde mais ne peut en être sûr et ne peut convaincre quiconque. Le lecteur devra attendre le deuxième volume (Les Âmes brisées) pour voir Jake disculpé par un test génétique. Mais avant cela, Beth chasse Jake, qui devient un clochard, tombant encore un niveau plus bas dans la hiérarchie sociale et dans sa propre estime. Le suicide d’Ina et de Grace n’est en quelque sorte que le dénouement des traitements dégradants dont elles ont été victimes.

51D’ailleurs le viol ou les relations forcées reviennent plusieurs fois : Sia Figiel met en scène un exhibitionniste, qui se montre aux enfants avec des propos obscènes ; elle raconte aussi l’avortement de Tupu, à qui Samoana prête son concours : le marchand de glace a forcé la toute jeune fille53. La solidarité joue entre les amies, unies par le secret. La fillette sait déjà comment s’y prennent les femmes de sa famille en pareil cas. Même les garçons ne sont pas épargnés : Jake en fait l’expérience avec le gamin des rues qu’il rencontre dans le parc.

Où est-ce que tu vas dormir ce soir ? demanda Jake. Oh, par là. Tu peux dormir dans ma cabane, si ça te dit. Aussitôt, le gamin détala en courant, et, s’arrêtant à quelque distance, il lança : Si vous me touchez j’irai voir les flics. Jake fut d’abord décontenancé : Euh… ?
Puis : Oh, tu crois que je… ? Il émit un petit rire. Si tu veux, je dormirai à l’extérieur. Oui, et quand je serai endormi. Y a quelqu’un qui t’a fait des choses, gamin ? C’est pas tes putains d’oignons54.

52Ananda Devi pousse l’agression des adolescents jusqu’au meurtre : le professeur qui abuse d’Ève – quoique par une sorte de lassitude et d’indifférence elle se laisse faire – s’aperçoit que Savita, la seule amie de l’héroïne, les a vus, et pour éviter qu’elle ne raconte tout, il la suit dans l’obscurité, l’étrangle et la jette dans une poubelle.

53La maltraitance des enfants relève de l’auto-destruction d’une culture, par cette violence orientée vers sa propre descendance.

54Victimes des adultes, les adolescents sont aussi présentés comme adoptant des comportements excessifs au mépris d’eux-mêmes, même s’ils n’en arrivent pas toujours au suicide. Parmi les formes de l’auto-destruction se trouve la prostitution : celle d’Ève, qui se donne trop facilement.

J’avais une monnaie d’échange : moi.
Je pouvais acheter. Échanger ce dont j’avais besoin contre moi-même. Des morceaux, des parcelles. Mes pièces détachées. […] Tout ce que je leur donnais, moi, c’était l’ombre d’un corps.
[…] Une gomme. Un crayon. Une règle. Les débuts sont toujours simples. Et puis on ouvre les yeux sur un monde désolé, sur un univers vérolé. Le regard des autres, qui juge et qui condamne. J’ai dix-sept ans et j’ai décidé ma vie55.

55D’abord le goût du jeu, du pouvoir de sa maigre petite personne, que personne ne comprend,  qui intrigue ou effraie ; puis le troc de son corps contre les objets de ses désirs, par suite d’une  schize entre son corps et son esprit, puis par défi, pour renforcer son originalité solitaire. De même, Tania, l’amie de Nig dans L’Âme des guerriers, offre la jouissance de son corps à toute la bande ; c’est sa façon paradoxale et désespérée d’affirmer son existence ou de manifester son désaccord. En se donnant ostensiblement, volontairement, elle achète la considération paradoxale du groupe.

56Outre l’alcool – qui n’est plus jamais le signe d’une convivialité festive –, la drogue est aussi présentée comme un recours fréquent pour survivre dans ces conditions difficiles, s’échapper du réel. Toot, l’ami de Grace, la laisse fumer avec lui, mais la dissuade d’inhaler de la colle ; un autre adolescent se drogue à mort :

Et cet enfant… cet adolescent… étendu par terre… dans son vomi. À côté de lui un sac en plastique. Une forte odeur de solvant. Et tous ces autres gosses à moitié abandonnés qui se tenaient autour du garçon étendu en disant, oh, c’est dingue… flippant, man… je crois qu’il est mort… Non il l’est pas, juste défoncé ! Et ça les faisait rire. Jusqu’à ce que Beth gifle un de ces gamins et lui dise de dégager tout de suite. Et vous les autres, même chose.
Elle s’accroupit près du jeune garçon et sut instinctivement qu’il ne passerait pas cette froide nuit d’hiver. Ni aucune autre. Mais elle demanda à quelqu’un d’appeler une ambulance quand même. Puis elle releva la tête du gosse malgré l’odeur de vomi et le prit sur ses genoux. Voilà, mon p’tit, voilà. Elle le berça comme le bébé qu’il était en réalité. Elle caressait ses cheveux collés par le vomi, la sueur et la saleté, et elle regardait la peau de son visage à la fois si douce et si jaune, comme s’il avait passé toute sa vie à l’intérieur, ne se déplaçant que dans l’obscurité où, comme les autres enfants de son genre, il avait trouvé refuge56.

57Les jeunes tournent vers eux-mêmes comme vers les autres la violence ambiante.

Les semaines tanguent et roulent au château entre alcool cannabis champignon éthylisme délires hallucinations silences disputes bagarres pleurs violences réconciliations. […] L’alcool multiplie leur arrogance pour masquer leur mal-être57.

58Ève trouvera la force désespérée de venger Savita assassinée et jetée comme un détritus : le roman s’achève pratiquement par la scène où elle exécute son meurtrier, quoi qu’il lui en coûte. Violence contre violence.

59Cette explosion des valeurs transparaît dans la forme de la narration : les points de vue sont éclatés, tout particulièrement chez Alan Duff et Ananda Devi. A. Duff juxtapose les différents discours et niveaux narratifs. Phrases entrechoquées, elliptiques, intrusion d’un narrateur habituellement effacé, mélange et succession des focalisations, suppression des marques du discours direct, ponctuation aléatoire, interdisent une lecture fluide et montrent le brouillage dans lequel les écrivains du Pacifique placent leurs personnages. « Quel était le catalyseur de toute cette folie ? Comme on dit entre nous, les enfants58. » L’expression employée, manifestement insolite par rapport au niveau de langue habituel attribué à La Petite fille dans le cercle de la lune, fonctionne ici comme une métalepse, un commentaire décalé, signe d’un dialogue amorcé entre l’auteur et le lecteur. Dans Ève de ses décombres, le roman est une succession de chapitres à la première personne, dont la parole est répartie entre quatre instances : Éve, Sad, Clélio (qui sera accusé du meurtre de Savita) et Savita elle-même dans la première partie. De temps à autre, un chapitre composé en italiques est un commentaire de l’action par le narrateur, adressé à Ève à la deuxième personne. La temporalité aussi est bousculée : la conclusion du récit peut précéder le début, le même épisode peut être repris plusieurs fois, et les explications d’un fait peuvent être dispersées dans tout le roman. Cette structure déroutante est particulièrement sensible dans Le tatouage inachevé, où s’entremêlent des destins divers, ne laissant que progressivement apparaître les liens qui les relient et les expliquent. Il ressort de cette disposition inhabituelle un éclatement des personnages et de leur « conscience ».

60Les langues – anglais, samoan, français, reo ma’ohi, créole – se mêlent aussi, sans que les romans donnent nécessairement les clés pour tout comprendre. Chez Alan Duff, le langage est celui de la rue, et non un anglais canonique. On trouve, dans un des premiers chapitres de La Petite fille dans le cercle de la lune, après une comptine, un « devoir de rédacsion » dans l’anglais approximatif d’une débutante.

Moi m’appelle Samoana Pili. Moi je dix ans. Moi je viver Malaefou. Moi j’ai le chien. Son nom mon chien c’est Uisiki. Moi j’ai le gochon aussi. J’avoir trois zanimos. Chien. Cochon. Et le chat59.

61Parfois, la juxtaposition de deux textes, en français et en reo ma’ohi, par exemple, donne une forme de traduction. Parfois il faut deviner par le contexte, sans que, à l’évidence, le texte anglais et les mots samoans soient équivalents. Contrairement à ce qui se pratique parfois (comme dans Le Baiser de la mangue), les romans de Sia Figiel ou Ananda Devi, ne fournissent pas de lexique pour le lecteur francophone ou anglophone. Les chansons de Clélio se présentent ainsi :

Je chante des chansons que j’invente, mais que je ne chante pas pour les autres. Carlo [son frère émigré], s’il était là, comprendrait.
Ki to pe atann ? Personn. Ki lavi finn donn twa ? Nayen. Komye dimunn inn fer twa promes ? Zot tu Komye dimunn inn gard zot parol ? Okenn. […] Pa krwar nayen, to pa pu sufer.
Je ne crois en rien. Mais je souffre quand même60.

62Ostensiblement, le texte ne se livre pas comme directement intelligible. La reprise en français répond ici à l’équation : ne croire en rien, ne pas souffrir. Elle répond aussi aux négations successives du texte de la chanson (personn, nayen, okenn, pa), ce qui en donne au moins la tonalité. L’attente des jeunes est d’emblée vouée à la déception.

63Ce mélange des voix fait que l’on ne sait pas toujours qui parle ; il a pour corollaire l’effacement des individus au profit d’une représentation symbolique plus large.

Je suis Sadiq. Tout le monde m’appelle Sad.
Entre tristesse et cruauté, la ligne est mince61.

64Quelques personnages ainsi sont dotés de plusieurs noms, entre lesquels il faudra choisir : Sadiq reste Sad. Dans La Petite fille dans le cercle de la lune, ce qui est déjà une première dénomination périphrastique de la fillette, Sia Figiel joue de ses noms : « Je m’appelle Samoana », mais « tout le monde m’appelle simplement Ana. Sauf Pili qui m’appelle Moana. Mer. Bleue. La mer bleue. L’océan62. » Elle est appelée « mademoiselle » par son professeur d’anglais : « Une drôle d’habitude qu’avaient les pisikoa. Ce qui, je crois, ne signifiait rien de mal63. » Sa camarade étrangère tient à ce qu’on l’appelle « Fifi Brindacier », du nom d’une héroïne d’une série télévisée. Hombo, dans le roman de Chantal Spitz, aussi plusieurs noms : au lieu d’un nom polynésien, son père l’appelle tout simplement Yves.

Vehiata c’est vrai est son nom choisi imposé par la tradition de notre terre de notre peuple. Depuis plusieurs années maintenant je vis à la grande île où une tradition nouvelle a vu le jour. […] Là-bas les enfants s’appellent de prénoms étrangers pour qu’ils aient une vie meilleure, à l’image brillante de ces étrangers dont ils portent les prénoms. Je veux pour lui la tradition nouvelle. Yves est son nom. Son unique nom.
[…] Ils [les proches présents au baptême] étaient venus pour le bonheur des généalogies pour ce jour remémorées, mémoires et paroles aiguisées pour l’authenticité pour affirmer le droit de ce petit au prénom gorgé de souvenances. Ils sont face au silence de l’oubli64.

65Mais le nom qui lui est donné vraiment est Ehu, à cause de sa chevelure dorée. « Sa couleur a autrefois donné une identité à Ehu. Il devient Hombo par sa marginalisation65 » lorsque le jeune homme s’agrégeant au groupe de sa classe d’âge, son identité propre disparaît derrière sa catégorisation. Boogie – Mark Heke – est aussi, chez Alan Duff, affublé d’un surnom « par dérision car lorsqu’il était petit le Boogie Ghost lui faisait peur, anormalement peur, et même le terrifiait66. » « Personne n’aimait Boog sauf les filles », car « ce n’était pas une petite brute67 », ce qui le déconsidère dans un milieu où les garçons doivent obligatoirement être des durs.

66Comment donc trouver son identité propre dans ce jeu des noms, cette indécision des rôles et des places ? Précisément toute l’affaire est de se déterminer pour se sauver.

67Pour Hombo, le secours de sa bande, puis de sa famille, s’avère le moyen du sauvetage ; même l’amour de Miri – même inabouti – le rend à son existence. Chez Sia Figiel, Samoana aide Tupu – même Fifi l’étrangère devient leur complice. Pele aide les siens en assurant la prospérité du village. Sous la plume d’Ananda Devi, Savita a aidé Ève, qui la venge en tuant son meurtrier. Sad aime Ève et se dénoncerait volontiers à sa place. Grace aide son frère Boogie, de même que Bennett, l’éducateur, qui va réussir à le sauver en lui redonnant d’autres idéaux. Beth aide les gosses du quartier, une fois que Nig est parti, Grace disparue, Boogie retiré du cercle familial.

Elle se jura, elle jura aussi à l’enfant mort : je ferai mon possible pour vous restituer, à vous les enfants, cet héritage guerrier qui vous revient. Pour que vous soyez fiers de vous, de vos pauvres « vous ». Pas une fierté agressive, violente, mais une fierté qui vient du cœur. Je vais retrouver mon peuple et mes chefs et je leur demanderai de me guider68.

68Tania, malgré son parcours chaotique, pleure aussi la mort de Nig qui s’est fait tuer dans une rixe. Lors de son enterrement, Beth

ne manifesta pas non plus d’étonnement lorsque le dernier des Brown, une jeune fille, s’arrêta devant elle, Beth Heke, et resta plantée là… Puis les bras en uniforme se levèrent maladroitement, et le chagrin de la jeune fille devient perceptible malgré les lunettes panoramiques qui enveloppaient ses yeux. Elle avait aussi la bouche qui tremblait, et elle essaya de dire quelque chose, mais rien ne sortit. Alors, elle, euh, eh bien… elle s’avança vers Mme Heke et l’entoura de ses bras. Ce fut une scène très émouvante69.

69À l’occasion des enterrements, la cité des Pins retrouve un semblant de solidarité, dans le dernier chapitre intitulé significativement « La vie est à ceux qui se battent ».

70Si la communauté doit soutenir les individus, chaque personnage doit en effet lutter pour devenir ce qu’il doit être. C’est ce que fait Pele, qui a choisi son destin : mariage, entreprise, enfants, retour au pays puis retrouvailles, même brèves avec Arona en Nouvelle-Zélande, elle assume tout. Elle venge la mort de son frère avec une absence totale de scrupules. Ce n’est qu’à ce prix qu’elle pourra revoir en rêve la famille réunie autour du manguier.

71Bref, celui qui réussit à s’en sortir porte aussi en lui une part du monde. Pour Sad, la fin est claire :

Et je suis cet homme piètre et blême qui a détruit notre paix, qui a été le catalyseur de l’explosion, par lâcheté et par désir.
Et je suis les pères et les mères asphyxiés par la bouche de l’échec.
Et je suis les garçons à la soif rageuse qui croient gagner leur liberté en semant le désordre.
Et je suis, comme lui, qui me parle sans cesse dans mes rêves, un voleur de feu.
Mais maintenant, je suis moi : redevenu simple et double et multiple à la fois. Je suis Sad. Rien d’autre ne compte70.

72Hombo choisit de partir, dans l’espoir de se réaliser personnellement ; mais tout porte à croire que ce ne sera pas un exil définitif. « Un homme a besoin d’être parmi son peuple sur sa terre pour être un homme. N’oublie pas de rentrer71. »

73Ève arbore sa maigreur et sa solitude comme des défis.

Je suis seule. Mais j’ai compris depuis longtemps la nécessité de la solitude. Je marche droite, intouchée. Personne ne peut lire mon visage clos, sauf quand je choisis de l’ouvrir. Je ne suis pas pareille aux autres. Je n’appartiens pas à Troumaron. Le quartier ne m’a pas volé l’âme comme aux autres robots qui l’habitent. Le squelette a une vie secrète gravée dans son ventre. Il est sculpté par le tranchant du refus. Ni passé ni futur n’ont d’importance : ils n’existent pas. Le présent non plus, d’ailleurs.
[…] J’affronte mes récifs. Je ne serai pas comme ma mère. Je ne serai pas comme mon père. Je suis autre chose, même pas vraiment vivante. Je marche seule et droite. Je n’ai peur de personne. Ce sont eux qui ont peur de moi, de l’inexploré qu’ils devinent sous ma peau72.

74Le titre « Ève de ses décombres » évoque une nouvelle naissance, une femme naît dans l’abandon des dépouilles de sa chrysalide.

Pour être. Pour devenir. Pour ne pas disparaître à tes propres yeux. Pour sortir de la gangue des passifs, des oisifs, des ratés, de la sciure des regards, du plomb des jours, du tranchant des heures, de l’ombre des vivants, de l’absence des morts, du gravier des médiocres, du moisi, de la nudité, de la laideur, de la moquerie, des rires, des pleurs, des instants,  de l’éternité, du bref, du lourd, de la nuit, du jour, de l’après-midi, de l’aube, des madones effacées, des diablesses disparues.
Rien de tout cela n’est toi73.

75Avec l’exécution du coupable – meurtrier de Savita et minable amoureux d’Ève –, la fin laisse supposer que la jeune fille veut assumer pleinement son acte de justice. Elle en a aussi fini avec le représentant du savoir occidental de maigre envergure – et avec lui le pouvoir de domination auquel, pour son malheur, elle s’est un temps soumise.

76Samoana, la petite fille dans le cercle de la lune, va aussi habiter son nom :

Samoana
Le peuple de la mer. Le clan de la mer. Qui est parti sur ses vaka des Samoa aux Tonga. Aux Fidji.À Aotearoa. À Rarotonga. À Tahiti. À Hawaï. Jusqu’aux autres îles de la Moana. Guidé par les étoiles. Guidé par la lune. Le soleil. Les oiseaux. Les requins. Différents poissons. Rouges/verts/rouges. Tel est mon prénom complet. C’est ce que Grand-Mère Faga m’a murmuré un soir. […] Voilà toutes les personnes que tu portes dans ton nom, Ana. Partout où tu vas. Où que tu ailles. […] C’est comme ça qu’on garde nos morts en vie, Ana. Comme un ula pua. Un ula cousu autour de notre mémoire. De façon permanente. Un qui n’est jamais brisé74.

77Mais Boogie, devenu Mark, naît à lui-même avec la découverte des valeurs de son peuple, qui lui redonnent confiance et dignité, lui donnent le courage d’entreprendre des études de droit, grâce à l’éducateur et à la décision de Beth.

Prenez-vous en charge !
Elle s’endormait le soir avec ce slogan qui résonnait en elle avec de plus en plus de joie. Dans son cœur. Comme si l’idée de se prendre en charge était si belle et d’une portée si générale qu’on se demandait pourquoi les Maoris ne l’appréciaient pas plus que ça. […] Il aidait aussi les paumés, les gosses rejetés et mal dirigés. Il permettait de s’épanouir. Mais ce n’était pas une partie de rigolade75.

78Cette nouvelle façon de vivre fait tache d’huile. C’est à ce moment qu’un narrateur se dévoile.

Le jour suivant, voilà que moi aussi j’ai dû me joindre au groupe, sinon j’allais rater le putain de coche, man. Sûr. Parce que la moitié de la cité des Pins était maintenant derrière ce truc, ce… cette force.
L’autre moitié, celle de ceux qui ne voulaient pas arrêter de picoler tous les jours et toute la journée, eh bien, elle a poursuivi comme avant. Leurs enfants ont continué de galoper partout à n’importe quelle heure, et on entendait le vacarme d’enfer de leurs fêtes pendant la moitié de la nuit, le bruit des bagarres et des hurlements et tout le bordel habituel dont on imaginait qu’ils finiraient par avoir marre76.

79La construction de ces romans veut que peu à peu, ou brutalement, les enfants prennent conscience de leur statut minoré, et désirent s’en abstraire, fût-ce dans la douleur.

La littérature africaine des vingt dernières années ne risque plus d'être qualifiée de « littérature rose », comme le faisait Mongo Beti critiquant la vision édulcorée de Camara Laye dans L'enfant noir. Loin de cultiver le mythe d'une harmonie originelle qui avait cours au temps de la négritude, elle travaille à le déconstruire presque systématiquement en projetant la désillusion contemporaine sur les enfances passées77.

80Ces romans n’ont rien en effet de mièvre, même si des enfants en sont les protagonistes ou le sujet essentiel. Le rapport à la culture passe par cette nouvelle génération qui doit se battre beaucoup que celle de ses aînés pour exister. Cette lutte rejoint d’abord les revendications féminines.

Tous ces auteurs « indigènes » interpellent, d’abord, les effets des violences de la colonisation et des préjugés institutionnels des mondes modernes qui, dans l’ensemble, méconnaît l’histoire et les valeurs de leurs sociétés. La question de la violence entre les hommes et les femmes ne peut être posée qu’à partir de la reconnaissance de cette altérité. Les œuvres d’A. Wendt, W. Ihimaera, A. Duff, suggèrent, progressivement, l’importance cruciale de la question du déséquilibre du pouvoir entre les sexes et les violences qui peuvent en résulter. Nées dans des sociétés menacées par l’assimilation aux valeurs de l’Occident, P. Grace, S. Figiel, G. Mera Molisa, T. Peu, D. Gorodé et K. Hulme se trouvent confrontées à des dilemmes semblables.
Pour ces auteures, la question centrale est : comment s’attaquer à un pouvoir masculin qui peut être abusif et socialement déséquilibrant sans déchirer le tissu d’une société communale qu’elles veulent valoriser ?78

81Car dans le Pacifique ou l’Océan Indien, la lutte des femmes est liée aussi à la question de la culture locale (tahitienne, samoane, maorie, mauritienne…). Ce n’est pas pour autant que le message est exclusivement destiné à faire regretter une vie « traditionnelle » et à s’en prendre uniquement aux cultures importées.  Au contraire, pour Hombo :

Il ne voulait pas la responsabilité d’une mémoire à transporter. Il ne sait que faire de cet héritage qui vient du fond des âges pour dire l’histoire, ronde infinie d’un cycle éternel alliance de la vie et de la mort. Il désire soudain s’enfuir partir dans une autre lumière pour échapper à cette histoire commune à cette communauté d’histoire au passé à l’avenir. Être seul. Ailleurs. Anonyme et délivré. Léger et libre. Oublier79.

82Vivre sans ce souci de la « tradition », c’est aussi le souhait de Jake :

tout ce truc culturel, man, ça vous donnait tellement le sentiment d’être pas à votre place. […] Jake dialoguait avec lui-même. (Mais j’aime pas ces conneries folkloriques. Et puis, qu’est-ce que ça m’a apporté, à moi ? C’est le même genre de gars qui nous racontaient, à moi et à ma famille, quand j’étais môme, qu’on n’était qu’une bande d’esclaves. Donc je les emmerde.)80

83La problématique est autre. D’ailleurs, les tout premiers sentiments de Beth Heke respectaient l’ordre établi et n’étaient pas l’effet d’une revendication culturelle.

Tant mieux pour toi, le Blanc, d’être né dans ton monde douillet, et malheur à toi, Beth Heke (qui fus jadis une Ransfield même si la vie n’était alors guère plus rose) d’avoir épousé un con81.

84À la fin, Beth a mené la reconquête de sa culture, mais elle ne se dresse pas d’abord contre les Blancs : selon elle, les Maoris doivent simplement reconquérir leur propre dignité sans passer par la lutte des classes et des cultures. Ni Alan Duff ni Albert Wendt, par exemple, ne portent d’ailleurs réellement le fer dans ce genre de discrimination : leurs romans analysent cependant cet état de fait. Il n’est tout de même pas indifférent qu’Ève doive céder aux avances plus qu’insistantes de son professeur, Blanc ; que Grace ait choisi de se pendre dans l’arbre des Blancs. Mais une forme de lutte des classes est aussi à l’œuvre, au sein de la communauté maorie. Polly agressée par des filles de sa cité ne se fait pas d’illusions : alors qu’elle a un œil au beurre noir et des contusions sur tout le corps, Alan Duff lui fait tirer les conclusions d’ordre sociétal :

Tout ça parce qu’elle travaillait dur en classe. Parce que ce n’était pas une Maorie qui subissait les mauvais traitements infligés par les Blancs (comme d’autres les subissaient, c’était évident), mais une Maorie maltraitée par d’autres Maoris pour qui les notions de réussite, de but dans la vie et d’ambition résonnaient comme des menaces contre leur collectivité. (Elles m’ont tabassée parce que je souhaite une vie meilleure ?)82.

85Hombo part, à la fin du roman, ayant demandé à faire son service militaire en France : « Il quitte son univers. Premier de tous à affronter l’ailleurs des hommes blancs. Dix mois83. »

86Les cultures se mêlent, il semble que rien ne puisse réellement empêcher ce processus dans le but de mettre sous cloche la « tradition ».

Aucune culture n’est jamais statique et ne peut être « préservée » (le mot favori de nos colonisateurs et de nos chers frères de l’élite romantique), comme un gorille empaillé dans un musée84.

87écrivait Albert Wendt en 1976 dans la revue Mana. Pour son traducteur Jean-Pierre Durix,

Bien que pour l’écrivain samoan Albert Wendt, le rôle de l’artiste soit de reconsidérer le passé pour aider les jeunes générations à valoriser leur héritage, il ne doit pas fossiliser une image non pertinente. […] La question n’est pas de remplacer le neuf par le vieux85.

88Une fois les enfants devenus grands, ils choisissent le degré de métissage qui leur paraît souhaitable : les influences différentes ne doivent servir qu’à un plus harmonieux épanouissement. La violence née des effets inverses de domination et de résistance ne peut s’apaiser qu’à ce prix.

Il est de bon ton universitaire occidental de classifier comparer pour conférencer publier dans un désir de reconnaissance de notoriété. Nous voici désormais opposés en écriture de témoignage et écriture de fiction ou d'imagination cette dernière catégorie l'emportant supérieurement sur la première par défaut d'intérêt. Notre écriture de témoignage te heurte comme un bégaiement ... rien de plus des platitudes ouvrages mineurs où manque la puissance transformatrice de l'imagination de l'imaginaire ... rien que des inélégances ouvrages rugueux où fleurit notre superficialité étalée dans des autobiographies à peine voilées ... rien de plus que des radotages ouvrages primaires où tu ne lis que notre incapacité à entrer dans la modernité de l'Occident86.

89Rien de tout cela, assurément : à travers ces romans, qui évidemment ne sont pas de la science fiction, mais ont à voir avec un référent identifiable, les écrivains actuels ne cherchent pas à réaliser de plates biographies. Une concordance frappante fait que les plus vulnérables, ceux à qui échoit d’assurer la transmission des savoirs, sont décrits dans des situations incroyablement difficiles. La situation conflictuelle, la violence, dépeintes dans les romans contemporains brisent le stéréotype des îles du Pacifique, dans lesquelles aurait régné le culte  de l’enfant-roi, de l’amour libre et de la concorde. Les sociétés colonisées ont eu pour trait commun d’être infantilisées, particulièrement dans l’idéologie et la littérature coloniales : prendre pour héros des enfants violentés ne saurait être un hasard ou une mode. Ces jeunes, marginaux et écrasés par leurs familles ou leur communauté, sont symboliques de la situation intermédiaire dans laquelle se trouvent leurs sociétés, menacées d’être dominées, marginalisées, soumises ou détruites. Cependant tout n’est pas perdu car ces enfants recèlent en fait une force qui va leur permettre de survivre et de dépasser le cap difficile où les cultures s’affrontent au risque de faire disparaître l’une au profit de l’autre. Ces jeunes déboussolés sont ainsi, à force de volonté et de courage inattendu, capables de prendre eux-mêmes la barre pour un nouveau voyage. La littérature qui présente leurs difficultés est bel et bien passée à l’âge de la maturité.

90Pour citer cet article :

91Odile Gannier, « Jeunes déboussolés dans le Pacifique, dans les romans d’Alan Duff, Sia Figiel, Chantal T. Spitz, Albert Wendt ; et Ananda Devi »,  Loxias,  Loxias 25,  mis en ligne le 27 juin 2009, URL: http://revel.unice.fr/loxias/document.html?id=2937

Notes de bas de page numériques

1 Jean-Pierre Durix, The Writer Written. The Artist and Creation in the new Literatures in English, Greenwood Press, Westport, Connecticut, 1987, p. 5 (Nous traduisons).
2 Daniel Margueron, Tahiti dans toute sa littérature. Essai sur Tahiti et ses îles dans la littérature française de la découverte à nos jours, L’Harmattan, 1989, pp. 12-13. Cependant, D. Margueron s’est cantonné précisément à la littérature écrite par des écrivains francophones originellement étrangers à la Polynésie.
3 Au sens où Lévi-Strauss l’avait entendu dans Tristes tropiques : « Une civilisation proliférante et surexcitée trouble à jamais le silence des mers. […] Aujourd’hui où des îles polynésiennes noyées de béton sont transformées en porte-avions pesamment ancrés au fond des mers du Sud […] la civilisation n’est plus cette fleur fragile qu’on préservait, qu’on développait à grand-peine dans quelques coins abrités d’un terroir riche en espèces rustiques, menaçantes sans doute par leur vivacité, mais qui permettaient aussi de varier et de revigorer les semis. L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. » [1955], Terre humaine/Plon, 1984, pp. 36-37.
4 Ananda Devi, Ève de ses décombres, Gallimard, 2006, p. 14.
5 Chantal T. Spitz, Hombo. Transcription d’une biographie, Éditions Te Ite, 2002, pp. 32-33.
6 A. Devi, Ève de ses décombres, p. 13.
7 Même quand les flamboyants sont en fleurs : « Même ici, même ici, dans la cité de ciment, l’été arrive. […] La nuit, on arrive à démêler l’odeur des fruits de celle des ordures. Pendant un temps très court, c’est celle des fruits qui gagne. » A. Devi, Ève de ses décombres, p. 65.
8 « Mon grand frère Carlo, lui, est parti. Il est allé en France, il y a dix ans. J’étais petit. C’était mon héros. Il m’a dit en partant : je reviendrai te chercher. Je l’attends. Il n’est jamais revenu. Il appelle parfois, mais c’est pour dire des banalités. Je ne sais pas ce qu’il fait là-bas. Mais au son de sa voix, je sais qu’il ment, qu’il n’a pas réussi. Au son de sa voix, je sais qu’il est mort. Alors je voudrais tuer, moi aussi. » A. Devi, Ève de ses décombres, p. 40. 
9 Sia Figiel, [The Girl in the Moon Circle, Suva, 1996], La Petite fille dans le cercle de la lune, trad. Céline Schwaller, Actes Sud, 1999, p. 15.
10 Alan Duff, [Once were Warriors, Tandem Press, Auckland, New Zealand, 1990], L’Âme des guerriers, trad. Pierre Furlan, Actes Sud, 1996, coll. Babel, p. 277.
11 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 8.
12 A. Duff, L’Âme des guerriers, pp. 8-9.
13 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 13.
14 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 22.
15 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 7 : « Et pourtant je l’aime, je peux pas m’en empêcher, j’aime ce noir connard fou de bagarre. » (première page du roman, 2e §).
16 A. Duff, L’Âme des guerriers, pp. 68-69.
17 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 45.
18 A. Duff, L’Âme des guerriers, pp. 242-243.
19 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 243.
20 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 209.
21 A. Devi, Ève de ses décombres, pp. 15-16. (Première partie, « Sad »).
22 S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, p. 106.
23 A. Devi, Ève de ses décombres, p. 131.
24 Albert Wendt, [The Mango’s Kiss, Auckland, New Zealand, Random House, 2003], Le Baiser de la mangue, trad. Jean-Pierre Durix, Tahiti, Au Vent des îles, 2006, pp. 86-87.
25 Chantal T. Spitz, Hombo. Transcription d’une biographie, pp. 32-33.
26 S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, p. 46.
27 S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, p. 47.
28 S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, pp. 82-83.
29 C. T. Spitz, Hombo, p. 80.
30 C. T. Spitz, Hombo, p. 78.
31 S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, p. 27. 
32 C. T. Spitz, Hombo, p. 81.
33 C. T. Spitz, Hombo, p. 80.
34 C. T. Spitz, Hombo, p. 81.
35 C. T. Spitz, Hombo, p. 80. Voir supra la citation appelant la note 29.
36 C. T. Spitz, Hombo, p. 80.
37 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 288.
38 C. T. Spitz, Hombo, p. 91.
39 S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, pp. 188-189.
40 C. T. Spitz, Hombo, p. 83.
41 Ce terme s’est entouré d’un certain nombre de connotations dans la critique postcoloniale et les « subaltern studies ». Nous l’entendrons simplement au sens de dominé, considéré comme inférieur et de moindre valeur sociale.
42  À propos d’Albert Wendt, voir la thèse de Pascale Beaudet, Sous le signe de la violence, ou la violence dans l’œuvre d’Albert Wendt (Univ. de Nice, sous la dir. de Jacqueline Bardolph), 1999.
43 Alan Duff, [What Becomes of the Broken Hearted, Vintage New Zealand/ Random House, Auckland, 1996], Les Âmes brisées, trad. Pierre Furlan, Actes Sud, 2000, coll. Babel, p. 115.
44 S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, p. 37.
45  « Lafi n’a pas perdu de temps à poser des questions. Elle s’est juste levée. Elle est venue vers nous [Samoana et sa sœur]. A arraché le drap d’Ivoga et a posé un pied sur sa cuisse pendant qu’elle lui donnait des gifles. Lui tirait les cheveux. Criait à quelqu’un d’aller lui chercher les ciseaux. Ce que personne n’a fait. Parce que Tausi a dit d’arrêter. Faalono uma mai tagata i lau amio matuai mataga. Je ne vois pas ce que les enfants ont fait de si mal. » S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, p. 65.
46 S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, p. 67.
47 A. Devi, Ève de ses décombres, p. 130.
48 Cette fureur diffère de la coupe des cheveux d’un garçon, cf. S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, pp. 158-159.
49 S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, p.  158.
50 A. Devi, Ève de ses décombres, p. 131.
51 A. Devi, Ève de ses décombres, p. 9.
52 S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, p. 19. 
53 « Mais tu as seulement douze ans, sept mois et demi plus deux jours ! C’est impossible ! Tu as juste… » (S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, p. 180). À l’inverse, Hombo s’achève presque sur l’arrestation de jeunes gens pour le viol d’une popaa, résultat d’un malentendu réciproque. L’étrangère et les jeunes gens ont interprété la situation différemment, en raison de codes sociaux différents.
54 A. Duff, L’Âme des guerriers, pp. 292-293.
55 A. Devi, Ève de ses décombres, pp. 20-21.
56 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 263.
57 C. T. Spitz, Hombo, p. 91.
58 S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, p. 37.
59 S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, p. 14.
60 A. Devi, Ève de ses décombres, p. 71.
61 A. Devi, Ève de ses décombres, p. 13.
62 S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, p. 174.
63 S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, p. 174.
64 C. T. Spitz, Hombo, p. 16.
65 C. T. Spitz, Hombo, pp. 80-81.
66 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 44.
67 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 44.
68 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 263.
69 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 307.
70 A. Devi, Ève de ses décombres, p. 150.
71 C. T. Spitz, Hombo, p. 120 (dernière).
72 A. Devi, Ève de ses décombres, p. 21.
73 A. Devi, Ève de ses décombres, p. 53.
74 S. Figiel, La Petite fille dans le cercle de la lune, pp. 172-173.
75 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 262.
76 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 300.
77 Madeleine Borgomano, « Être enfant en Afrique », Éditorial de Mots Pluriels n° 22, sept. 2002, http://www.arts.uwa.edu.au/MotsPluriels/MP2202mfc.html.
78 Raylene Ramsay, « Pouvoir masculin, pouvoirs féminins, violence sexuelle, et retour dans les littératures "indigènes" du Pacifique », in Mounira Chatti, Nicolas Clinchamps, Stéphanie Vigier, Pouvoir(s) et politique(s) en Océanie [Actes du XIXe colloque CORAIL, Nouméa], Éditions L’Harmattan, 2007, p. 323.
79 C. T. Spitz, Hombo, p. 90.
80 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 209.
81 A. Duff, L’Âme des guerriers, p. 7.
82 A. Duff, Les Âmes brisées, p. 115. (Nous soulignons).
83 C. T. Spitz, Hombo, p. 117.
84 Albert Wendt, « Towards a New Oceania », Mana 1, n°1, 1976, p. 52. Cité par Jean-Pierre Durix, The Writer written. The Artist and Creation in the new Literatures in English, Greenwood Press, Westport, Connecticut, 1987, p. 17. (Nous traduisons.)
85 Jean-Pierre Durix, The Writer written. The Artist and Creation in the new Literatures in English, Greenwood Press, Westport, Connecticut, 1987, p. 17. (Nous traduisons.)
86 C. T. Spitz, « À toi Autre qui ne nous vois pas »,  mai 2002, Littérama’ohi, n° 2 (déc. 2002), p. 120-129,  www.lehman.edu/ile.en.ile/litteramaohi/02/francophonie.html.

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Pour citer cet article

Odile Gannier, « Jeunes déboussolés dans le Pacifique, dans les romans d'Alan Duff, Sia Figiel, Chantal T. Spitz, Albert Wendt ; et Ananda Devi », paru dans Loxias, Loxias 25, mis en ligne le 27 juin 2009, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=2937.


Auteurs

Odile Gannier