Loxias | Loxias 25 Littératures du Pacifique | Littératures du Pacifique
Serge Dunis :
« L’ombre d’un grand oiseau me passe sur la face ». Le Baiser de la mangue d’Albert Wendt : lecture anthropologique
Résumé
« Le Baiser de la Mangue : lecture anthropologique », est une traduction-adaptation de Samoan anthropology’s coming of age in Albert Wendt’s The Mango’s Kiss, cours de Serge Dunis sur le site doctoral de l’UPF (http://www.espadon.pf ). Le rôle principal du roman, tenu par Pele, y est cerné. Aussi irrépressible qu’une coulée de lave de la déesse éponyme du volcan, Pele met à nu les forces que déclenche l’entrée de son île natale dans la mondialisation. Or il s’agit de Savai’i, point de départ du peuplement pré-européen de la Polynésie orientale, creuset du Grand Océan. C’est à deux ans, en 1882, que Pele découvre le pouvoir d’attraction du monde extérieur par l’entremise d’une mangue fraîche pressée contre sa joue. Le succès en affaires l’attend. Pele a 20 ans lorsque Samoa devient colonie allemande en 1900. Elle survit à l’épidémie de grippe espagnole qui dévaste l’archipel et tire avantage du mandat que la Société des Nations confie aux Néo-Zélandais en 1920 pour parachever sa propre conquête économique des îles. Fidèle à la frégate, son oiseau totémique (d’où l’exergue persienne) et à l’union sacrée entre frère et sœur, feagaiga, Pele venge, en Nouvelle-Zélande, l’assassinat de son frère devenu truand. Dans la lignée de Dickens, Melville et Camus, Wendt transcende les chocs culturels pour dévoiler l’envers et l’endroit de la nature humaine.
Abstract
In “Samoan anthropology’s coming of age”, Serge Dunis traces the deus ex machina role played by Pele, heroine of Albert Wendt’s novel The Mango’s Kiss. Pele, fully a match for the eponymous Polynesian volcano goddess, embodies, amongst other things, the irrepressible forces brought to bear upon Samoa in the age of globalism. At the age of two in 1882, Pele gains her first self-awareness of the driving force of the outside world through the startling freshness of a mango. Success in business awaits her. She is 20 when Samoa is declared a German colony in 1900. Pele survives the Spanish influenza epidemic and swoops triumphantly down upon her own island after New Zealand is awarded the League of Nations’ mandate to govern Samoa in 1920. True to her totem the frigatebird and the binding feagaiga special relationship that forever unites brother and sister, she avenges her murdered brother who had become a criminal in New Zealand. In the true lineage of Dickens, Melville and Camus, Wendt transcends cultural conflicts as he brings into focus both the bright and the shadowy sides of human nature.
Index
Mots-clés : anthropologie , mythe, Pacifique
Chronologique : Période contemporaine
Texte intégral
« L’ombre d’un grand oiseau me passe sur la face ».
(Saint-John Perse, Anabase VII)
1À première lecture, Le Baiser de la Mangue1, publié en 2003, semble illustrer les thèses de Konrad Lorenz sur les imprégnations précoces et indélébiles qui marquent la psyché. Le titre du tout premier chapitre, « Au commencement, à la fin… » annonce d’entrée que nous allons faire le tour de la question. Les deux paragraphes initiaux offrent un gros plan sur Pele, deux ans en 1882 à Satoa, île de Sava’i, archipel des Samoa. La bambine découvre l’irréductible altérité du monde extérieur grâce à l’insolite fraîcheur d’une mangue ronde vert orangé, couverte de rosée, que Mautu, le père, presse contre la joue de l’enfant. 780 pages plus loin dans l’excellente traduction de Jean-Pierre Durix2, l’épilogue conte comment un garçon téméraire, Arona, frère de Pele, avait un jour pris de grands risques pour escalader le plus altier des manguiers afin d’y cueillir le fruit des fruits qui rivalisait d’éclat avec le soleil. Parmi ses frères, sœurs et amis épouvantés par tant d’audace se trouvaient Pele et Tavita qui échangèrent alors le regard annonciateur de leur future union.
2 Les pages intermédiaires nous lient aux époux amoureux Mautu et Lalaga. Le père penche pour Pele, la mère pour Arona. Ces pages nous attachent aussi du même lien solide que nouent entre eux Mautu, matai (chef), pasteur, et Barker, père de Tavita, volubile Anglais voué aux états d’âme, époux de Poto, découvreur de restes humains dans la montagne, qui finit par se suicider sur la pirogue double qu’il a construit. Les chiasmes émotionnels sont à l’œuvre à l’intérieur comme à l’extérieur de la famille, car Pele est aussi ‘l’enfant’ préféré de Barker, influence britannique dont R.L. Stevenson en personne, alias L.R. Stenson dans le roman, couche l’apogée dans son testament. Mautu et Pele maîtrisent l’anglais avec avidité.
3 Le message est clair et stimulant : Wendt nous montre comment Samoa fait son entrée dans le monde moderne. « Madame Bovary, c’est moi » disait Flaubert, Wendt reprend la célèbre formule à son compte pour Pele, deus ex machina du roman. Elle est si brillante, efficace et ambitieuse que son élan finit par donner le vertige à son mari dépassé : il s’abandonne à la violence conjugale. Arona disparaît de Satoa et du roman jusqu’au moment où le succès grandissant conduit Pele et Tavita en Nouvelle-Zélande où se cache l’ex-marin retiré des affaires louches « sous la ligne de flottaison. » Sinbad… Péchés capitaux. Arona et son épouse Maori sont assassinés par un autre ancien marin blanchisseur d’argent. Pele décide d’éliminer le meurtrier. Œil pour œil, dent pour dent, mœurs de frégate samoane totémique, Maori utu. C’en est trop pour Tavita.
4En dépit des apparences, nous sommes ici au-delà des chocs de cultures que Wendt transcende du début à la fin. Qu’est la vérité ? Qui peut la supporter ? Quand deux époux perdent-ils leur confiance et transparence mutuelles ? Quand commence-t-on à se raconter des histoires ? Qu’est-ce qui nous oblige ? Quelle est la valeur d’un serment ? Fallait-il retrouver Arona ? Le dénouement palpitant, conçu pour éclairer les zones d’ombre de l’existence, donne à réfléchir sur les insondables profondeurs de l’âme humaine. Si tant est que les humains puissent échapper à la pandémie, accepter leur solitude métaphysique… Le lecteur bousculé est ramené à la génération des parents Mautu et Lalaga qui montrent l’exemple face à la mort et conjuguent sans peine culture polynésienne et culture occidentale. À des années lumière de Pele, coulée de lave irrépressible de la déesse éponyme du volcan et de l’auto-destruction d’Arona.
5Notre première approche significative de Pele s’opère au moment où elle délivre son frère ‘Iakopo de la Maladie : « Elle lui pinça les narines et serra longuement, sans relâcher sa pression, sans aucune appréhension. Les pulsations se ralentirent tandis qu’elle maintenait ses narines fermées (25-26). » Wendt est au diapason par son traitement ironique de l’euthanasie. « Prions ensemble. Notre Très Saint Père, nous te remercions pour cette superbe matinée. En ce jour radieux, Iakopo est parti te rejoindre pour demeurer en ta compagnie éternellement. Nouvelle pause. "Merci d’avoir abrégé ses souffrances" (28). » Dans un sermon précédent, Mautu s’exprimait comme un personnage de Camus. « Je me présente ce matin devant vous incapable d’appréhender le sens de la justice de notre Dieu (24). » L’intrusion exotique des Aventures de Sinbad le Marin lance Mautu dans le récit fantastique de la vie de Barker. Un flash-back nous ramène à 1879 pour participer à la célébration du mariage arrangé de Mautu et Lalaga. Clairement révélé, le solide appétit sexuel et la satisfaction des jeunes mariés assurent le succès de l’union (77-82). « En public, ils étaient le pasteur modèle et sa femme : self-control, modération. Il en irait de même pendant toute leur vie (83). »
6À l’opposé de cet équilibre, nous voici averti quant à Arona : « À mesure que sa force s’affirmait, son appétit pour toute chose devenait un désir irrésistible qui effrayait Lalaga, surtout parce qu’elle pensait qu’il le tenait d’elle et de Mautu. Elle craignait que son ‘appétit’ dépasse le leur (86). » Comme il n’y a pas de hasard, Arona met au jour des squelettes humains (99). Barker stupéfie Mautu en insistant pour que ces restes soient dignement ré-ensevelis près de l’église : « Après tout, c’est nous qui les avons découverts. Donc nous en sommes aussi responsables. On peut dire que nous faisons maintenant partie de leur famille (112). » ‘Gens’ redécouverts, jeunes et vieux sont désormais unis. Barker est adopté. Il est invité chez Mautu pour la toute première fois (113). Les archéologues en prennent pour leur grade !
7Poussé dans ses derniers retranchements par Poto et Mautu, Barker le Palagi (Européen), le sauvage occidental, fait sa profession de foi à la Camus des Noces à Tipasa : « Et qu’ai-je besoin de parler de Dionysos pour dire que j’aime écraser les boules de lentisques sous mon nez ? » = « Je crois en la soif, en la faim, en la douleur, au désir, à la joie – car j’en ai une connaissance intime. Je crois en la terre, en la mer, au ciel. Aux oiseaux aussi. Et aux mangues. Surtout aux mangues, parce que je vais savourer leur délicieuse chair dans quelques mois (117). » Pele perce le secret paternel : « De quoi discutiez-vous avec ta mère ? De rien, répondit-elle tout bas. Je lui ai simplement dit que tu doutais parfois de l’existence de Dieu (122). » À 15 ans, Pele n’est plus une enfant : elle se mesure à sa mère et s’isole dans son arbre : « Peleiupu savait que la présence derrière l’odeur émanant de la mousse était l’aitu (l’esprit) de son arbre. Et maintenant il habitait son âme (132-3). » Elle est mûre pour rencontrer Filivai la guérisseuse, 60 ans. « Plus tard dans sa vie, Peleiupu remarquerait que la foi que son peuple avait en l’atua (Dieu) chrétien, L’Esprit Saint, ne constituait que le dernier et troisième étage d’une pyramide qui incluait, dans son corps, dans son ventre tridimensionnel, un cortège redouté d’aitu sauvages, de sauali’i, les sauai, les fantômes introduits par les Papalagi, les vampires, Frankenstein, les démons et Satan (133). » Cette rencontre est décisive : « Il faut apprendre à dissimuler ce don, dit Filivai tandis que Peleiupu s’apprêtait à partir (137)… Peleiupu ne tarda pas à décider ce qu’il lui fallait faire pour survivre (138)… »
8Lalaga se débat dans la culpabilité. La fugue de Pele annonce le départ de son frère Arona, départ que les histoires de pirates de Barker ont inspiré. La première sortie les conduit à Apia, mutante et cosmopolite. La capitale samoane ravit Pele qui fait serment de la « posséder », à la manière de Rastignac devant Paris : « À nous deux maintenant ! » ‘Expression de l’amour’, répond Barker à Stenson/Stevenson qui demande l’étymologie de ‘Peleiupu’ alors qu’il n’a aucune peine à entendre le biblique Aaron dans le samoan Arona. Il s’agit bien là du premier voyage initiatique : les deux jeunes voient les deux Britanniques s’enivrer et Arona le voyeur surprend les ébats de Barker avec la servante du ‘Magicien des Mots’, Madame Pivot. Stenson/Stevenson surmonte l’attaque déclenchée par l’alcool et conte sa vie à Pele ! La mort accidentelle de sa fille a ruiné son mariage et conduit son épouse au suicide : « Jusqu’à ce jour, j’ai tenté de me persuader que je devrais éprouver du remords concernant cette mort. Mais je n’en ai aucun, et c’est le plus terrible (185). » Barker emmène ensuite les deux jeunes en ville, dans ‘le monde au-delà des récifs’(186) où il se noie à nouveau dans le whisky. Arona laisse Pele le secourir grâce à son anglais parfait : « Elle l’avait emporté en découvrant intuitivement l’un des secrets concernant la manière dont le pouvoir s’exerçait à Apia (189). » L’écrivain écossais disparaît bientôt, disparition pressentie par Pele « Sans chagrin ni regret : exactement la manière dont Stenson avait décrit la mort de sa fille. Stenson aurait été fier d’elle (194). » Le grand Écossais lui lègue sa bibliothèque ! Confidente innée, Pele recueille les aveux de Barker : « J’ai eu la chance de rencontrer votre père et Stenson. Une chance vraiment tragique. Pourquoi tragique ? Parce qu’ils m’ont ouvert les yeux sur ce que je fais vraiment sur cette planète et dans l’univers. Sur la superbe futilité de tout cela. Et sur l’amour. Oui, surtout là-dessus. » Pele connaîtra plus tard le fin mot de l’histoire en ouvrant le coffret chinois dans lequel Barker rangeait son manuscrit des jours pluvieux. L’association de la pluie et de la corruption évoque ici la célèbre nouvelle de Somerset Maugham, Rain.
9Contrairement au héros de Typee, Barker se fait tatouer afin de concrétiser son identité samoane. La magie est à l’œuvre. L’espace d’un fantasme, Lalaga s’abandonne au nouveau païen. Le chiasme transforme Barker en locuteur polynésien qui vaque pieds nus et la famille de Pele épouse la culture anglaise. Singulier pressentiment : Pele prend peur que le nouveau converti au paganisme n’ait contracté la Maladie… N’a-t-il pas prévenu Arona ? À la fin de son cauchemar, Barker pend au mât de sa pirogue, celle-là même qui était censée « laisser tous les autres (bateaux) sur place, même la mort (235) » : Flying-fox in a Freedom Tree = Le navire du fantôme blanc (257), « L’ombre à nouveau dans le manguier (259). » Dans l’un de ses meilleurs chapitres, L’alia, qui correspond ici à la pirogue Maori de la mort, Karamurauriki, Wendt, nouvel alchimiste capable de fondre ensemble culture polynésienne et culture occidentale, transcende les chocs de cultures, aborde l’universel. « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie » affirmait Camus, nouvel Hamlet, au lendemain des massacres de la deuxième guerre mondiale, dans Le Mythe de Sisyphe. ‘Fragilité, tu es masculine’ a dû murmurer Pele en accueillant la puberté : « Elle examina sa robe. Une fine tache rouge s’étendait de sous son ventre jusqu’à la couture (236). » Le Baiser de la Mangue est un hymne au pouvoir féminin. Au prix fort cependant : submergée par sa parenté avec la déesse de la mort Maori, Hine nui te Po, qui étouffe en son vagin le demi-dieu Maui mué en oiseau, Pele sombre dans la dépression.
10Volontaire, Camus avait su dépasser l’absurde. Pele, elle, s’appuiera sur la médecine traditionnelle pour effectuer son retour. Barker est inhumé selon ses dernières volontés et prend le relais symbolique des ancêtres qu’il avait exhumés dans la montagne. Dans son oraison funèbre, Mautu souligne que notre frère Ralph William Virgil Barker, membre de la tribu, repose désormais en sa terre. Le mot de la fin vient peut-être d’Arona : « il a dû être heureux, dit Arona. Mautu fut surpris par la remarque de son fils. Il a dû l’être, sinon pourquoi choisir une telle mort à un moment où la vie qu’il menait lui apportait de pareilles satisfactions ?(269) » Wendt est-il en train de se livrer ? « Il faut que j’apprenne à vivre de telle sorte que je dispose d’un tel choix, d’une telle liberté, ajouta Arona (269). » L’essence camusienne du roman. « Mautu aurait aimé le mettre en garde mais il se retint. Il enviait son fils et décida de ne pas le décourager de suivre Barker sur les chemins de la liberté. Mais qu’arriverait-il si d’aventure cela l’éloignait de Dieu, des chrétiens, pour le plonger dans le monde des Ténèbres, le vide, la mort en exil, l’horreur de tout cela ? (270) » La pirogue de Barker est détruite par son beau-père Sao… Mautu lui-même vacille, mais à l’encontre de Lalaga, il fait confiance à la tradipraticienne qui veille sur sa fille bien aimée.
11Dialogue conjugal :
« – Tu parles comme… Oui, comme Barker, lui reprocha-t-elle.
Il ne répondit rien.
– Tu as assimilé son paganisme.
– Le problème avec toi, c’est que tu as été conditionnée par tes missionnaires papalagi qui condamnent notre passé, notre religion, nos remèdes d’avant le christianisme ; ils les rejettent sous prétexte que ce sont des superstitions, l’œuvre du Malin. J’ai jadis été comme toi…
– Mais Barker t’a sauvé.
– Oui, il m’a permis de reconnaître que nous devions être fiers de notre identité et de ce que nous sommes et avons été. J’admire toujours les missionnaires mais, dans ce qu’ils professent et enseignent, on trouve beaucoup d’arrogance, d’étroitesse d’esprit ; ce ne sont pas des manières chrétiennes mais des manières et des préjugés d’Anglais. À cause d’eux, beaucoup d’entre nous ont maintenant honte d’être samoans (276). »
12Tel Camus, Wendt sait nous sauver des cataclysmes moraux. Tel Camus, il a longtemps pesé le pour et le contre, l’envers et l’endroit, l’exil et le royaume. Citons The Best of Albert Wendt’s Short Stories de 1999, par exemple, ou Pouliuli, 1977. Le premier titre offre trois nouvelles préfigurant Le Baiser de la Mangue. Les deux premières, « Prospection », et « Fille de la saison des mangues » (The Birth and Death of the Miracle Man, 1986) se présentent comme deux féconds chapitres du Baiser de la Mangue. Achevés. Au mot près. Les ancêtres sont extraits de terre pour de l’or dans ‘Prospection’ où Pele, confrontée à cet insolite passé anonyme, maîtrise l’anglais. Dans « Fille de la saison des mangues », elle disparaît dans son châtaigner (ifi, Inocarpus edulis), fugue destinée à obliger sa mère à lui permettre de découvrir Apia, nouvelle ou chapitre que nous pourrions intituler « La fille préférée du pasteur est une voyante. » Le message est limpide : les arcs-boutants du géant vertical, arbre refuge, le transforme en redoute imprenable. Pele sera digne de son totem ! La troisième nouvelle, « Chaleurs » (inédite), met en scène une intuitive Peleiupu préoccupée par sa sœur de famille étendue, aiga, Maualuga, déchue de fille modèle en paria : fille mère qui a cédé aux avances d’un comédien de passage dont la troupe interprète Antoine et Cléopâtre à Samoa, lors d’une saison particulièrement torride. L’amour peut en effet s’avérer fatal… comme dans la nouvelle associée à « Chaleurs » : « Le fils d’Elena ».
13Loin des dialectiques indépassables dans lesquelles il jouait avec le feu à la manière d’Anthony Burgess, Wendt se comporte désormais en ancien qui se lance dans la construction symbolique d’une maison de rassemblement sur le campus universitaire d’Auckland. Le pasteur Mautu est en passe de devenir le saint laïc de Camus. Il tire sa révérence à tire d’aile traditionnelle. Son épouse se hâte de le rejoindre et fait face à la mort dans ce qui est probablement le temps fort du roman : le dernier chapitre du Livre II. Pendant ce temps, la propre sœur de Mautu, Lefatu, prend la succession de Filivai et choisit Ruta, sœur cadette de Pele, pour prendre la suite. Pele connaîtra la réussite en affaires, Ruta sauvegardera le passé. « Lalaga, Peleiupu a failli mourir parce que tu refuses de me faire confiance. Nous sommes chrétiens. Nous sommes aussi des Tuifolau. Ce n’est pas incompatible (284). » Rétablie, Pele confirme que Barker s’était à tort cru frappé par la Maladie. Construire une pirogue l’aidait à se reconstruire lui-même. Maître de l’ironie dramatique (The Master of Ballantrae ?), Wendt se fait plus subtil que son personnage principal : « Il n’allait pas mourir ; Dieu lui avait évité le fardeau de devoir essayer de le sauver (297). » Deux vaisseaux se croisent dans la nuit, toutes lumières allumées… Arona et Tavita sont maintenant jumeaux : Crusoé (Arona) et Vendredi (Tavita), pour se référer à la significative inversion des rôles opérée par leur entourage adolescent. Déjà en émoi, Pele aimerait que le fils de Barker, aux yeux de chat, « ne soit plus le meilleur ami d’Arona (300). » Qui est le chat ? Qui est la souris ? Page suivante, Arona prend la route.
14Ses parents sont anéantis. Impétueuse, Pele assène à sa mère : « C’était à mon frère de choisir. C’était à lui ? répliqua Lalaga sur un ton agressif. Oui, et je l’envie… Tu te comportes vraiment comme une Papalagi. Si j’étais un garçon, je serais partie avec mon frère…(308) » Liberté. Pele encore : « enviait Ruta d’avoir choisi son avenir et d’en profiter déjà (310). » Et elle ? Son propre futur est tracé. Écoutons ce nouvel échange :
Arona était mon meilleur professeur. Il m’a appris beaucoup de choses sur les additions, sur la façon de vendre les choses, sur la lecture et sur l’argent. Il m’apprenait aussi la navigation : c’est mon père qui le lui a appris. Mon père aimait beaucoup Arona. Et Pele, ajouta Naomi. Oui, cela m’a rendu jaloux pendant un temps. Mais lorsque Arona est devenu mon meilleur ami, il est aussi devenu mon frère. Je n’ai donc pas eu d’objection à ce que mon père le considère comme favori… Et Pele aussi, dit Naomi en écho. Tavita se mit à rire. Peleiupu ne savait pas comment réagir. C’est vrai ! Barker et Poto te traitaient en favorite, lui dit Naomi. C’est bien possible, répondit Peleiupu (312).
15Elle part faire ses études à Vaiuta, Apia, sur les traces de sa mère. Portrait de l’artiste : « En sortant de sa maladie, Peleiupu n’avait plus peur de Lalaga mais elle feignait de la craindre encore (321)… Pour survivre sans problème à Vaiuta, elle décida de cacher ce qu’elle connaissait, y compris le fait qu’elle parlait couramment l’anglais et connaissait les livres (326). » Magnanime, sa mère la met en garde : « Lefatu a raison. Pele, tu es la plus douée de notre aiga. De tout Satoa. Si douée que parfois cela me fait peur. Elle renifla. Tu comprends ce que je veux dire ? Peleiupu acquiesça. Souviens-toi que tu es aussi une fille. Le fait d’être exceptionnelle, en plus d’être fille, va t’imposer des contraintes strictes (327). » La nouvelle pensionnaire trouve son père « aussi perdu que l’était Barker (328) » et tombe plus tard sur le coffret chinois, en défaisant ses bagages. Samoa la païenne devient colonie allemande. Nous sommes en 1900. Pele fête ses 20 ans.
16Toisant de haut sa « communauté strictement féminine (332) », Pele compare la responsable, Misi (Mademoiselle), à l’une des héroïnes de Stenson, Milly, « qui leur apportait la lumière et la force chrétienne qui ne faisaient pas encore partie de leur monde (335). » Leitmotiv : « Pour survivre, Peleiupu décida qu’elle devait faire semblant d’être l’élève idéale requise par le système. Elle détestait cela. Elle détesterait cela tout le temps qu’elle passerait à Vaiuta mais elle n’en parlerait à personne, pas même à ses parents (334). » Girant au-dessus de cette caricature du combat contre le Malin, au calque des orbes de Wendt la frégate totémique, Wendt l’anthropologue, nous évoluons bien au-delà de l’intrigue du roman, bien au-delà des thèmes que Wendt mêle et démêle avec la dextérité de Gide dans Les Faux Monnayeurs. Le seul principe à l’œuvre ici n’est autre que celui du patrimoine culturel samoan aux prises avec la globalisation. Ce patrimoine entre dans la danse à armes égales avec n’importe quel autre patrimoine, héritage guerrier oblige. Mautu s’immerge dans la généalogie de ses ancêtres, les maîtres navigateurs Tuifolau. Il marque une pause sur le grand-père meurtrier de la frégate totémique, par pur opportunisme de conversion au nouveau dieu. Quant à Mautu lui-même, il admet que « son père avait choisi pour lui (339) » dans cette « vie à deux faces (338) » : son fils pasteur revêtait les nouveaux habits sacerdotaux, sa sœur « Lefatu devenait la gardienne de l’autre face (339). » Les femmes du Pacifique ont toujours le dernier mot. La genèse biblique d’un côté, la genèse samoane de l’autre.
17L’un des plus prestigieux Tuifolau était un albinos : Tamatetea. Honteuse, sa mère l’avait caché dans une grotte. Le père naïf l’y prit pour un envoyé des dieux ! Tamatetea ramena une frégate blessée de l’une de ses expéditions de pêche. Sa fille Sina prit tellement soin de l’oiseau que son frère Ume comprit bien vite ces relations amoureuses. Il piégea l’amant déguisé. L’homme-oiseau fut jugé et condamné à mourir mais Sina le libéra et prit la fuite avec lui. « Lors de la naissance de leur premier enfant, Tagaloaalagi l’appela Fatutapu, la graine sacrée plantée dans l’Aiga Tuifolau, des mortels, par un atua (351). » Fatutapu grandit et ne put résister à la tentation de visiter l’île de sa mère où Ume l’empala. Submergé de chagrin, Tamatetea enterra son petit-fils à Fanuatapu et vogua vers la mort en suivant les étoiles. Alors l’oiseau de Sina revint lui-même sur terre, trouva la tombe de son fils. Les larmes qu’il y versa engendrèrent Niuafei, la palmeraie sacrée. Son second fils fondit plus tard sur Ume, s’en empara, et le laissa choir de très haut dans le ciel. D’où le nom de Totoume que porte la péninsule où le meurtrier s’est écrasé. Sina élit résidence à Niuafei.
18Nous sommes ici au cœur du roman d’Albert Wendt. Le Baiser de la Mangue offre une variation sur le mythe de création de l’aiga de Pele. À mi-chemin de la nouvelle variante, le pasteur secoué a déjà compensé les années de sevrage culturel paternel : « Tandis que Peleiupu recevait une éducation très papalagi à Vaiuta, Mautu lui donnait de solides bases en matière de culture samoane pour la première fois de sa vie (353). » Sa fille peut tout encaisser maintenant que, aux antipodes des cours ennuyeux, elle lit le testament de Barker abandonné par son propre père. L’autobiographie à la Dickens lui narre l’histoire d’un orphelin londonien qui lutte pour la survie. À la manière d’un Moïse, il abrège ainsi : « Qu’il suffise de dire que j’ai mis en application tout ce que j’ai pu apprendre concernant les désirs et les secrets sexuels des hommes (374). » Contrairement à Arona (Aaron, frère de Moïse, premier grand prêtre hébreu) qui s’apprête à usurper, Barker trouve la rédemption en contant le bon côté de son existence que nous suivons en direct dans le roman. Par l’un des chiasmes dont il a le secret, Wendt fait disparaître Arona du roman… Il rejoint le milieu…
19Quelle est la morale de l’histoire de Barker ? « Nous sommes nos propres créateurs. Sans Dieu, il ne nous reste qu’à nous inventer, nous et les trajets que nous suivons pour pénétrer les ténèbres et en sortir. Au terme de ma quête, j’ai trouvé le réconfort et la réconciliation dans le point de vue satoan concernant ces ténèbres, Pouliuli (359-360). » Très existentiel. Sartre et Camus s’avèrent étonnamment pertinents dans cet état des lieux de l’après christianisation dans les îles du Pacifique : « Barker avait vécu sans Dieu – Dieu était mort – et pour tenir dans une position aussi courageuse, il avait créé, inventé et développé – peu importait le vocabulaire – une identité propre et une manière de le faire (363). » En anéantissant les dieux païens, les missionnaires auraient-ils substitué un néant à un autre néant ? Néant dans lequel se seraient engouffrées les pandémies qui ont décimé les îles et bien d’autres sociétés dites primitives à la période du contact avec les Européens ? Tristes Tropiques ? Moins radical ou cérébral que son modèle, Arona avoue : « Un Hollandais alcoolique dans l’un de mes équipages m’a une fois dit que nous sommes façonnés par les circonstances dans lesquelles nous vivons et par les choix que nous avons faits – ou aurions dû faire. Quelle est la place de Dieu dans tout cela ? me suis-je souvent demandé. La plupart d’entre nous aboutissent sans le vouloir là où ils sont et restent pareils à eux-mêmes. Quelle pensée profonde ! (692) » Contrairement à Barker le survivant qui choisit de mourir, Arona refuse d’attaquer frontalement son ultime ennemi et périt assassiné. Telle une frégate, Pele mène la vendetta à terme (son père et son mari sont d’éternels inquiets). Ne serre-t-elle pas le manuscrit de Barker contre son cœur et n’approuve-t-elle pas son élimination du méchant ? (375)
20Liberté, liberté de choisir. Pele saura toujours où aller. Elle commence par quitter Vaiuta avec éclat et repousse le mariage pré-arrangé qui l’attendait. Sa force consiste à savoir écouter les autres ou joue-t-elle à les tester pour mieux se poser en s’opposant ? Elle s’enfuit avec Tavita, bien sûr, portrait craché de son père Barker. Que le beau pasteur qui lui est promis aille au diable ! Pele tire Tavita de l’abîme du désespoir à Apia. À nouveau anéantis, ses parents renient le couple renégat. Qui sera le pathétique substitut ? Mardrek Freemade ! L’anthropologue détendra l’atmosphère à ses dépens. Son nom sonne d’ailleurs comme un programme en télescopant Margaret Mead, aujourd’hui si décriée, et Derek Freeman. Allusion directe à l’incompréhension occidentale de la sexualité polynésienne. « Free Mead » se fera expulser comme pécheur de Sodome et son expertise médicale ne résistera pas à la concurrence des massages traditionnels de Ruta qui soulagent Lalaga. Cette dernière ré-ouvre son école et reprend sa vie sexuelle avec Mautu. Wendt fait ici le pied de nez aux anthropologues qui vouent la sexualité samoane à la nuit. Les magnifiques passages érotiques du Baiser de la Mangue leur sont dédiés.
21Nous ne tardons pas à apprendre que Pele et Tavita sont « maintenant agents d’import-export pour le compte de marchands samoans allemands qui désiraient obtenir des denrées aux Samoa américaines (436). » Le retour du fils et de la fille prodigues est imminent. Il ne s’opère pas sans tiraillements exprimés par Lalaga : « Ils vont me la payer cher cette paralysie, ma perte de beauté, de santé, d’innocence et la ruine de notre réputation (446). » Mais l’irrésistible ascension économique et sociale de Pele et Tavita transforme vite le village et l’île. « Avant la Grande Guerre, ils avaient eu des relations commerciales étroites avec la compagnie allemande, lui vendant tout leur coprah et lui achetant presque toutes leurs marchandises. Aussi, quand la Nouvelle-Zélande prit le contrôle du pays au début de la guerre et que la compagnie fut forcée de vendre ses comptoirs de commerce, elle leur donna le premier choix à Savai’i et ils firent l’acquisition de six magasins pour un prix très bas (489-490). » Tavita est promu au sein de l’aiga :
le titre de Toanamua fut officiellement attribué à Tavita lors du ‘saofa’i le plus grand, le plus généreux et le plus aristocratique que l’on ait jamais connu à Samoa : des milliers de livres, des centaines de cochons et de ie toga (nattes) et assez de nourriture pour faire couler tous les gloutons du monde entier !’ se vanterait Sao pour le restant de sa vie. Cette fois-ci, Peleiupu ne s’était pas opposée à ce que la cérémonie soit extravagante. La qualité des invités avait renforcé leur position à Satoa et dans la région. Tout le pays savait désormais qu’un nouveau chef était apparu à Savai’i, une excellente chose pour les affaires. Même si tout le monde l’appelait maintenant Toanamua, Peleiupu n’aurait jamais eu l’idée de le faire – il resterait toujours Tavita, le jeune homme réticent et parfois maladroit qui avait accepté la décision qu’elle avait prise de partir à Pago Pago pour se marier. Ce courage téméraire avait changé le cours de sa vie ; elle appartenait donc maintenant à ce que Freemeade, cet Américain épouvantablement raciste, avait appelé ‘une famille de demi-sangs écumeurs d’épaves, ni samoane ni britannique, mais perdue entre ses pôles culturels et génétiques’ (493).
22Délaissant sa propre mythologie polynésienne, Mautu se réfère à des critères grecs pour étalonner pareille réussite : « Personne à Satoa n’avait jamais réalisé autant dans un laps de temps si court. Mautu disait à qui voulait l’entendre que Peleiupu avait ‘le don de Midas.’(495) » Que peut bien réserver l’avenir ? Une pandémie ! La grippe espagnole s’abat, en « tue des centaines à Apia – ils tombent comme des mouches (498). » Le remake de La Peste se met en route. I’amafana, deuxième enfant de Pele et Tavita, est sur le point de mourir :
– Notre Père miséricordieux va le sauver ! l’assura Mautu.
– Inutile de me raconter ça ! rétorqua-t-elle avec violence. Dieu se moque de nous. Il va jusqu’à tuer nos enfants !
– Ce n’est pas Dieu qui a apporté cette épidémie – ce sont les Papalagi. Tu as entendu ce qu’a dit Tavita à l’église.
– Mais Dieu ne fait rien pour l’arrêter ! C’est un Dieu inutile et cruel !
Lorsque son père commença à lui répondre, elle ajouta :
– Seuls les vrais gens, les vraies choses et nos propres efforts peuvent nous sauver, Papa (527).
23Le clou est enfoncé dix pages plus loin : « La pente sur laquelle ils cheminaient devenait plus abrupte à mesure qu’ils se rapprochaient des contreforts. En s’éloignant de la rivière, le long silence triste de la terre et de la forêt bourdonnait à leurs oreilles. Elle avait toujours craint ce que sa tante Lefatu avait jadis décrit comme ‘le silence éternel des atua (dieux) et de la terre qui veillent.’ Peleiupu remarqua que Iakopo ne s’éloignait pas d’elle. ‘Le silence d’où nous venons et où nous retournerons’ avait répété Lefatu (545). » Vigny aurait apprécié.
24 Crise métaphysique et pandémie finies, les affaires reprennent avec force. Retour de balancier : « Dieu a été bon, dit Tavita. Naomi a guéri (565). » À Apia, « merveilleux entrepôt plein de marchandises et de Papalagi… Avant même qu’ils aient déchargé, la foule demanda à acheter leurs provisions. Ils vendirent donc directement depuis les charrettes pour deux fois le prix qu’ils avaient prévu à Satoa (565). » « Anthropologie du jardinage », comme l’énonce Wendt. À la mode anglaise, commerce et philosophie sont indissociables. Jim Mackson, l’homme de loi de Pele, a perdu femme et enfants. Pele fait ses condoléances :
– Je n’étais pas très religieux. Je le suis davantage maintenant que j’ai survécu au séisme du chagrin. Mais je crois vraiment qu’il n’y a pas de Dieu. Au moins pas de Dieu en qui je puisse croire…
… – Je ne suis pas mort, Pele, et c’est ce qui compte. J’ai été épargné !
– Ceci sous-entend que quelque chose ou quelqu’un vous a épargné.
– L’épidémie, Pele ! (571).
25Page suivante, quelques lignes plus loin :
– Comme vous le savez, nous avons fait évaluer quatre magasins de villages qui étaient en vente avant l’épidémie ; nous souhaitons les acheter maintenant.
– Bonne idée ! Ils seront moins chers maintenant. Certains des propriétaires sont morts, d’autres sont partis pour une période indéfinie.
Il s’interrompit puis ajouta :
– Je pourrais faire la liste de toutes les autres affaires qui sont peut-être à vendre. La maladie a tué d’autres entreprises. La guerre, bien sûr, et la reprise du territoire par les Néo-Zélandais ont sonné le glas des firmes et des plantations allemandes. Ils ont le choix entre vendre et les mettre sous propriété britannique (572).
26Divertissement pascalien…
27 Les principaux protagonistes partent en tournée dans Savai’i pour faire le point (577). La réponse la plus satisfaisante donnée au questionnement métaphysique vient de Mautu qui explique comment tout lieu superpose plusieurs cartes : géologique, géographique, historique, culturelle, humaine (595), explication trop savante pour Pele. Son père trouve alors l’échappatoire en entendant Iakopo crier famine : « Ah, il n’y a rien de plus réel qu’un ventre affamé ! (596) » Mais Ruta surenchérit : « Ou la mort qui a failli tous nous engloutir, chuchota Ruta à l’oreille de Peleiupu (596). » Nous approchons de l’essentiel. Mautu emmène le petit groupe sur la péninsule de Totoume… Pele est à la traîne… Les voici dans la cocoteraie sacrée où ils apprennent le mythe de la frégate. « Des papillons et des moucherons partaient dans tous les sens à mesure qu’ils s’enfonçaient dans l’ombre et dans le silence long et triste qui les regardait venir (600). » Ils sont maintenant sur la vraie tombe du père de Mautu… « Tu es enfin revenu à la maison, Grand-père, lui dit Ruta pour le consoler. Lalaga le prit par le bras. ‘Nous sommes tous revenus à la maison’, dit-elle (602)… Tout à coup, Peleiupu se rendit compte que même les oiseaux s’étaient tus (603). » Tel père, tel fils, Mautu en a presque fini :
Lalaga, ma bien-aimée, tu as été ma carte des étoiles pendant toute notre vie ensemble. Je veux que tu m’aides à revenir à l’origine de cette carte, ici. Il désigna la tombe de son père. ‘Je veux que tu me promettes que je serai enterré ici au côté de mon père.’ Un silence prolongé et exigeant. ‘Ruta et Pele, vous imaginerez une manière secrète de me ramener ici. N’enterre que mon œuvre et ma vie à Satoa, mais rapporte mes os à Niuafei auprès de mon aiga… Je veux aussi que vous promettiez que, quand vous trouverez Arona, vous allez le persuader de rentrer à la maison… Il s’interrompit, incapable de finir sa phrase. ‘S’il est mort, promettez que vous le rapporterez quand même à la maison, dit Lalaga en complétant son souhait. ‘Et enterrez-le ici, près de moi, ajouta Mautu (603).
28 Le chapitre suivant est aussi fort. Lundi 27 octobre 1919. Mautu fait la sieste. L’odeur de roussette qui accompagnait Barker fait frémir ses narines. Mu par la tendresse de son animal gardien, l’écumeur va prendre son ami sous son aile.
Sans aucune raison, Barker commença à perdre son apparence humaine : à mesure que la pellicule élastique se fissurait et partait, des plumes, des ailes luisantes, un corps d’oiseau, puis la tête et le bec d’une frégate apparurent. Mautu fut saisi d’admiration et d’amour pour cet oiseau qui lissait ses plumes et se pavanait. ‘Tu crois en moi maintenant, Mautu ?’ chuchota Barker. Mautu fit oui de la tête. ‘Tu veux t’envoler avec moi, mon chéri ?’ s’exclama la frégate en lui lançant un clin d’œil. ‘Oui, je t’en prie’, répondit Mautu (608-609).
29Fidèle aux dernières volontés de son mari de duper à nouveau l’église par le truchement d’un enterrement factice, Lalaga fait bonne mesure en écartant aussi la tradition pré-européenne : « Les lamentations rituelles commencèrent. ‘Arrêtez, ça suffit !’ leur lança Lalaga. ‘Mautu a vécu une vie longue et heureuse : pas besoin de se lamenter (610). » Contrairement à la coutume, Lalaga choisit de rester à Satoa plutôt que de s’en retourner à son aiga. Rappel malicieux de l’opinion de Barker selon laquelle les Satoans étaient les enfants de la saison des mangues, Wendt décrit une Lalaga vaincue par la sieste sur son ouvrage commencé depuis une décennie, une ie toga (natte). Au cours d’un autre passage très érotique, il lui fait prendre des mangues dignes de Tantale pour les testicules de son mari… Éros et Thanatos…
30 Ironie suprême, la veuve de Mautu est frappée par la Maladie et en hérite une lucidité totale :
Lalaga leur fit promettre qu’il n’y aurait pas de fa’a-Samoa lors de ses funérailles. ‘Je ne suis pas une ali’i (chef), donc il ne doit pas y avoir de lagi, pas d’échange dispendieux de ie toga, d’argent, ni de biens. Le fa’a-Samoa est utilisé par des gens rapaces et peu scrupuleux pour s’enrichir ; c’est un fardeau mortel pour nous tous.’ Elle fit promettre à Tavita qu’il n’allait pas permettre que les matai rapaces de Satoa le persuadent de changer d’avis. ‘J’espère aussi que mes funérailles lanceront une nouvelle tradition consistant à libérer notre peuple du fardeau que constitue le fa’a-Samoa’ (623).
31Tavita s’exécute une nouvelle fois. Dans un autre registre, Peleiupu avoue : « Je te demande pardon, Maman. J’ai toujours été têtue et désobéissante… – Et très gâtée par ton père – et moi ! Pourquoi ? Parce que tu as toujours été notre enfant la plus douée et donc la plus vulnérable’ (627). » Prémonitoire ? Ultime bravade, Lalaga inspecte sa tombe, la trouve à son goût et le dimanche à l’aube, part l’âme en paix.
32 Le livre III est entièrement voué à la pièce manquante du puzzle familial, Arona. Son titre même, « Les voies de la frégate », donne le ton. « Depuis qu’il s’était installé à Apia deux ans auparavant, en 1920, date à laquelle la Nouvelle-Zélande avait reçu de la Ligue des Nations un mandat pour gouverner le Samoa occidental, il [Tavita] n’était pas parvenu à se libérer des cauchemars récurrents concernant l’épidémie ; des cauchemars qui commencèrent le premier soir qu’ils couchèrent à Apia (633)… Plus ils réussissaient, lui et Peleiupu, plus sa vie devenait complexe et génératrice d’anxiété (634). » Chiasme vivant :
Ce n’était pas juste qu’il ressemble à un Papalagi et que tout le monde s’attende à ce qu’il soit un Papalagi en toute occasion, alors qu’elle avait l’air samoane et tous s’attendaient à ce qu’elle se comporte comme une Samoane. Pourtant elle était superbe en tant que Papalagi (634)… Maintenant leurs enfants se préparaient à partir en pension dans des écoles privées en Nouvelle-Zélande et cela l’effrayait car il n’était jamais allé à l’étranger. Il craignait pour ses enfants mais, une fois encore, Peleiupu l’avait persuadé qu’il leur fallait une éducation meilleure que celle que l’on pouvait obtenir à Samoa. Ils en avaient les moyens. Elle voulait aussi profiter du voyage pour chercher Arona (635).
33 À bord du Matai, Père Tomasi nous apprend que Pele et Tavita sont le premier couple à emmener leurs enfants outre-mer. Il nous confie aussi la cynique tactique de l’église : « Nous, les catholiques, nous avons appris très tôt lors de notre colonisation du monde que, pour gagner les âmes païennes à notre Dieu chrétien, nous devions étudier leurs religions et nous installer là où elles avaient leurs centres. Alors, soit nous les détruisions physiquement, soit nous convertissions leurs prêtres à notre Dieu (640). » Sur cette lame à double tranchant, nous faisons, au bar et à table, les inévitables rencontres empreintes de racisme. Position sociale et bons mots y rivalisent. Le penchant de Tavita pour le whisky et sa voisine Bileen l’empêche de savourer le pertinent commentaire de sa moitié : « C’est bizarre comme la fiction façonne la manière dont nous voyons les choses, fit remarquer Peleiupu (655). » Comme dans Le Rouge et le Noir, l’omniprésente ironie nous prévient que l’irrésistible ascension sociale des deux époux est trop belle pour durer.
34 Même le paysage néo-zélandais, transformé en dessin d’enfant par deux siècles de déforestation au bénéfice de l’agriculture extensive : verte inondation d’herbe et reliquats d’arbres pour toute haie, distille son mauvais présage. « Engoncés dans leurs vêtements neufs inconfortables, ils contemplaient les vagues de lumière qui repoussaient doucement l’obscurité, s’attendant à voir des forêts recouvrir les promontoires et les collines, et de longs nuages blancs s’étendre sur toute l’île. Mais il n’y avait ni forêt ni nuage (657). » Nous sommes loin du mythe de création Maori dans lequel Tane, dieu éponyme de l’homme à venir, déchire l’obscurité primordiale en rompant l’étreinte du ciel père et de la terre mère au pays du long nuage blanc, Aotearoa. Le couple descend à l’hôtel le plus chic d’Auckland, réservé par leurs hommes de loi de la firme Awrie et Service. Awry ? Comment ne pas penser aux noirs pressentiments d’Hamlet ? Les meilleurs établissements scolaires pour les enfants, les meilleurs détectives privés pour les parents. « À la différence de leurs avocats et des professeurs des enfants, monsieur Bartholomew Brant ne cherchait pas à masquer son accent néo-zélandais (667). » Pele apprécie, mais le privé, conformément à l’étymologie allemande de son nom, a humé que l’affaire sentait le roussi : « "Peut-être que votre frère insaisissable ne souhaite pas qu’on le retrouve" (670)… Le nom Awrie et Service ouvrait toutes les portes et garantissait un traitement de première classe (676). » Dès lors, pourquoi ne pas en profiter ? Dans un suspense dickensien digne des Grandes Espérances, Arona finit par être débusqué. Le dénouement s’enclenche grâce à sa belle-sœur Miriama qui murmure à l’oreille de Pele : « N’en parlez à personne, pas même à votre mari ! (684) » Comme toujours, Pele s’adapte à ce nouveau monde, si louche soit-il. Comment Miriama et Arona se contactent-ils ? « Nous laissons un message dans les pages du Morning Post disant Bon anniversaire, Capitaine Ahab ! Le Moby Dick arrivera à quai à… (684) » Le lecteur du Baiser de la Mangue décode tout de suite : la fin de Queequeg approche…
35 Vie d’Arona : « M’ayant entendu lire des extraits de L’Île des Trésors de Stenson et après avoir testé mes connaissances en mathématiques et en écriture, le capitaine McNaught décida que j’étais le premier indigène qu’il avait rencontré capable de devenir officier (694) »… « Poussé par Mullheath (le second), j’ai découvert que mon désir m’incitait à vivre par le corps et à travers mes terminaisons nerveuses... (695) » « ‘Il n’y a rien d’autre que le corps et la chair’, disait Mullheath. ‘Il n’existe aucune bête du nom d’âme ou d’esprit’ (695) »… « Tu es comme moi, Aaron’, disait-il. ‘Tu as le don de profiter des faiblesses et des vices des autres’… La structure hiérarchique du Forsic (quelle plaidoirie, forensic oratory !) reflétait l’organisation du pouvoir dans le monde extérieur dominé par les Papalagi. Si je travaillais dur et que je satisfaisais mes maîtres blancs, je deviendrais, un jour, officier, mais pas plus – ce serait ma limite. Je ne pourrais jamais parvenir au grade de capitaine. Cela m’était confirmé par mes voyages dans d’autres pays colonisés. C’est l’explication rationnelle que j’ai trouvée pour rendre compte du fait que j’étais désormais ‘un criminel scélérat et un pécheur’ (696). » Afin de nuancer pareille schématisation, Arona s’empresse d’ajouter : « Comme toi, Pele, il (Mullheath) adorait lire des romans, surtout des polars et des livres sur l’exploration, la conquête de l’inconnu. Son livre préféré était Moby Dick et il se comparait au capitaine Achab (698). »
36 Accroché au bastingage, le lecteur fait le rapprochement entre l’acolyte papalagi d’Arona, Tom, qui « refuse toujours de parler de sa vie. Il m’a dit une fois : "Je suis né dans le présent, je vis dans le présent et je mourrai dans le présent"(705) » et Mautu se confiant à Pele : « Le concept de temps avant le présent et de temps en avance sur le présent, d’un temps qui progressait de manière unidimensionnelle, était papalagi, dit-il. Pour eux, le temps était partout, il sous-tendait l’Unité-qui-est-Tout ; si l’on changeait un élément, on modifiait le tout ; tout, y compris nos morts, se trouvait dans le présent toujours mobile, existait maintenant (340). » Arona boucle le syllogisme : « lorsqu’on vit à ce niveau ultime de risque, l’existence a un goût, un attrait incomparable. Sur la mer, on risque également sa vie face aux éléments. Seule la mer, immense, profonde, furieuse, avec sa capacité d’oubli, d’indifférence, peut être à la hauteur du risque qui consiste à mettre tout en danger en permanence (705-706). » Wendt au carrefour de deux thalassocraties.
Pourquoi en suis-je arrivé à de telles extrémités ? Parce que je voulais éliminer toute menace portant sur la femme et l’enfant qui constituaient maintenant ma famille, le centre de ma vie (710),
37explique Arona.
J’ai fait ce rêve qui était si réel que je pense encore que, moi ou mon âme, je suis effectivement retourné à Satoa sous la forme d’une frégate. Je me suis retrouvé avec Lalaga et Mautu… J’étais si heureux d’être rentré à la maison que j’en ai pleuré… Je leur ai avoué mes crimes et mes péchés terribles et Lalaga a dit : ‘Mon fils, je ne peux te pardonner. Seul Dieu le peut et, comme il a des capacités magnifiques de pardon, il est possible qu’il le fasse… Mais tu dois promettre à ta mère et à moi que tu ne supprimeras jamais plus la vie d’un autre être humain, a ajouté Mautu en tenant notre Bible… Sans hésitation, j’ai posé ma main droite dessus… Et je l’ai fait. Je l’ai fait, et, grâce à cela, j’ai senti disparaître toutes mes peurs et ma culpabilité. J’étais enfin libre (710-711).
38 En pleine maîtrise littéraire des tenants et des aboutissants, Wendt fait resurgir le diable de sa boîte, Mullheath, alias Blundell… La boucle est bouclée. Arona est prisonnier de son serment. Malgré l’intervention de Tom,
"C’était qu’un rêve, mec. On est dans la réalité ici – Blundell peut nous faire la peau. De plus on est pas obligés d’y aller directement. Il suffit de mettre sur la place publique son passé criminel en prévenant les flics et la presse et les autorités vont lui faire son affaire à ce salaud." J’étais convaincu qu’il s’agissait d’une grave erreur mais je n’avais pas d’autre choix (713-714).
39La réalité shakespearienne du rêve s’impose à la vie. Pele s’identifie à la frégate dont elle continuera la vendetta (719-720). L’oiseau vient d’ailleurs à elle : « Je suis ton atua. Je sais ce qui s’est passé, ce qui se passe et ce qui va se passer. Voilà ! (723). » Le drame peut donc se poursuivre mécaniquement comme dans Hamlet. Arona et son épouse périssent dans l’accident de leur voiture sabotée, Pele attire Blundell dans un piège affairiste pour l’éliminer de la même manière. Tavita est laissé pour compte. Pele a honoré la relation samoane sacrée qui lie frère et sœur, feagaiga. « Tavita n’avait pas besoin de savoir. Sans s’en rendre compte, Blundell avait scellé son propre destin pendant la réunion (761). » Faire l’amour ne peut plus conclure l’ultime recherche de la vérité qui oppose les deux époux. En état d’ébriété et exaspéré, Tavita frappe Pele…
40 La dernière perspective qu’offre l’épilogue est lumineuse. La mangue supplante la pomme de la tentation. Il y a toujours un serpent au paradis ! Arona est le serpent qui se hisse au sommet du manguier pour en rapporter le fruit défendu, scellant ainsi le destin conjugal de Pele et Tavita. Le balancement ternaire latin est à l’œuvre (803): 1 « Ce n’est pas permis, lança Tavita, le premier. » = « Descends ! s’exclama Peleiupu, ça va pas la tête ? » 2 « Mikaele essayait de pousser Tavita à partir mais ce dernier refusait de bouger. » = « Allons-y ! dit Ruta à Peleiupu, qui, fascinée, regardait son frère grimper avec assurance de branche en branche. » 3 « Et il n’aime même pas les mangues, dit Tavita. Peleiupu se tourna vers lui et le fixa bien droit, en plein milieu de son champ de vision comme elle se trouvait prise au milieu du sien (804). » À Hawai’i, c’est le grand albatros blanc de Kane qui chasse le couple originel du jardin. Tâche dévolue à la frégate dans Le Baiser de la Mangue.
41 Le terme de frégate illustre bien la manière dont cet oiseau prend en chasse les autres oiseaux, les rattrape à la course et les force à régurgiter une partie de leurs prises qu’il happe en plein air avant qu’elles ne tombent en mer. Ce spectaculaire piratage ou klepto-parasitisme, aux yeux des marins comme des premiers ornithologues, évoquaient les frégates corsaires qui fondaient sur leurs proies il y a quelques siècles. L’expulsion du jardin d’Eden est l’acte fondateur du lien social entre individus. Individus qui peinent à acquérir l’autonomie nécessaire pour se rencontrer à mi-chemin. Tâche rendue plus difficile lorsque deux cultures sont en jeu. L’ironie dramatique du roman exige qu’Arona soit fidèle à son serment chrétien et Pele fidèle à la coutume samoane de l’assistance sacrée entre frère et sœur. Dans ce rôle de frégate sanguinaire, Pele réincarne aussi la frégate du dieu ‘Oro qui imposait son hégémonie sur les îles de la Société à l’époque du contact. Ses temples, les marae Vai’otaha, exigeaient des sacrifices humains.
42 Ultime chiasme, justifiant le nom qu’elle porte, celui de la déesse polynésienne du volcanisme, Pele est aussi impétueuse que la coulée de lave que rien n’arrête. Son mari en est conscient :
– Doucement, chérie. Pense seulement aux méthodes auxquelles nous avons eu recours pour monter notre affaire et protéger nos intérêts, notre famille.
– Nous sommes restés dans les limites légales.
– Tu en es sûre ?
– Nous n’avons tué personne.
– Nous en avons détruit certains (719).
43Le nom du bourreau ? Quitnott. Quit not… Moby Dick refait surface. Soyons reconnaissant envers Wendt. Continuant Dickens, Melville, Camus, il sait voir l’ombre et la lumière. Il est notre nouveau Sisyphe.
44Pour citer cet article
45Serge Dunis, « « L’ombre d’un grand oiseau me passe sur la face ». Le Baiser de la mangue d’Albert Wendt : lecture anthropologique », Loxias, Loxias 25, mis en ligne le 15 juin 2009, URL: http://revel.unice.fr/loxias/document.html?id=2876
Notes de bas de page numériques
Pour citer cet article
Serge Dunis, « « L’ombre d’un grand oiseau me passe sur la face ». Le Baiser de la mangue d’Albert Wendt : lecture anthropologique », paru dans Loxias, Loxias 25, mis en ligne le 15 juin 2009, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=2876.
Auteurs
Université de la Polynésie française. Professeur agrégé d’anglais, ancien élève de l’ENI du Puy-en-Velay et de l’ENS Saint-Cloud, Serge Dunis a enseigné aux Universités de Wellington, Paris, Provence, Hawai’i, Antilles et Guyane, Polynésie française. Il dirige l’Équipe d’Accueil 4241 Sociétés Traditionnelles du Pacifique : fondements culturels, histoire et représentations. Fellow de l’ASAO, Association for Social Anthropology in Oceania. Sa maîtrise et son doctorat d’État de civilisation ont été consacrés aux Maori de Nouvelle-Zélande. Il est l’auteur de Sans Tabou Ni Totem (reconstitution de la société pré-européenne maorie), Fayard, 1984 ; Homme de la petite eau, Femme de la grande eau (reconstitution de la société pré-européenne hawaiienne), PUC-L’Harmattan, 1990. Serge Dunis a initié et dirigé six ouvrages collectifs : Le Pacifique ou l’Odyssée de l’espèce, D’Île en Île Pacifique, Klincksieck, 1996 et 1999 ; Le Grand Océan, Georg, 2004 ; Mythes et Réalités en Polynésie I et II, Haere Po, 2000 et 2003 ; Sexual Snakes, Winged Maidens and Sky Gods en hommage au centenaire de Claude Lévi-Strauss en 2008, téléchargeable gratuitement sur www.haerepo.com. Serge Dunis a publié une trentaine d’articles nationaux et internationaux.