Loxias | Loxias 23 Programme d'agrégation 2009 et programmes de littérature des concours |  Programmes de littérature des concours 2009 

Odile Gannier  : 

Les carnets de terrain de Jean de Léry : littérature et ethnographie réflexive dans l’Histoire d’un voyage en terre de Brésil

Résumé

La réaction de Lévi-Strauss est désormais célèbre : après avoir affirmé qu’il s’agit du « premier modèle d’une monographie d’ethnologue » et, dans Tristes Tropiques, que le texte de Léry est le « bréviaire de l’ethnologue », il ajoute : « Le livre est un enchantement. C’est de la littérature. Qu’on laisse l’ethnologie aux ethnologues et que le public lise l’Histoire d’un voyage faict en terre du Bresil comme une grande œuvre littéraire. Et aussi comme un extraordinaire roman d’aventures. » Littérature ou ethnographie ? Littérature et ethnographie ? De quels attraits littéraires le Voyage fait-il preuve ? Car s’il a fait date dans l’histoire de l’étude des peuples étrangers, c’est aussi que son mode d’approche précède de très loin l’arsenal de protocoles et d’obligations que les anthropologues ont mis beaucoup plus longtemps pour établir, afin de codifier leur pratique comme une science ; il adopte spontanément ce que l’on désigne aujourd’hui du terme d’ethnologie réflexive, de celle qui ne fait pas abstraction des conditionnements de son auteur. Du reste, il n’est pas non plus le seul de son époque à avoir procédé de la sorte, comme Hans Staden.

Index

Mots-clés : autobiographie , ethnographie, ethnologie

Chronologique : XVIe siècle

Plan

Texte intégral

LHistoire d’un voyage faict en la terre du Bresil est le fruit d’un « petit labeur1 » de Jean de Léry, parti en novembre 1556 apporter sa contribution à l’entreprise de Villegagnon : celui-ci avait imaginé de fonder une colonie œcuménique en baie de Guanabara (Rio de Janeiro). Cette « France antarctique » ne fut pas un succès : Villegagnon se montra en fait peu apte à diriger une colonie pacifique et prospère ; la zizanie s’installa. Deux hommes firent la description de l’endroit : André Thevet, qui publia en 1557 Les Singularités de la France antarctique, après un séjour de deux mois et demi durant lesquels il fut malade et ne put réellement découvrir le pays, ce qui ne l’empêcha nullement d’écrire – ou de faire écrire par un scribe, Mathurin Héret –, le livre qui acheva de faire de lui le « Cosmographe du roi ». Et Jean de Léry, cordonnier de son état, qui s’embarqua à vingt-deux ans pour tenter l’aventure. Celui-ci arriva fin février 1557 au Brésil, d’où il repartit en janvier 1558. Les protestants du groupe s’étant querellés avec Villegagnon, puis ayant été chassés de l’île Coligny, Léry vécut pendant plus de deux mois parmi les Indiens, qu’il aura côtoyés au total pendant près d’un an. Son récit est donc de première main.

Le texte publié est la narration de son voyage, dont les péripéties en mer (quatre chapitres à l’aller, deux au retour) encadrent le premier contact avec les « sauvages » et le séjour à terre. Le différend avec Villegagnon – mort au moment où Léry publie son Histoire – est exposé, dans l’ordre, dès son arrivée. En effet, le cœur du livre ne consiste pas tant à définir ses fonctions sur place ou ses impressions, qu’à présenter une description des Indiens eux-mêmes, de leurs façons de vivre, de leur religion, de leur société, tels que peut les voir un étranger sans préjugés, curieux, un peu instruit, et doué d’un certain humour.

Le Voyage a connu une histoire éditoriale compliquée, rapportée dans la préface, mais il paraît finalement en 1578, soit vingt ans après l’expédition elle-même. Après plusieurs tentatives avortées, le récit s’impose comme une tâche urgente pour rétablir la justice, au moment où tombe entre ses mains la Cosmographie alors récemment publiée par Thevet.

il n’a pas seulement renouvelé et augmenté ses premiers erreurs, mais qui plus est (estimant possible que nous fussions tous morts, ou si quelqu’un restait en vie, qu’il ne luy oseroit contredire), […] avec des digressions fausses, piquantes et injurieuses, nous a imposé des crimes ; à fin, di-je, de repousser ces impostures de Thevet, j’ay esté comme contraint de mettre en lumiere tout le discours de notre voyage2.

Mais cet objet qui le fait enrager dans sa préface s’efface ensuite devant la description du Brésil lui-même, qu’il mène avec le plus de sérieux et d’exactitude possible, ordonnant son propos selon un plan rigoureux d’exposition. À ce titre, l’essentiel du Voyage ressemble plus à un traité d’ethnographie qu’à une relation de voyage.

À cet égard la réaction de Lévi-Strauss est désormais célèbre : après avoir affirmé qu’il s’agit du « premier modèle d’une monographie d’ethnologue », et affirmé dans Tristes Tropiques que le texte de Léry est le « bréviaire de l’ethnologue », « chef d’œuvre de la littérature ethnographique3 », il ajoute :

Le livre est un enchantement. C’est de la littérature. Qu’on laisse l’ethnologie aux ethnologues et que le public lise l’Histoire d’un voyage faict en terre du Bresil comme une grande œuvre littéraire. Et aussi comme un extraordinaire roman d’aventures4.

Littérature ou ethnographie ? Littérature et ethnographie ? Quels sont les attraits littéraires dont le Voyage fait preuve ? Car s’il a fait date dans l’histoire de l’étude des peuples étrangers, c’est aussi que son mode d’approche précède de très loin l’arsenal de protocoles et d’obligations que les anthropologues ont mis beaucoup plus longtemps à établir, afin de codifier leur pratique comme une science. Du reste, il n’est pas non plus le seul de son époque à avoir procédé de la sorte : Hans Staden, dans les mêmes années, s’est trouvé, prisonnier des Tupinamba, en situation de les décrire. Il lui fallut cependant une remarquable dose de sang-froid et d’objectivité pour observer et rapporter sans passion et avec méthode les mœurs de ceux, « nus, féroces et anthropophages » qui le retenaient prisonniers et étaient prêts à le dévorer. Léry procède de la même manière ; sauf que le danger qui le menaçait, en l’occurrence, venait de la persécution des autres chrétiens dirigés par Villegagnon, tandis que les Indiens lui offraient l’hospitalité avant qu’il ne s’en retournât « par-deçà ». Sans être unique dans son entreprise, le livre de Léry est malgré tout remarquable par sa vivacité, sa précision et l’agrément de lecture qu’il procure. Entre littérature et ethnographie, s’ébauche le genre encore indécis des carnets de terrain, sujets à bien des influences, laissant augurer de ce que d’aucuns désignent sous le terme d’ethnographie réflexive.

La publication d’une relation de voyage naît d’une double cause : une matière suffisante et la certitude qu’elle est assez neuve pour être bien reçue ; la légitimité du récit vient de l’expérience réelle du voyage, gage de crédibilité, qu’en a faite son auteur. Elle suppose aussi que l’écriture ne soit pas « transparente » et que l’écrivain joue son propre rôle. Le souci du lecteur constitue en outre un critère de littérarité du texte : ce n’est plus un simple support de mémoire, mais une œuvre destinée à convaincre d’une vérité ailleurs malmenée, autant qu’à émouvoir au sujet de l’injustice qui a été faite à l’écrivain et à ses compagnons, mais aussi, comme relation d’un voyage dans un pays étrange, à instruire, ou tout simplement à plaire et à divertir.

Léry raconte son expérience de séjour au Brésil – qui occupe le cœur de l’Histoire –, mais le texte dans son ensemble est construit sur le modèle d’une relation de voyage : les premiers chapitres racontent la traversée, jusqu’aux premiers contacts avec l’Amérique ; il se mêle à la narration une intéressante étude géographique. Puis il évoque en un chapitre l’épisode de son passage au fort de Coligny, dans lequel il montre la piètre valeur humaine de Villegagnon. Par contraste avec ses vilenies, l’accueil des Tupinamba éveille une attention bienveillante à leurs mœurs. Le texte se fait alors descriptif, pour rendre compte de la nature du Brésil, de l’apparence des Indiens, des ressources locales, puis de leurs lois et coutumes, concernant la guerre, le traitement des prisonniers, le mariage, les règles sociales, le traitement des maladies et de la mort, la religion. Enfin il présente un vocabulaire permettant de se rendre compte de la langue des Tupinamba et d’autoriser un voyageur à maîtriser quelques mots d’échange, comme les missionnaires feront en écrivant des catéchismes. Pour achever son histoire, il raconte le voyage de retour. De sorte que la part dédiée à la traversée est remarquablement longue et précise, cet aspect du voyage étant le plus souvent expédié dans les autres relations de la même époque. Par exemple, Ulrich Schmidel, dans son Voyage curieux au río de la Plata (1534-1554), raconte en peu de pages ses escales, et expédie la traversée du Cap-vert au Brésil :

Quand tout [l’avitaillement] fut terminé, la flotte, composée de quatorze voiles, se remit en route et, après environ deux mois de navigation, nous arrivâmes dans une île habitée seulement par des oiseaux. […] Nous allâmes de cette île dans une autre nommée Riogenna [Rio de Janeiro] qui appartient au roi de Portugal et est située à deux cents lieues de celle dont nous venons de parler5.

Thevet est plus précis dans la description des escales, mais ne s’intéresse pas réellement à la traversée. L’intérêt se situe pour lui dans l’étrangeté, dans l’exotisme de la France « antarctique » ou ce qui en est l’antichambre, sous la « ligne équinoxiale ». Au contraire, Léry se complaît à raconter la traversée, les baleines, les poissons volants, le pilotage, les erreurs de barre, les avaries, la disette… traits qui seront repris dans le roman maritime en général.

Sur place, les liaisons entre les chapitres sont celles d’un auteur qui accompagne dans le récit son lecteur ou ses personnages, offrant ici des exemples de métalepses d’auteur6 dignes de Tristram Shandy7. À preuve, ayant critiqué l’attitude de Villegagnon, il abandonne le sujet en promettant de le reprendre à son départ, par ces mots :

à fin de traiter d’autres points, je le lairray pour maintenant battre et tourmenter ses gens dans son fort, lequel avec le bras de mer où il est situé, je vay en premier lieu descrire8.

Après avoir dépeint la forme des habitations, il conclut en guise de transition :

Voilà donc les maisons de nos sauvages faites et meublées, parquoy il est maintenant temps de les aller voir au logis9.

Ou encore, après avoir traité du traitement des morts :

Parquoy les laissant pleurer tout leur saoul, puis que j’ay poursuyvi les sauvages jusques à la fosse, je mettray ici fin à discourir de leur maniere de faire : toutesfois les lecteurs en pourront encore voir quelque chose au colloque suyvant[…]10.

De fait, la narration est pleinement assumée par l’emploi de la première personne du singulier – dont Thevet au contraire fait peu usage, lui préférant presque ostensiblement un « nous », grâce auquel il se drape dans sa majesté de Cosmographe du roi : celui qui parle, ès qualité, au nom de sa science et qui a épousé les intérêts de son prince ; ce pluriel est celui du groupe dont il est le porte-parole. On peut y lire enfin le déguisement d’une écriture à plusieurs mains. Ce « nous » n’est que la forme grammaticale de sa fonction de porte-plume et non la voix d’un narrateur. Au contraire, si le « nous » n’est pas absent de l’Histoire d’un voyage, renvoyant essentiellement à Léry et à ses deux compagnons d’infortune, son « je » exprime une expérience singulière, qui parfois passe à la généralité lorsqu’il élargit sa perspective à celle de l’humaine condition. La première personne est la marque de la bonne foi et de sa modestie, eu égard aux projets divins. Le fait est que l’originalité de Léry est précisément de ne parler qu’en son nom propre, gage d’une parole directe, sans fard, sincère.

D’autant que quelques Cosmographes et autres historiens de nostre temps ont jà par cy devant escrit de la longueur, largeur, beauté et fertilité de ceste quatriesme partie du monde appelée Amerique ou terre du Bresil : […] sans m’arrester à traiter cest argument au long ny en general, mon intention et mon sujet sera en ceste histoire, de seulement declarer ce que j’ay pratiqué, veu, ouy et observé tant sur mer, allant et retournant, que parmi les sauvages Ameriquains, entre lesquels j’ay frequenté et demeuré environ un an11.

L’ambition paraît modeste, mais fermement nourrie par le désir de vérité. Il trouvera l’assentiment de ses lecteurs, au rang desquels Montaigne :

Aussi je me contente de cette information, sans m’enquérir de ce que les cosmographes en disent.

Il nous faudrait des topographes qui nous fissent narration particulière des endroits où ils ont été. Mais, pour avoir cet avantage sur nous d’avoir vu la Palestine, ils veulent jouir de ce privilège de nous conter nouvelles de tout le demeurant du monde. Je voudrais que chacun écrivît ce qu’il sait, et autant qu’il en sait, non en cela seulement, mais en tous autres sujets : car tel peut avoir quelque particulière science ou expérience de la nature d’une rivière ou d’une fontaine, qui ne sait au reste que ce que chacun sait. Il entreprendra toutefois, pour faire courir ce petit lopin, d’écrire toute la physique. De ce vice sourdent plusieurs grandes incommodités12.

Un « cosmographe » ne doit pas extrapoler : cette règle de déontologie du savant est celle de Léry. Cette simplicité de la forme, voire l’aveu d’inaptitude, se veulent les garants de la véracité du témoignage.

Cet effacement apparemment paradoxal de l’auteur (si l’on peut le définir par son style propre) semblerait le mettre au rang d’un simple écrivant.

Les écrivants, eux, sont des hommes « transitifs » ; ils posent une fin (témoigner, expliquer, enseigner) dont la parole n’est qu’un moyen ; pour eux, la parole supporte un faire, elle ne le constitue pas. Voilà le langage ramené à la nature d’un instrument de communication, d’un véhicule de la « pensée ». Même si l’écrivant apporte quelque attention à l’écriture, ce soin n’est jamais ontologique : il n’est pas souci. L’écrivant n’exerce aucune action technique essentielle sur la parole ; il dispose d’une écriture commune à tous les écrivants, sorte de koïnè, dans laquelle on peut certes distinguer des dialectes (par exemple marxiste, chrétien, existantialiste) mais très rarement des styles13.

Cependant, son expression est reconnaissable par le ton direct et familier qu’un Yves D’Evreux, parti quelque soixante ans plus tard au nord du Brésil, partage avec lui. Du reste, l’un des poncifs du récit de voyage est la dénégation de tout effort de style, renoncement au prix duquel se paie la vérité la plus irréprochable. Léry prétend ainsi savoir déplaire à

nos François, lesquels ayans les oreilles tant délicates et aymans tant les belles fleurs de Rhetorique, n’admettent ni ne reçoivent nuls escrits, sinon avec mots nouveaux et bien pindarizez14.

Fausse modestie ? Soumission au rituel du voyageur fidèle ? Peut-être pas seulement ; car Léry est un homme de terrain, et comme tel, il se refuse à emprunter ce style dont il pense plus familiers les gens de cour qui font bon accueil à Thevet. En tout cas, ce souci du style indique très clairement l’intention de Léry de situer son texte dans une catégorie littéraire.

D’un autre côté, Léry reconnaît lui-même qu’il n’avait « pas deliberé de passer outre, ny d’en faire d’autre mention15 » que des relations orales à ses amis. Cependant,

quelques-uns de ceux avec lesquels j’en conferois souvent, m’allegans qu’afin que tant de choses qu’ils jugeoyent dignes de mémoire ne demeurassent ensevelies, je les devois rédiger plus au long et par ordre16.

Léry a l’art de mener son récit de façon si circonstanciée que le lecteur se croirait devenu compagnon de ses aventures. Il est associé à l’élaboration du texte, qui en cela prend le statut d’un texte littéraire – à la différence d’un écrit scientifique, ou d’une monographie ethnographique, qui relèvent de l’exposé magistral –, car il impose la nécessité d’une collaboration entre l’auteur et le lecteur. Le « nous » n’est pas chez Léry l’expression d’une autorité unilatérale et indiscutable, mais un mode communicatif. Par exemple :

Puisque nous avons entendu, au prececent chapitre, comme nos sauvages sont parez et equippez par le dehors, il me semble, en deduisant les choses par ordre, qu’il ne conviendra pas mal de traitter maintenant tout d’un fil des vivres qui leur sont communs et ordinaires17

L’exposé se fait donc en quelque sorte sous le contrôle du lecteur, Léry devenant ici, à ses côtés, lecteur et commentateur de la logique de son propos. De même le « vous » peut n’être qu’une expression du dialogue implicite entre l’auteur et le lecteur : « que si vous leur demandez…18 » Mais ailleurs, le lecteur sédentaire est pris assez brusquement à parti, et le départ entre l’auteur et le lecteur se trouve clairement établi :

Que dites-vous la dessus, messieurs les delicats […] ? Voulez-vous vous aller embarquer pour vivre de telle façon ? Comme je ne le vous conseille pas, et qu’il vous en prendra encores moins d’envie quand vous aurez entendu ce qui nous advint à nostre retour : aussi vous voudrois-je bien prier, que quand on parle de la mer, et sur tout de tels voyages, vous n’en sachans autre chose que par les livres, ou, qui pis est, en ayant seulement ouy parler à ceux qui n’en revindrent jamais, vous ne voulussiez pas, ayant le dessus, vendre vos coquilles (comme on dit) à ceux qui ont esté à S. Michel19 : c'est à dire, qu’en ce poinct vous defferissiez un peu, et laississiez discourir ceux qui en endurans tels travaux ont esté à la pratique des choses, lesquelles, pour en parler à la vérité, ne se peuvent bien glisser au cerveau ny en l’entendement des hommes : sinon (ainsi que dit le proverbe) qu’ils ayent mangé de la vache enragée20.

Léry ne manque pas l’occasion de souligner la vertu irremplaçable de l’expérience du voyageur. Mais l’imagination peut suppléer cette ignorance :

si maintenant […] suyvant cette description, vous vous voulez représenter un Sauvage, imaginez en vostre entendement un homme nud, bien formé et proportionné […]21

De la sorte, les rapports avec les lecteurs sont ambivalents : tantôt le lecteur est associé à l’élaboration du sens, tantôt il est écarté de toute assimilation. Cependant, le destinataire se trouve aussi évoqué à la troisième personne : « le lecteur » est bel et bien présent dans le texte, et ses réactions envisagées. Les nombreuses comparaisons avec « par deçà » visent à rapprocher l’objet décrit de l’entendement du lecteur européen, mais parfois seule une part du lectorat est susceptible de mieux comprendre de quoi parle le voyageur (par exemple : « ceux qui ont frequenté la mer Oceane avec les Normans entendent bien ce terme22 »). Léry tient parfois ses distances avec la morale commune, notamment lorsqu’il pense que, peut-être, certains seront choqués, dégoûtés ou désapprobateurs : que ce soit par le mode de fabrication du breuvage du caouin, mâché et recraché par les femmes ; par leur nudité invétérée ; par les pratiques cannibales, par exemple. Léry sait trouver, dans le quotidien de ses lecteurs, un point de comparaison : le raisin foulé aux pieds, les tenues aguichantes de certaines Européennes, pires qu’une chaste nudité, les usuriers suçant la moelle de leurs débiteurs… Quoi qu’il en soit, que les lecteurs « reçoivent [s]a bonne affection en payement23 ».

Cet objectif descriptif s’accompagne du désir de plaire, du « placere » classique. Ses bonheurs d’expression sont incontestables, la forme est plaisante, spirituelle sans affectation. Quand il recourt à l’humour, il ne se moque jamais de façon acerbe des « sauvages » : les Ouetacas par exemple sont des « diablotins24 » – vocable qui, même dans un contexte de susceptibilité religieuse, ne semble pas à prendre en mauvaise part –, et les autres peuples de cette contrée « n’ont garde de s’endormir aupres de tels brusques et fretillans resveille-matin de voisins qu’ils ont25. » Parlant d’eux avec cette image d’espièglerie, il minimise ainsi leur « sauvagerie ». Lorsqu’il parle des piperis (radeaux), il en décrit la forme, le mode de propulsion, la manière adoptée par les Indiens pour s’y tenir, le nombre de personnes qu’ils peuvent porter, leur usage…. Touche finale, l’allure générale qui permet de se représenter la scène. L’addition de la 2e édition pousse le texte dans ce sens :

quand nos sauvages en beau temps sont ainsi nuds, et un à un separez en pêchant sur la mer, vous diriez, les voyans de loing, que ce sont Singes, ou plutost (tant paroissent-ils petits) Grenouilles au soleil sur des busches de bois au milieu des eaux26.

Là encore, l’ajout relève de l’hypotypose, mais vise plus à faire sourire et à frapper l’imagination qu’à ridiculiser les Indiens, puisqu’il ajoute ensuite que nous devrions par-deçà les imiter pour traverser les eaux dormantes. De même, une boutade d’esprit misogyne est de celles qui doivent établir une connivence entre un plaisantin et son auditoire :

Surquoy je laisse à considerer à chacun, quand mesme il ne seroit point defendu de Dieu de prendre plus d’une femme, s’il seroit possible que celles de par deçà s’accordassent de ceste façon. Plustost certes vaudroit-il mieux envoyer un homme aux galeres que de le mettre en un tel grabuge de noises et de riottes qu’il seroit indubitablement, tesmoin ce qui advint à Jacob pour avoir prins Lea et Rachel, combien qu’elles fussent sœurs27.

La variété des sujets abordés enfin permet de ne pas s’ennuyer à la lecture : un Ramon Pané par exemple, dans la Relation de Fra Ramon concernant les vieilles coutumes des Indiens, diligemment recueillies en leur langue, sur ordre de l’amiral Christophe Colomb, n’évoque pratiquement que leurs croyances, la vie quotidienne ne transparaissant que derrière les pratiques religieuses – sujet certes intéressant mais qui laisse bien des questions en suspens. Dans l’Histoire de Léry, le lecteur trouve sa curiosité satisfaite, l’exotisme mis à sa portée, l’inconnu apprivoisé.

Léry n’oublie pas d’ancrer son texte dans un contexte connu de tous – ce qui accessoirement nous renseigne sur les lectures ou les connaissances d’un homme un peu instruit : outre la Bible bien sûr, Homère est cité (Léry se comparant lui-même à « Ulisses »28), de même que Diogène ou Caton, Pausanias, l’Histoire naturelle de Pline ou les Apophtegmes de Plutarque29. Pour la littérature de son temps, il évoque Machiavel et Rabelais, particulièrement le Pantagruel, mais en manière de référence proverbiale :

Tellement que ces choses n’estans non plus vrayes que le conte de Rabelais touchant Panurge, qui eschappa de la broche tout lardé et à demi cuit, il est aisé à juger que ceux qui font telles Cartes sont ignorans30

Mieux encore, il reprend les plaintes de Panurge au Quart Livre, lequel regrette amèrement, dans la tempête, de ne pas être en train de planter des choux plutôt que de naviguer : là encore, le texte est évoqué plutôt que cité et présenté comme proverbial :

Aussi ne doutay-je point que plusieurs de ceux qui liront ceci (et les autres dangers dont j’ai jà fait et feray encore mention, que nous experimentasmes en ce voyage) selon le proverbe ne disent : Ha ! qu’il fait bon planter des choux, et beaucoup meilleur ouyr deviser de la mer et des sauvages que d’y aller voir31.

Pour assurer son propos et rectifier les erreurs des contemporains, il s’inspire souvent de Gomara, qu’il désigne parfois par « l’historien Indois32 », ou de Chauveton : sources qu’il rectifie également à l’occasion.

Partant je croy que celuy qui rapporta premierement que les Indiens qui habitent à vingt deux ou vingt trois degrez par-dela l’Equinoctial, qui sont pour certain nos Toüpinambaoults, vivoyent de pain fait de bois gratté : entendant parler des racines dont est question, faute d’avoir bien observé ce que j’ay dit, s’estoit equivoqué33.

Bien entendu, les références à la Bible, particulièrement aux Psaumes, n’est pas pour surprendre sous la plume d’un homme qui se fit pasteur après son retour. Ces allusions généralement non précisées dessinent le portrait de l’écrivain : ayant une honnête teinture littéraire – on mesure néanmoins la différence avec celle de Montaigne par exemple –, il renvoie à la littérature sous forme proverbiale et montre plus de culture générale que d’érudition ; les ajouts d’ordre littéraire semblent se manifester davantage dans les rééditions. Mais lorsqu’il parle des voyages en Amérique, il démontre clairement qu’il a lu, retenu, évalué, comparé, et son exposé s’enrichit de cet arrière-plan documenté.

Ce livre est donc « de la littérature », car Léry porte son attention à la lettre du texte, il le travaille, comme l’indiquent les ajouts et corrections des éditions successives. Il montre à quel point la forme est importante : il choisit les anecdotes, les raconte sous le tour le plus piquant, n’oubliant jamais que son texte est destiné à être lu. Dans la masse de souvenirs qui lui sont restés, il choisit et agence dans un but expressif :

à cette part de vérité s’ajoutent deux ressorts littéraires que les ethnologues sont condamnés à employer sans toujours vouloir l’admettre : la composition, qui sélectionne dans la continuité du vécu des morceaux d’action réputés plus significatifs que d’autres, et la généralisation, qui investit ces fragments de comportements individuels d’un sens en principe extensible à toute la culture considérée. […] Ces procédés de composition sont déjà ceux des écrivains naturalistes34.

Ce que conclut Philippe Descola de son séjour chez les Achuar (connus comme les Jivaros, en haute-Amazonie) semble exactement transposable à l’expérience de Léry.

De même semble comparable l’expérience de Michel Leiris en Afrique :

Passant d’une activité presque exclusivement littéraire à la pratique de l’ethnographie, j’entendais rompre avec les habitudes intellectuelles qui avaient été les miennes jusqu’alors, et au contact d’hommes d’autre culture que moi et d’autre race, abattre des cloisons entre lesquelles j’étouffais et élargir jusqu’à une mesure vraiment humaine mon horizon35.

Car si l’Histoire d’un voyage en terre de Bresil est « de la littérature », c’est aussi l’un des premiers textes dédiés à la description d’une société étrangère, pour en tirer un aperçu général de son fonctionnement et de ses lois, à destination d’un public qui l’ignore. Ces voyageurs aux métiers variés, Léry, Thevet, Staden, Schmidel, Yves d’Évreux, quoique cordonnier, cosmographe, soldats, missionnaire, ont observé sur place des cultures différentes, et noté scrupuleusement leurs remarques, ce qui fait entrer leurs travaux dans les « sciences humaines », même si le terme – comme celui d’ethnologie ou d’ethnographie – est évidemment anachronique pour le XVIe siècle.

Ayant jusques icy recité, tant ce que nous vismes sur mer en allant en la terre du Bresil, que comme toute choses passerent en l’Isle et fort de Colligny, où se tenoit Villegagnon, pendant que nous y estions : ensemble quelle est la riviere nommée Ganabara en l’Amerique : puis que je suis entré si avant en matiere, avant que je me rembarque pour retourner en France, je veux aussi discourir, tant sur ce que j’ay observé touchant la façon de vivre des sauvages, que des autres choses singulieres et incognues par deçà, que j’ay veuës en leur pays.

En premier lieu doncques (à fin que commençant par le principal, je poursuive par ordre) les sauvages de l’Amerique, habitans en la terre du Bresil, nommez Toüpinamboults, avec lesquels j’ay demeuré et frequenté familierement environ un an, n’estans point plus grans, plus gros ou plus petits de stature que nous ne sommes en l’Europe, n’ont le corps ny monstrueux ny prodigieux à nostre esgard …36

Pour rendre compte exactement, d’après Montaigne, « il faut un homme très fidèle, ou si simple qu’il n’ait pas de quoi bâtir et donner de la vraisemblance à des inventions fausses, et qui n’ai rien épousé. Le mien était tel37 ». Cet homme véridique doit savoir bien regarder, et restituer ses connaissances avec exactitude.

Finalement combien que durant environ un an, que j’ay demeuré en ce pays-là, je aye esté si curieux de contempler les grands et les petits, que m’estant advis que je les voye tousjours devant mes yeux, j’en auray à jamais l’idée et l’image en mon entendement : si est-ce neantmoins, qu’à cause de leurs gestes et contenances du tout dissemblables des nostres, je confesse qu’il est malaisé de les bien representer, ni par escrit, ni mesme par peinture. Par quoy pour en avoir le plaisir, il les faut voir et visiter en leur pays.38

Il aborde sa chronique avec le désir de s’acquitter de façon pédagogique de l’obligation morale de rendre compte : « docere ». Il énonce donc clairement sa méthode, qui sera systématique et minutieuse. Dès la préface, il précise :

si quelqu’un, di-je, trouve mauvais que, quand ci-apres je parleray de la façon de faire des sauvages (comme si je me voulois faire valoir), j’use si souvent de ceste façon de parler, Je vis, je me trouvay, cela m’advint, et choses semblables, je respon, qu’outre (ainsi que j’ay touché) que ce sont matieres de mon propre sujet, qu’encores, comme on dit, est-ce cela parlé de science, c’est à dire de veüe et d’expérience : voire diray des choses que nul n’a possible jamais remarquées si avant que j’ay faict, moins s’en trouve-t-il par escrit39.

Il vise donc à procurer au lecteur une connaissance de première main.

Il compte particulièrement rectifier la géographie fantaisiste de Thevet, qui anticipait, entre autres choses, sur le développement promis de la colonie et inventait des villes. Léry éprouve la nécessité de faire pièce aux mensonges du cosmographe, qui a fait courir une fausse science, laquelle exige, pour être démentie, un effort bien plus important – travers d’autant plus pernicieux que Thevet est un homme à qui l’on accorde du crédit, bien en cour, protégé par son statut de savant patenté, « enflé du titre de Cosmographe du Roy40 ». Léry se moque de ses « contes de la cigongne41 », « des contes qui semblent estre prins du livre des quenouilles42 », ou souligne les erreurs des autres voyageurs tels que Gomara43, comme il tente de rectifier les idées fausses qui circulent dans le public sur l’Amérique44. Thevet avait aussi, de son côté, tenté de rectifier quelques préjugés, par exemple dans le chapitre « Contre l’opinion de ceux qui estiment que les sauvages sont pelus45 ». Léry insiste tout particulièrement sur le travail de terrain qui a été le sien.

L’Amérique suscite encore la curiosité. Léry se distingue d’un Schmidel par exemple par l’exactitude et la précision de ses descriptions, par l’exhaustivité qu’il entend donner à son étude. Il ne donnera pas prise à une critique de sa véracité, après avoir reproché leur légèreté aux autres. Il observe et le souligne à maintes reprises. Il ne tait pas ce qui le dérange, et le concède avec des expressions comme : « je dois dire ». Lorsqu’il se trompe, il l’avoue. Par exemple, décrivant l’arachide, manobi, il confesse sa négligence :

mais de dire maintenant s’ils ont fueilles et graines, combien que j’aye beaucoup de fois mangé de ce fruict, je confesse ne l’avoir pas bien observé, et ne m’en souvient pas46.

L’Histoire d’un voyage en la terre du Bresil est ordonnée selon un principe logique, dont Léry montre le souci à plusieurs reprises, dans des commentaires métadiscursifs. Par exemple :

A fin d’obvier aux redites, lesquelles j’evite autant que je puis, renvoyant les lecteurs tant es troisieme, cinquiesme, et septiesme chapitres de cette histoire qu’es autres endroits, où j’ay jà fait mention des Baleines, monstres marins, poissons volans et autres de plusieurs sortes, je choisiray principalement en ce chapitre les plus frequens entre nos Ameriquains, desquels neantmoins il n’a pas encore esté parlé47.

Cet ordre, une fois établi et justifié, permet une recension systématique, par association d’idées : il est normal de décrire d’abord la contrée, puis d’y peindre ses habitants. La description de la nature s’accompagne bien sûr de la manière dont ils se nourrissent. Après la survie, les coutumes : la guerre, la religion, le mariage, les lois civiles, les soins et pour finir, la langue. Le plan des chapitres sur le Brésil ne suit plus un ordre chronologique, il n’est pas lié à ses aventures, mais à un inventaire du monde.

Le temps du récit est le présent de vérité générale, propre à la description ethnographique, qui tente de tirer des observations répétées un trait général représentatif. En revanche, des observations ponctuelles, comme des anecdotes particulières, sont racontées au passé. Un discours, une conversation significative, peuvent être insérés dans cette trame des mémoires. Comme le souligne Ph. Descola, parmi la masse des épisodes auxquels l’observateur a assisté, il doit faire un choix,

rompre le fil du temps et juxtaposer grâce à des remémorations opportunes toutes sortes de faits disparates qui peut-être n’avaient pas vocation à cohabiter48.

De la sorte, la succession des observations présentées est dictée par une raison organisatrice et non par l’ordre chronologique de son voyage, une fois livré à lui-même sur place : aussi doit-on supposer un remaniement profond des matériaux bruts de ses enquêtes, mais non une invention de faits qui n’auraient pas existé.

Son ambition est de décrire par le menu ce qu’il a vu, et somme toute de réaliser une sorte de monographie sur le Brésil. Il est piquant de voir la liste des plantes et fruits, aujourd’hui si communs, que décrit Léry en mêlant description et analogies, décrivant la plante elle-même (port, feuilles, fruits, parfum, goût) et les usages qui en sont faits.

La plante qui produit le fruict nommé par les sauvages Ananas, est de figure semblable aux glaïeuls, et encores ayant les fueilles un peu courbées et cavelées tout à l’entour, plus approchantes de celles d’aloes. Elle croist aussi non seulement emmoncelée comme un grand chardon, mais aussi son fruict, qui est de la grosseur d’un moyen Melon, et de façon comme une pomme de Pin, sans pendre ni pancher de costé ni d’autres, vient de la propre sorte de nos Artichaux. Et au reste quand ces Ananas sont venus à maturité, estans de couleur jaune azuré, ils ont une telle odeur de framboise que non seulement en allant par les bois et autres lieux où ils croissent, on les sent de fort loin, mais aussi quant au goust fondans en la bouche, et estans naturellement si doux, qu’il n’y a confitures de ce pays qui les surpassent : je tiens que c’est le plus excellent fruict d’Amerique. Et de fait, moy-mesme, estant par delà, en ayant pressé tel dont j’ay fait sortir pres d’un verre de suc, ceste liqueur ne me sembloit pas moindre que malvaisie49.

La description devient une sorte de condensé d’éléments divers combinés, que le lecteur de par-deçà peut reconstituer dans son imagination à la façon d’un puzzle. L’Histoire d’un voyage décrit en particulier le bois de Brésil, « duquel aussi ceste terre a prins son nom à nostre esgard50 », dont les cendres, utilisées en lessive, donnent une belle couleur rouge. Il détaille ce qui relève de la culture, comme les règles de mariage – qui occuperont nombre d’ethnologues à sa suite – :

Touchant le mariage de nos Ameriquains, ils observent seulement ces trois degrez de consanguinité : assavoir, que nul ne prend sa mere, ny sa sœur, ny sa fille à femme ; mais quant à l’oncle, il prend sa niepce, et autrement en tous les autres degrez ils n’y regardent rien51.

Il note, entre autres, la liberté des femmes avant le mariage, mais l’interdit de l’adultère ; la polygamie, les rites religieux, les déformations volontaires du crâne des bébés, les coutumes d’accueil, la confection de l’alcool, l’usage du pétun, les décorations des poteries, les bandeaux de portage des bébés, les hamacs, la gestion des ressources52, la répartition sexuée des tâches, les marques du pouvoir (par la parole) dans une société égalitaire, le festin cannibale… : pas de « tabou » en effet, car il rapporte cette coutume maintes fois observées. Il décrit aussi l’étui pénien53, la manière de nettoyer les bébés breneux54, les « ordes fleurs55 » des femmes, et, dans le lexique, les « noms des parties du corps qui ne sont honnestes à nommer56 »… Rien ne lui est étranger. Il remarque aussi une forme de totémisme (sans en employer le terme) :

nos sauvages nourrissent domestiquement des cannes d’Indes, qu’ils nomment Upec : mais parce que nos pauvres Toüpinambaoults ont ceste folle opinion enracinée dans la cervelle, que s’ils mangeoyent de cest animal qui marche si pesamment, cela les empescheroit de courir quand ils seroyent chassez et poursuyvis de leurs ennemis, il sera bien habile qui leur en fera taster : s’abstenans, pour mesme cause, de toutes bestes qui vont lentement, et mesmes des poissons comme les Rayes et autres qui ne nagent pas vite57.

Il se garde de reproduire les idées reçues et s’efface devant l’observation : s’il décrit les mœurs peu conventionnelles des Ouetacas, il parle cependant de ces « sauvages » comme de « nations » et n’a garde de les confondre en une masse indifférenciée, que l’on pourrait décrire en bloc, pour le plaisir de noircir le tableau. Ce sont bien des sauvages au sens où l’explicite Montaigne : « ils sont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits58 ». Mais Léry fait évoluer la caractérisation des nations par la précision de ses relevés59. Il explique même les différences de langue entre Margajat, Ouétaca, Ouèavem, Caraia, Kario, Toüpinenquin, Toüpinambaoults… Mais

les Toüpinambaoults Toüpinenquin, Touajaire, Tenreminon, et Kario, parlent un mesme langage ou pour le moins il y a peu de différence entr’eux, tant de façon de faire qu’autrement60.

Il ne considère pas non plus ces cultures comme des sociétés figées, ou « froides61 », même s’il utilise le présent de vérité a-temporelle pour les décrire : il sait observer les modifications d’alliances entre clans ou nations, et, depuis que les Européens les fréquentent, les changements techniques observés. Les enfants demandent des « haims à pescher » (hameçons), et tous aiment les grelots. Staden note aussi que les Français « venaient tous les ans dans cet endroit et leur donnaient des couteaux, des haches, des miroirs, des peignes et des ciseaux en échange de bois de Brésil, de coton, de plumes, de poivre, etc., c’est pourquoi ils étaient bons amis62. » Yves d’Évreux dresse même une liste des objets à emporter lorsqu’on se rend au Brésil, tant pour sa propre commodité que pour servir de monnaie d’échange63. Et Léry confirme :

Les sauvages doncques, moyennant quelques robbes de frize, chemises de toile, chapeaux, cousteaux et autres marchandises qu’on leur baille, non seulement avec les coignées, coings de fer, et autres ferrements que les François et autres de par-deçà leur donnent, coupent, scient, fendent, mettent par quartiers et arrondissent ce bois de Bresil, mais aussi le portent sur leurs espaules toutes nues, voire le plus souvent d’une ou deux lieues loin, par des montagnes et lieux assez fascheux, jusques sur le bord de la mer pres des vaisseaux qui sont à l’anchre, où les mariniers le reçoyvent. Je di expressément que les sauvages, depuis que les François et Portugais frequentent en leur pays, coupent leur bois de Bresil : car auparavant ainsi que j’ay entendu des vieillards, ils n’avoyent presque aucune industrie d’abbatre un arbre, sinon mettre le feu au pied64.

Ces échanges aboutissent donc à un profond changement dans la gestion des ressources. Des outils plus efficaces facilitent aussi les pratiques ancestrales, y compris pour leurs rituels anthropophages :

depuis que les Chrestiens ont frequenté ce pays-là, les sauvages decouppent et taillent tant le corps de leurs prisonniers, que des animaux et autres viandes, avec les cousteaux et ferremens qu’on leur baille. Mais auparavant, comme j’ay entendu des vieillards, ils n’avoyent autre moyen de ce faire, sinon qu’avec des pierres trenchantes qu’ils accommodoyent à cest usage65.

Si on voit ici l’hybridation des techniques, pour le meilleur et pour le pire, il suffit aussi de lire le « vocabulaire » du chapitre XX pour voir à quel point les deux cultures dialoguent.

Enfin, en bon ethnologue, Léry fait insérer des gravures, dont celle d’un Indien :

vous le verrez comme il est ordinairement en son pays, et tel, quant au naturel, que vous le voyez pourtrait cy apres […] Vray est que pour remplir ceste planche, nous avons mis aupres de ce Toüpinambaoults l’une de ses femmes, laquelle, suyvant la coustume, tenant son enfant dans une escharpe de cotton, […] et aupres des trois un lict de cotton, faict comme une rest à pescher, pendu en l’air, ainsi qu’ils couchent en leur pays. Semblablement la figure du fruict qu’ils nomment Ananas […]66.

La gravure permet un condensé éloquent de ce qu’il décrit par ailleurs. Il tente enfin de rapporter des objets, comme des plumes, ou un bouclier de tapir, mais les perroquets dressés à parler et les guenons furent hélas mangés sur la baille qui remmenait vers la France le petit groupe des protestants.

[P]our haranguer à nostre bien venue, six hommes et une femme ne firent point de difficulté de s’embarquer pour nous venir voir au navire. Et parce que ce furent les premiers sauvages que je vis de pres, vous laissant à penser si je les regarday et contemplay attentivement, […] si en veux-je dés maintenant icy dire quelque chose en passant67.

Par la suite, comme si cette condition avait été soumise à un protocole, Léry fréquente les Indiens mais continue à vivre un peu en marge. Parfois il se promène à l’intérieur du pays avec des truchements.

Et comme de là nous allions, venions, frequentions, mangions et beuvions parmi les sauvages (lesquels sans comparaison nous furent plus humains que celuy lequel, sans luy avoir meffait, ne nous peut souffrir avec luy), aussi eux, de leur part, nous apportans des vivres et autres choses dont nous avions affaire, nous y venoyent souvent visiter68.

Cette extériorité du regard le contraint parfois à des expédients. Bravant ce qui pourrait être un interdit, pour observer leurs cérémonies religieuses, il regarde en quelque sorte par le trou de la serrure69 :

nostre truchement disoit que depuis six ou sept ans qu’il y avoit qu’il estoit en ce pays-là, il ne s’estoit jamais osé trouver avec mes sauvages en telle feste […]. Me approchant doncques du lieu où j’oyois cette chantrerie, comme ainsi soit que les maisons des sauvages soyent fort longues, et de façon rondes (comme vous diriez les treilles des jardins par-deçà) couvertes d’herbes qu’elles sont jusques contre terre : à fin de mieux voir à mon plaisir, je fis avec les mains un petit pertuis en la couverture.

Puis, en voyant que les Indiens ne leur prêtent aucune attention, Léry et ses compagnons entrent hardiment dans la maison :

en nous retirans tout bellement dans un coin, nous les contemplasmes tout nostre saoul70.

L’occasion est bonne pour observer leurs rites commodément et rendre ainsi compte de leur religion, sujet qui doit tenir à cœur à un futur pasteur. D’ailleurs, selon Maurice Godelier,

il ne faut pas cacher que le métier d’anthropologue est un métier un peu de « voyeur ». On doit observer sans intervenir et on n’est pas là pour mettre en scène les autres, pour vouloir qu’ils fassent ceci ou cela. C’est aux autres de faire ce qu’ils ont à faire71.

Tout en acceptant de goûter à certains de leurs mets et d’apprendre ce qu’il peut de leur langue et de leurs coutumes, Léry ne partage pas, cependant, toutes leurs activités : il ne participe pas à leurs fêtes, refuse de manger de la chair humaine et affirme ne pas avoir de relations avec des femmes sauvages :

quand ils nous presentoyent de ceste chair humaine de leur prisonniers pour manger, si nous en faisions refus (comme moy et beaucoup d’autres des nostres ne nous estans point, Dieu merci, oubliez jusques-là, avons tousjours fait), il leur sembloit par cela que nous ne leur fussions point assez loyaux. Sur quoy, à mon grand regret, je suis contraint de reciter icy, que quelques truchements de Normandie, qui avoyent demeuré huict ou neuf ans dans ce pays-là, pour s’accommoder à eux, menans une vie d’Atheistes, ne se polluoyent pas seulement en toutes sortes de paillardises et vilenies parmi les femmes et les filles, dont un entre autres de mon temps avoit un garçon aagé d’environ trois ans, mais aussi, surpassans les sauvages en inhumanité, j’en ay ouy qui se vantoyent d’avoir tué et mangé des prisonniers72.

Ces truchements étaient des enfants souvent orphelins, amenés de Normandie, pour devenir sur place des interprètes73 : nul doute qu’ils « s’ensauvageaient » et adoptaient des comportements hybrides. Ces truchements sont évoqués à plusieurs reprises, car ils sont une source précieuse de renseignements et ils permettent à Léry de converser avec les Indiens. L’un d’eux l’aide à établir son lexique :

lequel non seulement pour y avoir demeuré sept ou huict ans, entendoit parfaitement le langage des gens du pays, mais aussi parce qu’il avoit bien estudié, mesme en la langue Grecque, de laquelle (ainsi que ceux qui l’entendent ont jà peu voir ci-dessus) ceste nation des Toüpinambaoults a quelques mots, il le pouvoit mieux expliquer74.

Les échanges avec les Indiens sont notés assez minutieusement à plusieurs reprises : Léry transcrit plusieurs discours75, dont celui d’un vieillard qui s’enquiert de leur religion en les voyant prier avant et après leur repas76 ; un autre lui demande ce qu’il chante77, un autre lui donne l’occasion de s’interroger sur le sens des négociations78 ; il retranscrit la harangue des vieillards à ceux qui partent à la guerre79, ou la défense de la vie naturelle80 qui annonce évidemment les développements sur le « bon sauvage ».

Et de fait, quant au naturel de l’homme, je maintien qu’ils discourent mieux que ne font la pluspart des paysans, voire que d’autres de par-deçà qui pensent estre fort habiles gens81.

Le « je » de Léry relève d’une forme de « neutralité axiologique82 », mais il n’est finalement pas seul dans l’interprétation des coutumes Tupi. Grâce à ses informations, la réflexion philosophique va trouver les germes d’une science de l’homme. Pourtant, Alain-Michel Boyer observe83 que Montaigne ne cite à aucun moment Jean de Léry, bien qu’il soit à l’évidence l’une de ses sources d’information. Il n’en reste pas moins qu’une circulation d’idées entre les voyageurs et les penseurs de cabinet est effective, même si la pratique de Montaigne consiste à ne pas citer ses contemporains (il ne nomme pas non plus Gomara, Chauveton ou Thevet, alors que l’allusion est patente ; de même que voyageant en Italie du temps du Corrège, de Michel-Ange, de Raphaël ou de Léonard de Vinci, il n’en souffle mot). L’important est ailleurs : dans la perception – neuve en effet – de ce qu’est l’humanité en général : l’ethnographie est d’abord philosophie de l’homme avant d’être une étude exclusive sur tel ou tel groupe.

Mais l’ethnographie peut-elle être dissociée de l’observateur ? On a cru longtemps que l’on pouvait séparer rigoureusement la monographie d’une part et le journal de terrain de l’autre, le second servant d’exutoire aux impressions de l’observateur, de manière à purger le texte « scientifique » de tout affect. En ce sens, la publication du Journal d’ethnographe84 de Malinowski (qui l’a écrit entre 1914 et 1918) a fait date, à côté du texte de référence, Les Argonautes du Pacifique occidental. Staden avait, lui aussi, nettement séparé son voyage et les difficultés de sa captivité d’un côté, et la description des mœurs des « sauvages » de l’autre côté, dans une seconde partie. Lévi-Strauss lui-même dit avoir longtemps hésité devant le mélange des genres et la divulgation de considérations personnelles, avant de publier Tristes Tropiques en 1955 :

Faut-il narrer par le menu tant de détails insipides, d’événements insignifiants ? L’aventure n’a pas de place dans la profession d’ethnographe ; elle en est seulement une servitude, elle pèse sur le travail efficace du poids des semaines ou des mois perdus en chemin ; des heures oisives pendant que l’informateur se dérobe ; de la faim, de la fatigue, parfois de la maladie […]… Qu’il faille tant d’efforts, et de vaines dépenses pour atteindre l’objet de nos études ne confère aucun prix à ce qu’il faudrait plutôt considérer comme l’aspect négatif de notre métier. Les vérités que nous allons chercher si loin n’ont de valeur que dépouillées de cette gangue85.

Selon certains, la tendance est aujourd’hui à considérer que l’anthropologie ne peut exister comme pure théorie. Selon Mondher Kilani :

Il est utile dans cette perspective de préciser ce qu’il faut entendre par la notion de réflexivité. Si ce terme est devenu d’un usage plus ou moins courant dans l’anthropologie, nous ne disposons pas pour autant d’une définition univoque. Son contenu demeure flou et consiste la plupart du temps à suggérer l’idée qu’à partir du moment où les relations entre le chercheur et ses informateurs dans la situation ethnographique sont prises en compte, l’anthropologie est réflexive. Mais si tel est le cas, on pourrait alors affirmer que l’anthropologie l’est par la force des choses, elle l’est intrinsèquement. L’ethnographie réflexive peut également être considérée comme une ethnographie dans laquelle l’enquêteur s’engage totalement, mais alors le risque serait de tomber […] dans le piège du « récit de soi ». […] La réflexivité pourrait également être considérée sous l’angle de la restitution et de la réception des travaux ethnologiques86

Finalement que fait d’autre Jean de Léry ? S’il tente d’être objectif, il ne peut évidemment faire croire à une parfaite neutralité. Ces conditionnements peuvent être d’ordre individuel, social, idéologique et formel.

D’abord,

Évoquer cette épreuve réflexive que tous les ethnologues ont traversée ne revient pas à pratiquer l’apologie de la subjectivité comme mode de connaissance, mais à souligner encore cette évidence que les jugements que nous portons sur les mœurs des autres sont largement déterminés, dans la vie comme dans la science, par notre histoire individuelle87.

Léry ne cache nullement le fait que ses observations des Indiens découlent de sa situation particulière et de ses propres sentiments.

Tellement que pour dire ici Adieu à l’Amerique, je confesse en mon particulier, combien que j’aye tousjours aimé et aime encores ma patrie : neantmoins, voyant non seulement le peu, et presque point du tout de fidelité qui y reste, […] je regrette souvent que je ne suis parmi les sauvages, ausquels (ainsi que j’ay amplement monstré en ceste histoire) j’ay cogneu plus de rondeur qu’en plusieurs de par-deçà, lesquels à leur condamnation, portent titre de Chestiens88.

Il se flatte d’avoir pu porter un nom tupi, Lery-oussou, « une grosse huitre89 ». Léry n’oublie pas de signaler le témoignage de ses sens, fait relativement notable : l’odeur de l’amidon lui rappelle, des années plus tard, l’odeur de la cassave. Il évoque ses goûts en matière de cuisine locale : l’ananas, la banane, le lézard :

Vray est que du commencement j’avois cela en horreur, mais apres que j’en eus tasté, en matiere de viandes, je ne chantois que de lézards90.

D’une façon ouvertement personnelle, Léry évalue sa façon de se renseigner, ses rapports avec ses informateurs, sa position à la fois intégrée à la population locale et résolument extérieure, de son propre fait autant que de celui des Indiens, il sait que l’objet de son récit est aussi – si l’on en croit son titre – l’Histoire d’un voyage faict en la terre du Bresil et non la description d’un pays. Staden et Thevet auront fait différemment, le premier avec sa Véritable Histoire et description d'un pays habité par des hommes sauvages, nus, féroces et anthropophages, situé dans le Nouveau Monde nommé Amérique, inconnu dans le pays de Hesse, avant et depuis la naissance de Jésus-Christ, jusqu'à l'année dernière ; le second avec Les Singularités de la France antarctique, autrement nommée Amérique, et de plusieurs Terres et Iles découvertes de notre temps. Dans le cas de Léry, l’accent se trouve davantage placé sur son expérience, et l’ethnologue d’occasion rapporte ce qu’il a vu du Brésil, avec les moyens dont il dispose.

Le travail de terrain se situe entre l’autobiographie et l’anthropologie. Il met en relation une expérience personnelle importante et le champ général de la connaissance. Cette relation elle-même exerce une influence sur la réalité de l’anthropologie91 […].

D’après Kirsten Hastrup, l’important n’est pas tant le monde des « autres » que l’espace entre le monde des « autres » et celui de l’enquêteur, voire la propre personne de ce dernier observée dans un contexte étranger.

Léry se réfugie dans les villages Tupinamba, et il y est bien reçu : aussi est-il prêt à rendre compte de ses observations avec bienveillance sans porter de jugement moral, et défendre leurs mœurs, même lorsqu’elles choquent les conceptions européennes : il les défend même dans leurs habitudes anthropophages. Seul le choque vraiment le goût immodéré des vieilles femmes – avatar des sorcières de « par-deçà » – pour la chair humaine, au point qu’elles se rassemblent autour du boucan pour 

recueillir la graisse qui degoutte le long des bastons de ces grandes et hautes grilles de bois, exhortans les hommes de faire en sorte qu’elles ayent tousjours de telle viande : et en leschans leurs doigts disent, Yguatou, c'est à dire, il est bon92.

Cependant,

(horsmis ce que j’ay dit particulierement des vieilles femmes qui en sont si friandes), leur principale intention est, qu’en poursuyvant et rongeant ainsi les morts jusques aux os, ils donnent par ce moyen crainte et espouvantement aux vivans93.

Staden, Thevet, Léry s’accordent à souligner la valeur symbolique de ce festin envers les ennemis, vengeance et mise en scène terrifiante94.

L’ordre des sujets traités est aussi important : si Thevet traite les questions dans un ordre assez aléatoire, il commence par la religion et finit par les espèces naturelles. Staden, lui, trop heureux d’avoir échappé au boucan, fait frémir les lecteurs en finissant par le festin cannibale, qui les laisse sur une impression fâcheuse. Léry achève par la religion, les coutumes civiles et la langue. Certaines anecdotes ont été plus particulièrement choisies car jugées significatives – elles permettaient une « économie » de la description ; elles révèlent aussi une certaine conception de ce que Léry considère comme des valeurs importantes chez les Tupinamba : le sens de l’hospitalité, l’horreur de l’avarice, le détachement des biens matériels, l’ordre social, la confiance dans la générosité de la nature…

En général, Léry ne montre pas de goût pour l’exotisme au sens propre puisqu’il cherche à rapprocher l’inconnu par des points de comparaison connus, méthode très classique de la relation de voyage. Dans certains cas même, les Indiens se rapprochent davantage des valeurs prônées par l’Europe : les femmes « vivent ensemble en une paix la nompareille95 » dans un contexte de polygamie ; la pudeur et la décence qu’on leur demande se trouve mieux observée par les Tupinamba, toutes nues qu’elles soient, parce que leur attitude est plus chaste et plus innocente que les Européennes avec leurs « attifets » propres à agacer le désir masculin96. Les Indiens « gardans l’honnesteté de nature, n’ayans jamais publiquement la compagnie de leurs femmes97 », sont plus policés que certains Européens :

les boucs puans qu’on voit de nostre temps par-deçà, ne se sont point cachez pour commettre leurs vilenies, sont sans comparaison plus infames qu’eux98.

Le qualificatif injurieux est réservé à ses compatriotes et pas aux « sauvages », sauf des appellations presque hypocoristiques comme « nos friponniers et galebontemps d’Ameriquains99 » qui festoient sans retenue, ou « pauvres idiots100 » lorsque Léry raconte comment ils se laissent duper par les simagrées des Caraïbes.

Quant à la police de nos sauvages, c’est une chose presque incroyable, et qui ne se peut dire sans faire honte à ceux qui ont les loix divines et humaines, comme estans seulement conduits par leur naturel, quelque corrompu qu’il soit, s’entretiennent et vivent si bien en paix les uns avec les autres. J’enten toutesfois chacune nation entre elle mesme, ou celles qui sont alliées ensemble : car quant aux ennemis, il a esté veu en son lieu comme ils sont estrangement traitez101.

À plusieurs reprises, Léry justifie le comportement des Indiens :

Il falloit qu’à nostre grande honte, et pour justifier nos sauvages du peu de soin qu’ils ont des choses de ce monde, je fisse cette digression en leur faveur102.

D’après K. Hastrup, la condition du travail de terrain serait fondamentalement de l’ordre de la confrontation et ne serait que superficiellement de l’ordre de l’observation103. On peut en effet l’appliquer à Léry, à cette nuance près que la confrontation naît de l’observation, et que cette confrontation décrit pour beaucoup les échanges mutuels entre les visiteurs et les gens du cru, entre par-deçà et par-delà, entre l’ethnologue et son « terrain ».

Léry note à plusieurs reprises les occasions de rire des uns et des autres104 : les Européens rient de voir les Indiens se promener vêtus seulement d’une chemise ou de chausses, les Indiens rient de la peur des étrangers de se faire dévorer ou de leur manière de faire rôtir une volaille à la broche. Ce rire réciproque est destiné à divertir le lecteur européen, à mettre les rieurs de son côté et par son effet de réalité, il assure encore la vérité du récit ; il montre également le relativisme des cultures (chacun peut trouver absurdes les pratiques des autres, chacun peut prêter le flanc à la dérision). Contrairement à ce qu’observe Lévi-Strauss dans les Structures élémentaires de la parenté, Léry ne considère pas les coutumes des Tupinamba comme puériles, bien qu’à l’évidence elles lui semblent différentes des siennes. Il explique par exemple

que non seulement les hommes et les femmes de l’Amerique, ainsi que chiens barbets, à fin d’aller querir leur gibier et leur pesche au milieu des eaux, sçavent tous nager : mais aussi qu’aussi les petits enfans dés qu’ils commencent à cheminer, se mettans dans les rivieres et sur le bord de la mer, grenouillent desjà dedans comme de petits canars105.

Pourtant la comparaison avec les animaux semble plus une façon de parler qu’une dévalorisation de leurs mœurs. Les Européens participent au bestiaire, outre les « boucs puans », tels

messieurs les frians, lesquels ne se veulent point hazarder sur mer, et toutesfois (ainsi qu’on dit communément que font les chats sans mouiller leurs pattes) veulent bien manger du poisson […]106.

D’ailleurs les Européens, souvent, ne sortent pas grandis de ses anecdotes : par exemple, racontant comment les Indiens sont particulièrement adroits à se lancer proprement des boulettes de cassave dans la bouche, Léry montre au contraire que lui-même et ses compagnons mangent salement la farine de manioc :

la prenant avec les quatre doigts dans la vaisselle de terre, ou autre vaisseau où ils la tiennent, encores qu’ils la jettent d’assez loin, ils rencontrent neantmoins si droit dans leurs bouches qu’ils n’en espanchent pas un seul brin. Que si entre nous François, les voulant imiter la pensions manger de ceste façon, n’estans pas comme eux stilez à cela, au lieu de la jetter dans la bouche nous l’espanchions sur les joues et nous enfarinions tout le visage : partant, sinon que ceux principalement qui portoyent barbe eussent voulu estre accoustrez en joueurs de farces, nous estions contraints de la prendre avec des cuilliers107.

L’autodérision est ainsi un moyen spirituel de souligner la « civilisation » de ceux qu’il a côtoyés.

Les Tupinamba auraient donc des leçons à donner aux Européens ; par les dialogues, le lecteur voit que les Indiens observent, eux aussi, questionnent et jugent. Ils acceptent d’adopter quelques façons de faire nouvelles, s’ils les pensent utiles – comme les outils de fer –, sans se croire obligés de renoncer à leurs croyances. Léry note après « l’historien des Indes Occidentales » (Gomara), que « certaine nation de sauvages » craignant que les Espagnols « ne les corrompissent et changeassent leurs anciennes coustumes, ne les voulans recevoir, ils les appeloyent : Escume de la mer, gens sans peres, hommes sans repos, qui ne se peuvent arrester en aucun lieu pour cultiver la terre, à fin d’avoir à manger108. »

Dans son journal, Malinowski note :

un journal est une « histoire » des événements auxquels l’observateur a entièrement accès et, cependant, tenir un journal exige des connaissances solides et une formation poussée ; l’abandon de tout point de vue théorique ; une certaine pratique de l’écriture conduit à des résultats entièrement différents, même si l’observateur demeure le même – et que dire lorsqu’il s’agit d’observateurs différents ! C’est pourquoi nous ne pouvons parler de faits ayant une existence objective ; c’est la théorie qui crée l’événement. En conséquence de quoi l’« histoire » en tant que science n’existe pas. L’histoire est l’observation des faits considérés à la lumière d’une théorie donnée ; et l’application de cette théorie aux faits, au fur et à mesure que le temps les dote d’existence109.

Pour lui, la théorie interprétative précède en quelque sorte l’observation, telle que la consigne la monographie. Le mouvement du journal serait inverse, puisqu’il procède par induction. Dans la grille théorique qui doit mener au « grand récit », à la construction d’une culture par la présentation de l’ethnologue,

peut-être faut-il y voir la persistance de conceptions démodées sur la façon dont les « découvertes » sont « démontrées » dans les sciences exactes. La principale alternative à cette explication empiriste du succès des ouvrages anthropologiques mentionne la force de leurs arguments théoriques. Mais elle n’est pas plus plausible110.

Mais Léry n’y était pas allé pour se documenter sur les Tupinamba : l’intérêt est venu plus tard, sur place, lorsque oisif en effet, il attendait de repartir en Europe. Et il n’a pas raconté par le menu tous ses tracas, malgré une insertion très explicite dans un contexte historique de guerres de religion et de persécutions. L’idée d’un dévoilement progressif de la vérité est aussi contenue implicitement dans le texte : contrairement à l’ethnologue qui prétend analyser et comprendre sur le champ, souvent avec des principes et des grilles de lecture préfabriquées, Léry, en écrivant, semble éprouver une compréhension progressive et rétrospective – « je regrette que je ne suis parmi les sauvages » –, à l’élaboration d’une cohérence à partir des données récoltées et organisées a posteriori. Certes Léry n’applique pas de grille théorique prédéfinie concernant les cultures indiennes, pour la bonne raison que son séjour chez les Indiens n’est qu’un « accident » dans un processus religieux qui n’avait rien à voir avec eux. En effet le but de Villegagnon n’était pas d’évangéliser les « sauvages », mais de s’installer dans un fort, à l’abri de ces populations. Cependant, l’écriture, tardive chez Léry, relève aussi d’une obligation religieuse personnelle : faire éclater la vérité, sur le plan des devoirs temporels, et faire connaître la création divine, sur le plan spirituel. Il faut dévoiler les curiosités de ce monde,

pour avoir esté cachées à ceux qui ont precedé nostre siecle, dignes d’amiration : je prie l’Eternel, auteur et conservateur de tout cest univers, et de tant de belles creatures qui y sont contenues, que ce mien petit labeur reussisse à la gloire de son sainct nom, Amen111.

Staden fait de même de son ouvrage un ex-voto : il doit montrer par son livre les périls dont il a été sauvé par la Providence. Malgré tout, ces considérations religieuses, ces références fréquentes aux Psaumes, ne les conditionnent pas non plus au point d’obscurcir leur entendement.

Le style de Léry est volontiers pragmatique et direct ; il s’appuie cependant sur une tournure analogique112 et anagogique : par exemple, la vue des poissons volants tentant d’échapper à leur prédateur (sous l’eau, les autres poissons ; en l’air les oiseaux marins) et finalement fuyant sans trêve leur destin. Cette pensée doit l’élever jusqu’à une méditation spirituelle. En cela, il adhère à la manière de son temps.

Écrire son voyage consiste à se couler dans le moule d’un discours préalable et à éliminer les scories d’une expérience qui ne serait pas universalisable. La pérégrination s’achève dans la promenade livresque : le travail de l’écriture, né de l’expérience directe, se nourrit de la copie de discours préalables […]113.

Cette analyse de Marie-Christine Gomez-Giraud n’est cependant pas entièrement valable ni pour Thevet, ni pour Léry, car le modèle ethnographique n’est pas encore clairement fixé à leur époque. Pourtant, si des parentés existent entre tous ces textes, qui ne sont pas dues qu’à l’observation directe, Léry se défend d’en avoir trouvé le modèle chez ses prédécesseurs, « sans doncques m’arrester à ce que d’autres en ont voulu escrire114 ». Les textes littéraires cités lui servent souvent d’ornement, et quant aux relations de voyages, elles lui servent à confirmer ses observations ou plus souvent, elles se trouvent précisément réfutées, Léry se réservant l’indépendance de la forme.

En effet, la possibilité matérielle de publier aux yeux de tous vient du fait qu’il a déjà tiré des « brouillars115 », eux-mêmes rédigés à partir de ses notes de voyage, de ses carnets de terrain :

les memoires que j’avois, la pluspart escrits d’ancre de Bresil, et ne l’Amerique mesme, contenans les choses notables par moy observées en mon voyage116.

Cette mise au net des carnets de terrain relève-t-elle d’une forme quelconque ? Doit-on entendre sous l’expression de Lévi-Strauss : « c’est de la littérature », l’idée d’une fictionnalisation du récit ? Rien de moins sûr. Peut-être, au vu de ce que l’on sait aujourd’hui, la description des Tupi n’est-elle pas rigoureusement exacte. Mais qu’en sait-on au juste ? Et ne confond-on pas sincérité de l’observation et permanence de coutumes ?

Quand fallait-il voir l’Inde, à quelle époque l’étude des sauvages brésiliens pouvait-elle apporter la satisfaction la plus pure, les faire connaître sous la forme la moins altérée ? Eût-il mieux valu arriver à Rio au XVIIIe siècle avec Bougainville, ou au XVIe avec Léry et Thevet ? Chaque lustre en arrière me permet de sauver une fête, de partager une croyance supplémentaire. Mais je connais trop les textes pour ne pas savoir qu’en m’enlevant un siècle, je renonce du même coup à des informations et à des curiosités propres à enrichir ma réflexion117.

Claude Lévi-Strauss se posait aussi la question dans Tristes tropiques. De fait, explique aussi Philippe Descola,

[ces réflexions] furent pensées et écrites après coup, comme sont pensés et écrits après coup tous les ouvrages d’ethnologie. C’est la raison principale pour laquelle ce livre s’apparente aux œuvres romanesques : les ethnologues sont des inventeurs autant que des chroniqueurs, et si les mœurs et les discours des gens dont ils ont partagé l’existence sont en général exactement rapportés et, autant que faire se peut, correctement traduits, la manière dont ils les présentent et les interprètent ne tient qu’à eux. Le talent, l’imagination, les préjugés, les orientations doctrinales ou le tempérament de chacun se donnent alors libre cours, aboutissant parfois à des versions si contrastées d’une même culture que l’on a peine à la reconnaître sous la plume de ses différents exégètes118.

Dans le doute, le conseil de Léry à ceux qui refusent de le croire sur parole est d’aller y voir sur place pour vérifier ses dires. Mais il ne saurait en même temps s’empêcher de souligner la difficulté de l’expédition :

Tous ceux, di-je, qui aymans mieux la theorique que la pratique de ces choses, n’ayans pas volonté de changer d’air, d’endurer les flots de la mer, la chaleur de la Zone Torride, ny de veoir le Pole Antarctique, ne voulurent point entrer en lice, ni s’enroller et s’embarquer en tel voyage119.

Autrement dit, on en revient à une problématique du récit de voyage réel et de son double fictionnel : le voyage est théoriquement possible (ce qui empêche, en principe, que l’ensemble soit une fiction) mais la monographie permet au lecteur d’en faire l’économie. En réalité, ce critère120 n’est pas fiable puisque presque tous les voyages fictifs donnent des « preuves » apparentes de leur réalité (cartes, itinéraires, toponymes, voire coordonnées géographiques…, comme le fera par exemple Swift dans Les Voyages de Gulliver). Mais c’est ici le penchant de nombre de récits de voyages, dans lesquels les voyageurs ont eu l’impression d’être les derniers visiteurs à avoir rencontré une civilisation « intacte » et entendent d’une certaine façon conserver cet avantage sur le vulgaire. En ce qui concerne la relation ethnographique, Clifford Geertz note :

L’aptitude des anthropologues à nous persuader de prendre au sérieux ce qu’ils disent tient moins à l’apparence empirique et à l’élégance conceptuelle de leurs textes qu’à la capacité à nous convaincre que leurs propos reposent sur le fait qu’ils ont réellement pénétré (ou, si l’on préfère, ont été pénétrés par) une autre forme de vie, que, d’une façon ou d’une autre, « ils ont vraiment été là-bas ». Et c’est dans cette aptitude à nous persuader que ce miracle s’est produit en coulisse, que naît l’aspect littéraire de leurs œuvres121.

Le rapport à la vérité est un critère de  littérarité, car l’Histoire d’un voyage en terre de Brésil n’est peut-être pas une reproduction absolument exacte de la culture Tupinamba, même vers 1550, mais elle n’est pas non plus ni une fiction utopique ni une autofiction. En effet, précise Ph. Descola :

La composition littéraire réorganise le réel pour le rendre mieux accessible, et parfois plus digne d’intérêt, mais elle ne modifie point la substance des faits. Lorsqu’elle s’attache à dévoiler leur signification, l’interprétation leur donne en revanche une nouvelle dimension ; elle se déploie par vertu d’invention sans véritables garanties de ne pas verser dans l’imaginaire. […] Son travail [celui de l’ethnologue] ne saurait dissocier la description de l’invention, et celle-ci n’implique pas la fausseté, elle atteint plutôt la vraisemblance que la vérité122.

Pratiquement, on pourrait émettre les mêmes commentaires que pour l’Histoire d’un voyage en terre de Brésil  à propos de Tristes tropiques, texte lui-même hybride, encadré par l’aller et le retour de son auteur, où se côtoient des pages de prose poétique – le coucher de soleil des « Feuilles de route », qui rappelle l’épisode proustien des clochers de Martinville dans la Recherche du temps perdu – et des descriptions ethnographiques précises, un itinéraire et des anecdotes, des impressions et des réflexions personnelles.

De ce trouble engendré chez nos lecteurs par des observations – juste assez poussées pour les rendre intelligibles, et cependant interrompues à mi-chemin puisqu’elle surprennent des êtres semblables à ceux pour qui ces usages vont de soi – qui est finalement la vraie dupe123 ?

C’est à ce titre que Tristes tropiques et l’Histoire d’un voyage en terre de Brésil relèvent de la littérature : non parce qu’ils jouent de la fiction, mais parce que leur genre est complexe, et que leur auteur est présent dans un récit qui ne se contente pas de présenter une froide description ethnographique comme si elle pouvait donner un reflet rigoureusement exact du réel, comme un compte rendu de dissection : là résiderait la véritable illusion. L’exposé scientifique est conçu comme monosémique, il vise à contraindre le lecteur à une adhésion entière, et, explique encore C. Geertz,

les singularités de la littérature ethnographique, notamment son incorrigible propension à l’affirmation, sont si évidentes qu’elles passent inaperçues. Le caractère extrêmement situé de la description ethnographique – un ethnographe donné, à un moment et dans un endroit donnés, dans le cadre constitué par des informations, des engagements et des expériences données, en fonction de son appartenance à une culture et à une classe particulière – accentue l’impression que ce qui est exposé est à prendre ou à laisser124.

Au contraire, un « bréviaire » est un livre à lire et relire, dont la forme et la signification ne se livrent pas d’emblée, et qui donne par là matière à méditer.

Léry n’a rien d’un découvreur ; il note ici ou là, dans un contexte pré-colonial, les changements manifestement introduits par les contacts, sans paraître particulièrement regretter l’altération de leur culture ; il ne propose pas d’apporter des changements à leurs manières. Par ailleurs, les ethnologues admettent aujourd’hui que leur légitimité d’observateurs doit prendre en compte les conditions socio-historiques qui prévalent dans leur société d’origine, par rapport à celle qu’ils observent, ainsi que leur propre conditionnement idéologique et culturel, toutes choses qui induisent des biais dans la perception, le repérage et la collecte, puis dans le compte rendu, lequel ne peut, même dans le cas d’une monographie de métier, être complètement neutre.

Cependant, une chose est claire : la relation de Léry n’est pas un roman d’aventures.  D’abord car ce n’est pas un roman : il s’efforce au contraire à toute la véridicité dont il est capable – même si cela se lit « comme un roman » ; car écrivant ses aventures en effet, il met l’accent sur les aventures – sa confrontation à des situations inattendues – et non sur la façon dont il a surmonté les obstacles. L’Histoire d’un voyage faict en terre de Brésil n’est pas un « roman ethnographique » ; ce n’est pas un récit de fiction qui ferait fond sur une base ethnographique réelle. Au contraire, c’est un document qui croise, comme le veut le plus souvent la littérature de voyage, la narration d’expériences personnelles d’une part (récit chronologique du voyage ponctué d’anecdotes et agrémenté d’impressions subjectives), et les descriptions ou rappels historiques d’autre part ; mélange de la pure subjectivité et de l’objectivité souhaitée, plus ou moins accentué d’un côté ou de l’autre – entre le journal intime et le traité ethnographique. Mais Jean de Léry semble s’être parfois posé la même question que Claude Lévi-Strauss :

Surtout, on s’interroge : qu’est-on venu faire ici ? Dans quel espoir ? À quelle fin ? Qu’est-ce au juste qu’une enquête ethnographique ?125

Pour citer cet article :

Odile Gannier, « Les carnets de terrain de Jean de Léry : littérature et ethnographie réflexive dans l’Histoire d’un voyage en terre de Brésil »,  Loxias,  Loxias 23,  mis en ligne le 26 mai 2009, URL: http://revel.unice.fr/loxias/document.html?id=2836

Notes de bas de page numériques

1 Jean de Léry, Histoire d’un voyage faict en la terre du Bresil (1578), texte établi, présenté et annoté par Frank Lestringant, Le Livre de Poche, 1994, coll. Bibliothèque classique, p. 99. Nous renverrons désormais à cette édition.
2 Léry, Préface, p. 63.
3 Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon/ Terre humaine [1955], p. 87 et p. 90.
4 C. Lévi-Strauss, entretien recueilli par Dominique-Antoine Grisoni, éd. de F. Lestringant, p. 13.
5 Ulrich Schmidel, Voyage au río de la Plata, Utz/Unesco, 1998, chap. IV, pp. 42-43.
6 On peut définir la métalepse d’auteur comme un glissement entre différents niveaux d’énonciation, ou, comme le propose Gérard Genette dans Figures III et surtout dans Métalepse, Seuil, 2004, comme « transgression délibérée du seuil d’enchâssement » dans un récit (p. 14) ; « Cette capacité d’intrusion dans la diégèse, dont l’auteur use à sa guise, peut aussi bien s’étendre à cet autre habitant de l’univers extradiégétique qu’est le lecteur. » (p. 94).
7 Laurence Sterne, dans Vie et opinions de Tristram Shandy (1759-1767), se permet des transitions de ce genre : ceci « formera le sujet du prochain chapitre. Il sera grand temps, alors, je l’avoue, de revenir dans le salon où nous avons laissé mon oncle Toby devant la cheminée et au milieu d’une phrase. » (éd. GF, trad. Ch. Mauron, p. 99). Ou : « Le lecteur m’aidera, j’espère, à rouler dans la coulisse l’artillerie de mon oncle Toby, à déménager sa guérite, à débarrasser si possible la scène des ouvrages à cornes et des demi-lunes et pousser à l’écart tout le reste de son attirail militaire […]. » (p. 410). L’auteur et le lecteur coopèrent dans l’espace même du livre pour le faire avancer, en marge de la vie de ses personnages.
8 Léry, chap. VI, p. 196.
9 Léry, chap. XVIII, p. 449.
10 Léry, chap. XX, p. 479.
11 Léry, chap. 1, pp. 105-106.
12 Montaigne, Essais, livre I, chap. XXXI, LGF, Le Livre de Poche, t. I, pp. 306-307. 
13 Selon la distinction introduite par Roland Barthes, « Écrivains et écrivants » [1960], Essais critiques, Seuil, 1964, coll. Points, p. 151.
14 Léry, Préface, p. 96.
15 Léry, Préface, p. 62.
16 Léry, Préface, p. 62.
17 Léry, chap. IX, p. 237. (Nous soulignons).
18 Léry, chap. XVIII, p. 441.
19 « Vendre ses coquilles à ceux qui viennent de St. Michel » : note de F. Lestringant, d’après le lexicographe Cotgrave : « vouloir en remontrer aux connaisseurs ».
20 Léry, chap. IV, p. 140.
21 Léry, chap. VIII, p. 226.
22 Léry, chap. XXI, p. 509.
23 Léry, chap. XXII, pp. 551-552.
24 Léry, chap. V, p. 153.
25 Léry, chap. V, p. 156. En effet les attaques ont souvent lieu une heure avant l’aube.
26 Léry, chap. XII, p. 303.
27 Léry, chap. XVII, pp. 427-428.
28 Léry, chap. XVIII, p. 451.
29 Léry, chap. XVII, p. 473.
30 Léry, chap. XV, p. 365.
31 Léry, chap. XXI, p. 521.
32 Léry, chap. XXI, p. 522.
33 Léry, chap. IX, p. 239.
34 Philippe Descola, Les Lances du crépuscule, Terre humaine/Plon, 1993, pp. 436-437.
35 Michel Leiris, L’Afrique fantôme, Préface, Gallimard [1934], Tel, 1981, pp. 12-13.
36 Léry, chap. VIII, pp. 210-211.
37 Montaigne, Essais, livre I, chap. XXXI, t. I, p. 306.
38 Léry, chap. VIII, pp. 233-234.
39 Léry, Preface, p. 98.
40 Léry, Preface, p. 77
41 Léry, Preface, p. 77.
42 Léry, chap. XXI, p. 523.
43 P. 239 par exemple : « Parquoy je croy que celui qui rapporta premierement que les Indiens qui habitent à vingt deux ou vint trois degrez par-dela l’Equinoctial, qui sont pour certain nos Toüpinambaoults, vivoyent de pain fait de bois gratté : entendant parler des racines dont est question, faute d’avoir bien observé ce que j’ay dit, s’estoit équivoqué. »
44 En revanche, comme l’indique F. Lestringant, note 2 p. 98, Léry, ne lisant pas l’allemand, ne connaît pas le texte de Staden avant 1586.
45 « Pourtant que plusieurs ont cette folle opinion, que ces gens que nous appelons sauvages, ainsi qu’ils vivent par les bois et champs à la manière presque des bêtes brutes, être pareillement ainsi pelus par tout le corps comme un ours, un cerf, un lion, même les peignent ainsi en leurs riches tableaux ; bref, pour décrire un homme sauvage, ils lui attribueront abondance de poil depuis le pied jusques en tête, comme un accident inséparable, ainsi qu'à un corbeau la noirceur ; ce qui est totalement faux ; même j’en ai vu quelques-uns obstinés jusque-là, qu’ils affirmaient obstinément jusques à jurer d’une chose qui leur est incertaine, pour ne l’avoir vue ; combien que telle soit la commune opinion. Quant à moi, je le sais et l’affirme assurément, pour l’avoir ainsi vu. Mais tout au contraire les sauvages, tant de l’Inde orientale que de notre Amérique, issent du ventre de leur mère aussi beaux et polis que les enfants de notre Europe. Et si le poil leur croît par succession de temps en aucune partie de leur corps, comme il advient à nous autres, en quelque partie que ce soit, ils l’arrachent avec les ongles, réservé celui de la tête seulement, tant ils ont cela en grande horreur, autant les hommes que les femmes. Et du poil des sourcils qui croît aux hommes par mesure, leurs femmes le tondent et rasent avec une certaine herbe tranchante comme un rasoir. Cette herbe ressemble au jonc qui vient près des eaux. Et quant au poil amatoire et barbe du visage, ils se l’arrachent comme au reste du corps. » Thevet, Les Singularités de la France antarctique, chap. XXXI, éd. F. Lestringant, Chandeigne, 1997, p. 132. (Nous soulignons).
46 Léry, chap. XIII, p. 331. Nous soulignons.
47 Léry, chap. XII, p. 296.
48 Philippe Descola, Les Lances du crépuscule, p. 437.
49 Léry, chap. XIII, pp. 325-326.
50 Léry, chap. XIII, p. 306.
51 Léry, chap. XVII, p. 426.
52 Cette gestion inclut par exemple l’interdit de consommer des œufs : « c’est trop grande gourmandise à vous, qu’en mangeant un œuf, il faille que vous mangiez une poule. » (p. 277).
53 Léry, chap. VIII, pp. 215-216. Il s’interroge même sur le fait qu’il a vu surtout les vieillards en porter. Pudeur ? Peut-être pas. « Car combien que je ne m’en sois point autrement enquis, j’ay plutost opinion que c’est pour cacher quelque infirmité qu’ils peuvent avoir en leur vieillesse en ceste partie-là. » (Nous soulignons).
54 Léry, chap. XVII, p. 435.
55 Léry, chap. XVII, p. 437.
56 Léry, chap. XX, p. 495.
57 Léry, chap. XI, p. 277.
58 Montaigne, Essais, livre I, chap. XXXI, t. I, p. 307.
59 Ce que démontre Louis Van Delft pour les périodes ultérieures dans Littérature et anthropologie. Nature humaine et caractère à l’âge classique, PUF, 1993.
60 Léry, chap. XX, p. 488.
61 Dans un des sens que Lévi-Strauss a donnés à ce terme dans les Entretiens avec Georges Charbonnier en 1959, puis dans sa leçon inaugurale au collège de France en 1960. « Il ne s’agit pas de dire que ces sociétés sont hors de l’histoire : elles sont dans l’histoire et leur passé est aussi ancien que le nôtre, elles ont connu des transformations, des crises, des guerres. Mais, dit-il, "tout en étant dans l’histoire, ces sociétés semblent avoir élaboré une sagesse particulière, qui les incite à résister désespérément à toute modification de leur structure, qui permettrait à l’histoire de faire irruption en leur sein." Le souci dominant de ces sociétés est de vouloir persévérer dans leur être. Ce qui peut se résumer en trois grandes caractéristiques : la manière dont elles exploitent le milieu environnant garantit tout à la fois un niveau de vie modeste et la protection des ressources naturelles. Les règles de mariage que ces sociétés appliquent, si différentes qu’elles puissent être, ont pour point commun de limiter à l’extrême et de garder constant le taux de fécondité. Enfin, la vie politique y est fondée sur le consentement et n’admet pas d’autres formes de décision que celles fondées sur le principe de l’unanimité et exclut absolument tout fonctionnement fondé sur la lutte entre un pouvoir et une opposition, majorité et minorité, exploiteurs et exploités. Encore faut-il ajouter que cette distinction entre « sociétés froides » et « sociétés chaudes » est surtout théorique : "il n’existe probablement aucune société concrète qui, dans son ensemble et dans chacune de ses parties, corresponde à l’un ou à l’autre type." » http://www.culturesfrance.com/adpf-publi/folio/levi/05.html .
62 Staden, Nus, féroces et anthropophages, A.M. Métailié, 1979, Points, p. 95.
63 Yves d’Évreux, Voyage au nord du Brésil, fait durant les années 1613 et 1614, éd. H. Clastres, Payot, 1985, chap. XLIX, « Instructions pour ceux qui nouvellement vont aux Indes », pp. 193-196.
64 Léry, chap. XIII, pp. 308-309.
65 Léry, chap. XV, p. 363.
66 Léry, chap. VIII, p. 227.
67 Léry, chap. V, pp. 148-149.
68 Léry, chap. VI, p. 196.
69 Voir sur ce point la lecture de Michel de Certeau, L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, au chapitre V, « Ethno-graphie. L’oralité, ou l’espace de l’autre : Léry », pp. 215-248.
70 Léry, chap. XVI, pp. 400-401.
71 Maurice Godelier, « Briser le miroir du soi », in C. Ghasarian (dir.), De l’ethnographie à l’anthropologie réflexive, Nouveaux terrains, nouvelles pratiques, nouveaux enjeux, Armand Colin, 2002, p. 209.
72 Léry, chap. XV, p. 370.
73 Sur cette question, nous nous permettons de renvoyer à notre article : « Des Truchements en Amérique : du Voyage au Brésil de Léry aux lectures modernes », Quatre siècles d'échanges Europe-Afrique-Amérique, Université Laval (Québec), http://www.ulaval.ca/afi/colloques/colloque2003/approches/gannier.html. Inversement, les Français envoient dix jeunes garçons Tupinamba au roi Henri II (p. 353).
74 Léry, chap. XIX, p. 479. Ce lexique ne serait d’ailleurs pas l’œuvre de Léry, cf. la note de F. Lestringant p. 479. La théorie de parentés de la langue Tupi et de la langue grecque est reprise par Montaigne, et découle aussi des débats sur l’origine de ces populations : seraient-ils de la descendance de Cham ? De même, Léry a soin de signaler que dans leur cosmogonie figure le récit du Déluge.
75 Sur ce point nous nous permettons de renvoyer à notre contribution. « Le philosophe nu, ou les ressources d’une éloquence "sauvage" », in S. Albertan-Coppola (dir.), Hommages à Michèle Duchet : Apprendre à porter sa vue au loin, ENS Éditions, 2009, pp. 69-91.
76 Léry, chap. XVI, pp. 411-412.
77 Léry, chap. XVI, p. 418.
78 Léry, chap. XVIII, pp. 465-466.
79 Léry, chap. XIV, pp. 337-338.
80 Léry, chap. XIII, pp. 310-312.
81 Léry, chap. XVI, p. 419.
82 On se réfère volontiers sur ce point aux travaux de Max Weber, comme Le Savant et le politique, qui rappelait : « que, chaque fois qu’un homme de science fait intervenir son propre jugement de valeur, il n’y a plus compréhension intégrale des faits. » (Plon, 1959, coll. 10/18, p. 82).
83 A.-M. Boyer, « Littérature et ethnologie », Revue de Littérature Comparée, 2001/2, n° 298, p. 296.
84 Ce journal intime a été publié de manière posthume, et dévoile en large partie, à côté de projets de travaux et d’impressions de lecture, les difficultés morales de l’ethnologue seul sur le terrain : état dépressif, santé chancelante, rêveries érotiques, irritation fréquente contre ses informateurs voire parfois véritable mépris.
85 Lévi-Strauss, Tristes tropiques, p. 9.
86 M. Kilani, « Nouveaux objets, nouvelles méthodes pour l’anthropologie ? », in Olivier Leservoisier & Laurent Vidal (dir.), L’Anthropologie face à ses objets. Nouveaux contextes ethnographiques, Éditions des archives contemporaines, 2007, p. 283.
87 Philippe Descola, Les Lances du crépuscule, Terre humaine/Plon, 1993, p. 439.
88 Léry, chap. XXI, pp. 507-508. La même remarque est faite aussi p. 464 ou p. 376 : « je suis François et me fasche de le dire » après la Saint-Barthélémy.
89 Léry, chap. XX, p. 480.
90 Léry, chap. X, p. 267.
91 K. Hastrup, « Writing ethnography. State of the art », in Judith Okely & Helen Callaway, Anthropology and Autobiography, London & New York, Routledge, 1992, p. 117. “Fieldwork is situated between autobiography and anthropology. It connects an important personal experience with a general field of knowledge. The connection itself is of generative impact upon the reality of anthropology”. (Nous traduisons).
92 Léry, chap. XV, p. 364.
93 Léry, chap. XV, p. 366.
94 On peut y ajouter l’appropriation des qualités guerrières des ennemis capturés. Montaigne reprendra ces interprétations au livre I, chap. XXXI, « Des cannibales ».
95 Léry, chap. XVII, p. 427.
96 « Ceste nudité ainsi grossiere en telle femme est beaucoup moins attrayante qu’on ne cuideroit. » (p. 234).
97 Léry, chap. XVII, p. 436. Cette observation est importante car on fait souvent grief aux Indiens de leur lubricité supposée, comme Yves d’Évreux.
98 Léry, chap. XVII, p. 437.
99 Léry, chap. IX, p. 251.
100 Léry, chap. XVI, p. 407.
101 Léry, chap. XVIII, p. 439.
102 Léry, chap. XIII, p. 313.
103 K. Hastrup, « Writing ethnography. State of the art », p. 117.
104 Voir aussi sur « Léry ou le rire de l’Indien », la préface de F. Lestringant à son édition, pp. 15-39.
105 Léry, chap. XII, p. 299.
106 Léry, chap. III, p. 130.
107 Léry, chap. IX, p. 240.
108 Léry, chap. XIII, pp. 313-314.
109 Bronislaw Malinowski, Journal d’ethnographe, trad. Tina Jolas, Seuil, 1967, p. 123.
110 C. Geertz, Ici et Là-bas. L’anthropologue comme auteur, [Works and lives : the anthropologist as author, Cambridge, Polity Press, 1987], trad. Daniel Lemoine, Métailié, 1996, p. 12.
111 Léry, Preface, p. 99.
112 Voir sur ce point l’étude de Frédéric Tinguely, « Jean de Léry et les vestiges de la pensée analogique », in F. Lestringant et M.-C. Gomez-Giraud (dir.), D’encre de Brésil, Paradigme, 1999, pp. 127-146.
113 Marie-Christine Gomez-Giraud, Écrire le voyage au XVIe siècle en France, Puf, 2000, coll. Études littéraires, p. 31.
114 Léry, chap. VII, p. 197.
115 Léry, Preface, p. 62.
116 Léry, Preface, pp. 61-62.
117 Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, p. 43.
118 Philippe Descola, Les Lances du crépuscule, p. 436.
119 Léry, chap. I, p. 111. Ou encore : « Voire mais, direz-vous, la planche est bien longue : il est vray, et partant si vous n’avez pas bon pied, bon œil, craignans que vous ne trebuschiez, ne vous jouez pas de vous mettre en chemin. » chap. VIII, p. 234.
120 Critère proposé par F. Affergan dans « Textualisation et métaphorisation du discours anthropologique », Communications 58, p. 32.
121 Clifford Geertz, Ici et Là-bas. L’anthropologue comme auteur, p. 12.
122 Philippe Descola, Les Lances du crépuscule, pp. 438-439.
123 Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, p. 397.
124 Clifford Geertz, Ici et Là-bas. L’anthropologue comme auteur, p. 13.
125 Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, p. 450.

Bibliographie

Sauf indication contraire, le lieu d’édition est Paris.

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Pour citer cet article

Odile Gannier, « Les carnets de terrain de Jean de Léry : littérature et ethnographie réflexive dans l’Histoire d’un voyage en terre de Brésil », paru dans Loxias, Loxias 23, mis en ligne le 17 juin 2009, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=2836.

Auteurs

Odile Gannier

CTEL, Université de Nice-Sophia Antipolis. Professeur de littérature comparée, elle travaille sur la littérature de voyage et les rapports entre ethnographie et littérature (outre des articles, La Littérature de voyage, Ellipses, 2001 ; Les derniers Indiens des Caraïbes, Ibis Rouge, 2003 ; avec C. Picquoin : Le Voyage du capitaine Marchand (1791): les Marquises et les Îles de la Révolution, Au Vent des îles, 2003 et Journal de bord d’Etienne Marchand. Le voyage du Solide autour du monde (1790-1792), CTHS, 2005 ; Le Roman maritime, à paraître).