Isabelle Vedrenne-Fajolles


Isabelle Vedrenne-Fajolles est maître de conférences à l’Université de Nice (où elle enseigne l’histoire de la langue.) Travaillant sur la littérature didactique et la vulgarisation du savoir au Moyen Âge (XIIe-XIVe siècles essentiellement), elle s’intéresse à l’histoire des représentations et du lexique. Elle connaît bien la Queste del Saint Graal pour avoir traduit l’une des versions de cette œuvre, dans le cadre d’un projet Internet de vulgarisation dirigé par Christiane Marchello-Nizia.

Articles de l'auteur


Loxias | Loxias 7 (déc. 2004) | Langue et littérature françaises

À propos des recluses de la Queste del Saint Graal (ca 1225-1230)

Dans cet article, nous avons voulu mettre à l’honneur les deux personnages de recluses qui apparaissent dans la Queste del Saint Graal (ca 1225-1235). Souvent présentées comme des variantes (des autres adjuvants religieux du roman, de personnages antérieurs de la matière arthurienne) ces personnages semblent devenus presque invisibles aux yeux d’un grand nombre des commentateurs et uniquement justifiés par leur discours. Or, qui dit variation ne dit pas transparence. La réclusion a ses spécificités qu’il convenait de rappeler pour mieux montrer comment la création littéraire a su jouer avec un modèle historique, pour en garder les traits les plus marquants et pour, dans le même temps, s’en détacher afin de développer un type proprement romanesque. A l’emprisonnement physique, correspond une grande liberté intérieure et une capacité d’initiative qui permet aux deux recluses de la Queste de jouer un rôle des plus marquants dans l’économie du récit. Rappelant l’importance de leurs interventions respectives, déjà bien étudiées, nous avons surtout voulu montrer qu’elles apparaissent à des moments bien particuliers de l’histoire et en particulier de la deuxième partie de la quête, temps des épreuves et du progrès spirituel. Semblant participer à la construction d’une structure d’enchâssement complexe, dont chaque repère est une femme, elles contribuent à renforcer l’impression que le genre féminin a toute sa place dans ce roman qui par ailleurs condamne les valeurs de la courtoisie. Elles renvoient donc à un avant de la littérature courtoise, à une mythologie archaïque où la femme est initiatrice, porteuse du savoir et de la souveraineté, ou, sans aller si loin, aux valeurs de la chanson de geste où la femme est nourricière, conseillère et gardienne du lignage ou encore aux fées et sorcières, qui ont pu assumer ces rôles dans une matière de Bretagne moins fortement christianisée. L’une de ces deux recluses est la tante d’un des personnages principaux de la matière arthurienne : Perceval. Cette femme se trouve donc dotée d’une identité, mais aussi d’une biographie et d’une psychologie, qui se livrent peu à peu au cours de la longue rencontre avec son neveu. Sans prétendre résoudre d’ores et déjà les questions que pose ce personnage, nous nous interrogeons sur le pourquoi de cette personnalisation et sur ce qu’il soulève de questions encore non résolues sur le lignage de Perceval.

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Loxias | Loxias 17 | I.

Le traitement des stéréotypes dans la Suite du Roman de Merlin : maladresse ou subversion ? De la collision de stéréotypes narratifs avec le type du vilain

Dans l’important ensemble que forme la matière arthurienne au Moyen Âge, chaque ouvrage se conçoit comme un apport supplémentaire à l’histoire légendaire qui se construit autour de la grande aventure du Graal (Continuation, Enfance ou Suite). Plutôt que de revendiquer l’originalité, les auteurs n’hésitent pas à attribuer à un de leurs prédécesseurs connus leur propre création. Malgré cette humilité affichée et ces jeux sur l’attribution, chaque roman arthurien présente une personnalité propre. Celle-ci s’explique sans doute moins par les compétences de chaque auteur que par le jeu fondamental de la variation et par un art de la construction d’où jaillit la tonalité dominante du récit. Ces caractéristiques font de la matière arthurienne un terrain de prédilection pour les questionnements sur l’intertextualité, le traitement des motifs littéraires et de la stéréotypie : des scènes entières sont reprises d’un texte à l’autre, quoique jamais à l’identique ou de façon totalement transparente. La Suite du Roman de Merlin n’a pas été jusqu’alors considérée comme une œuvre majeure de cette matière de Bretagne et semble n’avoir fait l’objet que d’assez peu d’études. Comme dans la Mort Artu, antérieure et connue par l’auteur anonyme de la Suite, l’atmosphère est à la chute du monde arthurien. La tonalité d’ensemble conditionne donc une lecture des personnages et des différents épisodes sinon sombre du moins ambiguë. Sans doute ne faut-il pas s’étonner que des personnages importants, ayant déjà une longue existence romanesque, et par là même le minimum de détermination psychologique que permet l’écriture médiévale, aient pour le moins des comportements inattendus, au regard de l’image construite dans d’autres romans arthuriens. Il est donc plus intéressant de s’arrêter au traitement d’un personnage habituellement très secondaire dans ce type de récit : le « vilain ». Ce personnage, qui se résume souvent à un type social, se lit a priori comme stéréotypé. Dans la Suite du Roman de Merlin, des « vilains » apparaissent à divers moments du récit mais reçoivent des traitements fort différents. L’ouvrage a parfois été jugé d’une qualité littéraire assez médiocre : faut-il donc voir dans cet apparent écart un manque de maîtrise des règles du genre ou bien faut-il au contraire envisager une écriture des plus réfléchies, visant à une forme de subversion, fusse grâce à l’utilisation de motifs pré-existants dans d’autres genres ?

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