Loxias | Loxias 15 Autour du programme d'Agrégation de lettres 2007 | I. Littérature française | Marot: réédition du colloque de Nice 1996 et autres articles
Thierry Mantovani :
Sur le rondeau dit « parfait » de Clément Marot
Résumé
Il s’agit d’étudier une pièce de Clément Marot curieuse par sa forme : longtemps tenue pour unique en son genre, absente de la plupart des traités de seconde rhétorique. Ce rondeau dit « parfait », intitulé A ses amys apres sa delivrance, est resté une énigme dans l'oeuvre de Marot, si bien documentée par ailleurs.
Index
Mots-clés : accomplissement spirituel , genre noble, Marot, poétique libérée, rondeau parfait
Texte intégral
1NB : Cet article est paru dans Clément Marot et l’Adolescence clémentine, textes réunis par Christine Martineau-Génieys, Centre d’Etudes Médiévales, Association des Publications de la Faculté des Lettres de Nice, CID diffusion, Paris, 1997, pp. 59-77.
2Au printemps 1526, Clément Marot est emprisonné au Châtelet pour hérésie. Transféré d'abord à Chartres, sous un régime plus doux, il est définitivement libre, très symboliquement, le premier mai de la même année. C'est du moins ce qu'il avance dans son rondeau dit « parfait », A ses amys apres sa delivrance, qui, curieusement, ne paraîtra qu'en 1534 à la suite de la traduction du premier livre des Métamorphoses d'Ovide, dans une section intulée « Item Certaines oeuvres qu'il feit en prison, non encore imprimeez », pour finalement rejoindre et clore la section des rondeaux de l'Adolescence clémentine publiée par Étienne Dolet en 15381.
3Cette pièce n'est pas moins curieuse par sa forme : longtemps tenue pour unique en son genre2, absente de la plupart des traités de seconde rhétorique, elle est restée une énigme dans l'oeuvre de Marot, si bien documentée par ailleurs.
4Des éléments nouveaux, toutefois, pourraient peut-être nous aider à y voir plus clair. Il y a quelques années, en effet, nous avons trouvé par hasard dans le quatrième volume des Oeuvres de Clément Marot éditées par Lenglet du Fresnoy à La Haye en 1731, volume qui rassemble les oeuvres de Michel Marot, le fils, et de Jean Marot, le père, deux rondeaux parfaits attribués sans explication à ce dernier :
Oraison de nostre Dame en forme |
Aultre rondeau parfaict de la Croix |
de Rondeau parfaict, composé |
composé par ledit M. J. MAROT |
par Maistre Jehan Marot |
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Vierge enfantant, oultre loy de nature, |
En ceste Croix attaché pieds & main, |
Fille à ton fils & mere de ton pere, |
Vray doulx Jesus humblement je t'adore ; |
D'Adam issuë en pure geniture, |
Quant par ta mort rendis vie aux humains, |
Je te supply, garde moy d'impropere. |
Brisant enfer & nous ouvrant ta gloire. |
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Pour reparer l'offence très amere, |
Pour reparer peché diffamatoire |
Qu'Eve commist contre toute droicture, |
Commis jadis par nos peres Germains, |
Dieu se feist homme & adonc te feist mere ; |
Tu fis à Dieu de ton corps offertoire |
Vierge enfantant oultre Loy de Nature. |
En ceste croix attaché pieds & mains. |
Comme Soleil passe sans ouverture |
Cloué, fiché sur ceste croix remains |
Par la verriere, ainsi en ton repaire |
Mort estendu : Las! quel repositoire! |
Entra Jesus, lors fuz sans forfaicture |
Cecy pensant en jettant soupirs mains, |
Fille à ton filz & mere de ton pere. |
Vray doulx Jesus humblement je t'adore |
Depuis qu'Adam fust tempté de vipere, |
Te suppliant qu'en ce val transitoire |
Conceu ne fust sans peché creature, |
Nous donnes paix ; car bien sommes certains, |
Fors toy, qui es, malgré tout vitupere, |
Que tu en fis aux pecheurs inventoire, |
D'Adam issue en pure geniture |
Quant par ta mort rendis vie aux humains. |
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Ainsi que croy qu'en ta sainte closture |
Patriarches, Prophetes, Peres saincts |
Tu as porté celuy, qui tout supere, |
Congnurent lors ta triumphant victoire ; |
Royne des Cieulx, vierge & mere très pure ; |
Car de pechez les rendis nets & sains, |
Je te supply, garde moy d'impropere. |
Brisant enfer & nous ouvrant ta gloire. |
|
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Preserve moy d'infernale misere |
Si te supply qu'en ton divin pretoire, |
Donne moy joye enfin que tousjours dure ; |
Nous vueille mettre à l'heure & jour derrains, |
Et me maintiens en fortune prospere |
Aussi vrayment, que je croy ceste histoire |
Si vray comme es sans aulcune fracture, |
Que tu prins mort pour nous povres |
Vierge enfantant. |
En ceste croix.3 |
*
5Lenglet du Fresnoy ne donne pas ses sources. Il n'a pas tiré ces textes des éditions de Jean Marot parues au XVIe siècle4, ni de l'édition parisienne sortie en 1723 des presses de ce « petit brouillon de Coustellier », comme il l'appelle familièrement (p. 293, note 1)5. Giovanna Trisolini a signalé une version du premier rondeau, « Vierge enfantant oultre loi de nature », dans le manuscrit français 2206 de la Bibliothèque Nationale, recueil du milieu du XVIe siècle contenant des pièces difficilement datables (Recueil de Rondeaux, ballades, chants royaux en l'honneur de la Vierge)6. Notre texte, qui occupe les feuillets 13 v°-14 r°, sous le titre d' « Oraison a Nostre Dame », sans nom d'auteur ni mention du « rondeau parfait », présente quelques différences notables avec la version de Lenglet du Fresnoy : le vers 15 porte « Fors toy, qui es, malgré toute vipere », et répète donc la rime du vers 13, immédiatement avant laquelle, d'ailleurs, un mot a été biffé ; au vers 2, de est remplacé par a, ce qui est plus satisfaisant pour l'équilibre du vers (« Fille a ton fils et mere a ton pere ») ; la ponctuation diverge elle aussi, parfois plus judicieuse (vers 18, pas de virgule), parfois incongrue (vers 23, virgule après « maintiens »). Les graphies, bien sûr, ont été largement modifiées dans l'édition du XVIIIe siècle. Enfin, et surtout, le refrain final reprend tout le premier vers.
6Le texte qui nous est parvenu dans l'édition Lenglet du Fresnoy a donc une histoire, mais il n'est pas possible, en l'état de nos connaissances, d'éclaircir le mystère de sa genèse ; le manuscrit 2206 nous offre-t-il une version originale, ou procède-t-il d'une version antérieure ? Doit-on imputer la rime fautive au copiste, ou s'est-il contenté de reproduire fidèlement ce qu'il avait lu ou entendu ? Enfin, dans quelles proportions Lenglet du Fresnoy est-il intervenu ? A-t-il corrigé la rime de sa propre initiative, abrégé le refrain à l'imitation de Clément Marot, substitué sciemment de à a ? Est-ce le résultat d'une étourderie ou connaissait-il une autre leçon ? Il reste malheureusement muet sur la question. On peut du moins avancer que les titres, graphiés à l'ancienne, ne sont probablement pas de son invention, ce qui implique l'existence d'une copie nominative de nos pièces très antérieure7.
7A priori, abstraction faite de ce « vipère » redondant, la version manuscrite semble plus satisfaisante, ne serait-ce que parce que le scribe, plus proche de la source, et baignant dans le même climat culturel que l'auteur, devait être mieux informé.
8Quant à la paternité des textes, elle reste problématique. S'agit-il vraiment de Jean Marot ? Une confrontation avec son oeuvre connue et fermement attribuée autorise de fortes présomptions ; cela dit, la thématique, le style, le lexique même de ces rondeaux sont traditionnels, et cultivés fort avant dans le siècle dans les puys de Rouen, de Caen ou d'ailleurs. Reste le choix de Lenglet du Fresnoy qui, nous semble-t-il, n'aurait pas rangé ces pièces entre les oeuvres de ce poète sans de bonnes raisons.
9Ces réserves émises, considérons d'abord la structure du « rondeau parfait »8. Des théoriciens de la versification aux XVe et XVIe siècles, seuls Thomas Sébillet et Claude de Boissière en ont fait mention, mais d'une manière confuse qui, loin de régler la question, l'a plutôt embrouillée. Sébillet est le plus détaillé :
« Rondeau redoublé ou parfait. - Il y a une autre espéce de Rondeau dit parfait, ou redoublé, a cause que de moitié ou plus il surmonte le double en nombre de vers et de reprises, et se fait ou du simple ou du double, en sorte qu'il admet autant de coupletz qu'il y a de vers au premier couplet : et a la fin de chaque couplet suivant son ordre se répéte un vers du premier couplet l'un aprés l'autre. Mais avise que la reprise de cestuy n'est pas abondante hors du couplet comme és autres : ains le vers repris est du nombre dés constituans le couplet. Ce Rondeau estoit estimé souverain entre lés ancïens, et pourtant appellé parfait : aujourd'huy peu usité entre lés notres, qui reçoivent et usurpent le double de tréze vers avec reprise d'hémistiche pour le meilleur, mieus sonnant, et plus gracieus ».9
10Ces commentaires ont intrigué de nombreux érudits : non seulement Sébillet avance que ce rondeau, dont nous ne connaissons que trois réalisations, était fort apprécié des générations précédentes, mais la description qu'il en donne est fautive, ou du moins ne vaut-elle que jusqu'à la cinquième strophe, la sixième étant purement et simplement « oubliée ». On pourrait même croire, à le lire, que son rondeau parfait ne compte que quatre couplets : « il admet autant de coupletz qu'il y a de vers au premier couplet », ce qui fait quatre ; mais on peut supposer qu'il est sous-entendu : « en plus du premier couplet ». Cette énigme, ou plutôt cette fausse énigme, peut être expliquée aisément : le titre de cette section, Rondeau redoublé ou parfait, a favorisé la confusion entre deux formes distinctes : il apparaît plus que probable que les remarques de Sébillet ne s'appliquent pas au « rondeau parfait », mais au « rondeau redoublé ». C'est celui-ci qui “estoit estimé souverain entre lés ancïens”, pas l'autre. Quant à la description, c'est celle d'une variété de « rondeau redoublé », simplifiée pour les besoins de la cause, ou parce que notre théoricien ne savait trop qu'en dire : pas un mot, en effet, de la longueur des strophes, alors que les descriptifs du triolet ou du rondeau simple sont sur ce point très complets.
11Pour couronner le tout, Sébillet sème étourdiment des indices douteux qui brouillent encore un peu plus des pistes déjà hasardeuses. Ainsi peut-on lire, dans la section Reprise du rondeau Hemistiche :
« Reprise du rondeau Hemistiche. - Et pour entendre ceste différence de reprise ou répétition, tu dois noter que le Rondeau simple est lors parfait, quant à la fin du second couplet on répéte lés deus premiers vers du premier : et a la fin du tiers on reprend tout le premier entier ; ne plus ne moins qu'au Rondeau double (duquel orras parler tantost) pour le parfaire se repetent en fin du second couplet lés trois premiers vers du premier : et a la fin du tiers on reprend le premier entier : de quéle sorte tu en trouveras encore chés lés vieuz Pöétes, et en Moralités et farces... » (p. 124-25, nous soulignons)
12Il serait tentant d'inférer de ces remarques que le rondeau de Clément Marot a été appelé « parfait » (ou : que Clément Marot a appelé son rondeau « parfait ») parce qu'il rentrait de toute la ligne, si ce passage n'était pas un emprunt partiel à L'Art et science de rhetoricque metriffiee de Gratien du Pont10. Procédant d'un « collage » rapide de commentaires tirés de traités antérieurs, l'explication de Sébillet n'a donc pas de réelle pertinence pour le rondeau parfait, d'autant plus que notre poéticien précise quelques pages plus loin que l'on peut en composer ne rentrant qu'au premier hémistiche : « Tu en pourras faire d'autres qui ne reprendront en fin de leurs coupletz que lés simples hémistiches dés vers du premier couplet... » (p. 129). Il explique d'ailleurs, toujours dans la section ‘Reprise du rondeau hémistiche’, pourquoi les poètes contemporains ont préféré des rentrements courts :
« pource que se fachans de tant longue reditte, ont ausé pour le plus court et pour le meilleur de ne reprendre que le vers premier aus Rondeaus doubles et simples, ou deux ou trois mos premiers comme porte la sentence, signamment au Rondeau basty de vers de huit syllabes : et le plus souvent que le premier hémistiche, nomméement aus Rondeaus fais de vers de dis syllabes : lesquelz, comme lés héroïques Latins, requièrent a leur perfection et bonté, mot clos aprés la quatriéme syllabe masculine, et cinquième fémenine, que j'appelle hémistiche, c'est adire, demy vers. Pourtant est ce qu'és Rondeaus de Clément Marot, et de Jan Marot son pere, et de tous lés autres savans et famés Poëtes de ce temps, tu liras peu ou point de reprises plus longues que de l'hémistiche... »11.
13La « perfection » ne tiendrait donc pas à la reprise intégrale du vers à la fin du couplet, mais plutôt à la brièveté relative de cette reprise dans le rondeau parfait, par rapport aux refrains de plusieurs vers, voire d'une strophe, dans les rondeaux traditionnels.
14A la lumière des ces considérations, on peut supposer que Sébillet a multiplié les incohérences en voulant satisfaire des exigences difficilement compatibles : d'un côté, il puise d'abondance dans les traités antérieurs pour informer les chapitres consacrés aux genres à forme fixe, de l'autre il entend les illustrer largement, et presque exclusivement, avec des pièces de Clément Marot. Or la case « rondeau redoublé », chez notre poète, est vide, ou du moins n'en recèle-t-elle qu'une approximation, le rondeau parfait, dont Sébillet doit bien rendre compte et qui, si l'on n'y regarde pas de trop près, présente vaguement les caractéristiques de la forme considérée. Il s'ensuit un amalgame rapide (pas complètement injustifié, d'ailleurs) qui confond uniment « rondeau parfait » et « rondeau redoublé », pour le plus grand malheur des exégètes futurs.
15On ne trouvera pas de réel complément d'information chez Claude de Boissière, qui écrit dans son Art poetique reduict et abregé :
« Rondeau parfaict apres le premier des coupletz requiert autant d'autres coupletz, comme ledict premier a de vers & fault reprendre pour le dernier vers de chasque suyuant couplet, vn des vers du premier, selon son ordre.
Ainsi ayant reprins vn chascun des vers du premier couplet pour les autres coupletz accomplir, de rechef adiousteras vn autre couplet ayant autant de vers que le premier pour apres iceluy encores repeter le premier vers du premier couplet : comme aux autres Rondeaux »12.
16On se contentera de remarquer que Boissière n'exclut pas une reprise intégrale du premier vers à la fin du poème (« comme aux autres rondeaux » : c'est-à-dire « par moytié ou entier », comme il est dit à propos du rondeau simple, 10 v°). S'agit-il d'une libre interprétation, par analogie avec les autres types de rondeau, ou était-il mieux informé que nous ? Cette question, elle aussi, restera pour l'instant sans réponse.
17Il se dégage finalement de tout cela que le « rondeau parfait » est principalement issu du « rondeau redoublé », dont Gratien du Pont, dans son traité, livre un exposé détaillé (xxvj r°) ; il distingue le « Rondeau simple redoublé à cinq coupletz qui ne rentre que iusques à la couppe », c'est-à-dire avec reprise successive, de strophe en strophe, des seuls premiers hémistiches des vers de la première strophe (xxvi v°) : A1B1B2A2 abA1 abbaB1 abB2 abbaA2 ; un « Rondeau simple redoublé à quatre coupletz, duquel le premier couplet rentre de sa premier (sic) ligne », qui amorce la reprise dès la fin de la première strophe (xxvij r°) : A1B1B2A2A1 abB1 abbaB2 abA2 (noter que le deuxième refrain, dans l'exemple que donne l'auteur, se réduit à un hémistiche) ; enfin un “Rondeau double redoublé” rentrant sur toute la ligne (xxvij v°) : A1A2B1B2A3A1 aabA2 aabbaB1 aaB2 aabbaA313.
18Ces formes, la première en particulier, ont en commun avec celle décrite par Sébillet de reposer sur une redistribution en refrains des vers de la première strophe, soit à partir de la deuxième, et le rondeau comptera alors autant de strophes qu'il y a de vers dans la première, soit à partir de cette première strophe, auquel cas le texte aura un couplet de moins. On notera que les quatrains (sans compter le rentrement) des rondeaux simples redoublés sont construits sur le même schéma rimique (abba) que ceux du rondeau parfait. La grande différence est que le rondeau parfait, outre son sixième couplet, qu'il faut traiter à part, est isostrophique, quand les autres sont hétérostrophiques. Mais le principe qui régit leur construction est le même.
19Cela suffit-il vraiment à le rendre « parfait » ? Plusieurs interprétations de cette dénomination ont été proposées. Pour Gérard Defaux, par exemple, cette perfection résiderait
« justement dans son imperfection même, c'est-à-dire dans le fait qu'il a été complété d'un sixième quatrain surnuméraire à rentrement. La règle du jeu, inventée, semble-t-il en l'occurrence, par le poète lui-même, indique en effet que le poème devrait en bonne logique se clore à la fin du cinquième quatrain, puisque c'est précisément à cet endroit-là que le premier quatrain, épuisé, n'est plus susceptible de fournir un autre vers de reprise.[ ...] Et si, contre la logique qu'il a lui-même instituée, contre la règle qui, clairement, gouverne sa structure et son fonctionnement, le poème s'ajoute un quatrain supplémentaire, un quatrain dont le rentrement est justement constitué par l'expression « en liberté », c'est bien évidemment parce ce que [...] toute la stratégie du poète consiste en définitive à libérer sous nos yeux son discours de la prison formelle dans laquelle il l'avait d'abord enfermé. Rondeau au total absolument « parfaict », puisque sa forme même, entre toutes imparfaite, exprime métaphoriquement et parfaitement son thème - réfléchit, visualise, représente parfaitement ce dernier »14.
20L'explication est ingénieuse, mais doit être réactualisée : en choisissant délibérément cette forme rarissime qu'il n'invente pas, Clément Marot, effectivement, remet en cause la poétique traditionnelle, la soumet à la question, comme l'a bien montré Gérard Defaux. Toutefois, que les textes qui l'ont inspiré soient religieux et, surtout, peut-être de Jean Marot, modifie les données en profondeur.
21Frank Lestringant a suggéré que cette perfection résulterait de la combinaison de deux schémas prosodiques, la redistribution en refrains des vers de la première strophe, et le retour final de l'hémistiche initial ; rondeau idéalement « rond », donc, parce que « deux fois refermé sur lui-même »15. Hypothèse tout aussi séduisante, mais qui n'explique pas de manière tout à fait satisfaisante la présence de ce sixième quatrain qui déséquilibre la structure du rondeau.
22On peut essayer de comprendre ce mot « parfait » en répertoriant les usages qui en ont été faits dans les traités de seconde rhétorique. Le terme, en effet, y apparaît fréquemment, et dans des contextes variés. Le plus souvent, il exprime l'idée de complétude, d'achèvement. Il y a, par exemple, les syllabes « parfaites », masculines, et les « imparfaites », féminines, qui n'ont pas « parfaite resonance », qui ne portent pas « parfait son »16. Cette complétude du son devient, pour le rondeau, complétude du sens. Ainsi, Fabri explique-t-il l'art du rentrement comme suit :
« Item, qui veult faire rondeau, il le doibt faire rond, c'est a dire qu'il doibt garder necessairement que les fins et sentences de la demye ou dernieres clauses [=strophe] soient si subtillement practiquees auec le commencement de la premiere clause, que il semble que la premiere clause soit necessaire pour conclurre en sentence, et que de eulx mesmes ilz soient concludz et portent sentence parfaicte sans reprendre le commencement de la premiere clause, car tout rondeau doibt estre clos en soy, c'est a dire chascune clause doibt estre de sentence parfaicte sans rentrer a la premiere partie du rondeau. Le rondeau aussi doibt estre ouuert, c'est a dire que les fins des deux dernieres clauses soient suspens et contenues en substance auec la premiere partie du premier couplet »17.
23Un bon rondeau, un rondeau parfait, si l'on ose dire, doit rentrer, clore et ouvrir. Un couplet est « clos » quand il constitue un sens complet, une « sentence parfaicte », sans le rentrement ; « ouvert », avec le rentrement. Un rondeau bien tourné, clos et ouvert, superpose donc deux lectures, avec et sans rentrement18. Par conséquent, la longueur de ce rentrement n'est prise en compte que secondairement, dans la mesure où elle contribue à l'achèvement du sens.
24Plus simplement, dans l'acception la plus évidente du terme, sera « parfait » un rondeau sans défauts, respectant point par point les règles du genre ; c'est en ce sens que Gratien du Pont paraît l'entendre dans un rondeau simple (quatrain) que, visiblement, il a composé contre Marot :
...Rondeau quatrain mes bons amys
Se doibt faire comme suys faict
Aultrement se nommer parfaict
(Ny bon) à nully n'est permys.
Maulgre de tous mes ennemys
Ie suys au vray mis en effaict.
Rondeau quatrain mes bons amys
Se doibt faire comme suys faict
Poinct ne suys à vices soubz mys
Ny de syllabes imparfaict
Je suis certes notable faict
Et ne seroys mieulx estre mys
Rondeau quatrain mes bons amys
Se doibt faire comme suys faict
Aultrement se nommer parfaict
(Ny bon) à nully n'est permys19.
25Ce rondeau à ses « bons amys » qui répond, avec ses rimes transparentes, à l'autre rondeau « A ses amys apres sa delivrance », rappelle à l'ordre le Marot « didactique » inaugurant la section des rondeaux de l'Adolescence avec une leçon de composition impertinente (rondeau I, « Rondeau responsif à ung aultre, qui se commenceoit, Maistre Clement mon bon Amy »). Le rondeau de Gratien du Pont, lui, est « parfait » non seulement parce qu'il respecte strictement les lois du genre, mais aussi parce qu'il n'est pas “de syllabes imparfaict”, c'est-à-dire qu'il est dépourvu de rimes féminines (ce sont là les obsessions habituelles de ce mysogine notoire). Le Toulousain revient à la charge plus loin avec deux « rondeaulx doubles redoublez » (xxvij v°-xxviij v°) : à l'instar du précédent, le premier est construit sur les rimes « faict/parfaict/imparfaict, etc » ; le second est une séquelle évidente de la querelle qui, en 1537, avait opposé Clément Marot à l'obscur rhétoriqueur de Rouen, François Sagon, impliquant, de près ou de loin, la fine fleur des milieux littéraires : ouvertement inspiré du fameux rondeau « A ung Poëte ignorant » (Adolescence, VII, « Qu'on meine aux Champs ce Coquardeau »), il en reprend les homophonies, voire les rimes (nouveaulx, cerveaulx, jouvenceaulx, pourceaulx, troppeaulx, veaulx...) pour répercuter les injures que s'étaient généreusement échangées les belligérants. Sagon lui-même, comme l'a fait remarquer Gérard Defaux, semble faire allusion au sujet qui nous occupe dans ce passage du Rabais du caquet de Fripelippes et de Marot :
.... Ce veau plain dignorance
Qui va escrire et semer dasseurance
Que de Sagon a louurage refaict a
Et ce villain nen a ung seul parfaict,
Veoy gros asnier : en ton adolescence
Vng chant royal qui ayt parfaicte essence.
Tu trouueras (sans que nous debatons)
Lun deulx clocher avec quatre bastons. [=strophe] b
Veoit on faillir la muse Sagontine
En chant royal comme la Marotine.
Vecy la ligne ou mist tous ses espritz
Seulle merite entre toutes le prix c
Vela de quoy voulut chant royal faire
Mais onc ne sceut lacomplir ou parfaire
Regarde bien comme il est imprime20.
26Le texte visé par Sagon sous l'identité de son page fictif, Boutigni, est le Chant royal de la conception Nostre Dame (Incipit : Dedans Syon au Pays de Judée) de Clément Marot (t. I, Suite, section Chants divers, V, p. 352), qui ne comptait initialement que quatre strophes lors de sa première publication dans la Suite de l'Adolescence clémentine en 1533-34. Gérard Defaux en déduit que le rondeau parfait, avec sa strophe surnuméraire, serait la réplique à des attaques déjà anciennes de Sagon (juste après la publication de la Suite), bien avant que le rhétoriqueur ne les immortalise sur le papier, et qu'il pourrait donc avoir été composé, non en 1526, date acceptée actuellement, mais en 153421. Si cette hypothèse intéressante n'est pas facilement vérifiable, il est certain que le rondeau parfait, et pour Marot, et pour ses détracteurs, est une pièce emblématique qui, donnée par son auteur comme le parangon d'un genre qu'elle malmène justement avec une désinvolture insolente, fonctionne pour ses dédicataires, les « amis » du poète, comme un signe de ralliement, et pour ses adversaires, les tenants d'une poétique orthodoxe, comme une provocation, un scandale idéologique (Marot a été emprisonné pour des raisons religieuses) et formel22.
27Surtout, il est révélateur que, dans cette polémique, chant royal et rondeau parfait soient étroitement mêlés. En effet, on sait que le chant royal, le genre à forme fixe le plus prestigieux dans la première moitié du XVIe siècle, est traditionnellement voué à la liturgie mariale. Or le premier « rondeau » de Jean Marot, « vierge enfantant oultre loi de nature », relève de la même thématique. Sous le titre neutre d' « Oraison a nostre Dame », comme il a été dit, il est rangé dans le manuscrit 2206 entre des chants royaux célébrant tous la gloire de la mère de Dieu. Quant à l'autre rondeau, il repose sur le thème non moins traditionnel du Christ en croix23. Cette dimension religieuse en dit long sur la destination première du « rondeau parfait », et sur les motifs qui ont pu présider à sa naissance.
28L'intertexte, en la matière, est riche, et déborde largement le cadre du rondeau. Ainsi Jean Molinet, l'illustre rhétoriqueur, a composé un « servantois » dédié à Marie dont la troisième strophe s'achève sur le vers « Vierge enfantant et après, sans doubtance »24. S'agit-il d'une source du premier « rondeau parfait » de Jean Marot ? Le « servantois », autre fleuron de la célébration mariale, est étroitement apparenté au chant royal : cinq strophes (mais sans refrain), le plus souvent de onze vers, et un envoi. Le rondeau atypique qui nous occupe n'est-il pas dérivé de ces genres plus nobles, plus graves ?
29Il présente des analogies avec d'autres genres à forme fixe, comme le « chapelet » qui, d'après Fabri, se construit ainsi : A1B1B2A2 abA1B1 baB2A2 abbaA1B1B2A2 abbaA1B1B1A2 abA1B1 baB2A2 abbaA1B1B2A2. Cette forme complexe repose, elle aussi, sur une redistribution en refrain des vers de la première strophe, mais elle est encore trop éloignée de notre rondeau pour nous être de quelque secours. En revanche, la « pallinode », cousine du « chapelet » selon Fabri (vol. II, p. 77), et du rondeau pour d'autres, est en beaucoup plus proche : A18A23B18A38A43B28B38B43A58B58B6A68 a8a3b8a8a3b8A18A32B18 a8a3b8A38A43B28 b8b3a8B38B43A58 b8b3a8B58B63A68 a8a3b8a8ab8b8b3a8b8b3a8 [per totum]25. Cette pièce hétérostrophique et hétérométrique met en oeuvre la reprise graduelle de la première strophe, en quatre reprises de trois vers. Elle s'achève avec une sixième strophe construite sur le même schéma métrique que la première qui, répétée dans son intégralité, fait office de refrain final. Simplifiée, la formule donne ceci (A1=A1A2B1, A2=A3A4B2, B1=B3B4A5, B2=B5B6A6, a=aab, b=bba) :
A1A2B1B2 aaA1 aA2 bB1 bB2 aabb [refrain]
30Qu'on la compare avec la structure du rondeau parfait :
A1B1B2A2 abbA1 baaB1 abbB2 baaB2 abba [rentrement]
31Les parentés sautent aux yeux : une première strophe, la matrice, qui s'égrène sur les quatre strophes suivantes, une sixième strophe enfin, flanquée, dans le premier cas, de la première et, dans le second, d'un simple rentrement, mais qui, virtuellement, “contient” tout le premier couplet. On sait que le “rentrement” n'est d'abord, quand le rondeau est encore chanté, qu'une abréviation qui vaut pour plusieurs vers. Ce n'est que plus tard, après que musique et poésie eurent suivi des chemins différents, qu'il devint une règle canonique en contexte scripturaire. De plus, la « pallinode » publiée par Fabri (et dont le refrain final est d'ailleurs abrégé aux deux premières vers) est elle aussi consacrée à la Vierge, et a peut-être été connue de Jean Marot, ou du moins de l'auteur du rondeau (de l' « oraison ») « Vierge enfantant... ». On rapprochera en effet les vers 2 et 3 de la pallinode : « Fille au pere/De ton filz, nostre redempteur », du vers 2 du rondeau : « Fille à ton fils & mere de ton pere » ; les vers 1 et 9-10 de la pallinode : « Royne des cielz, tresuierge mere », « De iamais plain de vitupere/Te suppliant du bon du coeur », des vers 19-20 et 15 du rondeau : « Royne des Cieulx, vierge & mere très pure ;/Je te supply, garde moy d'impropere », « Fors toy, qui es, malgré tout vitupere ».
32Le « rondeau parfait » enrichit donc la palette du genre, mais dans une forme renouvelée lui conférant une dignité qui manquait aux rondeaux traditionnels, poèmes à tout faire de la seconde rhétorique. Cette promotion, dans le premier quart du XVIe siècle n'est pas fortuite. Dans une étude récente, Gérard Gros a rappelé que le Puy de Rouen, le premier, instaure un prix du rondeau en 151026. Comme il l'écrit très justement, « Le Puy reprend le genre profane alors à la mode pour l'inscrire au programme pieux » (p. 117). La thématique est traditionnelle : exaltation de la Vierge et de sa perfection, mais le traitement est différent : le rondeau exploite surtout « l'invention formelle et la virtuosité lyrique », alors que le chant royal est plus fondé sur « la pertinence et la qualité du discours » (id., p. 129).
33Cette réforme a-t-elle joué un rôle dans la naissance du « rondeau parfait » ? Jean Marot, en habitué du Puy de Rouen, où il a concouru à plusieurs reprises, et avec succès, a-t-il voulu se livrer, dans cette perspective, à des expérimentations formelles originales ? Cela n'aurait rien d'étonnant chez cet artisan injustement méprisé qui a prouvé son goût de l'innovation en composant un chant royal singulier, dédié au Christ en croix, justement, et qui répète le refrain non seulement à la fin de chaque strophe, ce qui est la règle commune, mais aussi au début27.
34Les modèles ne manquaient pas autour de lui, et il était tentant de puiser dans les productions des contemporains et des prédécesseurs immédiats, à commencer par le fameux rondeau de Guillaume Alexis, « Veuillent ou non les maulditz envieux », rondeau de référence des concours des Puys28. Les vers 18 et 19, « Il est mon filz, mon pere et Dieu des Dieux,/Sa mere suis, sa fille et son ancelle », rappellent en effet le rondeau parfait « Vierge enfantant... » (v. 12), qui présente par ailleurs des ressemblances avec des rondeaux palinodiques publiés par Gérard Gros dans l'article mentionné : on trouve dans une pièce de Thomas Le Prévost, primée en 1522, outre les mêmes rimes (prospere, impropere, pere, mere, amere, espere, vitupere...), des formulations très voisines : « Par ce moyen je suis, sans coulpe amere,/Mere à mon pere et fille au Dieu des dieux » (v. 7-8, p. 128) ; un autre rondeau, de 1524, (inc : « Au fils parfaict je suis mere parfaicte ») entrelace à la rime des variations brillantes sur la perfection de la Vierge : « parfaicte, part faicte, faict, parfaict, infaicte... »29.
35On peut inférer de ces rapprochements que le rondeau parfait, d'inspiration palinodique, a été refait à partir de rondeaux traditionnels pour s'élever à une dignité nouvelle. Aussi la dernière strophe fonctionne-t-elle comme un envoi, particulièrement dans la version manuscrite où, avec son refrain étendu à tout le vers, elle se distingue des autres couplets pour approcher en étendue l'envoi traditionnel du chant royal. Le rondeau parfait se modèle ainsi sur cette poésie hiératique : il gagne en volume, en régularité (isostrophisme), en complication, ce qui équivaut, en ces années, à une promotion : l'allongement, en effet, n'est pas compensé par une diversification des homophonies, qui se concentrent encore sur deux rimes.
36Il apparaît donc comme une pièce composite au carrefour des genres à forme fixe. Placé stratégiquement à la fin de la section des rondeaux, il résume et achève une certaine poétique. Dans le même temps qu'il condense les contraintes que des générations de versificateurs habiles s'étaient évertuées à raffiner, il témoigne de l'éminente flexibilité d'un genre qui, au début du XVIe siècle, n'a plus de fixe que le nom. Cette apothéose annonce aussi le déclin du rondeau et de tout ce qu'il représente.
37Avec le rondeau parfait, Clément Marot prépare le passage à une poétique libérée qui s'épanouira particulièrement dans la chanson, puis dans les Psaumes. Mais la transition ne va pas sans quelques trébuchements. La forme de la première chanson, en effet, est révélatrice : bâtie, comme le rondeau parfait, sur des quatrains abba, elle donne l'impression d'être inachevée, ou plus exactement d'être en voie de mutation, à mi-chemin entre les genres dits fixes et les chansons plus régulières, et plus souples, qui suivent : le refrain ne revient que dans les deux premières strophes, créant une asymétrie étrange qui marque une rupture sur les plans formel, thématique et expressif : l'attente déçue du troisième quatrain (le refrain absent) souligne le dépit de l'amant éconduit en même temps qu'elle inscrit le poème dans un projet concerté de quitter les anciens genres pour un style moins contraint ; mais cette émancipation, annoncée dans le rondeau parfait (« en liberté ») qui clôt (et enterre) la série des rondeaux, n'est pas sans périls, ni déchirements : le poète, en ouvrant la section des chansons sur une négation (« Plaisir n'ai plus... »), paraît confondre la quête de l'aimée et la quête du poème et, tout en se risquant encore timidement à une matière nouvelle, puise dans la tradition courtoise pour différer une rupture qu'à l'évidence il n'a jamais pu, ou voulu, consommer. Libération progressive, donc, non sans réticences ni hésitations : la première chanson est encore construite sur deux rimes (exclusivement masculines, d'ailleurs), la seconde en module déjà trois, la troisième, enfin, jongle avec neuf rimes, trois par strophe. Mais les rimes annexées ou enchaînées des chansons I et III, vestiges de la Grande Rhétorique, sont encore là pour affermir la cohésion fragile d'une forme qui se cherche.
38Ces expérimentations formelles n'interviennent pas, bien évidemment, dans un contexte idéologique neutre. Il n'est pas innocent, en effet, que Marot ait choisi une forme qui, comme nous avons essayé de le démontrer, paraît avoir été forgée pour élever le rondeau à la solennité d'un genre noble. Le rondeau parfait de Clément joue ainsi de l'ombre et de la lumière, nourrit le texte visible d'une poésie secrète et, sous l'adresse enjouée aux amis retrouvés, invoque silencieusement l'ombre du père.
39Mais en détournant un genre voué à la dévotion la plus traditionnelle, la plus orthodoxe, pour lui faire entonner un chant de liberté qui sent fortement le fagot, Marot rend un hommage ambigu à la piété simple du rhétoriqueur. C'est, en raccourci, toute l'attitude complexe, ambivalente, souvent confuse d'un poète dont on ne sait plus s'il joue ou bien s'il lutte avec la tradition, s'il l'honore pour en souligner mieux l'obsolescence, et marquer ainsi sa différence, ou s'il l'exploite lucidement, méthodiquement, en tirant, le plus souvent, le meilleur, quitte à la dévoyer et, en quelque sorte, à la retourner contre elle-même.
40Faut-il vraiment, d'ailleurs, choisir entre deux grilles de lecture ? Le poète qui avait traduit « L'oraison contemplative devant le crucifix » et les « Tristes vers de Philippe Beroalde », ne pouvait qu'être séduit, voire troublé par ces deux rondeaux fantômes, singulièrement le second, le « rondeau parfaict de la Croix », cette oraison au Christ martyre et triomphant, que l'on entend résonner, de loin en loin, dans l'oeuvre de Clément Marot, à commencer par son rondeau parfait : « Mais en prison pour tant je fuz cloué », « A Chartres fuz doulcement encloué » ; « Pendit en croix, encloué piedz, & mains » ; « Donc comme Christ en la croix attaché/Mourut pour toy, mourir pour luy desire » ; « Car Dieu a tout conclus dessoubz peché,/Dont a voulu estre en croix attaché »30. Cloué, attaché, encloué... L'identification christique, à peine visible dans les bornes étroites du rondeau, devient obsédante lorsque l'on superpose les textes.
41Identification pourtant « naturelle », presque inévitable, pour un homme qui, au nom de sa foi, a été ou sera persécuté, emprisonné, condamné à mort, contraint à l'exil. Identification que Marot, nouveau David, achève et proclame dans la traduction des Psaumes :
Icy oyt on l'Esprit de Dieu, qui crie
Dedans David, alors que David prie :
Et faict de luy ne plus ne moins, que faict
De sa musette ung bon joueur parfaict.
CHRIST y voyrrez par David figuré,
Et ce qu'il a pour noz maulx enduré31.
42Avec le rondeau parfait, l'analogie reste voilée, elle se cantonne dans un en deçà à peine suggéré. Qui était capable, alors, de déchiffrer le jeu des correspondances, des réminiscences et des échos qui traversaient le texte en profondeur ? Qui connaissait les « oraisons » que nous voulons attribuer à Jean Marot ? Quelques rares privilégiés, sans doute, en-dehors du fils qui, peut-être, a sciemment enterré les sources, ou du moins ne s'est pas inquiété de leur diffusion, pour en usurper les mérites de l'invention, et faire ainsi passer un héritage pour une nouveauté. A cet égard, Jean Marot est, aussi, une création de Clément, une image stylisée à travers une oeuvre épurée, « émondée », aux frontières incertaines. Quelle est la part du fils et celle du père dans un corpus flottant où, souvent, les deux Marot paraissent se confondre ?
43D'une génération l'autre les textes et les idées circulent ; subsiste, inchangée, la quête d'un accomplissement spirituel qui, pour se dire, exige une forme sans défauts, parfaite.
Notes de bas de page numériques
Pour citer cet article
Thierry Mantovani, « Sur le rondeau dit « parfait » de Clément Marot », paru dans Loxias, Loxias 15, I., Marot: réédition du colloque de Nice 1996 et autres articles, Sur le rondeau dit « parfait » de Clément Marot, mis en ligne le 06 décembre 2006, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=1414.
Auteurs
GRAC. Lyon II