Loxias | Loxias 9 Littératures d'outre-mer: une ou des écritures « créoles » ? 

Jérôme Ceccon  : 

Diaspora haïtienne déplacée : Halte aux States !

Haïti plurilingue en Amérique du Nord

Résumé

Longtemps marginalisée, la littérature haïtienne est revenue sur le devant de la scène grâce au Bicentenaire de 2004, célébré entre autres par Lyonel Trouillot. Les événements politiques ont parfois pris la place de ce que la société haïtienne a de positif à offrir : sa littérature.
Dans mon article, j'ai décidé de m'intéresser à un phénomène en devenir, la littérature haïtienne de la diaspora aux USA (en langue française et anglaise). Dans ce glissement de langue et de statut, le littérateur haïtien acquiert une nouvelle dimension et, comme nous le rappelle l'œuvre d'Edwidge Danticat, fait s'inscrire l'écrivain dans une nouvelle dimension du “ Tout-Monde ” glissantien.

Index

Mots-clés : Adesky (Anne-Christine d') , comparatisme, diaspora, Edwidge Danticat, exil, Haïti, Marie Chauvet

Texte intégral

When one dreams, one dreams alone. When one writes a book, one is alone.
Wilson Harrisi

1Phénomène déjà ancien, l’exode massif des haïtiens (de toutes les couches sociales et pour les raisons les plus disparates que d’autres ont largement commentées dans des études multidisciplinaires de grande qualité reliées souvent au mouvement des “ cultural studies ” américaines, mouvement que de nombreux francophonistes remettent en question lorsqu’il s’agit de parler des littératures francophones postcoloniales, mais c’est là une autre histoire qui voit s’affronter les culturalistes et les “ autres ”), cet exode vers les Etats-Unis d’Amérique a tendance à se transformer au gré des effets de la mondialisation/globalisation planétaire en une ouverture humaine portée par de jeunes écrivains, des femmes à leur tête, ouverture qui jette un pont entre l’anglophonie dominante et la francophonie.

2Sans aucun conteste, toute étude qui s’intéresse à la littérature de la diaspora haïtienne en Amérique du Nord se doit de rendre un hommage à cette grande dame des lettres que fut Marie Chauvet1. Je ne me lancerai pas ici dans un commentaire biographique de sa vie et de son œuvre mais je rappellerai à ceux qui ne la connaissent que très peu qu’avec Marie-Thérèse Colimon2, elle a lutté toute sa vie contre les abus en tous genres dont sont victimes les femmes, les malheureux, les déshérités et tous les faibles. Notons au passage que les œuvres de Marie Chauvet ont été pendant très longtemps introuvables mais que les éditions Maisonneuve et Larose ont commencé en 2004 une réédition de toute l’œuvre de l’auteur.

3Idéaliste, ouvertement anti-esclavagiste, anti-colonialiste (dans ses formes externe et interne), contre la superstition vaudouisante, luttant contre la misère de son peuple, son existentialisme est pour elle un humanisme comme chez l’anglophone du Ghana Ayi Kwei Armah qui dans son ouvrage L’Age d’or n’est pas pour demain3 exprime dans un existentialisme tout sartrien la révolte sourde, et elle contribue par ses écrits, au même titre que Sartre et Fanon à décoloniser les esprits antillais, parlant du haut de cette mégalopole new-yorkaise où elle a trouvé refuge jusqu’en 1973, date de sa mort.

4Voyageant sur le bord du précipice, du gouffre du borderlines, Marie Chauvet nous accompagnera ici à travers son Amour, sa Colère et sa Folie jusqu’à l’amour, la colère et la folie de la romancière la plus prometteuse de ce début de vingt-et-unième siècle, Edwidge Danticat. Faulknérienne dans l’intertexte, Marie Chauvet a puisé de nombreuses références chez l’auteur américain comme l’a fort justement remarqué une Haïtienne restée au pays pour écrire, Yanick Lahens4. Relevant la contingence historique qui pour Chauvet se matérialise dans la montée de la dictature en Haïti dans les années 60 et pour Faulkner dans le tourment cruel et tout en reflet des vaincus oubliés de la guerre de sécession, Lahens nous montre comment Chauvet, à l’instar de Faulkner, réussit avec brio à rétablir un autre poids de l’histoire, passant par l’inconvenance de la description du vécu et de ses moments si ordinaires mais si oubliés par le discours récupérateur du politique. Alors que chez Faulkner, la grande lucidité des personnages les conduit au cauchemar de la chute, Marie Chauvet refuse la paralysie aux siens qui iront, chemin faisant, vers des lieux plus resplendissants. Mais resplendissante n’est pas la langue de Chauvet au sens où l’on entend celle de Faulkner qui, tel un volcan, crache la signifiance du désordre intérieur que ces personnages vivent. Légaliste dans la langue, Chauvet ne rejoindra Faulkner que dans des moments de concertation pendant lesquels les deux auteurs, dans l’intertextualité narratologique, pourraient sembler discuter entre eux des tourments de ceux qui ont tout perdu. Ecriture des borderlines, inscrite dans une métaphysique du temps, notion ô combien philosophique, Chauvet inaugurera cette nouvelle littérature, pour l’instant encore en langue française, qui s’écrira en Amérique (Etats-Unis et Québec/Canada).

5Chauvet mais aussi une jeune journaliste/romancière comme Anne-Christine D’Adesky racontent dans des termes souvent apocalyptiques distincts du sens occidental que Derrida donne à ce terme en tant que représentant de ce que Michel Houellebecq appelle les philosophes occidentaux en pleine déliquescence tels Lacan et Deleuze, la détérioration de la cohésion sociale et la totale déshumanisation des individus. Nous sommes là dans un imaginaire de la fin, sans espoir de révélation et/ou de dévoilement, là où l’on bascule dans la catastrophe, dans cette logique de l’apocalypse.

6Rien d’autre que l’évocation apocalyptique ne pouvait en tout cas rendre hommage à cette prise de parole niée et vouée au culte du silence. Mais la force de ces narrations se trouve justement dans le royaume du subconscient qui transforme le silence en potentiel révolutionnaire. La culture-lacune, terme utilisé par l’haïtiano-canadienne Myriam Chancy5 trouve dans le royaume des rêves, porteurs du bien commun, la force d’affirmer la collectivité féminine et à travers elle la culture dans son ensemble. L’imagination littéraire est d’ailleurs une des caractéristiques qui lient les traditions littéraires haïtiennes du dedans et du dehors et transcendent la différence linguistique et la triade, tri-langue pour adopter la terminologie kathibienne6 entre français-anglais et créole. Chez les deux auteures, le monde du subconscient est rendu plus “ réel ” que ce qui peut être documenté ou même rendu dans et par le texte dans un phénomène littéraire postmoderne qu’il conviendrait de définir “ subconscient réalisé ” ou “ réalisme subconscientique ”. Chauvet et D’Adesky utilisent le pouvoir destructeur de la rhétorique apocalyptique tout en en invertissant les codes ; l’imaginaire sert de cadre à la régénération plus qu’à l’expression d’un désespoir. Le pire ayant eu lieu, les rêves font partie d’un monde meilleur. Ces rêves passent narratologiquement par l’intertextualité profondément ancestrale et pas seulement archivistique de la tradition. La révolution idéologique est appelée de ses vœux et passera par l’imaginaire pour se matérialiser dans les esprits d’abord et dans la réalité ensuite.

7L’apocalypse occidentale qui semble se répéter encore aujourd’hui avec l’intervention occidentale dans les affaires irakiennes et haïtiennes n’est peut-être pas si différente  de celle des régimes en place en Haïti avant l’intervention occidentale. Dans le cas de Under the Bone (1990) de D’Adesky, la référence historique est là puisque l’action se situe six mois après le coup d’état de 1986. La complicité américaine est alors pointée du doigt lorsque le personnage de D’Adesky, Leslie Doyle, une activiste américaine des droits de l’homme, rencontre et se confie à un homme haïtien alors que tous les deux se trouvent dans l’avion qui les ramène en Haïti. Le but de la jeune activiste américaine est de rechercher des témoignages oraux de femmes emprisonnées sous les Duvalier car les preuves écrites sont quasi inexistantes et elle doit donc pour cela faire appel surtout à la transmission orale de la mémoire. La mémoire comme on l’entend dans la tradition haïtienne s’oppose toutefois  à la notion occidentale de quantifiable et met la jeune américaine dans un malaise profond lors de ses recherches.

8Pour beaucoup d’auteurs francophones de la première génération, les Etats-Unis d’Amérique ont pourtant longtemps représenté une impasse. Certains comme Cauvin Paul déclarent même :

“ New York est un sérail qui vous prend à la gorge. L’imagination est broyée, assassinée par des bruits de ferrailles… ça étouffe, ça tue… L’écriture ne peut germer sur un terrain aussi aride ”.

9Parlant encore de New York, il renchérit :

“  NY, c’est un milieu vraiment délétère. La journée de 8 heures ne permet pas à un écrivain de créer… Et puis, comme en Haïti, ici on ne sait pas pour qui on écrit, le public est fictif ”.

10Parlant de la réception des écrivains haïtiens par les écrivains “ noirs américains ”, il dit la chose suivante :

“ L’œuvre littéraire en tant que telle n’intéresse pas tellement le milieu noir américain, probablement parce qu’ils préfèrent la littérature poétique haïtienne mais aussi à cause de la barrière de la langue ”.

11Mais revenons à ce qu’il est possible de dire maintenant sur son œuvre à lui. La transgression narrative, qui est au cœur de la modernité littéraire comme sujet et objet, est présente chez Cauvin Paul. Il n’y a donc pas ici une série linéaire allant de l’anecdote qu’on raconte soigneusement au mode d’écriture que définit la répartition du temps (catégories de la chronologie et de la vraisemblance factuelle). Cette volonté de produire/transformer un texte écrit sur la situation politique n’explose pas dans la langue et cette absence d’originalité et de renouveau, commune à bon nombre d’écrivains haïtiens de l’exil, Joseph Ferdinand l’analysa avec force dès 1983 dans le numéro 22 de Collectifs Paroles. Les coupures de phrases : “ Bing ! … pulsation au cœur de la nuit – Qui êtes-vous ? Le croque-mort a peur. – Qui êtes-vous ? Feu, Feuuuuu, etc ”, cachent mal un discours sloganiste sans réelle violence créatrice. Ce que cette œuvre a de faussement moderne et d’essoufflé est dû pour beaucoup à une prosodie terriblement répétitive avec des rebuts traditionnels pesants. La métaphore terrifiante des “ têtes sans corps ”, véritables suppôts de Satan et escadrons de la mort, constitue d’ailleurs la trame principale du récit. 

12Roger Pradel est un autre cas d’haïtien né au début du siècle et contraint à l’exil en 1965. Ses racines culturelles plongent dans la langue française qui est selon ses propres mots un sanctuaire dans lequel il se réfugie. C’est toutefois un auteur totalement inconnu qui de son exil à Ann Arbor n’a jamais eu le souci de sa réputation et renommée. Pourtant, saisir l’histoire, avec ses contorsions politiques, sa percutance, son rituel, qui se construisent dans la pratique quotidienne, tel est le mérite essentiel de cet attachant et très agréable auteur et de son livre qui réunit un court roman (Les Exploits du colonel Pipe) et une nouvelle assez longue (“ L’Averse ”). A travers sa lecture personnelle et commune des événements politiques de 46, du régime de Magloire et du gouvernement de Papa Doc, il en ressort toutefois une mystification politique qui laisse à penser que les classes moyennes noires (la notion est déjà discutable) étaient “ au pouvoir ” sous Duvalier. Malgré tout, Pradel réussit à le dire à la face du monde, avec une grande économie de ton et de rythme, dans un style linéaire codifié qui traduit une certaine originalité teintée de tendresse pour les réalités politiques nationales si terribles.

13Devenu vagabondage mondial, phénomène qui caractérise une veine importante de la nouvelle littérature en anglais, créée par des écrivains originaires des anciennes colonies britanniques comme Salman Rushdie, Ben Okri et Caryll Phillips et qui se détache de la littérature purement nationale pour entrer dans un Tout-monde glissantien, la littérature haïtienne de la diaspora prend le train en route et crée une tendance littéraire aux problèmes taxinomiques non résolus lorsque le texte lui-même s’écrit maintenant en anglais comme c’est le cas chez Edwidge Danticat. Des ecos del Caribe arrivent jusqu’à l’Amérique et ces échos ont pour caisse de résonance des auteurs de talent.

14Edwidge Danticat est l’une de celle-ci. Effet décentré donné par la narration en anglais-américain regorgeant de créolismes dans l’espace intercalaire du récit, le salut est justement donné par cet espace “ interlectal ”, cet enchevêtrement des langages et des langues. Dépassant le rapport conflictuel haïtien avec la langue, française pour oppression, créole pour nation, l’identification, ni avec l’une ni avec l’autre, cette coupure du cordon ombilical et cette (dé)connexion d’avec la réalité francophone, tout cela concourt à décoloniser l’esprit comme nous le rappelle Armando Gnisci dans le cas des littératures postmodernes et postcoloniales, philosophiquement relié à ce que Gianni Vattimo appelle “ Il Pensiero Debole 7, c’est-à-dire un rapport au monde et aux autres décomplexé et participant d’une conscience littéraire universelle, s’exprimant en partie dans la ville états-unienne, symbole de résistance. Cette co-présence est vivante chez cette écrivaine phare qu’est Edwidge Danticat mais également chez certains poètes venus d’Haïti et installés en Amérique du Nord, s’inspirant probablement sans même le vouloir d’une tradition au départ francophone qui voyait des auteurs comme par exemple Stanley Péan8 mélangeait son récit aux rythmes cassés et swinguant de la musique afro-américaine, jazz et blues en tête. Postmoderne dans cette soif de l’univers, les écrivains haïtiens de la diaspora puisent leur vitalité narrative chez Borges comme chez Bukowsky. Américanité langagière et de l’imaginaire, la symbolique du continent nourrit l’auteur haïtien. L’éparpillement des vécus qui atterrissent dans l’Amérique anglophone et prospère, des mémoires qui s’établissent sur cette nouvelle terre d’asile et des langages qui se mélangent, concourent à des déplacements faits de réticences, d’hésitation et toujours plus d’ouverture sur le monde qui, sans être dissout, est diffracté comme nous le montre Edouard Glissant9 lorsqu’il définit la créolisation en opposition à la créolité figée de l’establishment parisiano-antillais. Ressourcée dans le mouvement, tourmentée dans son éventuel enfermement identitaire et dans une fausse quiétude nationaliste, la littérature haïtienne de la diaspora qui s’écrit en Amérique du Nord trouve dans cette ambivalence un ressourcement salutaire qui l’amène à transcender les repères en tout genre qui jalonnent son parcours et qui cessent de déterminer sa destinée. Ambivalence du dédoublement fictionnel permettant d’opérer un renversement servant de caisse de sonorité dans le vaste monde d’aujourd’hui et de la postcolonialité. C’est probablement ce que les écrivains de la créolité n’ont pas réussi ou voulu faire, coincés qu’ils étaient dans leur rapport identitaire avec l’autre et entre centre et périphérie dans l’affrontement entre le dominant et sa langue et le dominé et son dialecte. L’ailleurs qui marque et l’ici qui s’inscrit dans une permanence font d’ailleurs de l’œuvre d’Edwidge Danticat une œuvre fortement revendiquée par les courants féministes et l’institution littéraire américaine.

15Mémoire diasporique voyageuse, tel est le titre que l’on pourrait donner à l’analyse du dernier récit de Edwidge Danticat10. Marquant dès le départ son manque de motivation pour l’entreprise, ressentant le poids de l’éducation et des interdits de son oncle qui lui enjoignait de ne jamais participer à ce genre de parade exotique de rue, Danticat se lance quand même dans l’aventure. Choisissant Jacmel et non Port-au-Prince, ville de naissance et de la première enfance, elle est accompagnée de Michelet Divert, lui jacmélien de naissance et vétéran du carnaval. Le jeu de masques, ceux des participants au Carnaval et celui pirandellien que porte avec force Danticat et derrière lequel elle se cache, tente de s’effacer, se fissure, se craquelle  au fur et à mesure que l’auteur nous entraîne avec moult détails dans tous les recoins de l’événement phare. Découvrant en même temps que son lecteur le Carnaval, écrivain-narrateur et narrataire fusionnant, Danticat s’émerveille, prend peur mais c’est surtout un témoignage vivant de la volonté avec laquelle les haïtiens tentent de survivre dans le cours de l’histoire qu’elle nous propose. Faisant parler un de ses personnages, elle répond à l’accusation que certains pourraient porter sur la manifestation et sur l’intérêt d’en parler dans un pays si pauvre et fait dire à Divers :

“ This is a country poor in money, but rich in culture ”.

16Le Carnaval ne serait-il pas là aussi pour appréhender le réel à travers l’imaginaire comme chez les auteures précédemment évoquées ?

17Au travers de ce voyage, Edwidge Danticat nous fait en tout cas prendre conscience par la fiction de la relation qui existe entre la migration et la préservation de l’identité, du rôle des femmes dans la transmission des cultures natives ainsi que, comme dans ses autres romans, des perturbations qui se manifestent au sein des familles à l’occasion des migrations et pour terminer la question linguistique telle qu’elle est présente ici pour le lecteur comme pour l’écrivain haïtien ou d’origine haïtienne. La métaphore qui survole la narration danticatienne, celle du “ monarch butterfly ” exprime avec justesse et finesse le travail intérieur des rejetons de l’immigration qui vont se réapproprier l’endroit originel du foyer familial. La métaphore animalière est d’autant plus éclairante que ce voyage carnavalesque est aussi le retour de la mémoire collective des haïtiens de la diaspora qui, après avoir été présentés au public anglophone dans l’Anthologie “ The Butterfly’s way ”, trouvent chez Danticat l’expression de leur mémoire.

18Dans sa relation politique à la nation américaine à laquelle elle appartient par son passeport, Danticat pénètre dans le champ de l’analyse sociologique et affronte la question fondamentale de ce qu’est un réfugié dans la politique américaine d’immigration. Comme nous le savons tous, la frontière étroite et en même temps étanche qui existe dans la définition du réfugié politique versus réfugié économique a été et reste un problème incommensurable pour les haïtiens demandant l’asile aux autorités américaines. Politique est très souvent la contribution des femmes intellectuelles haïtiennes. Déjà il y a deux cents ans, leur contribution fut importante mais niée dans les faits révolutionnaires.

19Très présente dans la région de Miami, la littérature haïtienne en langue anglaise s’y développe et une organisation, la Women Writers of Haitian Descent, sert de forum littéraire pour la rencontre des expériences d’écriture.

20Parlant pour l’instant de cacophonie littéraire en devenir de voix haïtiano-américaine, ces nouvelles écrivaines se retrouvent dans ce que Maude Heurtelou, surtout connue pour ses livres pour enfants, déclare :

“ I have a voice and that voice has room in the literature of the Haitian diaspora ”.  

21Faite de larmes et de cris contre le sous-développement et la dictature, jamais apaisante, la littérature haïtienne d’outre-mer se conçoit comme un puzzle ou comme un ailleurs métissé insaisissable, représenté par des générations et des courants divers. Saupoudrée de créole, ancrée dans le savoir français, cette littérature de la première phase voit s’ajouter toute une palette de possibilités d’identification et partant de communication qui s’exprime à travers le recours à d’autres langues (l’espagnol et l’anglais principalement) et par le renforcement de la présence du créole dans la matière littéraire. On voit ici se dessiner l’espace qui pourrait s’ouvrir dans le dos du temps, l’ampleur que prendrait une littérature multilingue. On ne prendra toute la mesure de cette prédiction, de cette perspective que dans quelques décennies. Remarquons toutefois que l’écriture en langue anglaise marque la fin de la pression de l’écriture diglottique qui a longtemps marqué les créateurs haïtiens et l’émergence d’une nouvelle culture superposée à la culture traditionnelle haïtienne. Le décentrement spatial et mental présent déjà dans deux des contes du recueil Krik ? Krak ! de Danticat qui situent l’action au cœur de la communauté haïtienne de New York - je veux parler bien sûr de “ New York Day Women ” et “ Caroline’s wedding ” – était déjà sous-jacent dans les autres contes qui voyaient dans la recherche des eaux ou du ciel une source de dépassement, de fuite du milieu social haïtien oppressif, étouffant et mortel. Ce ressourcement est en route et souhaitons lui/leur bonne chance.

Notes de bas de page numériques

3 Kwei Armah Ayi, L’Age d’or n’est pas pour demain, Université d’Abidjan, 1985, p. 139.
4 Lahens Yanick, Faulkner-Chauvet : un cas d’intertextualité (Colère), Chemins Critiques 2 (septembre 1991), p. 189-207.
5 Chancy J. A. Myriam, Framing Silence : Revolutionary Novels by Haitian Women, New Brunswick, Rutgers University Press, 1997.
6 Amour bilingue, Montpellier, Fata Morgana, 1983.
7 Dialettica, differenze, pensiero debole, in G.Vattimo e P.A. Rovatti AA.VV., Il pensiero debole, Milano, Feltrinelli, 1983, p.12-18.
9 Glissant Edouard, Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997.
10 Danticat Edwidge, After the dance : a Walk through Carnival in Jacmel, Haiti, New York, Crown, 2002 (Après la danse, Paris, Grasset, 2004).

Notes de fin littérales

i Harris Wilson, The Banks of the River of Space, London, Faber and Faber Publisher, 1990.

Bibliographie

ANZALDUA Gloria, Borderlands the new mestiza = La Frontera, San Francisco, Spinsters Aunt Lute, 1987.

BLUME E. Sue, Secret Survivors : Uncovering Incest an dits Aftereffects in Women, Paperback, 1991.

CHANCY J.A. Myriam, Framing Silence – Revolutionary Novels by Haitian Women, Rutgers University Press, 1997.

CHAUVET Marie, Amour, colère et folie (triptyque), Paris, Gallimard, 1968.

D’ADESKY Anne-Christine, Under the Bone, New York, Farrar, Straus, Giroux, 1994.

DANTICAT Edwidge, After the dance : a Walk trough Carnival in Jacmel, Haïti, New York, Crown, 2002, ( Après la danse, Paris, Grasset, 2004).

DANTICAT Edwidge, Breath, Eyes, Memory, New York, Soho Press, 1994 (trad. Nicole Tisserand, Pygmalion/Gérard Watelet, 1995 et coll. Pocket , n°10091, 1997, Le cri de l’oiseau rouge).

DANTICAT Edwidge, The Farming of Bones, New York, Soho Press, 1998 et Penguin, 1999 (trad. Jacques Chabert, Grasset, 1999, La récolte douce des larmes, rééd. 10/18).

DANTICAT Edwidge, Krik? Krak!, New York, Soho Press, 1995 et Vintage Books, 1996 (trad. Nicole Tisserand, Paris, Pygmalion, 1996, et Pocket, 1998, Krik ? Krak !).

GLISSANT Edouard, Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997.  

HARRIS Wilson, The Bank of the river of space, London, Faber and Faber Publisher, 1990.

KWEI ARMAH Ayi, L’Age d’or n’est pas pour demain, Université d’Abidjan, 1985.

LAHENS Yanick, Faulkner-Chauvet : un cas d’intertextualité (Colère), Chemins critiques 2, Septembre 1991.

VATTIMO Gianni e ROVATTI AA. VV. P.A., “Dialettica, differenze, pensiero debole” in Il pensiero debole, Milano, Feltrinelli, 1983.

Pour citer cet article

Jérôme Ceccon, « Diaspora haïtienne déplacée : Halte aux States ! », paru dans Loxias, Loxias 9, mis en ligne le 15 juin 2005, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=110.


Auteurs

Jérôme Ceccon

Jérôme Ceccon est collaborateur pédagogique en français de l'économie et des affaires à la faculté des sciences économiques appliquées de l'université d'Anvers. Il est également membre du groupe de recherche en littératures postcoloniales de la faculté de lettres et philosophie de cette même université. Il est aussi “ cultore della materia ” en littératures francophones à l'université Orientale de Naples. Spécialisé en littérature haïtienne et du Québec, il publie régulièrement dans ce domaine.