Loxias | 81. Le 100e numéro de Loxias! | I. Varia: les membres du CTEL publient
Rainier Rocchi :
Notes en marge des deux pièces de Nathalie Sarraute inscrites au programme de l’Agrégation 2024 : Le Silence, Pour un oui ou pour un non
Résumé
Nathalie Sarraute accédera pour la première fois en 2024 au programme de littérature française de l’Agrégation avec ses première et dernière pièces. Mais le théâtre ne concerne qu’une période donnée de la carrière à la longévité considérable de cet écrivain. Et puis comment transposer sur la scène la quête de mouvements intérieurs indéfinissables doublée d’une réflexivité montrant un roman en train de se faire ? Les limites du Silence et d’Elle est là devraient permettre de mesurer la réussite de Pour un oui ou pour un non, modèle du logodrame sarrautien, condensé lumineux de son œuvre, qui est devenu un classique du répertoire.
Abstract
In 2024, Nathalie Sarraute’s first and last plays will be included in the French literature syllabus for the Agrégation. But theatre only concerns a specific period in this writer’s long career. And how to transpose to the stage the quest for indefinable inner movements, coupled with a reflexivity that shows a novel in the making? The limits of Silence and Elle est là should make it possible to measure the success of Pour un oui ou pour un non, a model of Sarrautian logodrama, a luminous condensation of her work, which has become a classic of the repertoire.
Index
Mots-clés : influences , Le Silence, Pour un oui ou pour un non, réflexivité, Sarraute, Théâtre du XXe siècle
Géographique : France
Chronologique : XXe siècle
Plan
- La place du théâtre dans l’œuvre : les limites du Silence
- Une source goethéenne de la pièce ?
- L’opposition Groupe vs Dissident et le problème de la réflexivité au théâtre
- Les deux sujets du Silence
- Les leçons d’un échec : Elle est là
- Pour un oui ou pour un non, modèle du logodrame sarrautien
- Une composition en miroir : réciprocité, réversibilité
- La violence du langage
- Un classique du répertoire
Texte intégral
À la mémoire de
Christiane Blot-Labarrère
Après Claude Simon avec La Route des Flandres en 1998, Beckett avec En attendant Godot associé à Fin de partie en 1999, à Oh les beaux jours en 2010, après Duras avec Le Ravissement de Lol V. Stein, Le Vice-consul, India Song en 2006, et Robbe-Grillet avec Les Gommes et La Jalousie en 2011, Sarraute accède enfin au programme de littérature française de l’Agrégation en 2024, avec ses première et dernière pièces, Le Silence et Pour un oui ou pour un non. Ce choix surprend d’abord. Il paraît vouloir tourner la page du Nouveau Roman, en dépit de la position marginale et toujours subtile de Sarraute au sein de ce groupe. Il tend à accréditer la réputation d’obscurité de l’autrice qui n’a obtenu une audience internationale qu’en 1983, avec Enfance, déjà inscrite, il est vrai, avec les autobiographies de Walter Benjamin et de Nabokov, à la question de littérature comparée « Poétique du récit d’enfance », en 2013-2014. Et Pour un oui ou pour un non demeure assurément sa pièce la plus constamment jouée devant des publics conquis par l’inventivité des mises en scènes successives. Elle est donc susceptible de se voir ultérieurement inscrite au programme du baccalauréat, contribuant à un constant renouvellement des œuvres étudiées au lycée, qui demeure l’une des missions d’un concours d’enseignement.
Or les six pièces de Sarraute, écrites de 1964 à 1982 – après Les Fruits d’or et avant Enfance –, ne concernent qu’une période donnée de la carrière à la longévité considérable de Sarraute, couvrant six décennies (de 1939 à 1997). Elles doivent donc être nécessairement et précisément replacées dans le cadre d’un projet littéraire singulier, l’écriture des tropismes, son label littéraire, pour en saisir les enjeux particuliers, repérer les connexions multiples à cette œuvre aussi apparemment monochrome que celle de Soulages, polarisée par cet unique thème, se diffractant au fil du siècle sans jamais renier ces premiers Tropismes, mince plaquette de dix-neuf textes brefs de 1939 ayant conservé leur halo d’inquiétante étrangeté poétique qui avait tant fasciné Max Jacob1.
En outre, Sarraute, dans le souci de contrôler la réception de son œuvre, en a diffusé, à la faveur de nombreux entretiens, un commentaire autorisé privilégiant sa découverte des tropismes, déniant toute influence pour mieux plaider sa propre originalité. Aujourd’hui, la critique académique, dont la fécondité ne s’est jamais démentie, s’affranchit des tabous de la biographie ou de la question du genre, soigneusement éludée, pour la confronter à notre actualité. Tel fut le réconfortant bilan du colloque international organisé par la BnF, en octobre 2019, « Nathalie Sarraute : vingt ans après2 ». Aussi nous efforcerons-nous de relever quelques empreintes de ses prédécesseurs dans son écriture afin de mieux la situer dans le sillage d’une certaine famille d’esprits, la littérature demeurant, selon sa propre définition, une « course de relais jamais interrompue3 ».
La place du théâtre dans l’œuvre : les limites du Silence
C’est l’opportunité d’avoir accès à un théâtre radiophonique, le Hörspiel, promu par Hans Jochen Schale (1925-2013) à la radio de Stuttgart4, qui a fini par convaincre Sarraute que les mouvements intérieurs affleurant dans le dialogue romanesque et que l’objet de son écriture est de traduire au moyen d’approximations métaphoriques, sans les trahir par une analyse psychologique, pouvaient être transposés au théâtre, sans avoir à s’incarner dans des « personnages », pour focaliser l’attention du public sur tout ce que recouvrent nos échanges quotidiens : « Mes véritables personnages, mes seuls personnages, ce sont les mots5. » D’où le recours « abstrait » à ces H.1, H.2, F. dans les distributions de ses pièces.
Or le théâtre était bien pourtant d’emblée associé à son projet, dès L’Ère du soupçon, avec l’hommage rendu aux acteurs :
Tout leur travail consiste justement à retrouver et à reproduire en eux-mêmes, au prix de grands et longs efforts, les mouvements intérieurs infimes et compliqués qui ont propulsé le dialogue, qui l’alourdissent, le gonflent et le tendent, et, par leurs gestes, leurs mimiques, leurs intonations, leurs silences, à communiquer ces mouvements aux spectateurs6.
Sarraute paraît songer ici à la fameuse méthode d’identification de Stanislavski7, fondée sur le sous-texte8, notion qui s’impose dans le théâtre de Tchékhov, ce maître de l’implicite, dont elle revendique la filiation dans l’un de ses plus beaux textes, Ich sterbe9.
Voyons si une source possible de sa première pièce peut nous permettre de saisir les enjeux de son écriture et les écueils de leur transposition au théâtre.
Une source goethéenne de la pièce ?
« Ainsi j’ai connu un homme qui, sans mot dire, par la seule puissance de son esprit, était à même de faire taire subitement une société au moment où elle se livrait à un entretien animé. Il pouvait même y jeter le trouble de sorte que tous en ressentaient une sorte de malaise.
Nous avons tous en nous des forces électro-magnétiques et, tels l’aimant, nous exerçons une force attractive ou répulsive dès que nous entrons en contact avec quelqu’un de semblable ou de dissemblable10. »
Sarraute, on le voit, aurait pu à bon droit invoquer Goethe parmi ses inspirateurs, qui lui fournit ici, nous semble-t-il, la source même du Silence. La tradition déterministe et mécaniste se proposait bien déjà « d’inventorier un certain nombre de mécanismes psychologiques élémentaires (impersonnels et communs à tous les hommes) à partir desquels on pourrait librement se composer un caractère11 ».
C’est précisément le sens du courant idéologique d’où est issu le titre de Tropismes donné à son premier livre, en 1939 :
Lorsque j’ai rassemblé mes premiers textes, je cherchais comment définir les mouvements intérieurs que j’y montrais. […] Ce sont des mouvements de plantes ou d’organismes inférieurs, qui se tournent ou se détournent de la lumière. Ce n’était pas beau comme mot mais ce titre me convenait car je marquais par là que ce sont des mouvements instinctifs, provoqués par une excitation extérieure, la présence d’autrui ou d’un objet, et qui ne sont pas sous le contrôle de la volonté12.
À l’instar des Affinités électives de Goethe, voulant acclimater le processus chimique des affinités à la logique des passions (la trajectoire des deux couples s’y voit schématisée sous la forme d’équations13), le terme de tropismes est emprunté à la biologie et produit, selon que le végétal se tourne ou se détourne de la lumière, un tropisme positif ou négatif. C’est Gide qui saisit le mieux ce moment où de récentes découvertes scientifiques viennent bouleverser les recherches littéraires :
On vient nous répéter souvent qu’il n’y a rien de nouveau dans l’homme. Peut-être ; mais tout ce qu’il y a dans l’homme on ne l’a sans doute pas découvert. Oui, je me persuade avec tremblement que bien des découvertes restent à faire, et que les cadres de l’ancienne psychologie d’après lesquels nous jugeons, pensons, agissons même, avons agi jusqu’à ce jour, paraîtront bientôt plus artificiels et périmés que les cadres de l’ancienne chimie depuis la découverte du radium. Si maintenant les chimistes en viennent à nous parler de la décomposition des corps simples, comment ne serions-nous pas tentés, « nous autres psychologues », d’envisager la décomposition des sentiments simples. Ce qui permet de croire aux sentiments simples, c’est une façon simple de considérer les sentiments14.
Les plus importantes découvertes ne sont dues le plus souvent qu’à la prise en considération de tout petits phénomènes, dont on ne s’apercevait jusqu’alors que parce qu’ils faussaient légèrement les calculs […]. Je songe qu’en psychologie il n’y a pas de sentiments simples et que bien des découvertes dans le cœur de l’homme restent à faire15.
Nul doute que ces textes théoriques de Gide, qui fit partie des premiers intercesseurs de Sarraute, ne soient décisifs pour saisir le projet sarrautien suspendu entre la tradition et la modernité : le terme de mouvements intérieurs, qu’elle avance comme parfait synonyme de ses tropismes, est bien connu de la tradition classique, désignant les « différentes impulsions, passions ou affections de l’âme16 », mais il s’agit de mouvements impersonnels : « Ce qui est intéressant ce n’est pas le personnage mais ce qui se passe d’anonyme et d’identique chez n’importe qui17 », d’où la pugnacité de Sarraute à combattre la psychologie et sa prétention à nommer des caractères (ainsi la réfutation de la « timidité » dans Le Silence [34-35/1382-1383]). Elle rejoint ainsi une certaine misologie bergsonienne dans sa virulente dénonciation du langage :
Bref, le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce qu’il y a de stable, de commun et par conséquent d’impersonnel dans les impressions de l’humanité, écrase ou tout au moins recouvre les impressions délicates et fugitives de notre conscience individuelle. Pour lutter à armes égales, celles-ci devraient s’exprimer par des mots précis ; mais ces mots, à peine formés, se retourneraient contre la sensation qui leur donna naissance, et inventés pour témoigner que la sensation est instable, ils lui imposeraient leur propre stabilité18.
Là où ce langage étend son pouvoir, se dressent les notions apprises, les dénominations, les définitions, les catégories de la psychologie, de la sociologie, de la morale. Il assèche, durcit, sépare ce qui n’est que fluidité, mouvance, ce qui s’épand à l’infini et sur quoi il ne cesse de gagner.
À peine cette chose informe, toute tremblante et flageolante, cherche-t-elle à se montrer au jour qu’aussitôt ce langage si puissant et si bien armé, qui se tient toujours prêt à intervenir pour rétablir l’ordre - son ordre - saute sur elle et l’écrase.
Cette lutte j’ai essayé de la montrer dans mes romans19.
Cette réécriture d’un passage fameux de Bergson atteste une imprégnation qui sous-tend un art poétique de l’indétermination, du mouvement face à toute « pétrification du structuré20 ». Mais, chez Sarraute, le genre grammatical fait sens, suggérant un viol fantasmatique, une écriture intimement ressentie qui occulte cependant toute référence autobiographique que nous savons décrypter aujourd’hui.
L’opposition Groupe vs Dissident et le problème de la réflexivité au théâtre
Les six pièces sont bâties, comme la plupart des romans, sur une opposition structurelle et idéologique entre un groupe incarnant les valeurs de l’ordre social et du pragmatisme bourgeois, confronté à un dissident, animé par d’autres valeurs, qui seraient invivables en société tel Pierre qui dans Le Mensonge ne peut s’empêcher de révéler la moindre contre-vérité proférée dans un salon. Cette opposition est soulignée emphatiquement au théâtre par la consultation inattendue, pour trancher un différend, d’un couple de voisins, « pleins de bon sens » (ON, 31/1502), de citoyens choisis dans le public, démarche accompagnée d’une litanie de lieux communs : « Pas de quoi se mettre martel en tête. Pas de quoi chercher midi à quatorze heures. Pas de quoi fouetter un chat » (C’est beau,1460), voire d’un recours insistant au vocabulaire religieux. A contrario, le dissident n’hésite pas à surjouer sa propre différence, évoquant plus ou moins explicitement sa propre folie : H1 rapporte que la rupture avec sa fiancée qui n’avait pas partagé son émotion devant les reflets d’eau sur la Seine fut jugée « pathologique » (LS, 46-47/1388) ; H2, dans Elle est là, croit d’abord que le spectateur venu le rejoindre sur scène est un psychiatre et proteste qu’il refuse de « guérir » (1479).
Or le dissident, au théâtre, refuse de se définir comme un artiste ou un écrivain en puissance, contrairement aux narrateurs qui ne sont certes pas les porte-parole de l’autrice mais permettent d’intégrer une dimension réflexive, structuralement nécessaire à la quête des tropismes laquelle se veut aussi en même temps la quête littéraire d’une « sensation » inexprimable que l’écrivain se doit de transmuer en écriture, sans la dénaturer en la nommant, mais bien en la recréant sur la page :
La désignation globale très vague et
trèsgrossière de Tropismes que j’ai donnée à mon premier livre ne peut définir chacun de ces mouvements dont tout l’attrait à mes yeux résidait dans le fait qu’ils ne portaient et ne pouvaient porter aucun nom21.
Il suffira de comparer le traitement des effets produits par un défaut de prononciation dans Entre la vie et la mort (1968) et dans Isma, qui est le sujet même de cette troisième pièce de 1970. Dans le roman, le narrateur se voit infliger le supplice d’une prononciation galvaudée : « Ces vaaacances… […] le soooleil… laaa meeer… […] je n’aiaiaime que laaa Meeediiterraaanéeee… ». Il est persuadé que cette agression délibérée consiste à le viser précisément dans sa sensibilité particulière aux mots qui le caractérise aux yeux du groupe, et dont les chapitres précédents ont déjà fourni maints exemples. La personnification de la Langue sous les traits, hyperboliquement pathétiques, d’une Muse torturée par un bourreau, dont le salut dépendrait de son preux chevalier22, vient souligner lourdement la vocation littéraire du narrateur (une telle hypersensibilité presque caricaturale ressemble à une image d’Épinal du poète véhiculée par la société). Le groupe refusant de croire à une telle préméditation, s’attache à expliquer la séquence par le banal désagrément provoqué par un « accent vulgaire ». S’ensuit un chapitre exceptionnel nous montrant le narrateur s’épuisant à écrire, dans une sorte d’ordalie dont sa vie entière dépend. Ou plutôt de Lutte avec l’ange, tant inhumaine paraît la tâche qui lui incombe d’affronter l’impérialisme du langage pour tenter d’y inscrire la trace d’une sensation intime, d’une sécrétion exprimée par son propre corps, représentant la différence absolue de sa propre subjectivité :
Pas de nous. Le nous est dégradant. […] Il n’y a pas de nous possible ici. Il est seul, comme au moment de sa naissance, comme au moment de sa mort, quand barricadé chez lui, tout son être ramassé sur lui-même, tendu vers cela, il se penche vers cette à peine perceptible craquelure23…
On touche à la contradiction majeure de l’œuvre entre le « nous » postulé par les tropismes, compris comme ce fond impersonnel de pulsions qui nous régit, quels que soient nos particularismes sociaux ou psychologiques – et la subjectivité ineffable qui authentifie l’écriture24. On observe l’absence du pronom Je qu’on s’attendrait à voir opposé au nous, décrivant la gageure risquée par Sarraute : éviter les pièges narcissiques du moi pour ne saisir la subjectivité qu’à travers sa transposition quintessenciée que permet l’écriture. Entre la vie et la mort est bien la maquette25 qu’il convient de garder à l’esprit dans toute étude sarrrautienne.
Or, dans Isma, le malaise provoqué par la prononciation affectée : « Isma. Isma. Ma. Ma… Capitalisma. Syndicalisma. Structuralisma. Cette façon qu’il a de prononcer isma… le bout se relève… ça s’insinue… Plus loin. Toujours plus loin. Jusqu’au cœur… Comme un venin… » (1440-1441) paraît totalement disproportionné chez ce couple bourgeois qui tente d’entraîner le cercle d’amis dans leur exécration haineuse, inexplicable et immotivée. Sarraute a invoqué la pensée de Pascal « Ma fantaisie me fait haïr un coasseur et un qui souffle en mangeant26 » mais, faute de justifier en quoi cet accent les atteint particulièrement parmi les autres motifs de détestation invoqués, des plus farfelus aux plus consternants, sans se donner les moyens de se mesurer à Pascal.
Les deux sujets du Silence
Relire la pièce aujourd’hui ne manque pas de déconcerter : H1, de retour de voyage, s’apprêtant à décrire à des amis certaines maisons de bois avec leurs fenêtres surmontées de petits auvents découpés – « Oui, là-bas tout est intact, tout est comme gonflé d’enfance… »(LS 27, 62/1379, 1396), s’interrompt brusquement, croyant percevoir un silence réprobateur chez Jean-Pierre, celui-là même qu’un critique littéraire averti ne manquerait pas de formuler devant un tel morceau de bravoure préfabriqué, un tel pittoresque de pacotille, s’il était publié, ce qu’il se garde bien de faire (dit-il)… mais à quoi se résoudra Sarraute, vingt ans plus tard, puisque cette description finira par trouver sa place dans Enfance comme étant le souvenir conservé par Natacha de sa maison natale d’Ivanovo27. Or un tel sujet était inconcevable pour Sarraute en 1964 : « raconter » ses souvenirs d’enfance ou décrire un paysage exotique – « Impossible. On ne peut pas. Trop fait. Banal à mourir. Matière épuisée. C’était bon… » (LS, 53/1391) – et tout est donc fait pour l’occulter dans la pièce.
Le sujet développé sera celui, plus attendu, du malaise produit par la survenue d’un silence dans une discussion, malaise qu’est censée dissiper l’expression : « un ange passe » (citée dans Isma, 1424). Nous assistons donc à l’enquête conduite par H1 pour tenter de comprendre les raisons du mutisme de Jean-Pierre, aidé par les cinq membres du groupe, à peine identifiés, servant tantôt à alléger par l’humour tantôt à aggraver le trouble croissant et surtout à cerner ce protagoniste muet dont les traits peu à peu se précisent : gentil et discret, ingénieur, pratique, détestant les intellectuels et les livres, la poésie, en somme, un béotien ! H1, symétriquement, par le même procédé, évolue du hâbleur mondain, de l’amateur féru de décoration, à l’auteur connu dont on attend le prochain livre avant de s’avérer un érudit passionné par l’art byzantin, décrivant les trésor des monastères serbes de Gračanica et de Dečani, que Jean-Pierre n’est sûrement pas le seul à découvrir, ce qui le conduit à rompre enfin le silence pour s’enquérir (poliment ?) des coordonnées de l’ouvrage de référence sur le sujet. Et chacun de prétendre alors n’avoir rien remarqué : rideau !
La pièce instaure donc, en fait, les cinq comparses jouant les utilités, une confrontation entre H1 et son adversaire idéologique – « Oh, il n’y a pas de place pour nous deux en ce monde. Je ne peux pas vivre où vous vous trouvez. J’étouffe, je meurs… Vous êtes destructeur » (54/1392). Nous retrouverons ce même conflit suprême (formulé d’ailleurs dans les mêmes termes [ON, 44-45/1511]) entre les deux amis de Pour un oui ou pour un non, qui débute sur un silence froissé de H2 motivant la visite de H1, mais aussi dans C’est beau où c’est le silence ironique de leur fils à l’énoncé de cette expression convenue qui empêche ses parents d’apprécier l’art d’où leur envie de l’enfermer dans une maison de correction, ou encore dans Elle est là où le silence désapprobateur de sa secrétaire pendant que H2 défend sa position sur un sujet de société clivant le pousse à la convertir à son propre point de vue voire à éliminer la porteuse de cette idée néfaste pour ses valeurs. On le voit, le silence se trouve bien au cœur du drame sarrautien qui s’aventure à explorer, comme le suggère Lucette Finas dans le même entretien capital, non plus « this terrible desire to establish contact », définition des tropismes, mais bien le rejet viscéral de l’autre et les ferments de la haine28, sujet ô combien périlleux au théâtre, comme le montrera l’échec d’Elle est là.
Sans doute, dans sa première pièce, Sarraute a-t-elle voulu surtout acclimater au théâtre les oscillations typiquement « dostoïevskiennes29 » de ses premiers narrateurs dans leur quête obstinée d’un contact, les poussant à user tour à tour, pour amadouer le récalcitrant, de la flagornerie (Jean-Pierre considéré comme un vrai poète ayant su ne pas céder à la « faiblesse » d’écrire [50/1390]) ou du dénigrement (pointant son efféminement ou son snobisme [41/1386 ; 54/1392) pour le forcer à réagir. Le Silence nous paraît donc bien demeurer un « exercice », selon maintes réserves exprimées lors de sa création théâtrale en 196730.
Les leçons d’un échec : Elle est là
Cette première pièce écrite pour la scène deux ans après « disent les imbéciles » (1976) reprend au roman sa thématique du ravage de l’idée : l’opposition entre idée libre et idée enchaînée (imposée par la doxa31) habite le héros (H2) au point qu’il lui est insupportable que sa collaboratrice (F) ne partage pas son point de vue sur un sujet de société. Il n’aura de cesse, secondé par un spectateur secourable (H3), d’obtenir de sa part une discussion au terme de laquelle celle-ci prétendra se ranger à son avis. Doutant de la sincérité de cette capitulation, H2 congédie son compagnon pour sacrifier sa vie à « sa » vérité, persécutée, qui finira par illuminer le monde, tandis que le noir envahit le plateau, sur ces mots : « seule… toute seule... si seule… »
Ce résumé traduit le malaise qui finit par gagner le spectateur, malgré le numéro d’acteur qui a valu à cette pièce une certaine notoriété : Roland Bertin32, Jean-Paul Roussillon au côté de Maria Casarès, ou Pierre Arditi33. Car le véritable interlocuteur d’H2 est en fait le public qui se voit rudement interpellé comme l’émanation d’une doxa s’avérant (pour des raisons mystérieuses) destructrice de « sa » vérité. Le public d’ailleurs lui répondra : une boulette de papier portant le mot « Intolérance » atterrit sur scène pour condamner l’échange où H2 et H3 étudient les moyens artisanaux de supprimer la porteuse de l’idée funeste ! C’est que la pièce bascule soudain dans la folie, lorsque H2, qui nous était apparu comme un homme d’affaires, considérant avec un paternalisme misogyne la « petite jugeote34 » de sa secrétaire, ne doutant pas de réussir à la rallier aisément à son avis tranché sur un sujet de société clivant, se mue soudain en un inquisiteur (il est alors question d’une « abjuration » suivie d’une « conversion » : « nous ne sommes pas les premiers » [1488]) avant d’invoquer, tel un résistant au moment de son exécution, les mânes de Jean Moulin à travers une précise allusion, d’après l’indication même de l’autrice, à l’oraison funèbre de Malraux35. En n’hésitant pas à afficher ainsi son isolement personnel sur la scène littéraire alors dominée par le structuralisme, et à prendre à partie son public, Sarraute s’expose grandement.
Il nous faut d’abord tenter de comprendre pourquoi « l’idée » prêtée à F constituerait en soi une menace pour les siennes propres :
H.2 : Ah ! n’est-ce pas ? À distance. Il suffit de savoir que c’est là, que c’est toujours là, en elle, blotti dans sa tête… et dès qu’une belle petite idée à nous, toute fraîche et saine, commencerait à se former, à s’ébattre… […] Notre idée serait happée, traînée, enfermée là-bas, engluée de bave, aplatie, écrasée… […]
H.3 : Moi, je vois ça plutôt comme une petite machine, une mécanique broyeuse qui automatiquement…
H.2 : C’est ça : automatiquement. Une force aveugle. On peut prédire, prévoir d’avance…
H.3 : Un mécanisme est là, dans cette cervelle… et au-to-ma-ti-que-ment il va saisir, broyer, réduire en poussière, en bouillie…
H.2 : Ce qui respire… ce qui veut vivre… Et on ne peut rien contre ça.
H.3 : Pas moyen de bouger. [1485]
La critique d’Elle est là pourrait gagner en force d’impact si l’on reconnaissait, à travers l’idée dont F est porteuse, un système de pensée « totalitaire », celui-là même du soupçon moderne, lequel est susceptible en effet de détruire, dans l’œuf, toute nouvelle idée d’un sujet, laquelle se verrait aussitôt généalogiquement interprétée comme une production de son individu déterminé, qui l’assignerait à une classe, à un genre ou à quelque typologie psychique. On comprendrait mieux ainsi l’effet de terrorisme intellectuel qui se dégage de la pièce et le sentiment d’isolement idéologique, de résistance à une doxa triomphante qu’a pu vouloir transposer dramatiquement l’autrice36. Et si l’invocation finale à la Résistance permet de convertir le caractère imprécatoire, antimoderne, de la pièce en une très politiquement correcte dénonciation de l’intolérance « fasciste » du héros, seul moyen selon Lassalle de sauver la pièce37, la radicalisation idéologique à laquelle nous assistons aujourd’hui où nous voyons se multiplier les recours, au nom même d’idées avancées et inclusives, à des méthodes d’intimidation bien connues des dictatures confère une terrifiante mais irréfutable actualité à Elle est là.
Un autre passage nous retient quand H2 congédie son ami : « être seuls, tout seuls, mon idée et moi. Et même […] ça nous aiderait si vous étiez contre nous… Oui, c’est ainsi. Que tous soient contre nous » [1493]. Comment ne pas penser au fameux : « Je suis seul, tandis qu’eux, ils sont tous » du narrateur du Sous-Sol de Dostoïevski, analysé par René Girard montrant en quoi son mutisme, ostentatoirement méprisant, lors de la fête de ses camarades, affiche un désir de rupture que vient contredire sa présence même, laquelle constitue bien une quête indirecte, à travers sa différence, de leurs suffrages, sorte d’allégorie de l’écrivain d’avant-garde38. À travers H2, c’est bien l’autrice qui déclare renoncer à « sonder les reins et les cœurs39 ». Et la misologie de Sarraute ne se distingue plus d’une misanthropie assumée dans une posture victimaire qui débouche sur un aveu autobiographique poignant, formulé dans le noir : « seule… toute seule… si seule… » On aura du mal à ne pas penser que cet aveu final fournit le seul prédicat pertinent au pronom personnel du titre de la pièce, Elle est là, lequel, ne pouvant renvoyer ni à l’idée, absente, ni à son interprète, muette, finit par ne plus pouvoir désigner que l’autrice elle-même, emmurée dans sa solitude.
Elle est là nous permet dès lors de mieux saisir le renversement spectaculaire qui va s’opérer dans la dernière pièce où Sarraute retrouve la tension dramatique de ses dialogues romanesques puisque les deux protagonistes y échangent leurs rôles : chacun, tour à tour, entend bien insinuer à l’autre sa vérité, dans une réciprocité conflictuelle. Car, dans cette pièce ultime, H2 est bien un double de l’autrice – comme le H2 d’Elle est là – mais tel que l’Autre peut le voir et le juger, et la pièce devient alors une synthèse maîtrisée des précédentes40. Bref un logodrame, selon le néologisme proposé par Arnaud Rykner dans l’une des premières études de son théâtre41.
Pour un oui ou pour un non, modèle du logodrame sarrautien
Une composition en miroir : réciprocité, réversibilité
Il convient de saisir le parallélisme spéculaire de la pièce qui nous donne à voir deux fois la même agression subie tout à tour par les deux protagonistes. H1 aide H2 à nommer le malaise que celui-ci a éprouvé en entendant « C’est biiien… ça… » : un accent condescendant pourrait expliquer (au regard de l’opinion) que H2 ait voulu prendre ses distances avec son ami de toujours. La première partie de la pièce accuse le contraste typologique des deux personnages : pragmatisme et entregent de l’un ; introversion, marginalité, confusion verbale, chez l’autre qui cumule tous les traits des narrateurs, dont celui d’être « persécuté » (35/1505). Mais la pièce bascule quand H1, avant de quitter son ami, s’arrête pour observer la vue des toits depuis sa fenêtre, ce qui pousse H2 à lui confier le réconfort qu’il trouve dans la contemplation de ce pan de mur d’où une force irradie. H1 décrypte, à travers ce qu’il croit être une allusion à Verlaine, une présomption de vocation littéraire chez son ami. Il applique alors la leçon apprise et comprend que les rôles se sont inversés : c’est à lui, le « béotien », d’essuyer maintenant la condescendance de H2 : comment peut-il comprendre, lui, le père de famille, si bien intégré dans la société, son propre détachement radical, se refusant à produire la moindre œuvre, à se laisser ainsi « récupérer ». Or la construction même de la pièce démontre la réciprocité de leurs condescendances respectives, et récuse les dénégations naïves de H2, prétendant n’avoir pas pensé à Verlaine – « Si. Tu l’as dit. Implicitement. » [41/1509] – et s’obstinant à refuser d’endosser le moindre « rôle », fût-il celui, pourtant flatteur, de « poète ». Une telle posture est déjouée dans le drame même : une victime ne peut prétendre s’exempter du mécanisme du soupçon qu’elle a invoqué pour se plaindre de l’agression subie, mais qui s’applique aussi à l’agression qu’elle-même peut infliger à autrui.
On comprend la nécessité d’une réciprocité conflictuelle pour fonder la nature dramatique et existentielle (anthropologique) des dialogues sarrautiens. Si l’on cherche des ressorts impersonnels comme celui du désir de contact – indissociable de celui d’un refus du contact – il convient d’établir une réversibilité des rôles, au risque, dans le cas contraire, d’encourager une caractérisation psychologique des protagonistes ou de donner lieu au discours solipsiste de Elle est là où H2 se plaint de sa solitude au public, sans disposer, sur scène, du partenaire dont il a besoin pour se connaître, selon l’intuition de Hegel, saluée par Sartre, « de me faire dépendre de l’autre en mon être42 » : « me reconnaître dans cet être dégradé, dépendant et figé que je suis pour autrui43 ». Tant il paraît difficile de ne pas évoquer l’intersubjectivité sartrienne en décrivant les dialogues sarrautiens.
La violence du langage
Le premier mot
Il inscrivit en épigraphe à son mémoire de maîtrise (sur les invocations et les évocations dans la tragédie grecque) ce mot de Claudel parlant du Nô japonais : « Ce n’est pas un acteur qui parle, c’est une parole qui agit. » Toute la suite (l’idée d’une efficience du langage) était déjà dans ce mot, comme s’il n’était que la première inscription d’un programme, comme s’il existait une certaine génétique de l’intellect : effroyable fixité d’un sujet, esquissé dès le début par son premier mot (fût-il d’un autre), conduit par lui et qui n’a d’autre idée que de le varier – non de le muter44.
La blessure racinienne n’est évidemment possible que dans la mesure où la tragédie implique une confiance éperdue dans le langage ; le mot y détient une puissance objective, selon un statut bien connu dans les sociétés dites primitives : il est coup de fouet45.
Ces extraits de Barthes situent à nouveau l’écriture sarrautienne au croisement de la tradition et de la modernité. À l’image du coup de fouet des mots répond comme en écho l’incipit de Portrait d’un inconnu : « Un seul mot d’eux, pourtant, un de ces mots-réflexes qui jaillit d’eux tout droit et s’abat juste au bon endroit comme un coup de poing de boxeur46 ». Passage qu’Élisabeth Chailloux avait en tête en choisissant pour l’affiche de sa mise en scène de notre pièce une photographie du dernier combat de Marcel Cerdan contre La Motta, le 16 juin 1949 ! Or le Racine de Barthes rappelle celui de Péguy : « [d]ans le dialogue racinien il n’y a pas un mot qui ne porte. […] Qui ne porte, c’est-à-dire qui ne porte un coup47 ». Et annonce les dissections autonymiques de Marivaux : « Effectivement. Cela est donc bien effectif ? […] voilà un effectivement qui ne devrait pas se trouver là […] ; il marque que vous êtes un peu trop persuadée du mérite du Chevalier48 ». Le théâtre sarrautien hérite de cette tradition et la violence du langage trouve un exemple saillant dans notre pièce qui comprend une autre agression verbale.
C’est la séquence de l’alpinisme (43-44/1510-1511) qui exploite un détail connu de la biographie de Sarraute49 et confère donc à ce souvenir refoulé de l’histoire des deux amis un caractère capital puisque le rappel de la sentence alors proférée par H1 va précipiter leur rupture, marquant la fin de la pièce : « Oui. – Non ! » H2 arrête la cordée pour contempler le paysage : « Ça en vaut tout de même la peine » :
H.1 : Tu nous forçais à nous tenir devant ça, en arrêt, que nous le voulions ou non… Alors je n’ai pas pu résister. J’ai dit : « Allons, dépêchons, nous n’avons pas de temps à perdre… Tu pourras trouver en bas, chez la papetière, de jolies cartes postales… »
H.2 : Ah oui. Je m’en souviens… J’ai eu envie de te tuer.
L’opacité de la formule ajoute un caractère oraculaire au verdict proféré qui paraît en effet viser à dégonfler la posture « artistique » de H2, la prétention littéraire implicite de ses propos exhortant à la contemplation romantique de la nature. En lui objectant « les cartes postales » il semble que H1 impute à H2 une idolâtrie proustienne l’empêchant de devenir un vrai créateur : « “Poésie.” “Poétique.” Cette distance, cette ironie… ce mépris… » « C’est avec toi que je les place entre guillemets, ces mots… oui, avec toi… dès que je sens ça en toi, impossible de me retenir, malgré moi les guillemets arrivent » (42-43/1510). Et si l’on se souvient que Portrait d’un inconnu opposait déjà les cartes postales des quartiers parisiens destinées aux touristes aux toiles d’Utrillo ayant su traduire la poésie de ces mêmes quartiers50, on mesure toute la cruauté de l’ironie d’H1 lorsqu’il prétend être lui-même un créateur en s’appropriant la définition proustienne de la littérature :
D’un côté, le camp où je suis, celui où les hommes luttent, où ils donnent toutes leurs forces… ils créent la vie autour d’eux… pas celle que tu contemples par la fenêtre, mais la « vraie », celle que tous vivent51. (45/1512)
En montrant comment le groupe social n’a de cesse de débusquer, en tout artiste potentiel, une menace de son système de valeurs52, et donc de nommer toute manifestation d’une quelconque singularité, Sarraute fait de l’artiste l’éternel dissident qui révèle par sa seule présence le degré de coercition idéologique d’une société. Thème que sa dernière pièce a le mérite d’évoquer sans didactisme et avec un humour distancié.
Mais en reprenant, peu après ce passage, l’image de la « taupe qui creuse sous les pelouses bien soignées où vous vous ébattez » (46/1512), comprise dans Entre la vie et la mort comme l’emblème de son art poétique qui associe l’effraction des apparences au tâtonnement d’une écriture53, Sarraute réitère sa foi en la littérature pour déjouer l’assertivité et la grégarité du langage54, tout en nous invitant à voir dans sa dernière pièce un condensé lumineux de son œuvre.
Un classique du répertoire
La pièce, en tout cas, a libéré la créativité interprétative de nombreux metteurs en scène. L’un des spectacles les plus marquants demeure celui présenté par Élisabeth Chailloux au Théâtre des Quartiers d’Ivry, au printemps 1993. La scène fut transformée en une piste de cirque où évolue le duo loufoque de l’austère et rigide clown blanc et de l’auguste, bouffon au nez rouge, jouant respectivement de la trompette ou de la clarinette, dont les numéros burlesques servent parfaitement la première partie de la pièce, ce dispositif devenant un peu moins pertinent dans la seconde. Sarraute apprécia fort55. On songe à la fameuse défense d’En attendant Godot par Anouilh : « Les Pensées de Pascal jouées par les Fratellini ». Jacques Lassalle, lui, au Théâtre de la Colline, en 1998, attribua le côté jardin, abstrait, à H1, le mince et incisif Jean-Damien Barbin, et le côté cour, figuratif, débordant d’objets du quotidien, à H2, Hugues Quester, lourd et lent, dont l’hypersensibilité est poussée jusqu’à l’hystérie56. Avec Léonie Simaga, au Studio-Théâtre de la Comédie Française, en 2007, le H1 méphistophélique d’Andrzej Seweryn devient le mentor voire l’éraste de H2. Tandis que Simone Benmussa, lors de la création de la pièce en 1986 puis lors de sa reprise en 1998, misant sur la complicité entre le matois Jean-François Balmer et le ténébreux Sami Frey, les invita à échanger leur rôle et à jouer alternativement un soir sur deux H1 ou H2, selon la structure même de la pièce. Quant à Jacques Doillon, dans le film qu’il a réalisé pour Arte en 1988, la noirceur inquiétante de son univers a trouvé en Jean-Louis Trintignant et en André Dussollier des acteurs dignes de servir, dans sa retorse simplicité, le texte de Sarraute promu au rang de classique du répertoire :
« Un mot entraîne l’autre », dit la sagesse populaire. Tout le théâtre de Nathalie Sarraute repose sur l’examen narquois de l’infime dans le vocabulaire et les gestes. […] Ce n’est au vrai qu’un prétexte pour un règlement de comptes. Pour l’affrontement de deux mondes antagonistes à travers leurs représentants : l’actif, aux succès immédiats ; le rêveur, qui gagnera demain pour avoir perdu son temps aujourd’hui. Leur mauvaise foi à tous deux est éclatante. Le génie de Sarraute est d’amplifier le rien jusqu’à l’énorme, de le gonfler comme une baudruche, et puis de le crever d’un coup d’épingle, pour qu’il éclate au nez des menteurs que nous sommes, prompts à jouer la comédie des sentiments sans perdre de vue notre implacable intérêt57.
« Chacun a vécu ce qu’explore Sarraute58. »
Notes de bas de page numériques
1 La lettre-poème de Max Jacob, datée du 28 janvier 1939, est citée dans les Œuvres complètes, 1996, p. 1724-1725. Toutes nos références à Sarraute renvoient à l’édition, dirigée par Jean-Yves Tadié, de ses Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », parue en 1996 [OC] puis, dans une édition augmentée mais avec une pagination de l’appareil critique différente, en 2011 [OC²]. Pour les deux pièces au programme, abrégées LS et ON, nous indiquons également, dans le fil du commentaire, les références à leur édition par Arnaud Rykner dans la collection « Folio Théâtre » en 2007 et 2022.
2 Ann Jefferson, Rainier Rocchi, Olivier Wagner (dir.), Nathalie Sarraute aujourd’hui : les impensés d’une écriture, Paris, Hermann, 2023.
3 Nathalie Sarraute, « De Dostoïevski à Kafka » (1947), p. 1572.
4 Nathalie Sarraute, « Le gant retourné », p. 1707-1713 ; Joëlle Chambon, « Voix, corps, incarnation : les pièces radiophoniques de Nathalie Sarraute », Pierre-Marie Héron (dir.), Aventures radiophoniques du Nouveau Roman, Presses Universitaires de Rennes, 2017, p. 77-88 ; Ann Jefferson, Nathalie Sarraute, Traduction Pierre-Emmanuel Dauzat et Aude de Saint-Loup, Paris, Flammarion, « Grandes biographies », 2019, p. 343-351.
5 Lucette Finas, « Nathalie Sarraute : mon théâtre continue mes romans », La Quinzaine Littéraire, N° 292, 16 décembre 1978, p. 4.
6 Nathalie Sarraute, « Conversation et sous-conversation » (1956), p. 1602.
7 Constantin Stanislavski, [1950] La Construction du personnage, viii, 2, Traduction française par Charles Antonetti, Paris, Perrin, « Art Théâtre et Métier », 1966.
8 Nathalie Sarraute : « [contrairement à Duras], j’essaye de montrer [l’innommé] autant qu’il est possible. Mais il reste toujours la part que je ne peux pas saisir et que les acteurs apportent par leur jeu. Le jeu des acteurs, donc, c’est faire du sous-texte dans du sous-texte » (1974), cité par Arnaud Rykner, « Des tropismes de l’acteur à l’acteur des tropismes », Paroles perdues, Paris, Corti, 2000, p. 145.
9 Nathalie Sarraute, « Ich sterbe », L’Usage de la parole (1980), p. 923-927.
10 10 Johann Peter Eckermann, Conversations de Goethe avec Eckermann, 3e partie, 7 octobre 1827, Traduction française par Jean Chuzeville, Paris, Gallimard, « Du monde entier », [1949], 1988, p. 536-537.
11 Jean Starobinski, » Stendhal pseudonyme » (1951), L’Œil vivant, Paris, Gallimard, « Le Chemin », 1961, p. 217.
12 Nathalie Sarraute, Entretien avec François Poirié, « Nathalie Sarraute à la source des sensations », Art Press, n° 72, juillet/août 1983, p. 29.
13 Johann Wolfgang von Goethe, Les Affinités électives, I, iv, Traduction Jean-Jacques Pollet, Paris, Flammarion, « GF », 2009, p. 84 : « Imaginez que A et B soient si intimement liés que rien ne puisse les séparer l’un de l’autre, quelque moyen que l’on emploie, quelque contrainte que l’on exerce ; imaginez que C soit dans le même rapport avec D. Mettez maintenant ces deux couples en contact. A va se précipiter vers D, C vers B […]. »
14 André Gide, « Théophile Gautier et Charles Baudelaire, À Propos d’une nouvelle édition des Fleurs du mal », (1917), Essais Critiques, Édition Pierre Masson, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 534-535.
15 André Gide, « Feuillets I » [1919], Journal, Édition Éric Marty, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1996, I, p. 1083. Dans les citations, les soulignements sont dus à l’auteur cité.
16 Gaston Cayrou, Le Français classique, Lexique de la langue du xviie siècle, Paris, Didier, 1948, p. 587.
17 Simone Benmussa, Nathalie Sarraute, Qui êtes-vous ?, Entretiens, Lyon, La Manufacture, 1987, p. 119.
18 Henri Bergson, Essais sur les données immédiates de la conscience [1889], Œuvres, Paris, puf, Édition du Centenaire, 1959, p. 87.
19 Nathalie Sarraute, « Ce que je cherche à faire », Colloque de Cerisy (1971), p. 1704.
20 Nathalie Sarraute, Les Fruits d’or, p. 561.
21 Nathalie Sarraute, « Ce que je cherche à faire », p. 1702.
22 Selon la belle image de Lucette Finas définissant les narrateurs comme des « chevaliers de la parole », dans son entretien : « Nathalie Sarraute : “Mon théâtre continue mes romans” », La Quinzaine Littéraire, op. cit., p. 4.
23 Nathalie Sarraute, Entre la vie et la mort (1968) : nous condensons les chapitres [V], p. 642-647, citations p. 643-645, p. 645-646 ; [VIII], p. 658-668, premier des deux chapitres d’écriture, (le second servant de conclusion) ; [X] où le narrateur rencontre des confrères, p. 673-674.
24 Cette contradiction est au cœur de l’essai éclairant d’Ann Jefferson, Nathalie Sarraute, Fiction and Theory, Questions of Difference, Cambridge University Press, 2000.
25 Roland Barthes, dans La Préparation du roman, Paris, Seuil/imec, « Traces écrites », 2003, p. 232-233, oppose à l’Abyme (Paludes), l’Œuvre-Maquette (la Recherche) où l’œuvre se présente comme « sa propre expérimentation ».
26 Nathalie Sarraute, Entretien avec Lucette Finas, op. cit., p. 5 ; Blaise Pascal, Pensées, Le Guern 183, Œuvres complètes, Édition Michel Le Guern, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2000, II, p. 607.
27 Nathalie Sarraute, Enfance, p. 1009-1010 et la note d’Ann Jefferson. Dans ses entretiens avec Simone Benmussa, en 1987, on aura la surprise de retrouver la source de la formule prêtée à Jean-Pierre « c’est une question de forme. […] Il aurait fallu, pour que vous les acceptiez, ces petits auvents, que je vous les présente […] sur un plateau d’argent » (52/1391), Raymond : « Toi, il faut te les présenter sur un plateau d’argent [les tropismes], à ce moment-là seulement tu t’y intéresses » (op. cit., p. 154-155). On sait que Sarraute éprouvait ses textes en les lisant à son mari, son premier et intransigeant lecteur. Et qu’elle doit à cet amateur d’art éclairé la si prégnante thématique de l’art dans son œuvre.
28 Nathalie Sarraute, « De Dostoïevski à Kafka », p. 1568 ; Lucette Finas, op. cit., p. 5 : « Quant à l’autre postulation de vos tropismes, c’est peut-être la même, et ce sont les effets qui diffèrent. Dans la pièce intitulée Isma, la manière qu’a une personne de prononcer « isme » : « isma » déchaîne une haine inexplicable, une haine du fond de corps, à la racine (animale) du racisme. Là ce n’est plus d’adhésion qu’il s’agit. Pourtant, le refus lui-même s’interroge, se compte, cherche des adhérents. »
29 Nathalie Sarraute, « De Dostoïevski à Kafka », p. 1564-1572.
30 Arnaud Rykner, « Note sur la création du Silence », Le Silence, op. cit., p. 77-80.
31 Nathalie Sarraute, prière d’insérer de « disent les imbéciles », OC, p. 1906, OC², p. 1866.
32 À sa création, en 1980, dans une mise en scène de Claude Régy, puis lors de la réouverture du Vieux Colombier en 1993 dans une mise en scène de Jacques Lassalle ; v. la notice d’Arnaud Rykner, Elle est là, « Folio théâtre », 2000, p. 70-75.
33 Respectivement : au Festival d’Avignon, en 1986, dans une mise en scène de Michel Dumoulin ; au Théâtre d’Aubervilliers en 2008, dans une mise en scène de Didier Besace. Pour l’intégrale du Théâtre, mise en ondes par Jacques Lassalle sur France Culture, en janvier 2013, le rôle de H2 a été confié à Michel Aumont.
34 Si F proteste d’abord contre les présupposés misogynes de H2 (« Ah parce que je ne réfléchis pas. J’ingurgite comme une oie » (p. 1476), ou si elle les reprend ironiquement (« Vous supporteriez qu’on ait sa petite jugeote à soi ? » (p. 1482), F s’enferme ensuite dans un mutisme obstiné ; on notera les connotations sexuelles du récit de sa « conversion » (p. 1491).
35 Nathalie Sarraute, Elle est là, p. 1493 : « dans les caves, les casemates, les cachots, les tortures, quand les fusils sont épaulés… » ; Arnaud Rykner, Elle est là, op. cit., p. 84 : « Sarraute nous a plusieurs fois dit avoir rédigé cette fin de la pièce en ayant en tête l’oraison funèbre de Jean Moulin – torturé dans une cave – prononcée par André Malraux ».
36 Déjà dans « disent les imbéciles », on pouvait reconnaître dans ce génie dont les traits sont partout reproduits Freud lui-même, le maître du soupçon, l’adversaire capital attaqué au nom de la défense du poète dont les vers existent en nous quels que soient les travers de sa petite personne, allusion probable à l’éreintement du Baudelaire (1947) de Sartre : Freud, p. 908-912 ; le poète et ses biographes, p. 888-893.
37 Jacques Lassalle, Entretien inédit, 1999, « H2 est terrible, c’est presque la métaphore du fascisme », Joëlle Chambon, Le Théâtre dans l’œuvre de Nathalie Sarraute : les paradoxes de l’abstraction et de l’incarnation, Montpellier, 2001, p. 552-553.
38 Fiodor Dostoïevski, « À propos de neige fondue », 1, Le Sous-sol, Traduction Boris de Schlœzer, Édition Pierre Pascal, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1956, p. 722. René Girard, « L’Apocalypse dostoïevskienne », Mensonge romantique et vérité romanesque [1961], Paris, Grasset, « Les cahiers rouges », 2001, p. 314.
39 Nathalie Sarraute, Elle est là, p. 1493 : cette allusion biblique qui atteste la dimension autobiographique assumée de la pièce, et qui renvoie à la mission heuristique toujours revendiquée par l’autrice pour justifier son travail, serait autrement incompréhensible.
40 Entretien inédit avec Jacques Lassalle (1999), « Je crois que sa pièce la plus maîtrisée […] c’est aussi sa pièce la plus personnelle, […] celle où tous les thèmes se retrouvent, s’accomplissent », Joëlle Chambon, op. cit., p. 552. Les vicissitudes théâtrales d’Elle est là expliquent les délais importants entre la création radiophonique de la dernière pièce en 1981 puis sa mise en scène par Simone Benmussa, en anglais, à New York, en 1985, avant d’être créée à Paris en 1986.
41 Arnaud Rykner, « Nathalie Sarraute et le logo-drame », Théâtres du Nouveau Roman, Paris, Corti, 1988, p. 33-80.
42 Jean-Paul Sartre, L’Être et le Néant, III, 1, 3, Paris, Gallimard, 1943, « Tel », 2011, p. 276.
43 Jean-Paul Sartre, L’Être et le Néant, III, 1, 4, p. 328.
44 Roland Barthes, « Fragments inédits du Roland Barthes par Roland Barthes », Le Lexique de l’auteur, Séminaire à l’École pratique des hautes-études (1973-1974), Paris, Seuil, « Traces écrites », 2010, p. 289 ; la citation de Claudel est extraite de « Lettre au professeur Miyajima » (1926), Œuvres en prose, Édition Jacques Petit, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade, 1965, p. 1552.
45 Roland Barthes, « Techniques d’agression », Sur Racine [1963], Œuvres complètes, Édition Éric Marty, Paris, Seuil, 2002, II, p. 83 ; il se réfère au vers 466 des Suppliantes d’Eschyle traduit par Paul Mazon : Le Roi : « J’entends là des mots cinglants pour mon cœur. »
46 Nathalie Sarraute, Portrait d’un inconnu, p. 42.
47 Charles Péguy, Victor-Marie, Comte Hugo, Œuvres complètes, Édition Robert Burac, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1992, §38, p. 291.
48 Marivaux, La Fausse Suivante, Acte II, Scène ii, Théâtre complet, Édition Henri Coulet et Michel Gilot, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, I, p. 336-337 ; autonymie, terme désignant des emplois où le signe ne renvoie pas à un référent extralinguistique mais à lui-même et s’inscrit dans les phénomènes de réflexivité du langage. Jacqueline Authier-Revuz : « Le fait autonymique : langage, langue, discours : quelques repères » (2000), Parler des mots. Le Fait autonymique, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2003, p. 67-96.
49 Mimica Cranaki et Yvon Belaval, Nathalie Sarraute, Paris, Gallimard, « Bibliothèque idéale », encart p. 48/49 ; elle est reproduite dans la biographie d’Ann Jefferson, Nathalie Sarraute, op. cit., p. 110.
50 Nathalie Sarraute, Portrait d’un inconnu, p. 49 ; le narrateur trouvera dans le « Portrait d’un inconnu » le modèle esthétique d’une écriture tâtonnante devant une matière insaisissable, p. 83-84, p. 161.
51 « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent pleinement vécue, c’est la littérature », Marcel Proust, Édition Jean-Yves Tadié, À la recherche du temp perdu, Le Temps retrouvé, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, IV, p. 474. Tandis que Swann et Charlus, confondant l’art et la vie, s’avèrent des esthètes non des créateurs.
52 Cette menace que tout artiste fait peser sur les valeurs essentialistes d’une société positiviste, incarnée par un psychiatre (Janet), qui élucide les « cas » de Rimbaud ou de Proust, lesquels ne peuvent qu’errer, telles des épaves, dans la capitale, se voit allégorisée dès le Tropisme xii (p. 18-19) et sera ensuite explicitée par les pères des narrateurs : « il faut que l’ordre règne, que le bien triomphe, que l’effort, le travail soient récompensés, (Le Planétarium, p. 499) ; « nous obliger à constater que la paresse, l’ennui, la dépression, la mélancolie […] peuvent […] faire la force des conquérants » (Entre la vie et la mort, p. 695) ; le « jeu de loto » de la littérature, dans Les Fruits d’or, doit persuader que « Tout est dit. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil » (p. 613) ; cette critique sans nuance gagne à être entendue au second degré, dès lors qu’il s’agit aussi de prévenir le lecteur réel de ne pas faire de même pour le texte qu’il a sous les yeux…
53 Nathalie Sarraute, Entre la vie et la mort, p. 733 : l’image intervient dans la dernière page, lors de la seconde séance d’écriture : « La suivre où elle voudra… Elle qui ne se laisse pas nommer… ce que je sens… moi seul… cette chose intacte, vivante… […] Et tout à coup je les vois, ils apparaissent ici, puis là, comme ces monticules de terre que la taupe pousse au-dehors, creusant son chemin… Sur eux je me jette, je fouille, là je m’enfonce, tournant pour la suivre, me perdant, je ne sais jamais où elle va… ».
54 Roland Barthes, Leçon, (1978), Œuvres complètes, op. cit., V, p. 432 ; Lia Kurts-Wöste, Mathilde Vallespir, Marie-Albane Watine (dir.), La Violence du logos, Paris, Classiques Garnier, « L’univers rhétorique », 2013.
55 Armelle Héliot, « Théâtre : ce qui s’appelle rien », Littérature, « Nathalie Sarraute », N° 118, Juin 2000, p. 70.
56 Arnaud Rykner, « Mise en scène », Pour un oui ou pour un non, « Folio Théâtre » [1999], 2022, p. 67-73 ; Joëlle Chambon, « Abstraction et incarnation », Après le vieux jeu, Paris, Hermann, 2021, p. 41-42.
57 Angelo Rinaldi, « Sarraute : un petit rien essentiel », L’Express, 19 mars 1992 ; « Le cœur au plus profond », Service de presse. Un choix des chroniques littéraires de L’Express (1976-1998), Paris, Plon, 1999, p. 184-185.
58 Sami Frey, cité par Jean-François Kervéan, « Nathalie Sarraute : le dernier voyage à Ivanovo », L’Événement du Jeudi, n° 4, 9-15 décembre 1999, p. 35.
Bibliographie
SARRAUTE ET LE THÉÂTRE
Éditions
SARRAUTE Nathalie, Œuvres complètes [OC], Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Édition publiée sous la direction de Jean-Yves Tadié et avec la collaboration de Viviane Forrester, Ann Jefferson, Valerie Minogue et Arnaud Rykner, 1996, Édition révisée et augmentée, 2011 [OC²].
SARRAUTE Nathalie, Le Silence, 1964, Édition Arnaud Rykner, Paris, Gallimard, « Folio théâtre », [1993, 1998], 2007.
SARRAUTE Nathalie, Elle est là, 1978, Édition Arnaud Rykner, Paris, Gallimard, « Folio théâtre », 2000.
SARRAUTE Nathalie, Pour un oui ou pour un non, 1982, Édition Arnaud Rykner, Paris, Gallimard, « Folio théâtre », [1999], 2022.
SARRAUTE Nathalie, « Ce que je cherche à faire » (1971), Œuvres complètes, p. 1694-1706.
SARRAUTE Nathalie, « Le Gant retourné » (1975), Œuvres complètes, p. 1707-1713.
SARRAUTE Nathalie, « Le bonheur de l’homme » (1970), in Écrits divers, Édition Ann Jefferson, Paris, Gallimard, 2023 (à paraître).
Entretiens
ZAND Nicole, « Entretien avec Nathalie Sarraute à propos du Mensonge et du Silence, Le Monde, 18 janvier 1967, in Le Silence, « Folio théâtre », 2007, p. 72-74.
GODARD Colette, « Communiquer le ressenti [Isma] », Entretien, Le Monde, 7 février 1973, Œuvres complètes, p. 2013 ; OC², p. 1958-1959.
FINAS Lucette, « Nathalie Sarraute : “Mon théâtre continue mes romans” », La Quinzaine littéraire, n° 292, 16 décembre 1978, p. 4-5.
POIRIÉ François, « Nathalie Sarraute à la source des sensations », Art Press, n° 72, juillet-août 1983, p. 28-30.
BENMUSSA Simone, Nathalie Sarraute, qui êtes-vous ?, Entretiens, Lyon, La Manufacture, 1987. Rééditions : Tournai, La Renaissance du Livre, « Signatures », 1999 ; « Paroles d’Aube », 2002.
SARRAUTE Nathalie, Conversations avec Claude Régy (1989), in Nathalie Sarraute, dvd Arte Video, 2006.
Captations
Captation de Pour un oui ou pour un non, film de Jacques Doillon, avec André Dussollier et Jean-Louis Trintignant (1988), 60 mn, inclus dans le dvd Arte Video, Nathalie Sarraute, 2006.
Captation de Pour un oui ou pour un non, Mise en scène René Loyon, L’Harmattan/ Les Films d’un jour/ La Compagnie RL, 2012, dvd, 52 min, Captation du spectacle présenté au Théâtre du Lucernaire à Paris.
Intégrale du Théâtre de Nathalie Sarraute, « Fiction/ Théâtre et Cie » par Blandine Masson (coordination), Production en studio sous la direction de Jacques Lassalle, France Culture (janvier 2013). Podcast : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/fictions-theatre-et-cie/cycle-sarraute-1-5-le-silence-5257482
Ouvrages collectifs, essais et articles généraux sur Sarraute
ASSO Françoise, Nathalie Sarraute : une écriture de l’effraction, Paris, puf, « Écrivains », 1995.
CRANAKI Mimica et BELAVAL Yvon, Nathalie Sarraute, Paris, Gallimard, « La Bibliothèque idéale », 1965.
JEFFERSON Ann, Fiction and Theory, Questions of Difference, Cambridge University Press, « Cambridge Studies in French », n° 64, 2000.
JEFFERSON Ann, Nathalie Sarraute, Traduction Pierre-Emmanuel Dauzat et Aude de Saint-Loup, Paris, Flammarion, « Grandes Biographies », 2019.
JEFFERSON Ann, ROCCHI Rainier et WAGNER Olivier (dir.), Nathalie Sarraute aujourd’hui : les impensés d’une écriture, Actes du Colloque « Nathalie Sarraute : vingt après », octobre 2019, Paris, Hermann, « Glassine », 2023 (à paraître).
ROCCHI Rainier, L’Intertextualité dans l’écriture de Nathalie Sarraute, Paris, Classiques Garnier, « Perspectives comparatistes », 54, « Modernités et avant-gardes », 7, 2018.
RYKNER Arnaud, Nathalie Sarraute, Paris, Le Seuil, « Les Contemporains », 4, 1991, Édition révisée 2002.
Essais et articles sur le théâtre de Sarraute
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Thèses non publiées sur le théâtre de Sarraute
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Pour citer cet article
Rainier Rocchi, « Notes en marge des deux pièces de Nathalie Sarraute inscrites au programme de l’Agrégation 2024 : Le Silence, Pour un oui ou pour un non », paru dans Loxias, 81., mis en ligne le 26 juin 2023, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=10210.
Auteurs
Rainier Rocchi a soutenu, en 2014, à l’université Côte d’Azur, une thèse de Doctorat de Littérature générale et comparée, L’Œuvre de Nathalie Sarraute à l’épreuve de l’intertextualité, fruit de trois décennies de recherches personnelles. Une version remaniée de cette thèse a été publiée, en 2018, aux Classiques Garnier, dans la collection « Perspectives comparatistes », Série « Modernités et avant-gardes », L’Intertextualité dans l’écriture de Nathalie Sarraute. Il vient de coéditer, avec Ann Jefferson et Olivier Wagner, les Actes du colloque organisé par la BnF pour le vingtième anniversaire de sa disparition, Nathalie Sarraute aujourd’hui : les impensés d’une écriture (Hermann, 2023). Il est membre associé du Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature et des Arts Vivants de l’université Côte d’Azur.
Université Côte d’Azur, CTELA