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Sandrine Montin  : 

Du poison dans les oreilles : l’interprétation au cœur de l’action dramatique d’Hamlet

Résumé

Pour reprendre les mots de Shakespeare dans Hamlet, la « chose » théâtrale est là sans être là, elle est une chose et un rien, « thing » et « nothing ». Les paroles des comédiens font seules apparaître ce qui est absent : au théâtre, nous voyons par les oreilles. S’ils sont parfois magie et poésie, les mots peuvent aussi se révéler empoisonnés, comme le suggère la métaphore filée du poison versé dans l’oreille tout au long de la pièce Hamlet. Le prince, qui ne ressemble en rien à son père, se reproche de ne pas agir. Il a pourtant d’autres champs d’action que le champ de bataille ou le heurt des armes : la scène de théâtre, l’écriture, la parole, il pourrait avoir la diplomatie peut-être, ou l’exercice de la justice. Nous défendrons l’hypothèse, contre l’avis du prince lui-même, qu’il s’est trompé d’action, réglant la sienne sur le modèle d’une action archaïque, au terme d’un processus d’interprétation précipité, empoisonné par de vieux mots. Dans Hamlet, l’interprétation est constamment problématique, et la pièce peut être comprise comme l’histoire tragique d’un empoisonnement, le récit d’une hantise culturelle. Cette pièce exceptionnelle nous invite à une attention vigilante à ce qui agit en nous à travers les mots dont nous héritons, y compris les mots aimés du théâtre et de la littérature, ces revenants qui si nous n’y prenons garde déterminent avec tant d’efficacité notre vision du monde.

Abstract

Words can be magical and poetic, but they can also be poisonous, as the metaphor of poison poured into the ear throughout Hamlet suggests. The prince, who is nothing like his father, blames himself for not acting. However, he has other fields of action than the battlefield or the clash of arms: the theater stage, writing, speech, he could have diplomacy perhaps, or justice. We will defend the hypothesis, against the opinion of the prince himself, that his vision of what “action” is has been poisoned by old words. In the play, interpretation is repeatedly problematic, and Hamlet may be understood as the tragic story of a poisoning, the story of a cultural haunting. This exceptional play invites us to a cautious attention to the words we inherit, including the beloved words of theater and literature, those revenants that, unless we carefully examine them, will determine our vision of the world in spite ourselves.

Index

Mots-clés : Almereyda , Branagh, Hamlet, Montaigne, Shakespeare

Géographique : Angleterre , France

Chronologique : XVIIe siècle 

Plan

Texte intégral

1L’ouverture d’Hamlet nous met en garde : la scène, hormis les acteurs qui la peuplent, est vide ou quasiment, il n’y a probablement ni étoile, ni colline, ni château sur le pied de guerre. Mais que les mots soient dits et alors surgissent pour nous le château, la mer, la rosée sur la colline, tous ces fantômes, toutes ces choses qui sont là sans être là. Les mots entendus, dans Hamlet, font lever l’apparition. Ce qui semble une injonction paradoxale dans Lear, « look with thine ears » (« regarde avec les oreilles »), décrit peut-être non seulement le fait théâtral, mais encore une réalité sociale et culturelle majeure : les mots structurent la vision, ils orientent et déterminent l’interprétation de ce qui est à voir, de ce qui est ou n’est pas là, et de ce qui est à faire ou non. Si le pouvoir des mots peut relever d’une forme de magie verbale, d’un enchantement poétique dont A Midsummer Night’s Dream donne la mesure, il présente aussi sa face obscure, la merveille devenant enfer. Or Hamlet propose l’image structurante du poison versé dans les oreilles, depuis le récit du fantôme entendu dans la nuit, jusqu’au constat amer de Claudius, déplorant que des récits fallacieux aient empoisonné les oreilles de Laertes. Comme dans toute tragédie, les mots sont ambigus, et dans Hamlet en particulier ils peuvent s’avérer, selon que les interprètent auditeurs et auditrices, un véritable poison. Transmis de génération en génération, ils pèsent alors d’un poids lourd, contaminant les cerveaux, l’héritage devenant destin tragique.

2Cette contribution se propose d’interroger l’impact des mots entendus ou hérités sur la perception, induisant la nature systématiquement problématique de l’interprétation dans Hamlet, et les conséquences de ce pouvoir des mots sur la résolution même des actions. Après une lecture de la scène d’ouverture et un examen des questions qu’elle soulève sur la nature du spectacle théâtral, nous nous interrogerons sur la métaphore du poison dans les oreilles au fil de la pièce. Ce faisant, nous nous arrêterons sur la représentation du « meurtre de Gonzago » à l’acte III, discutant la lecture qu’en ont faite les critiques Walter Wilson Greg en 1917 et près de cent ans après Pierre Bayard, ainsi que l’interprétation qu’en ont proposée Kenneth Branagh et son équipe dans leur adaptation cinématographique d’Hamlet en 1996. Puis nous observerons les contradictions d’Hamlet face à l’armée de Fortinbras dans son monologue de l’acte IV scène 4, et les hésitations de son monologue de l’acte III scène 1 à la lumière de l’essai « De la cruauté » de Montaigne et de l’interprétation qu’en ont proposée le réalisateur Michael Almereyda et son équipe dans leur film Hamlet en 2000.

Voir par les oreilles : une « chose » qui est là sans être là

3Qui est là ? Quelle est cette chose qui est là sans être, qui paraît être mais n’est peut-être pas, ou pas ce qu’elle paraît ? L’ensemble de l’œuvre dramatique de Shakespeare file la comparaison entre le théâtre et ses acteurs d’une part, les esprits et les ombres d’autre part, la vie humaine enfin : dans les répliques des fées et de Puck dans A Midsummer Night’s Dream1, dans une longue tirade de Jaques dans As You Like It2, dans la bouche de Macbeth3… À tel point qu’apparaît bien fine la frontière, s’il en reste une, entre être et non-être, entre « to be » et « not to be », comme si dans la formule « to be or not to be », « or » pouvait être compris non seulement comme l’expression d’une alternative, d’un choix existentiel, mais aussi comme une équivalence, le deuxième syntagme relevant d’un commentaire du premier auquel il est coordonné, à la façon de titres célèbres comme Frankenstein or the Modern PrometheusCandide ou de l’optimisme : être, c’est-à-dire ne pas être4.

4La scène d’ouverture de Hamlet signale sa dimension fortement méta-théâtrale en proposant une réflexion sur le phénomène de l’apparition, que celle-ci ait lieu dans la nuit fictive des personnages, ou sur la scène devant les spectateurices. La nature énigmatique de cette « chose » que l’on voit et qui en même temps n’est pas là est soulignée en effet par le mot volontairement le plus vague possible de « thing ». Celui-ci désigne l’apparition du fantôme (la chose étant d’ailleurs immédiatement rapprochée du rien, « thing » de « nothing ») : « Marcellus : What, has this thing appeared again tonight ? / Barnardo : I have seen nothing » (Hamlet I, 1, 21-225). Mais ce même mot de « thing » désigne aussi la pièce de théâtre, lorsque Hamlet projette de faire représenter le meurtre de Gonzago devant le roi Claudius pour observer ses réactions et déterminer si oui ou non la voix entendue dans la nuit a dit vrai, si Claudius est coupable ou innocent : « […] The play’s the thing / Wherein I’ll catch the conscience of the king6 » (II, 2, 596-597). Le théâtre est une « chose » aussi énigmatique que le fantôme.

5En fait, le théâtre relève, comme l’apparition, d’une nature spectrale : ce qui est donné à voir sur la scène est là sans être là, c’est une chose et pourtant en même temps l’absence de chose, il faudrait presque dire pour rendre justice à l’anglais « I have seen nothing », la non-chose, ou le rien. Ainsi dans la scène d’ouverture d’Hamlet, les personnages évoquent une étoile à l’ouest : « Last night of all, / When yond same star that’s westward form the pole / Had made his course t’illumine that part of heaven / Where now it burns7 » (I, 1, 56-58). Ils parlent d’un fantôme, de canons de bronze, des charpentiers de marine, de tout un État sur le pied de guerre, puis à la fin de la scène évoquent l’apparition de l’aurore en manteau roux : « But look, the morn in russet mantle clad, / Walks o’er the dew of yon high eastward hill8 » (I, 1, 166-167). Or sur la scène du théâtre, il n’est rien de tout cela, ni étoile, ni aurore, ni colline, ni rosée. Mais l’évocation est aussi appel, l’illusion se lève, l’apparition surgit, grâce aux mots des personnages, prononcés par les acteurs, et que nous entendons. Nous voyons cette chose qui est là sans être là. C’est la nature même du spectacle théâtral : nous voyons par les oreilles.

6Or ce qui fonctionne pour nous spectateurices fonctionne aussi sans doute pour les personnages, et Horatio semble être, malgré son scepticisme initial, un bon spectateur. D’abord incrédule la première fois qu’a été mentionnée à son attention, hors scène, une apparition du vieil Hamlet, il change de point de vue une fois conduit sur cette scène nocturne, dans ce décor minimal d’un noir d’encre. Après y avoir entendu le début du récit de Barnardo, lorsque Marcellus s’exclame » Look, where it comes again9 » (c’est le même appel que pour l’aurore, « But look, the morn in russet mantle clad »), Horatio voit l’apparition : « Before my God, I might not this believe / Without the sensible and true avouch / Of mine eyes10 » (I, 1, 56-58). Il fait mieux, il reconnaît sans aucun doute possible l’ancien roi qu’il n’a vu qu’une fois dans sa vie comme il l’admet à la scène suivante (« I saw him once ; he was a goodly king11 », dit-il alors à Hamlet, Acte I, scène 2, 186). Qui plus est, et malgré cette unique rencontre (à peine est-ce une rencontre, peut-être le vieil Hamlet n’a-t-il été aperçu que de loin), Horatio reconnaît l’ancien roi à un détail infime : au sourcil froncé de feu Hamlet, et ceci bien que le fantôme soit armé et casqué de pied en cap comme le texte le précise à plusieurs reprises dans cette scène et la suivante. Ces circonstances étonnantes, accumulées comme autant de contre-preuves, invitent à mettre en doute la reconnaissance, d’autant que Shakespeare a pris soin de souligner l’obscurité de la scène : quelques répliques plus haut, on n’y voyait rien, la nuit noire empêchait les soldats de se reconnaître les uns les autres, de distinguer les amis des ennemis, les Danois des Norvégiens, et les soldats en étaient réduits à s’identifier par la voix et les mots. Le témoignage d’Horatio et la confiance qu’il accorde à la vision de ses yeux sont-ils fiables ? Ou n’a-t-il pas plutôt cru voir, avec les yeux de l’esprit et de l’imagination, ce que ses oreilles ont commencé de lui faire voir grâce au récit de Barnardo et à la mise en scène suggestive de ses camarades, exactement comme nous voyons la colline, l’étoile et l’aurore ? L’apparition spectrale ne relève-t-elle pas des « tours » et de la puissance de l’imagination d’un poète, qu’il soit soldat ou dramaturge, pour reprendre les mots de Theseus dans A Midsummer Night’s Dream12 ?

7La question est volontairement laissée à l’appréciation du public, mais manifestement posée au sein de la pièce, où les personnages voient ou ne voient pas, entendent ou n’entendent pas l’apparition : si Barnardo, Marcellus, Horatio affirment voir le spectre, Hamlet est le seul à l’entendre parler, et Gertrude ne voit ni n’entend rien de ce qu’entend et voit Hamlet à l’acte III scène 4. Or l’hésitation entre la crédulité accordée à des phénomènes étranges et l’explication rationnelle par les jeux de l’imagination ou de l’autosuggestion est aussi construite par l’ensemble de l’œuvre de Shakespeare, où les répliques des personnages, d’une pièce à l’autre, s’opposent parfois mot à mot. Ainsi les propos tenus par Horatio, une fois qu’il est convaincu de la réalité du fantôme, semblent tout exprès contredire ceux de Theseus dans A Midsummer Night’s Dream. Hippolyta y commente en effet, vers la fin du Songe, le récit des quatre jeunes gens qui ont vécu de si étranges aventures dans la forêt : « ‘Tis strange, my Theseus, that these lovers speak of13 » et de la même façon, Hamlet écoute le récit de l’apparition du fantôme par Horatio et commente à peu de chose près comme Hippolyta « ‘Tis very strange14 ». Mais alors que Theseus réplique « More strange than true. I never may believe / These antic fables, nor these fairy toys15 », Horatio quant à lui affirme « As I do live, my honoured lord, ‘tis true16 ». Est-ce Theseus qui est trop rationnel, trop philosophe peut-être, ou Horatio qui est trop crédule ? Si Theseus compare les fous qui voient « more devils than vast hell can hold », l’amoureux qui « Sees Helen’s beauty in a brow of Egypt » et le poète qui donne forme, lieu et nom à « airy nothing17 » (A Midsummer Night’s Dream V, 1, 7-17), Hamlet est-il à la fois le fou, l’amoureux et le poète de Theseus ?

8Chaque soir en ce début d’Hamlet est l’occasion d’une nouvelle apparition du spectre, comme à chaque soir de représentation la scène du théâtre recrée l’illusion, et les morts de la tragédie de la veille reviennent. Hamlet, une fois entendu le récit d’Horatio, ne manque pas de voir à son tour le fantôme. Mais les mots, s’ils font voir ce qui est là sans être là, s’ils peuvent relever d’une forme de magie verbale, d’une opération féérique dont Midsummer Night’s Dream déploie les merveilles (baldaquin végétal de Titania, monde sensible, pensant et parlant, par là-même enchanté, où communiquent les règnes végétal et animal), peuvent aussi peser tragiquement. Comme l’écrit Jean-Pierre Vernant, l’ambiguïté, et celle des mots mêmes, est au cœur de la tragédie, aucun genre littéraire « n’utilise en effet aussi largement que la tragédie les expressions à double sens ». Le public est alors conduit à comprendre :

qu’il y a en réalité deux sens possibles, ou davantage. Le message tragique lui devient intelligible dans la mesure où, arraché à ses certitudes et à ses limitations anciennes, il réalise l’ambiguïté des mots, des valeurs, de la condition humaine. Reconnaissant l’univers comme conflictuel, s’ouvrant à une vision problématique du monde, il se fait lui-même, à travers le spectacle, conscience tragique18.

9Dans la tragédie, la parole éminemment ambiguë est à l’image de l’oracle, oblique. Elle peut certes être l’outil de la révélation, mais a contrario elle risque aussi d’être le véhicule de la tyrannie, de la violence, de l’erreur… Cette ambiguïté de la parole, du langage, est aussi une métaphore de l’ambiguïté fondamentale du monde et de toute chose. Parler n’est par essence ni vertueux ni vain, ni libérateur ni opprimant. Tout dépend de la parole en question et peut-être surtout de la façon dont elle est interprétée et reçue. C’est même là sans doute la caractéristique tragique par excellence que cette parole oblique, difficile à interpréter, et dont l’interprétation erronée ou précipitée provoque parfois des catastrophes, ici comme dans Œdipe Roi, au point de devenir un véritable poison.

Du poison dans les oreilles

10La voix entendue dans la nuit par Hamlet raconte : « Now Hamlet, hear, / ‘Tis given out that, sleeping in my orchard, / A serpent stung me. So the whole ear of Denmark / Is by a forgèd process of my death / Rankly abused. But know, thou noble youth, / The serpent that did sting thy father’s life / Now wears his crown » (Hamlet I, 5, 34-3919). Dans cette première occurrence, deux acceptions du serpent coexistent, l’une littérale, l’autre figurée, la première étant balayée (comme fausse) par la voix du spectre au profit de la seconde. Si la voix spectrale invalide le récit de la mort de Old Hamlet par morsure de serpent, elle pose l’existence d’un serpent figuré ayant abusé l’oreille du Danemark. Les images du récit trompeur et celles qui le remplacent, ainsi contiguës, semblent d’autant rejouer le récit biblique de la Chute et du serpent aux paroles trompeuses que le cadre donné pour cette mort est celui du jardin. Le faux récit répugnant, œuvre d’un serpent figuré et quasiment diabolique trompant par ses mots, est donc explicitement rapproché d’un venin. Or, après une exclamation d’Hamlet, survient un troisième récit, qui synthétise les images du premier et du deuxième : « Sleeping in my orchard, / My custom always in the afternoon, / Upon my secure hour thy uncle stole / With juice of cursed hebenon in a vial, / And in the porches of mine ears did pour / The leperous distilment » (I, 5, 59-6420). Le serpent qu’est le frère et oncle, l’auteur d’un récit répugnant, empoisonne le roi en lui versant un poison pestilentiel (ou provoquant la lèpre) dans les oreilles.

11Toutefois, le spectre affirme avoir été en train de dormir lors de l’empoisonnement et l’identification sans doute possible de l’empoisonneur par le dormeur est au moins aussi étrange que l’identification visuelle du fantôme dans la nuit noire par Horatio. Au-delà de ce premier doute, qui fragilise la fiabilité du témoignage, une autre question se pose, justifiée par le rapprochement des images, des acceptions littérales et figurées du serpent, et des connotations autour du poison, de la puanteur ou de la maladie. En effet, « rankly abused » semble préparer « leperous distilment », et l’oreille du roi empoisonné se superpose d’autant plus facilement à celle du Danemark abusée par un récit immonde, que le roi est aussi une incarnation de la nation selon la théorie du double corps du roi, ce que révèle bien l’emploi des noms Norway, England etc. pour en désigner le roi : l’oreille du Danemark et celle du roi du Danemark se confondent donc partiellement. Dans la mesure où l’oreille du Danemark a été abusée par un serpent au discours immonde, n’est-il pas possible d’imaginer que le poison versé dans l’oreille du roi du Danemark ait été, comme dans le cas de l’oreille du Danemark, moins liquide que verbal ?

12De même que A Midsummer Night’s Dream joue sur l’antique métaphore de l’aveuglement amoureux et sa réappropriation littérale dans l’image du suc de la fleur d’Occident, versé sur les yeux des dormeurs, jeunes gens athéniens ou reine des fées, dont il trouble la vue, de même Hamlet pourrait jouer sur la tout aussi antique métaphore du serpent armé de mots trompeurs et mortels glissées à l’oreille de ses victimes, et décliner dans des variantes littérales l’ancienne métaphore.

13D’ailleurs, d’autres mots blessants ou empoisonnés circulent dans la pièce. Ainsi Gertrude supplie Hamlet de se taire, blessée par ses paroles : « O speak to me no more. / These words like daggers enter in my ears » (Hamlet III, 5, 92-9321). Mais surtout, des rumeurs courent sur la mort de Polonius, accusant faussement Claudius puisque c’est Hamlet qui a tué Polonius. Or la rumeur est comparée par Claudius à « un trait empoisonné », menaçant la réputation du roi : « haply slander, / Whose whisper o’er the world’s diameter, / As level as the cannon to his blank, / Transports his poisoned shot22 » (IV, 1, 40-43). Laertes est aussi, toujours d’après le roi Claudius, infecté, empoisonné par ces récits : « Her brother is in secret come from France, / Feeds on this wonder, keeps himself in clouds, / And wants no buzzers to infect his ear / With pestilent speeches of his father’s death, / Wherein necessity, of matter beggard, / Will nothing stick our person to arraign / In ear and ear23 » (Hamlet IV, 5, 87-93). Ainsi Claudius dénonce ces récits trompeurs sur la mort de Polonius en des mots extrêmement proches de ceux qu’utilisait la voix spectrale au premier acte pour dénoncer les récits fallacieux sur sa propre mort, et accuser ce même Claudius. Le premier récit de l’empoisonnement par morsure de serpent avait cédé la place à la métaphore du serpent abusant l’oreille du Danemark, et le récit de la mort du roi par une distillation « lépreuse » versée dans l’oreille à l’acte I trouve un prolongement dans la métaphore des récits pestilentiels infectant l’oreille de Laertes à l’acte IV. Les acceptions littérales et métaphoriques se répondent, confirmant a posteriori l’invitation à penser le poison versé dans l’oreille du roi du Danemark comme un jeu sur une métaphore.

14Cette hypothèse, une fois posée, soulève une question subséquente : si la mort du roi est due à un poison verbal, un poison métaphorique donc (et après tout, la métaphore est aussi une « chose » – un mot, qui n’est pas ce qu’elle paraît, mais est là pour désigner autre chose), quelles terribles paroles ont pu rendre malade le vieil Hamlet au point qu’il en meure ? En attendant de répondre, sur un mode hypothétique, à cette autre énigme, il nous faut poursuivre notre examen des problèmes que pose l’interprétation des « choses » vues, notamment sur une scène de théâtre : arrêtons-nous, donc, sur la scène de théâtre dans le théâtre, la représentation du meurtre de Gonzago, cette chose qui n’est nulle chose ou qui est le rien (« all for nothing24 » dit Hamlet à propos de l’émotion d’un comédien à l’Acte II scène 2 vers 546). Car lors d’une représentation, toutes les spectateurices ne voient pas forcément la même chose. L’interprétation qu’elles peuvent en faire, déterminée peut-être par des récits entendus antérieurement, est donc éminemment problématique.

Le Meurtre de Gonzago : quand Hamlet et Claudius ne voient pas la même « chose »

15À l’acte III, Hamlet fait représenter un meurtre royal devant la cour, l’assassinat de Gonzago par un empoisonneur qui lui verse du poison dans l’oreille, avant de séduire la reine veuve et de s’emparer de la couronne. Cette représentation, mise en scène par Hamlet, est censée lui permettre de découvrir la vérité sur la chose entendue dans la nuit. La voix du spectre était-elle véritable, Claudius est-il coupable ? ou la voix était-elle celle de l’antique serpent, ce démon capable (comme le comédien) de prendre n’importe quelle apparence dans le but de l’abuser (c’est le même verbe que celui employé par le spectre dans la scène 5 de l’acte I qui revient) par des mots trompeurs : « The spirit that I have seen / May be the devil, and the devil has power / T’assume a pleasant shape ; yea, and perhaps / Out of my weakness and my melancholy, / As he is very potent with such spirits, / Abuses me to damn me25 » (Hamlet II, 2, 590-595). La réaction du roi lors de la représentation, pense Hamlet, permettra de trancher.

16Dans son Enquête sur Hamlet. Le dialogue de sourds (Minuit, 2002), Pierre Bayard reprend une question soulevée en 1917 par Walter Wilson Greg concernant la représentation du meurtre de Gonzago. Rendons à César : c’est à Pierre Bayard que je dois d’avoir lu l’article de Walter Wilson Greg, « Hamlet’s Hallucination », paru dans The Modern Language Review. Dans son article, Greg commence par étudier les apparitions de fantômes dans Richard III, Macbeth et Julius Ceasar et les interprète à chaque fois comme des rêves ou des hallucinations des seuls personnages qui les voient, à savoir les meurtriers Richard, Macbeth et Brutus. Greg écrit : « Shakespeare’s attitude towards ghosts may be described as frankly sceptical. That is to say, those he represents in his plays are either confessedly the illusions of sleep or distemper, or may be readily explained as such26. » Puis, il en vient à Hamlet et examine la scène de The Mouse Trap. Rares sont les critiques, note Greg, à avoir remarqué que Claudius ne réagit pas lors de la première représentation du meurtre, à savoir la pantomime qui précède la pièce dialoguée. Pourtant, les circonstances du meurtre représentées dans la pantomime sont parfaitement identifiables, même en l’absence de mots, et Greg insiste sur ce fait : au-delà du meurtre du roi, de la séduction de la reine, les circonstances de la mort par un poison versé dans l’oreille du roi miment exactement le récit du fantôme. Face à la représentation d’une stratégie aussi singulière et unique, une sorte de signature, Claudius, s’il avait effectivement commis un tel meurtre, devrait donc le reconnaître et, en le voyant représenté devant la cour lors de la pantomime, réagir. L’inertie de Claudius lors de la première représentation, puis sa vive réaction lors de la seconde, s’expliquent-elles par la répétition, les nerfs du roi « were able to stand the first the shock of the first representation of his crime, but were unable to endure the repetition of it 27 » ? Cette hypothèse de la « seconde dent », « second tooth theory », si elle lui paraît acceptable sur le plan psychologique, est réfutée par Greg comme dépourvue de sens sur le plan dramatique : « And the text clearly shows that the King, though disquieted by the play as it proceeds, does not recognize in the dumb-show a representation of his own act28 ». Tout aussi dépourvue de sens lui apparaît l’autre hypothèse, parfois avancée, selon laquelle Shakespeare aurait présenté cette pantomime pour rendre hommage à un usage du premier théâtre élisabéthain. En fait, explique Greg, la pantomime était effectivement à la mode au XVIe siècle, mais il n’existe pas d’exemple où cette pantomime aurait servi d’introduction à la pièce dialoguée qui en doublerait le récit. Tout aussi peu pertinente lui apparaît la troisième hypothèse, selon laquelle Hamlet aurait, contrairement à tout usage, fait précéder sa pièce d’une pantomime pour parer à l’éventualité de la distraction du roi, distraction qui aurait effectivement lieu, le Roi et la Reine absorbés dans une conversation ne prêtant pas attention à la première partie de la représentation, ce qui expliquerait le calme de Claudius : » The explanation is, indeed, a lame one, but such as it is it has had to serve, for no other has been forthcoming29 ». Greg l’assure, cette pantomime précédant la représentation dialoguée est unique et étrange, elle est donc délibérée et assume nécessairement une fonction dramatique précise. Il est impossible que Claudius, s’il a tué son frère comme l’a raconté le spectre, ne reconnaisse pas son crime dans la pantomime, vu la singularité des circonstances d’un meurtre parfaitement conforme au récit du spectre : « The manner in which the poison is administered makes even the shadow of a doubt absurd. There is but one rational conclusion : Claudius did not murder his brother by pouring poison into his ears30 ». Et Greg d’en déduire que si la mort du vieil Hamlet n’est pas conforme au récit du spectre, c’est que le spectre n’est pas un « honnête fantôme » mais un menteur, et son récit une invention de l’esprit d’Hamlet : « In other words, the Ghost’s story was not a revelation, but a mere figment of Hamlet’s brain31 ».

17La raison pour laquelle Claudius se lève enfin, lors de la deuxième représentation, n’est donc pas liée à la reconnaissance de son crime. Selon Greg, Claudius est indigné par le comportement d’Hamlet et le choix de la pièce qu’il fait représenter devant la cour : les paroles de la Reine de comédie lors de la deuxième représentation sont un miroir direct du remariage de Gertrude. Cette représentation, et la question d’Hamlet à sa mère « Madam, how like you this play32 ? » (III, 2, 221), sont « a coarse insult to the Queen – gross, open, palpable », « a slap in the face before the whole court33 ». L’excitation d’Hamlet, son comportement insultant et potentiellement dangereux sont cause de l’interruption de la pièce par le roi.

18Pierre Bayard, dans Enquête sur Hamlet, reprend l’observation de Greg, cette bizzarerie que présente l’absence de réaction de Claudius lors de la pantomime. Si la représentation du meurtre de Gonzago ne prouve pas la culpabilité de Claudius, il reconnaît toutefois que deux autres occurrences semblent accuser le roi. Claudius éprouve en effet de la culpabilité, qu’il mentionne en aparté lorsque Polonius met en scène Ophelia et prétend, avant que le prince ne tente de faire de même pour Claudius, espionner Hamlet pour voir clair dans son âme : « The harlot’s cheek, beautied with plast’ring art, / Is not more ugly to the thing that helps it / Than is my deed to my most painted word34 » (III, 1, 52-54). Mais le « fait » dont il s’avoue coupable n’est pas précisé, et ce « deed » très vague pourrait renvoyer à autre chose que le meurtre du vieil Hamlet par le poison. Si Bayard ne propose pas d’hypothèse, la pièce ne manque pas d’ouvrir des pistes, parmi lesquelles on pourrait citer une entreprise de séduction intempestive, peu de temps après la mort du roi, une forme d’inceste puisque le roi épouse sa belle-sœur (comme le suggère la voix entendue dans la nuit évoquant en I, 5, 83 « A couch for luxury and damnèd incest35 »), un remariage précipité motivé par la seule ambition et un couronnement qui prive l’héritier légitime de ses droits sur la couronne, comme Hamlet y fait lui-même allusion. De là à émettre l’hypothèse de l’adultère…

19Selon Bayard, l’autre occurrence qui souligne la culpabilité de Claudius, la scène de la prière de Claudius, juste après la représentation du meurtre de Gonzago, « est le seul verrou réel ». « Or ce verrou, si l’on réfléchit, ne tient pas36 ». Pour Bayard, le fait que dans la scène 4 de l’acte III, Hamlet voie et entende le fantôme, quand Gertrude ne voit ni n’entend rien, est d’une conséquence radicale :

En présentant en même temps deux personnages qui, comme dans un croisement de paradigmes, ne voient pas la même chose, Shakespeare laisse clairement entendre que la pièce à certains moments montre ce que voit l’un d’entre eux. La présence scénique du fantôme, attestée par la didascalie mais récusée par Gertrude, prouve ainsi que sont représentées sur scènes certaines hallucinations des personnages.
Il est tentant alors de lire de la même manière la scène des aveux de Claudius et de se demander s’ils ne sont pas également le produit d’une hallucination d’Hamlet37.

20L’hypothèse, certes hardie, selon laquelle la scène de prière de Claudius (scène 3 de l’acte III) est un spectacle vu ou imaginé par Hamlet, est légitimée d’après Bayard par le fait qu’on découvre en effet Hamlet espionnant Claudius, et commentant ce qu’il vient de voir et d’entendre. On pourrait aussi ajouter que c’est la seule scène de la pièce où un personnage autre qu’Hamlet monologue, ce qui la rend effectivement très étrange dans le dispositif dramaturgique. Quoi qu’il en soit, à partir de son postulat, Bayard construit une autre hypothèse que Greg à l’absence de réaction de Claudius lors de la pantomime, une conclusion qu’il avoue lui-même être une forme d’engagement personnel, ce qu’il appelle une « activité de complément38 ». La pièce de Shakespeare en effet laisse en suspens de nombreuses questions non résolues, sur la nature de l’apparition, sur la folie d’Hamlet : « comment trancher à propos d’un personnage qui fait semblant d’être fou, sinon, pour chaque lecteur, en s’engageant personnellement ? », chacun alors « se voit contraint de […] compléter » la pièce, « dans un sens ou dans un autre, en ralliant l’hypothèse de sa santé ou celle de sa folie39 ». Ce dispositif relevé par Bayard, qui invite les spectateurices à compléter par leurs propres hypothèses une histoire génialement « insatisfaisante » selon les termes d’Hamlet à la toute fin40, suscite indéniablement des interprétations à n’en plus finir. Et peu importe qu’on suive Bayard sur son propre « complément » et sa propre interprétation, à savoir l’hypothèse qu’Hamlet fils ait tué Hamlet père41. Ce qui m’intéresse ici est surtout cette observation qu’on peut en déduire : le fait que Shakespeare ait placé le problème de l’interprétation au cœur de l’action dramatique.

21Au cœur de l’action justement, lors de la scène de The Mouse Trap, il nous reste à faire une autre observation, que ne font ni Greg ni Bayard. En effet, si l’ensemble des circonstances de la mort du Roi de comédie sont exactement les mêmes dans la pantomime et dans la scène dialoguée, il est un détail essentiel qui change : la nature des relations de parenté entre le Roi de comédie et son assassin n’est pas précisée dans la pantomime, mais elle l’est, par Hamlet, au moment de la deuxième représentation. Or l’assassin dans la pièce mise en scène par Hamlet n’est pas le frère du roi, mais son neveu : « This is one Lucianus, nephew to the King42 » (III. 2. 235). Ce détail essentiel, qui renvoie moins au couple de frères Old Hamlet-Claudius qu’au lien familial entre Hamlet et Claudius, modifie évidemment la lecture qu’on peut faire de The Mouse Trap, la distinguant alors de celle qu’en font Hamlet lui-même et une longue tradition critique.

22Cette autre lecture est proposée, sous la forme d’une alternative ou d’une controverse, dans le film Hamlet dirigé par Kenneth Branagh. Dans ce film de 1996, la pantomime est d’abord présentée, sans réaction manifeste de Claudius. Puis, lors de la représentation dialoguée, Hamlet (interprété par Kenneth Branagh), fait le « chœur », pour reprendre les mots d’Ophelia, et commente les actions des comédiens. Mais dans la mise en scène de Branagh, Hamlet fait davantage : il monte sur scène, vole la vedette au comédien, et joue lui-même le rôle du meurtrier de Gonzago, le neveu Lucianus. C’est lui qui verse le poison dans l’oreille du Roi de comédie. Qui plus est, une allégorie sculptée de la mort se découpe sur le décor du fond de scène, et l’angle de la caméra permet que le corps d’Hamlet se fonde avec l’allégorie de la mort, noire comme le vêtement du prince, la faux de la sculpture donnant l’illusion d’être celle d’Hamlet. Bref, le décor, l’angle de vue, le choix de faire jouer l’assassin Lucianus par Hamlet, tout associe Hamlet à la mort. Incarnant sur scène la figure de l’assassin du roi, il devient menaçant.

23Ainsi, le choix fait par l’équipe du film semble suggérer que si Claudius se lève, ce n’est pas parce qu’il reconnaît sa culpabilité et son crime, c’est parce qu’il se sent directement menacé par un neveu qui joue sur scène un régicide, et ce devant l’ensemble de la cour. Indigné, peut-être effrayé, Claudius interrompt une représentation qui peut être comprise comme une menace publique de mort du neveu à son oncle et une déclaration de guerre du prince au roi.

24Pourtant, dans la même scène du film de Branagh, et tandis qu’Hamlet coryphée raconte la mort de Gonzago tout en jouant lui-même le meurtre, le montage alterne sur un rythme de plus en plus rapide de très gros plans sur les yeux de Claudius, sur ceux d’Hamlet et des images de la mort du vieil Hamlet. Ce montage alterné semble plutôt plaider en faveur de la culpabilité de Claudius. Certes, nous pouvons interpréter les images de la mort du vieil Hamlet comme le produit de l’imagination d’Hamlet, mais le montage nous incite aussi à les comprendre comme des retours en arrière, et possiblement des souvenirs de Claudius.

25En somme, c’est comme si la mise en scène filmique proposait deux interprétations polémiques et contradictoires de l’action dramatique lors de la scène de The Mouse Trap : donnant à voir à la fois la menace que représente Hamlet pour Claudius, mais aussi potentiellement la culpabilité du roi.

26Il est difficile de trancher, et là encore c’est aux spectateurices à s’engager, pour reprendre l’expression de Bayard, ou encore à refuser de le faire, et à maintenir vibrantes l’ambiguïté et la contradiction, ce que le texte nous invite peut-être à faire d’ailleurs. En effet, Horatio, interrogé par Hamlet après la représentation, affirme qu’il a très bien observé Claudius, vu toutes ses réactions : « Very well, my lord », « I did very well note him43 » (III, 2, 278-280). Mais Horatio ne précise pas ce qu’il a vu : agacement ? culpabilité ? indignation ? peur ? Claudius a-t-il vu la même chose qu’Hamlet lors de cette représentation ? Si Hamlet a vu une représentation de la mort du roi son père, Claudius a possiblement vu une annonce de sa propre mort par son neveu : non un crime passé, mais l’annonce d’un meurtre à venir. Comment Horatio pourrait-il interpréter avec certitude les réactions de Claudius, quand la « chose » qu’a vue Claudius est si incertaine ? À ce point de la pièce, perdant tout discernement, Hamlet surexcité s’affirme convaincu de la réussite de son piège, certain de la véracité du fantôme et de la culpabilité de son oncle. Mais peut-être sa lecture des événements est-elle entièrement orientée par le récit qu’il a entendu dans la nuit. À moins que cette voix même, hallucinée, ne soit que l’écho de mots antérieurs qui auraient en un sens empoisonné Hamlet.

Les contradictions d’Hamlet : Hamlet empoisonné ?

27Dans son article « Hamlet’s Hallucination », Walter Wilson Greg souligne l’étrange coïncidence qui voudrait une absolue symétrie entre les circonstances singulières de l’assassinat du roi par du poison dans l’oreille dans le récit du spectre et les mêmes circonstances spéciales dans une pièce italienne préexistante, que les comédiens arrivés à Elsinore connaîtraient. Cette coïncidence, invraisemblable et quasiment ridicule selon Greg, ne peut s’expliquer que si les paroles du spectre extériorisent la pensée du prince, une pensée elle-même née de la connaissance de la pièce italienne : « The Ghost described this particular method of poisoning because it was already present in Hamlet’s mind. In other words it was not the Ghost’s story that suggested the Murder of Gonzago, but the Murder of Gonzago that supplied the details of the Ghost’s story44 ». Ce qu’on peut déduire de la suggestion de Greg, c’est que c’est l’action dramatique d’une pièce, connue d’Hamlet, vue et entendue autrefois par lui, qui aurait orienté sa compréhension des événements récents et son interprétation de la mort de son père. En somme, il lirait les événements à travers le prisme de la littérature, et plus particulièrement des mots du théâtre.

28Or quel rôle le théâtre propose-t-il à Hamlet, si ce n’est le vieux modèle de l’action héroïque, la geste sanglante, la revanche de « l’honneur » offensé ? Dans son monologue de l’acte III scène 1 (84-89), Hamlet se lamente :

Thus conscience does make cowards of us all,
And thus the native hue of resolution
Is sicklied o’er with the pale cast of thought,
And enterprises of great pitch and moment
With this regard their currents turn awry
And lose the name of action
45.

29Dans le monologue, l’action évoquée par Hamlet et à laquelle il ne parvient pas à se résoudre est vraisemblablement une action armée (« Or to take arms against a sea of troubles, / And by opposing end them46 », III, 1, 60-61). Il s’agit peut-être du suicide, mais peut-être aussi d’une action violente contre un ennemi, entraînant un risque de mort. Et Hamlet se lamente qu’en raison de sa conscience, de la méditation sur les risques de l’Enfer (risques encourus par le suicide comme par le meurtre) il ne se résolve pas à accomplir cette action, quelle qu’en soit la nature exacte. Pourtant le mot « action » apparaît aussi ailleurs pour désigner la feinte du comédien, l’illusion, l’apparence : « These indeed seem, / For they are actions that a man might play47 » (I, 2, 83-84). Et l’ambiguïté du mot pour désigner à la fois l’action sanglante (suicide ou vengeance) et l’illusion produite par le comédien trouve un écho dans les contradictions d’Hamlet à l’acte IV scène 4 (17-26), lors de la rencontre avec l’armée de Fortinbras :

Captain
Truly to speak, and with no addition,
We go to gain a little patch of ground
That hath in it no profit but the name.
To pay five ducats, five, I would not farm it ;
Nor will it yield or the Pole
A ranker rate, should it be sold in fee.

Hamlet
Why, then the Polack will never defend it.

Captain
Yes, it is already garrisoned.

Hamlet
Two thousand souls and twenty thousand ducats
Will not debate the question of this straw
48.

30L’action armée engagée ici par les belligérants a pour cause un fétu sans valeur, un terrain minuscule, sans autre profit que le « nom » (« no profit but the name »). Mais « à la lumière pâle » de la conscience critique, pour reprendre les termes du monologue de l’acte III, cette action ne perd-elle pas son nom ? ne devient-elle pas simple action dramatique, feinte de comédien, rôle dépourvu de vérité, illusion ? Le monologue d’Hamlet à l’acte IV semble en partie aller dans ce sens, soulignant la vanité de cette guerre, la démesure de l’enjeu, cette paille, et du carnage à venir de vingt mille hommes dont la terre à conquérir ne fournira pas la tombe. Et l’on songe aux héros décimés par Achille dans L’Iliade, si nombreux que le Xanthe devenu rouge de leur sang ne peut plus charrier les cadavres qu’il dégorge sur les rives. C’est la même démesure héroïque, le même gâchis. L’honneur, la gloire deviennent alors dans les paroles d’Hamlet de simples illusions :

[…] I see
The imminent death of twenty thousand men
That, for a fantasy and a trick of fame,
Go to their graves like beds, fight for a plot
Whereon the numbers cannot try the cause,
Which is not tomb enough and continent
To hide the slain
49.

31La gloire serait un « truc », un effet de l’imagination illusionniste ou un tour de passe-passe et de mots, comme ceux sur lesquels ironise Theseus dans A Midsummer Night’s Dream. La « fantasy », le produit de l’imagination, rappelle les mots d’Horatio sceptique quant à l’existence du spectre (« Horatio says ‘tis but our fantasy », I, 1, 23). La gloire du héros armé est un fantôme, un vain mot.

32Mais de même qu’Horatio finit par croire à l’existence du spectre, Hamlet est hanté, possédé par les vieux mots. Alors même que sa conscience critique travaille à déconstruire l’héritage héroïque, le monument littéraire et théâtral qui a érigé cette « fantasy », cette gloire imaginaire, alors même qu’il souligne en l’homme sa dignité, cette raison et capacité à envisager l’avant et l’après, les causes et les conséquences d’une action, faisant de lui l’image de Dieu (« That capability and God-like reason »), il conclut contre toute logique « Rightly, to be great / Is not to stir without great argument, / But greatly to find quarrel in a straw / When honour’s at the stake » et « O, from this time forth, / My thoughts be bloody, or be nothing worth50 ! » (IV, 4, 53-56 et 65-66). Le jeu rhétorique sur « great », « great argument », « greatly » souligne l’artifice d’un retournement de pensée que rien ne semble justifier dans la scène. Telle est la puissance des anciens mots entendus, action, honneur, gloire. Alors même qu’Hamlet reconnaît leur vanité, leur nature spectrale ou théâtrale de choses qui ne sont rien, ce sont ces mots plurimillénaires qui décident finalement de son action, et du rôle qu’il décide d’adopter désormais. Ils l’emportent peut-être sur d’autres mots plus récents, ceux de Montaigne qui sait, dans le chapitre « De la cruauté » du livre second des Essais.

Hamlet et Montaigne

33Selon Robert Ellrodt, Shakespeare aurait lu Les Essais dans la traduction de Florio, alors qu’elle circulait sous forme manuscrite, avant même sa publication en 1603, précisément autour de 1600-1603, c’est-à-dire au moment de la rédaction de Hamlet, Troilus and Cressida, et Measure for Measure51. Richard Hillman a rapproché le vocabulaire de Shakespeare, notamment dans le monologue d’Hamlet à l’acte III scène 1, de celui de la traduction de Florio du chapitre XII « De la physionomie » du livre second des Essais52, et Ellrodt a insisté sur l’importance des chapitres XX, XXI et XXII de ce même livre des Essais pour l’ensemble des monologues d’Hamlet. Il me semble qu’on peut aussi être frappé par la convergence entre les monologues d’Hamlet et le chapitre « De la cruauté » du livre II, où Montaigne reconnaît l’excellente bonté de celui qu’une raison conduit « doucement et paisiblement », mais admire davantage encore le « vertueux » qui « s’armerait des armes de la raison contre ce furieux appétit de vengeance » :

Il me semble que la vertu est autre chose et plus noble que les inclinations à la bonté qui naissent en nous. Les âmes réglées d’elles-mêmes et bien nées, elles suivent même train, et représentent en leurs actions même visage que les vertueuses. Mais la vertu sonne je ne sais quoi de plus grand et de plus actif que de se laisser, par une heureuse complexion, doucement et paisiblement conduire à la suite de la raison. Celui qui, d’une douceur et facilité naturelles, mépriserait les offenses reçues, ferait chose très belle et digne de louange ; mais celui qui, piqué et outré jusques au vif d’une offense, s’armerait des armes de la raison contre ce furieux appétit de vengeance, et après un grand conflit s’en rendrait enfin maître, ferait sans doute beaucoup plus. Celui-là ferait bien, et celui-ci vertueusement ; l’une action pourrait se dire bonté ; l’autre, vertu, car il semble que le nom de la vertu présuppose de la difficulté et du contraste, et qu’elle ne peut s’exercer sans partie53

34Est-ce là le livre que lit Hamlet quand Polonius l’interroge (« Polonius : What do you read, my lord ? Hamlet : Words, words, words » II, 2, 190) ? Dans sa traduction des Essais, John Florio conserve à l’ouverture du chapitre la comparaison entre la vertu et la bonté : « Methinks vertue is another manner of thing, and much more noble than the inclinations unto goodnesse54 ». Il reprend littéralement l’expression « prendre les armes » qui sert à définir le combat de la personne vertueuse contre elle-même : alors que l’homme qui néglige les offenses avec facilité accomplit une action rare, « he who being toucht & flung to the quicke, with any wrong or offence reveived, should arme himself with reason against this furiously-blinde desire of revenge, and in the end after a great conflict, yeeld himself maister over-it, should doubtlesse doe much more ». Les mots de Montaigne (ou de Florio) semblent se retrouver par bribes dans le monologue d’Hamlet à l’acte III : non seulement le monologue s’ouvre aussi sur une comparaison entre deux attitudes, pour savoir laquelle des deux est la plus « noble », mais il reprend l’expression « take arms against », et cette première phrase se conclut comme les premières lignes chez Montaigne et Florio sur la fin d’un combat : « To be or not to be, that is the question - / Whether ‘tis nobler in the mind to suffer / The slings and arrows of outrageous fortune, / Or to take arms against a sea of troubles, / And by opposing end them. »

35Il est vrai que ces bribes de citations semblent comme défaites, détournées dans les monologues d’Hamlet. La valeur métaphorique des armes, ce combat moral de la vertu contre l’appétit tragique, « le furieux appétit de vengeance », semble détourné dans le monologue de l’acte III scène 1 au profit du sens littéral de l’action sanglante, armée, contre soi ou contre autrui. Cet appétit de vengeance dont Hamlet se reproche de manquer est en revanche la caractéristique de l’armée du prince de Norvège, le jeune Fortinbras, ce « fort en bras » qui reproduit sans état d’âme l’antique modèle, venge l’« honneur » de son père et a réuni « a list of lawless resolutes / For food and diet, to some enterprise / That hath a stomach in’t55 » (I, 1, 98-100). Toutefois, chez Montaigne, Florio, comme chez Shakespeare, la réflexion porte indiscutablement sur le sens même des mots. Dans la traduction de Florio plus encore que dans le texte original de Montaigne, le mot « action » est omniprésent, systématiquement associé à celui qui méprise les offenses et éventuellement lutte contre son propre appétit de vengeance : « Mindes well borne, and directed by themselves, follow one same path, and in their actions represent the same visage, that the vertuous doe » ; la vertu est considérée « greater and more active » que la bonté ; celui qui parvient facilement à négliger les offenses reçues « should no doubt perform a rare action » mais moindre que celle du vertueux, qui « should doubtlesse doe much more » ; « the one action might be termed goodnesse, the other vertue56 ». On trouve ainsi en quelques lignes quatre occurrences du mot « action » et son dérivé « active » (trois occurrences dans l’original) pour désigner une action sur soi-même ou une capacité à négliger les offenses, et une réflexion constante sur l’usage des mots, leur définition : « the one action might be termed », « the very name of vertue presupposeth difficultie », « we call God good », « we terme him not vertuous ». La réflexion sur le sens des mots sous-tend évidemment une discussion idéologique, éthique, morale sur les valeurs mêmes et la définition de la « noblesse ». L’injonction à la vengeance propre à l’idéal héroïque, aristocratique, archaïque est ravalée au rang d’un désir furieux (tragique), associée au bas corporel (chez Montaigne) ou à l’aveuglement, autre motif tragique (chez Florio), au profit d’une éthique inspirée par le stoïcisme et l’épicurisme, fondée sur la raison, la tempérance et la constance.

36Après une longue liste d’offenses et de revers de fortune, le monologue d’Hamlet à l’acte III se conclut lui aussi sur une réflexion linguistique articulée autour des mots « enterprise », « name » et « action » : « And enterprises of great pitch and moment / With this regard their currents turn awry / And lose the name of action57 ». Il est difficile de décider si ici Hamlet prend le contrepied de Montaigne, ou s’il suit en partie sa leçon. Il est vrai que les connotations associées à la conscience et à la pensée sont très négatives : « Thus conscience does make cowards of us all », « And thus the native hue of resolution / Is sicklied o’er with the pale cast of thought ». Mais on se souvient que les mots « resolute » (de la même famille que « resolution ») et « enterprise », sont déjà apparus dans les propos d’Horatio dans la scène d’ouverture, pour désigner les soldats sans foi ni loi de Fortinbras, justement avec des connotations très négatives (et l’association au bas corporel, à l’estomac et à l’appétit) : Fortinbras a « Sharked up a list of lawless resolutes / For foood and diet, to some enterprise / That hath a stomach in’t58 ». Aussi l’affaiblissement de la « résolution », à la fin du monologue d’Hamlet en III.1, traduit par le participe passé « sicklied over », peut-il se comprendre en deux façons bien distinctes : ou bien la lumière pâle de la pensée affaiblit la couleur originelle de toute résolution, ou bien, à la lumière pâle de la raison, les grandes « entreprises » et « résolutions » prennent une teinte maladive (peut-être écœurante) et ne sont plus dignes d’être appelées « action ».

37La comparaison entre le texte de Montaigne traduit par Florio et le monologue d’Hamlet, mis en relation avec les propos d’Horatio dans la scène d’ouverture, révèle donc une hésitation entre deux sens possibles pour cette fin de monologue : ou bien Hamlet se moque de Montaigne et de cette pensée qui affaiblit toute résolution ou possibilité d’action, ou bien, à la lumière critique de Montaigne et de la pensée humaniste, la froide pensée fait perdre son nom d’action à la prétendue » grande entreprise », elle révèle sous l’illusion de la gloire et de l’honneur le « furieux désir de vengeance », soulignant à la fois la dimension tragique de la vengeance (le poids d’une idéologie qui inlassablement reproduit le carnage), et la bassesse d’un élan qui apparaît soudain comme celui d’estomacs malades. Et il me semble qu’il est possible de voir ces deux propositions coexister dans le texte, dans une tension et une hésitation tragiques. En somme c’est comme si le sens critique, lisible dans le monologue, était en même temps contredit par les connotations péjoratives, le jugement de couardise qu’Hamlet s’inflige, tant la pensée critique de Montaigne est fragilisée par le spectre puissant du modèle héroïque archaïque, depuis Achille et bien avant Achille.

38Ce spectre qui réduit le héros à son bras armé et sanglant, dans une vaine répétition d’« actions » prétendues telles et en somme semblables, le film Hamlet de Michael Almereyda, paru en 2000, semble en dire la hantise. L’intrigue est située à New York, et c’est dans un vidéo club qu’Hamlet, interprété par Ethan Hawke, prononce son monologue de l’acte III scène 1. Le jeune homme est alors cerné par les rayonnages des films, sur lesquels une unique étiquette, déclinée en dizaines d’exemplaires, répète le mot « Action ». Ces centaines de films, aussi semblables que des boîtes de conserve dans un tableau de Warhol, invitent le protagoniste à l’« action », et les écrans du vidéo club ne laissent pas de doute sur la définition du mot : dans ce vidéo club du début du XXIe siècle, Montaigne semble ne jamais avoir été lu, et l’action est partout combat, poursuite en voiture, explosion, flammes, sang, mort. Mais la lassitude du personnage interprété par Ethan Hawke, la laideur de ces rayonnages et de ce cinéma industriel disent aussi à quel point cette injonction à l’action, entendue non comme résistance de la vertu à l’appétit de vengeance mais comme combat armé violent, est écœurante, répétitive, vaine.

Le poison du vieil Hamlet 

39Hamlet l’affirme : il n’a rien d’un Hercule, et ne ressemble peut-être pas plus à son père, ce héros belliciste, armé de la tête aux pieds jusque dans la mort, que son oncle, ce Claudius qui règle les questions internationales et problèmes diplomatiques à coup de lettres : « My father’s brother, but no more like my father / Than I to Hercules59 » (I, 2, 152-153). Dans le film de Kenneth Branagh, le choix des acteurs, de leur coiffure et de leur barbe, souligne les ressemblances entre Hamlet (interprété par Branagh) et Claudius (joué par Derek Jacobi). En revanche, des cadrages serrés soulignent l’imposante corpulence du vieil Hamlet interprété par Brian Blessed. Hamlet et Claudius, sveltes et parés de fines moustaches, semblent appartenir à un autre monde que celui du vieux roi. Des scènes de vie familiale au château, du temps du vieil Hamlet, évoquées comme des souvenirs, soulignent la complicité de Gertrude et de son beau-frère, l’intimité des gestes, ouvrant la possibilité d’un adultère.

40Cette rêverie cinématographique nous donne l’occasion de revenir à la question soulevée plus tôt, des mots entendus par le vieil Hamlet dans son jardin. Si le vieil Hamlet est mort foudroyé par des mots glissés à son oreille dans un demi-sommeil, que peuvent-ils être … sinon peut-être l’évidence qu’Hamlet n’est en rien fils d’Hamlet ? Bien sûr, cette proposition est le produit de mon engagement dans le texte. Stimulée par les multiples différences textuelles entre les deux Hamlet, rendues d’autant plus frappantes par la continuité du nom (contrairement à la version originaire du récit de Saxo Grammaticus dans sa Gesta Danorum du début du XIIe siècle, chez qui le père d’Amlethus est Horwendillus) et les choix suggestifs d’une équipe de comédiens et cinéastes, elle est le résultat d’une « activité de complément60 » selon les mots de Pierre Bayard. Mais l’hypothèse est peut-être moins à prendre dans son sens littéral que figuré. Hamlet ne ressemble pas à Hamlet, et ce qui tue le père empoisonne aussi le fils.

41Ursula Le Guin, dans un essai de 1986, The Carrier Bag Theory of Fiction, propose une parabole sur l’émergence de « l’histoire du tueur », « the killer story », comme tradition narrative hégémonique structurant nos constructions imaginaires. Elle suppose qu’aux temps paléolithiques, néolithiques et préhistoriques, alors même que soixante-cinq à quatre-vingts pour cent de la nourriture des hominidés venaient de la cueillette, ce sont pourtant les chasseurs de mammouth qui se sont imposés comme les héros. Car ils rapportaient des histoires sanglantes, des histoires palpitantes de cervelle giclant, de flèche lancée au bon moment. « That story not only has Action, it has a Hero61. » Elle appelle de ses vœux l’émergence d’une autre tradition narrative, qui aurait pour enjeu l’utile, le beau, et pour motif « le contenant », l’artefact, l’entreprise ou le savoir-faire qui permet de transporter, conserver, partager le beau et l’utile. Mais, elle le reconnaît, cette tâche narrative, cette nouvelle tradition imaginaire, n’est pas chose aisée.

42Ursula Le Guin mentionne un glossaire d’un carnet de travail de Virginia Woolf. À l’entrée « heroism », Woolf avait noté « botulism », faisant de l’héroïsme une maladie infectieuse. Et Le Guin de conclure :

It is the story that makes the difference. It is the story that hid my humanity form me, the story the mammoth hunters told about bashing, thrusting, raping, killing, about the Hero. The wonderful, poisonous story of Botulism. The killer story62.

43L’histoire de l’héroïsme serait une histoire empoisonnée. À mon sens, Hamlet peut être lu comme l’histoire de cet empoisonnement, celle d’un jeune homme qui par son éducation universitaire, européenne, est poète, comédien, amoureux et qui, infecté par une littérature héroïque multimillénaire et des mots anciens, les mots héros, action, vengeance, honneur, renonce à être lui-même. Il avoue d’ailleurs clairement son intention de s’effacer au profit du revenant lors du « dialogue » avec le spectre (I. 5. 95- 103) :

[…] Remember thee ?
Ay, thou poor ghost, while memory holds a seat
In this distracted globe. Remember thee ?
Yea, from the table of my memory
I’ll wipe away all trivial fond records,
All saws of books, all forms, all pressures past,
That youth and observation copied there,
And thy commandment all alone shall live
Within the book and volume of my brain,
Unmixed with baser maser matter.
[…]63

44Lorsque le Theseus de A Midsummer Night’s Dream, ce sceptique qui ne croit pas aux antiques fables, affirme à celui qui dans la tradition mythologie est son père « Egeus I will overbear your will 64 », c’est la leçon des pères qui est défaite. Le meurtre de la fille, Hermia, réclamé par le père Egeus, n’aura pas lieu, la loi athénienne patriarcale est renversée par le pouvoir désirant de la jeunesse qui exige, comme l’Ecclésiaste, de voir et vivre selon ses yeux et son cœur. Hamlet effaçant tout ce qu’il a vécu, observé et lu pour ne mettre dans le livre de son cerveau que le commandement de son père, le fantôme et les mots du passé, Hamlet empoisonné est ce personnage tragique qui ne parvient pas à vivre selon son cœur et ses yeux et qu’Ophelia décrit « Pale as his shirt, his knees knocking each other, / And with a look so piteous in purport / As if he had been loosèd out of hell65 », en somme changé en fantôme lui-même, revenant du passé et de l’enfer.

45Quelle est cette chose apparue dans la nuit ? quel meurtre est représenté par les comédiens sur la scène d’Elsinore ? que voyons-nous sur la scène d’Hamlet ? Aucune de ces questions n’a de réponse évidente, et la pièce de Shakespeare semble souligner à chaque instant que ce que nous voyons est problématique et variable, déterminé notamment par les mots que nous avons lus, entendus antérieurement. Nous voyons par les oreilles, sans jamais être sûrs de la réalité de ce qui est ou n’est pas là. Ces mots entendus, au pouvoir quasi magique, surnaturel, sont ou peuvent être, parfois, poésie. Mais Hamlet peut être compris comme le récit d’une mise en garde : les mots empoisonnent aussi. Pirandello, dans son roman Feu Mathias Pascal, imagine un théâtre de marionnettes, dans lequel la marionnette d’Oreste, au moment de venger son père sur Égisthe et sa mère, verrait « une déchirure dans le ciel du papier ». Il commente : « Oreste sentirait encore les ardeurs de la vengeance » mais « il sentirait les bras lui tomber. Oreste, en somme, deviendrait Hamlet. Toute la différence […] entre la tragédie antique et la moderne, consiste en cela, croyez-moi : un trou, dans le ciel de papier66 ». Hamlet est-il un Oreste qui sent, à constater l’artifice du monde et des rôles qu’on y tient, ses bras lui tomber ? Ou Hamlet est-il celui que hante Oreste, qu’empoisonnent des millénaires de culture et d’idéal héroïque, et qui, lassé de ce vieux rôle sanglant et éculé, lecteur peut-être de Montaigne, ne parvient pourtant pas à se dire que cette lassitude est légitime et partageable ? Autrement dit, est-ce Oreste qui devient Hamlet, ou Hamlet qui ne parvient pas à se défaire du rôle d’Oreste ? Constater l’affaiblissement de l’ethos héroïque ou sa survivance sur le mode du poison et de la hantise ne revient pas exactement au même. Le nombre exceptionnel de monologues dans la pièce, l’importance de la raison et de la conscience, la distinction entre plusieurs façons d’être grand, l’insistance sur les questions linguistiques, soulignent à quel point la définition de la grandeur ou de l’action, l’évaluation de la gloire et l’essence de l’humanité sont non des vérités universelles mais l’enjeu d’une discussion morale, d’un positionnement idéologique. Et les hésitations du texte ou de son interprétation manifestent peut-être une négociation inachevée avec un héritage archaïque, au tournant du XVIIe siècle comme sans doute, pour partie, aujourd’hui. Hamlet a beau voir l’illusion et la vanité de l’action armée, de la gloire même, il a beau être témoin de leur caractère mortifère, les vieux mots sonnent à ses oreilles, chargés de toute la puissance de millénaires d’histoire culturelle belliciste et masculiniste. Hamlet a-t-il bien compris la voix entendue dans la nuit et l’injonction à se souvenir du père mort ? Confondant souvenir et obsession, loyauté et mimétisme, empoisonné par des mots anciens dont il faudrait changer le sens, action, honneur, gloire, Hamlet renonce à soi. Il tâche à se convaincre, lui l’étudiant de Wittenberg, lui le produit de l’Europe humaniste, le poète et l’amateur de théâtre, d’incarner le modèle paternel du héros national et guerrier : il se persuade, malgré son écœurement, qu’il doit devenir l’ombre de son père, en somme devenir lui aussi une « chose » qui n’est pas ce qu’elle paraît. Il n’est plus lui-même qu’une figure spectrale, un acteur jouant un mauvais rôle.

46Si Hamlet suscite à l’envi des hypothèses, compléments des lecteurices et spectateurices, c’est bien sûr parce que l’interprétation en est problématique à de multiples endroits, qu’il s’agisse de la nature du spectre, de la folie d’Hamlet, de la mort d’Ophelia, de la culpabilité de Claudius ou de celle de Gertrude etc. Mais l’ambiguïté de l’interprétation est aussi au cœur de l’action dramatique : à tout moment, ce que croit voir un personnage est mis en doute par le dispositif dramatique, le témoignage de l’un est contredit par un autre, les perceptions apparaissent biaisées, douteuses. Parmi ces biais, c’est la puissance des mots entendus, des mots multiséculaires hérités, des mots aimés de la littérature et du théâtre même sur nos perceptions que j’ai voulu mettre en lumière. Le théâtre n’est pas en soi lieu de vérité : il nous invite à une attention prudente, aimante, vigilante à ce qui agit en nous à travers ces mots qui précèdent et déterminent avec tant d’efficacité notre vision du monde.

Notes de bas de page numériques

1 Dans A Midsummer Night’s Dream, Oberon est « king of shadows » et c’est ce même mot de shadows que Puck reprend à la fin de la pièce lorsque, glissant du personnage au comédien qui a fait se lever l’apparition théâtrale, féérique, infernale et évanescente, il s’adresse directement aux spectateurices : « If we shadows have offended, / Think but this (and all is mended), / That you have but slumber’d here, / While these visions did appear ».

2 As You Like It, (II, 7) « All the world’s a stage, / And all the men and women merely players… ».

3 Macbeth, (V, 5), « Life’s but a walking shadow, a poor player / That struts and frets his hour upon the stage, / And then is heard no more. […] »

4 D’après le Cambridge Dictionnary, « or » peut être employé dans ce cas-là : « used to show that a word or phrase means the same as, or explains, limits, or corrects, another word or phrase ». Le dictionnaire donne notamment les exemples suivants : « Rosalind, or Roz to her friends, took the initiative » et « Football, or soccer as it sometimes called, is very popular in the country ». https://dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/or consulté le 16 novembre 2022.

5 « Marcellus : Eh bien, la chose est-elle apparue à nouveau cette nuit ? / Bernardo : Je n’ai rien vu. » L’édition de référence pour cette contribution est l’édition bilingue Flammarion, « GF », 1995, qui « suit pour l’essentiel l’édition de Harold Jenkins (The Arden Shakespeare, 1982) ; un certain nombre de leçons retenues sont celles de George Hibbard (The Oxford Shakespeare, 1987), selon les précisions du traducteur François Maguin dans son introduction.

6 « La pièce ! /C’est là que je piégerai la conscience du Roi » dans la traduction de François Maguin. Ou plus littéralement « La pièce est la chose / Par laquelle je piégerai la conscience du Roi ».

7 « La nuit dernière, / Quand cette étoile, là, à l’ouest du pôle, / Eut achevé sa course, illuminant la partie du ciel / Où elle brille à présent […] ».

8 « Voyez à l’orient : l’aurore en manteau roux / Marche dans la rosée, là-haut sur la colline. »

9 « Regarde, là : il revient ! » qui trouve son écho quelques minutes plus tard avec « Voyez à l’orient… ».

10 « Devant Dieu, je ne pourrais le croire / Sans la sensible et exacte garantie / De mes propres yeux. »

11 « Je l’ai vu autrefois, c’était un bien beau roi. »

12 « Such tricks has strong imagination, / That, if it would but apprehend some joy, / It comprehends some bringer of that joy ; / Or in the night, imagining some fear, / How easy is a bush supposed a bear ! » (V, 1, 18-22). « Tels sont les tours d’une imagination puissante, / Il lui suffit de concevoir une joie, / Pour percevoir le messager de cette joie. / Et la nuit, si l’on se forge une peur, / Comme il est facile de prendre un buisson pour un ours ! » Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été, traduction de Jean-Michel Déprats, édition bilingue présentée par Gisèle Venet, Gallimard, « Folio théâtre », 2003, p. 229.

13 « C’est étrange, mon Thésée, ce dont parlent ces amoureux. » Le Songe d’une nuit d’été, op. cit., p. 226.

14 « C’est très étrange. », Hamlet, p. 87.

15 « Plus étrange que vrai. Jamais je ne croirai / Ces vieilles fables grotesques, et ces contes de fées. » Le Songe, p. 227.

16 « Aussi vrai que je vis, mon vénéré seigneur, tout est vrai », Hamlet, p. 87.

17 « plus de démons que le vaste enfer n’en peut contenir », « voit la beauté d’Hélène au front d’une Égyptienne », « ce qui n’est qu’un rien dans l’air », Le Songe, p. 227-229.

18 Jean-Pierre Vernant, « Ambiguïté et renversement. Sur la structure énigmatique d’Œdipe-Roi », dans Vernant et Vidal-Naquet, Œdipe et ses mythes, Éditions Complexe, 1988, p. 25.

19 « Maintenant, Hamlet, écoute, / On dit que partout je dormais en mon verger / Et qu’un serpent m’a mordu – ainsi l’oreille de tout le Danemark, / Parce que l’on a contrefait l’histoire de ma mort, / Est grossièrement abusée. Mais sache-le, toi qui es noble et jeune : / Le serpent qui a pris la vie de ton père / Porte aujourd’hui sa couronne », Hamlet, p. 117.

20 « Je dormais en mon verger, / C’était ma coutume tous les après-midi, / Et c’est l’instant de paix que ton oncle surprit, / Portant le suc de l’hébénon maudit dans une fiole, / Et par les porches de mes oreilles il versa / Cette distillation lépreuse… », Hamlet, p. 119.

21 « Oh ne me dis plus rien. / Ces mots sont des poignards qui frappent mes oreilles », Hamlet, p. 273.

22 « la malveillance, / Dont la rumeur porte à l’autre bout du monde, / Aussi droit que le canon tire au but, / Son trait empoisonné », Hamlet, p. 289.

23 « Son frère est revenu secrètement de France, / Et rumine sa stupeur ; il reste dans les nuages, / Et il ne manque pas d’insectes pour lui piquer l’oreille / De venimeux discours sur la mort de son père, / Où par nécessité, puisqu’on manque de matière, / On ne se fait pas faute d’accuser notre personne / D’oreille en oreille », Hamlet, p. 317.

24 Lorsque Hamlet accueille les comédiens arrivés à Elseneur, il est impressionné par l’émotion que joue (ou éprouve) le comédien qui interprète Hécube, « ces yeux pleins de larmes, cet aspect égaré, / Cette voix brisée » « Et tout cela pour rien ! », Hamlet, p. 195.

25 « Cet esprit que j’ai vu / Est peut-être un démon : le démon a pouvoir / De revêtir un aspect séduisant, oui… aussi bien, / Dans ma faiblesse et ma mélancolie, / Qui sont esprits sous son pouvoir, / Il m’abuse pour me damner », Hamlet, p. 197.

26 « L’attitude de Shakespeare à l’égard des fantômes peut être décrite comme franchement sceptique. En d’autres termes, ceux qu’il représente dans ses pièces sont soit clairement présentés comme des illusions du sommeil ou de la maladie, soit facilement explicables comme tels. » W.W. Greg, « Hamlet’s Hallucination », The Modern Language Review, vol. 12, n. 4, oct. 1917, 393-421, ici p. 395, published by Modern Humanities Association, https://www.jstor.org/stable/3714827 (consulté le 12 décembre 2022).

27 Les nerfs du roi « ont pu supporter le premier choc lors de la première représentation de son crime, mais ont été incapables d’en supporter la répétition ». Greg, « Hamlet’s Hallucination » p. 398.

28 « Et le texte montre clairement que le roi, quoique troublé par la représentation de la pièce, ne reconnaît pas dans la pantomime une représentation de son acte. » « Hamlet’s Hallucination », p. 398.

29 « L’explication est bien boiteuse, mais avec ses faiblesses il a bien fallu qu’elle serve, à défaut de tout autre. » « Hamlet’s Hallucination », p. 399.

30 « La manière dont le poison est administré rend le moindre doute absurde. Il n’y a qu’une seule conclusion rationnelle : Claudius n’a pas tué son frère en lui versant du poison dans les oreilles. » « Hamlet’s Hallucination », p. 401.

31 « En d’autres termes, l’histoire du Spectre n’était pas une révélation, mais une simple invention du cerveau d’Hamlet. » « Hamlet’s Hallucination », p. 401.

32 « Madame, que dites-vous de cette pièce ? », Hamlet, p. 237.

33 « une insulte grossière envers la Reine – grossière, ouverte, palpable », « une gifle devant toute la cour ». « Hamlet’s Hallucination », p. 405.

34 « La joue de la catin, belle d’applications de fard, / N’est pas plus laide, sous tout ce qui l’apprête, / Que mon crime sous l’enduit de mes belles paroles », Hamlet, p. 205. Jean-Michel Déprats traduit « deed » par « crime », mais le mot peut désigner plus largement un acte intentionnel.

35 « couche à la luxure et à l’inceste maudit », Hamlet, p. 119.

36 Pierre Bayard, Enquête sur Hamlet. Le dialogue de sourds [2002], Les Éditions de Minuit, 2014, p. 196.

37 Bayard, Enquête sur Hamlet, p. 197-198.

38 Bayard, Enquête sur Hamlet, p. 200.

39 Bayard, Enquête sur Hamlet, p. 195.

40 « Report me and my cause aright, / To the unsatisfied » demande Hamlet mourant à Horatio (« Fais de moi et de ma cause un juste récit / A ceux qui ont des doutes » traduit Déprats) : à la fin de la représentation, il semble que Shakespeare nous invite à prendre la place d’Horatio, à raconter une pièce qui laisse tant de questions sans solution et à combler les vides … ou bien à revenir écouter à nouveau la pièce le lendemain.

41 Pierre Bayard suggère l’hypothèse qu’Hamlet serait le meurtrier du vieil Hamlet, s’appuyant sur un certain nombre de phrases ambiguës d’Hamlet, dont les vers de la scène 4 de l’acte IV « […] How stand I then, / That have a father killed, a mother stained » (IV, 4, 56-57), et sur le constat que dans les autres pièces de Shakespeare les fantômes apparaissent à leurs meurtriers.

42 « Lui, c’est un certain Lucianus, le neveu du roi », Hamlet, p. 239.

43 « J’ai très bien vu, monseigneur », « J’ai tout vu de son comportement », Hamlet, p. 243.

44 « Le fantôme a décrit cette méthode singulière d’empoisonnement parce qu’elle était déjà présente dans l’esprit d’Hamlet. En d’autres termes, ce n’est pas le récit du fantôme qui est à l’origine du choix du Meurtre de Gonzago, mais c’est Le Meurtre de Gonzago qui a fourni les détails du récit du fantôme. » « Hamlet’s Hallucination », p. 416.

45 « Ainsi la conscience fait de nous tous des couards, / Et la native couleur de la résolution / Se trouble de la pâle teinte de la pensée, / Et les entreprises de la plus haute volée, / A réfléchir ainsi, se détournent de leurs cours / Et perdent le nom d’action… », Hamlet, p. 207.

46 « Ou de prendre les armes contre les flots adverses / Et de leur faire face pour en finir », p. 207.

47 « Voilà bien ce qui semble, / Car ce sont des actions que tout homme peut jouer », Hamlet, p. 75.

48 « Capitaine : À vrai dire, et sans exagérer, / Nous allons prendre un petit lopin de terre / Pour n’en tirer d’autre profit que la gloire. / Pour cinq ducats, cinq, je n’en prendrais pas le fermage, / Et le rapport, que ce soit pour Norvège ou pour le Polonais, / N’en serait pas plus juteux s’il venait à se rendre. / Hamlet : Alors le Polonais n’est pas près de le défendre. / Capitaine : Si, la garnison est à pied d’œuvre. / Hamlet : Deux mille âmes et vingt mille ducats / Ne suffiront pas à trancher la question de ce fétu. », Hamlet, p. 305.

49 « Je vois / La mort imminente de vingt mille hommes de troupe / Qui, pour une vision, un mirage de gloire, / Vont à leur tombe comme ils s’en vont au lit, se battent pour un champ / Où ils sont trop nombreux pour pouvoir en découdre, / Qui n’est pas assez grand pour leur faire un caveau / Où cacher tous les morts », Hamlet, p. 309.

50 « Au vrai, être grand / Ce n’est pas se troubler sans une bonne raison, / Mais plutôt faire grande querelle d’une paille / Si l’honneur est en jeu » et « Ah, dès cette minute, / Que mes pensées soient de sang ou n’aient pas de mérite », Hamlet, p. 307-309.

51 Voir Robert Ellrodt, Montaigne et Shakespeare. L’émergence de la conscience moderne, José Corti, « Les Essais », 2011.

52 Richard Hillman, dans « Entre Shakespeare et Montaigne : quelques nouveaux tours d’escrime », rapproche la traduction de Florio d’un passage du chapitre « De la physionomie » des Essais III.12 du monologue d’Hamlet. Ainsi, comme le note Hillman, Florio traduit « l’anéantissement de notre être » par « a consummation of one’s being », terme repris par Hamlet dans son monologue de l’acte III scène 1 : « If it [death] be a consummation of one’s being, it is also an amendment and entrance into a long and quiet night. We find nothing so sweet in life as a quiet and gentle sleep, and without dreams » (dans Jean-Marie Maguin et Pierre Kapitaniak (dir.), Shakespeare et Montaigne : vers un nouvel humanisme, Actes du Congrès de la Société Française Shakespeare, 2004). Les rapprochements avec le monologue sont en effet frappants. Il me semble qu’on peut observer de tels rapprochements entre le chapitre « De la cruauté » des Essais et le même monologue d’Hamlet.

53 Montaigne, Essais, livre second, chapitre XI « De la cruauté », Gallimard, 1965, « Folio classique », p. 120.

54 John Florio, The Essayes, or Morall and militarie discourses of Lo. Michaell de Montaigne, new done into English by John Florio, printed at London by Val. Sims for Edward Blount dwelling in Paules Churchyard, 1603, p. 243. https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k71710w/f259.item. Consulté le 20 janvier 2023. Toutes les citations suivantes se trouvent sur la même page.

55 Fortinbras a ameuté « une bande de gredins sans foi ni loi, / À donner en pâture à quelque entreprise / Qui exige de l’estomac », Hamlet, p. 61-63.

56 C’est moi qui souligne les occurrences de « action » et « active ».

57 « Ainsi la conscience fait de nous tous des couards, / Et la native couleur de la résolution / Se trouble de la pâle teinte de la pensée », Hamlet, p. 207.

58 Fortinbras est allé « Ameuter une bande de gredins sans foi ni loi, / À donner en pâture à quelque entreprise / Qui exige de l’estomac », Hamlet, p. 61-63.

59 « Le frère de mon père, mais aussi différent de mon père / Que je le suis d’Hercule. » Hamlet, p. 79.

60 « ce que revendique Greg et récuse Dover Wilson est une activité majeure de la lecture comme de la lecture critique, que l’on pourrait appeler une activité de complément. Une œuvre littéraire n’est jamais complète, ou, si l’on préfère, ne constitue pas un monde complet » mais présente des « fragments de monde. Dès lors, l’activité de la lecture et de la critique est contrainte de compléter ce monde. » Enquête sur Hamlet, p. 55.

61 Ursula K. Le Guin, « The Carrier Bag Theory of Fiction », 1986, Dancing at the Edge of the World, transcribed by Cody Jones, https://otherfutures.nl/uploads/documents/le-guin-the-carrier-bag-theory-of-fiction.pdf (consulté le 2 avril 2022). « Cette histoire ne se contente pas d’avoir une Action, elle a un Héros. »

62 « C’est l’histoire qui fait la différence. Et c’est cette histoire qui m’a caché ma propre humanité, l’histoire que les chasseurs de mammouths ont racontée avec son cortège de coups, de gloriole, de viols, de meurtres, cette histoire de Héros. Cette histoire merveilleuse et empoisonnée de Botulisme. Une histoire qui tue. » Ursula Le Guin, « The Carrier Bag Theory of Fiction » (nous traduisons).

63 « Me souvenir de toi ? / Oui, pauvre fantôme, tant que la mémoire aura siège / En ce globe affolé. Me souvenir de toi ? / Certes, des tables de ma mémoire / J’effacerai tous les enfantillages, / Tout ce qui sort des livres, toutes les idées, toutes les notes anciennes / Que la jeunesse et l’observation y copièrent, / Et ton commandement sera le seul à vivre / Dans le livre et le volume de mon cerveau / Pur de tout vil alliage […]. » Hamlet, p. 121.

64 « Égée, je prévaudrai sur votre volonté », Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été, traduction de Jean-Michel Déprats, édition bilingue présentée par Gisèle Venet, Gallimard, « Folio théâtre », 2003, p. 215.

65 « Pâle comme sa chemise, ses genoux s’entrechoquant, / Et avec un regard si pitoyable / Qu’on eût dit que l’enfer l’avait relâché », Hamlet, acte II scène 1, p. 143.

66 Luigi Pirandello, Feu Mathias Pascal, traduction de Henry Bigot, éd. revue et corrigée, Paris, Calmann-Lévy, 1982, p. 178-179.

Bibliographie

Corpus principal

SHAKESPEARE William, Hamlet [1603, 1604 ou 1605 et 1623], traduit de l’anglais par François Maguin, Paris, Flammarion, « GF », 1995.

Bibliographie secondaire

BAYARD Pierre, Enquête sur Hamlet. Le dialogue de sourds, Paris, Les Éditions de Minuit, 2014 [2002].

FLORIO John, The Essayes, or Morall and militarie discourses of Lo. Michaell de Montaigne, new done into English by John Florio, printed at London by Val. Sims for Edward Blount dwelling in Paules Churchyard, 1603.

ELLRODT Robert, Montaigne et Shakespeare. L’émergence de la conscience moderne, José Corti, « Les Essais », 2011

GREG W.W., « Hamlet’s Hallucination », The Modern Language Review, vol. 12, n. 4 (oct. 1917), 393-421, published by Modern Humanities Association. https://www.jstor.org/stable/3714827 (consulté le 12 décembre 2022).

LE GUIN Ursula K., “The Carrier Bag Theory of Fiction”, 1986, Dancing at the Edge of the World, transcribed by Cody Jones, https://otherfutures.nl/uploads/documents/le-guin-the-carrier-bag-theory-of-fiction.pdf (consulté le 2 avril 2022).

MONTAIGNE Michel de, Essais, Livre second, Paris, Gallimard, « Folio Classique », 1965.

PIRANDELLO Luigi, Feu Mathias Pascal, traduction de Henry Bigot, éd. revue et corrigée, Paris, Calmann-Lévy, 1982.

SAXO GRAMMATICUS, Amlethus. Traduction du chapiter VI du livre troisième et des chapitres I et II du livre quatrième des Gesta Danorum, traduction du latin par Jean-Pierre Troadec, Romillé, Folle Avoine, 1990.

SHAKESPEARE William, Le Songe d’une nuit d’été, traduction de Jean-Michel Déprats, édition bilingue présentée par Gisèle Venet, Paris, Gallimard, « Folio théâtre », 2003.

VERNANT Jean-Pierre « Ambiguïté et renversement », in Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet, Œdipe et ses mythes, Bruxelles/Paris, Éditions Complexe, 1998, pp. 23-53.

Filmographie

ALMEREYDA Michael (réalisateur), Hamlet [Film], Double A Films, 2000.

BRANAGH Kenneth (réalisateur), Hamlet [Film], Columbia Pictures, Castle Rock Entertainment, 1996.

Pour citer cet article

Sandrine Montin, « Du poison dans les oreilles : l’interprétation au cœur de l’action dramatique d’Hamlet », paru dans Loxias, 79., mis en ligne le 08 avril 2023, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=10171.


Auteurs

Sandrine Montin

Sandrine Montin est maîtresse de conférences en littérature générale et comparée à l’Université Côte d’Azur et membre du CTELA. Après une thèse consacrée à G. Apollinaire, B. Cendrars, T.S. Eliot, F. G. Lorca et H. Crane, elle a travaillé sur les rapports entre poésie et cinéma muet (« Charlot ce poète ? » Loxias n° 49, Cinéma, opérateur poétique, 2021), le théâtre (Sophocle, Mouawad), les adaptations cinématographiques et les réécritures et d’Hamlet (« Zucco/Hamlet : le fantôme de Shakespeare » dans La Haine de Shakespeare, 2017). Membre du collectif de traducteurices Cételle (traductions d’Audre Lorde, Charbon et Contrechant, 2023), elle consacre ses travaux actuels à la pédagogie de la création.

Université Côte d’Azur, CTELA