Loxias | 61. Autour de Hubert Félix Thiéfaine | I. Autour de Hubert Félix Thiéfaine 

Isabelle Guilloteau  : 

« Terre, dans quel état t’erres ? »
ou la question du devenir de la Terre dans les chansons d’Hubert-Félix Thiéfaine

Résumé

La question du devenir de la terre, omniprésente dans la discographie d’Hubert-Félix Thiéfaine, apparaît explicitement dès l’une de ses premières chansons, « Alligators 427 ». Le poète y expose, à travers une vision apocalyptique de catastrophe nucléaire, les dangers qui menacent la planète. L’humain, en quête d’un futur qui se dérobe, y est présenté tout à la fois comme l’artisan et la victime de sa destruction. L’univers dystopique mis en place dans ce texte sera décliné sur les dix-sept albums de l’artiste, où la question du futur, envisagée sous l’angle de la destruction et de la mutation, trouve de multiples échos, à travers un véritable cosmos poétique. Mais au-delà de son caractère visionnaire quant à l’avenir de l’humanité, ce cosmos révèle, par ses métaphores récurrentes, le paysage intime, la quête et la dynamique du discours poétique d’Hubert-Félix Thiéfaine.

Abstract

The question of earth’s future, ever-present in the discography of Hubert-Félix Thiéfaine, appears explicitly from one of his first songs, « Alligators 427 ». Through an apocalyptic vision of a nuclear catastrophe, the poet displays the dangers which threaten the earth. The human being, in his quest towards a crumbling future, is presented as both the architect and the victim of his destruction. The dystopian universe set up in this text will be declined throughout the artist’s seventeen albums, where the question of the future, considered from the viewpoint of destruction and mutation, finds multiple echoes through a true poetic cosmos. Though beyond its visionary aspect towards the future of humanity, this cosmos through his recurring metaphors reveals the intimate setting, the quest, and the dynamics of Hubert-Félix Thiéfaine’s poetic speech.

Plan

Texte intégral

1« De nature solitaire, je me terre pour me taire1 », chante Thiéfaine, affirmant et revendiquant sa solitude, voire une certaine défiance à l’égard du genre humain. Mais l’examen de ses textes nous fait découvrir un autre versant de l’artiste, le « double pervers2 », au sens étymologique du terme, c’est-à-dire renversé, tel qu’il apparaît sur la pochette de son premier album3 , celui qui chante pour les « frères humains dans nos quartiers4 ». Ses chansons traduisent en effet une préoccupation constante et réitérée pour l’altérité, qui s’incarne à travers « l’indien, qu’on saoule et qu’on oublie5 », « l’autochtone humilié6 », « les millions d’enfants gazés7 », le « bougnoule écœuré8 », et elles exposent, contre toutes les formes d’oppression, une conception fraternelle de la « race humaine9 », de la « nationalité terrienne10 ». Cette terre, bien commun de l’humanité, est elle aussi au cœur de l’œuvre. « Loin des verdâtres imams de l’écolomanie11 », Thiéfaine en interroge le devenir, expose menaces, inquiétudes et espoirs, entre le « soleil [qui] cherche [son] futur12 » et la « fin programmée13 ». En effet, si la question d’une possible destruction de la terre apparaît explicitement à travers des chansons comme « Alligators 427 », « Dans quel état Terre » ou encore « Lobotomie sporting club », l’étude du lexique et des métaphores récurrentes en révèle l’omniprésence sur les dix-sept albums. Constitutive de l’univers thiéfainien dans ses visions dystopiques, elle renvoie aussi aux problématiques, aux obsessions et à la quête du poète, à travers un véritable cosmos poétique.

« Rien ne sera plus jamais comme avant »

2La formule catégorique de la chanson d’ouverture du premier album, « L’ascenseur de 22 heures 43 », porte en elle la prémonition d’un monde en mutation, avec ses dangers inhérents. Par ses appels répétés à la vigilance (« Attention attention », « Ne pas laisser les enfants s’amuser avec les lignes à haute tension »), le texte dégage une atmosphère d’inquiétude liée à la transformation du monde. La chanson dont le personnage affirme par ailleurs : « Et je viendrai relever le compteur de ton ennui/Il te faudra sans doute changer de tête/Et puis brancher ton cerveau sur ton cœur », s’achève dans un bruit strident de court-circuit, laissant ainsi l’auditeur partagé entre destruction et mutation positive. En effet, la formule prédictive « Rien ne sera plus jamais comme avant14 » va se trouver déclinée durant les dix-sept albums sortis à ce jour.

« Le monde est aux fantômes, aux hyènes et aux vautours »

3C’est sur le second album, Autorisation de délirer, avec « Alligators 42715 » que la question du devenir de la terre est véritablement exposée. Ecrite en 1976, « en rentrant d’une manifestation à Fessenheim », disait l’auteur lors de sa dernière tournée, soit dix ans avant la catastrophe de Tchernobyl, la chanson évoque les dangers du nucléaire, de façon visionnaire. Au-delà des visions hallucinées de fin du monde (« Et je vois les vampires sortir de leurs cercueils/pour venir saluer les anges nucléaires »), et de ce tableau mortifère post-nucléaire (« La mort est devenue permanent/Le monde est aux fantômes, aux hyènes et aux vautours »), le texte porte en lui les composantes de la « fin programmée », acteurs et facteurs qui seront développés sur les dix-sept albums.

4D’emblée, le titre associe le danger nucléaire à la guerre et pointe la responsabilité humaine. En effet, l’alligator renvoie au modèle d’hélicoptère de combat russe16, tandis que le nombre 427 correspond à l’activité corporelle de 427 becquerels, liée au potassium radioactif d’un individu moyen17. C’est à travers la reprise anaphorique « Je sais » que le poète transforme ses visions en certitudes et exprime avec lucidité les questionnements, les critiques qui émergent dans les années 70 autour du nucléaire. Ainsi l’humain est-il présenté comme l’artisan de sa propre destruction : « Je sais que la cigüe est prête » ; il est dévoyé par le profit et dénué de morale : « Je sais que dans votre alchimie/L’atome ça vaut des travellers-chèques/Et ça suffit comme alibi » ; et cet attrait pour le profit occulte la vision à long terme et l’intérêt pour les générations futures : « Je sais que désormais mes enfants s’appelleront vers de terre ». Incapable de tirer des leçons du passé, il en répète les erreurs meurtrières : « J’attends que se dressent vos prochains charniers/J’ai raté l’autre guerre pour la photographie ». Conséquence qui sera récurrente dans les chansons suivantes : le futur se dérobe (« Je bloque mes lendemains »), vivre devient « un calembour », et les enfants, réduits en vers de terre, sont eux aussi condamnés. Ce futur incertain/impossible s’accompagne d’une mutation de l’espèce (« Sur cette autoroute hystérique qui nous conduit chez les mutants »), vue sous l’angle de la régression, puisque l’« on a vendu l’homo sapiens pour racheter du néanderthal ». Néanmoins, parallèlement à cette vision pessimiste qui condamne l’humanité, il s’opère dans ce texte, comme souvent dans la dynamique thiéfainienne, un mouvement inverse de régénération, perceptible dans le refrain, avec cet oxymore caractéristique de l’écriture du poète : « Moi je vous dis bravo et vive la mort ! ». Quant à l’expression « Je vous attends », si elle revêt un caractère prédictif, son côté incantatoire, dans cette adresse directe à l’ennemi, résonne aussi comme une invitation au combat. Les gestes évoqués durant cette attente renvoient davantage à une résistance, même si c’est un combat dérisoire, qu’à une attente passive : « Je mouche mon nez remonte mes chaussettes », « Je donne un coup de brosse à mon squelette ». L’humain résiste avec ses armes : « J’ai troqué mon cœur contre une trique », en tentant de repousser le mal : « À l’ombre de vos centrales je crache mon cancer ». Enfin, la catastrophe nucléaire, dans ses allures d’apocalypse, porte en elle un possible renouveau à travers l’évocation de la fête (« Il est temps de sonner la fête ») et du « grand feu ». D’ailleurs, la mutation est envisagée par le personnage qui « cherche un nouveau nom pour sa métamorphose ». Quant aux enfants, devenus vers de terre, ils assurent eux aussi la régénérescence de la terre. Il ne faudrait donc pas réduire cette chanson à une charge anti-nucléaire dans une vision hallucinatoire de catastrophe. Elle s’inscrit dans ce double mouvement de destruction/ascension qui sous-tend toute l’œuvre. Au-delà de son caractère visionnaire quant au devenir de la terre, elle traduit aussi un état personnel de souffrance et d’angoisse devant la maladie et la mort. Un entretien avec l’artiste corrobore cet autre niveau de lecture. À la question : « Étais-tu au bord du gouffre quand tu as écrit “Alligators 427” ? », Thiéfaine répondait : « Complètement. Place d’Italie, dans un hôpital spécialisé dans la recherche contre le cancer et la tuberculose. Seul hôpital gratuit en 197618 ». On est donc loin de la manifestation à Fessenheim. Ainsi, l’évocation du devenir de la terre et de l’humain renvoie-t-elle aussi au vécu, aux angoisses et questionnements de l’artiste.

5L’univers mortifère dépeint dans « Alligators 427 », dont les composantes seront déclinées dans de nombreuses chansons, trouve par ailleurs une représentation graphique sur le poster qui accompagnait le 33 tours Dernières balises (avant mutation) en 1981. On y voit un paysage lunaire, qui évoque les conséquences d’une guerre/catastrophe, nucléaire ou bactériologique. Les survivants portent des masques à gaz, voire même un compteur Geiger à la place de la tête ; un mutant à antennes arbore une arme. Le décor est sombre, les immeubles semblent vaciller, l’ancien monde avec sa cathédrale s’écroulant dans une architecture futuriste où l’intelligence artificielle supplante l’humain. La faune et la flore se réduisent à un papillon sphinx à tête de mort.

6Ainsi, à travers cet aperçu de la « fin programmée » exposée dans « Alligators 427 » et complétée graphiquement dans Dernières balises (avant mutation), nous distinguons quelques-uns des acteurs et facteurs du devenir possible de la terre, que nous allons explorer successivement, dans leurs modalités d’expression et leurs enjeux à travers le corpus des dix-sept albums.

« La mort est devenue un état permanent »

7« Nous étions les danseurs d’un monde à l’agonie/En même temps que fantômes/Conscients d’être mort-nés ». Ainsi s’exprime le personnage d’« Exil sur planète-fantôme19 ». Et c’est bien « un monde à l’agonie », où la vie humaine est compromise, qui se dessine dans les chansons de Thiéfaine.

8On peut tout d’abord être frappé par la quasi absence d’une nature vivante, indemne de pollution ou dégradations. Si l’homme confie apprécier le spectacle de la nature, l’artiste en reproduit rarement la beauté, l’apaisement, mais plus souvent la destruction, la mutation, le chaos. Jamais la nature n’est évoquée comme nourricière, mais presque toujours comme dégradée, mortifère. Chez Thiéfaine, à l’image d’un Baudelaire, elle n’est intéressante que corrompue, pour les images et détournements qu’elle permet vers les obsessions du poète. À ce sujet, on peut se pencher sur les circonstances d’écriture de la chanson « Joli mai, mois de Marie20 ». L’auteur confie21 avoir voulu écrire une sorte d’ode à la nature, dont le premier jet lui a inspiré dégoût et colère. Il a alors supprimé tous les noms d’oiseaux et laissé libre cours à l’expression de son imaginaire et de son inventivité22 . En effet, à la lecture du texte, le vol des « ptérodactyles », des « beurdigailles », des « gominas yoyos » et des « stégobulles » dessine un paysage onirique aux contours subversifs, contaminé par la « libido moriendi23 » personnelle du narrateur.

9Et lorsque le poète utilise la flore à la manière de Charles Belle, dont il revendique l’influence, c’est pour explorer certes un monde sensuel, mais aussi un monde noir et inquiétant comme l’indique le lexique associé à la fleur : « Camélia et rature fœtale », « Fleur cannibale », « Camélia et désert astral24 ». Le désert est d’ailleurs un motif récurrent dans la discographie, et « l’arbre mort au milieu du désert », qui « danse une valse noire dans le silence des pierres25 », peut être interprété comme une figure métonymique de l’humain en perdition sur la planète-fantôme.

10Le désert, lieu géographique, devient aussi le no man’s land intime dans lequel se perd l’humain à l’agonie, par exemple dans « Fin de partie » : « Tu n’entends plus le cri/Le cri/Le cri/Le cri de tes désirs/Le cri de tes désirs/Le cri de tes désirs déserts26 ». « Fin de partie », qui renvoie au monde dévasté et apocalyptique de la pièce de Beckett, offre une vision bien pessimiste du devenir terrestre. Le lexique de la destruction (« Débris distordus de Skylab/Fossilisés sur ta moquette/Fines fleurs calcées de baobab/Violacées au bout de tes gamètes/Vieille odeur de foutre moisi »), doublé de l’oxymore « ce n’est qu’un début/juste une fin de partie », formule à laquelle le poids de la répétition donne une valeur prédictive, fait de l’humain une espèce en voie d’extinction.

11Dans ce monde agonisant, la mort est omniprésente, à travers un bestiaire symbolique et un lexique récurrent. Fantômes, mutants et zombis – si nombreux que le personnage d’« Exil sur planète-fantôme » est invité à prendre un ticket « pour la foire aux zombis », tandis que celui de « Petit matin » « laisse sa place aux nouveaux-nés/Sur le marché des morts-vivants27 » – cohabitent avec vampires, hyènes, vautours, rapaces, rats, scorpions. Ce bestiaire se trouve réuni dans « Lobotomie sporting club », qui débute par un tableau cauchemardesque où il a supplanté l’humanité dans ses facultés intellectuelles : « Frelons hurlant dans nos crânes/Scorpions rampant dans le crash de nos âmes/Serpents visqueux englués dans les squames/De nos bourbeuses mémoires d’humanoïdes insanes28 », et s’achève sur l’idée de « Fin programmée », répétée ad libitum.

12Ailleurs, dans, « 542 lunes et 7 jours environ », c’est sur le mode de la dérision que le poète dresse l’état des lieux d’un « siècle marron », pointant la responsabilité humaine dans la destruction de la planète : « La Terre est un MacDo recouvert de ketchup/Où l’homo cannibale fait des gloups et des beurps29 ». Enfin, la chanson « Dans quel état terre » fait le constat lucide d’une fin inéluctable, dans une adresse directe à la planète : « Sous les rayons factices d’un soleil terminal/Après un vol obscur troublé de turbulences/Ta carlingue fatiguée est en approche finale/Dans une odeur de frites et de vieux sperme rance/Terre Terre Terre/Dans quel état t’erres ». Personnifiée, la terre est assimilée à l’humain qui tente d’occulter sa disparition prochaine : « Tu t’refais les paupières pour cacher ton cancer/Terre Terre Terre ».

13Cet état des lieux sera repris et développé dans « Fièvre résurrectionnelle », à travers plusieurs énumérations de lieux où l’humain apparaît comme l’artisan-victime de sa destruction : « Sous un brouillard d’acier/Dans les banlieues d’Izmir, de Suse ou Santa-Fé/6 milliards de pantins au bout de la lumière/Qui se mettent à rêver d’un nouvel univers30 ».

14C’est bien le monde des XXe et XXIe siècles dans ses transformations, ses catastrophes écologiques et climatiques, qui nourrit l’écriture du poète, souvent à travers l’évocation de villes, banlieues, paysages industriels. Dans ce monde dévasté, « six milliards de fantômes cherchent la sortie31 », question récurrente dans l’œuvre de Thiéfaine, déjà posée dans « Fin de partie » (« Où est la sortie ? ») et antérieurement dans le titre Soleil cherche futur.

« Je bloque mes lendemains »

15Le futur n’est jamais envisagé positivement et nombreuses sont les expressions évoquant son impossibilité, sa précarité ou son caractère régressif. Ainsi « Le futur te sniffe à rebours32 » dans « Narcisse 81 », tandis qu’il « sort ses vieux cartons remplis de nos apports hybrides33 » dans « Casino, sexe et tendritude ». Cette idée de régression est aussi présente sur l’album Amicalement Blues, quand le vieux bluesman s’adresse à la bimbo : « L’avenir est en route vers mon passé34 ». Et dans « Karanganda35 », l’évocation de « nos futurs enchaînés », à la première personne du pluriel, ne renvoie pas seulement aux victimes du stalinisme, mais à l’humanité toute entière, porteuse d’une barbarie originelle qui se perpétue et empêche toute évolution. Ce que répète « Annihilation », titre cristallisant à lui seul l’anéantissement : « On n’en finit jamais de rejouer Guignol chez les Torquemada chez les Savonarole36 ».

16Comme nous l’avons vu, « Dans quel état Terre » dresse l’état des lieux d’une destruction probable de la planète, « sous les rayons factices d’un soleil terminal ». Il en découle le constat d’un avenir en forme de no man’s land : « Quand le futur bascule au bout des terrains vagues ». Incertain, ce futur va se figer dans « Lobotomie sporting club » qui fait rimer sur le refrain « Futur glacé » et « Fin programmée ».

17Dans cette expression de la finitude, le poète a une conscience aigüe de la précarité de sa condition : « Je ne fais que passer je n’aurai pas de rides37 », « Je suis qu’un intérimaire dans la continuité de l’espèce38 », affirmation ponctuée par un « coucou beuh » de dégoût et de dérision, qui atteindra son apogée dans « Buenas noches, Jo », le personnage se définissant comme « Morbac ascendant canular39 ».

18Cette conscience de la précarité et de la finitude humaines sera développée dans la chanson « Terrien t’es rien » dont le titre, qui est aussi le refrain, rapproche par le jeu sur l’homophonie, le terrien et le néant. De la même manière qu’il s’adressera à la terre en la tutoyant, « Dans quel état terre » faisant ainsi écho à « Terrien t’es rien », l’auteur renvoie l’homme à son statut d’assemblage d’atomes dans l’univers : « Gisement néolithique/D’émotions nucléaires/Dans l’art cytoplasmique/De ta queue linéaire/Terrien terrien/Terrien t’es rien/Terrien terrien/T’es vraiment rien40 ». À cette expression de l’insignifiance de l’homme s’ajoute celle de la régression de ses facultés intellectuelles et de son aliénation par la technologie : » Voyage initiatique/A travers les égouts/Des écrans cathodiques/Vapeurs de belladone/Qui soufflent dans les fils/Vrillés de tes neurones/Terrien t’es rien ». Aliéné, l’homme n’en porte cependant pas moins une part de responsabilité dans la destruction de la planète : « Odieux tes dieux idiots/Se meurent d’insolation/Derrière les sacs de sable/Où tu tires tes neutrons ». Le décor et l’atmosphère de « crépuscule barbare », viennent quant à eux parachever le tableau pré-apocalyptique dans un « Sabbat torride » peuplé de mutants où le terrien attend sa fin.

19Et lorsqu’une possible survie semble repousser les limites de la finitude, elle n’ouvre pas sur un réel avenir. Par exemple, quand le personnage de la chanson « De l’art, de l’amour ou du cochon » envisage sa résurrection « le troisième jour », il précise : « et ce troisième jour sera l’avant-veille de l’attentat de Sarajevo41 ». Cette inscription personnelle dans l’histoire de l’humanité nous révèle une résurrection précédant un nouveau chaos, à travers un passé qui répète une destruction mondiale. Dans l’univers thiéfainien, les possibilités de futur sont ainsi constamment repoussées ou niées. C’est un monde déréglé où la survie, la guérison, la rédemption sont corrompues, sans cesse contrebalancées par une force mortifère : « les cigognes [y] vendent la tendresse le soir au marché noir42 », les dingues et les paumés s’[y] arrachent leur placenta43 », « Les réverbères s’[y] allument au fond des catacombes44 », « L’infirmier de minuit » ne soigne pas mais « distribue le cyanure45 ». Et « Les bébés tombent du lit en lisant Mein Kampf46 ».

« Je sais que mes enfants s’appelleront vers de terre »

20Omniprésents dans l’œuvre d’Hubert-Félix Thiéfaine, les enfants sont l’incarnation d’un monde condamné : « Il n’y a plus rien à espérer puisque maintenant les enfants s’ennuient comme des chiens dans des cimetières47 ». C’est sur ce constat que s’achève la chanson « Comme un chien dans un cimetière » et cette perte d’espoir en l’avenir sera souvent incarnée par des personnages d’enfant. Dès sa conception, le petit terrien est menacé par la violence du monde. Ainsi, dans « Demain les kids », chanson qui à elle seule révèle l’attention portée par Thiéfaine à la condition humaine à travers celle des enfants, « l’ovule qui s’accroche au ventre de la femme a déjà mis son casque et sorti son lance-flamme48 ». En effet, la naissance ouvre la porte à la barbarie humaine : « Les charognards titubent au-dessus des couveuses/Et croassent de lugubres et sinistres berceuses/Kill the kid ». L’enfant, au même titre que le poète, devient le symbole de l’humanité sacrifiée : « Sacrifiez les enfants, fusillez les poètes49 ». Cette figure sacrificielle, soulignée encore dans les vers : « Pendant qu’un Abraham ivre de sacrifices/Offre à son dieu vengeur les sanglots de son fils50 », était déjà présente sur le second album, où l’homme politique « équarrisseur intérimaire51 » immolait Iphigénie. Particulièrement saisissantes dans leur évocation d’une humanité qui s’autodétruit, les images macabres se répètent et s’amplifient dans « Une fille au rhésus négatif », où « Lové sur ton ventre le bébé s’ouvre les veines », tandis que dans « Also Sprach Winnie l’ourson », des « veuves austères militantes limitées dévorent les rognons de leurs enfants mort-nés52 ». Cette condition tragique de l’enfance, symbole des menaces qui pèsent sur l’humanité, est encore développée dans « Scènes de panique tranquille », où des petites filles, après le passage du dealer à la criée, enchaînent sur une funèbre comptine : « Fais-moi une place dans ton linceul, quand y en a pour un y en a pour deux53 ».

21Enfin, elle trouve aussi un prolongement graphique sur la pochette de Dernières balises (avant mutation), présentant une vision de l’enfance corrompue. On y aperçoit au recto une petite fille maquillée, au regard inquiet, légèrement vêtue d’habits de femme, une cigarette à la bouche, adossée à un mur, dans une ruelle glauque. À ses pieds nus, une bouteille de Bourbon. Au verso, une autre petite fille, habillée comme une princesse, sourit en tenant dans ses mains un cœur planté d’une seringue.

22Sur la pochette de l’album suivant, Soleil Cherche Futur, on retrouvera des enfants, uniques représentants de la vie humaine, dans un paysage industriel. Au recto, une fillette, tout de blanc vêtue, au regard inquiet, au visage angélique, dont la douceur contraste avec l’allure menaçante du garçon habillé en punk, brandissant un tesson de bouteille. Au verso, on retrouve le garçon assis, incliné, pensif, tournant le dos à la fillette. Elle affiche une certaine détermination dans sa posture : pieds plantés au sol, un bras replié sur la hanche, l’autre tendu vers le garçon dans un faisceau lumineux : s’agit-il d’un nouveau soleil ou d’une menace radioactive ?

« Je sais que vos mâchoires distillent l’agonie »

23Si la préoccupation quant à la menace nucléaire est développée dans « Alligators 427 », la discographie de Thiéfaine compte de nombreuses formules qui soulignent cette conscience environnementale et pointent la responsabilité humaine dans la fin programmée. Ainsi, « Comme un chien dans un cimetière » exprime l’immanence du danger : « Le ciel est bleu, le jour est J/La bombe est H54 ». On peut retrouver cette menace dans « Femme de Loth » où l’antithèse entre destruction et protection, alliée à la substitution paronymique de neutrons en « étrons », annule tout progrès de la civilisation : « J’ai ma bombe à étrons et j’ai mes droits de l’homme/Et j’ai ma panoplie de pantin déglingué55 ». Cette association de ce que possède l’humain et qui le dépossède en réalité de son devenir amènera au refrain : « La terre joue au bingo sa crise d’adolescence », métaphore du risque insensé que le terrien fait courir à la planète. Il flotte dans l’air de la planète Thiéfaine des relents de gazole, si l’on en juge par les nombreuses occurrences des moteurs diesel. Les paysages de mégalopoles où le ciel a disparu sont évoqués par exemple dans « Droïde song » : « Dans l’odeur des cités aux voiles d’hydrocarbures56 ». On retrouvera cette nocivité de l’activité humaine dans « Est-ce ta première fin de millénaire ? », où l’image des gaz et des rayons, associée au lexique de la destruction, exprime l’inquiétude émergeant en cette fin de siècle, quant à la disparition progressive de la couche d’ozone : « Le bleu du ciel plombé complètement destroyé/Par les gaz hilarants de tes vapeurs intimes/Ne filtre plus l’écho de mémoire fossoyée/Sous le feu des rayons meurtriers des abîmes57 ».

24Œuvrant ainsi à sa propre destruction, l’humain, avec sa « mâchoire », au sens industriel du terme, concasse sa planète et « distille » les substances toxiques entraînant son agonie.

« Je sais que la ciguë est prête »

25C’est donc « un monde à l’agonie58 », un monde malade, que les chansons explorent, dans des visions cauchemardesques, apocalyptiques. Dès le premier album, Borniol se réjouit du retour du choléra59 qui fera fructifier son entreprise, tandis que le fou prédit la fin du monde : « Les feuilles tombent des cocas et se répandent sur l’occident/Demain tu verras tous ces petits alchimistes/Pulvériser un continent60 ». À la surface de la planète Thiéfaine, les maladies prolifèrent activement. Elles ne sont jamais jugulées mais toujours amplifiées, aggravées par de nombreuses substances chimiques et toxiques, faisant de cet univers le pire des mondes, ce qui lui confère son caractère dystopique. Un simple relevé, non exhaustif, des maux qui touchent le terrien, fait apparaître les maladies et bactéries les plus graves, la plupart mortelles : choléra, peste, scorbut, cirrhose, cytomégalovirus, cancer et métastases, HIV, dysenterie, anthrax. On notera aussi la présence de maladies sexuellement transmissibles (blennorragie, syphilis, salpingite…) et de pathologies psychiques (névrose, psychose, schizophrénie, paranoïa, délirium…), la folie étant l’un des thèmes privilégiés de l’artiste.

26Dans ce monde malade, les personnages en quête de fuite ou de survie sont dévastés par de multiples substances chimiques, toxiques : morphine, « Valium-tranxène-nembutal-(yogourt !)-acide 61 », voire par de véritables poisons comme la cigüe62, le cyanure63, l’arsenic64 ; et l’on ne compte plus les figures de toxicomanes (« vieux junkie65 », « junkie mécanique66 », « vieillard géranium camé67 »), transformant les humains en zombis. Les enfants ne sont pas épargnés par cette destruction, « la fille au rhésus négatif » interrogeant le narrateur pour savoir si le bébé « a bien pris sa dose », tandis que dans les ruelles qui conduisent au « Cabaret Sainte Lilith », « les mômes […] font voir la came dans le creux de leurs mains68 ».

27Les villes et les états eux-mêmes semblent contaminés par des substances chimiques, comme le révèlent les titres des chansons « Vendôme Gardenal snack » et « Maalox Texas blues ».

« Sur cette autoroute hystérique qui nous conduit chez les mutants »

28Chemin dangereux pour l’avenir de l’humanité que celui des manipulations génétiques. C’est en 1982, alors que le clonage n’en est qu’à ses balbutiements et ne génère pas encore d’inquiétudes bioéthiques et sociétales, que Thiéfaine, d’une manière assez visionnaire, l’introduit dans « 713705 cherche futur », lorsque Noé évoque les espèces embarquées à bord de son charter. Il est en effet question de « clonures », néologisme dont le suffixe renvoie tant à la chimie qu’au résultat du clonage, dans une connotation négative. Plus tard, la menace que le clonage fait peser sur l’humanité sera présentée comme une régression moyenâgeuse : « Pendant que nos sorcières sanitaires et barbues/Centrifugent nos clones au fond de leurs cornues69 ».

29Parmi les « progrès » de la génétique et les dérives susceptibles de conduire l’humain au chaos, il en est une qui concerne les pratiques de sélection et d’utilisation du sperme, ouvrant ainsi la porte à l’eugénisme et à la mise en pratique des théories de pureté de la race. C’est dans « Bipède à station verticale » que cette inquiétude s’exprime pour la première fois, dans une tentative de résistance à travers l’acte d’amour, aussi dérisoire soit-il : « J’tombe amoureux des éprouvettes/Avec lesquelles je dois flirter/Pour l’usine de stupre en paillettes/Qui garantit mon pedigree70 ». Cette idée sera reprise par l’insertion de l’extrait du texte d’Antonin Artaud, « Pour en finir avec le jugement de dieu », en préambule et postambule de la chanson « Quand la banlieue descendra sur la ville71 ». Artaud y expose les pratiques de sélection de sperme aux USA, destinées à fabriquer des soldats capables de démontrer la suprématie américaine dans les futures guerres planétaires72.

30Enfin, comme une réponse et une résistance à cette menace pour l’humanité, « La ballade d’Abdallah Geronimo Cohen » viendra affirmer l’importance du métissage. En déclinant des généalogies délirantes, la chanson démontre ainsi par l’absurde la stupidité des théories de la race pure. Au sujet de cette chanson, Thiéfaine explique : « En fait, ce n’est pas un thème franchement nouveau chez moi. Je crois que j’en ai déjà parlé bien avant. Quand je disais « Terrien, t’es rien » dans l’album enregistré à Los Angeles, Fragments d’hébétude. C’est un thème assez récurrent, dès mes débuts où je dis "Halte à la connerie, halte à la bêtise et halte au racisme qui est fondamentalement bête et idiot comme théorie". Le métissage est la seule chose qui va sauver l’humanité73 ».

« Alligators 427 au cerveau de jaspe et d’argent »

31Si la génétique est une cause potentielle de la fin programmée, d’autres facteurs liés aux sciences et aux techniques entrent en jeu dans la mutation de l’humain. Le lecteur des textes de Thiéfaine est tout d’abord frappé par la contamination récurrente des organes et des fonctions vitales par le lexique de la machine et de l’industrie. « Autorisation de délirer » nous offre un premier aperçu de cette mécanisation déshumanisante qui sera développée tout au long de la discographie : « Nous voilà de nouveau branchés sur le hasard/Avec des générateurs diesel à la place du cœur/et des pompes refoulantes au niveau des idées/Le vent souffle à travers nos crânes ITTOcéanic couleurs74 ».

32Ainsi les personnages des chansons de Thiéfaine sont-ils régulièrement assimilés à des machines, souvent défectueuses. Ce sont des « diesels encrassés75 », leurs veines sont des « circuits » auxquels il faut « réinjecter du fuel76 », les « cœurs sont polymérisés77 », la « mémoire est en logiciel78 », les « synapses cramées79 » peinent à servir d’« antennes80 ». L’auteur lui-même, dans une chanson autobiographique, se dit « né d’une vidange de carter séminal81 ». De cette mécanisation, l’individu ne sort pas grandi et les progrès de la technologie donnent à voir un humain en mutation vers l’humanoïde. À cet égard, « Droïde song » nous fait le portrait inquiétant du terrien robotisé, en proie à une société de plus en plus dépersonnalisante, dans une perspective dystopique qui n’est pas sans rappeler Burroughs : « Droïde, droïde/Machine humanoïde/Aux chromosomes hybrides/Droïde, droïde/Carlingue anthropoïde/Cœur en celluloïd/Droïde, droïde/Regard Polaroïd/Schizoïde et bifide82 ». Conscient de la perte de ses capacités émotionnelles et cognitives, le personnage tente d’échapper à cette mutation régressive : « Droïde équalisé sans désir ni chaleur/Avec mes sentiments sur microprocesseurs/Parfois dans le silence obscur de mon hangar/Je déchausse mes circuits et débranche mon sonar ». « Cosmonaute du trottoir, éboueur en transfert », il tente aussi de fuir un monde lui-même en pleine dégradation, où la pollution terrestre (« dans l’odeur des cités aux voiles d’hydrocarbures ») est à l’image de celle de la pensée, assimilée au réseau d’égout, « pour voir si l’océan se trouve toujours au bout ».

33Déjà en 1981, Thiéfaine représentait cette perte des facultés intellectuelles à travers le discours déstructuré, composé de syntagmes juxtaposés, d’un droïde à la voix métallique, dressant l’état des lieux d’un monde dévasté : « Cheveux-tilleuls écartelés sur visage/Taxiphone de l’attente souvenir coma/Trauma de vieillard-géranium-camé/Baisers-Tranxène-coagulés-sur-miroir/Hygiaphone-TV-lunettes-noires pyjama rayé83 ».

34Dans cet univers de dystopie, le droïde se décline aussi au féminin, ce qui permet de s’interroger sur le devenir et la qualité des rapports amoureux. On y rencontre des « biodolls » aux « yeux colorés au bioxyde de manganèse84 » ; « Elles sont programmées pour une heure/Le temps de rincer sa libido85 » ; on y croise une certaine « Garbo XW machine » dans une relation amoureuse mécanisée : « Prends mon pion dans ton circuit86 ».

35La corrélation entre la perte des capacités cérébrales et l’extinction possible de l’espèce sera établie dans « Lobotomie sporting club », de façon assez visionnaire. En effet, quelques années avant que les scientifiques ne s’alarment de ce que les technologies modernes diminuent les capacités cognitives, notamment à cause de la perte des neurones-miroir qui régulent l’empathie et les relations sociales, Thiéfaine évoquait les « cerveaux détraqués87 » des « humanoïdes insanes88 » qu’il associait à la « fin programmée » et appelait à « faire cramer les télés avant que de crever89 ». Et des inquiétudes récentes exprimées par les scientifiques au sujet de l’exposition précoce des enfants aux écrans, l’artiste avait déjà l’intuition en 199890 : « Tes enfants ne dansent plus maint’nant ils commémorent/A travers leurs modems et leurs écrans-goulag91 ».

36Ainsi, à une époque où seule la science-fiction exploite les dangers de l’intelligence artificielle, Thiéfaine expose de façon visionnaire cette prise de possession du cerveau humain par la machine : « Nous n’sommes que les fantasmes fous d’un computer/Avec son œil grinçant fouillant dans nos cerveaux92 », ce contrôle généralisé des masses où « le computeur central veille sur la zoo-clinique93 »

« On a vendu l’homo sapiens pour racheter du néanderthal »

37« Génie prédateur94 » de sa propre espèce, le terrien menace le futur de sa planète et s’entraîne dans une régression, détournant ou ne maîtrisant plus la science et les technologies.

38L’observation des désignations de l’humain nous révèle en effet une récurrence de termes renvoyant à la préhistoire, ou bien mêlant l’évolution à la régression : « animal futurien95 », « animal qui retourne au niveau zéro96 », « animal en quarantaine97 », « Bipède à station verticale », « vieux singe au cœur fossilisé98 », « cyborgs aux circuits moisis99 », « homo cannibale100 », sorti « d’un vieux logiciel Made in Néanderthal-City101 », voilà « 200.000 ans déjà [qu’il] zone sur la terre/Dans le grognement lourd des groins qui s’entrechoquent102 » ; il met « son badge ecce homo […] fier d’être un con cosmique103 ». Dans la chanson « Paranoid game », le néologisme « néanderthaloïdes » concentre à lui seul cette idée de mutation régressive de l’espèce humaine : « Tu préfères les juteuses néanderthaloïdes/Qui gloussent en astiquant les chromes de ton droïde104 ». La régression semble d’ailleurs inscrite dans la genèse de l’humanité puisque Dieu lui-même « a la gueule et l’aspect d’un australopithèque105 ».

39Ramener le terrien au stade de l’homme préhistorique permet ainsi d’envisager deux facteurs à la fin programmée : la diminution des facultés humaines, cérébrales, intellectuelles, mais aussi la part de violence inhérente à l’espèce et qui se perpétue. Dès la seconde chanson du premier album, le narrateur établit le lien entre la guerre et les séquelles sur les générations futures : « Avec les germes de la guerre/On ne fabrique que des tarés/Moi j’ai le cœur qui tape à l’envers/Et le cerveau qui a des ratés106 ». Le personnage de « 713705 cherche futur » quant à lui nous rappelle que « C’est depuis le début du monde/Que l’homme s’est déchiré107 », tandis que celui de « Whiskeuses images again » se qualifie de « Vieille copie du terrien-terreur108 », révélant, dans ce rapprochement paronymique, la violence intrinsèque de l’espèce humaine. Dans plusieurs chansons, les allusions bibliques et mythologiques soulignent ce caractère originel et indissociable de l’humain : L’homme politique avec son « masque de Caïn/Et les doigts sur un revolver109 » remet sa « panoplie d’équarrisseur intérimaire110 » pour immoler Iphigénie. Le droïde, tout aussi futuriste qu’il soit, reconnaît : « Quand j’ai besoin d’amour ou de fraternité, je vais voir Caïn cherchant Abel pour le plomber111 ».

40C’est dans « Crépuscule-Transfert » que le lien entre dégénérescence cérébrale et violence originelle s’établit explicitement : « Les cerveaux devenus poreux/S’en retournent à la barbarie112 ». Il sera repris et amplifié sur le dernier album, dans « Karaganda, camp 99 ». Les crimes perpétrés par le régime de Staline sont en effet la métaphore d’une destruction globale de l’humanité. On y retrouve un paysage apocalyptique, « de mondes agonisants », « de déserts corrompus », peuplé de « fantômes aux danses astrales qui marchent lentement vers l’incinérateur/Vers la métallurgie des génies prédateurs113 ». Le « rat décérébré » y côtoie « le module androïde », « le spectre de mutant au cerveau trafiqué/[y] marche en militant sur nos crânes irradiés114 ». Tous les facteurs de la destruction terrestre sont ici réunis et développés à partir de l’évocation du camp 99, à travers le lexique et les métaphores récurrentes, obsessionnelles, du poète. Ce dernier confirme d’ailleurs lui-même le lien qu’il établit entre l’Histoire et la fin du monde115.

Paysage intime et cosmos poétique

41S’agissant de cette réflexion sur le devenir de la terre, il ne faudrait pas la réduire à la simple expression de la conscience écologiste de l’artiste. Certes, le poète s’interroge et expose une vision pessimiste quant au devenir de la planète, mais lorsque Thiéfaine évoque la terre et l’humanité, il révèle sa propre condition. Nous allons voir que le lexique et les images liés à la terre, à son avenir, ses transformations, sa possible destruction, s’appliquent aussi au poète et permettent, comme toujours dans son discours poétique, un autre niveau de lecture. Ainsi le poète interroge-t-il son devenir personnel, reflétant ses angoisses et obsessions, à travers ce que l’on pourrait appeler un cosmos poétique.

42Comme nous l’avons montré, le lexique de la machine est fréquemment associé à l’homme et la mécanisation de l’espèce apparaît comme un facteur de sa mutation/régression. L’artiste, en ce qui le concerne, utilise souvent le vocabulaire de l’aéronautique pour évoquer sa condition et ses problématiques, nous y reviendrons. De la même manière, il réutilise un certain nombre de facteurs entrant en jeu dans le devenir de la planète, pour décrire son paysage intime.

43Ainsi la mécanisation et le clonage reviennent-ils dans « Confessions d’un Never-been », chanson très autobiographique, pour élaborer la définition très personnelle que Thiéfaine donne de son statut et rôle d’artiste, loin des représentations habituelles et idéalisations : « J’ai volé mon âme à un clown/Un cloclo mécanique du rock & roll cartoon/J’ai volé mon âme à un clown/Un clone au cœur de cône du rêve baby baboon116 ». Ailleurs, dans « Fenêtre sur désert », on retrouve les images de destruction, pollution et désertification pour suggérer l’échec amoureux et la solitude : « Et j’ai brûlé ma couche d’ozone/En voulant traverser tes yeux » ; « J’écoute les jours qui s’enfuient/Dans les eaux noires d’un lit glacé117 ».

44Dans « Les fastes de la solitude », c’est une vision onirique qui se déploie à travers le lexique de l’univers et de sa création, pour exprimer une solitude originelle : « Dans le tumultueux chaos des particules118 ». En outre, il est fréquent que les métaphores cosmiques fassent ressurgir les souvenirs douloureux : « Ma mémoire joue sur les reflets/Des étoiles mortes au firmament119 », comme les traumatismes de l’enfance qui hantent les chansons de l’artiste : « Les rugissements de l’univers/Dans les cours de récréation/Écorchaient les pieds de mes vers/Boiteux sous les humiliations120 ». Cet exemple fait apparaître le lien entre l’univers et la création artistique, avec le terme rugissement, qui renvoie aux événements climatiques, tempêtes, ouragans et autres cyclones très présents dans la discographie. Ce lexique permet aussi d’exprimer les tourments de l’artiste, en revisitant son héritage romantique : « Je crache dans ma tête les vapeurs d’ammoniac/D’un Sturm und Drang sans fin au bout du never been121 ». Déjà, dans « Nyctalopus airline » le poète évoquait pour la première fois sa condition d’artiste en quête d’élévation, d’un ailleurs poétique, à travers un vol imaginaire dans le temps et l’univers, vers l’Atlantide et le chaos : « Je flye vers la doulce Atlantide… /Et je patrouille dans mon cargo Chez les OVNI du crépuscule…/Et j’carbure aux années lumière/Mon astronef dans les rigoles/Mes rétrofusées dans la bière/Pour la liturgie d’la picole/Je pars vers le chaos caché122 ».

45Mais chez Thiéfaine, les vols s’achèvent souvent en crashs qui suggèrent plusieurs formes de destruction. Si la chanson « Femme de Loth » assimile les humains à « des naufragés dans cet avion-taxi123 », c’est dans « Un vendredi 13 à 5 heures » que l’artiste va envisager sa propre mort par la métaphore de la catastrophe aérienne. Ainsi, le texte parlé en introduction mêle intimement le lexique du cosmos à celui du corps : « j’apprendrai par Radio Mongol internationale la nouvelle de cette catastrophe aérienne dans le secteur septentrional de mes hémisphères cérébelleux, là où je mouille mes tankers de lucidité comique les nuits où je descends la dernière avenue du globe en traînant ma tête dans un sac en plastique124 ». Ces images seront ensuite développées dans la partie chantée et complétées par les motifs récurrents de la terre promise et de l’Oméga, qui renvoient à la quête poétique : « Ce jour-là j’pèterai mon cockpit/Dans la barranca del muerto/Avec ma terre promise en kit/Et ma dysenterie en solo […]/Je m’écraserai sur Oméga/Chez les clowns du monde inversé125 ». Parmi les métaphores cosmiques qui renvoient par synecdoque à la mort de l’artiste et de son univers, on peut encore citer « Animal en quarantaine » : « Oh ! Le vent se lève/Au large des galaxies126 », ou bien « Loin des temples en marbre de lune » : « J’envisage une fin qui détonne/Comme un jet de gaz ionisé127 ». La tempête, le cataclysme, métaphores obsessionnelles, sont reprises jusque dans la chanson « Toboggan », qui clôture le dernier album : « Les vents violents venus des villes/M’entraînent au cœur d’un ouragan/Et je suis déjà dans la file/Qui conduit vers le toboggan128 ». La mort, souvent associée au crash aérien, prend ici l’aspect du toboggan, issue de secours d’un avion, esquisse possible d’une réponse à la question qui hante l’œuvre : « Où est la sortie ?129 ».

46Ailleurs, dans « Libido moriendi », c’est le désir de mort qui émerge dans le déchaînement violent des éléments : « On attend sous l’œil/L’ouragan de nos souvenirs130 », tandis que dans « Petit matin », le constat de l’échec de la vie et la tentation du suicide surgissent à travers les images d’une planète stérile et d’un univers sans avenir : « Mon regard vient de l’ère glaciaire/Mon esprit est une fleur flétrie/Je fixe un océan pervers/Peuplé de pieuvres et de murènes […]/Dans le jardin d’Éden désert/Les étoiles n’ont plus de discours131 ».

47Enfin, ce lexique du cosmos relie la mort à une possible renaissance à travers un voyage, retour vers le big-bang originel. C’est ainsi que dans « En remontant le fleuve », le voyage fluvial, dans un mouvement collectif de remontée, évoque tout à la fois la mort – « Nous conduisons nos âmes aux frontières du chaos/Vers la clarté confuse de notre ultime écho132 » – et la renaissance, notamment par cet oxymore du « berceau final sous les vanilles en fleurs133 ». Déjà, dans « Confessions d’un never-been », le paysage intime se dessinait par les images du big-bang : « À la manufacture métaphysique d’effluves/Où mes synapses explosent en millions d’étincelles134 ». À travers les images du volcan et du gaz, s’exprime un désir de destruction qui confine à la surpuissance, à la renaissance, selon un double mouvement caractéristique du discours poétique de l’auteur. Dans le même registre, la chanson « La terre tremble », qui par la référence à Isadora Duncan et Sergei Essenine pourrait être une métaphore du poète et de sa mort, fait ressentir une certaine jouissance devant la destruction : « La Terre tremble/Et tu t’essuies la bouche/Dans ce qui pourrait être l’écharpe/Assassine d’Isadora Duncan135 ».

48Le poète, comme la terre, devrait-il en passer par un cataclysme, un nouveau big-bang, pour renaître ?

« Vive la mort ! »

49Certes, si l’on se limite au contexte de la catastrophe nucléaire évoquée dans « Alligators 427 », cette exclamation s’entend comme une antiphrase ironique. Mais elle entre en résonnance avec des formules qui font apparaître un autre niveau de lecture où la disparition de l’humain et de la planète est perçue comme inéluctable et salutaire.

50C’est sur l’album Dernières balises (avant mutation) que cette aspiration à la destruction d’un monde malade va être formulée. La conscience du « no future » cher au mouvement de punk, en plein essor pendant l’écriture de l’album, va amener le personnage d’« Exil sur planète-fantôme » à participer activement à cette fin programmée : « Nous étions les danseurs d’un monde à l’agonie/En même temps que fantômes/Conscients d’être mort-nés/Nous étions fossoyeurs d’un monde à l’agonie136 », une fin qu’il va même précipiter et dont il espère une certaine jouissance : « Mais je veux vivre encore plus ivre de cramer/Je veux ronger le mal jusque dans ses recoins/J’ai traîné mes vingt siècles d’inutilité/Je n’ai plus rien à perdre, mais j’en veux pour ma fin137 ». Si l’homme est artisan de sa propre destruction, s’il a broyé son futur, qu’il aille jusqu’au bout de son entreprise, de ses erreurs irrémédiables, c’était déjà la conclusion du personnage d’« Autorisation de délirer » : « Demain, nous reviendrons avec des revolvers/Au bout de nos yeux morts138 ». Sur l’album La Tentation du bonheur, dans « Critique du chapitre 3 », ce désir de disparition de l’espèce humaine s’imposera comme une évidence devant le constat désabusé de la victoire inexorable du mal : « L’humain peut disparaître/Et son monde avec lui/Qu’est-ce que la planète Terre/Dans l’œil d’un rat maudit/Pour un temps d’amour/Tant de haine en retour139 ». On retrouvera cette aspiration à la disparition, doublée d’une exhortation à prendre une part active à la « fin programmée » dans « Lobotomie sporting club », non plus pour jouir de la destruction, mais pour se sauver : « Envie de tout plomber/Envie de tout scratcher… de tout désintégrer/Faire cramer les télés avant que de crever/De peur dans les coulisses des shows, climatisés140 ». Ce désir de fuite du monde se rencontre d’ailleurs à plusieurs reprises dans l’œuvre, notamment dans « Syndrome albatros » où le poète, dans une démarche baudelairienne, est en quête d’un autre ailleurs, hors du monde : « Et tu fuis ce vieux monde comme on fuit les cauchemars souterrains de l’enfance141 ».

51« Il est temps de sonner la fête ! » s’exclamait le personnage d’« Alligators 427 ». Ainsi, dans « Est-ce ta première fin de millénaire ? », l’auteur convoque, réactualise nos peurs ancestrales dans une danse macabre : « La peste a rendez-vous avec le carnaval/Les cytomégalos dansent avec Arlequin/Commedia dell’arte, cagoules antivirales/Masques à gaz, oxygène et costumes florentins142 ». Une danse macabre qui n’est pas sans rappeler celle d’ « Exil sur planète fantôme » (« Nous étions les danseurs d’un monde à l’agonie ») et qui ressurgira dans « Pogo sur la deadline » : « Pogo sur la deadline/Rhapsodie cannibale/Requiem à gogo/Pour le repos/Du mal dans l’âme d’un animal/Qui retourne au niveau zéro143 ».

52De la même manière, les visions oniriques du poète autour de « la nuit de la Samain » transforment l’agonie du vieux monde malade en fête : « La vidéo mentale projette sur mes capteurs/L’imago populaire, hystérique & banal/D’un égout surpeuplé de monstres tapageurs/En quête d’une orgie sur l’écran terminal144 ». Et si, à l’image de la Samain ou de la « deadline », la fin était l’étape nécessaire vers « le niveau/point zéro145 », point de départ, de renouveau ? « Ce n’est qu’un début/Juste une fin de partie », scandait le refrain de « Fin de partie ».

53On observe en effet, dans les métaphores récurrentes de Thiéfaine, parallèlement à cette conscience d’un monde en perdition, l’espoir d’un renouveau. Ainsi, dans « Femme de Loth », il écrivait : « Nous sommes les naufragés dans cet avion-taxi/Avec nos yeux perdus vers d’autres galaxies/Nous rêvons d’ascenseurs au bout d’un arc-en-ciel/Où nos cerveaux malades sortiraient du sommeil146 ». Ce rêve d’un éveil de l’humain, d’une intelligence humaine face à l’intelligence artificielle, s’exprimera à nouveau dans « Droïde song » : « Le jour où les terriens prendront figure humaine/J’enlèverai ma cagoule pour entrer dans l’arène ».

54Enfin, la terre elle-même, indépendamment des dangers qui la menacent, est porteuse de cette mort génératrice de renouveau. Dans « Un automne à Tanger », la métaphore de la « chambre-océan » et la personnification des éléments du cycle des marées soulignent dans un mouvement simultané, la mort et la renaissance de la nature, qui se propagent au couple humain : « Les vagues mourraient blessées/A la marée sans Lune/En venant féconder/Le ventre des lagunes/Et nos corps écorchés/S’immolaient en riant/Sous les embruns glacés/D’une chambre océan147 ».

55Ce topos de l’union avec la terre sera repris dans le dernier couplet du texte « Dans quel état terre ». Après l’évocation du « soleil terminal », de l’ « approche finale » et du cancer qui ronge la terre, le personnage formule un souhait de résurrection commune : « J’aim’rais encore te voir sensuelle et sulfureuse/J’aim’rais encore renaître à ton ventre meurtri/Là où ta peau devient humide et granuleuse148 ». Un souhait qui deviendra un regret dans « Syndrome albatros », à travers l’expression « Toi qui voulais baiser la terre dans son ghetto/Tu en reviens meurtri149 ». Il n’en demeure pas moins que la terre reste un symbole privilégié pour évoquer la quête et la dynamique poétiques, dans son mouvement de mort et de renaissance, comme on peut encore le lire dans « Maalox Texas Blues » : « De l’autre côté du désert/Tu vois venir ton avenir/Tu titubes au milieu des flammes/De l’enfer d’où renaît le phénix150 ».

« Soleil cherche futur »

56Dans ce monde en mutation, le soleil semble menacé, en voie d’extinction. En effet, si l’homme est le protagoniste principal de la destruction de la planète, il ne faudrait pas occulter une « fin programmée » par la disparition naturelle du soleil. Un relevé des différentes occurrences du soleil nous révèle son omniprésence dans la discographie, dans une perspective de menace pour la survie de l’humanité.

57Ainsi, la « Redescente climatisée » s’achève-t-elle sur l’image d’« un vieux soleil glacé qui retraverse la nuit ». Dans « 713705 cherche futur », alors que Noé, dans son charter, fuit le monde dévasté, l’invocation au soleil et le refrain associent l’astre à l’idée de piège : « Soleil, soleil/N’est-ce pas merveilleux de se sentir piégé ». Le second refrain se prolonge sur l’invocation au dieu égyptien du soleil, dont l’homophonie permet la dérive vers le rat, symbole de l’univers mortifère décrit dans la chanson : « Rhâ-rat ! ». Tout comme l’humain avec son cœur « polymérisé », le soleil semble avoir perdu ses qualités naturelles et ne brille plus qu’à travers du verre synthétique : « Curieux soleil de plexiglas151 ». La chanson « Stalag-tilt » quant à elle évoque des « Soleils factices152 », qui, malgré leur pluralité, ne filtrent plus parmi les stalactites emmurant le personnage. Dans « Retour vers la lune noire », dont le titre renvoie aux rites expiatoires pour le retour du soleil, il est question d’un « soleil noir flambant153 », noirceur que l’on retrouve dans « Crépuscule-transfert » : « Dans la clarté morne et glaciale/D’un ténébreux soleil d’hiver » et encore dans « Lobotomie sporting club » avec le « soleil cafard ». Ces derniers exemples, dans leurs réminiscences nervaliennes154, nous amènent à nous pencher sur la dimension symbolique des soleils thiéfainiens. De la même façon que la terre, l’astre solaire pourrait représenter, par synecdoque, l’humain. Si nous reprenons l’exemple du « ténébreux soleil d’hiver », nous remarquons qu’il est associé à l’horreur humaine de la guerre et au « crépuscule » vers lequel elle « transfère » l’humanité. Dans « Est-ce ta première fin de millénaire ? », on retrouve cette association entre l’extinction du soleil et la responsabilité de l’homme dans les guerres qui mènent à la destruction de la planète : « Ton soleil a sombré dans un ghetto de pluie/dans ces rues où s’allument les guérillas urbaines ». Le soleil blessé est encore étroitement associé à des images de barbarie dans « Bruits de bulle » : « Soleil écorché/Vestiges éventrés/Corps décapités/Squelettes éclatés155 ». Toutefois, l’astre renvoie aussi aux thèmes privilégiés du poète et à sa dynamique poétique. Le soleil, dans une tradition nervalienne, accompagne la mélancolie des personnages comme par exemple dans « Compartiment C voiture 293 Edward Hopper 1938 », ekphrasis en clair-obscur d’un tableau de Hopper156 : « Le soleil couchant joue avec l’horizon/Et tes sentiments/Se cherchent une raison157 » ; ou bien encore dans « Résilience zéro » : « Les lueurs des rêves enfantins/Dans leur transparence édulcorent/Les derniers soleils du matin/Sur les frissons bleus de nos corps158 ». Mais ce « soleil noir caché159 », est aussi une promesse de renouveau, de changement, à la croisée de routes de l’existence : « Au soleil couchant je suis l’homme qui attend160 ». Symbole de rédemption personnelle – « Le soleil est là qui t’attend161 » – et de rédemption de l’humanité, le soleil incarne cette promesse d’un éveil/réveil du terrien. L’échappée de la caverne pour « voir si l’on danse en éveil/Dans les particules du soleil162 » trouvera ainsi un écho dans l’interrogation : « Devons-nous croire à un réveil/Dans l’au-delà des jours fériés/Avec la photo du soleil/Brillant sur nos calendriers ?163 ».

58Enfin, le soleil reste l’astre qui éclaire. Complice, il partage les ébats des amants : « Le soleil joue sur nous164 » ; il « déshabille les filles165 ». Erotisé dans la personnification « Quand le soleil se brûle au contour de tes reins 166 », il participe à la renaissance dans l’acte amoureux. Déjà associé à la survie des amants dans « Lorelei Sébasto Cha » – « Et je te dis reviens on s’en va mon amour/Recoller du soleil sur nos ailes d’albatros167 » –, il devient symbole de renaissance dans « Fièvre résurrectionnelle », où la figure féminine fait revenir l’astre : « Tu chantes des arias d’espoir universel pour faire que le soleil se lève sur nos e-mails », tandis que le refrain souligne la victoire d’Eros sur les ténèbres : « Je t’aime et je t’attends & et le soleil se lève ». Cette dimension symbolique du soleil se retrouvera dans la chanson « Stratégie de l’inespoir », qui donne son titre au dernier album : « Je croise des soleils aux ardeurs érotiques/Avec des cris perdus sur des sourires de femmes168 ».

59La question du devenir de la terre, menacée, en quête d’un soleil fragilisé qui cherche son futur, est ainsi révélatrice de la dualité Eros/Thanatos qui sous-tend toute l’œuvre dans sa dynamique.

« Eros über alles »

60Détournant la devise de l’Allemagne du Troisième Reich169, Thiéfaine affirme la puissance hégémonique de l’amour sur la disparition de l’humanité. On l’a vu, le lexique cosmique renvoie au paysage intime du poète, et notamment à la dimension érotique. Eros, dans ses métaphores stellaires, vient ainsi combattre la destruction de la planète-Thiéfaine. Associé aux amants, ce lexique nous donne à voir astres, comètes et planètes, dans un mouvement de fuite, de quête, de rencontre. Face au désastre planétaire et personnel, la femme est souvent désignée comme l’astre, hors du monde, parfois insaisissable, inaccessible ou éphémère. « Petite sœur soleil170 », « étoile », « nova cognita171 » ou « Terra prohibida172 », elle est l’objet de la quête du poète en exil sur terre : « On joue les trapézistes de l’antimatière/Cherchant des étoiles noires au fond de nos déserts173 » ; « Tu voudrais franchir la lumière/Et t’exiler loin de la terre/Mais tu sais que les étoiles qui brillent/Se trouvent toujours dans les chambres des filles174 ». Stellaire et solaire, elle a le pouvoir de faire renaître l’homme et son univers.

61Dans « Exit to Chatagoune-goune », elle extirpe le personnage masculin d’un univers réduit à une poubelle et le propulse sur sa planète, dans une union qui confine à la déité : « Ce soir je sors de ma poubelle/… Et me balance à ta planète/… Les dieux sont jaloux de nos corps/Nous balayons l’éternité/Je danse pour toi petite/Je bande pour toi175 ». Dans « Stalag-tilt », elle est la seule force, par les « milliards d’étoiles » qu’elle produit, pouvant contrer la menace de fossilisation : « Reviens/Reviens petite/Les stalactites/Veulent m’emmurer… /Sans toi mon cas/Est périmé ». Dans « Bouton de rose », elle sort l’homme de son enfer : « Sur mon Styx/Une étoile fixe/Illumine ma fréquence176 ».

62Ainsi le lexique désigne-t-il la femme comme un être venu d’un ailleurs hors du monde, tandis que l’homme cherche à fuir le monde terrestre, à s’élever, d’où les multiples images liées à l’aviation. Il est le « Pilote aux yeux de gélatine/Dans ce vieux satellite-usine177 », parti à la rencontre de la « sweet amanite phalloïde queen », ou encore un des astronautes « Aplatis comme de vieilles pizzas/Lâchées d’un Soyouz en détresse » qui « cherche une nova cognita178 ». Ailleurs, il est l’albatros en quête de sa « petite sœur jumelle179 ». Mais les tentatives d’élévation sont souvent vouées à l’échec, d’où la récurrence de l’« approche finale » et des crashs aériens. Alors, il arrive que la figure féminine soit représentée comme une météorite qui imprime sa force érotique à l’homme en perdition et lui assure la survie : « Je n’sais pas si tu viens d’un continent perdu/Ou bien si t’es tombée d’une comète inconnue/… Je n’sais pas si tu viens d’une ville ultramarine/Ou bien si tu descends d’une planète androgyne/Météorite in love tu vois je vole aussi180 ». Régénérante, elle redonne à l’homme une puissance tellurique, comme le suggère le lexique du séisme : « Tu réveilles mes volcans lumineux du néant181 » ; « Je voulais t’offrir une nuit d’enfer/7,5 sur l’échelle de Richter182 ». La figure féminine fait véritablement revivre le personnage masculin, elle le ramène à ce « point zéro » récurrent dans l’œuvre, au chaos originel. Ainsi, dans « Buenas noches, Jo », l’acte amoureux renvoie l’homme à sa naissance, vue comme un big-bang in utéro, et dont il est nostalgique. Il convoque alors la figure féminine pour le ramener dans l’avant-monde : « La tête mouillée entre tes cuisses/Et l’œil plombé de nostalgeo/J’voudrais rentrer dans ta matrice/Comme au vieux temps de ma létargeo/Quand je jouais avec la matière/Dans la chambre des éprouvettes/Au milieu des années-lumière/ Et du rougeoiement des planètes183 ».

63Face au désastre qui règne sur la planète, à cette humanité en perdition, l’astre féminin assure bien la résurrection. Ainsi, dans « Fièvre résurrectionnelle », aux « pantins », « fantômes », « paumés » « sous un brouillard d’acier », « dans un rideau de feu », « qui se mettent à rêver d’un nouvel univers », Thiéfaine oppose, par la récurrence de la formule « mais toi », une figure féminine cosmique : « Mais toi tu viens d’ailleurs, d’une étrange spirale/D’un maelström unique dans la brèche spatiale ». De son pouvoir solaire souligné par le refrain, elle peut ainsi dissiper la fin programmée : « Et le soleil se lève ».

64C’est sans doute dans « Caméra terminus » que la force d’Eros contre Thanatos acquiert sa dimension cosmique la plus signifiante. Dans une atmosphère de fin du monde (« Dans la lumière cendreuse/ Du matin-crépuscule »), où l’on retrouve maladies, poisons, pollution, (« Parfums de fièvre jaune/ De cyanure et d’ozone »), les amants sont présentés comme les seuls survivants d’une catastrophe planétaire :

« enfin seuls
nous sommes seuls
dans le vent
survivants
mort-virus, terminus
omnibus morbidus gaudeamus !

enfin seuls
sur cette planète qui grince
dans le froid qui nous pince »

65Et cette survie signe la victoire d’Eros :

« enfin seuls
amants conquistadors
sur le terminator184 »

« Il nous restera ça »

66Ainsi, la question du devenir de la terre et de l’humanité alimente et révèle, par un cosmos poétique, le paysage intime d’Hubert-Félix Thiéfaine, en participant aussi à la dynamique de son discours. Présents dans un des premiers textes, « Alligators 427 », le lexique et les métaphores qui deviendront récurrents se retrouvent dans la dernière chanson écrite par l’artiste, « Le temps des tachyons185 », sur l’album concept de Grand Corps Malade, Il nous restera ça. À travers ce texte, l’auteur évoque des lendemains apocalyptiques pour une humanité en quête désespérée d’un avenir plus lumineux. Le refrain « MC2 sur racine carrée de 1 moins V2 sur C2/Nous rêvons tous un peu de jours plus lumineux », fait écho, jusque dans ses « mathématiques souterraines186 », à « 713705 cherche futur ». En effet, on y retrouve les images de fin du monde qui jalonnent la discographie. Dans cette noire vision, Thiéfaine convoque « les chiens [qui] se déchirent en s’arrachant la tête », « un train de minuit qui roule au point zéro », « des enfants aux allures de zombis », « quelques ados qui s’exercent au suicide », « Au terminal central des retours de cercueils ». Les soleils y sont « austères », « le désert glacé », les printemps s’annoncent « meurtriers ». Ainsi, dans cette relativité du temps qui perpétue « les ténèbres en sang », « L’avenir se déplace en véhicule blindé » et le futur lumineux se dérobe perpétuellement. « On n’en finit jamais d’écrire la même chanson/ Avec les mêmes discours les mêmes connotations187 », et la poésie de Thiéfaine, depuis quatre décennies, secrète et déploie dans son alchimie, ses visions intimes, obsédantes et intranquilles de l’annihilation.

Notes de bas de page numériques

1 H.F. Thiéfaine, « Was ist das rock’n roll », in Eros über alles, Paris, Sterne, 1988.

2 H.F. Thiéfaine, « Was ist das rock’n roll ».

3 H.F. Thiéfaine, Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir, Paris, Sterne, 1978.

4 H.F. Thiéfaine, « Médiocratie », in Stratégie de l’inespoir, Paris, Sony, 2014.

5 H.F. Thiéfaine, « Pulque mescal y tequila » in Eros über alles, Paris, Sterne, 1988.

6 H.F. Thiéfaine, « Sentiments numériques revisités », in La tentation du bonheur, Paris, Sony, 1996.

7 H.F. Thiéfaine, « Je suis partout », in Eros über alles, Paris, Sterne, 1988.

8 H.F. Thiéfaine, « Je suis partout ».

9 H.F. Thiéfaine, « La ballade d’Abdallah Geronimo Cohen », in Le bonheur de la tentation, Paris, Sony, 1998.

10 H.F. Thiéfaine, « La ballade d’Abdallah Geronimo Cohen ».

11 H.F. Thiéfaine, « Dans quel état terre », in Le bonheur de la tentation, Paris, Sony, 1998.

12 H.F. Thiéfaine, Soleil cherche futur, Paris, Sterne, 1982.

13 H.F. Thiéfaine, « Lobotomie sporting club », in Suppléments de mensonge, Paris, Sony, 2011.

14 H.F. Thiéfaine, « L’ascenseur de 22 heures 43 », in Tout corps vivant sur le secteur étant appelé à s’émouvoir, Paris, Sterne, 1978.

15 H.F. Thiéfaine, « Alligators 427 », in Autorisation de délirer, Paris, Sterne, 1979.

16 Hélicoptères de combat russes KA-50 et KA-52 Alligator mis au point dans les années 70 pour répondre à une demande de l’Armée Rouge : https://helicoptereos.wordpress.com/atlas-des-helicopteres/helicopteres-militaires/helicopteres-militaires-sovietiques-et-russes/kamov-ka-50/.

17 A ce sujet, on peut se référer à l’article de Françoise Salvan-Renucci, « nations mornes & fangeuses, esclaves anachroniques » : anachronismes et télescopages temporels dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine. https://docs.wixstatic.com/ugd/033c28_92702e08e4604385913ebe8e828e85b9.pdf.

18 H.F. Thiéfaine, entretien sur Canalchat.com, mai 2001.

19 H.F. Thiéfaine, « Exil sur planète-fantôme », in Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981.

20 H.F. Thiéfaine, « Joli mai, mois de Marie », in Défloration 13, Paris, Sony, 2001.

21 Extrait du CD-Rom de Défloration 13 : « Au début du mois de mai 2000, nous avons eu dans le jura quelques magnifiques journées ensoleillées. Je me souvins d’une des questions souvent posées par les journalistes ou autres personnes intéressées par mes chansons, sur le fait qu’un passionné par la nature comme moi ne dépeignait que des tableaux urbains et industriels… Par un de ces jolis matins du mois de mai, j’ai voulu tenter ma chance et essayer de fabriquer ma première chanson verte… lorsqu’un peu plus tard, je posai ma guitare pour relire mon brouillon, je devins rouge avec la honte… Moralité : ne me demandez plus jamais pourquoi je n’écris pas de chansons sur les vertes prairies, ni sur les forêts profondes, ni sur les montagnes enneigées de mon jura natal. »

22 H.F. Thiéfaine, entretien sur estrepublicain.fr, 04/03/2011 : « Pour cette chanson-là, je me souviens de la forêt, avec des feuilles toutes belles, des oiseaux, un mois de mai sous le soleil, dans le Jura, que des bruits de nature. Je prenais mon café. J’ai donc essayé d’écrire sur les oiseaux. Et je me suis dit : on ne peut pas être aussi con pour écrire ça. J’ai tout fait pour avancer sur cette p… de chanson, sur la campagne, j’étais coincé, je me suis mis en colère, j’ai barré tous les noms d’oiseaux et les ai remplacés par des conneries… ».

23 H.F. Thiéfaine, « Libido moriendi », in Scandale mélancolique, Paris, Sony, 2005, désir de mort exprimé dans la chanson « Joli mai, mois de Marie » : « Et c’est toujours au mois de mai/que l’on a envie de se pendre ».

24 H.F. Thiéfaine, « Camélia : huile sur toile », in Défloration 13, Paris, Sony, 2001.

25 H.F. Thiéfaine, « Juste une valse noire », in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.

26 H.F. Thiéfaine, « Fin de partie », in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.

27 H.F. Thiéfaine, « Petit matin, 4.10 heure d’été », in Suppléments de mensonge, Paris, Sony, 2011.

28 H.F. Thiéfaine, « Lobotomie sporting club », in Suppléments de mensonge, Paris, Sony, 2011.

29 H.F. Thiéfaine, « 542 lunes et 7 jours environ », in Chroniques bluesymentales, Paris, Sony, 1990.

30 H.F. Thiéfaine, « Fièvre résurrectionnelle », in Suppléments de mensonge, Paris, Sony, 2011.

31 H.F. Thiéfaine, « Fièvre résurrectionnelle ».

32 H.F. Thiéfaine, « Narcisse 81 », in Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981.

33 H.F. Thiéfaine, « Casino, sexe et tendritude », in Suppléments de mensonge, Paris, Sony, 2011.

34 H.F. Thiéfaine, « Le vieux bluesman et la bimbo », in Amicalement blues, Paris, Sony, 2007.

35 H.F. Thiéfaine, « Karaganda, camp 99 », in Stratégie de l’inespoir, Paris, Sony, 2014.

36 H.F. Thiéfaine, « Annihilation », in Séquelles, Paris, Sony, 2009.

37 H.F. Thiéfaine, « Vendôme Gardenal Snack », in De l’amour, de l’art ou du cochon, Paris, Sterne, 1980.

38 H.F. Thiéfaine, « 542 lunes et 7 jours environ », in Chroniques bluesymentales, Paris, Sony, 1990.

39 H.F. Thiéfaine, « Buenas noches, Jo », in Alambic/Sortie-sud, Paris, Sterne, 1984.

40 H.F. Thiéfaine, « Terrien, t’es rien », in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.

41 H.F. Thiéfaine, « De l’art, de l’amour ou du cochon ? », in De l’art, de l’amour ou du cochon ?, Paris, Sterne, 1980.

42 H.F. Thiéfaine, « Vendôme Gardenal Snack », in De l’art, de l’amour ou du cochon ?, Paris, Sterne, 1980.

43 H.F. Thiéfaine, « Les dingues et les paumés », in Soleil cherche futur, Paris, Sterne, 1982.

44 H.F. Thiéfaine, « Une fille au rhésus négatif », in Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981.

45 H.F. Thiéfaine, « 713705 cherche futur », in Soleil cherche futur, Paris, Sterne, 1982.

46 H.F. Thiéfaine, « Une fille au rhésus négatif ».

47 H.F. Thiéfaine, « Comme un chien dans un cimetière », in De l’art, de l’amour ou du cochon ?, Paris, Sterne, 1980.

48 H.F. Thiéfaine, « Demain les kids », in Chroniques bluesymentales, Paris, Sony, 1990.

49 H.F. Thiéfaine, « Demain les kids ».

50 H.F. Thiéfaine, « Demain les kids ».

51 H.F. Thiéfaine, « L’homme politique, le roll-mops et la cuve à mazout », in Autorisation de délirer, Paris, Sterne, 1979.

52 H.F. Thiéfaine, « Also Sprach Winnie l’ourson », in Défloration 13, Paris, Sony, 2001.

53 H.F. Thiéfaine, « Scènes de panique tranquille », Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981.

54 H.F. Thiéfaine, « Comme un chien dans un cimetière ».

55 H.F. Thiéfaine, « Femme de Loth », in Alambic/Sortie-sud, Paris, Sterne, 1984.

56 H.F. Thiéfaine, « Droïde song », in Eros über alles, Paris, Sterne, 1988.

57 H.F. Thiéfaine, « Est-ce ta première fin de millénaire ? », in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.

58 H.F. Thiéfaine, « Exil sur planète-fantôme ».

59 H.F. Thiéfaine : « Vivement que revienne le choléra », « La maison Borniol », in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir, Paris, Sterne, 1978.

60 H.F. Thiéfaine, « Le chant du fou », in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir, Paris, Sterne, 1978.

61 H.F. Thiéfaine, « Scènes de panique tranquille », in Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981.

62 H.F. Thiéfaine, « Je sais que la cigüe est prête », « Alligators 427 ».

63 H.F. Thiéfaine, « L’infirmier de minuit distribue le cyanure », « 713705 cherche futur ».

64 H.F. Thiéfaine, « Arsenic is good for you », « 113 ème cigarette sans dormir », in Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981.

65 H.F. Thiéfaine, « Ad orgasmum aeternum », in Soleil cherche futur, Paris, Sterne, 1982.

66 H.F. Thiéfaine, « Une ambulance pour Elmo Lewis », in Défloration 13, Paris, Sony, 2001.

67 H.F. Thiéfaine, « Photographie-tendresse », in Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981.

68 H.F. Thiéfaine, « Cabaret Sainte-Lilith », in Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981.

69 H.F. Thiéfaine, « Demain les kids », in Chroniques bluesymentales, Paris, Sony, 1990.

70 H.F. Thiéfaine, « Bipède à station verticale », in Météo für Nada, Paris, Sony, 1986.

71 H.F. Thiéfaine, « Quand la banlieue descendra sur la ville », in Défloration 13, Paris, Sony, 2001.

72 Antonin Artaud, « Pour en finir avec le jugement de Dieu » : « J’ai appris hier l’une des pratiques officielles les plus sensationnelles des écoles publiques américaines et qui font sans doute que ce pays se croit à la tête du progrès. Il paraît que, parmi les examens ou épreuves que l’on fait subir à un enfant qui entre pour la première fois dans une école publique, aurait lieu l’épreuve dite de la liqueur séminale ou du sperme, et qui consisterait à demander à cet enfant nouvel entrant un peu de son sperme afin de l’insérer dans un bocal et de le tenir ainsi prêt à toutes les tentatives de fécondation artificielle qui pourraient ensuite avoir lieu… ».

73 H.F. Thiéfaine, in L’Hebdo N° 25, juin 1998.

74 H.F. Thiéfaine, « Autorisation de délirer », in Autorisation de délirer, Paris, sterne, 1979.

75 H.F. Thiéfaine, « Errer humanum est », in Météo für Nada, Paris, Sterne, 1986.

76 H.F. Thiéfaine, « Pogo sur la deadline », in Chroniques bluesymentales, Paris, Sony, 1990.

77 H.F. Thiéfaine, « Paranoïd game », in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.

78 H.F. Thiéfaine, « Paranoïd game ».

79 H.F. Thiéfaine, « Also sprach Winnie l’ourson », in Défloration 13, Paris, Sony, 2001.

80 H.F. Thiéfaine, « Also sprach Winnie l’ourson ».

81 H.F. Thiéfaine, « 542 lunes et 7 jours environ ».

82 H.F. Thiéfaine, « Droïde song », in Eros über alles, Paris, Sterne, 1988.

83 H.F. Thiéfaine, « Photographie-tendresse ».

84 H.F. Thiéfaine, « Parano-safari en ego-trip-transit », in Défloration 13, Paris, Sony, 2001.

85 H.F. Thiéfaine, « Parano-safari en ego-trip-transit ».

86 H.F. Thiéfaine, « Garbo XW Machine », in Suppléments de mensonge, Paris, Sony, 2011.

87 H.F. Thiéfaine, « lobotomie sporting club ».

88 H.F. Thiéfaine, « lobotomie sporting club ».

89 H.F. Thiéfaine, « lobotomie sporting club ».

90 Entretien sur Arcinfo.ch – 07/09/2012 : « Pour vous, faire fonctionner un minimum sa tête, c’est important ? HFT : – Bien sûr. Je crois que l’intelligence, c’est ce qui peut soulever le monde. Ça donne un but à cette vie qui est un non-sens total. Alors quand le non-sens est accaparé par la médiocrité, ça devient invivable. ».

91 H.F. Thiéfaine, « Dans quel état terre ».

92 H.F. Thiéfaine, « Une fille au rhésus négatif ».

93 H.F. Thiéfaine, « Bipède à station verticale », in Météo für Nada, Paris, Sterne, 1986.

94 H.F. Thiéfaine, « Karaganda camp 99 », in Stratégie de l’inespoir, Paris, Sony, 2014.

95 H.F. Thiéfaine, « Whiskeuses images again », in Alambic/Sortie-sud, Paris, Sterne, 1984.

96 H.F. Thiéfaine, « Pogo sur la deadline ».

97 H.F. Thiéfaine, « Animal en quarantaine », in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.

98 H.F. Thiéfaine, « Bipède à station verticale ».

99 H.F. Thiéfaine, « Crépuscule-transfert », in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.

100 H.F. Thiéfaine, « 542 lunes et 7 jours environ ».

101 H.F. Thiéfaine, « Médiocratie », in Stratégie de l’inespoir, Paris, Sony, 2014.

102 H.F. Thiéfaine, « Was ist das rock’n roll ».

103 H.F. Thiéfaine, « Bipède à station verticale ».

104 H.F. Thiéfaine, « Paranoid game ».

105 H.F. Thiéfaine, « La nostalgie de dieu », in La tentation du bonheur, Paris, Sony, 1996.

106 H.F. Thiéfaine, « La fin du Saint-Empire roman germanique », In Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir, Paris, Sterne, 1978.

107 H.F. Thiéfaine, « 713705 cherche futur ».

108 H.F. Thiéfaine, « Whiskeuses images again ».

109 H.F. Thiéfaine, « L’homme politique, le roll mops et la cuve à mazout ».

110 H.F. Thiéfaine, « L’homme politique, le roll mops et la cuve à mazout ».

111 H.F. Thiéfaine, « Droïde song ».

112 H.F. Thiéfaine, « Crépuscule-Transfert ».

113 H.F. Thiéfaine, « Karaganda, camp 99 ».

114 H.F. Thiéfaine, « Karaganda, camp 99 ».

115 Extrait d’un entretien sur le site nosenchanteurs.eu, novembre 2016 : « Karanganda relate un fait historico-tragique, mais c’est aussi un brûlot contre tous les fascismes. Est-ce quelque chose qui te terrorise encore aujourd’hui ? HFT : J’ai lu un bouquin récemment. C’est la fin du monde. C’est vraiment la fin de la fin. Ça se passe dans quelques siècles, la terre est complètement détruite par les centrales nucléaires qui ont explosé. On ne sait pas trop ce qui s’est passé mais ça a sauté de partout. Ils sont tous en train de crever. Dans ce bouquin, ils parlent de la deuxième génération du soviétisme mais sur la planète entière, et qui serait la cause de la fin du monde. ».

116 H.F. Thiéfaine, « Confessions d’un Never-been », in Scandale mélancolique, Paris, Sony, 2005.

117 H.F. Thiéfaine, « Fenêtre sur désert », in Stratégie de l’inespoir, Paris, Sony, 2014.

118 H.F. Thiéfaine, « Les fastes de la solitude », in Défloration 13, Paris, Sony, 2001.

119 H.F. Thiéfaine, « Résilience zéro », in Stratégie de l’inespoir, Paris, Sony, 2014.

120 H.F. Thiéfaine, « Résilience zéro ».

121 H.F. Thiéfaine, « Confessions d’un never been ».

122 H.F. Thiéfaine, « Nyctalopus airline », in Alambic/Sortie-sud, Paris, Sterne, 1984.

123 H.F. Thiéfaine, « Femme de Loth ».

124 H.F. Thiéfaine, « Un vendredi 13 à 5 heures », in Alambic/Sortie-sud, Paris, Sterne, 1984.

125 H.F. Thiéfaine, « Un vendredi 13 à 5 heures ».

126 H.F. Thiéfaine, « Animal en quarantaine », in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.

127 H.F. Thiéfaine, « Loin des temples en marbre de lune », in Scandale mélancolique, Paris, Sony, 2005.

128 H.F. Thiéfaine, « Toboggan », in Suppléments de mensonge, Paris, Sony, 2011.

129 H.F. Thiéfaine, « Fin de partie ».

130 H.F. Thiéfaine, « libido moriendi ».

131 H.F. Thiéfaine, « Petit matin, 4.10 heure d’été ».

132 H.F. Thiéfaine, « En remontant le fleuve », in Stratégie de l’inespoir, Paris, Sony, 2014.

133 H.F. Thiéfaine, « En remontant le fleuve ».

134 H.F. Thiéfaine, « Confessions d’un never-been ».

135 H.F. Thiéfaine, « La terre tremble », in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.

136 H.F. Thiéfaine, « Exil sur planète-fantôme ».

137 H.F. Thiéfaine, « Exil sur planète-fantôme ».

138 H.F. Thiéfaine, « Autorisation de délirer ».

139 H.F. Thiéfaine, « Critique du chapitre 3 », in La tentation du bonheur, Paris, Sony, 1996.

140 H.F. Thiéfaine, « Lobotomie sporting club ».

141 H.F. Thiéfaine, « Syndrome albatros », in Eros über alles, Paris, Sterne, 1988.

142 H.F. Thiéfaine, « Est-ce ta première fin de millénaire ? ».

143 H.F. Thiéfaine, « Droïde song ».

144 H.F. Thiéfaine, « La nuit de la Samain », in Scandale mélancolique, Paris, Sony, 2005.

145 H.F. Thiéfaine, « La dernière étincelle a grillé mes circuits/Et c’est le long retour au point zéro », « Redescente climatisée », in Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981.

146 H.F. Thiéfaine, Chanson Magazine n° 14, Février 1985 : » Pour moi, c’est imaginer que l’humain n’est pas encore abouti, que son cerveau est comme un moteur en rodage et qu’un jour, peut-être, il va finir par se débrider… Toutes ces choses que j’appelle aujourd’hui « effets magiques » parce qu’incompréhensibles, pourraient alors devenir aussi claires que le fait d’admettre que la terre est ronde ! ».

147 H.F. Thiéfaine, « Un automne à Tanger », in Chroniques bluesymentales, Paris, Sony, 1990.

148 H.F. Thiéfaine, « Dans quel état terre ».

149 H.F. Thiéfaine, « Syndrome albatros ».

150 H.F. Thiéfaine, « Maalox Texas blues », in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.

151 H.F. Thiéfaine, « Exit to chatagoune-goune », in Soleil cherche futur, Paris, Sterne, 1982.

152 H.F. Thiéfaine, « Stalag-Tilt », in Alambic/Sortie-sud, Paris, Sterne, 1984.

153 H.F. Thiéfaine, « Retour vers la lune noire », in Le bonheur de la tentation, Paris, Sony, 1998.

154 Gérard de Nerval, « El desdichado » : « Le soleil noir de la mélancolie »

155 H.F. Thiéfaine, « Bruit de bulles », in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.

156 H.F. Thiéfaine : « Chez Hopper, on retrouve beaucoup de mélancolie que je partage. Ses paysages sont plein de soleil, mais d’un soleil triste, mélancolique comme je l’aime. » legrandpalais.fr -24/10/2012.

157 H.F. Thiéfaine, « Compartiment C voiture 293 Edward Hopper 1938 », in Suppléments de mensonge, Paris, Sony, 2011.

158 H.F. Thiéfaine, « Résilience zéro ».

159 H.F. Thiéfaine, « Rendez-vous au dernier carrefour », in Amicalement blues, Paris, Sony, 2007.

160 H.F. Thiéfaine, « Roots & déroutes plus croisement », in Défloration 13, Paris, Sony, 2001.

161 H.F. Thiéfaine, « Télégramme 2003 », in Scandale mélancolique, Paris, Sony, 2005.

162 H.F. Thiéfaine, « Whiskeuses image again ».

163 H.F. Thiéfaine, « Médiocratie ».

164 H.F. Thiéfaine, « Le Touquet, juillet 1925 », in Défloration 13, Paris, Sony, 2001.

165 H.F. Thiéfaine, « Joli mai, mois de Marie ».

166 H.F. Thiéfaine, « Sentiments numériques revisités ».

167 H.F. Thiéfaine, « Lorelei Sébasto Cha », in Soleil cherche futur, Paris, Sterne, 1982.

168 H.F. Thiéfaine, « Stratégie de l’inespoir », in Stratégie de l’inespoir, Paris, Sony, 2014.

169 « Deutschland über alles ».

170 H.F. Thiéfaine, « Redescente climatisée ».

171 H.F. Thiéfaine, « Errer humanum est ».

172 H.F. Thiéfaine, « Syndrome albatros ».

173 H.F. Thiéfaine, « Annihilation ».

174 H.F. Thiéfaine, « Orphée nonante huit », in La tentation du bonheur, Paris, Sony, 1996.

175 H.F. Thiéfaine, « Exit to Chatagoune-goune ».

176 H.F. Thiéfaine, « Bouton de rose », in Le bonheur de la tentation, Paris, Sony, 1998.

177 H.F. Thiéfaine, « Sweet amanite phalloïde queen », in Météo für Nada, Paris, Sterne, 1986.

178 H.F. Thiéfaine, « Errer humanum est ».

179 H.F. Thiéfaine, « Syndrome albatros ».

180 H.F. Thiéfaine, « Zone chaude », in Météo für Nada, Paris, Sterne, 1986.

181 H.F. Thiéfaine, « Sentiments numériques revisités ».

182 H.F. Thiéfaine, « Precox ejaculator », in Météo für Nada, Paris, Sterne, 1986.

183 H.F. Thiéfaine, « Buenas noches, Jo ».

184 H.F. Thiéfaine, « Caméra terminus », in Chroniques bluesymentales, Paris, Sony, 1990.

185 H.F. Thiéfaine, « Le temps des tachyons », in Il nous restera ça, Anouche productions, 2015.

186 H.F. Thiéfaine, « Mathématiques souterraines », in Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981.

187 H.F. Thiéfaine, « Annihilation ».

Pour citer cet article

Isabelle Guilloteau, « « Terre, dans quel état t’erres ? »
ou la question du devenir de la Terre dans les chansons d’Hubert-Félix Thiéfaine
 », paru dans Loxias, 61., mis en ligne le 24 juin 2018, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=8984.


Auteurs

Isabelle Guilloteau

Isabelle Guilloteau est professeure de lettres modernes au lycée Henri Avril de Lamballe, dans les Côtes d’Armor. Elle souhaite préparer, à partir de 2019, une thèse de doctorat sur Hubert-Félix Thiéfaine à l’université Nice Sophia Antipolis, sous la direction de Françoise Salvan-Renucci. En juin 2015, elle a participé au colloque organisé à la maison de la poésie, autour de l’œuvre d’Hubert-Félix Thiéfaine. Sa contribution sur « Les figures féminines dans l’univers d’Hubert-Félix Thiéfaine » a été publiée dans l’ouvrage collectif Thiéfaine, poésie souterraine, RKI Press, 2017.