Loxias | 57. Le boulevard, un théâtre à sortir du placard ? | I. Le boulevard, un théâtre à sortir du placard ? 

Claire Poirson  : 

« Il n’y a pas de bon théâtre sans caractères ». Rencontre avec Pierre Barillet

Index

Mots-clés : théâtre de boulevard

Géographique : France

Chronologique : Période contemporaine

Thématique : théâtre

Texte intégral

Entretien réalisé par Claire Poirson

1Pierre Barillet entame sa carrière d’auteur dramatique en 1945 avec Les Héritiers1, drame sombre d’inspiration mauriacienne, avant de co-signer, entre 1950 et 1994, une vingtaine de comédies avec Jean-Pierre Gredy. Certaines de leurs pièces connaissent un triomphe : Le Don d’Adèle, Folle Amanda, ou encore Potiche, adaptée au cinéma en 2010 par François Ozon, avec Catherine Deneuve en tête d’affiche. Pour ne citer que son théâtre2, Pierre Barillet écrit six pièces qu’il signe seul, entre 1947 et 2015 : Les Héritiers (1945), Les Amants de noël3 (1947), La Réponse (2013), Gustave et Louise4 (2014), L’Ombre de Stella (2015), et Moi, Nadine Picard (2015). Ces pièces, beaucoup plus graves, et révèlent une tout autre plume.

2Quels auteurs vous ont particulièrement marqué, vous ont influencé ?

3Molière évidemment : il savait dessiner des caractères forts. Beaumarchais, Marivaux... J’ai adoré Giraudoux il fut un temps. J’aime beaucoup Sacha Guitry : il bâclait énormément ses textes mais il est très doué. Il avait une telle facilité... Il s’amusait. Malheureusement il n’amenait pas ses pièces jusqu’au bout, il manquait de rigueur. Ionesco aussi me fait beaucoup rire : pour moi, c’est un auteur très marquant et important.

4Dans Quatre années sans relâche, texte autobiographique publié en 2001, vous expliquez que vous vous êtes d’abord intéressé à des registres plus dramatiques, avant d’écrire des comédies avec Jean-Pierre Grédy. Pouvez-vous expliquer ce changement de répertoire ?

5Ma première pièce, Les Amants de Noël, jouée au Théâtre de Poche en 1957, était très dramatique, noire, mauriacienne. Je me croyais destiné à une carrière d’auteur dramatique, je voulais suivre les traces de Montherlant, Bernstein (mes parents allaient beaucoup voir ses pièces), j’avais un tempérament plutôt sombre et le théâtre... (il cherche un qualificatif) gai a été pour moi une étrange aventure. Je ne sais pas comment j’y suis venu.

6Parlons un peu de votre collaboration avec Jean-Pierre Grédy, qui vous a justement amené vers ce théâtre gai. Comment écriviez-vous ensemble ? Vous répartissiez-vous le travail ou écriviez-vous tout de concert ?

7Avec Grédy, nous écrivions tout ensemble. Nous commencions par discuter : une idée pouvait venir de rien. Par exemple, Potiche nous a été inspirée par Madame Chirac qui a déclaré, lorsqu’elle est devenue première dame : « Ne comptez pas sur moi pour être une potiche ». La Reine blanche est venue d’un fait divers : un jeune homme noir, étudiant, avait épousé une jeune prolétaire blanche. Les parents étaient absolument outrés par ce mariage. Le jeune homme est devenu roi de son pays et lorsque le couple est arrivé là-bas, les noirs ne voulait pas d’une reine blanche. Nos inspirations pouvaient partir de faits divers, de phrases entendues ou de personnes de notre entourage. Folle Amanda, par exemple, nous a été inspirée par des modèles réels : des chanteuses oubliées après avoir connu le succès, des couples dont les aventures sentimentales nous ont inspirés... Ce sont des morceaux de vérité, des bribes de souvenirs par-ci par-là. Pour ce qui est de la méthode, nous élaborions avant chaque pièce des plans détaillés, émaillés de répliques. Nous savions précisément où nous allions. Quand une réplique venait nous la notions sur ce plan. Le dialogue étant plus important dans la comédie puisque nous ne sommes pas uniquement conduits par l’intrigue -il faut tout de même essayer de faire rire le spectateur, écrire à deux était un réel avantage. Nous n’avons jamais fait des mots pour des mots. Les répliques venaient toujours de la situation, avec spontanéité. Nous étions nos premiers spectateurs : nous nous lancions des répliques et nous les éprouvions ensuite sur quelqu’un qui les entendait et qui réagissait.

8Cocteau vous avait donné un conseil d’écriture : lorsque l’on commence à écrire une pièce de théâtre, il faut toujours connaître la fin. Voulez-vous commenter ce conseil ?

9Il s’agit de construire la pièce avant de l’écrire. Cela me fut très profitable. Je m’aperçois aujourd’hui que beaucoup d’auteurs écrivent vite : les pièces démarrent, avec un très bon point de départ bien souvent, mais n’aboutissent pas. Or il faut faire monter la tension, surprendre le spectateur, toujours avoir de l’invention. Grédy et moi avons laissé beaucoup de pièces de côté parce que nous butions sur la fin. En ce qui concerne Cocteau, je lui donnais beaucoup de choses à lire, surtout à mes débuts. Il était généreux : il me recommandait aux acteurs, auxquels j’apportais mes manuscrits, et aux directeurs de théâtre. Il aidait beaucoup les jeunes : je n’étais pas un favori, je faisais partie de ceux qui venaient sonner à sa porte et qu’il recevait.

10Vous arrivait-il d’assister aux répétitions de vos pièces ? Participiez-vous à la mise en scène ?

11Nous travaillions souvent avec les mêmes metteurs en scène, en qui nous avions une entière confiance. Il y eut Jacques Charon, jusqu’à sa mort, puis Pierre Mondy. A partir du moment où les comédiens n’avaient plus le texte en main, nous assistions souvent aux répétitions. Nous donnions beaucoup notre avis mais toujours au metteur en scène uniquement : nous respections son travail et nous ne cherchions pas à empiéter sur sa mise en scène. Au contraire : nous étions tout à fait disposés à couper dans nos textes si nécessaire, alors que souvent les auteurs de théâtre rechignent à faire des coupes. L’un des secrets – et l’une des difficultés – du théâtre, c’est d’aller droit au but, de continuer : on ne peut pas faire de parenthèses, sortir du sujet, alors que la littérature nous le permet voire nous y encourage. Au théâtre, pour des raisons de dynamisme – et aussi parce que les acteurs se relâchent vite – ce n’est pas possible. La pièce doit avoir un bon rythme.

12Certains auteurs disent écrire pour un certain type de lecteurs ou de public. Aviez-vous un spectateur idéal ?

13Idéal, non. Mais nous savions que nous avions un spectateur plutôt bourgeois, ayant entre 30 et 40 ans, lecteur du Figaro. Jean-Jacques Gauthier, critique du Figaro, régnait à l’époque sur la critique théâtrale ; il faisait la pluie et le beau temps. Nous allions attendre à minuit la sortie du Figaro pour connaître le sort de notre pièce.

14Vous avez beaucoup travaillé avec Jacqueline Maillan et avec Sophie Desmarets, deux des plus grandes comédiennes de la seconde moitié du XXe siècle. Pouvez-vous nous parler de leurs manières respectives de travailler ?

15Toutes deux nous ont inspiré beaucoup de nos personnages. Sophie Desmarets, par exemple, nous a inspiré le personnage de Stéphane dans Fleur de Cactus : elle savait dire aux gens leurs vérités. Sophie Desmarets avait peur d’avoir des trous de mémoire sur scène : elle demandait toujours à ce qu’on ne lui donne pas trop de texte. Un soir, au lendemain des vacances de noël, elle jouait Peau de vache avec Daniel Ceccaldi qui, après la représentation, devait prendre un train de nuit. Il avait peur de manquer son train. Sophie Desmarets lui a demandé : « A quelle heure il est ton train ? Minuit moins le quart ? Compte sur moi, tu l’auras. » Elle a boulé son texte... (Il rit.) Jacqueline Maillan, elle, c’était tout le contraire : elle très anxieuse, hantée par la peur de ne pas travailler, qu’il n’y ait pas de rôle pour elle. Elle était insatiable. Lorsque nous lui avons proposé Folle Amanda, elle était très enthousiaste à l’idée de sortir de son répertoire comique habituel, mais finalement elle a eu peur de verser dans l’émotion : quand le public est ému il se tait, or elle aimait entendre des rires, des réactions. Un jour où, Grédy et moi, nous allions assister à une des représentations, elle nous a beaucoup surpris. Au moment où elle était censée s’empoisonner, alors qu’elle devait verser les barbituriques, Jacqueline a vidé un tube d’Alka Seltzer. Le verre s’est mis à bouillonner, elle faisait des grimaces, ça la chatouillait, elle commençait à se gratter le nez... ça a duré un moment. Le public était hilare. Après la pièce elle nous a dit « ça y est je la tiens la scène du suicide ! ». (Il rit.) À la fin de la pièce le personnage d’Amanda reporte sa joie de vivre sur une petite jeune fille désespérée et lui redonne le goût de vivre. Grédy et moi trouvions que cela suffisait, mais Jacqueline non : elle avait choisi de faire revenir son amant à la fin. Je ne voyais pas en quoi c’était une fin heureuse (le type est un salaud). Jacqueline pensait que les spectateurs rentreraient chez eux plus contents, que ça réunissait les couples.

16Jacqueline Maillan, Sophie Desmarets, mais aussi Jean Poiret, Pierre Mondy, Michel Roux... De grands comédiens et metteurs en scène ont participé à la création de vos pièces. Mais avec quelle personnalité du théâtre regrettez-vous de ne pas avoir pu travailler ?

17Elvire Popesco. Elle était absolument géniale. J’ai failli travailler avec elle mais ça n’a finalement pas pu se faire. Gaby Morlay aussi : elle passait de l’émotion au rire avec une facilité inouïe. Elle a surtout fait du cinéma mais elle jouait au théâtre aussi. On la voit beaucoup dans les films de Guitry. Sinon, nous avons été assez gâtés avec les comédiens.

18Y a-t-il des thématiques qui vous tiennent à cœur, que vous prenez plaisir à aborder dans vos pièces ?

19J’aime bien remonter au point de départ. Très souvent les vies des gens qu’on connaît le mieux sont mystérieuses. C’est intéressant de savoir d’où vient une personne, de connaître l’élément déclencheur d’une carrière. Moi, par exemple, je ne sais pas du tout pourquoi le théâtre a toujours été mon premier amour. J’ai toujours voulu savoir.

20Vos personnages féminins sont hauts en couleurs, ils sont libres et assument des choix parfois difficiles à prendre pour une femme dans la seconde partie du XXe siècle. Dans Potiche, Suzanne est agacée lorsqu’on lui demande dans son discours de dire « Je ne suis qu’une femme » et elle remplace cette affirmation par « Oui, je suis une femme. » Est-ce que ce choix en matière de personnages féminins relève davantage d’un engagement artistique ou politique ?

21Grédy et moi sommes très féministes. Nous aimions aussi créer des personnages féminins nouveaux. Par exemple, Stéphane dans Fleur de cactus : à l’époque il n’y avait que les personnages de vieilles femmes ridicules, et tout est parti de là. Stéphane, elle, n’est pas ridicule, elle est digne et courageuse, elle peut être émouvante.

22Elsa Triolet a dit du Don d’Adèle que c’était un « manifeste contre la bourgeoisie ». Nombreuses sont vos pièces dans lesquelles la bourgeoisie ou les grands patrons sont tournés en ridicule (Peau de vache, Potiche...). Avez-vous cherché à inscrire une dimension politique affirmée dans vos pièces ?

23Nous n’avons pas cherché à politiser le contenu de nos pièces mais c’est toujours amusant d’évoquer les Durand-Bénéchol, car on en connaît tous dans la vie et on s’étonne de rencontrer ce genre de personnages. Nous avons plutôt voulu nous amuser de ces personnes hautes en couleur. Nos pièces portent néanmoins un réel engagement. Quarante carats par exemple : quand nous proposions la pièce, les actrices n’en voulaient pas. Nous sortions du très grand succès de Fleur de cactus, mais les actrices trouvaient la situation du décalage d’âge (une femme de 40 ans qui épouse un homme de 20 ans) ridicule. La grand-mère est comme une enfant, l’ex-mari est irresponsable, le seul homme solide est le garçon de 20 ans. C’est une pièce engagée.

24Pour parler de votre travail avec Jean-Pierre Grédy, vous préférez le mot « divertissement » au mot boulevard ». Pourquoi ?

25Pour moi, il n’y a pas de bon théâtre sans caractères – avec Jean-Pierre Grédy nous sommes partis de caractères avant de partir d’anecdotes. Le théâtre comique remonte à Plaute et à Aristophane : ce théâtre est une manière de se moquer de nos semblables, de dénoncer leurs défauts, de les caricaturer un peu, de les appeler à se moquer d’eux-mêmes plutôt qu’à pleurer sur eux-mêmes. Le bon théâtre doit dresser – de manière légère ou grave – le portrait de l’être humain. La télévision a abaissé le niveau : il n’y a plus d’auteurs de pièces gaies comme André Roussin, très grand auteur qui n’est pratiquement plus joué, Marcel Achard, dont les comédies étaient des merveilles – Jean de la lune est une pièce géniale – ou encore Sacha Guitry, qui écrivait des pièces de caractère – l’anecdote est mince chez Guitry. Anouilh est un très grand auteur et on ne le joue jamais... Toutes ces pièces étaient belles, vraies, dans la lignée de celles de Molière, solides. Les auteurs contemporains ne peuvent pas suivre, non par faute de talent mais par négligence et paresse. La facilité apportée par la télévision, où l’on peut voir tout et n’importe quoi, s’en ressent sur le théâtre comique. Sortons Roussin. Sortons Anouilh. J’ai l’impression qu’il y a eu un grand vent politique : Brecht a mis un coup de balai absolu. Brecht, c’est très bien, mais ce n’était pas le seul modèle. Shakespeare a toujours existé, il n’a pas empêché le succès de Molière. Dans quantité de théâtres nationaux, la direction refuse systématiquement les pièces de divertissement. Je suis étonné de voir que Fleur de cactus, qui n’a pourtant pas de soucis pour se faire programmer, est refusé dans les théâtres nationaux.

26Vous êtes un fervent défenseur du théâtre de divertissement, mais vous êtes également l’auteur de pièces beaucoup plus sombres, dont notamment vos plus récentes... Pourriez-vous nous parler brièvement de vos deux dernières pièces, La Réponse (2013) et L’Ombre de Stella (2015) ?

27La Réponse est une pièce à deux personnages, dramatique. Chacun de ces deux personnages veut obtenir quelque chose de l’autre sans l’exprimer. Il n’y a pas une grande action psychologique, c’est l’un des avantages du dialogue. L’Ombre de Stella est un seul en scène pour personnage féminin, mais qui sera créé par un homme. Le personnage est un peu cocasse, la pièce évoque les vedettes de cinéma, les actrices pendant toute la période de l’occupation. C’est raconté par une femme de chambre, dans l’adoration et dans la haine. La pièce couvre toute cette période très trouble. J’ai mélangé les actrices qui ont été célèbres durant l’occupation. C’est du théâtre, mais ça évoque aussi beaucoup de souvenirs. C’est un récit assez cruel finalement, qui règle un peu des comptes concernant les injustices de l’occupation.

28Avez-vous des projets en préparation ?

29Je n’ai pas de projet d’écriture, mais je vais probablement me joindre au projet d’Arthur Dreyfus, qui prépare un film sur Charles Trénet. Je l’admire beaucoup et c’est une véritable chance à mon âge qu’un jeune auteur fasse appel à moi. Il a un sujet de pièce aussi, je me laisserai sûrement entraîner par lui...

Notes de bas de page numériques

1 La pièce ne fut pas éditée mais fut interprétée à la Radiodiffusion française en 1945.

2 Barillet est également l’auteur de deux autobiographies, d’un témoignage biographique et un essai sur le théâtre.

3 La pièce fut créée par Pierre Valde au Théâtre de Poche en 1947 mais jamais publiée.

4 Il s’agit d’une adaptation théâtrale des textes de Gustave Flaubert et Louise Collet.

Pour citer cet article

Claire Poirson, « « Il n’y a pas de bon théâtre sans caractères ». Rencontre avec Pierre Barillet », paru dans Loxias, 57., mis en ligne le 16 juillet 2017, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=8710.


Auteurs

Claire Poirson