Loxias | 52. (Re)lectures écocritiques : l’histoire littéraire européenne à l’épreuve de la question environnementale | I. (Re)lectures écocritiques : l’histoire littéraire européenne à l’épreuve de la question environnementale 

Justine de Reyniès  : 

La poétique aristotélicienne à l’épreuve de l’épopée de la nature : réflexions sur le poème descriptif

Résumé

Est-il possible d’ériger la nature en héroïne d’un récit sans nier son identité propre, par quoi elle se définit comme l’Autre de l’homme ? Telle est la question que soulève, du point de vue écocritique, le projet d’« épopée de la nature » qui voit le jour dans la France de la fin du XVIIIe siècle. S’il illustre les apories inhérentes à l’idée d’une épopée cosmique qui évince les figures de Dieu et de l’Homme comme actant principal, le poème emblématique des Mois de Roucher montre comment l’inscription de l’épique dans le poème de la nature contribue à bousculer la hiérarchie des genres et l’idéologie qui la sous-tend, évolution qui entre en résonance avec un ensemble de thèmes témoignant d’une conscience de l’insertion de l’homme dans son environnement naturel. Cependant, la relation à la nature est placée sous le signe d’une hésitation fondamentale : si le recours au mythe et à la figure permet au lecteur de renouer avec une mentalité archaïque qui pense la vocation de l’homme à habiter son séjour terrestre, cette tendance est contrariée par les notes en prose adjointes au poème, qui restaurent la scission établie par la science moderne entre l’objet et le sujet.

Abstract

Can we conceive of a narrative that makes nature its hero without, at the same time, denying its own identity, which is to be the Other of human? Such is the question raised by the project of « épopée de la nature » that emerged at the end of the 18th century in France. While the poem Les Mois by Roucher exemplifies the difficulties inherent in the idea of a cosmic epos in the philosophical era, its epic inspiration and tone result in challenging literary canons and their underlying ideologies, an evolution that converges with a range of themes revealing an awareness of the dependence of human being towards his environment. However, the poet’s vision of man’s relation to nature is ambiguous : whereas references to ancient mythology and the use of figurative language encourage the reader to reconnect with primitive ways of thinking that reflect upon man’s vocation to inhabit his terrestrial dwelling, this trend is counterbalanced by the notes to the poem, which restore the alienation of human being from nature caused by the development of modern science.

Index

Mots-clés : écocritique , épopée, poésie descriptive, poésie scientifique, Roucher (Jean-Antoine)

Keywords : descriptive poetry , ecocriticism, epic poem, Roucher (Jean-Antoine), scientific poetry

Plan

Texte intégral

1Soulignant dans un article publié en 1998 les défis que le roman, par ses caractéristiques structurelles, semble poser à une approche écocritique, Dominic Head observait qu’il est par nature orienté vers l’histoire individuelle ou sociale et qu’en raison de ce tropisme il tombait a priori hors du domaine littéraire que les green studies avaient jusque-là désigné comme leur champ d’investigation. Se fondant sur l’exemple du roman de Graham Swift, Waterland (1983), il tentait alors d’envisager les modalités selon lesquelles le roman en tant que tel – autrement dit, non pas en dépit de, mais compte tenu de ses propriétés distinctives – pouvait se faire l’expression des préoccupations portées par ce courant critique. Depuis la parution de cet article, l’émergence d’une production fictionnelle à thématique écologique, nouveau continent littéraire dont la critique a entamé l’arpentage, a démontré la fécondité de telles analyses. Si la réflexion de Head se situe historiquement au seuil de cette extension de la pratique romanesque, qu’elle a pour ainsi dire anticipé sur le plan théorique, c’est à partir d’une situation encore antérieure que nous souhaiterions envisager la question de la possibilité d’un récit centré sur le non-humain, en nous intéressant à un chapitre de l’histoire littéraire marqué par l’émergence et le déclin, à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, du projet d’« épopée de la nature ». Ce dernier incarne en effet une forme radicale de renoncement à la notion de personnage, conçu comme sujet et comme acteur d’un drame humain, à travers l’idée d’une composition poétique dans laquelle la nature intervient non pas comme cadre de l’action ni même comme agent secondaire, mais en tant qu’agent principal.

2Considérant l’échec des tentatives auxquelles il aurait donné lieu, la critique récente a souligné le caractère utopique d’un tel programme : l’expression « épopée de la nature » apparaît en réalité d’une pertinence limitée pour des œuvres qui, à l’évidence, relèvent du genre didactique ou descriptif. Or il vaut la peine de revenir sur les raisons mêmes d’un tel échec, en s’interrogeant sur les critères et les principes à partir desquels en est dressé le constat. En nous appuyant sur l’un des exemples les plus emblématiques de l’aspiration à une épopée de la nature, le poème Les Mois de Roucher (1779)1, nous tenterons de mettre en évidence l’intérêt de ce projet du point de vue de l’histoire littéraire et de l’histoire des idées, en montrant comment il travaille l’écriture poétique, contribuant à brouiller les frontières entre les genres et à bousculer leur hiérarchie, et dans quelle mesure il laisse affleurer les tensions qui traversent la représentation de la nature au tournant du siècle.

Vers une épopée d’un nouveau genre ?

3Le projet d’une épopée ayant la nature pour seule héroïne émerge à partir du milieu du XVIIIe siècle dans le contexte de la crise de la poésie amorcée dans la première moitié du siècle : il cristallise pour un temps l’espoir d’un renouveau du lyrisme français. L’expression ne désigne ni un genre poétique reconnu, un concept poétique et esthétique opératoire déterminant un horizon d’attente du lecteur, ni un groupe cohérent et clairement définissable de productions littéraires, mais une catégorie à valeur descriptive forgée a posteriori par la critique littéraire qui s’est penchée sur l’essor du genre dit descriptif, cette forme très particulière de poésie scientifique émanant de l’esprit philosophique et du sensualisme des Lumières. Elle fait son apparition sous la plume d’Édouard Guitton, qui désigne par là un sous-ensemble de ce genre, illustré par des textes dont les amples dimensions traduisent une ambition totalisante2 : dans cette acception restreinte, elle définirait un phénomène marginal, limité à deux œuvres toutes deux parues en 1779, Les Fastes de Lemierre et Les Mois de Roucher, poème de 12 000 vers assorti d’un imposant appareil de notes. Mais la locution est aussi employée par l’auteur dans un sens plus vaste, coextensif de la poésie descriptive dans son ensemble. Dans la mesure où le critique reconnaît dans cette dernière un genre original, qui s’éloigne de l’épopée « traditionnelle » par l’absence de « chaîne narrative » sans pour autant adopter la « chaîne gnomique » constitutive de la poésie didactique, la signification d’« épopée de la nature » ne saurait être chez lui celle d’une catégorisation générique rigoureuse3 ; l’expression revêt dès lors une valeur plus ou moins figurée, flottement qui reflèterait l’écart entre un idéal et la réalité des œuvres qui tentent d’y atteindre. C’est encore dans ce sens large que l’expression est utilisée par Jean-Louis Haquette, qui nomme par-là une forme, plus virtuelle que réelle, d’épopée moderne qui se donnerait pour but de « chant[er] la sublime beauté de son spectacle ou la grandeur de sa conquête scientifique » et, faudrait-il ajouter, de sa maîtrise par la technique4. Ce dernier montre du reste la pertinence historique de l’expression en mettant en évidence, dans les écrits de l’époque, l’apparition d’une notion correspondante ; elle se manifeste dans l’espoir d’une renaissance du genre noble en poésie que fait naître la conviction que le renouvellement de la création poétique réside dans son ouverture sur l’horizon illimité de la science moderne.

4L’emploi de cette expression ne rend pas seulement compte d’un vœu formulé vers la fin du siècle, il se justifie aussi par la perception invétérée de la parenté entre la poésie épique et poésie didactique. Elle incarne ainsi une possibilité esquissée depuis les poétiques de la Renaissance à travers la réflexion sur les points communs entre ces héritages et leur potentiel recoupement. D’un côté, l’idée de la vocation encyclopédique de l’épopée, « compendium de la création et des acquisitions de l’esprit humain tout ensemble5 », que les poétiques italiennes de la Renaissance ont puisée dans les écrits de l’Antiquité, s’impose jusqu’à l’époque romantique comme une conséquence naturelle de la position éminente qu’elle occupe dans la hiérarchie des genres et que lui valent à la fois l’élévation de son sujet et l’ampleur de la matière embrassée. Elle est exprimée par exemple par Jean Peletier, aux yeux de qui le genre épique, « le plus élevé et le plus complet » de tous, représenterait « la somme de tous les genres, pouvant accueillir tout le savoir d’une époque6 ». Réciproquement, les traducteurs et commentateurs du De Natura rerum n’ont pas manqué d’y trouver des équivalents, dans le domaine physique, aux qualités morales fondant l’exemplarité du héros épique, à laquelle le caractère admirable du cosmos dépeint par Lucrèce se trouvait par là digne d’être comparé. Ainsi de Michel de Marolles, qui observait en 1659 qu’au regard de sa grandeur, sa sagesse et de son esprit « aventureux », « La Nature qui est le sujet du poème de Lucrèce, est un assez grand héros pour lui mériter le nom de poème héroïque7 ». Le lien entre la formule descriptive et le poème héroïque s’établit également au niveau des expérimentations littéraires qui constituent un maillon intermédiaire entre les paradigmes épique et didactique, et qui participeraient, selon Édouard Guitton, à la genèse du genre descriptif. L’avènement de ce dernier a été préparé dans la première moitié du siècle par l’essor de l’épopée théologique, représentée entre autres par La Religion (1742) de Louis Racine et La Grandeur de Dieu dans les merveilles de la nature (1749) de Paul-Alexandre Dulard, poème aux proportions monumentales qui rencontra un vif succès. Certes, ces œuvres, qui retracent les étapes d’un itinéraire spirituel ou les moments de la Genèse, n’ont pas la nature, mais Dieu et les hommes pour principaux protagonistes. Cependant, eu égard à l’inspiration physico-théologique, qui substitue le livre de la nature à la Révélation, la Création s’y voit accorder un rôle médiateur, comme témoin de la bonté et de la sagesse divine auprès des hommes, et l’attention qui lui ainsi est portée contribue à définir un « sublime d’essence naturelle et descriptive8 ». Mais c’est surtout dans le mouvement de refondation de l’épopée qui s’accomplit vers 1755 que doivent être cherchées les origines du poème descriptif : celle-ci s’éloigne alors, avec Antoine Léonard Thomas, de ses variantes nationale ou guerrière et élargit son horizon historique et géographique pour célébrer la conquête du monde par l’homme9.

5En quoi réside la spécificité de l’« épopée de la nature » par rapport à ces antécédents ? La dénomination elle-même la rapporte à la nouveauté d’une matière : de la composition épique au sens traditionnel, les poèmes de cette espèce retiennent les vastes proportions et le style élevé ; ils s’en écartent par le choix d’un sujet, qui fait passer au premier plan un élément qui constituait traditionnellement la toile de fond de l’histoire. Or si l’élévation de la pensée et de l’expression se découvrent une ressource illimitée dans le sublime de la nature, dans le même temps, comme le fait remarquer Jean-Louis Haquette, ce fonds nouveau prive le poème d’une action, autrement dit de ce qui fait l’âme même de l’épopée. Les réserves formulées par le critique quant à la pertinence de l’expression « épopée de la nature » concerne donc la valeur classifiante de cette appellation. Il faudrait en effet y reconnaître une désignation impropre puisque le type de composition qu’elle nomme ne peut revendiquer l’appartenance au genre épique qu’au prix d’une trahison. L’absence d’une diégèse invite à y voir, plutôt qu’une nouvelle orientation de l’épopée, un dévoiement de celle-ci. L’affiliation épique de la poésie descriptive procéderait d’une « confusion » et l’étiquette « épopée de la nature » serait une contradiction dans les termes10. L’impossibilité d’une épopée de la nature à proprement parler peut être posée déductivement, au moyen de deux syllogismes. Le premier est qu’une action (le muthos de la poétique aristotélicienne) ne peut être conduite par une entité abstraite telle que la nature (« comment faire de la Nature le personnage principal de l’action épique11 » ?) : par conséquent, un poème qui en ferait son sujet principal ne peut être narratif. Cette conclusion constitue à son tour la prémisse d’un second raisonnement : l’épopée de la nature « ne peut que pencher du côté du poème didactique, selon le modèle virgilien des Georgiques, ou bien du poème descriptif, suivant le genre inventé par Thomson en Angleterre », or « les Georgiques revendiquent le style moyen et non le ton épique, et le genre descriptif ne vise que par moments au sublime, il se caractérise par le mélange des tons, de l’héroïque au pastoral12. » Il s’ensuit que le style héroïque ne peut être maintenu sur toute sa longueur. Après avoir souligné l’aporie inhérente au rêve d’une épopée de la nature, Jean-Louis Haquette s’attache à en fournir les preuves empiriques. Illustrée à partir de projets de poèmes, que sont l’Hermès et l’Amérique de Chénier, l’Arcadie de Bernardin de Saint Pierre et l’épopée des Natchez de Chateaubriand, l’inconsistance de ce rêve apparaît à la lumière de l’inachèvement des œuvres et des déviations (vers le pastoral, le romanesque, ou vers une histoire de la civilisation) qu’y subit l’idée initiale. L’objectif réellement visé à travers le « mirage » d’une réinvention de l’épopée, serait finalement celui d’une promotion inédite de la poésie scientifique, genre à la légitimité problématique13 : « ce dont rêve le siècle des Lumières finissant, c’est en fait d’élever le poème didactique à la hauteur sublime de l’épopée14. » Cette analyse jette un éclairage critique sur les observations de Michel de Marolles concernant le De Natura rerum. L’idée selon laquelle une composition diégétique ne peut avoir la nature pour personnage principal (du moins tant que celle-ci conserve son identité propre) invite en effet à récuser toute valeur littérale au propos qui érige la Nature en « héroïne » du poème. Sous ce terme, le traducteur de Lucrèce entendrait en réalité le thème du discours poétique ; et ce n’est donc pas à une définition, mais à une opération de qualification qu’il se livrerait, à travers une métaphore visant à souligner le statut éminent du sujet de l’œuvre lucrétienne.

6Dans le caractère d’autorité attaché à l’axiome qui conduit à disqualifier l’idée d’une geste cosmique se manifeste la permanence d’un horizon de pensée, celui de la poétique aristotélicienne qui définit les frontières du possible en matière de mimèsis en identifiant cette dernière à l’imitation d’une action (praxis). Comme l’a montré Paul Ricoeur, la « mise en intrigue », formule par laquelle il propose de traduire le muthos aristotélicien, est fondamentalement liée au caractère temporel de l’expérience humaine : « le temps devient temps humain dans la mesure où il est articulé de manière narrative15 ». L’« action » en tant que produit de cette opération de configuration, s’enracine dans une « précompréhension du monde de l’action », de son « réseau conceptuel » (tissé par les notions de but, de motif, d’agent, de circonstances, d’interaction et d’issue), de ses « ressources symboliques » et de son caractère temporel, qui l’opposent au mouvement physique, au processus organique ou au comportement animal. Alors que ces derniers répondent à un principe de nécessité, la praxis se déploie dans la sphère éthique qui est fondamentalement celle de la liberté. En outre, contrairement aux phénomènes naturels, la temporalité de l’agir ou du subir est perçue comme essentiellement évolutive : la linéarité du récit restitue une spécificité de l’expérience temporelle de l’homme, de son être au temps. Ainsi, selon les termes aristotéliciens, une histoire ayant la nature pour personnage principal serait irreprésentable, parce que la causalité physique, qui articule les causes et les effets selon des enchaînements nécessaires obéissant aux lois naturelles, s’oppose à la notion de praxis ; et que, bien que la Terre soit au fond elle-même soumise au devenir et engagée dans une chronologie irréversible – historicité dont la prise en compte constitue une avancée majeure de l’histoire naturelle des Lumières finissantes – néanmoins, à la mesure du temps humain et telle qu’elle s’offre à l’expérience individuelle, sa temporalité apparaît comme cyclique.

7Il ressort de ces analyses que l’extension du domaine d’application du récit à la sphère du non-humain ne peut être envisagée autrement que par le recours à l’anthropomorphisme, qui anime et individualise les êtres physiques par analogie avec les êtres humains. Cette résorption de l’altérité des choses au moyen de l’assimilation à soi est au cœur du mythe cosmogonique ou de la Fable. On peut formuler l’hypothèse que c’est encore de ce côté, quoique de façon plus subtile, que la fiction contemporaine d’inspiration environnementale explore des modalités nouvelles du narratif dans lesquelles le milieu biophysique, loin de se limiter à une toile de fond du drame, se voit accorder un statut actanciel comparable à celui des agents humains, ou, pour reprendre les termes de Lawrence Buell, témoigne d’« une présence qui laisse penser que l’histoire humaine est impliquée dans l’histoire naturelle16 ». Les recherches d’Eileen Crist, qui s’est intéressée à la place de l’anthropomorphisme dans les écrits des zoologues et des éthologues, vérifient les analyses de Ricoeur, dans la mesure où elles montrent que les formes narratives de restitution verbale des comportements observés, par le maintien de « l’intégrité séquentielle des actions » et du « caractère unifié de l’acte » (cohésion de l’épisode), par l’attention prêtée au caractère idiosyncrasique de l’événement singulier et unique, qui met en lumière sa « dimension subjective », génère l’image d’un monde animal gouverné par l’activité et le sens, sur le modèle du nôtre17 : à la différence d’une compréhension fondée sur des démarches relevant de la rationalité scientifique (comme la typification taxinomique ou le calcul statistique), l’intelligibilité ainsi produite fait surgir un monde familier parce qu’elle s’enracine dans ce que Paul Ricoeur nomme l’« intelligence narrative ».

Le thaumaston dans le poème de l’ère philosophique : sublime et merveille naturelle

8De toute évidence, Les Mois de Roucher n’ont pas leur place dans ce domaine élargi des possibilités narratives qui résulterait d’un déplacement des frontières assignées par Aristote à la mimèsis. Suivant l’exemple de Thomson et de Saint Lambert, Roucher renonce au principe de construction logique ou allégorique adopté par les tenants de l’épopée théologique pour ordonner son poème autour des cycles de la nature. Le point de vue purement mondain adopté par l’auteur, joint au niveau de généralité maximal auquel se situe le thème de son discours, exclue la transformation de ce dernier en personnage par le biais de l’allégorie. L’ambition totalisante d’un poème-somme qui entend embrasser « tout l’ouvrage des Dieux18 » s’oppose à l’assimilation du monde du non-humain au monde humain qui nous est apparue comme une condition de l’extension du champ de la représentation narrative. La dynamique du muthos suppose en effet la présence de forces ou d’intérêts entrant en conflit les uns avec les autres. Or, dans la perspective sensualiste adoptée par le poète, le système cosmique, envisagé dans sa pure immanence, constitue une totalité dépourvue d’extériorité, au sein de laquelle toutes les tensions et tous les antagonismes s’annulent : à cette échelle globale où se situe le propos général, aucune place n’est laissée pour le déploiement d’un drame. Dès lors, le poème ne peut intégrer le récit qu’à l’état de fragment, sous la forme d’épisodes dispersés à l’intérieur de ses parties.

9Sans nier l’impasse à laquelle aboutit l’ambition d’une « épopée » naturaliste d’envergure universelle, on peut toutefois se demander par quels moyens Roucher tente d’en relever le défi. Il s’agit alors d’étudier l’inscription du modèle épique dans son poème indépendamment de la question de son appartenance générique : l’accent se déplace alors de l’épopée vers l’épique. Dans cette perspective, on parlera plus volontiers, concernant l’affiliation du poème descriptif au récit héroïque, d’une tentation que d’un « mirage ». Elle est particulièrement sensible dans Les Mois, qui réfléchit la référence au paradigme épique dans le cadre du discours méta-poétique développé par les notes. Le lien au modèle héroïque s’y articule autour de la surprise, ce thaumaston qui constitue selon Aristote la fin la poésie en général, mais plus particulièrement de l’épopée, seul genre dans lequel soit admis l’irrationnel (alogon), moyen le plus propre à produire l’étonnement du public. Roucher expose le rêve, partagé avec ses contemporains, d’un renouvellement de l’épopée reposant sur la double substitution du sublime de la nature au merveilleux de la Fable, et des conquêtes de la science aux exploits des guerriers. Ce renouveau apparaît simultanément comme un retour aux origines de l’épopée – puisque les ouvrages d’Homère, « dépôt de toutes les connaissances réunies de son siècle19 », en aurait indiqué le chemin – et une voie d’avenir pour la poésie, comme le suggère le succès rencontré par le monumental poème de Dulard. Mobilisée à des fins pédagogiques, elle serait à même de rendre, et son audience, et sa fonction civique à la poésie. Les jeunes lecteurs pourraient en effet tirer grand profit de la lecture de tels poèmes,

qui quoique d’un ton plus élevé, ne seraient point au-dessus de leur intelligence, parce qu’ils les entretiendraient d’objets qui sont sans cesse sous leurs yeux. On meuble ainsi leurs têtes non de mots, comme on l’a pratiqué jusqu’à ce jour, mais de faits qui sont la seule science véritable. De pareils ouvrages nous accoutumeraient encore insensiblement à concevoir des idées plus justes de la gloire. Ce ne serait plus les conquérants, ces destructeurs barbares du bonheur des nations, qui seraient célébrés. Les premiers noms que nous apprendrions à prononcer, seraient ceux des bienfaiteurs de l’humanité, des inventeurs des choses utiles ; et ces premières impressions feraient germer sans doute un jour, dans le plus grand nombre, le désir de mériter une gloire aussi pure20.

10La renaissance du genre sérieux passerait par l’ouverture de la poésie sur le monde de la science, autrement dit son adaptation aux valeurs nouvelles du temps, à la propagation desquelles elle doit prendre part : c’est en formant les esprits à la philosophie et en participant au projet des Lumières, que, renouant avec des formes élevées de diction, elle serait à même d’affirmer son utilité et sa dignité et de retrouver une place éminente au sein de la cité. Portée par une foi messianique dans les progrès de la connaissance, dont le processus cumulatif doit un jour aboutir à une levée définitive et totale de tous les mystères relatifs au « système général de l’univers », celle-ci se donne pour but de célébrer ces « héros de la modernité » que sont les savants21. Cette glorification des hommes de science se situe dans la continuité d’une rhétorique du grossissement épique devenue courante dans les écrits des naturalistes et les registre des académies : tandis que le vocabulaire de la merveille investit les comptes rendus d’expérience ou d’observation, Fontenelle inaugure ce qui deviendra un topos de l’histoire naturelle, à savoir la faculté exceptionnelle du philosophe d’ouvrir au lecteur « les portes d’un monde nouveau », rôle mis en évidence par la forme de l’anecdote qui dramatise la découverte scientifique22. Dans les Mois, le « poète observateur23 » fait sienne la quête du savant à travers des images-visions qui le montrent accédant à une vue panoramique depuis une position surplombante ou à la faveur d’un déplacement sidéral, figures de l’élan sublime de l’esprit cherchant à embrasser les régions terrestres et célestes de l’univers24.

11La célébration de Newton ne va pas sans celle de la magnificence des spectacles terrestres et célestes. On sait en effet que l’irruption dans la culture européenne du sublime naturel sous les espèces du vaste, de l’élevé ou du démiurgique25 est liée au tournant épistémologique de la révélation de l’infini physique : il donne une image sensible de l’univers copernicien. La grandeur et la force illimitée de l’univers, et la puissance proportionnelle du génie humain qui en pénètre les ressorts invisibles et en parcourt l’étendue depuis le gigantesque jusqu’à l’infinitésimal, constitue un réservoir inépuisable d’images impressionnantes, et c’est à cette source que le poème cosmogonique moderne doit puiser son pouvoir d’émerveillement. Ce changement de paradigme, dont nous avons vu qu’il soutenait l’espoir d’un renouveau de l’épopée, est lié à la crise de la Fable qui s’est amorcée dès le tournant du XVIIe et du XVIIIe siècle dans le sillage de la querelle des Anciens et des Modernes, et qui conduit des auteurs comme Perrault, Fontenelle ou Dubos à s’interroger sur la place que doit occuper le mythe dans la poésie moderne. Au terme de ce débat, un consensus semble s’être établi autour d’une approche ethno-historique du fabuleux, qui fait prévaloir le principe d’une exploitation poétique restreinte du mythe païen. Son usage n’est estimé légitime que lorsque l’action du poème se situe à l’époque où il constitue une théologie et correspond à l’univers de croyance des personnages, soit l’Antiquité26. Parallèlement la réflexion se saisit de catégories poétiques ou rhétoriques telles que le merveilleux naturel (sous les espèces du beau ou de l’extraordinaire), le sublime ou les tropes, comme autant de ressources de l’invention poétique susceptibles de prendre la relève de la Fable dans la poésie de l’âge moderne. Dans un opuscule publié en 1751, Fontenelle esquissait les contours d’une poésie d’idées en cherchant les moyens de concilier parole lyrique et philosophie : aux « images fabuleuses », usées, le poète préférera les « images matérielles », qui ne peignent que ce que l’œil voit et les « images spirituelles » ; il pourra également y suppléer par les « images demi-fabuleuses », fruit de cet « art de personnifier » qui consiste à animer les êtres inanimés et à incarner les notions abstraites et « ouvre un champ bien moins borné et plus fertile que l’ancienne mythologie27 ». Ces considérations prennent toute leur actualité dans le contexte de l’essor que connaît la poésie scientifique à la fin du siècle. Réfléchissant aux conditions de son succès dans un traité publié la même année que Les Mois, le poète italien Carlo Castone della Torre di Rezzonico se montre plus radical que Fontenelle dans la restriction formulée à l’égard de l’appel aux procédés générateurs du mythe antique28. Dans la lignée de John Aikin qui rejette l’enchantement au motif que l’effet esthétique d’une description dépend de son exactitude29, Della Torre estime qu’allégories et personnifications éclairent moins l’exposé du poète de la nature qu’elles ne l’obscurcissent, considérant que la représentation sensible d’une idée abstraite ou d’une chose immatérielle trahit l’essence de son objet. La mythologie appelée à remplacer l’ancienne ne peut donc être qu’une « mythologie philosophique » : elle ne saurait puiser ses images et son pouvoir de fascination ailleurs que dans le répertoire du merveilleux naturel.

12Les Mois se font dans une certaine mesure l’écho de cette aspiration à un renouvellement du thaumaston. L’auteur y évoque le défi stylistique auquel le confronte le choix de son sujet et la nécessité d’élaborer un langage apte à restituer les impressions produites par les spectacles cosmiques. Ce sublime du discours caractérisé par la « hardiesse » des figures, les annotations marginales d’un exemplaire de la Jérusalem délivrée attestent que Roucher en a puisé l’inspiration chez Le Tasse30, mais ses modèles avoués sont Lucrèce, chez qui il admire « la grandeur, la force et la hauteur des images31 », Virgile, les Écritures (en particulier le livre d’Isaïe) et les Saisons de James Thomson, œuvre qu’il entreprendra de traduire à partir des années 1780. L’art du poète écossais, nous dit-il, est à son comble dans les pages de l’Automne qui expliquent l’origine des fleuves, passage qui l’a sans doute marqué par la vigueur des figures, mais aussi par sa qualité cinétique, visible dans les métabolismes de la nature, dans le vaste mouvement d’amplificatio soutenant la dynamique du dévoilement par laquelle les arcanes de la Création sont mises à nu par la force de pénétration de l’esprit humain. Suivant son exemple, Roucher s’est proposé, en composant les Mois, d’écrire un « ouvrage consacré à la peinture des révolutions causées par les seules forces de la Nature32 », à l’évocation des puissances créatrices et destructrices qui président au cycle perpétuel des morts et des renaissances du monde. Le thème du déroulement de l’année, comme celui des saisons privilégié par Thomson et ses imitateurs, orientait de fait l’attention du poète vers le caractère muable des aspects de la nature, ou, pour reprendre l’expression de Saint Lambert, « la nature en ses métamorphoses33 ». Il reste que dans ce « poème de l’énergie universelle34 », la portée planétaire que le poète confère à ces changements produit l’effet d’une cosmogonie continuée. Migrations des oiseaux suivant l’axe des longitudes ou des latitudes, fléaux se répandant d’un bout à l’autre du globe, effets universels de l’Amour : l’espace terrestre est quadrillé par ces déplacements ou ces transformations qui en donnent pour ainsi dire la mesure. C’est surtout dans sa dimension démiurgique que la thématique de la nature semble pouvoir offrir au poète un substitut au surnaturel où l’épopée puise son pouvoir d’émerveillement, a fortiori lorsqu’elle est présentée sous les traits du massacre ou de la lutte : ainsi des assauts implacables de la « gelée en fureur35 », auxquels fait pendant la « scène d’horreur » et de dévastation qu’offre le triomphe du fleuve sur les glaces qui retenaient son cours36.

13Le caractère grandiose et spectaculaire de ces tableaux est directement emprunté à l’objet décrit. Tel n’est pas le cas des passages où l’auteur entreprend de magnifier des aspects du monde animal derrière la trivialité apparente desquels un regard exempt du préjugé anthropocentriste sait déceler la grandeur du sublime moral. Fondée sur l’analogie guerrière, l’héroïsation, qui ne verse jamais dans l’héroïcomique, est d’autant plus sérieuse que la particularité du comparant humain, puisé dans les annales de l’Histoire ou dans la fiction épique, élève le comportement animal au degré de singularité de l’événement. Ainsi les habitations construites par les castors sont comparées à la cité de Carthage à l’édification de laquelle les Troyens, conduits par Énée, assistent émerveillés37 ; et le stratagème que l’on a vu déployer par certains loups pour tromper la vigilance du berger, aux ruses de César et Pompée, ou de Condé et Turenne38. La conduite de l’animal, que Roucher se refuse à réduire comme Descartes à un automatisme, se voit ainsi indirectement assimilé à l’action humaine. Dans la description de la poursuite donnée au cerf par une « armée » composée de chasseurs et de leur équipage, le poète retrouve les accents pathétiques que Thomson conféraient à cette scène à travers l’humanisation de la bête traquée39.

14L’héroïsation s’étend aux humbles réalités de la vie rurale. À première vue, l’inspiration épique et l’héritage des Georgiques, dont se réclame l’auteur au seuil du poème, entrent dans une relation d’exclusion réciproque :

Ambitieux rival des Maîtres de la Lyre
Qu’un autre des guerriers échauffe le délire […]
Moi voué jeune encor à de plus nobles veilles,
Moi, qui de la nature observait les merveilles
J’aime mieux du Soleil chanter les douze enfants […]40.

15Mais la mise en évidence de cette opposition, insistante, est en elle-même révélatrice de l’imprégnation du modèle épique : ce que le discours présente comme une alternative correspond, dans la pratique d’écriture, à une opération de transfert, par laquelle l’élévation et la dignité attachées au héros épique sont revendiquées pour l’homme champêtre.

16Cet anoblissement du paysan revêt un enjeu politique et social : il participe d’un idéal de retour aux champs partagé par les élites de l’époque, notamment dans les cercles où circulent les thèses physiocratiques (dont Roucher, protégé de Turgot, était adepte), idéal qui va de pair avec « la revalorisation de la vie agricole face aux valeurs guerrières » traditionnellement défendues par la caste vouée à la carrière des armes41. Nous ne reviendrons pas sur les multiples passages, étudiés par Jean-Louis Haquette, qui plaident en faveur de cette « conversion champêtre », depuis l’éloge des rois-laboureurs jusqu’à la déclinaison sur le mode rustique de l’épisode virgilien de Lacoon et ses fils, et qui sous-tendent une inversion de la hiérarchie des valeurs nobiliaires. Qu’il nous suffise de souligner que la portée du projet d’épopée de la nature excède avec Roucher le champ des préoccupations littéraires : tout comme la peinture des spectacles imposants du monde, la glorification de l’homme de la nature recouvre des enjeux plus vastes que la renaissance d’un genre moribond. Au-delà de ses implications politique et sociale, la glorification de la vie des champs est liée à un ensemble de thèses que l’on qualifierait aujourd’hui d’écologiques (défense des espèces menacées, dénonciation des traitements cruels envers les animaux, plaidoyer en faveur d’une exploitation régulée des ressources forestières et de la préservation du patrimoine paysage, etc.) : appelant le lecteur à sortir de lui-même pour entrer en contact, sur un mode contemplatif ou industrieux, avec son environnement naturel, elle constitue une conscience poétique du radical décentrement induit par la pensée scientifique moderne42.

Un mythe renouvelé ?

17S’il est vrai que Roucher s’aventure dans la voie d’un merveilleux conforme à l’idée d’une épopée à l’âge de la philosophie, il faut admettre qu’il s’arrête à mi-chemin de cet ambitieux programme. En réalité, le sublime naturel ne fait que s’ajouter au répertoire du mythe sans pour autant le détrôner. Ce recours à la mythologie conduit Catriona Seth à conclure que Roucher, incapable de concilier l’exigence de vérité scientifique et la nécessité poétique du placere, n’aurait pas su trouver la formule par laquelle devait s’accomplir l’événement tant attendu de la résurrection de la grande poésie sous l’égide de la science ; les espoirs suscités par la lecture de quelques fragments de son œuvre dans les salons littéraires furent, rappelons-le, à la mesure de la déception que provoqua l’ouvrage imprimé. Trop faible aurait été la confiance du poète dans les pouvoirs du vers, jugé inapte à transmettre les notions relevant de l’intelligence rationnelle et « pas assez clair en soi » pour se suffire à lui-même43. Le sentiment de l’insuffisance du langage poétique se manifeste dans l’œuvre à travers le partage qu’instaure la division entre le vers et la prose : respectueux dans son poème des conventions poétiques qui imposent l’usage de la Fable, Roucher réserve l’exactitude et la précision de la terminologie scientifique aux notes qui viennent compléter ou expliquer les vers à la fin de chaque chant. C’est donc en « créant un poème à étages » qu’est résolue la tension entre l’exigence esthétique et la visée didactique44. À cet égard, Roucher s’inscrirait dans la lignée d’une longue tradition poétique qui, depuis le XVIIIe siècle, réduit la Fable à un procédé de style et lui assigne une fonction purement ornementale. Du travail de formalisation réalisé par les dictionnaires iconologiques, qui établissent un « système de corrélations fixes […] grâce auquel tout l’étrangeté possible de l’allégorie s’évanouit », résulte un « code fabuleux », dont l’une des fonctions est d’assurer la « transmutation purifiante et glorifiante » de la matière traitée par le poète45. De multiples occurrences, dans lesquelles l’élément divinisé n’est rien de plus que la marque d’un ton élevé, attestent que Roucher se rallie à cette vision, qui converge avec celle que la plupart des contemporains se font de la poésie, comme langage orné, fonctionnellement équivalent à l’éloquence46.

18Cependant, dans Les Mois, l’exploitation littéraire des systèmes fabuleux du paganisme n’exclut pas la connaissance réfléchie du mythe : pour reprendre la distinction établie par Jean Starobinski, le mythe est convoqué au double titre de Fable et de mythologie47. La confrontation des croyances et des coutumes de tous les peuples et de tous les temps, et les longs commentaires dont ils font l’objet dans les observations en prose témoignent d’une approche savante qui empêche de réduire la fonction du mythe à celle d’une enveloppe attrayante. Le poème intègre la conscience d’une distance historique par rapport au mythe qui n’exclut pas la possibilité de l’empathie et de l’identification dès lors que ce dernier engage un mode de réception de type fictionnel. Dans cette perspective, la persistance du mythe peut être interprétée à la lumière d’une note dans laquelle l’auteur attribue l’origine du panthéisme à « l’instinct social » de l’homme : l’effroi causé par la solitude des déserts, l’« horreur du vide » éprouvée face à la nature pousserait l’homme à peupler celle-ci d’êtres spirituels à son image48. La fonction de la religion primitive rejoint ici celle que plusieurs contemporains de Roucher attribuent à la poésie dans les sociétés éclairées. À travers cette remarque, le poète semble souscrire indirectement à la thèse selon laquelle il incomberait au poète de ré-enchanter l’univers, soit que l’habitude nous rendent indifférents aux énigmes qu’il recèle encore pour nous, soit, plus fondamentalement, que les lumières humaines l’aient dépouillé de ses mystères et rendu singulièrement muet : elle compense alors le prosaïsme du monde tel qu’il apparaît sous le regard du philosophe. Comme le suggère Marmontel à propos de la fiction épique ou dramatique, le poète soucieux de présenter à son lecteur « la nature appliquée à former un prodige », agrandit ou extrapole les phénomènes naturels et en dissimule les causes supposées connues : opération symétrique et inverse de la réduction opérée par la critique des religions, grâce à laquelle le phénomène « reprendrait, même à nos yeux, le caractère effrayant du prodige » et nous ferait retrouver le sentiment d’horreur sacrée que l’ignorance faisait éprouver à nos ancêtres49.

19Le parallèle systématique entre des mythes d’époques et d’origines diverses trouve son fondement dans la conviction qu’ils sont le dépôt d’un savoir transmis et conservé sous le voile de l’allégorie. La comparaison des calendriers des peuples de l’Antiquité montre par exemple que la plupart des fêtes « n’étaient qu’une représentation allégorique de la marche du soleil dans le zodiaque, et de ses diverses influences sur la Terre »50 ; ainsi les célébrations du solstice d’hiver, répandues dans les monde entier, figurent la renaissance du Soleil et, avec lui, du monde. De la même manière, les traditions orales portent la mémoire des époques de la nature, à travers les théogonies qui symbolisent les « grands désastres » ayant présidé à la formation du globe51. Cette démarche comparatiste s’appuie sur les thèses défendues par Court de Gébelin dans son étude sur les langues, les rites et les mythes de l’Antiquité52. Cherchant à comprendre le sens des divers « monuments » laissés par les Anciens et à saisir les rapports qu’ils entretiennent entre eux et avec la civilisation moderne, l’auteur émet l’hypothèse selon laquelle la nature humaine et ses besoins essentiels forment la base commune de ces diverses institutions, le socle universel et permanent garantissant leur comparabilité. L’observation des phénomènes astronomiques et la description des pratiques agricoles qui constitue ainsi le substrat commun des mythes explique l’universelle correspondance des symboles, leur parenté morphologique dans l’espace et le temps. Elle permet de leur appliquer une grille d’interprétation unique, qui vise à retrouver la trace de ces vérités positives dans l’élément fabuleux. Mettant en œuvre ces principes théoriques, les notes des Mois invitent à lire les allusions au mythe comme une forme primitive de transmission du savoir – balbutiements de la raison ou « heureux mensonges53 » que Roucher se garde de confondre avec l’irrationnel des « superstitions54 », ces croyances qui aliènent l’individu parce qu’elles sont fondées sur la passion négative de la peur. Établissant un lien de continuité entre croyance et connaissance, l’interprétation allégorique des mythes antiques restaure la valeur de vérité dont les avait dépouillés l’examen historique et critique des religions. Si Court de Gébelin place l’allégorie au centre de son projet encyclopédique, c’est qu’il lui reconnaît un pouvoir de condensation et de révélation par lequel elle nous « offre, sous l’écorce d’un monde apparent, un monde nouveau infiniment supérieur au premier, autant au-dessus de lui que l’intelligence est au-dessus de la simple vue55 ». Or cette affirmation de la fonction cognitive du trope, qui renoue avec l’esprit de la métaphore baroque, engage, on le voit, une vision de l’écriture poétique bien éloignée de la conception de la poésie comme langage orné. Elle investit potentiellement celle-ci d’un pouvoir éminent : loin de se réduire à un embellissement, la poésie pourrait être un moyen de réaliser l’utopie sous-jacente à l’édifice du Monde primitif, la réintégration de cet « âge d’or imaginaire » que serait l’Antiquité, époque où les « vérités les plus essentielles » se reflétaient immédiatement dans le langage, à travers l’image et la figure56.

20De fait, la pratique de Roucher suggère que les images « demi-fabuleuses », loin d’offusquer la véritable nature de leur signifié comme le pensait Della Torre, possèdent à ses yeux une valeur heuristique. Qu’elles relèvent de la pure invention, de l’emprunt littéraire ou développent une métaphore fixée par la langue, elles délivrent un enseignement qui excède les données de la perception immédiate. Roucher se fonde ainsi sur ses connaissances météorologiques pour justifier la « fiction poétique » du Printemps migrant au mois de mars de l’Égypte vers les climats tempérés57 ; il dresse un inventaire des principaux fleuves du monde, dans lequel chaque caractère anthropomorphique révèle une particularité géographique ; ou bien imagine une Fable étiologique inspirée par les propriétés étonnantes de la sensitive, qui « appelle la métamorphose » dans l’esprit de celles composées par Ovide58. Ce thème ovidien est également convoqué par la description des mues que connaissent certaines espèces, comme celle du ver « en nymphe transformé »59. Une note nous révèle que la métaphore se contente ici d’actualiser l’imaginaire présent en germes dans la nomenclature zoologique60. Ne trouve-t-on pas ici réalisée l’hypothèse formulée par Fontenelle lorsqu’il tentait d’esquisser les contours d’une poésie philosophique, selon laquelle « les images même fabuleuses rajeunir[aient] par l’usage nouveau qu’on en fer[ait]61 » ? Si le caractère figuré de certaines dénominations propres aux parlers locaux ou au vocabulaire du naturaliste retiennent l’attention du poète, c’est qu’il légitime l’ambition d’une épopée de la nature en montrant comment l’imagination coopère avec la raison dans la construction de la connaissance et sa transmission ; il suggère que « la hardiesse des figures, que les esprits froids reprochent quelquefois à la poésie, est plus naturelle qu’ils ne le pensent62 ». Mais Roucher en est-il, au fond, si convaincu ? Il est permis d’en douter au vu des éclaircissements qu’il croit nécessaire d’adjoindre à sa composition. Le besoin de s’autoriser explicitement de la terminologie savante pour justifier l’audacieuse image de la métamorphose du ver est à cet égard révélateur. Au lieu de se contenter d’illustrer le pouvoir cognitif de l’imagination comme le fait Thomson, Roucher sape ses effets en cherchant à le démontrer, de sorte que l’on peut reconnaître dans ces explications l’un de ces « semi-aveu(x) d’impuissance » qui affleurent, selon Catriona Seth, à la surface du texte63.

Donner voix à la nature ?

21Par-delà l’emploi des figures d’analogie, la personnification de la nature se manifeste dans Les Mois à travers le procédé rhétorique de la prosopopée, fiction qui fait parler l’élément inanimé, démultiplie les scènes d’énonciation et entremêle la voix auctoriale à une pluralité de voix. Donner voix à la nature, ou plus exactement redonner voix à une nature réduite au silence par l’entreprise de domination technico-scientifique de l’environnement qui accompagne en Occident le triomphe d’une conception mécaniste de celui-ci, telle serait selon Jonathan Bate la mission assignée à l’écriture poétique par les écrivains de l’ère romantique et leurs successeurs. De cette vocation écopoétique, on s’en doute, il n’est pas encore ici question. En l’occurrence, l’artifice de la délégation de parole ne peut être identifié à une forme-sens pour la simple raison que la fiction d’une nature éloquente n’a pas pour fin l’apologie de cette dernière. Dans la mesure où elle peut servir indirectement à glorifier les découvertes des savants, à naturaliser des prises de position d’ordre idéologique ou philosophique, la prosopopée ne signifie pas en elle-même un décentrement de l’homme. Dans la plupart des cas, la nature se fait la porte-parole des intérêts humains. Certes, le discours en forme de théodicée que tient la Nature en réponse à l’homme qui l’accuse de lui être hostile rappelle la critique leibnizienne du finalisme anthropocentriste64. Mais lorsque Neptune s’adresse aux hommes, c’est pour les mettre sur la voie de la découverte de l’Amérique en les exhortant à braver les périls de la navigation sur l’Océan Atlantique afin d’élargir l’horizon du monde connu65 ; de même, la requête de l’Aurore boréale auprès du Soleil son père, qu’elle implore de la reconnaître comme sa fille légitime, constitue un éloge indirect de Jean Jacques Dortous de Mairan, auquel l’auteur attribue la découverte de la nature véritable de ce spectacle céleste, et qui est ici érigé en génie inspiré par les dieux66.

22C’est à un autre niveau, parce qu’il introduit le régime de la narrativité au sein du discours descriptif, que la prosopopée participe à la visée d’une épopée naturaliste. En effet, le dédoublement des niveaux de lecture induit par le travestissement allégorique affecte également le régime de discours, puisque la séquence narrative doit être interprétée, au niveau littéral, comme correspondant à une séquence discursive. Dans le cas de l’exemple précédemment cité, la narration d’un fragment de drame familial vient en lieu et place d’une réfutation des thèses avancées par les prédécesseurs de Mairan67. L’allégorie transpose dans le domaine moral des faits relevant de la causalité physique, comme le suggère la création d’un mythe moderne autour de l’aurore polaire, par laquelle le poète déplace la controverse scientifique sur l’origine du phénomène dans le registre de la querelle de succession. De naturelle, la nécessité qui préside à l’enchaînement des faits devient psychologique et dans cette conversion du phénomène en acte ou en événement (au sens historique du terme), le discours poétique se rapproche du muthos aristotélicien. Cette transposition est visible dans le récit des noces de la Terre et du Printemps sur lequel s’ouvre le poème et qui met en scène divers personnages dont les actions s’articulent les unes aux autres selon un lien simultanément chronologique et logique : prière de la Terre au Soleil son père, qui accède à ses vœux et rappelle le Printemps exilé sur les rives du Nil, « hymen fécond » des époux, apparition du Bélier, « ministre radieux » du Printemps, qui proclame l’hymen à l’Univers, allégresse de l’Océan, dont la vague s’enfle et « appelle » vers le grand large les navires « que l’Hiver enchaînait dans nos ports68 ». Ce dernier exemple montre du reste comment la dramatisation associée à la divinisation des éléments fait communiquer les plans divin et humain dans l’enchaînement des événements qui tissent la trame d’une action : on retrouve ici un trait générique de l’épopée qui est l’intervention des dieux dans le monde des hommes. L’allégorie ne nous inviterait-t-elle pas, dès lors, à lire l’embryon de récit comme l’esquisse d’une geste d’un nouveau genre, ayant pour thème les relations de l’homme et de son milieu naturel ?

23Une telle saga reste néanmoins purement virtuelle. Il va sans dire que l’insertion ponctuelle d’épisodes isolés et hétérogènes ne construit pas en elle-même une intrigue. L’intégration du muthos dans l’économie générale de l’œuvre relève d’une logique sérielle, et l’on peut dès lors s’interroger sur l’effet cumulatif produit par la succession des allusions mythologiques, qui introduisent l’élément narratif sous la forme d’intermèdes développés ou de récits à l’état naissant. L’interprétation allégorique ramène le mythe au statut de figure du discours, elle veut qu’une séparation étanche soit maintenue entre les deux niveaux de référence : c’est ce que rappellent les notes lorsqu’elles « traduisent » les tournures imagées dans le langage prosaïque de la science et, suppléant à la réflexion du lecteur, divulguent la vérité littérale dissimulée derrière le voile du mythe. Parce qu’il partage le projet lucrétien d’une émancipation de l’esprit humain du joug des superstitions, le poème naturaliste ne peut admettre le fabuleux que dans une perspective critique : on y observe une tension entre l’impératif de la rationalisation et les exigences de l’invention poétique, qui réclame les ornements de la Fable. Or, dans Les Mois, les deux pôles de cet antagonisme se répartissant globalement autour d’une ligne de rupture typographique, la division entre les vers et la prose, si bien que la logique de la démystification demeure séparée de celle de l’enchantement. De fait, à l’intérieur du poème, la critique ne vise que les croyances qui assujettissent le peuple en le maintenant sous le joug de la crainte ; les formes primitives de rationalité sont évoquées, quant à elles, sur un mode empathique69.

24Il s’ensuit que la signification de l’œuvre varie selon le régime de lecture adopté. Si l’on s’en tient au poème lui-même, la différence entre le plan de la fiction et celui des croyances, la distinction entre le merveilleux d’une nature ré-enchantée par la poésie et celui des superstitions ancestrales ou villageoises, finit par s’atténuer. Se dépouillant de leur caractère convenu, les paroles adressées aux éléments par le poète ou par les personnages introduits au fil de la description entrent alors en résonance avec les prosopopées de la nature pour suggérer l’existence d’un dialogue entre l’animé et l’inanimé. Requête de la Terre au Soleil, invocation du poète au printemps, imploration de « l’enfant des hameaux » qui « appelle du Sud le retour pluvieux » : bien que ces différents énoncés soient situés à des niveaux ontologiques différents, leur hétérogénéité tend à s’effacer au profit d’une polyphonie à l’horizon de laquelle se profile une vision du cosmos qui renoue le lien défait par la cosmologie issue de la science copernicienne : non pas l’image d’une nature dont l’homme s’est abstrait en l’objectivant, mais celle d’une nature dont il fait partie intégrante. Dans ce concert de voix, tout se passe comme si la quête de l’émerveillement épique annulait le postulat d’une phusis muette. L’enchantement poétique tend vers le retour au langage primitif dominé par l’allégorie, la réintégration d’un état d’harmonie originelle où les mots reflétaient les choses et où la science se confondait avec la poésie. Tout change, en revanche, si on lit les notes dans la continuité des vers : l’enchantement est alors rompu. Le mythe perd son pouvoir de révélation dès lors que la divulgation de sa vérité profonde devient tributaire d’une glose : celle-ci rétablit la frontière que la modernité a instaurée entre l’objet et le sujet, entre l’homme et son environnement.

Conclusion

25Le siècle des Lumières finissant rêvait d’une « épopée colossale », « celle d’un monde en gestation permanente, décrit dans ses ères successives70 » : Roucher est l’un des rares poètes qui n’ait pas reculé devant cette gigantesque entreprise : les faiblesses du poème sont à la hauteur de son ambition démesurée. L’échec du projet d’une épopée ayant la nature pour héros principal est instructif dans la mesure où il révèle a contrario les contraintes de la narrativité ; il met en évidence le point de vue anthropocentriste inhérent à toute mise en récit, liée à expérience du temps humain, et soulève la question des conditions de possibilité d’une compréhension élargie des notions poétiques de personnage et d’action.

26La logique descriptive qui gouverne les compositions répondant à l’appellation d’« épopée de la nature » déplace le sens du terme « épopée », de la catégorisation vers la caractérisation, d’une valeur générique vers une valeur tonale. Comme le suggère l’exemple des Mois, l’inspiration épique du tableau de la nature n’en est pas moins porteuse de renouveau. Bien plus qu’un simple procédé mis au service d’une stratégie de légitimisation du poème scientifique, le registre héroïque se révèle être l’instrument d’un renversement idéologique, qui bouscule, par-delà les hiérarchies littéraires ou les échelles de valeur sociales, l’idée d’un ordre naturel finalisé et anthropocentré. L’héroïsation du non-humain ou de l’homme de la nature entre en cohérence avec l’abandon de tout canevas narratif ou logique au profit d’un principe de division tiré de la nature elle-même, option qui revient à accomplir dans l’ordre poétique ce que l’émergence du sublime naturel avait opéré dans l’ordre esthétique, en donnant une traduction sensible au détrônement du sujet humain instaurée dans les représentations cosmologiques par la science copernicienne.

27Le poème de Roucher oscille entre deux formes de réponse à ce bouleversement épistémologique, hésitation que reflète l’hétérogénéité du texte partagé entre le vers et la prose. La domination théorique et pratique de la nature constitue un premier remède au sentiment angoissant de l’engloutissement dans l’immensité de l’univers : l’homme atteint une position surplombante par sa maîtrise technologique ou la vision englobante, le coup d’œil panoramique auquel accède la raison scientifique. Opposée et complémentaire, l’autre solution consiste à renouer, par le biais de l’imagination poétique, avec le naturalisme anthropocentriste de l’Antiquité en replaçant l’homme au milieu d’un cosmos qui l’intègre et lui présente une image familière. Le monde nouveau dont Les Mois célèbrent l’avènement est donc à la fois le monde révélé par la science et un monde transfiguré par la poésie, un grandiose « désert » et une Terre habitée où l’homme contemple son image dans les éléments divinisés et où son œuvre s’insère harmonieusement dans le réseau des interactions qui tissent son environnement.

28Selon Guitton, l’incapacité du poète à construire poétiquement une vision cohérente de la nature serait en effet imputable à l’illusion que l’un et l’autre monde pouvaient se recouvrir : « sous l’écorce du monde apparent il a cru qu’un nouveau monde infiniment supérieur au premier se laisserait voir de lui-même, par la seule magie des mots ; […] il n’a pas compris que le langage devait remonter au mythe71 » : autre manière d’affirmer que l’ensemble des récits qui émaillent le poème échouent à former un récit unique ; que la tension vers l’épique ne produit pas une épopée.

Notes de bas de page numériques

1 Jean-Antoine Roucher, Les Mois, poème, en douze chants : par M. Roucher, Paris, Quillau, 1779, 2 vol. 

2 Édouard Guitton emploie à ce propos l’expression d’« épopée descriptive » (Jacques Delille et le poème de la nature en France de 1750 à 1820, Paris, Klincksieck, 1974, p. 289).

3 Édouard Guitton, « L’architecture d’un nouveau monde dans Les Mois de Roucher », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century 153 (1976), Oxford, p. 939.

4 Jean-Louis Haquette, « Les projets d’épopée de la nature au XVIIIe siècle : le mirage épique », in Franck Greiner et Jean-Claude Ternaux (dir.), L’épopée et ses modèles de la Renaissance aux Lumières, Paris, Champion, 2002, p. 57.

5 Siegbert Himmelsbach, L’épopée ou la « case vide » : la réflexion poétologique sur l’épopée nationale en France, Tübingen, M. Niemeyer, 1988, p. 16.

6 Saulo Neiva, article « Épopée », in Alain Montandon, Saulo Neiva (dir.), Dictionnaire raisonné de la caducité des genres littéraire, Genève, Droz, 2014, p. 279-80. Voir aussi Himmelsbach, L’épopée ou la case vide, p. 16-24.

7 Les six livres de Lucrèce. De la nature des choses, traduits par Michel de Marolles, Abbé de Villeloin, Paris, chez Guillaume de Luyne, 1659, préface, p. i.

8 Guitton, Jacques Delille, p. 95.

9 Guitton, Jacques Delille, p. 107-12.

10 Haquette, « Les projets d’épopée de la nature », p. 62.

11 Haquette, « Les projets d’épopée de la nature », p. 62.

12 Haquette, « Les projets d’épopée de la nature », p. 64.

13 Voir Hugues Marchal, Michel Pierssens, Muriel Louâpre (dir.), La poésie scientifique, de la gloire au déclin, ouvrage électronique mis en ligne en janvier 2014 sur le site Épistémocritique, www.epistemocritique.org, introduction d’Hugues Marchal et Muriel Louâpre, p. 7.

14 Haquette, « Les projets d’épopée de la nature », p. 62.

15 Paul Ricoeur, Temps et récit [1983], t. 1, Paris, Le Seuil, « Points Essais », 1991, p. 17.

16 Lawrence Buell, The Environmental Imagination : Thoreau, nature writing and the formation of American culture, Cambridge (Mass.)/London, The Belknap press of Harvard University press, 1995, p. 7.

17 Eileen Crist, Images of Animals : Anthropomorphism and Animal Mind, Philadelphia, Temple University Press, 1999, p. 205-206.

18 Roucher, Les Mois, t. 1, p. 2.

19 Roucher, Les Mois, Chant VII, t. 2, p. 56.

20 Roucher, Les Mois, Chant VII, t. 2, p. 58.

21 Voir Catriona Seth, « "C’est la faute à Roucher"… Gloire et déclin de la poésie scientifique dans Les Mois », in Hugues Marchal, Michel Pierssens, Muriel Louâpre (dir.), La poésie scientifique, de la gloire au déclin, p. 215-216.

22 Nathalie Vuillemin, Les beautés de la nature à l’épreuve de l’analyse, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2009, p. 256. Voir aussi p. 252-253 et 259.

23 Roucher, Les Mois, Chant I, t. 1, p. 19.

24 Roucher, Les Mois, Chant VI, t. 1, p. 316-317. L’image est reprise à propos de Buffon, chant IX, t. 2, p. 134.

25 Baldine Saint Girons, Le sublime de l’Antiquité à nos jours, Paris, Desjonquères, 2005, p. 95-97.

26 Telle est la position défendue, entre autres, par Dubos et Marmontel.

27 Fontenelle, « Sur la Poésie, en général », Œuvres, Paris, Brunet, 1751, tome VII ; rééd. A. Niderst, Rêveries diverses – Opuscules littéraires et philosophiques, Paris, Desjonquères, 1994, p. 58-66.

28 Voir les analyses d’Andreas Gipper, dont nous sommes ici redevable : « "Poesia scientifica" im Italien der Aufklärung », in Hugues Marchal, Michel Pierssens, Muriel Louâpre (dir.), La poésie scientifique, de la gloire au déclin, p. 103-105.

29 John Aikin, An Essay on the plan and character of the poem, annexé aux Saisons de Thomson (1778), rééd. in The Seasons, New Edition […] by J.J.C. Timaeus etc., Hamburg, 1791, p. xvii-xviii.

30 Voir Marie Breguet, « Roucher et Le Tasse : dialogue à travers les siècles », Cahiers Roucher-Chénier, n° 23, 2004.

31 Roucher, Les Mois, Chant IX, t. 2, p. 161.

32 Roucher, Les Mois, Chant X, t. 2, p. 246.

33 Jean-François de Saint Lambert, Les Saisons, Amsterdam, 1769, « Hiver », p. 113.

34 Guitton, Jacques Delille, p. 306.

35 Roucher, Les Mois, Chant XI, t. 2, p. 275.

36 Roucher, Les Mois, Chant XII, t. 2, p. 328.

37 Roucher, Les Mois, Chant V, t. 1, p. 254-255.

38 Roucher, Les Mois, Chant IX, t. 2, p. 179.

39 Roucher, Les Mois, Chant IX, t. 2, p. 140-143.

40 Roucher, Les Mois, Chant I, t. 1, p. 1. Voir aussi chant V, t. 1, p. 273.

41 Jean-Louis Haquette, « Portrait de l’artiste en poète champêtre : Roucher et le monde rural dans Les Mois », Cahiers Roucher-Chénier, n° 30, 2011.

42 Voir Catherine et Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l’environnement (1997), Paris, Flammarion, 2009, p. 83-84.

43  Catriona Seth, « Les notes de Roucher ou l’autre poème », in Nicholas Cronk et Christiane Mervaud (dir.), Les Notes de Voltaire. Une écriture polyphonique, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 2003, n°3, Oxford, p. 109.

44 Seth, « C’est la faute à Roucher … », p. 222.

45 Jean Starobinski, « Fables et mythologie aux XVIIe et XVIIIe siècles », in Le Remède dans le mal, Paris, Gallimard, 1989.

46 Voir Sylvain Menant, La chute d’Icare : la crise de la poésie française (1700-1750), Genève, Droz, 1981, p. 74 et 78.

47 Jean Starobinski, « Fables et mythologie », p. 233-261.

48 Voir chant VII, t. 2, p. 44.

49 Article « vraisemblance » des Éléments de littérature (1787), rééd. Sophie Le Ménahèze, Paris, Desjonquères, 2005, p. 1168-1169.

50 Roucher, Les Mois, Chant X, t. 2, p. 217.

51 Roucher, Les Mois, Chant X, t. 2, p. 247.

52 Court de Gébelin, Le Monde primitif, analysé et comparé avec le monde moderne, etc., Paris, 9 vol. , 1773-1784.

53 Roucher, Les Mois, Chant VIII, t. 2, p. 78.

54 Voir en particulier chant IX, t. 2, p. 150-152.

55 Court de Gébelin, Le Monde primitif […] précédé du plan général des diverses parties qui composeront ce Monde primitif, etc., 1773, p. 64.

56 Voir Anne-Marie Mercier Faivre, « Le monde primitif d’Antoine Court de Gébelin, ou le rêve d’une encyclopédie solitaire », Dix-huitième siècle, 1992, n° 24, p. 364-5.

57 Roucher, Les Mois, Chant I, t. 1, p. 37.

58 Roucher, Les Mois, Chant X, t. 2, p. 215.

59 Roucher, Les Mois, Chant II, t. 1, p. 73

60 Roucher, Les Mois, Chant II, t. 1, p. 111.

61 « Sur la Poésie, en général », p. 67.

62 Roucher, Les Mois, Chant II, t. 1, p. 98.

63 Seth, « Les notes de Roucher etc. », p. 103.

64 Roucher, Les Mois, Chant VIII, t. 2, p. 90-93.

65 Roucher, Les Mois, Chant II, t. 1, p. 86-90.

66 Roucher, Les Mois, Chant XI, t. 2, p. 283. Le poète reconnaît avoir emprunté l’idée de cette fiction au jésuite Charles Noceti, auteur d’un poème sur l’aurore boréale (De iride et aurora boreali carmina, Rome, 1747).

67 Le lecteur trouvera cette réfutation dans une note annexée au chant : plusieurs hypothèses ont été émises sur les causes du phénomène avant que Mairan, s’inspirant des recherches de Kepler et de Dominique Cassini, ne l’attribue à la « lumière zodiacale » (chant XI, t. 2, p. 320-321).

68 Roucher, Les Mois, Chant I, t. 1, p. 5.

69 Voir par exemple chant X, t. 2, p. 192.

70 Guitton, Jacques Delille, p. 27.

71 Guitton, « L’architecture d’un nouveau monde », p. 948-949.

Pour citer cet article

Justine de Reyniès, « La poétique aristotélicienne à l’épreuve de l’épopée de la nature : réflexions sur le poème descriptif », paru dans Loxias, 52., mis en ligne le 14 mars 2016, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=8298.


Auteurs

Justine de Reyniès

Docteur rattachée à l’équipe « Lettres 18 » de l’Université Sorbonne Nouvelle - Paris III, Justine de Reyniès travaille sur la littérature et l’esthétique des Lumières (domaines anglais, français, allemand). Elle s’intéresse notamment à la théorie de l’art des jardins et du paysage et aux représentations littéraires de la nature.