Loxias | Loxias 32 « Qu’il parle maintenant ou se taise à jamais… »: Les effets du silence dans le processus de la création (1) 

Filomena Juncker et Odile Gannier  : 

Loxias 32-33 : 15 mars-15 juin 2011

« Qu’il parle maintenant ou se taise à jamais… » Les effets du silence dans le processus de la création

Texte intégral

1Le silence, venu du latin silentium, est, d’après une première explication du Robert Culturel, « le fait de ne pas émettre de son par la voix ».

2Paradoxalement, la représentation du silence, souvent liée à celle du cri, semble être au cœur de toute tentative d’écriture. Si le silence n’est donc pas l’absence de mots, il garde toutefois un secret que le mouvement des mots n’atteint pas. Il est ce reste intarissable qui semble relancer l’écriture. Le « mot trou », pour reprendre l’expression de Marguerite Duras,  la « phrase du silence » semblent bien être le fantasme de tout écrivain à l’écoute de l’« inentendu », ce que l’on ne sait pas ou l’on ne veut pas entendre,relevant le défi de l’au-delà du sens.

3Il s’agit pour nous de mettre en lumière différents aspects du silence dans la production littéraire, et de susciter des approches transdisciplinaires sur ce thème. De multiples interrogations peuvent en effet se poser sur le sens du silence et sur ses formes d’expression.

4Le silence est-il inné ? Est-il le fruit d’une culture, d’une civilisation, d’une tradition ? A-t-il donc un caractère « naturel » ou plutôt acquis, fondé sur l’imitation ? Comment naissent les premières sources de silence ? Le silence est aussi ambivalent : il peut être constat d’échec, impossibilité de créer et de dire, proche de la stupeur. Le « mauvais silence » est aussi celui de la parole rentrée, interdite, mortifère. Mais l’un des sens du mot silentium est également l’absence de signe de mauvais augure : le silence des dieux serait donc favorable. Cette représentation positive du silence implique aussi le sens de l’harmonie, de l’absence de bruit qui favorise la paix intérieure.

5Comment représenter le silence qui « doit se faire chose » pour être écrit ? Comment s’effectue la transition entre le silence muet et le silence écrit ? Violence ou éblouissement, le silence n’est pas un état mort. Il découvre une épreuve subjective de la vérité dont il faudrait pouvoir témoigner, même si ce n’est que pour la « remettre en cause ». Dans le champ des études postcoloniales ou des études féminines, par exemple, l’étude du silence et de sa rupture peuvent être la marque de l’étouffement ou de la libération de la parole.Parésie du corps ou détresse de l’âme, honte ou pudeur, secret ou tabou, dissimulation ou déni, folie ou retrait, les multiples visages du silence peuvent prendre vie dans l’œuvre de l’artiste et résonner entre eux.Comment dire ces vérités dans un discours ? Peut-on parler d’autre chose que du réel ? Comment situer dans la parole écrite le « silence authentique » inséparable du discours vrai ? Si les mots doivent taire leur sens pour traduire l’insaisissable, il semble légitime de parler d’une écriture du silence, dont la lecture relèvera forcément d’une « lenteur », d’« un vœu de myopie » (expression reprise à Jean-Pierre Richard, dans Microlectures). L’écriture elliptique et fragmentaire sera-t-elle la meilleure matérialisation possible de ces brisures parmi les mots qui engendrent le silence ? Le jeu avec les marges blanches ou les blancs typographiques peut-il jouer des ressources créatives du silence ? Comment faire émerger dans la phrase le rythme et la musicalité du silence souterrain qu’elle est censée héberger ? Le poème, qui substitue au réel du dehors un réel d’avant le sens, sera-t-il alors, en faisant nôtre une expression de Heidegger, le « recueil où sonne le silence » ?

6Par ailleurs, si, comme le souligne dans L’Implicite la linguiste Catherine Kerbrat-Orecchioni, « un énoncé veut dire ce que ses récepteurs estiment être la prétention et l’intention sémantico-pragmatiques du locuteur dans cet énoncé», l’implicite et le non-dit créent avec l’« autre » de la relation établie par le texte une communication qui peut être faussée, détournée de son objectif premier. Cela pourrait constituer un obstacle majeur dans la démarche de la tentative de mise en écrit du silence ? Le souci du respect de la vérité de l’auteur rendrait celle-ci incommunicable ? non publiable ? Devrait-on respecter le silence matérialisé dans la non-publication d’un texte du vivant de son auteur ?

7Ces questionnements sur le silence ne prétendent pas être exhaustifs, mais les réflexions sont liées au processus plus général de la création littéraire et artistique, et cela en deux temps : dans le premier volet, (Loxias n° 32, mars 2011), intitulé « Le sceau rompu du silence », les contributions examinent le poids du silence et l’importance de la création pour les écrivains qui veulent se libérer de la douleur souvent liée à ce silence. Dans le second volet, (Loxias 33, juin 2011), « La mise en art du silence », les réflexions portent sur l’acceptation, voire l’utilisation du silence à d’autres fins artistiques.

8Filomena Iooss, Odile Gannier

9Université de Nice-Sophia Antipolis, CTEL

Pour citer cet article

Filomena Juncker et Odile Gannier , « « Qu’il parle maintenant ou se taise à jamais… » Les effets du silence dans le processus de la création », paru dans Loxias, Loxias 32, mis en ligne le 16 mars 2011, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=6656.


Auteurs

Filomena Juncker

Université de Nice-Sophia Antipolis, CTEL ; Pr.ag.-docteur

Odile Gannier

Université de Nice-Sophia Antipolis, CTEL ; Professeur de littérature comparée