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Huei-Chen Li  : 

La ponctuation dans quelques manuscrits de David Aubert

Résumé

La ponctuation médiévale est un champ de recherche longtemps dédaigné, mais depuis plus de trente ans en plein essor grâce aux travaux pionniers de C. Marchello-Nizia, et à de nombreuses contributions des médiévistes. Toutes ces études pourraient laisser penser que la caractéristique de la ponctuation des textes anciens réside dans la singularité de chaque version manuscrite, car les signes de ponctuation de plusieurs versions d’un même texte ne sont jamais complètement identiques. D’ailleurs, les signes de ponctuation sont, au Moyen Âge, plus polyvalents que monovalents. C’est sans doute cette polyvalence qui donne l’impression que la ponctuation médiévale est incohérente. En conséquence, face à la plurifonctionnalité et au caractère irréductible de la ponctuation médiévale, la plupart des philologues éditeurs de textes, qui ne peuvent avoir recours à aucun manuel de grammaire, ni à aucun manuel de ponctuation spécifique, préfèrent la remplacer par la ponctuation contemporaine ou modifier la place et le nombre des paragraphes du texte original afin de faciliter la lecture. Basée sur trois manuscrits de David Aubert, notre étude a pour objet de dégager des tendances homogènes et hétérogènes ou même de mettre en évidence le sous-système propre à David Aubert, copiste de Philippe le Bon.

Index

Mots-clés : David Aubert , ponctuation médiévale

Géographique : France

Chronologique : Moyen Age

Plan

Texte intégral

1. Introduction

1La ponctuation médiévale est un champ de recherche longtemps dédaigné, mais depuis plus de trente ans en plein essor grâce aux travaux pionniers de C. Marchello-Nizia1, et à de nombreuses contributions des médiévistes2. Toutes ces études pourraient laisser penser que la caractéristique de la ponctuation des textes anciens réside dans la singularité de chaque version manuscrite, car les signes de ponctuation de plusieurs versions d’un même texte ne sont jamais complètement identiques3.

2En outre, les signes ou les marques de ponctuation4 sont, au Moyen Âge, plus polyvalent(e)s que monovalent(e)s. C’est sans doute cette polyvalence des signes qui donne l’impression que la ponctuation médiévale est incohérente ou flottante. En conséquence, face à la plurifonctionnalité et au caractère peu normé et irréductible de la ponctuation médiévale, la plupart des philologues éditeurs de textes, qui ne peuvent avoir recours à aucun manuel de grammaire, ni à aucun manuel de ponctuation spécifique5, préfèrent la remplacer par la ponctuation contemporaine ou modifier la place et le nombre des paragraphes du texte original6 afin de faciliter la lecture.

3Malgré les valeurs des signes distribuées plus ou moins librement par les copistes lors de l’élaboration des manuscrits, nous nous interrogerons sur la possibilité de dégager un sous-système de copiste, à travers le dépouillement de plusieurs extraits des manuscrits signés et datés de la même main. Notre présente étude, qui s’appuie sur trois manuscrits transcrits entre 1459-1460, a pour objet de dégager les tendances homogènes et hétérogènes de chaque copie afin de mettre au clair le sous-système propre à David Aubert, copiste de Philippe le Bon.

2. Le corpus

4Notre corpus comprend trois manuscrits en prose conservés à la Bibliothèque de l’Arsenal. Ils sont tous transcrits par David Aubert sur le commandement de Philippe le Bon. Soulignons qu’ils contiennent tous des textes relevant du genre de la chronique et présentent un ensemble narratif assez complet pour permettre d’étudier l’agencement du récit autour d’un thème. Le corpus peut être présenté grosso modo dans le tableau ci-dessous7 :

Description des manuscrits8

Corpus9

Combinaisons de signes10

Manuscrit Arsenal, 3483. Papier, 28 lignes par page pleine.

Contenu : Perceforest soit Anciennes chroniques de la Grande Bretagne(1re partie)11.

Date de la transcription : 1459 (f. 517 r).

Signature : f. 10 r-10 v12.

Commanditaire : Philippe le Bon.

Chapitre II :

 f. 48 r-50 v. 

109 ponctuations de 9 sortes

Manuscrit Arsenal, 3489. Papier : Papier : 29 lignes par page pleine.

Contenu : Perceforest soit Anciennes chroniques de la Grande Bretagne (4e partie)13.

Date de la transcription : 1460 (Manuscrit Arsenal 3490, f. 581 r).

Signature : Arsenal, 3483, fol. 10 r.

Commanditaire : Philippe le Bon.

Chapitre II :

 f. 53 r-56 v 

232 ponctuations de 12 sortes

Manuscrit Arsenal, 6328. Parchemin, 24 lignes par page pleine.

Contenu : Chroniques de France, d’Angleterre et d’autres comtés ou Chronique normande14.

Date de la transcription : 1459 (selon le prologue).

Signature : f. 1 v15.

Commanditaire : Philippe le Bon.

Chapitre I :

f. 2 r-4 v

97 ponctuations de 8 sortes

3. Principes d’analyse

5Nous entendons par ponctuation un système graphique qui participe à l’organisation du texte écrit. Pour faciliter l’analyse, en nous inspirant de la classification de Nina Catach16 (1994, 7-8), nous distinguerons trois niveaux de ponctuation : le niveau textuel, le niveau inter-propositionnel17 et le niveau intra-propositionnel, qui comprend le niveau des syntagmes et le niveau des mots.

3.1. Analyse du manuscrit Arsenal 3483 (109 cas)

3.1.1. Au niveau textuel (4 cas, 3.66%)

1

2

Ø + Lettrine de chapitre (1 cas) :

L’an de l’incarnation nostreseigneur Mil CCC et sept/ le jour de la purification nostre dame./18(48 r)

./ + blancs + (à la ligne) Lettrine de paragraphe (3 cas) :

Sire chevalier dist l’abbé (49 r)

Quant Je vins illec et Je trouvay le livre et la couronne (49 r)

Le bon pere abbé manda querir le livre (49 v)

6Le chapitre II de la première partie de Perceforest est donc composé de quatre « unités de lecture »19 au niveau textuel :

7– 1 lettrine de chapitre en rouge et en bleu occupant quatre lignes de haut.

8– 3 lettrines de paragraphe, alternativement en rouge et en bleu, qui occupent deux lignes de haut.

9Cette pratique du découpage du texte par le biais des lettrines, appelées litterae notabiliores en latin20, est particulièrement courante chez les copistes, pour peu que les manuscrits soient un peu soignés.

10La combinatoire « point + barre oblique + blancs » précède en général la lettrine, sauf lorsqu’il s’agit d’une lettrine de chapitre.

11En ce qui concerne les éléments qui se trouvent à l’entrée du chapitre ou des paragraphes, il n’est pas étonnant que les struments temporels (2 cas) et les sujets nominaux (1 cas) s’imposent dans un contexte narratif (action des personnages inscrits dans une temporalité). En outre, le copiste est sensible au changement énonciatif, à telle enseigne que le début du discours direct est souvent signalé par une lettrine ; il s’agit dans ce chapitre du Perceforest d’un terme d’adresse (Sire chevalier)21.

3.1.2. Au niveau inter-propositionnel (91 cas, 83.48%)

3

4

5

6

7

8

./ + (blancs ou non) + M (11 cas)

/. + M (1 cas)22

. + M (3 cas)

/ + M (22 cas)

. + m (1 cas)

/ + m (53 cas)

12 Les combinatoires avec majuscule

13Les combinatoires 3 à 6 délimitent couramment des propositions non dépendantes commençant soit par des sujets nominaux ou pronominaux soit par des struments d’ordre divers :

(1) ./ Ains parlerons de celluy pour quy la cause en est meute/ […] (48 v)

(2) /. Il fist en son temps tant de haultes emprises qu’il n’avoit voisin qui ne le doubtast a courchier […] (48 v)

(3). J’ay envoié la couronne au roy edouard/ car elle ne m’appartenoit point […] (48 v-49 r)

(4) / Le noble conte passa la mer avec pluiseurs barons de france/ pour faire honneur a la ditte roine. (48 v)

14Les combinatoires 3, 5 et 6 introduisent également parfois des séquences de propositions composées avec la subordonnée antéposée à la principale :

(5) ./ Quant le noble conte ot prins hostel en icelle abbaye/ l’abbé le receut honnourablement et festoia/ puis le mena veoir une partie des lieux de leans […] (49 r)

(6) ./ Quant le noble conte eut entendu la substance du livre qui traictoit d’armes et d’amours elle lui pleut telement que tout son desir n’estoit que d’en avoir la copie/ et de fait s’en descouvry a l’abbé […] (50 r)

(7) . Et pour ce que nous n’avons pas encommencié ceste matiere pour raconter le grant honneur que l’en fist a icelle dame/ nous lairons la chose ainsi./ (48 v)

(8) / Et pour ce que nulle chose n’a fin sans commencement nous commencerons ceste oeuvre a l’onneur de dieu et de la vierge marie/ […] (50 v)

(9) / Et quant ilz veirent ces choses ilz le me vindrent nonchier/ sans y mettre les mains/ (49 r)

15La combinatoire 3 peut s’associer exceptionnellement avec des espaces blancs suivis de la majuscule pour annoncer le titre du livre :

(10) mais soiés certain que l’intitulation du livre estoit telle./ (fin de ligne) En cest livre contient l’istoire celee du bon roy percheforest roy de bretaigne etcetera […] (49 v-50 r)

16Elle se rencontre une fois devant une proposition elliptique introduite par le relatif composé lourd « lesquelz » :

(11) / ausquelles nopces l’en puet savoir que grant noblesse y fu assamblee tant d’une partie comme d’autre./ Entre lesquelz (y fu) le conte guillemme de haynnau qui eut espousé la fille charles de valois frere audevant dit beau roy23 (48 r-48 v)

17D’après G. Zink (1990, 48), compte tenu de son accord en genre et en nombre, le relatif composé « lequel », pronom ou adjectif, connaît un succès croissant en moyen français dans les textes en prose pour lever l’ambiguïté sur l’antécédent. Grâce à sa fonction de désambiguïsation, « lequel » permet de se détacher de son antécédent dans des constructions complexes. Ici, le pronom relatif « lesquelz » se réfère à son antécédent « grant noblesse » et par syllepse, l’accord se fait avec le pluriel implicite.

18Par ailleurs, on constate que la combinatoire 6 marque aussi quelquefois le début du discours direct, le changement de locuteur et le retour à la narration :

(12) Quant le noble conte eut entendu la substance du livre […] elle lui pleut telement que tout son desir n’estoit que d’en avoir la copie/ et de fait s’en descouvry a l’abbé/ lequel lui respondy/ En verité sire/ je seroie bien joieux si je vous pouoie complaire aucunement/ […] / Sire dist le conte je ne vouldroie pour rien que vous en eussiez de pis fait (50 r)

(13)Sire chevalier dist l’abbé ce vous semble ung edifice bien merveilleux/ mais/ encoires y ay je trouvé plus merveilleuse besongne/Adont le prent par la main/ et le maine vers une arque estant oudit mur (49 r)

19 Les combinatoires avec minuscule

20La combinatoire 8 se rencontre massivement devant les propositions commençant par les conjonctions « mais » (8 cas), « car » (8 cas) ou « et » (10 cas) :

(14) Il print voulenté au noble conte d’aler veoir le paÿs d’engleterre/ car onques mais n’y avoit esté (48 r)

(15) Quant Je vins illec ²²et Je trouvay le livre et la couronne je fis tout porter en ma chambre puis ouvry ce livre/ maisje ne sceus entendre en quel langaige il est escript(49 r)

(16) l’abbé le receut honnourablement et festoia/ puis le mena veoir une partie des lieux de leans/ et entre les autres le mena a une tresancienne tourseant au plus pres de l’eglise (49 r)

21Enfin, il ne faut pas perdre de vue que la combinatoire 9 apparaît régulièrement devant les propositions subordonnées, en particulier les relatives (10 cas) :

(17)J’ay eu ceans le clerc grec demy an/ quy ne m’en a translaté que cestuy/ par lequel j’en pourroie avoir dedens brief temps trois ou quatre/ dont je m’aideroie si j’en avoie besoing (50 r)

22On relève un cas isolé commençant par l’adjectif relatif « lequel » qui est précédé de la combinatoire 7 :

(18)Il s’avisa qu’il y avoit a crespin en l’abbaie de saint landelain ung moisne bon clerc auquel il requist qu’il luy voulsist translater/ […] . lequel moisne desirant de complaire a son seigneur lui respondi qu’il y adviseroit […] (50 r-50 v)

23Lerelatif lourd « lequel » permettant de reprendre un élément qui précède à distance est devenu en moyen français un marqueur privilégié de thématisation en cas de constructions étoffées. Ici, l’antécédent « ung moisne bon clerc » se trouve déjà dans une construction complexe qui risque de susciter la confusion. En effet, dans cette séquence de propositions, il contient deux personnes masculines, à savoir « Il » et « ung moisne ». Pour faciliter l’identification de l’antécédent, on recourt à l’adjectif relatif « lequel » suivi de l’élément anaphorique « moisne ».

3.1.3. Au niveau intra-propositionnel (14 cas, 12.84%)

6

8

9

/ + M (1 cas)

/ + m (12 cas)

./ + m (1 cas)

24En règle générale, c’est la combinatoire 8 qui ponctue les syntagmes et les mots dans une série énumérative :

(19) Ainsi se mist a chemin pour aler veoir citez/ villes/ chasteaux/ pors de mer/ et passages(48 v)

25Les syntagmes prépositionnels sont épisodiquement précédés du signe « barre oblique » :

(20)ilz le me vindrent nonchier/ sans y mettre les mains (49 v)

26Il arrive rarement que des combinatoires incluant une majuscule séparent des syntagmes. On remarque une apparition exceptionnelle de la combinatoire 6 dans l’énumération des syntagmes ou des termes de même fonction syntaxique :

(21) Le bon conte emprist depuis si grans fais d’armes/ Joustes et tournois(50 v)

27Cependant, le caractère « J » barré se trouve souvent à l’initiale des mots commençant par « i/ j », il s’agit plutôt de la majuscule à valeur distinctive, et non de la majuscule à valeur démarcative.

28La combinatoire 9 est interposée une fois entre le complément circonstanciel temporel et le sujet de la proposition :

(22) L’an de l’incarnation nostreseigneur Mil CCC et sept/ le jour de la purification nostre dame./ le roy edouard d’angleterreespousa la fille du roy de france nommé le beau roy (48 r)

29Nous repérons dans l’exemple ci-dessus un cas de chiffre romain sans être précédé ni suivi d’un point : « Mil CCC et sept ».

30Enfin, il importe de signaler l’absence générale de la majuscule à l’initiale des noms propres dans ce manuscrit (edouard, guillemme, charles, engleterre, france, haynnau, etc).

3.2. Analyse du manuscrit Arsenal 3489 (232 cas)

3.2.1. Au niveau textuel (10 cas, 4.31%)

1

2

3

././././ + Lettrine de chapitre (1 cas) : La vraie et ancienne histoire fait mention que (53 r)

./ + bouts-de-ligne + Lettrine (8 cas) : Quant (4 cas), Tandis que (2 cas), Adont (2 cas)

/ + bouts-de-ligne + Lettrine (1 cas) : Quant (1 cas)

31Au vu de ce relevé, on observe que le chapitre II de la quatrième partie de Perceforest est divisé en 10 séquences narratives. Comme le manuscrit Arsenal 3483, le manuscrit Arsenal 3489 emploie le plus souvent la combinatoire « point + barre oblique ». Cependant, il existe une légère différence entre les deux manuscrits : le manuscrit Arsenal 3489 comble d’habitude les fins de lignes par des bouts-de-ligne pour l’alignement de la justification, alors que le manuscrit Arsenal 3483 se contente de laisser les fins de lignes en blanc.

32Notons que les éléments se trouvant à l’entrée des chapitres ou des paragraphes sont presque systématiquement les struments temporels (9 cas) qui servent à jalonner les étapes chronologiques du récit24.

3.2.2. Au niveau inter-propositionnel (170 cas, 73.27%)

4

5

6

7

8

9

10

11

12

././././ (+ M)

(1 cas) (fin du chapitre II)

./¶ + M

(6 cas)

/¶ + M

(5 cas)

¶ + M

(1 cas)

/./ + M

(4 cas)

./ +M

(9 cas)

. + M

(1 cas)

/ + M

(60 cas)

/ + m

(83 cas)

33 Les combinatoires avec majuscule

34La plupart des combinatoires à majuscule 5, 6, 8, 9, 11 sont capables de marquer le passage du récit au discours direct ou l’alternance des locuteurs dans les dialogues :

(23) Et quant elle eut moustré sa besongne/ elle print la parole et dist./¶ Seigneurs/ dames/ et damoiselles ainsi que vous estes/ Je vous advertis que Je suis messagiere (54 v)

(24)Et lors que le roy son frere le vey/ Il print la parole et dist/¶ Chier frere/ cœur de roy doit estre estable en toutes vertus et bonnes operations (53 r)

 (25) Il [le roi Lionnel] appella troïlus qui n’estoit guaires loing d’illec/ et lui dist/¶ Sire chevalier […] Et vela pourquoy J’ay dit que mon songe est avery./¶ Chier sire/ respondy troïlus/ veu qu’il vous en est si bien advenu […] / Certes beausire dist le gentil roy/ mon intention n’est pas aultre […] (54 r)

(26) Il dresça sa chiere/ puis dist/./ Chier frere Je vous remercy de vostre bonne doctrine (53 r)

(27) Et pource Il respondy assez tost et dist./ Damoiselle Je suis tout prest d’aler devers la pucelle (55 v)

(28) Adont la roine faee print la parole et dist/ Damoiselle/ Il m’est advis qu’il seroit bien raison que l’on sceust a qui vous estes (54 v)

35En plus de l’indication du début du discours direct et du changement de locuteur, les combinatoires 5, 6 peuvent introduire des séquences corrélatives « subordonnée-principale ». Ces dernières se rencontrent relativement souvent lors du retour au récit :

(29) Ma dame respondy la demoiselle/ […] Il ne consentiroit point d’estre celé./¶ Quant le chevalier au dalphin eut entendu la demoiselle messagiere/ Il fu tres marry de ce qu’il s’estoit tant celé […] (54 v)

(30) Elle ouy que le dieu marcus lui fist response en disant/ Pucelle/ Je n’ay pas le merite d’acomplir les desirs aux pucelles/ […] mais que sang s’en espande Quant la pucelle eut ouy la response du dieu marcus elle fu moult esbahie/ pour ce qu’elle n’avoit onques ouy parler du baceler/ […] (55 r)

(31) la Jenne roine demouroit avec soy respondy et dist./ Certes sire […] / Je suis bien Joieuse de la demouree de la roine vostre compaigne/ pour l’onneur et les vertus que Je sçay en elle Et pour ce qu’il estoit temps de desservir et de tout oster les escuiers si emlpoierent comme a leur estat appartenoit […] (56 r)

36La combinatoire 7 introduit deux propositions indépendantes dont la deuxième contient l’introducteur du discours direct (dist) :

(32) Mesmes la roine faee s’en vint au roy dalphin et lui dist/ Sire vous alez et ne sçavez ou/ mais pour escever aucuns perilz qui vous pourroient advenir/ Je vous pry que vous portez tous Jours cestuy anel en vostre doy./ (56 r)

37On constate que les combinatoires 9 et 11 entrent en concurrence avec les combinatoires 5, 6 pour signaler le retour à la narration :

(33) Et pour ce Il print la parole et dist/ Damoiselle […] / venez a moy et me dittes vostre besongne./ Adont la damoiselle marcha tant avant fort doubteuse qu’elle se retrouva en la presence du gentil roy (54 v)

(34) Il dresça sa chiere/ puis dist/./ Chier frere Je vous remercy de vostre bonne doctrine/ car Il ne sera Jamais heure que mieulx ne m’en soit/ Et a dieu vous commans/ Atant le noble roy s’en retourna en son chastel (53 r-53 v)

38Remarquons qu’on trouve une occurrence qui annonce la fin du chapitre et le début du suivant, il s’agit de la formule canonique de transition qui est introduite par la combinatoire 5 et terminée par la combinatoire contenant quatre fois le point suivi de la barre oblique (combinatoire 4) :

(35) ./¶ Atant se taist icy l’istoire de ceste noble compaignie et du gentil roy lionnel/ lequel du remanant de ce siecle ne demande plus/ puis qu’il a s’amie a sa voulenté/ pour racompter du roy dalphin comment il lui advint de son emprise././././ (56 v)

39La combinatoire 11, déjà rencontrée supra dans un autre usage, balise également les propositions indépendantes (ex. 36) ainsi que les séquences de propositions composées avec la principale précédée de la subordonnée débutant par « et » (ex. 37 et 38). La ponctuation s’insère notamment de manière assez régulière au seuil de la principale commençant par le pronom sujet de la personne 3 « Il » (ex. 39 et 40) :

(36)/ Atant le noble roy s’en retourna en son chastel/ Et le roy mehaignié se mist au chemin avec sa grosse compaignie pardevers le chastel de lionnois a grant leesse et esbatemens (53 v)

(37) / Et lors quelle vint pardevant les tables elle salua toute la compaignie moult courtoisement/ (54 v)

(38) / Et quant ilz eurent mis pié a terre/ et qu’ilz furent montez ou palaiz/ la feste encommença grande par leans (54 r)

(39) Quant le chevalier eut entendu le message de la damoiselle/ Il fu moult desirant de secourir et conforter la pucelle/ (55 v)

(40) Quant le roy lionnel fu arrivé a son chastel ses hommes le bienveignerent grandement/ Il en y avoit illec assamblé sans nombre de la forest du glac (54 r)

40La combinatoire 10 nous offre une séquence de propositions commençant par « mais » :

(41) . Mais en la fin elle fu Infourmee au vray qui le baceler estoit/ et comment il avoit acomply les douze desiriers des douze pucelles/ qui estoit aussi comme une chose Impossible/ a croire/ (55 r)

41Il est à noter que dans la combinatoire 11, les propositions commençant par « et » sont particulièrement récurrentes : on relève 24 occurrences dans notre corpus. De surcroît, il n’est pas rare que les propositions débutent par des sujets nominaux ou pronominaux (12 cas), les adverbes (11 cas) et les connecteurs « car, mais » (5 cas).

42 La combinatoire avec minuscule

43La combinatoire 12 est susceptible de baliser tous les types de propositions :

(42) Si tost que la chose fu toute prepraree/ le roy lionnel s’en vint aux fenestres de son palais/ dont il vey que la noble compaignie aloit celle part (53 v)

44Cette combinatoire nous offre 23 occurrences qui délimitent d’une part des propositions coordonnées non dépendantes perpétuant ou non les sujets de la proposition précédente, d’autre part des subordonnées coordonnées :

(43) Chier frere/ cœur de roy doit estre estable en toutes vertus et bonnes operations/ et ne se doit changier ne pour amour ne pour haine/ (53 r)

(44) / Et se il vous vuelt aidier soiés certaine qu’il en estbien en luy/ et moy meismes Je seray pour vous/ (55 r)

(45) Si tost que ceulx et celles qui seoient aux tables entendirent ce/ et que le roy au dalphin avoit promis de sieuvir la demoiselle messagiere/ en soy mectant en adventure pour acomplir les desiriers de aultrui et si ne sçavoit quelz ne en quelle contree ilz le tindrent a grant folie/ (55 v)

45Enfin, il importe de signaler que les connecteurs « mais, car » cooccurrent plus souvent avec cette combinatoire (12 cas) qu’avec la combinatoire 11 (5 cas).

(46) Il est bien vray que Je vous ay moult quis/ mais la dieu mercy Je vous ay trouvé/(54 v)

(47) Je vous remercy de vostre bonne doctrine/ car Il ne sera Jamais heure que mieulx ne m’en soit/(53 r- 53 v)

3.2.3. Au niveau intra-propositionnel (52 cas, 22.41%)

11

12

/ + M (4 cas)

/ + m (48 cas)

46Le copiste a habituellement recours à la combinatoire 12 pour segmenter les syntagmes ou les mots de même nature syntaxique, notamment dans une série énumérative :

(48) les princes/ les chevaliers/ les dames/ et les pucelles furent parties au congié du tresexcellent roy perceforest (53 r)

(49) Et mesmes la pucelle a qui Je suis qui est tant gentille/ tant bonne/ tant belle/ et tant bien adrecee que Je ne congnois sa pareille (55 r)

(50) Il n’y doit croire officier [Ø] sergant/ bailly/ prevost/ ne aultre(53 r)

47Les syntagmes binômes de même fonction syntaxique peuvent être reliés ou non par le coordonnant « et » :

(51) Mesmes ceulx que le gentil prince avoit envoiez devant affin de pourveoir son chastel a la venue du roy gadisfer/ et de sa fille qu’il avoit prinse a femme (53 v)

(52) Je veoie venir de devers la forest la pucelle du monde que J’amoie le mieulx/ a grosse compaignie de dames/ et de chevaliers/ (54 r)

(53) le roy lionnel vey venir la roine blance/ la dame du monde qu’il amoit le mieulx(54 r)

48La combinatoire 12 se trouve parfois devant des syntagmes prépositionnels à fonction de compléments circonstanciels :

(54) Je suis bien Joieuse de la demouree de la roine vostre compaigne/ pour l’onneur et les vertus que Je sçay en elle (56 r)

(55) Adont chascun se sey au mengier/ en toute bonne chiere/ en tous deduiz et soulaz (54 r)

49Enfin, la barre oblique sépare sporadiquement le sujet du verbe, ou l’adverbe temporel du sujet :

(56) toutes pucelles/ ont telle affection en vous (55 r)

(57) /./ Atant/ dames et chevaliers se drescerent sur piés (56 r)

50Précisons par ailleurs que la combinatoire 11 ponctue peu souvent les syntagmes, si ce n’est que pour mettre l’accent sur le syntagme :

(58) ilz encommencerent a faire bonne chiere et a caroler en la salle/ Reservé la roine genievre25qui ne pouoit avoir leesse en cœur pour le departement de son seigneur (56 r-56 v)

51En matière de noms propres, le manuscrit Arsenal 3489 ne se préoccupe pas de la distinction entre les noms communs et les noms propres par le graphisme, la minuscule est majoritairement usitée dans les noms propres (perceforest, lionnel, estonné, dieu souverain, etc), excepté pour une occurrence (Gadiffer).

3.3 Analyse du manuscrit Arsenal 6328 (97 cas)

3.3.1. Au niveau textuel (3 cas, 3.09%)

1

2

./ bouts-de-ligne + Lettrine (2 cas)

Ou temps du roy phelippe le bel (2 r)

Le conte guy (4 r)

/ + Lettrine (1 cas)

En la presence de tous ces nobles princes (3 v)

52Comme le manuscrit Arsenal 3489, le manuscrit Arsenal 6328 utilise de préférence la combinatoire « point + barre oblique + bouts-de-ligne » pour découper le texte en unités narratives plus petites. Lorsque les lignes sont remplies jusqu’à la bordure en fin de paragraphe, le copiste supprime le point en conservant la barre oblique, d’où la combinatoire « barre oblique + Lettrine » (combinatoire 2).

3.3.2. Au niveau inter-propositionnel (70 cas, 72.16%)

3

4

5

6

./¶ + M (1 cas)

./ + M (13 cas)

/ + M (8 cas)

/ + m (48 cas)

53 Les combinatoires avec majuscule

54Les combinatoires 3, 4 se trouvent en général devant des séquences de propositions ayant un sens complet plus ou moins complet.

(59) ./¶ En ce temps estoit la dame trespassee/ dont louys l’aisné filz de robert et de la ditte dame releva la conté de nevers du roy/ et ne se mesloit de la guerre/ Et l’autre filz qui eut nom robert fu depuis appellé robert de cassel./ (4 r-4 v)

(60) ./ Ne demoura guaires aprés que le roy par deliberation de conseil manda au conte de flandres qu’il venist parler a luy/ et qu’il luy amenast veoir phelippe sa filleule/ et le conte y ala et y mena la pucelle./ (2 v)

55Il convient de souligner que les séquences sont assez souvent commencées par une proposition en sujet nominal, suivie des propositions régies par le même sujet, introduites par « et » ou « puis ». Remarquons que ces séquences sont de manière assez régulière composées des propositions corrélatives « subordonnée-principale ».

(61) ./ Mais quant le conte guy sceut que le roy n’obeïroit point a ce que le pape avoit ordonné/ il manda a dont sçavoir tout le fait au roy d’angleterre/ et requist aide a ses amis et fist grandes alliances/ puis assambla grant parlement a grantmont (3 v)

(62) ./ Quant le roy la tint il dist au conte qu’elle demourroit devers luy/ et ainsi la retint/ et blasma le conte de ce qu’il avoit fait/ et lui commanda qu’il partist hors de la conté de flandres et qu’il l’avoit fourfaitte/ (2 v)

56Il est plus rare que la combinatoire 4 délimite des propositions indépendantes disposant de moindre étendue :

(63) ./ Cestuy guillame eut la fille monseigneur raoul de neelle/ connestable de france./ (4 r)

(64) ./ Le conte Guy envoia par ses bonnes villes gens d’armes./ Et le roy ala mettre siege devant la ville de lille a grant ost l’an de grace Mil .CC. quatrevings et dixsept./ (4 v)

57Parmi les treize occurrences de la combinatoire 4, nous en recensons 9 qui introduisent les propositions débutant par des struments temporels (5 cas) et des sujets nominaux (4 cas).

58La combinatoire 5, quant à elle, balise plus fréquemment les propositions non dépendantes (7 cas) que les propositions corrélatives « subordonnée-principale » (1 cas). Elles sont souvent commencées par des adverbes (2 cas) ou le coordonnant « et » (4 cas) :

(65) / Atant le legat print congié du roy et s’en retourna a romme ou Il trouva le saint pere et luy dist la response du roy (3 v)

(66)/ Et se ce ne vouloit faire il envoiast en court de romme ou il estoit appellé du conte de flandres (3 r)

59 La combinatoire avec minuscule

60La combinatoire 6 délimite à la fois les propositions subordonnées et les propositions principales ou indépendantes :

(67)Sa premiere femme fu fille de l’advoé de bethune/ de laquelle il eut trois enfans (2 r)

(68) Mais quant le conte guy sceut que le roy n’obeïroit point a ce que le pape avoit ordonné/ il manda a dont sçavoir tout le fait au roy d’angleterre/ et requist aide a ses amis et fist grandes alliances (3 v)

(69) / touteffois celluy d’alemaigne le receu/ et lui promist de le deffendre contre le roy de France./ (3 v)

61Il est observable que dans cette combinatoire, le coordonnant « et » (24 cas) et les subordonnants (15 cas) se taillent la part du lion au début des propositions.

3.3.3. Au niveau intra-propositionnel (24 cas, 24.74%)

5

6

7

8

/ + M (2 cas)

/ + m (10 cas)

. + m (11 cas)

. chiffre romain. (1 cas)

62La combinatoire 6 ponctue en général une série de termes ou de syntagmes de même nature et fonction :

(70) C’estassavoir trois filz/ robert/ guillemme/ et phelippe/ et pluiseurs filles (2 r)

63À la frontière de deux syntagmes nominaux, la ponctuation intervient parfois en cas d’apposition :

(71) monseigneur raoul de neelle/ connestable de france (4 r)

(72) Guy de dampierre/ conte de flandres (3 v)

64Elle se rencontre de manière clairsemée entre le complément circonstanciel et le sujet de la proposition :

(73) / Tantost aprés/ ce fait fu raporté au roy phelippe par ung des chevaliers de la court (2 v)

65Comme les deux autres manuscrits, elle scande aussi des syntagmes prépositionnels :

(74) Aprés lesquelles desfiances le roy manda ses hommes a tous costez et moult efforceement / pour aler en flandres./ (4 r)

66En ce qui concerne la combinatoire 7, soulignons qu’elle apparaît surtout dans une longue série énumérative :

(75) auquel fu le roy d’angleterre/ et le roy adoulf d’allemaigne. le duc d’autrice. le duc de brabant. le conte de ghelres. le conte de Julers. le conte de hollande. le conte de bar (3 v)

67Selon G. Ouy (1979, 67), le théoricien Gasparino Barzizza26 appelle punctus copulativus le signe « point » qui sert à relier entre eux les différents termes d’une énumération. E. Llamas Pombo (2007, 21-22) pense que cette ponctuation rejoint les éléments pour le sens en les séparant pour l’œil.

68Notons enfin l’usage des points symétriques qui encadrent le chiffre romain : « Mil .CC. quatrevings et dixsept » (ex. 64). Cet usage, assez courant, a été étudié par A. Lavrentiev (2000, 31) dans les mss. A et G de l’Image du Monde où il est régulier : il appelle ce type de fonction du point « exponctuation des chiffres ».

69Pour finir, sauf en de rares cas, le manuscrit Arsenal 6328 ne prend pas soin de distinguer les noms propres des noms communs par la graphie ; en d’autres termes, la minuscule est majoritairement usitée dans les noms propres, à l’exception de 4 cas (Guy : 3, Jehan : 1).

4. Conclusion

70L’étude systématique des valeurs de signes combinatoires a permis de dégager certaines tendances. Du point de vue de combinaisons de signes, le manuscrit Arsenal 3489 présente la plus grande variété de signes. Cependant, si nous voyons de plus près les constituants des combinatoires, nous constatons que David Aubert n’use que de trois signes de base : le point, la barre oblique et le pied-de-mouche. L’originalité du copiste de Philippe le Bon réside dans l’emploi des signes composés s’associant ou non avec des initiales, des majuscules et des blancs pour former des combinatoires nouvelles. Il arrive que la combinatoire contienne jusqu’à 8 signes (ex. 35).

71Au niveau textuel, les trois manuscrits privilégient unanimement la combinatoire « point + barre oblique » associée à des blancs ou des bouts-de-ligne et à une lettrine pour marquer le passage à un nouveau paragraphe.

72Au niveau inter-propositionnel, on constate une hiérarchie assez logique dans les trois manuscrits : les combinatoires contenant les signes composés suivis de la majuscule sont les plus fortes ; les combinatoires contenant le signe simple suivi de la minuscule, les plus faibles27. La preuve en est que les combinatoires « signes composés + Majuscule » introduisent fréquemment des séquences de propositions syntaxiquement autonomes, elles constituent un sens plus ou moins complet (ex. 5, 6, 29-31, 35, 59-62). Derrière elles, les combinatoires contenant le signe simple associé à la majuscule ponctuent plus souvent des propositions non dépendantes, de moindre étendue (ex. 4, 36, 65), des séquences de propositions composées « subordonnée-principale » appuyées par le strument « et » (ex. 7, 8, 9, 37, 38, 66). Notons que la combinatoire « barre oblique + Majuscule » signale assez régulièrement dans les deux premiers manuscrits le début du discours direct, le changement de locuteur et le retour à la narration (ex. 12, 13, 28, 34). Cependant, est loin d’être banal le fait que ces fonctions dans le manuscrit Arsenal 3489 sont majoritairement assurées par les combinatoires « signes composés + Majuscule » (ex. 23-27, 29-31, 33). En ce qui concerne la combinatoire « signe simple + minuscule », elle balise tous les types de propositions, le plus couramment les propositions commençant par les connecteurs « car, mais, et » (ex. 14-16, 43-47, 68, 69), et les relatives (ex. 17, 18, 42, 67), ainsi que les principales postposées aux subordonnées (ex. 5, 7, 23, 38, 42, 61, 68). Néanmoins, dans le manuscrit Arsenal 3489, lorsque les principales précédées des subordonnées commencent par le pronom sujet de la personne 3 « il », celui-ci est relativement souvent transcrit par la majuscule « J » barré (ex. 39, 40).

73Au niveau intra-propositionnel, la combinatoire « barre oblique + minuscule » s’impose communément dans les trois manuscrits. Elle s’utilise ordinairement dans une kyrielle énumérative (ex. 19, 48-50, 70). Pourtant, elle se trouve occasionnellement devant des syntagmes prépositionnels à valeur de compléments circonstanciels (ex. 20, 54, 55, 74) et à la frontière des syntagmes binômes reliés ou non par le coordonnant « et » (ex. 51-53, 71, 72). Elle sépare sporadiquement le complément circonstanciel du sujet (ex. 57, 73), et le sujet du verbe (ex. 56). Lorsque le sujet est précédé de deux compléments temporels indiquant l’année et le jour, le copiste utilise exceptionnellement la combinatoire « point + barre oblique + minuscule » pour marquer la borne entre les compléments et le sujet (ex. 22). N’oublions pas que la combinatoire « barre oblique + Majuscule » a parfois pour fonction de mettre l’accent sur le syntagme (ex. 58).

74Il importe de rappeler que le signe « point » est polyvalent dans le manuscrit Arsenal 6328 : il se combine en général avec la barre oblique pour baliser les propositions (niveau inter-propositionnel) (ex. 58-61). En outre, il ponctue les syntagmes de même nature et fonction (niveau intra-propositionnel) (ex. 75). Enfin, il fonctionne comme un signe diacritique permettant de ne pas confondre les chiffres romains avec les lettres (ex. 64). Cependant, cette valeur distinctive ne se rencontre pas dans l’extrait du manuscrit Arsenal 3483, on y repère en effet une fois le chiffre romain sans accompagnement du signe « point » (ex. 22).

75Enfin, l’usage de la majuscule pour les noms propres se montre encore clairsemé dans les trois manuscrits. David Aubert a tendance à mettre en relief les mots commençant par « i/ j » moyennant la majuscule « J » (ex. 21).

76Cette étude, pour le moment limitée à quelques folios de trois manuscrits, nous permet cependant de conclure provisoirement que le système de ponctuation utilisé par David Aubert est assez logique et hiérarchisé, bien que certaines valeurs soient partagées par plusieurs combinatoires. Cependant, il faudrait élargir encore le corpus dans la synchronie afin de confirmer notre hypothèse, et de mieux cerner le fonctionnement inter-propositionnel.

Notes de bas de page numériques

1  Voir C. Marchello-Nizia, « Ponctuation et “unités de lecture” dans les manuscrits médiévaux ou : je ponctue, tu lis, il théorise », Langue française, 40, décembre, 1978 a, pp. 32-44 ; C. Marchello-Nizia,« Un problème de linguistique textuelle : la classe des éléments joncteurs de propositions », in Martin Robert (éd.), Études de syntaxe du moyen français, Paris, Klincksieck, 1978 b, pp. 33-40.

2  Nous pensons particulièrement aux études de C. Buridant, d’E. Llamas Pombo, ainsi qu’à celles d’A. Lavrentiev (voir la bibliographie ci-dessous).

3  C. Marchello-Nizia (1978 a, p. 42) : « […] ce qui se révèle fondamentalement dans l’étude de la ponctuation, c’est la singularité de chaque manuscrit. Même lorsque deux ou plusieurs manuscrits offrent des versions presque identiques (elles ne le sont jamais totalement) du même « texte », jamais la ponctuation n’est la même, et elle diffère toujours largement d’une leçon à l’autre, d’un copiste à l’autre ».

4  S’appuyant sur la définition du sens large de la ponctuation de N. Catach (1994, pp. 7-8), A. Lavrentiev (2000, pp. 25-27) distingue trois niveaux pour les signes de ponctuation et les marques de ponctuation : le niveau des mots, celui des unités syntaxiques et communicatives et celui du texte. Les signes de ponctuation désignent tous les signes ajoutés à l’intérieur du texte tels que le point, le comma, la barre oblique, et les marques de ponctuation sont les « outils » qui participent à l’organisation graphique du texte par le jeu de l’aspect différent des lettres et des espaces. Parmi les outils de niveau textuel, les initiales, les majuscules et les blancs sont les marques généralement les plus usitées.

5  Malheureusement les grammaires médiévales sont les grammaires du latin, et le premier traité de ponctuation d’E. Dolet est daté du XVIe siècle. Soulignons que selon M. Hubert (1972, pp. 61-65), même dans les grammaires anciennes, le vocabulaire « technique » afférant à la ponctuation est incertain, voire parfois insaisissable, ce qui rend le sujet complexe.

6  Face aux 500 paragraphes établis arbitrairement par Nathalis de Waily dans l’édition de la Conqueste de Constentinoble de Villehardouin, D. Poirion (1978, p. 45) pense que les lettrines des manuscrits contiennent des indications essentielles sur la lecture et l’interprétation des œuvres à l’époque des copistes, les effacer, c’est un peu comme faire passer un bulldozer sur un champ de fouilles archéologiques.

7  Pour plus de détails, voir R. Straub, David Aubert, escripvain et clerc. Faux titre : Études de la langue et littérature françaises, Amsterdam-Atlanta, Rodopi, pp. 75-87.

8  Je voudrais exprimer ma vive gratitude à Madame Nathalie Coilly, conservateur de la Bibliothèque de l’Arsenal, qui m’a facilité l’accès aux manuscrits.

9  Notre corpus est un peu inégal. Le ms. Arsenal 3483 et le ms. Arsenal 6328 ne présentent que trois folios, alors que le ms. Arsenal 3489 en présente quatre. En matière de mise en page, les trois textes sont tous disposés sur une colonne. Précisons que le ms. Arsenal 3489 est à une colonne de 29 lignes en regard du ms. Arsenal 6328 à 24 longues lignes tracées.

10  Nous emploierons dans notre analyse suivante le symbole « Ø » pour signifier l’absence de signe, « . » pour le signe point, « / » pour le signe barre oblique, « ¶ » pour le signe pied-de-mouche, la lettre « M » pour majuscule et la lettre « m » pour minuscule. Notre étude exclura la combinatoire « signe zéro + Majuscule » au niveau inter-propositionnel.

11  Il existe deux éditions de la première partie du Roman de Perceforest : l’édition pionnière mais partielle de J. Taylor en 1979 et l’édition complète de G. Roussineau en 2007. Si G. Roussienau entreprend la réédition de cette partie, c’est parce que l’édition de J. Taylor s’est arrêtée au fol. 182 v, soit environ 41% de la première partie du roman (440 folios). Les deux éditions utilisent le ms. Bibl. Nat. fr. 345 comme manuscrit de base.

12  Dans le prologue de la première partie du Roman de Perceforest, à savoir le ms. 3483, f. 10r-10v : « … [10 r] ./ Par le commandement et ordonnance de treshault/ tresexcellent/ et trespuissant prince/ et mon tresdoubté seigneur./¶ Phelippe par la grace de dieu/ duc de bourgoingne/ de lothrijk/ de brabant et de lembourg/ conte de flandres/ d’artois/ et de bourgoingne/ palatin de haynnau/ de hollande/ de zeellande et de namnur/ marquis du saint empire/ seigneur de frise/ de salins/ et de malines./ Je David Aubert comme [10 v] l’escripvain/ me suis emploié de mettre au net et en cler françois certaines anciennes histoires que l’en puet et doit nommer selon le contenu d’icelles les premieres croniques d’angleterre/ … »

13  Pour plus de détails, voir G. Roussineau, Perceforest, quatrième partie,tome I, Genève, Droz, 1987, pp. XXVII-XXXI. Il est à noter que l’édition est basée sur le ms. Bibl. Nat. Fr. 109.

14  Pour plus d’informations, voir A. et E. Molinier, Chronique normande du XIVe siècle, Paris, Renouard, 1882, pp. 45-47.

15  « [1 r] ./ Par le commandement et ordonnance de treshault tresexcellent et trespuissant prince/ et mon tresredoubté seigneur./ Phelippe par la grace de dieu. duc de bourgoingne. de lothrijk. de brabant. et de lembourg./ Conte de flandres. d’artois. et de bourgoingne. palatin/ de haynnau. de hollande. de zeellande. et de namur. marquis du saint empire. seigneur de frise. de salins. [1 v] et de malines./ Les croniques de france/ d’angleterre/ de flandres et d’aultres contrees/ Commençans l’an de nostreseigneur Jhesucrist/ Mil deux cens quatrevings et seze/ Et fenissans l’an mil trois cens soixantedix./ Ont esté mises au net par david aubert clerc/ l’an de grace mil quatrecens cinquante noeuf./ »

16  N. Catach distingue trois types de ponctuation : la ponctuation des mots, la ponctuation syntaxique et communicative, et la ponctuation du texte ou mise en page.

17  Nous suivons la terminologie de C. Marchello-Nizia (1978 b, p. 33) en évitant d’employer le mot « phrase » compte tenu de l’ambiguïté notionnelle de ce mot.

18  Nous reproduisons fidèlement la ponctuation médiévale et la segmentation graphique ou agglutination-déglutination graphique que N. Andrieux-Reix appelle séquence graphique (1997, p. 290). Soulignons que pour des raisons de lisibilité, nous avons décidé de développer les abréviations en toutes lettres en les soulignant.

19  J’emprunte cette expression à C. Marchello-Nizia (1978 a, p. 44).

20  G. Ouy, « La ponctuation des premiers humanistes français », in La ponctuation. Recherches historiques et actuelles (Actes de la Table Ronde Internationale CNRS, mais 1978), t. II, Paris, GTM-CNRS-HESO, 1979, pp. 70-71.

21  Dans notre thèse, basée sur le chapitre I de la quatrième partie du Roman de Perceforest, nous constatons que le narrateur du manuscrit Arsenal 3489 fait souvent en sorte que l’unité narrative coïncide avec l’étendue du discours direct pour signaler le changement de locuteurs dans un dialogue.

22  Dans notre thèse, le chapitre I du manuscrit Arsenal 3489 nous offre 5 occurrences qui marquent assez souvent le retour au récit et l’alternance de locuteur. Cette combinatoire délimite régulièrement des propositions non dépendantes et des séquences composées « subordonnée- principale ».

23  Nous avons recours à l’édition de G. Roussineau (2007, p. 69), basée sur le ms. Bibl. Nat. fr. 345 pour la compréhension du texte : « …ausquelles nopces chacun doibt tenir qu’il y eut grant plenté de nobles princes de l’une partie et de l’autre. Entre lesquelz il y fut le conte Guillame de Haynnau, qui eut espousee la fille a Karlon de Valois qui fut frere audit Beau Roy. »

24  C. Buridant, « Le strument et et ses rapports avec la ponctuation dans quelques textes médiévaux », in A.-M. Dessaux-Berthonneau (éd.), Théories linguistiques et traditions grammaticales, Lille, Presses universitaires de Lille, 1980, p. 20.

25  Dans cette construction introduite par le participe passé « reservé », on peut se demander s’il s’agit d’une proposition participiale ou d’un syntagme prépositionnel. Étant donné le participe passé « reservé » ne s’accorde pas avec le sujet « la roine genievre », on est en droit de conclure que le participe passé « reservé » fonctionne ici comme préposition invariable. Le glossaire de l’édition de G. Roussineau nous confirme l’emploi prépositionnel de « reservé » (G. Roussineau, Perceforest, quatrième partie, t. 2, Genève, Droz, 1987, p. 1389).

26  G. Ouy (1979, p. 67) dans son article a cité un passage de la Doctrina punctandi de Gasparino Barzizza qui explique explicitement la fonction de liaison du point : « Punctus copulativus est qui complet viam copule ; ut ferro . peste . fame . vinclis . algore . calore ; Punctus enim ponitur inter omnia ista loco copule». (Traduction de E. Llamas Pombo (2007, p. 22) : Le « point copulatif » est celui que l’on emploie en fonction d’union : comme dans ferro . peste . fame . vinclis . algore . calore ; entre tous ces mots, le point fonctionne comme un lien.)

27  À notre sens, la ponctuation forte délimite en général des unités syntaxiquement autonomes, ayant un sens plus ou moins complet, alors que la ponctuation faible sépare plutôt des unités incomplètes ni syntaxiquement ni pour le sens.

Bibliographie

 Corpus

ms. Arsenal 3483

ms. Arsenal 3489

ms. Arsenal 6328

 Études

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Pour citer cet article

Huei-Chen Li, « La ponctuation dans quelques manuscrits de David Aubert », paru dans Loxias, Loxias 30, mis en ligne le 09 septembre 2010, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=6390.


Auteurs

Huei-Chen Li

Huei-Chen LI est docteur en sciences du langage à l’Université de Strasbourg. Ses recherches portent sur la ponctuation médiévale et la linguistique historique. Elle fait également des études comparatives franco-chinoises sur le processus de formation des mots.