Loxias | Loxias 4 (mars 2004) Identités génériques: le dialogue |  Identité générique: le dialogue 

Béatrice Périgot  : 

Le dialogue théorisé au XVIe siècle : émergence d’un genre entre dialectique et littérature

Résumé

Il serait faux de dire que le dialogue naît à la Renaissance : le dialogue semble naître avec Platon, forme et fond. D’autre part, il ne cesse de ressurgir, servant à exposer les positions d’orateurs philosophes, de rhéteurs subversifs, des Pères de l’Eglise puis de certains philosophes du Moyen Âge. Pourtant, au début du XVe siècle, il est perçu comme un genre éminemment « renaissant », porteur de toutes les valeurs que l’humanisme exalte, utilisé avec ce même enthousiasme par les humanistes de tous les pays d’Europe. En France, c’est entre 1550 et 1570 surtout que le dialogue fleurit. Cependant, en tant que genre, le dialogue n’a fait l’objet, dans l’Antiquité, d’aucun ouvrage théorique particulier. Il n’est pas absent des spéculations critiques, mais c’est au XVIe siècle que le dialogue émerge peu à peu comme genre autonome.

Index

Mots-clés : dialectique , dialogue, dispute, humanisme, Renaissance

Chronologique : XVe siècle , XVIe siècle

Texte intégral

1Il serait faux de dire que le dialogue naît à la Renaissance. Pour la littérature occidentale, le dialogue naît avec Platon et apparaît déjà achevé, forme et fond. D’autre part, il ne cesse, à partir de Platon, de ressurgir, servant à exposer les positions d’orateurs philosophes comme Cicéron, de rhéteurs subversifs comme Lucien, servant de vecteur aux débats des Pères de l’Eglise puis de certains philosophes du Moyen Âge comme Boèce ou Nicolas de Cues. Pourtant, dès que le dialogue est utilisé par les premiers humanistes italiens, au début du XVe siècle, il est perçu comme un genre éminemment « renaissant », porteur de toutes les valeurs que l’humanisme exalte, et il est utilisé avec ce même enthousiasme par les humanistes de tous les pays d’Europe. En France, c’est entre 1550 et 1570 surtout que le dialogue fleurit.

2Cependant, en tant que genre, le dialogue n’a fait l’objet, dans l’Antiquité, d’aucun ouvrage théorique particulier. Il n’est pas absent des spéculations critiques, puisque Platon, Aristote, Cicéron, Lucien en parlent, mais c’est au XVIe siècle que le dialogue émerge peu à peu comme genre autonome et qu’on sollicite les textes, en particulier ceux d’Aristote et de ses commentateurs, pour tirer de leurs écrits une théorie cohérente du dialogue.

3C’est donc par la théorie que, nous semble-t-il, le dialogue entre en littérature1, et c’est à une exploration de cette théorie que je voudrais m’attacher. Nous examinerons trois traités qui, au XVIe siècle, traitent du dialogue. Cette démarche n’est pas chronologique. En effet, comme c’est souvent le cas en littérature, la théorie suit la pratique. Ce n’est que dans la deuxième partie du XVIe siècle qu’en France comme en Italie, on écrit des traités sur le dialogue, alors que la plupart des dialogues de la Renaissance ont déjà été écrits. Nous utiliserons trois traités :

4- le De optimo genere disputandi colloquendique de Vallambert, écrit en 1551, et qui a été récemment redécouvert2 ;

5- le De dialogo de Carlo Sigonio, qui date de 15623 ;

6- le Discours sur le dialogue du Tasse, écrit à partir de 1579 et publié en 15864.

7Pour les humanistes qui écrivent ces textes théoriques, la définition du dialogue se pose de deux manières différentes : il s’agit d’une part de tenter d’analyser la composante dialectique du dialogue, d’autre part de lui donner un statut poétique, et les deux analyses doivent être faites en fonction des canons antiques. La référence à l’Antiquité va tellement de soi qu’elle n’est jamais analysée comme telle ni justifiée.

8Commençons par la composante dialectique. La première préoccupation des humanistes n’est pas tellement d’inventer le genre du dialogue, mais de fabriquer une alternative à la dispute. La dispute est l’outil omniprésent de la pensée médiévale. Elle se présente encore, au XVe et au XVIe siècles, sous plusieurs aspects : il y a d’une part la méthode scolaire. La dispute est l’exercice obligatoire de l’Université : les étudiants s’entraînent à traiter des questions, quelles qu’elles soient et dans tous les domaines, sous forme d’une thèse posée par l’un, réfutée par l’autre, et qui fait l’objet d’une synthèse, d’une détermination par le maître. Ils s’entraînent aussi, simplement, à la sagacité et à la virtuosité logique par des exercices purement formels qui sont les disputes obligationnelles et les sophismes, exercices qui se sont beaucoup développés à partir du XIVe siècle. La fin des études est, d’autre part, sanctionnée par une dispute complète où le futur maître se détermine sur des questions importantes. Ensuite, la quaestio disputata est devenue, depuis le XIIIe siècle, la manière écrite habituelle sous laquelle on propose des théories, en théologie mais aussi en droit et même dans des domaines scientifiques. La Somme théologique de saint Thomas est tout entière composée de questions ainsi traitées. Enfin, se développent, parallèlement, des disputes entre maîtres, où ceux-ci débattent en public de grandes questions qui leur sont soumises.

9Cependant, le formalisme de la logique médiévale a peu à peu orienté les disputes vers des débats extrêmement techniques, incompréhensibles pour le commun des mortels. De plus, les enjeux de carrière, de prestige personnel ont pris tant de place que le débat est devenu un combat qui ne possède plus la sérénité permettant de confronter vraiment des idées entre elles. Les grandes disputes sont devenues, au XVIe siècle, le lieu de manifestations fort peu scientifiques : on interrompt les débatteurs par des cris, on les applaudit ou on s’oppose à ce qu’ils disent, les grands maîtres qui débattent ne veulent pas perdre la face devant leur interlocuteur, si bien que les séances sont souvent fort perturbées.

10C’est donc contre la dispute que s’élabore le dialogue humaniste. On veut sortir le débat de la sphère des spécialistes où l’on trouve qu’il s’enferre, et le rendre au public, à ce que le siècle suivant appellera l’honnête homme. Le dialogue est le moyen d’humaniser la dispute. Mais, en même temps, c’est aussi avec la dispute que doit compter le dialogue. En effet, une institution aussi puissante que la dispute a forcément des répercussions sur les habitudes de pensée. Les humanistes, par leur formation universitaire, sont nourris de logique scolastique et n’envisagent un débat que conçu avec les armes de la dialectique. C’est donc avec cet arrière-plan qu’ils théorisent d’abord le dialogue. Tout l’arsenal dialectique est constamment sollicité, rappelé et les théoriciens n’insistent en fait sur les aspects que nous appellerions « littéraires » que pour contrebalancer le poids énorme que la dispute a dans leur conception de ce qui n’est pas encore un genre mais demeure un art de la discussion.

11Le De optimo genere disputandi colloquendique de Vallambert en 1551 est caractéristique de cet état d’esprit. On voit Vallambert chercher à contourner le modèle de la disputatio pour lui substituer un type de dialogue qu’il définit comme « copiosus » (riche, abondant, plein de copia rhétorique), « gravis » (sérieux), mais surtout « quietus », « pacatus » (c’est-à-dire apaisé) à la manière des dialogues de Cicéron5, et c’est Cicéron qui constitue l’essentiel de la référence dans ce traité.

12Mais Vallambert ne distingue pas encore clairement un genre du dialogue de la simple méthode disputative ; il s’intéresse au dialogue comme procédé mais non pas encore comme genre. C’est ce que montre d’ailleurs son titre, que nous pourrions traduire en utilisant le titre de l’essai III, 8 de Montaigne : « de la meilleure manière de conférer » car disputare et colloqui sont ici simplement des doublets, qui renvoient à des manières de discuter dont la différence tient seulement aux circonstances : la dispute est publique, le colloque est familier, privé.

13Vallambert considère qu’il a existé historiquement trois façons de discuter : la méthode académique et socratique, qui consiste à poser des questions et à douter de tout, la manière péripatéticienne, qui a consisté à supprimer le doute et à mettre de l’ordre dans le discours ; la méthode stoïcienne, qui se caractérise par un art de la subtilité et de la brièveté. Ces distinctions sont importantes pour nous car elles nous montrent que d’emblée, la méthode socratique est assimilée à celle de la Nouvelle Académie, c’est-à-dire à la méthode des philosophes sceptiques de la tradition platonicienne tardive. Chaque fois que les humanistes évoquent Socrate, ils en font d’ailleurs un personnage qui doute de tout et qui remet en cause le savoir. Ce n’est donc pas d’abord le dialogue platonicien qui sert de référence, avec ses prises de position philosophiques et ses procédés « littéraires », mais la méthode socratique en elle-même, détachée des dialogues et perçue comme une manière dialectique de pratiquer le doute systématique. C’est cette méthode qui vient s’opposer à la méthode péripatéticienne, celle d’Aristote. Vallambert propose donc une analyse dialectique qui présente les équivalences suivantes :

14Socrate = scepticisme = question sans réponse / Aristote = dogmatisme = conclusion certaine. Les stoïciens sont surtout là pour évoquer une troisième voie, celle d’une dialectique subtile, qui fait entrer du procédé dans les deux autres méthodes, plus idéologiques, mais c’est surtout entre les deux premières que se situe l’opposition.

15Or, Vallambert ne choisit pas parmi ces méthodes et selon l’habitude syncrétiste des humanistes, il affirme que la meilleure manière est celle de Cicéron, qui a réussi à mélanger les trois manières précédentes pour arriver à un art de la discussion écrit dans une langue élégante, dans un style incisif et brillant, qui évite l’agressivité et réussit à dire vraiment quelque chose en évitant de tomber dans le doute systématique. Bref, Cicéron sert plus à définir une non-dispute qu’à faire émerger véritablement un genre. Le dialogue, selon Vallambert, apparaît avant tout comme une manière abstraite de se comporter dans la discussion, manière amicale placée sous le signe de la bonne volonté, que cette manière s’applique à une œuvre écrite ou à une discussion réelle. Certes, dans la seconde partie, intitulée De optimo genere colloquiorum familiarum, il évoque non seulement des manières de discuter mais des procédés de composition proprement littéraires ; cependant, il s’en tient encore à des procédés rhétoriques plaqués sur une méthode dialectique, et ne voit pas encore comment faire du dialogue un genre.

16Le saut véritable est accompli par Carlo Sigonio dans son De dialogo, et cela est dû à un élément essentiel : la redécouverte de la Poétique d’Aristote6. La Poétique d’Aristote, en effet, n’était pratiquement pas connue au Moyen Âge, et elle est redécouverte assez tard par rapport aux autres ouvrages du Stagirite. C’est dans l’édition de Lyon de 1549, édition en latin, que la Poétique, accompagnée de la Rhétorique à Alexandre et de la Rhétorique à Théodecte, est publiée pour la première fois. Vallambert ne citait pas Aristote ; en revanche, Sigonio le cite abondamment et cela change tout. En effet, avec Sigonio, les grands cadres théoriques sont trouvés pour que le dialogue accède à la dignité de genre. D’ailleurs, dans son exposé même, Sigonio utilise la méthode aristotélicienne. Il progresse, comme le faisait la tradition médiévale, en divisant la matière de son traité pour établir à la fois une définition et une classification.

17Il commence ainsi par exprimer une distinction essentielle : tout ce que les Anciens ont écrit, ils l’ont écrit soit dans une « exposition simple », soit avec le désir d’imiter. En effet, dit-il, soit c’est l’auteur lui-même qui exprime son avis, soit, c’est une persona qui lui sert de substitut. Et Sigonio, pour que tout soit clair, précise que ce qu’il vise n’a rien à voir avec l’imitation dont parle Cicéron au livre II du De Oratore quand il préconise d’imiter les meilleurs orateurs ; il s’agit bien de remplacer l’orateur par un personnage librement choisi. Il n’est donc pas question, dit-il, de peindre en imitant Le Titien mais d’imiter la réalité au point qu’on confonde le vrai et le faux. On aura compris qu’il ne s’agit pas d’imiter un modèle mais qu’imitation, ici, signifie fiction. C’est la mimesis d’Aristote. Ce terme est essentiel parce qu’il confère à la notion de fiction une aura antique qui va lui permettre de devenir pertinente. En effet, cette notion de fiction qui nous est si habituelle, ne s’impose que difficilement. Le Moyen Âge, fort peu préoccupé par la rhétorique, n’avait, comme théorie poétique que celle qu’il tirait de l’Art poétique d’Horace7, et ce sont deux vers d’Horace sur la nécessité de mêler le doux à l’utile qui vont être à l’origine de la première théorie de la fiction8. Or, ces vers vont être, au Moyen Âge, à l’origine d’une analyse qui, loin de privilégier la fiction, affirme qu’il y a des œuvres « utiles », les œuvres qui aident l’homme à progresser dans le spirituel, et les œuvres plaisantes, agréables, qui sont des amusements sans intérêt. La seule manière que le Moyen Âge connaisse pour joindre l’utile à l’agréable, c’est de faire que les fictions, celles de Chrétien de Troyes par exemple, ne soient pas seulement agréables, mais présentent un « plus haut sens », sens caché, secret, à découvrir derrière l’apparence, et qui donnera de l’utilité à la fiction. Autant dire qu’on n’est pas prêt à admettre la fiction pour elle-même, et la seule fois où Sigonio emploie le mot fictus, c’est associé à falsus, faux, pour évoquer l’invraisemblance d’une situation9. Le « fictif », c’est le mensonge, et on voit le chemin qu’il faut parcourir pour le faire admettre. La notion de mimesis, en revanche, permet à Sigonio une liberté d’analyse plus grande. Il précise ainsi que quand on suit ce genre d’imitation, on ne se comporte pas comme un orateur mais comme un poète. Nous voici désormais en littérature : Sigonio a bien compris que le dialogue ne devient un genre que s’il ne se contente pas de procédés rhétoriques mais qu’il élabore une certaine fiction. Il ajoute même un élément essentiel :

Si dans le premier cas nous œuvrons à notre utilité, dans le second, c’est au plaisir d’autrui que nous œuvrons10.

18Il s’agit bien de la distinction entre les deux éléments que nous venons d’évoquer : l’utile et l’agréable. En donnant droit de cité au plaisir, à la delectatio littéraire que dispense l’écrivain, Sigonio fait bien la part entre la disputatio, qui relève de la philosophie ou de la théologie, et le dialogue, qui relève du plaisir littéraire. C’est donc par le biais de la mimesis que le plaisir, toujours vu au Moyen Âge comme illégitime, comme une gratuité au mieux oiseuse, au pire dangereuse, fait son apparition. Cette question continue d’ailleurs à tracasser les théoriciens. Il n’est que de voir la façon dont La Fontaine justifie toujours ses fables en précisant qu’elles sont, certes, des fictions - il emploie le mot de « mensonges » - mais des mensonges « utiles11 », et toute histoire sans morale est encore vue, au XVIe siècle, comme un divertissement sans intérêt. Sigonio est donc obligé de longuement démontrer cette distinction de l’orateur, qui ne pratique pas la mimesis, et du poète, qui travaille dans la fiction, parce qu’il sent la difficulté de considérer comme « poétique » un genre en prose comme le dialogue. Il passe ainsi de longues pages à montrer que la mise en scène qu’un orateur comme Cicéron déploie dans ses discours, quand il veut démontrer l’innocence d’un accusé, par exemple, n’est pas la même chose que cette imitation qui fait sortir de situations réelles.

19On ne se rend pas compte, quand on manie comme allant de soi les catégories de la critique littéraire élaborées au XIXe siècle, à quel point la classification des genres a été difficile à établir et combien la référence antique rend les choses complexes. Ainsi Sigonio semble, malgré sa volonté de rigueur aristotélicienne, ne pas trouver d’axe directeur pour son analyse, sans doute parce que ses références sont trop nombreuses et trop hétérogènes. Ainsi, utilisant une distinction trouvée chez Proclus dans un commentaire de Platon, il affirme qu’il y a trois types de « dictions » :

20- l’une qui contient de l’action et de l’imitation : ce sont les comédies et les tragédies ;

21- l’une qui contient une narration sans imitation : ce sont les dithyrambes ;

22- l’une qui est un mélange des deux premières, comme l’œuvre d’Homère12.

23Ce n’est pas ici l’analyse aristotélicienne qui prévaut, avec la grande distinction du narratif et du mimétique. La Poétique récemment redécouverte, n’est pas encore le cadre de référence antique obligé. Ainsi, les œuvres épiques d’Homère ou de Virgile sont bien vues comme des narrations, mais elles contiennent aussi de longs dialogues en discours direct qui sont étudiés pour eux-mêmes dans les cours de rhétorique que donnent les humanistes et l’analyse de Proclus contribue à brouiller un peu plus la conception que Sigonio voulait dégager du dialogue comme genre autonome.

24Après avoir passé en revue les divers genres qui ressortissent ou non à l’imitation, Sigonio en vient à cette première définition : quand les écrivains choisissent d’écrire sur des sujets philosophiques mais en utilisant l’imitation, ils font des dialogues13.

25Nous avons dit plus haut que le modèle dialectique dominait la méthode d’investigation de Sigonio. Celui-ci se heurte donc à la difficulté de créer une analyse littéraire à partir d’une analyse philosophique et d’élaborer une distinction entre les deux domaines. Quand on expose un sujet tout seul, ajoute-t-il, en descendant de l’universel au particulier, on emploie la déduction ou syllogisme, et on aboutit à la science, au savoir indubitable ; en revanche, quand on expose un sujet à deux en remontant du particulier à l’universel, on pratique l’induction, c’est-à-dire un type de recherche qui aboutit à des résultats seulement probables, et c’est cela que l’on appelle le dialogue.

26Cette analyse est à la fois littéraire dialectique : le Moyen Âge connaissait bien la distinction aristotélicienne, élaborée dans les Premiers Analytiques, entre le raisonnement déductif, certain et scientifique, et le raisonnement inductif, seulement probable. Mais Aristote ne disait pas que l’induction aboutissait au dialogue. Inversement, le Moyen Âge ne disait pas que la vérité de la dispute était seulement probable, c’est-à-dire incertaine. Convaincus que l’homme n’avait pas accès à la vérité absolue de la science, les intellectuels du Moyen Âge se contentaient d’une vérité seulement probable, celle de la dispute, mais croyaient fortement à cette vérité probable. Ils avaient confiance dans la capacité de la raison à accéder à la vérité, et « probable » au Moyen Âge, a son sens plein de « qui peut être prouvé ». À la Renaissance, ces certitudes sont balayées et le probable n’a plus que la signification d’une vérité approximative.

27Si l’analyse de Sigonio semble à la fois littéraire et philosophique, c’est qu’il élabore, avec le dialogue, le modèle d’un genre qui atteint à une vérité approximative et qui établit une mimesis littéraire, par opposition implicite à un genre qui serait aussi « probable », mais non littéraire, la dispute universitaire. On le voit dans la citation suivante :

Bien que le dialogue soit une sorte d’image de la dispute dialectique, cependant, il réclame plus d’ornements et de figures que le débat des dialecticiens14.

28Ici intervient une autre conviction propre à la Renaissance, la croyance selon laquelle les philosophes antiques ont toujours fait la part entre un enseignement pour tous et un enseignement secret, réservé aux seul initiés. Sigonio affirme qu’il est sûr qu’Aristote a écrit sous la forme syllogistique ses écrits acroamatiques (ou cachés) mais qu’il a écrit sous forme dialoguée ses textes exotériques, destinés à un public plus large et moins philosophe. La dispute serait donc réservée au premier type de textes, le dialogue au second. Mais par le biais de ces distinctions, Sigonio, après avoir consacré de nombreuses pages à mettre en place, pas à pas, la notion de fiction, glisse de nouveau vers l’aspect dialectique du dialogue, essentiel dans son esprit, et perd de vue ce qui nous intéresse, à savoir la notion de genre littéraire, pour revenir au dialogue comme discussion réelle.

29Mais quand il résume sa pensée, Sigonio affirme que si l’on suit Aristote, trois arts informent le dialogue (c’est le verbe qu’il emploie) : l’art des poètes, l’art des orateurs, l’art des dialecticiens.

30On voit le piège théorique qui guette Sigonio : quand il se rapproche d’Aristote, il effleure, avec les cadres théoriques mis en place dans la Poétique, les éléments d’une analyse littéraire, mais il est aussi absorbé par le caractère dialectique des écrits d’Aristote, et il perd de vue la littérarité des dialogues ; quand il se rapproche de Cicéron, en revanche, il est plus proche de textes rhétoriques qui contiennent dans leur composition des éléments proprement littéraires, mais Cicéron est un orateur et non un poète, ce qui fait de nouveau perdre de vue la notion théorique de mimesis.

31C’est quand Sigonio étudie les arts qui entrent dans la composition du dialogue que de nouveau, on croit qu’il va traiter de la spécificité « poétique » du dialogue. Il établit, en effet, que la vérité de l’historien n’est pas celle de l’orateur, que de l’un à l’autre, on passe du vrai au vraisemblable, et que l’auteur de dialogue use de la même liberté que le poète. Il précise, par exemple, que Platon, dans ses dialogues, n’a pas raconté ce qui s’était vraiment passé, ni mis en scène ce qu’avait vraiment dit Socrate ou l’un de ses interlocuteurs, mais de nouveau, c’est la dialectique qui revient au premier plan, cette dialectique,

sans laquelle un bon écrivain de dialogue ne pourra ni accomplir la difficile et subtile tâche de la dispute, ni connaître la technique adaptée pour demander un sujet de discussion ou pour l’imposer, pour tirer du réel des arguments probables, ou pour presser l’adversaire, ou pour échapper à ses pièges comme on se tire des lacs d’un chasseur, c’est-à-dire ne pourra pas connaître tous les instruments qui sont ceux du dialogue comme ils sont ceux de la dialectique15.

32Sigonio nous semble ainsi sans cesse atteindre ou perdre de vue la définition du genre. La connaissance qu’il a d’Aristote lui permet, par exemple, de répondre à Diogène Laërce qui affirmait que le dialogue se définit ainsi :

un échange de questions et de réponses sur des sujets qui touchent à la philosophie et à la société, en conservant le decorum des personnes qui sont introduites, et sans négliger les ornements du discours16.

33Cette définition, qui paraît assez conforme à ce qui a été dit, ne satisfait pas tout à fait Sigonio, qui objecte que cette définition ne développe pas le type d’imitation que met en œuvre le dialogue ni ne le distingue des autres types d’imitation. On voit bien que Sigonio a compris qu’il convient de chercher les caractéristiques structurelles du dialogue et de dégager les spécificités du genre. Tantôt, partant de la définition qu’Aristote donne de la tragédie, il se demande pourquoi on n’utiliserait pas ce schéma proposé par Aristote pour définir n’importe quel type d’imitation. Mais paradoxalement trop prisonnier du modèle aristotélicien, il ne parvient pas à développer ses intentions. Tantôt, il trouve chez Aristote les moyens de différencier les différents types d’imitation, ce sont les choses, les instruments et les modes. Mais ces divisions aristotéliciennes très abstraites doivent être traduites pour devenir compréhensibles : les choses - ce sont les actions- ; les instruments - ce sont le type de discours, l’harmonie et le rythme- ; les modes - c’est l’insertion du dialogue, qui peut être directe, narrative ou mixte.

34Et en développant ces trois critères, Sigonio se perd, nous semble-t-il, dans des éléments rhétoriques qui ne sont pas propres au dialogue. Il explore, certes, des points très intéressants, par exemple, de l’ornementation rhétorique qui, dans l’ordre de l’elocutio, contribuent à définir le dialogue, mais il ne réussit pas, après avoir mis en place cette notion essentielle de fiction, à cerner davantage la spécificité du genre.

35Un autre piège le guette, caractéristique des humanistes : c’est que dans sa volonté de théorisation à l’antique, Sigonio s’attarde sans cesse à étudier les dialogues de Platon. Or, ceux-ci sont sans conteste des modèles du genre et ils seraient suffisants pour élaborer une bonne théorie, mais citer des textes de Platon en illustration de propos d’Aristote est bien dans le goût de la Renaissance, mais ne manque pas de créer des grincements dans la théorie.

36Quand Sigonio propose un historique du dialogue, il le fait remonter à Zénon d’Elée, c’est à dire à avant Platon, il affirme rapidement que Lucien a quelque peu corrompu le dialogue, parce qu’il lui a fait perdre de sa dignité (ce qui montre combien, pour Sigonio, le dialogue demeure, comme il l’était pour Vallambert, un genre « grave ») ; mais c’est à Cicéron qu’il s’arrête comme à celui qui a perfectionné au plus haut point le dialogue. Les dialogues de Cicéron sont, certes, des dialogues littéraires, qui se prêtent bien à l’analyse, mais la référence à Cicéron est aussi un passage obligé de la culture humaniste. Il faut dire que Cicéron est le maître du dialogue même si, en l’occurrence, Sigonio ne semble pas considérer le modèle cicéronien comme fondateur. Il ne dit pas, par exemple, combien les dialogues cicéroniens sont didactiques et peu dialogiques, combien les interrogations y sont feintes et combien les réponses sont plus importantes que les questions.

37Il eût été beaucoup plus fécond d’utiliser des textes contemporains du XVe ou du XVIe siècle, mais chez Sigonio, comme chez les autres théoriciens, le modèle antique absorbe tout. Notre théoricien réussit, en tout cas, même s’il tâtonne encore dans la mise en place des spécificités du genre et se perd un peu dans la rhétorique du dialogue, à faire progresser la notion de fiction.

38Mais il semble incontestable que Le Tasse, dans son Discours sur le dialogue, fait faire un grand pas à la définition du genre. Le discours du Tasse, d’une remarquable concision, est un discours en italien, dont le titre original est Discorso sull’arte del dialogo. Ce discours a été écrit par un écrivain qui est l’auteur, non seulement de l’immortelle Jerusalem délivrée, mais aussi de nombreux dialogues et aussi de nombreux autres discours théoriques, entre autres sur le « poème héroïque ». Ce discours, quoiqu’en langue vulgaire, est bien un discours savant, inspiré plus que jamais, lui aussi, par Aristote et par son analyse de la tragédie. On peut mesurer combien le cadre aristotélicien, avant de devenir celui qui permettra l’émergence du théâtre classique, est fécond pour définir de manière générale toute littérature narrative ou mimétique, qui ne sera plus tributaire, pour sa définition, de la seule versification. Mais ce discours est le travail à la fois d’un théoricien et d’un praticien de la littérature. Et on comprend mieux encore qu’avec Sigonio que ce discours doit servir à fabriquer des dialogues, non à les lire. C’est le but qu’aura encore souvent la théorie au XVIIe siècle. Elle n’est pas un point de vue de lecteur mais d’écrivain et s’inscrit - implicitement ici - dans la perspective d’une littérature en langue vulgaire capable de concurrencer la littérature antique. Le Tasse montre donc comment écrire de beaux dialogues.

39Il ne s’attarde pas à démontrer comme Sigonio la notion d’imitation, qui semble désormais évidente. Il reprend la distinction déjà évoquée par son prédécesseur, après Aristote, entre les trois manières d’insérer le dialogue : soit de manière représentative, directement en action comme au théâtre (ce qu’il appelle dramatikôs) soit de manière historique ou narrative, en rapportant de façon indirecte les paroles, soit enfin de manière mixte en mêlant récit et discours.

40Mais Le Tasse établit une distinction qu’il n’invente peut-être pas mais qui constitue un saut théorique par rapport à Sigonio. Il fait la différence, dans les œuvres d’imitation, entre celles qui imitent les actions des hommes et celles qui imitent leurs discours. Or, dit-il, le dialogue imite les discours, et les conséquences théoriques de cette constatation sont extrêmement importantes. Désormais, la distinction n’est plus floue entre dialogue et théâtre. Le théâtre imite des actions, le dialogue des paroles.

41Le Tasse va même fort loin puisqu’il affirme qu’on ne peut assimiler le dialogue à une comédie ou à une tragédie dans la mesure où, selon lui, seule une action peut être comique ou tragique. Or, dans le dialogue, l’action est toujours en plus et ne saurait être structurelle. Il laisse donc de côté l’analyse de l’humour dans le dialogue mais fait faire un gros progrès à la définition du genre en précisant qu’un dialogue n’a pas besoin de la scène pour exister. On voit combien il a raison quand on assiste à une représentation du Neveu de Rameau, où le metteur en scène se donne beaucoup de mal pour animer une scène en réalité étrangère au propos, et on peut inversement mieux comprendre que, dans les scènes de salon des Précieuses ridicules ou des Femmes savantes, ce n’est pas ce que disent les participants à la scène qui compte, car cela relèverait du genre du dialogue, mais ce qu’ils font en se réunissant pour parler, et ce que cette réunion contient d’enjeux pour l’action, parce que dans ce cas, on est au théâtre.

42Le Tasse écarte aussi les vers, comme n’étant pas nécessaires au dialogue. Il aboutit ainsi à cette définition :

le dialogue est imitation du discours, écrit en prose, sans représentation, pour l’utilité des citoyens et des philosophes17.

43Le Tasse n’oublie pas non plus le modèle dialectique, affirmant par exemple que si le dialogue n’a pas besoin des vers, c’est que

les syllogismes et les inductions, les enthymèmes et les exemples ne sauraient être convenablement mis en vers18.

44Alors même qu’il a fondé d’emblée son analyse sur la notion d’« imitation », il établit une différence entre le poème, qui a pour objet la fiction, et le dialogue, qui a pour objet une question. On aura compris qu’il s’agit ici de la quaestio théorique qui est au départ d’une dispute. Ainsi, dit Le Tasse, de même qu’il faut veiller à l’unité d’action dans une tragédie, de même il faut veiller à l’unité de question dans un dialogue. À partir de cette unité de question, le dialogue avance par acceptation ou refus des propositions avancées par l’interlocuteur. Chaque fois qu’on refuse, on doute, on n’accepte pas ce qui a été avancé. Le doute est donc le moteur du dialogue et se traduit par cette alternance de questions/réponses. Une telle définition du dialogue rend compte fort pertinemment de la dimension très dialectique du dialogue humaniste.

45Le Tasse est encore très perspicace lorsqu’il distingue les dialogues où c’est celui qui sait qui pose les questions, de ceux où c’est celui qui ne sait pas qui interroge. La première catégorie est celle des dialogues platoniciens, avec le personnage de Socrate, mais s’étend aussi à tous les dialogues où le maître pose des questions pour faire avancer le débat ; la seconde celle des dialogues cicéroniens où c’est le disciple qui pose des questions. Le Tasse affirme que les premiers sont nettement supérieurs aux seconds, mettant ainsi implicitement en relief la fermeture des dialogues cicéroniens, dont les questions aboutissent seulement à l’information d’un interlocuteur ignorant.

46On voit ici combien la distinction entre imitation des actions et imitation des discours a permis de rendre l’analyse plus fine et de sortir de l’admiration de Cicéron. Il est frappant, néanmoins, de remarquer que Le Tasse n’envisage pas la situation, pourtant fréquente à la Renaissance, d’interlocuteurs égaux, qui s’interrogent sur une question et cherchent à parvenir, chacun à sa manière, à la vérité. Si Le Tasse n’évoque pas ce type, c’est peut-être parce qu’il n’a pas de modèle antique puisque ce type de dialogue dérive directement du schéma des disputes médiévales.

47Ce Discours, comme les deux précédents traités, est divisé en deux parties, et distingue la structure du dialogue de la forme utilisée. Nous ne nous sommes guère attardés sur la forme jusqu’à présent. Disons seulement qu’on retrouve dans les trois traités, la préoccupation d’insérer avec soin et habilement les circonstances, mais surtout de faire apparaître le caractère des personnages de telle façon que ceux-ci soient à la fois vraisemblables et cohérents, analyses qu’on retrouvera à propos du personnage de théâtre. Sur le style, on voit se créer, peu à peu, une stylistique de la prose : le dialogue doit avoir la simplicité de style des épîtres, mais doit aussi s’adapter aux personnages qu’il fait parler. Associé à la lettre pour le style, le dialogue se doit donc d’être simple. Mais l’objection est toujours que Platon, le modèle absolu, n’a pas du tout recherché la simplicité, et qu’il faut donc naviguer entre une théorie du style simple et un modèle un peu trop génial, qui a subverti toutes les règles.

48Le plus intéressant, en tout cas, me semble être la construction, au fil de ces recherches humanistes, d’une analyse proprement structurale du dialogue. Récemment, des théoriciens modernes, cherchant à étudier l’essai comme genre littéraire, ont été amenés à distinguer un genre du « dictionnel » à côté du genre « fictionnel » qui engloberait tout ce que nous appelons littérature. Il est intéressant de voir surgir, avec cette analyse du dialogue, un genre dictionnel qui cependant appartient de plein droit au fictionnel, et dans lequel ce n’est pas l’action qui compte mais les paroles.

49Nous pourrions ajouter, cependant, qu’à notre avis, les dialogues du XVIe siècle sont encore plus riches que leur théorie. Ils occupent tout l’espace entre le dictionnel pur et le fictionnel direct qu’est le théâtre. Il y aurait mille confrontations fécondes à établir. Nous nous contenterons simplement, pour finir, de relever un élément amusant, celui de la situation référentielle ambiguë que fait naître le dialogue.

50Le premier dialogue de Guy de Bruès19, écrit en 1557, se présente comme un texte où les personnages parlent « dramatikôs », théâtralement, sans insertion dans un récit. Or, voici ce que cela donne pour les circonstances :

Ronsard : Bien donc allons : N’est ce pas à ce prochain ruisseau que voy là où tu me veux mener ?

Baïf : Ouy.

Ronsard : Il fait grand chaud.

Baïf : Nous voicy desjà à l’umbre.

Ronsard : Entrons plus avant, affin que nous puissions parler en plus grande liberté, sans que personne nous destourne.

Baïf : Nous sommes icy en beau lieu car nous voyons davant nous la belle praîrie, et de l’autre costé, l’epesseur des arbres empeche qu’on nous puisse voir. Mais n’est ce pas Nicot et Aubert qui viennent vers nous ? […] Il s’avancent fort et avec un maintien (ce me semble) de nous vouloir aborder.

Ronsard : Ils sont desjà si pres que nous serions de mauvaise grace si nous ne les allions recueillir. Vous soiez les bien venus treschers amys20.

51On se rend compte aussitôt que le dialogue emprunte ici tellement aux procédés du théâtre que, privé de représentation, il devient en même temps quelque peu aveugle, puisqu’on décrit des lieux et des gens que le lecteur ne réussit pas à apercevoir et dont les agissements paraissent fort artificiels. Ici, ce que l’on est obligé d’analyser comme une maladresse montre en même temps une situation inédite, où les circonstances, étant non référentielles, sont absurdes.

52Le dialogue des humanistes semble ainsi souvent coincé entre fiction et diction. Mais cette particularité contingente souligne peut-être une spécificité structurelle. Le dialogue est une fiction, mais qui renvoie à la réalité des problèmes philosophiques ou moraux qu’il soulève. Seule la situation est fictive, mais le contenu des débats, lui, tient au réel, à ce que le Moyen Âge aurait appelé l’utile ; les personnages, le plus souvent, sont aussi, comme chez Platon, comme chez Cicéron, des personnages réels mais en même temps, ils sont fictifs puisqu’on peut faire tenir à un personnage appelé Ronsard des propos que n’a jamais tenus et que n’approuverait même pas le poète réel du même nom. Il y a donc peut-être, dans le dialogue, encore une part de mystère que les théoriciens de la Renaissance n’ont pas su élucider et qui tient à cet entre-deux entre fictionnel et dictionnel, qui tient aussi, mais c’est la même chose, à la double origine dialectique et rhétorique de ce qu’on peut vraiment appeler un genre.

Notes de bas de page numériques

1 Il va de soi que « littérature » et « littéraire » sont des termes étrangers aux analyses du XVIe siècle, mais nous cherchons justement à voir quels sont les concepts qui, en s’imposant au XVIe siècle, commencent à tracer les contours de ce qu’on appellera plus tard « littérature ».
2 De optimo genere disputandi colloquendique ad Janum Gontaldum Bironem, G. Morel, Paris, 1551. Cf. l’article de M.-M. Fontaine, « quelques traits du cicéronianisme lyonnais : Claude Guilliaud, Florent Wilson, Barthélemy Aneau et Simon de Vallambert », Gargnano, Palazzo Feltrinelli, 1994, pp. 35-71.
3 Carlo Sigonio, De dialogo liber, J. Zilet, Venise, 1562. Il existe de ce dialogue une édition moderne italienne, Carlo Sigonio, Del dialogo, a cura di Franco Pignatti, Prefazione di Giorgio Patrizi, Roma, Bulzoni, 1993, mais nous suivons l’édition originale.
4 Nous utilisons l’édition française : Discours sur le dialogue, traduction de Florence Vuillemier, notes de Guido Baldassari, Préface de Nuccio Ordine, Paris, Les Belles Lettres, 1992, qui s’appuie sur l’édition critique de Guido Baldassari, Il discorso tassiano « Dell’arte del dialogo », in La Rassegna della letteratura italiana, LXXV, (1971), pp. 93-134.
5 Op. cit., p. 5.
6  Sigonio a d’ailleurs donné à l’université de Padoue un cours sur la Poétique d’Aristote que Le Tasse a suivi : cf. V. Zaercher, Le dialogue rabelaisien : Le Tiers Livre exemplaire, Genève, Droz, 2000, p. 162.
7 Des allusions à L’art poétique d’Horace apparaissent ainsi chez Isidore de Séville, Jean de Salisbury (Policraticus, I, 8) et chez Dante. Voir William K. Wimsatt, Jr. and Cleanth Brooks, Literary criticism, a short history, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1957, p. 155.
8 Art Poétique, v. 343-344 : « Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci / Lectorem delectando pariterque delectando ».
9 C. Sigonio, op. cit., f. 26: « Prorsus, ut sunt, falsa et ficta existimes ».
10 Op. cit., « Si quidem in eo studio ad nostram utilitatem, in hoc ad alienam delectationem elaboramus ».
11 Cf. par exemple la fable IX, 1, « Le dépositaire infidèle », où l’on trouve ces vers directement inspirés par Horace : « Et même qui mentirait / Comme Esope et comme Homère, / Un vrai menteur ne serait. / Le doux charme de maint songe / Par leur bel art inventé, / Sous les habits du mensonge / Nous offre la vérité. »
12 Op. cit., f. 3r° : « …cum ait, dictionis a Platone tria genera tradi, unum, quod actionem contineat, et imitationem, cujusmodi comoediae sunt, et tragoediae, alterum, quod narrationem sine imitatione, quale eorum est, qui dithyrambos scribunt, atque res gestas nullo inducto sermone litteris produnt, tertium, quod ex utrisque confusum est, qualis est Homeris poesis, quae tum rerum narrationibus, tum personarum imitationibus interpuncta est. »
13 Op. cit., f. 4 r°.
14 Op. cit., f. 14 r°: « Quanquam autem dialogus quaedam est dialecticae disputationis imago, ornamentorum tamen, ac luminum plus, quam ipsa dialecticorum pugna, atque altercatio poscit. »
15 Op. cit., f. 9 r°: « …sine qua nec acutum ac difficile disputationis munus praeclari scriptor dialogi sustinere, nec idoneam poscendae, aut ponendae quaestionis consuetudinem, aut probabilia quae sint, ex rebus eliciendi, aut adversarii urgendi, aut ex ejus forte insidiis, tamquam ex laqueis elabendi, quae omnia ut dialecticae, sic dialogorum sunt instrumenta, rationem cognoscere poterit. »
16 Op. cit., f. 9 v°: « …dialogum definiri, qui ex percontatione, et responsione conflatus sit de aliqua rerum earum quae in philosophia versentur, et civilium, servato personarum, quae inducuntur, decore, nec neglectis prorsus ornamentis orationis. »
17 Op . cit., p. 72.
18 Ibid.
19 Guy de Bruès, Dialogues contre les Nouveaux Académiciens, que tout ne consiste point en opinion, Paris, Guillaume Cavellat, 1557. Nous utilisons, pour les références, l’édition moderne américaine, The Dialogues of Guy de Bruès, é. Panos Paul Morphos, Baltimore, The John Hopkins Press, 1953.
20 Op. cit., p. 3-4.

Pour citer cet article

Béatrice Périgot, « Le dialogue théorisé au XVIe siècle : émergence d’un genre entre dialectique et littérature », paru dans Loxias, Loxias 4 (mars 2004), mis en ligne le 15 mars 2004, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=37.


Auteurs

Béatrice Périgot

Professeur de Littérature française à l’Université de Nice Sophia-Antipolis et membre du CTEL. Spécialiste du XVIe siècle et du dialogue, elle a en particulier publié Dialectique et littérature : Les avatars de la dispute entre Moyen Âge et Renaissance, Champion, 2005, outre de très nombreux travaux sur cette période et des traductions du latin et de l’italien. Béatrice Périgot nous a quittés en juin 2009.