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Christophe Bernard :
La loterie à Babylone et La bibliothèque de Babel (Borges) : vers une lecture complexe
Résumé
La Méthode, cadre cognitif élaboré par le sociologue et philosophe Edgar Morin, fournit des moyens nouveaux d’intellection et d’investigation : l’objet est considéré dans la complexité de ses composantes, et non plus, tel que dans la tradition cartésienne, analytiquement déconstruit. Une analyse de deux textes de Borges, La Loterie à Babylone et La Bibliothèque de Babel, placés sous cette perspective nouvelle, permet de saisir les enjeux et le fonctionnement d’une représentation débouchant sur l’infini. L’objectif est de fournir une lecture complexe des axiomes inscrits dans la matrice du texte, et qui posent et repoussent simultanément les limites de la totalité.
Abstract
The Method, cognitive framework elaborated by the sociologist and philosopher Edgar Morin, gives new intellection and investigation means: the object is considered in the complexity of his components, and no more, as in the Cartesian tradition, by an analytic deconstruction. An analyse of two Borges’s texts, The Lottery in Babylon and The Library of Babel, both placed under this new perspective, allows us to seize the stakes and the functioning of a infinity’s representation. The objective consists to give a complex reading of the text’s axioms that are simultaneously setting and exceeding the totality’s limits.
Index
Mots-clés : Babel , bibliothèque, Borges, loterie, Morin, pensée complexe
Texte intégral
1La ville de Babylone s’inscrit à l’intérieur de l’esprit occidental contemporain de deux façons paradoxales. Les historiens la situent au centre de l’empire antique de la Mésopotamie, royaume vieux de 50 siècles, dont le roi le plus connu se nommait Nabuchodonosor. À cette civilisation puissante, nous devons la naissance de l’écriture, des sciences et des littératures, développées aux abords de l’Euphrate et du Tigre, à l’endroit de l’actuelle Iraq, par les deux peuples sémites résidents de Babylone : les Sumériens et les Akkadiens. Mais Babylone – qui en hébreu se dit Babel – est aussi le lieu de toutes les imaginations, l’objet inépuisable de la représentation artistique. Elle est un symbole dont le sens est convoqué dès la lecture des premières pages de la Genèse :
La terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots. Or en se déplaçant vers l’orient, les hommes découvrirent une plaine dans le pays de Shinéar et y habitèrent. Ils se dirent l’un à l’autre : « Allons ! Moulons les briques et cuisons-les au four. » Les briques leur servirent de pierre et le bitume leur servit de mortier. « Allons ! dirent-ils, bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche le ciel. Faisons-nous un nom afin de ne pas être dispersés sur toute la surface de la terre. » Le Seigneur descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils d’Adam. Eh, dit le Seigneur, ils ne sont tous qu’un peuple et qu’une langue et c’est là leur première œuvre ! Maintenant, rien de ce qu’ils projetteront de faire ne leur sera inaccessible ! Allons, descendons et brouillons ici leur langue, qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres ! De là, le Seigneur les dispersa sur toute la surface de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. Aussi lui donna-t-on le nom de Babel car c’est là que le Seigneur brouilla la langue de toute la terre, et c’est là que le Seigneur dispersa les hommes sur toute la surface de la terre.1
2La Babylone imaginaire abritait donc tous les peuples, toutes les langues. Elle matérialisait l’idée d’origine. Elle était le lieu de tous les signes, le foyer multiple des significations. Elle était un ensemble uni, homogène, qui une fois éclaté par la volonté de Dieu généra le chaos des hommes. Cette ville incarne un pan des recherches esthétiques auxquelles s’est livré Jorge Luis Borges dans son œuvre littéraire. Nous voyons à travers sa Babylone le réel et l’imaginaire interagissant au sein d’une même représentation, le réel et l’imaginaire imposant au chaos l’ordre de leur harmonisation, de leur mise en forme. À travers Babylone transparaît l’un des principes fondamentaux de la complexité, au sens où l’entend le sociologue et philosophe Edgar Morin2. Ce principe définit l’existence, au sein d’une même unité, de la dualité. En effet, Babylone doit aujourd’hui son existence aux preuves scientifiques, à l’archéologie et à l’histoire des civilisations autant qu’aux rêves, à l’art et aux mythes. Au sein du mythe même subsiste aussi ce principe, ce dialogisme : la Tour de Babel devait élever ses constructions jusqu’au royaume de Dieu, au-dessus des cieux. À travers cette tour vivait l’idée de finir l’infini. L’essence complexe du symbole babylonien reflèterait donc l’esthétique de Borges, et ce, tout en y advenant ? Serait-il alors possible de croire d’abord, d’affirmer ensuite, que l’idée de cette tour pourrait tout autant s’étendre à celle d’une bibliothèque, ou d’une loterie, motif et lieu propres à l’écriture et à la pensée de Borges, et qui chez lui deviennent symboles de vastitude, de cycle et de prolongement ?
3Cette réflexion a pour objectif de répondre à une problématique précise, une problématique qui engloberait des enjeux communs aux deux textes à l’étude, soit La loterie à Babylone et La bibliothèque de Babel. Si nous nous arrêtons à ce choix, cela tient à une parenté évidente entre les deux textes, qui partagent la notion babylonienne et qui, comme nous le verrons, réfèrent l’un à l’autre, de manière certes allusive, mais répondant tout de même à un principe de transfictionnalité. Si les textes sont contigus dans le recueil, c’est qu’ils forment également un diptyque, ceci au niveau des thèmes, des enjeux et de leurs mécanismes fictionnels. Nous tenterons de répondre à notre problématique en nous aidant des outils propres à la méthode d’Edgar Morin. Morin, en effet, à développer un cadre méthodologique et cognitif applicable à chaque sphère du savoir, mais son utilisation, au niveau de la compréhension du texte littéraire, est encore préliminaire et au stade de la recherche3. Ce cadre d’investigation favorise une conceptualisation globale des éléments d’un système et embrasse ainsi, dans sa définition de l’objet, les composantes contradictoires et paradoxales, véritables heurts à la logique cartésienne. Les textes de Borges que nous abordons, vu leur nature impénétrable, inextricable et irrésoluble, répondent à la vision du monde de Morin, et constitue presque des applications, dans le champ littéraire, de La méthode – c’est ce qui sera, espérons-le, démontrer au terme de cette réflexion. Il faut cependant spécifier que la complexité se pose ici en tant que cadre général d’intelligibilité. Il ne s’agit pas d’isoler des éléments des œuvres, pour ensuite montrer en quoi ils répondent à des aspects précis de la méthode. La présence de la complexité sous-tend l’ensemble de l’analyse par son esprit général, et non pas par l’application directe de ses outils. La difficulté de manipulation que pose la méthode de Morin tient à rendre partout sensible la présence et l’emploi de ces outils, sans les isoler, les identifier ni les classer, mais plutôt en les reliant, en les articulant entre eux, aux textes et à notre pensée.
4Quels sont donc ces systèmes que nous étudions ? Cette circonscription est primordiale, car nous sommes ici en présence de phénomènes textuels denses et ramifiés, eux-mêmes issus de d’autres phénomènes et systèmes. Les deux microsystèmes que sont ces contes participent à des systèmes plus élargis : l’ensemble du recueil Fictions, l’ensemble de l’œuvre de Borges, l’ensemble de la littérature argentine, l’ensemble de la littérature mondiale, et ainsi de suite jusqu’à une progression infinie. Nous avons préféré nous concentrer sur les textes en soi, considérés à même leurs composantes internes. Ceci permet, entre autres, d’omettre toutes considérations ayant trait à des rapports de réception. Le lecteur, n’est pas impliqué en tant que composante de notre objet, ce que Borges propose pourtant en spécifiant que la Bibliothèque comprend « le récit de ta propre mort4 », ou encore en interpellant ainsi le lecteur : « Toi, qui me lis, es-tu sûr de bien comprendre ma langue ?5 » Nous considérons comme système ce qui a trait à la stricte représentation interne des textes ; plus précisément, ces deux entités fictives que sont la loterie et la Bibliothèque. Ce sont leurs interactions représentationnelles qui nous intéressent, ce qui se justifie par la parenté, à l’intérieur des textes (partiellement contenus l’un dans l’autre), du même symbole babylonien.
5Comment situer ces systèmes ? Ils proposent entre eux des ressemblances et des dissemblances. Ils se font écho l’un à l’autre. Dans La loterie à Babylone, il est écrit qu’« aucun livre n’est publié sans quelques divergences entre chaque exemplaire6 », dans La bibliothèque de Babel, Borges propose « que l’homme, que l’imparfait bibliothécaire, soit l’œuvre du hasard7 ». Les deux systèmes se subordonnent l’un à l’autre : l’imparfait bibliothécaire serait l’objet d’un hasard prévu par la loterie, alors que les livres de la Bibliothèque auraient déjà prédit au sein de ses innombrables ouvrages toutes les manifestations du hasard, tous les résultats de la loterie. Le principe générateur réside, tant pour la loterie que pour la Bibliothèque, dans l’idée de totalité. Or ce principe se distingue, à l’intérieur de chacun des textes, sur la question du temps. La loterie existe dans le temps, c’est un système en expansion, qui se complexifie à mesure que se complexifie le monde à l’intérieur duquel elle existe :
Mon père me rapportait qu’autrefois – parlait-il d’années ou de siècles ? – la loterie était à Babylone un jeu de caractère plébéien. Il racontait, mais je ne sais s’il disait vrai, que les barbiers débitaient alors contre quelques monnaies de cuivre des rectangles d’os ou de parchemin ornées de symboles. Un tirage au sort s’effectuait en plein jour, et les favorisés recevaient, sans autre corroboration du hasard, des pièces d’argent frappées. Le procédé était rudimentaire, comme vous le voyez8.
6La genèse de la loterie est issue d’une équation simple et qui intègre peu de ce que compose le monde où elle opère. Nous savons que l’équation se complexifie, jusqu’à englober de son influence magique l’ensemble des êtres et de la matière, « le cri d’un oiseau, les nuances de la rouille et de la poussière, les demi-rêves du matin9 ». Nécessairement, la multiplication des actions humaines développe et divise le système de la loterie, qui est reflet du monde, qui doit pouvoir le régler et le prévoir. Borges expose lui-même le rapport entre totalité et temps : « Tel est le schéma symbolique. En fait le nombre de tirage est infini. Aucune décision n’est finale, toutes se ramifient. D’infinis tirages ne nécessitent pas, comme les ignorants le supposent, un temps infini ; il suffit en réalité que le temps soit infiniment subdivisible, notion illustrée pas la fameuse parabole du Duel avec la tortue10. »
7Quant à la Bibliothèque, elle « existe ab aeterno11 », de toute éternité donc. C’est elle qui contient le temps. Dans les livres qui la composent reposent futur, passé, présent. Borges écrit, parlant d’un bibliothécaire de génie, « [qu’]il déduisit que la Bibliothèque est totale, et que ses étagères consignent toutes les combinaisons possibles des vingt et quelques symboles orthographiques (nombre, quoique très vaste, non infini), c’est-à-dire tout ce qu’il est possible d’exprimer, dans toutes les langues. Tout : l’histoire minutieuse de l’avenir12 ». Or, si on place l’idée d’une Bibliothèque finie en perspective avec l’idée d’une Bibliothèque éternelle, nous tombons dans le paradoxe. Le temps se décompose essentiellement à l’infini, et la Bibliothèque doit relater et crypter tout ce temps, dans ses moindres rapports à l’espace, et ce, depuis toujours et pour toujours. Le narrateur résout lui-même ce paradoxe en insinuant « cette solution : la Bibliothèque est périodique et illimitée. S’il y avait un voyageur éternel pour la traverser dans un sens quelconque, les siècles finiraient par lui apprendre que les mêmes volumes se répètent toujours dans le même désordre – qui, répété, deviendrait un ordre : l’Ordre13. »
8Tant pour la loterie que pour la Bibliothèque, la question de l’espace, dans son rapport à la totalité, est résolue par celle du temps. Si le sort du moindre grain de sable doit être prévu par la loterie, c’est que la propension de celle-ci dans le temps se fait parallèlement à sa propension spatiale. Le développement du système dans le temps en favorise l’extension et l’expansion dans l’espace : les prérogatives de la loterie régissent progressivement tout ce qui peut être engendré, tout ce qui est. La Compagnie « ordonnera de jeter un saphir dans les eaux de l’Euphrate […] de retirer tous les siècles un grain de sable à la plage, ou de l’y ajouter14 ». Ainsi, nous nous retrouvons avec la loterie face à un mouvement qui intègre dans et par le temps tout ce que le temps contient. Le problème de la Bibliothèque diffère : il s’avère que le système ne se distingue pas de l’espace. Borges ouvre le conte ainsi : « L’univers (que d’autres appellent la Bibliothèque)15 ». La Bibliothèque est, de prime abord, un espace total. Nous pouvons affirmer qu’elle n’existe pas dans le temps, mais qu’elle contient ce temps. En effet, non seulement elle existe ab aeterno – ce qui règle le problème de sa chronologie –, mais elle prévoit de plus, par les livres qui l’habitent, le temps dans toutes ses variations, dans toutes ses manifestations, dans toutes ses influences, ses inflexions et ses mouvements. Pour contenir cette infinité de temps, il faut une infinité d’espace. Or cet espace a besoin de l’infinité du temps pour que son contenu soit infini. Nous sommes en pleine récursivité. Morin, d’ailleurs, propose à ce sujet l’idée que les phénomènes se situent dans des cycles, des boucles, des rétroactions ; c’est un principe systémique de base, qui postule qu’un système génère ce qui l’alimente, et qui renvoie au principe d’organisation16. Le caractère illimité et périodique de la Bibliothèque n’épouse-t-il pas, de la manière la plus poétique, ce principe ?
9Nous essayons de démontrer que la réalité que reflètent ces deux systèmes, la loterie et la Bibliothèque, est de nature totale. La temporalité et la spatialité délimitent la nature, le monde, la totalité. Ce sont les deux instances qui forment, dans leurs interactions, dans les effets que l’une exerce sur l’autre, la « réalité ». Une Bibliothèque et une loterie qui se veulent totales doivent épouser avec perfection ces instances, dont l’une est de nature matérielle et l’autre de nature virtuelle. Ces contes proposent ainsi deux systèmes qui ont pour fondement cette dualité du matériel et du virtuel. Or, cette dualité est ici représentée telle une unité, telle l’unité la plus parfaite qui soit, ou du moins la plus totale. Nous faisons ici un deuxième pas vers la théorie dialogique telle que l’entend Morin : « Le principe dialogique peut être défini comme l’association complexe (complémentaire/concurrente/antagoniste) d’instances, nécessaires ensemble à l’existence, au fonctionnement et au développement d’un phénomène organisé17 ». Le dialogisme ne se retrouve cependant pas exclusivement dans ce rapport du temps à l’espace, dont l’unification totale s’incarne dans nos deux systèmes. Le dialogisme se retrouve également au cœur de l’interaction existant entre temps et espace. Le fait est que cette interaction peut prendre des aspects infinis, qu’elle revêt tous les possibles, contient toutes les paroles, prévoit chacune des pensées, supporte toutes les strates du réel. Elle détermine le mouvement, la mort, la musique, le sommeil et les calculs.
10De cette interaction découle nécessairement une interaction entre ordre et désordre. On fixe dans des lois ce qui n’obéit qu’à une puissance aléatoire. L’ensemble infini des interactions entre temps et espace ne peut donc se restreindre aux seules limites de la logique, de la rationalité. Borges écrit que la loterie est « une intensification du hasard, une infusion périodique du chaos dans le cosmos18 », que cette doctrine est « l’interpolation du hasard dans l’ordre du monde, et qu’accueillir des erreurs n’est pas contredire le hasard, mais le corroborer.19 » Il parle, dans La bibliothèque de Babel, de « la nature informe et chaotique de presque tous les livres. […] pour une ligne raisonnable, pour un renseignement exact, il y a des lieues et des lieues de cacophonies insensées, de galimatias et d’incohérences20 ». L’incompréhensible n’est pas exclu de l’idée de totalité. La répétition, durant 410 pages, des signes M V C, peut être signifiante, le sens de l’acte du « rêveur qui brusquement s’éveille et étouffe de ses mains la femme qui dort à ses côtés21 » peut être éclairé à la lumière d’une loi. Tout comme le fait Edgar Morin22, Borges accepte l’inexplicable, il en fait un élément de sens et l’une des couches profondes du monde.
11Il y a un autre paradoxe qui définit le principe de totalité. Nous avons posé, plus haut, la question de la situation des systèmes. Comment se situent-ils dans le monde ? La loterie entre dans le monde par un rapport d’intériorité, alors que la Bibliothèque s’y intègre par un rapport d’extériorité. En effet, nous pouvons affirmer que la Bibliothèque et la loterie font l'objet de deux mouvements inverses. La première existe en soi et régit des activités qui lui sont internes – nous le verrons plus loin. Elle délimite, à l'intérieur de son système de signes, les activités humaines. Quant à la loterie, elle est une interpolation, elle vise au départ à codifier l’événementiel, à le placer sous le signe d’une loi. Elle est un code créé par l'homme, un code devant inclure l’ensemble des activités humaines à l'intérieur de ses limites. Or, nous l'avons vu, ses limites sont en expansion. Elles se forment parallèlement à l'expansion des limites humaines. La loterie en arrive à la « toute puissance de la Compagnie », elle « gagne sa valeur ecclésiastique, métaphysique23 ». C'est une entité qui s'adapte, qui fait montre, dans sa volonté englobante, de stratégie. À l'intérieur du système se définissent constamment de nouveaux paramètres, se ramifient de nouvelles corrélations de causalité : plus le monde se complexifie, plus le système qui l'épouse se complexifie. Le stade final de ce processus de complexification est perceptible à travers l’idée que le système en vient à dépasser la volonté de l'homme, il en vient à absorber l'homme à titre de simple paramètre, au même niveau que les nuances de la rouille ou le cri de l'oiseau. Non seulement l'homme en est venu à créer un système qui le dépasse – de là sa valeur ecclésiastique, métaphysique –, mais en plus, les mécanismes qui régissent le fonctionnement de ce système en viennent à se dissoudre complètement. Borges écrit
que ce fonctionnement silencieux, comparable à celui de Dieu, provoque toute sorte de conjectures. L'une d'elle insinue abominablement qu'il y a des siècles que la Compagnie n'existe plus et que le désordre sacré de nos vies est purement héréditaire, traditionnel ; une autre juge au contraire que la Compagnie est éternelle et professe qu'elle durera jusqu'à la dernière nuit, où le monde périra aux mains du dernier dieu. Celle-ci affirme que la Compagnie est toute-puissante, mais que son champ d'influence est minuscule [...] Cette autre, par la bouche d'hérésiarques masqués, déclare qu'elle n'a jamais existé et jamais n'existera. Une dernière, non moins ignoble, exprime qu'il est indifférent d'affirmer ou de nier la réalité de la ténébreuse corporation, parce que Babylone n'est autre chose qu'un infini jeu de hasard24.
12Il est notoire que cette incertitude complique derechef la nature de la loterie. Nous pouvons par exemple spéculer que chacune des conjectures que Borges énonce résulte de quelques tirages. Ce qui est certain, c'est ce que prouve cet extrait : la loterie est un possible. Elle peut être, elle peut ne pas être. Mais même dans le non-être, elle existe dans la pensée de ceux qui en doutent. N'est-ce pas là la façon la plus complexe d'exister, le plus bel exemple de dialogisme : une entité qui intègre à la fois dans son essence son être et son non-être ? Babylone, par l'existence simultanée de sa Bibliothèque et de sa loterie, pose ainsi son principe de totalité qui, bien que doté du plus grand hermétisme, contient tout de même la dualité du problème humain. La totalité génère l'humain et en est générée.
13La problématique d’un système à l’intérieur duquel rien n’existe en soi est, à ce stade-ci de notre discours, clairement engagée. Tout, dans ces systèmes, est relationnel et relatif. Nous en arrivons à ce point de l’analyse où se pose la question de l’autonomie de ces systèmes. Morin insiste sur le principe qui postule que la notion d’autonomie est d'une nature complexe du fait qu'elle est indissociable de la notion de dépendance25. Le concept d’autonomie ne peut donc exister qu'en maintenant en son centre ce paradoxe. La loterie et la Bibliothèque, s'il est dit que ce sont, à titre de totalité, des systèmes autonomes, n'en demeurent pas moins rattachées à une multitude de phénomènes auxquels ils participent, qui les dépassent et les intègrent. Les livres qui parcellent les rayons infinis de la Bibliothèque de Babel ne sont pas écrits par la main des hommes. Nous l’avons déjà dit, ils existent en soi, ils forment un système complet. Cependant ce système total reflète le monde : amputer ce monde, c’est amputer ce système. Les livres ne peuvent exister que dans la mesure où ils ont un objet à refléter. En ceci, ils forment un système dépendant. Ces livres existent également à travers un code : « le nombre de symboles orthographiques est vingt-cinq26 », « la ponctuation a été limitée à la virgule et au point. Ces deux signes, l’espace et les vingt-deux lettres de l’alphabet, sont les vingt-cinq symboles suffisants énumérés par l’inconnu27. » La Bibliothèque ne peut embrasser la totalité du monde que par l’intermédiaire de ce code, qu’à l’intérieur des limites combinatoires permises par celui-ci. De plus, chaque livre se conforme à un format unique, « chaque livre a quatre cent dix pages ; chaque page, quarante lignes, et chaque ligne, environ quatre-vingt caractères noirs28. » Spécifions encore une fois que c’est là que réside la faille dans la représentation de Borges : le nombre de ces combinaisons est fini, mais elles doivent exprimer l’infini. Borges s’en sort habilement par l’idée de cycle, de période, qui boucle le système sur lui-même et propose ainsi une infinité d’infinis. Les dépendances auxquelles se soumet la loterie sont encore plus évidentes. À l’origine, à un moment où les Babyloniens ne réglaient le hasard que dans ses possibilités combinatoires les plus primitives, c’est de l’esprit et de la volonté humaine que fut issue la loterie. Ayant atteint une certaine expansion, la Compagnie gagna d’autres prérogatives, plus impersonnelles, mais l’action de l’homme était toujours convoquée au moment de réaliser les résultats des tirages. Ainsi, l’un d’entre eux « ordonnera de jeter un saphir de Taprobane dans les eaux de l’Euphrate29 ». Ce n’est que lors de l’effacement complet de ses mécanismes, de son essence institutionnelle, de la certitude de sa réalité, que la loterie s’extrait de sa dépendance humaine. Nous sommes là à l’apogée de sa propension. Arrivée au degré ultime de son autonomie, la loterie n’en demeure pas moins liée à l’action d’un agent, aussi fantomatique qu’il soit. Il s’agit évidemment de cette mystérieuse Compagnie.
14De la question de l’autonomie des systèmes découlent deux problèmes, celui de l’auto-éco-organisation et celui de la régulation. Le premier semble être un faux problème. Il est résolu à l’intérieur même de l’essence de nos systèmes. L’auto-éco-organisation signifie que le système trouve sa propre forme, les processus de sa propre formation dans le rapport qu’il entretient avec son environnement, de là le préfixe éco : « L’être vivant [extensible au concept de système], dont l’auto-organisation effectue un travail ininterrompu, doit se nourrir en énergie, matière et informations extérieures pour se régénérer en permanence. Son autonomie est donc dépendante et son auto-organisation est auto-éco-organisation30. » Tout système, nous dit Morin, contient des informations sur l'environnement au sein duquel il s'organise. Les deux systèmes que nous étudions partagent des caractéristiques communes avec le miroir. Ils sont des reflets du monde, comme le monde les reflète. Dans le cas de la Bibliothèque, elle ne fait pas que contenir une partie des informations sur le monde, elle les contient toutes. Et de toute façon, dans ce cas précis, qu’est-ce que le monde, la Bibliothèque elle-même ou tout ce dont elle traite ? Borges, en faisant de la Bibliothèque le seul lieu du monde, ne permet pas de distinguer ces deux pôles. La loterie pose différemment le problème de l’auto-éco-organisation. Tout comme la Bibliothèque, elle est indissociable de la notion de monde. La différence, c’est qu’ici le système détermine le monde qui le contient. La loterie est, de plus, un système de prévisibilité : elle doit connaître tout ce qui, dans le monde, peut advenir. Sa mécanique se compose donc nécessairement de ce qui compose son environnement.
15Quant au problème de la régulation – entendons ici ce que Morin place sous l’appellation de input et de output31 –, il fait partie intégrante de la problématique des systèmes. Les systèmes prévoient intrinsèquement l’entrée et la sortie des informations qu’ils auront à compléter. Ce double mouvement d’intégration et d’évacuation ajoute à l’amplitude de la Bibliothèque : les livres doivent parler de ce qui va disparaître et de ce qui va apparaître. Tout ce qui, à travers le temps, ajoute ou soutire au monde, participe à la constitution du système. Tout ce qui ajoute ou soutire au monde altère les influences de la loterie, ramifie son action et perfectionne sa forme. De nouveaux tirages doivent prévoir les morts et les naissances, les apparitions et les exils, les inspirations et les expirations. La régulation collabore à l’autonomie du système, du fait que les éléments qu’elle implique y soient intégrés, mais aussi du fait qu’elle assure la liaison entre le système et le monde. À la question de l’ouverture de ces systèmes, nous pourrions dire qu’ils échappent à l’entropie par un échange d’information et de matière, mais qu’à la différence d’un système plus simple, l’ouverture est ici contenue à l’intérieur du système même. Le système prévoit, contient et détermine ses entrées et ses sorties.
16Nous butons contre le problème de l’infini, contre sa difficile algèbre. Borges a dû se heurter au même problème. Comment rendre possible l’infini par l’intermédiaire d’un texte fini ? Le fait est que les textes de Borges sont suggestifs, ils laissent deviner l’infini, ils le présagent et l’insinuent. L’infini y miroite, mais ne s’y pose pas. En témoignent plusieurs choses, ne serait-ce que cette pesante incertitude que partage le narrateur des deux contes avec tous les habitants de Babylone. Cette incertitude elle-même contient des jeux de possibles, des équations d’infini, elle entre en compte dans les calculs de la totalité, dans les multiplications de reflets, dans leur relativité, dans les labyrinthes. Morin partage avec Borges ce refus : celui de rejeter l’incertitude. La pensée du premier répond aux principes esthétiques du second, au type de représentation que Borges construit, et l’incertitude est intégrée à cette pensée. Morin écrit ceci :
Mais la complexité ne comprend pas seulement des quantités d’unités et interactions qui défient nos possibilités de calcul ; elle comprend aussi des incertitudes, des indéterminations, des phénomènes aléatoires. La complexité dans un sens a toujours affaire avec le hasard.
Ainsi, la complexité coïncide avec une part d’incertitude, soit tenant aux limites de notre entendement, soit inscrite dans les phénomènes. Mais la complexité ne se réduit pas à l’incertitude, c’est l’incertitude au sein de systèmes richement organisés. Elle concerne des systèmes semi-aléatoires dont l’ordre est inséparable des aléas qui les concernent32.
17Ainsi, ancrer l’esprit et la méthode dans la rationalisation complète est une promesse d’insuffisance. À l’intérieur de ces deux contes, l’infini ne se pose pas. Il s’ouvre plutôt à l’intérieur de l’imagination, dans une forme dont la brièveté rend encore plus absorbante cette béance représentationnelle. Là est la clé : Borges ne représente pas l’infini, il représente une ouverture sur l’infini. La loterie à Babylone se conclut ainsi : « Babylone n’est autre chose qu’un infini jeu de hasards33. » Nous ne possédons rien hormis les règles de ce jeu. C’est en cela que les outils de la complexité permettent de dépasser ce que donne directement le texte. Il est possible d’étendre la suggestion représentationnelle : nous avons proposé des éléments d’analyse dont Borges ne parle pas objectivement, mais que sous-tendent les axiomes qu’ils proposent et leur agencement interactif. En cela, la méthode permet d’actualiser le texte d’une manière riche, fertile, certes incomplète : là est la beauté, il est impossible de saturer l’infini des arrêts de notre investigation. Morin parle d’une connaissance de la connaissance, d’une vie de la vie. Sa méthode nous permet d’aborder l’infini de l’infini. Cette infinité, nous la délimitons pour en faire un cadre. C’est à partir de cette délimitation que nous pouvons aborder l’autre aspect de la problématique initiale : le sujet. Le sujet possible. Auscultons brièvement les enjeux auxquels l’homme se confronte au sein de ces machines.
18Nous avons proposé que les textes mettaient de l’avant, au niveau représentationnel, l’incarnation d’un sujet à l’intérieur de tous les possibles. Cependant, il faut reconnaître que le sujet est lui-même un possible. Il est l’émergence de certaines équations opérées à l’intérieur des systèmes. Observons que dans les deux textes, Borges utilise une narration à la première personne. Nous avons une seule vision de ces systèmes. Nous sommes à l’intérieur d’une seule perception, d’une seule encyclopédie personnelle, ce qui ampute nécessairement la complexité des systèmes. Nous sommes dans ce que Morin appel le site du Je. C’est en situant son point de vue narratif à l’intérieur de ce site que Borges justifie le caractère partiel, subjectif, incertain et ouvert de sa représentation de l’infini. À la lumière de tout ce qui a déjà été dit, nous pouvons affirmer que l’incarnation du possible, pour le sujet, équivaut à sa propre désincarnation. La conscience des Babyloniens les place nécessairement en face de leur propre contingence : tous ils sont le fruit de hasards, parfois intéressés, puisque devant influer sur quelque autre force, quelque autre fait, parfois non. La vie des Babyloniens se plie donc au joug de la plus incontournable fatalité. Leurs actes, fruits de leur volonté illusoire, ne sont que calculs tout-puissants, quoique effacés. Borges, à ce propos, nous dit que « dans beaucoup de cas, la conviction que certaines joies étaient le fruit du hasard eût amoindri leur vertu ; pour parer à cet inconvénient, les agents de la Compagnie usaient de la suggestion et de la magie34. » Non seulement la vie d’un homme est le résultat de tirages, mais elle est de plus susceptible d’être les moyens dont use un tirage en vue de sa résolution. Il est dit dans le texte que « parfois un acte unique – l’assassinat public de C, la mystérieuse apothéose de B – venait génialement résumer un grand nombre de tirages35. » Tout est illusoire dans la vie des hommes, tout sert à assurer au système sa cohésion, l’homme est dépossédé de lui-même, l’impact de ses actes, de ses rêves, de sa mort est hors de son contrôle, propulsé dans une chaîne d’effets. De là la futilité de tout : pourquoi agir, pourquoi créer si la Bibliothèque contient déjà tout ? Nous pouvons lire cette phrase terrible : « L’écriture méthodique me distrait heureusement de la présente condition des hommes. La certitude que tout est écrit nous annule ou fait de nous des fantômes…36 » Ainsi, pour Borges, la totalité est pour l’homme le signe de sa perdition, de sa vacuité identitaire, de son non-sens.
19De plus, le sujet est aux prises avec le problème du signe. Aucun signe ne lui appartient en propre. Tout est prévu. Il est sans identité, puisque sans possibilité de signifier de manière autonome, originale et distinctive. Tout ce qu’il peut créer existe déjà à l’intérieur de la Bibliothèque. Les signes dépassent l’homme. C’est la raison pour laquelle une inscription fortuite, telle que « dhcmrlchtdj », dans une quelconque de ces langues dites secrètes, « renferme une signification terrible37 ». On parle d’un livre rédigé « en portugais, d’autres prétendirent que c’était du yiddish. Moins d’une siècle plus tard, l’idiome exact était établi : il s’agissait d’un dialecte lituanien du guarani, avec des inflexions d’arabe classique38. » Nous voyons le problème auquel est confronté l’individu : son langage est dans le monde, mais lui-même ne maîtrise pas le langage du monde. Sa lecture en est partielle, sa connaissance l’est aussi. Le chaos des signes mène au chaos des significations. Le chaos des significations mène au chaos du monde, puisque nous sommes dans un jeu de reflets. Pire encore, une vérité ne pourra jamais se targuer d’être absolue, car combien de livres la mettront en faute. Ainsi, tout système de croyances, de valeurs, tout espoir se voient relativisés, nuancés, pris en doute, jugés, pesés, démontés. Tout est disséminé, dissoluble, les sens s’échappent dans les variantes, dans les codes. L’homme est constamment dépouillé de ses réseaux de significations et de références. Il est ainsi livré à lui-même, à sa quête superflue :
Il fut beaucoup parlé des Justifications : livres d’apologie et de prophétie qui justifiaient à jamais les actes de chaque homme et réservaient à son avenir de prodigieux secrets. Des milliers d’impatients abandonnèrent le doux hexagone natal et se ruèrent à l’assaut des escaliers, pousser par l’illusoire dessein de trouver leur Justification. […] Il n’est pas niable que les Justifications existent (j’en connais moi-même deux qui concernent des personnages futurs, des personnages non imaginaires peut-être), mais les chercheurs ne s’avisaient pas que la probabilité pour un homme de trouver la sienne, ou même quelque perfide variante de la sienne, approche de zéro39.
20Borges insinue que M C V, répété durant 410 pages, porte peut-être un sens redoutable. Il n’est pas exclu que ce soit là la justification de quelqu’un. Le narrateur de La bibliothèque de Babel cite ce livre intriguant, plein d’une si apparente futilité. Mais qui sait, lui qui écrit en espagnol, peut-être que sans le comprendre est-il en train d’invoquer sa propre Justification ?
21Ce qui est certain, c’est que le sujet ne sera jamais qu’une part du tout. Aucun de ses actes ne peut échapper à la prévisibilité de la totalité. L’unique échappatoire dans cette explication réside en ceci : l’homme est un possible, et les livres contiennent tous les possibles. Il figure et contient lui-même, dans sa durée, un système de signes. Sa vie contient tous ce que les livres disent sur lui, elle matérialise le résultats de plusieurs tirages. Étudier un homme sa vie durant, ou encore s’observer soi-même, c’est se renseigner sur le monde, car cela renseigne sur le contenu d’une multitude de livres, sur les résultats nombreux du sort. Chacun représente un atome du tout et se charge de la même complexité. La part cognitive comprise dans cette illustration du principe hologrammatique, tel que le conçoit Morin (« On peut le présenter ainsi : le tout est d’une certaine façon inclus (engrammé) dans la partie qui est incluse dans le tout40 »), n’est pas à négliger pour le Babylonien. Mais les dédales du hasard et de l’écriture demeurent asphyxiants, c’est la raison pour laquelle notre premier texte se clôture sur une proposition « ignoble41 », notre second sur un « élégant espoir42 ». Les systèmes que trace Borges sont sans issues, sans émergences. En cela, ils réfléchissent une pensée beaucoup moins réconfortante que celle de Morin. Que peut émerger, pour le sujet et la conscience, de ces systèmes, sinon que l’horreur, l’espoir, leurs variantes et les variantes du hasard ? Rien, sinon dissolution et futilité. La représentation de l’homme au cœur de tous les possibles peut se soustraire à la représentation de la désincarnation de l’homme. Mais d’un autre côté, l’homme qui obéit au hasard se dégage de toute responsabilité, il se repose dans le caractère divin de sa destinée, alors que celui qui possède tous les livres jouit d’une inépuisable source de connaissance sur le monde et sur lui-même.
Notes de bas de page numériques
Bibliographie
BORGES, Jorges Luis, Fictions, traduit de l’espagnol par P. Verdevoye, Ibarra et R. Caillois, Paris, Gallimard (coll. Folio), 1999, 185 p.
MORIN, Edgar, Introduction à la pensée complexe, Paris, Éditions du Seuil (coll. Points essais), 2005, 158 p.
MORIN, Edgar, La méthode, tome I, La Nature de la nature, Paris, Éditions du Seuil (coll. Points essais), 1977, 405 p.
MORIN, Edgar, La méthode, tome II, La Vie de la Vie, Paris, Éditions du Seuil (coll. Points essais), 1985, 470 p.
MORIN, Edgar, La méthode, tome III, La Connaissance de la Connaissance, Éditions du Seuil (coll. Points essais), 1986, 246 p.
MORIN, Edgar, La méthode, tome IV, Les idées (Leur habitat, leur vie, leurs mœurs, leur organisation), Paris, Éditions du Seuil (coll. Points essais), 1991, 262 p.
MORIN, Edgar, La méthode, tome V, L’humanité de l’humanité (L’identité humaine), Paris, Éditions du Seuil (coll. Points essais), 2001, 360 p.
Pour citer cet article
Christophe Bernard, « La loterie à Babylone et La bibliothèque de Babel (Borges) : vers une lecture complexe », paru dans Loxias, Loxias 18, mis en ligne le 09 septembre 2007, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=1885.
Auteurs
Christophe Bernard est étudiant en maîtrise d’études littéraires à l'université Laval ; il prépare actuellement la rédaction d’un mémoire intitulé « Du langage historique à l'éthique structurale dans deux pièces de pièces de Bertolt Brecht, Mère Courage et ses enfants et La Vie de Galilée ».