Loxias | Loxias 3 (févr. 2004) Eclipses et surgissements de constellations mythiques. Littératures et contexte culturel, champ francophone (2e partie) |  Postface 

Gilbert Durand  : 

Postface

Résumé

Difficultés et réussites prometteuses des centres de recherches sur l’imaginaire

Texte intégral

1Chers amis, je dirai simplement que je suis très satisfait – et on ne l’est pas souvent dans l’Université – par ce que Arlette et Roger Chemain m’ont offert, c’est-à-dire la plus grande interdisciplinarité possible.

2Lorsque j’ai créé le premier centre de recherche sur l’imaginaire en 1966, je voulais à tout prix que ce ne soit pas un fragment d’Université. Si je me permettais un petit geste d’orgueil, j’évoquerais François Ier – je sais qu’il a mauvaise presse à Nice où vous connaissez le défi relevé par Ségurane – mais je me suis toujours méfié de l’Université en tant qu’institution pour l’avoir administrée pendant 30 ans au plus haut niveau, dans les commissions nationales des CNU, CNSU et divers comités. Je me suis toujours méfié de cette structure close particulièrement en France. Au Portugal, il est possible de passer d’une discipline à l’autre : un ami qui a soutenu une thèse sur un contemporain est devenu du jour au lendemain médiéviste. Mais cela ne peut se faire en France où l’on applique systématiquement le principe de La Bruyère : être d’une seule espèce. Malheureusement pour filer la métaphore, certains sont spécialistes d’une seule espèce de noyau d’une seule espèce de prunes. Ceux-là sont stériles. Donc je voulais reprendre le vieux rêve de François Ier qui entendait « torpiller » (limiter les pouvoirs de) la Sorbonne et a créé parallèlement le Collège de France. Je n’ai pas eu l’honneur d’être aussi bien compris, mais c’était un peu mon intention. Et que vous soyez si nombreux est une preuve de réussite.

3Nous comptons 52 centres de par le monde, ce qui représente tout de même un bon nombre de chercheurs. En supposant que la moitié ne soit pas des fumistes, des gens qui songent uniquement à se distraire, c’est une belle proportion. Nous avons créé ce qui ne se serait jamais fait au sein des seules Instances officielles. Cependant cela n’a pas été facile, en 1966, d’aller au Ministère et de demander des fonds pour un centre que je voulais créer et qui porterait le nom de « Centre de Recherche sur l’Imaginaire ». Le responsable sollicité qui était pourtant un collègue a failli s’évanouir quand il a entendu ce nom. Il m’a octroyé des crédits à condition que je ne m’appelle pas ainsi. Je suis revenu à la charge avec un autre titre inspiré d’ailleurs de Lévi Strauss : « Centre de Recherche en Anthropologie Culturelle ». Mes collègues de Grenoble étant atterrés par ce changement d’appellation, j’ai tout de même persévéré. Alors les Centres se sont multipliés. Ce qui m’inquiète est que dans certaines villes se dessine une fracture. Mais ceci est un signe de la vitalité des cultures. Un centre meurt, l’autre naît. Si François Ier a créé le Collège de France, il a eu des émules. D’autres ont créé l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Ses ressortissants ont beau habiter dans les greniers de la Sorbonne, ils ne sont pas membres de celle-ci. Une autre section est devenue « l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Humaines ».

4A Béatrice Bonhomme m’interrogeant sur la création de Centres des Arts, je réponds qu’il existe par exemple des études théâtrales ou architecturales brésiliennes en France. Une foule d’initiatives existent à l’intérieur de domaines spécialisés. Les Centres de Recherche et de Culture concernant l’Imaginaire ne sont pas des Ecoles avec un dogmatisme de type freudien, mais une réunion de gens qui cherchent par tous les moyens, freudiens compris, comment l’imaginaire fonctionne. Il sera fait référence à Heidegger et à Hölderlin qui a tenté de trouver les fondements mêmes de toute poétique possible : « Ce qui demeure, la poésie le fonde ».

5Je terminerai en vous remerciant d’être pluridisciplinaires, en vous encourageant à être pluriculturels ; vous avez permis de se retrouver à des canadiens, des musulmans sunites et Chiites, des musulmans d’Afrique Noire, de former une communauté internationale culturelle et religieuse. Je salue des Nord-Coréennes, des dames chinoises, ce qui est encourageant et permet de construire une véritable « société des nations » comme il fut dit jadis. Cela permet de voir quel pain nous pouvons partager en commun venant de cultures, de familles spirituelles différentes. Et cela sera je crois une petite partie de ma couronne céleste – dans le 7ème ciel où je compte bien aller – c’est ce qu’on m’a dit. Vous réalisez ici ce que j’ai toujours véritablement visé.

6J’ai économisé les liaisons avec les Universités, officiellement. Pour réformer l’Université, au moins depuis le XIIIe siècle, quand elle a basculé dans l’avéroïsme latin et grâce à la découverte d’Aristote, la réforme a réussi quand elle a eu lieu de cette façon-là, lorsqu’on a construit un autre édifice à l’extérieur. Le conseil que je donne et que m’avait donné un ancien maître est : « soyez à fond dans ce que vous faites, l’essentiel est d’exister ». A trois, quatre, à dix ou douze, constituez-vous en groupes de recherches et vous serez comme dit la chanson, « bien considérés parmi les considérés ». Si vous souhaitez créer des groupes de travail, ne vous encombrez pas de ce qu’on vous opposera jalousement, « agissez ». Ce sont mes dernières paroles.

7Propos transcrits par Claire Philippe

Pour citer cet article

Gilbert Durand, « Postface », paru dans Loxias, Loxias 3 (févr. 2004), mis en ligne le 15 janvier 2004, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=1866.


Auteurs

Gilbert Durand