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Sam Racheboeuf  : 

Éric Vuillard et la photographie –
L’album de notre modernité

Résumé

Depuis 2009 et la publication de Conquistadors, Éric Vuillard vient braconner en terres historiennes et passe au vitriol la chronique de notre modernité. Ses récits proposent de cette histoire des vainqueurs une relecture à la fois esthétique et éthique où l’enquête documentaire se mêle au souffle romanesque. Dans quatre d’entre eux – La Bataille d’Occident (2012), Congo (2012), Tristesse de la terre (2014) et L’Ordre du jour (2017) —, les archives photographiques occupent une place de choix. Motivés autant par le désir d’attestation que le souci de la description vive, ces clichés sont l’occasion d’une pause réflexive où se voient questionnés non seulement le pouvoir des images et des mots mais, avec lui, notre rapport empathique et critique aux figures du passé.

Abstract

The publication of Éric Vuillards Conquistadors (2009) inaugurated the authors vitriolic chronicle of our modern times. His narratives reinterpret, both aesthetically and ethically, the (his)story written by those who won, and mingle documentary with fiction. In La Bataille dOccident (2012), Congo (2012), Tristesse de la terre (2014) and LOrdre du jour (2017), photographic archives have a prominent place. These photographs highlight both the writers desire for testimony and his interest in sharp portrayals. They create a reflective pause in the narrative, which questions not only the power of images and words but also our empathetic and critical relationship to the figures of the past.

Index

Mots-clés : archive , Histoire, photographie, visage, Vuillard (Éric)

Géographique : France

Chronologique : Période contemporaine

Plan

Texte intégral

Ce qui m’a constamment fasciné dans le travail photographique, c’est l’instant où l’on voit apparaître sur le papier exposé, sorties du néant pour ainsi dire, les ombres de la réalité, exactement comme les souvenirs, dit Austerlitz, qui surgissent aussi en nous au milieu de la nuit et, dès qu’on veut les retenir, s’assombrissent soudain et nous échappent, à l’instar d’une épreuve laissée trop longtemps dans le bain de développement.

W.G SEBALD, Austerlitz.

Introduction

1« De livre en livre, c’est un peu comme si je poursuivais une même interrogation, une même énigme1 » confie Éric Vuillard en entretien. Cette énigme, c’est celle de notre modernité, de ce passé traumatique qu’il se plait à explorer depuis une dizaine d’années. C’est le passé colonial de l’Europe dans Conquistadors (2009) et Congo (2012) ; le génocide amérindien et la naissance du spectacle moderne dans Tristesse de la terre (2016) ; les prémices des deux guerres mondiales dans La Bataille d’Occident (2012) et L’Ordre du jour (2017) ; les soulèvements populaires dans 14 Juillet (2016) et dans La Guerre des pauvres (2019) ou bien encore la guerre d’Indochine sur laquelle il travaille actuellement2. De son propre aveu, « une sorte d’unité se dessine. Un livre fragmentaire, incomplet. Une histoire lacunaire des temps modernes3 ».

2L’intérêt d’Éric Vuillard pour l’Histoire va cependant bien au-delà d’un intérêt purement thématique ou du souci de donner au récit les couleurs du temps. L’écrivain ne se sert ni des évènements comme toile de fond ni de leurs acteurs comme simple chair à fiction. Écumeur de bibliothèques et de fonds en tout genre, Vuillard partage avec les historiens ce Goût de l’archive dont parle Arlette Farge4 et se livre en amont de l’écriture à une série de recherches dont ses récits vont porter la trace. L’écrivain n’hésite d’ailleurs pas à exposer ce travail documentaire, geste d’autant plus fort qu’il n’est pas masqué au profit d’un vraisemblable romanesque. Loin d’un effet péplum qui dissimulerait l’effort de documentation pour immerger le lecteur dans une époque reculée, les récits d’Éric Vuillard exhibent la recherche, exposent les trouvailles en les intégrant au corps du récit. Or, parmi ces trouvailles, les photographies occupent une place de choix.

3Quatre récits les convoquent de manière récurrente. Qu’elles soit reproduites – dans La Bataille d’Occident (2012) ou Tristesse de la terre (2014) – ou simplement mentionnées – dans ces derniers comme dans Congo (2012) et L’Ordre du jour (2017) –, les photographies se trouvent au cœur d’une réflexion sur les pouvoirs de la littérature et des images5. J’observerai d’abord la place que tient la photographie et son rapport à la vérité historique et aux figures disparues. Je m’intéresserai ensuite plus particulièrement aux portraits et à la relation – à la fois empathique et critique – que Vuillard entretient à travers eux avec autrui. Je considérerai enfin les implications de cette esthétique et cette éthique de l’attention à laquelle il nous invite et de cette archéologie du trop visible dont son œuvre jette les bases.

Les images, la vérité et la mort

« Je regarde presque autant que je lis »

4« Je regarde presque autant que je lis6 » n’hésite pas à affirmer Éric Vuillard en entretien, soulignant par là l’importance des images dans son travail d’écrivain. Ses récits vont ainsi constamment mobiliser des documents iconographiques. Si l’on trouve bon nombre de « tableau[x] du temps7 » dans les différentes œuvres – citons pêle-mêle le Titien8, Meisonnier9, Louis Soutter10, Courbet11, Manet12 ou bien encore Breughel, Bosch, Titien ou Le Nain dans 14 Juillet13 – et de « films du temps14 » – comme ceux où l’on voit Halifax rencontrer Goering15 et les jeunes Autrichiennes accueillir Hitler dans L’Ordre du jour16 –, c’est la présence d’archives photographiques qui est la plus frappante.

5Que ce soit en couverture, au seuil comme au sein des chapitres, simplement mentionnées ou longuement commentées, les photographies sont omniprésentes17. En présence réelle d’abord, dès le seuil des livres, sur la jaquette de certaines premières éditions et en couverture de la plupart des éditions de poche : détail d’un portrait de La Liberté guidant le peuple pour 14 Juillet – « instantané » d’une époque où la photographie n’existait pas –, photographies dans les quatre autres récits. C’est le portrait en plain-pied de Gustav Krupp dans L’Ordre du jour ou celui de Henri Morton Stanley dans Congo qui seront tous deux commentés par la suite. C’est également le zeppelin flottant au-dessus des soldats sur la couverture de La Bataille d’Occident et le portrait de Zitkala-Ša sur celle de Tristesse de la terre qui, pour n’être pas commentés, font porter une ombre symbolique sur les récits à venir18.

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Couverture de l’édition de poche de La Bataille d’Occident, https://www.actes-sud.fr/node/47664.

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Couverture de l’édition de poche de Tristesse de la terre, https://www.actes-sud.fr/node/56337.

6Dans chacun de ces récits, douze chapitres s’ouvrent sur des clichés qui font le plus souvent l’objet de longues réflexions. Même dans les récits où elle n’est pas reproduite, la photographie est, nous le verrons, partout thématisée : dans L’Ordre du jour par exemple avec la photo de Kurt Schuschnigg, chancelier de l’Autriche et personnage central du récit mais aussi dans Congo avec les clichés du roi Léopold, ceux des grandes lignées aristocratiques belges, des « mains coupées » ou bien encore celle de Lizzie Van Zyl commentée sur six pages19.

7L’auteur n’hésite d’ailleurs pas à exhiber ce geste documentaire : il se met en scène en train de feuilleter « un album de photographies de 14-1820 » dans La Bataille d’Occident ou d’explorer des fonds d’archives dans L’Ordre du jour dans lequel il trouve l’original d’une photographie de Schuschnigg dont seule une version tronquée est connue et accessible à tous :

Mais cette photographie, telle que je viens de la décrire, personne ne la connaît. Il faut aller à la Bibliothèque nationale de France, au département des estampes et de la photographie, pour la voir. Celle que nous connaissons a été coupée, recadrée. Ainsi, à part quelques sous-archivistes chargés de classer et d’entretenir les documents, personne n’a jamais vu le revers mal fermé de la poche de Schuschnigg21.

8Outre l’effet de réel produit par ce travail d’exhibition documentaire et l’impression de pénétrer soi-même aux archives, les photographies sont surtout là pour fournir la preuve des événements racontés, asseoir une forme d’autorité et (r)établir une vérité.

La preuve par l’image

9« Il paraît que les images, le cinéma, les photographies, ce n’est pas le monde – je n’en suis pas très sûr » écrit Éric Vuillard dans L’Ordre du jour22, soulignant par là sa foi dans la force des images. Dans bon nombre de cas, les photographies vont être là pour rendre compte d’un évènement, attester un fait ou un objet, camper un décor ou un personnage historique. Elles répondent en cela à l’« essence » de la photographie – au sens où Barthes l’entend – qui est de « ratifier ce qu'elle représente23 ». C’est le cas notamment de « LA VILLE DE CODY » fondée par Buffalo Bill et qui ouvre le chapitre du même nom dans Tristesse de la terre : « Une ville sortie de nulle part, comme on le voit sur les photographies24 ». C’est aussi celui du portrait de Gavrilo Princip dans La Bataille d’Occident :

Gavrilo Princip […] possédait ce petit visage blasphémé que montre une photographie, figure aux cernes profonds, aux yeux si tristes, à la moustache courte et noire, portant une veste trop large sur un torse nu25.

10Les photographies participent ainsi de ce que Tiphaine Samoyault appelle le « domaine de la preuve26 ».D·(ans la mesure où « l’image est mise au service d’un discours, d’un récit », on peut parler avec André Gunthert d’un « rapport illustratif à la photographie27 ». Rapport que l’auteur défend lui-même en entretien :

On n’aime pas beaucoup l’illustration de nos jours ; quand on veut vous faire un véritable compliment sur la manière dont vous intégrez des images à un texte, on s’empresse en général de vous dire que ce n’est pas illustratif. Il est pourtant difficile de définir ce qu’est une illustration. À s’en tenir au strict minimum, l’illustration a valeur d’exemple, de démonstration28.

11Ainsi, l’épisode des mains coupées qui fut sujet de tant de débats historiographiques et pour lequel la photographie évoquée vient soutenir les faits, par « son côté irréfutable, sa vertu de témoignage29 » :

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Hommes du District Nsongo avec les mains de deux de leurs compatriotes, Lingomo et Bolenge, assassinés pour la cueillette du caoutchouc par des sentinelles de l’ABIR (Anglo-Belgian India Rubber Company). Les deux hommes blancs sont M. Stannard et M. Harris (le mari de la photographe) du Balolo Mission Congo à Baringa, photographie prise en Mai 1904 par Alice Seeley Harris © Anti-Slavery International, http://www.antislavery.ac.uk/items/show/2065.

12La population baisse. On raconte qu’une fois, on amena à Fiévez en un seul jour 1 308 mains. 1 308 mains droites. 1 308 mains d’homme. Ça devait être bizarre ce tas de mains. On doit d’abord se demander ce que c’est, comme sur cette photographie où des indigènes en compagnie de Harris, un missionnaire, tiennent devant eux quelque chose. L’image est incongrue, bizarre. Ils tiennent entre leurs mains des mains30.

13On le voit dans cet extrait, les photographies, comme les chiffres, « ont un pouvoir de toucher l’intouchable31 », elles viennent authentifier une réalité qui aurait autrement du mal à être représentée et participent « d’une impression », « d’un sentiment de vérité32 ». Là où les autres formes de transcription des événements paraissent biaisées, la photographie semble être un plus fidèle témoin. Quand le peintre Meissonier donne « un air de gloire à toutes nos misères » et se voit qualifié de « charmant menteur33 », les clichés que Mathew Brady fait de la guerre de Sécession sont ainsi plus authentiques :

On déplie le pied, ouvre le soufflet et recouvre sa tête de son confessionnal de tissu. On voit les corps à l’envers, couchés sur le ciel, et le ciel est en bas, chu dans la terre. Une certaine quantité de lumière, venue des corps, se faufile par l’objectif, et sur une plaque magique elle fixe ses flocons de vérité34.

14Il y a en cela une supériorité du médium photographique car « la vérité y vit comme incorporée à son signe35 » écrit-il encore dans Tristesse de la terre. Si la photographie permet une telle médiation, c’est qu’elle entretient un rapport privilégié aux figures disparues : elle est le rapport le plus direct que nous pouvons avoir avec les morts.

Tout contre la mort

15« La Photo est comme un théâtre primitif, comme un Tableau Vivant, la figuration de la face immobile et fardée sous laquelle nous voyons les morts36 » écrit Roland Barthes dans La Chambre claire. La photographie permet d’immortaliser le passé, comme dans le cas de cette rencontre entre Sitting Bull et Buffalo Bill :

Les silhouettes du vieil Indien et de Buffalo Bill flottent quelques instants dans la gélatine, parmi les atomes d’argent. Puis les voici fixées sur des cotillons de papier de dix-sept centimètres sur douze, pour l’éternité37.

16Pourtant, un peu plus loin dans le même livre, Éric Vuillard fait remarquer que « la photographie tue tout ce qu’elle attrape38 ». Il y a dans ce médium un travail tout contre la mort, aux deux sens du mot : d’un côté la photographie s’adosse à la mort, de l’autre elle lui résiste : « l’image continue d’affirmer les choses dans leur disparition39 » écrit Barthes. Œuvrant à la mort en figeant le vivant sur du papier, le cliché est paradoxalement ce qui assure sa survivance. C’est cette contradiction, cette lutte ambiguë avec la mort, qui est aussi une lutte dans l’épaisseur du temps qu’évoque la citation d’Austerlitz de W.G Sebald mise en exergue de cet article et que résume très justement George Didi-Huberman :

Une lutte intime entre deux mouvements : mouvement du temps qui passe (chronos) qui a presque fini de réduire ce visage comme une feuille de papier que l’on chiffonnerait avant de la jeter à la poubelle ; et celui du temps qui résiste (aiôn), qui n’en finit pas d’adresser sa question, sa supplique, sa colère, son refus, son énergie de survie40.

17D’un côté, la précarité du médium est partout pointée : « les petits enfants de papier ne dévorent pas les images du passé. Elles restent ce qu’elles sont, désinvoltes, pacotille41 » écrit Éric Vuillard. De l’autre, sa puissance est sans cesse réaffirmée : « les visages fixes nous regardent ; ils continuent de nous regarder comme si le temps ne passait pas », les images « nous regardent et elles témoignent42 ». Ainsi la célèbre photographie de Lizzie Van Zyl, évoquée dans La Bataille d’Occident et longuement commentée :

Elle nous regarde, Lizzie Van Zyl, elle n’est pas encore morte, et peut-être que de là où elle nous regarde on ne meurt jamais. Peut-être que de ce petit perchoir, flanqué sur un lit de fer, lorsqu’on regarde l’objectif devant l’accordéon de cuir et le tissu noir, on ne meurt plus vraiment. […] Oui, elle regarde. Et posément, avec son long regard sans retour et qui semble venu de tout au bout43.

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Photographie de Lizzie Van Zyl, petite fille ravagée par la typhoïde à 7 ans dans le camp de Bloemfontein en 1897 (Libre de droits), https://fr.wikipedia.org/wiki/Lizzie_van_Zyl#/media/Fichier :LizzieVanZyl.jpg.

18On voit ici que l’usage du médium répond non seulement au besoin du « ça a été », mais fait aussi jouer à plein cet autre élément barthésien qu’est le « punctum » de la photographie : « ce qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne)44 ». Or ce sentiment a partie liée avec cette éternité qu’assure le processus chimique de la prise de vue : ces « petites paillettes de lumière » qui viennent fixer « sur la grande plaque chimique45 » les figures oubliées. Ce n’est pas un hasard si l’on retrouve ces mêmes « paillettes » dans la description des exactions commises par Léon Fiévez au Congo belge :

On les voit sur la photographie de Clark. Ils sont là, avec leurs visages d’enfants et cette tristesse bizarre. […] et Yoka, à qui les hommes de Fiévez et la loi de Fiévez ont coupé la main, il se tient devant nous, le visage fermé, et par un petit trou son âme nous regarde. […] Venez le chercher maintenant sur cette photographie où on l’a laissé. Venez le chercher entre les paillettes de lumière et cette émotion qu’il donne46.

19Non seulement parce qu’elle entretient une relation étroite au temps qui passe et à la mort mais parce qu’elle constitue le prisme privilégié de la relation avec autrui, la photographie n’est pas seulement un support d’attestation : elle est aussi un des principaux ressorts du pathos dans l’écriture de Vuillard. C’est la raison pour laquelle on trouve principalement des portraits dans les clichés qu’il intègre dans ses récits. Sur les 24 photos de La Bataille d’Occident et de Tristesse de la terre, 22 ont des sujets humains, 12 sont des portraits, sans compter tous ceux thématisés dans l’œuvre. Dans 14 Juillet, ce sont déjà – avant que n’apparaisse la photographie – le « profil » de Thuriot47, le « regard triste » de Rossignol sur une gravure48 et surtout la figure de Maillard qu’Éric Vuillard invitait, comme Yoka, à « emmener avec soi » et à prendre « dans nos bras49 ».

Un art du portrait

Des visages, des regards à soutenir

20« Une image ne commence-t-elle pas à être intéressante – et ne commence-t-elle pas tout court – qu’à se donner comme une image de l’autre ? » écrit George Didi-Huberman évoquant les photographies de gueules cassées de Guerre à la guerre d’Ernst Friedrich dans lesquelles Brecht voyait « un portrait réussi de l’humanité50 ». Or, c’est précisément par une gueule cassée qu’Éric Vuillard ouvre l’un des chapitres de La Bataille d’Occident51 :

21Des hommes furent à ce point défigurés que l’on construisit des centres d’accueil, très loin des villes, là où personne ne va, là où personne ne veut aller, tant il était terrible de les voir. J’ai vu les photographies de ces visages, avec leur pauvre grimace de clown. Tout le monde les connaît. Ils furent les gentils monstres de nos fables52.

22Le portrait va être le prisme d’accès privilégié aux émotions. « Que c’est beau un visage ! bien plus beau que la page d’un livre, les sentiments y surgissent de toute part et s’y éteignent » écrit ainsi Éric Vuillard dans 14 Juillet53. C’est le cas notamment de celui de Sophie Chotek dans La Bataille d’Occident :

C’était une femme douce et discrète. Les nombreux portraits que l’on a d’elle témoignent de cette douceur, son regard fixe l’appareil avec une profondeur curieuse, je ne sais quoi de timide et de forcé54.

23Cela dit, ces portraits ne font pas que regarder l’objectif, ils nous regardent, à l’image de ce soldat, retrouvé dans un album photo de 14-18, qui « se tourne, l’air fâché, vers le photographe, donc vers nous55 » :

On vous présente les albums, vous les feuilletez ; mais très vite, ce n’est plus une simple collection de photographies […] ces hommes nous regardent. Et ils nous regardent, le visage souvent fermé, avec de la tristesse ou de la colère. On peut l’ignorer bien sûr ; on peut se dire que l’on surinterprète ! Mais les photographies ne nous laissent pas tranquilles56.

24De là, le portrait va être le réceptacle idéal des affects dont Éric Vuillard nourrit son écriture : « La photographie nous débarrasse de la neutralité outrageante. Face au visage humain, certains discours ne tiennent plus. […] leurs visages nous interdisent soudain de nous tenir à l’abri57 ». On retrouve ici quelque chose de la philosophie d’Emmanuel Levinas qui liait l’expérience de la morale et de la fraternité à la rencontre du visage d’autrui : cet autre dont le visage nous rend responsable. Comme ce dernier l’écrit, « le visage est ce qui nous interdit de tuer. […] le visage est signification, et signification sans contexte […]. Autrui est visage58 » :

Toute l’humanité me regarde et crie justice, me rappelle à mes obligations et me juge. […] Ma responsabilité en face d’un visage me regardant comme absolument étranger constitue le fait originel de la fraternité59.

25À cet égard, les exemples les plus frappants sont sans aucun doute les photographies d’Amérindiens qu’Éric Vuillard met en tête de bon nombre de chapitres de Tristesse de la terre, plus particulièrement celle qu’il insère au sein même du chapitre « HISTOIRES60 » – cas unique dans l’ensemble des récits – et qui fait, d’une page sur l’autre, l’objet d’un agrandissement. L’auteur nous y engage à soutenir le regard des rescapés du massacre de manière quasi-incantatoire :

À présent, regardons. Oui, regardons de tous nos yeux, de toutes nos forces. Regardons-les […] Regardons-les encore […] Regardons-les encore […] Regardons-les […] Ils nous regardent […] Regardez mieux […] si vous regardez bien […] Regardons-le une dernière fois […] Regardons-le61.

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© « Library of Congress, Prints & Photographs Division, John C. H. Grabill Collection, [LC-DIG-ppmsc-02517 (digital file from original print)] », https://www.loc.gov/resource/ppmsc.02517/.

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Agrandissement de la photographie précédente.

26Cette intensité du regard réduit la distance, empêche le lecteur de s’abriter derrière les remparts de l’abstraction et l’engage à un exercice d’empathie :

C’est une hypothèse. Les autres. […] on ressent aussi une sorte de sympathie, oui, n’ayons pas peur des mots, on éprouve de la sympathie. […] On doit bien leur ressembler un peu à ces pauvres bougres. […] Ah ! c’est à la fois émouvant et pénible de les regarder. […] on se sent soudain tout près d’eux, comme eux […] Aimons sa tristesse ; son incompréhension, nous la partageons, ses enfants sont les nôtres62.

27Comme le dit si bien Levinas, « le visage parle, il fait sens, il est déjà discours63 ». Une idée que l’on retrouve chez Didi-Huberman : « redresser les visages, les soutenir, les rendre à leur pouvoir de faire face, n’est-ce pas, déjà, les exposer dans la dimension d’une possibilité de parole ?64 » Philippe Bazin – un médecin qui photographie ses patients dans un centre de long séjour et sur lequel le philosophe s’appuie – évoque d’ailleurs la « nécessité de passer du temps à mieux regarder […] à reconnaître, le visage de l’autre » et parle d’« œil à l’écoute65 ».

Des portraits au vitriol

28Cela dit, le portrait n’est pas toujours l’occasion d’une entreprise empathique. Les photographies font aussi l’objet de commentaires critiques, souvent sarcastiques. C’est le cas des portraits – de Gustav Krupp et d’Henry Morton Stanley – mises en couverture de L’Ordre du jour et de Congo et commentées quelques pages plus loin dans les deux récits :

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Gustav Krupp von Bohlen und Halbach en Septembre 1931 © Bundesarchiv, Bild 102-12331 / CC-BY-SA 3.0 https://commons.wikimedia.org/wiki/File :Bundesarchiv_Bild_102-12331,_Gustav_Krupp_von_Bohlen_und_Halbach.jpg.

Avec l’âge, ses lèvres fines commencent à dessiner un vilain croissant de lune à l’envers. Il a l’air triste et inquiet ; il tourne machinalement entre ses doigts un bel anneau d’or, à travers le brouillard de ses espoirs et de ses calculs66.

Depuis les débuts de la conférence, on attendait avec curiosité la venue de Henry Morton Stanley. Tous ont vu les belles photos où il pose, fusil à la main, avec un petit nègre, devant trois pauvres cailloux et deux fausses plantes67.

29La critique est d’ailleurs, souvent, beaucoup plus frontale, comme pour le portrait du roi Léopold – comparé à « une sorte de mammouth68 » – ou ceux des lignées aristocratiques belges dont Vuillard pointe l’atavisme69. L’art du portrait y rejoint un art de la caricature et de la satire qui vise à miner les figures du pouvoir. L’exemple le plus représentatif est le portrait du général Schlieffen, mise en tête d’un chapitre de La Bataille d’Occident intitulé « À CEUX QUI NOUS ONT OFFENSÉS » :

LE VISAGE de Schlieffen résume toute son histoire. La bouche est amère, les paupières lourdes. Sur un portrait célèbre, le comte Alfred von Schlieffen, maigre vieillard aigri, tient – de la main rose et lisse de celui qui n’a jamais planté un clou – le pommeau de son épée. Pourtant des clous, il en plantera dans tous les cœurs, dans toutes les poitrines d’Europe. La vieille carcasse porte une croix au cou, trois autres sur le flanc gauche et une ligne serrée de croix et de médailles au-dessus des côtes70.

30À l’image du visage de Lizzie Van Zyl qui résumait l’histoire des victimes – la famine, la guerre des Boers et le cortège des enfants sacrifiés sur l’autel des conquêtes occidentales – le regard de Schlieffen offre l’autre versant de l’histoire : celui des responsables, de la cause de ces guerres et de ces massacres. Il constitue le portrait-type de ces dirigeants, diplomates et militaires qu’Éric Vuillard pointe du doigt tout au long de ses récits. À cet égard, il n’est pas surprenant qu’on retrouve des termes très proches dans les descriptions d’Opel et de Schuschnigg71 ou dans le portrait d’Hindenburg, à qui Schlieffen est explicitement comparé un peu plus loin :

Hindenburg a un peu la même bouche que Schlieffen, les commissures tombent avec les moustaches, un même genre de dureté corrompue de tristesse, une amertume profonde ; peut-être ce que certains Allemands appelèrent “volonté”72.

31Dans ces deux cas, les portraits font l’objet d’une lecture acerbe où l’auteur va déceler – un peu à la manière du phrénologue – les émotions dévoyées qui ont poussé ces hommes qui font l’Histoire à commettre, ou permettre, les massacres que l’on connaît. C’est cette lecture que l’on retrouve à propos des portraits de Cornelius Vanderbilt et du général Sherman mentionnés dans Tristesse de la terre :

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Daguerréotype de Cornelius Vanderbilt par Thomas Brady, Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C (Domaine public) https://en.wikipedia.org/wiki/Cornelius_Vanderbilt#/media/File:Cornelius_Vanderbilt_Daguerrotype2.jpg

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Daguerréotype du General William Tecumseh Sherman par Thomas Brady, Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C (Domaine public) https://commons.wikimedia.org/wiki/File:General_sherman.jpg?uselang=fr

Il suffit de regarder n’importe quelle photographie de Cornelius Vanderbilt, l’empereur du chemin de fer, pour comprendre. Il suffit de bien observer sa bouche, le pli sans recours de ses lèvres, l’audace cynique. […] Et il suffit de regarder le terrible portrait que Mathew Brady nous a laissé du général Sherman – celui où il est bras croisés, en uniforme, le regard dur et le visage ravagé par une sorte de lèpre – pour apercevoir cet autre versant de la fable. La haine73.

32Dans ces portraits au vitriol, les visages et les regards, qui étaient la source même de l’empathie dans les photos des vaincus, deviennent ici le point d’appui de la critique. Cet art du portrait et de la comparution, cette importance accordée aux visages – que ce soit dans un rapport empathique ou critique – dit toute l’importance qu’Éric Vuillard accorde au regard et aux images comme prisme de vérité. Qu’elle soit vecteur d’empathie ou d’antipathie, la photographie est l’objet d’une connaissance de l’autre. Elle incorpore une forme de vérité qu’il s’agit de déceler. Dans sa démarche, Éric Vuillard me semble poser les fondements d’une esthétique – dans le sens premier que Baumgarten lui donne au XVIIIe siècle – c’est-à-dire d’une « science de la connaissance sensible74 ». Esthétique et éthique de l’attention dont la photographie est le médium choisi.

Une (esth)éthique de l’attention

Regarder avec intensité 

33Aux yeux dévorants des conquérants ou des spectateurs absorbés par le divertissement du Wild West Show, l’auteur oppose un regard attentif qui redonne aux événements et aux acteurs leur juste proportion. Il y a, comme l’écrit Jacques Bouveresse, l’idée que la littérature peut « nous apprendre à regarder et à voir […] là où nous sommes tentés, un peu trop tôt et un peu trop vite, de penser75 ». Il n’est d’ailleurs pas étonnant que la plupart des figures valorisées dans les récits soient des scientifiques ayant consacré leur vie à l’observation de tel ou tel phénomène. C’est Raimondi qui décrit la biosphère du Pérou plutôt que d’exploiter son or76, le physicien Bernoulli qui emploie ses calculs à d’autres fins que de fomenter des guerres ou l’astronome Huygens qui décide de tourner « son petit miroir vers les étoiles77 ». C’est enfin et surtout Wilson Bentley, lui qui « regarde tant qu’il peut […] veut tout voir […] ne fait que ça78 » et passe sa vie à photographier des flocons de neige au microscope :

L’essentiel de sa vie s’était concentré dans les yeux. Wilson était tout entier dans le regard, comme si vivre consistait à voir, à regarder, comme s’il était hanté par le visible, qu’il y cherchait quelque chose éperdument. Mais quoi ? Peut-être rien. Juste le sentiment du temps qui meurt, des formes qui défaillent79.

34L’importance du regard va être dramatisée dans tous les récits. Tandis que sa femme et son fils « ne veulent rien voir », les visages des morts reviennent regarder Krupp qui a alors « l’impression de vraiment voir, de n’avoir jamais autant vu qu’à cette minute80 ». Ce regard qui révèle à Krupp sa culpabilité est aussi celui qui rend caduque la notion même d’«  ENNEMIS » durant la Première Guerre mondiale :

On a vu des prisonniers derrière les barbelés du camp. Car on vient les voir. On les regarde. Ils sont l’image de ceux que nous aimons, les prisonniers, les nôtres. On le regarde longtemps cet ennemi triste et désarmé. Qu’a-t-il de si terrible ? Qu’a-t-il de si différent ? […] C’est étrange un ennemi, son regard attentif, ses lèvres, son corps entier81.

35Il y a, dans tous les récits d’Éric Vuillard, une incitation à regarder les figures du passé, comme les visages de ces rescapés de Wounded Knee que nous évoquions plus haut. Mais cette éducation du regard va au-delà de l’empathie, elle incite le lecteur à être attentif à ce que l’on ne relèverait pas d’un simple coup d’œil, à l’image de cette photo de 14-18 sur laquelle se distinguer une carcasse de cheval :

Une troisième semble tout d’abord étrange. C’est un arbre. Un arbre assez haut et feuillu. On ne voit pas ce qu’il y a dans ses branches, mais si on s’approche on comprend tout à coup que c’est une carcasse de cheval. Elle est là, déchiquetée, à cinq ou six mètres du sol. Une paire de sabots comme une énorme boucle d’oreille pend le long du tronc82.

36L’auteur ne cesse de nous inviter « à y regarder mieux83 », à y regarder d’un plus près :

Revenons un petit peu en arrière […] et voyons d’un peu plus près ce formidable Wild West Show […] à bien y regarder, etc.84.

Maintenant, revenons pour un bref instant au tout début de cette histoire et regardons-les de nouveau, tous autour de la table, les vingt-quatre. […] Regardons-les85.

37Ainsi de cet « EMBOUTEILLAGE DE PANZERS86 » que l’écrivain découvre amusé dans un documentaire avant d’en considérer la gravité : « si l’Allemagne n’était pas prête, alors la politique d’apaisement prend un tout autre sens87 ». Dans cette idée que « la vérité est dispersée dans toute sorte de poussières88 », les récits de Vuillard vont se focaliser sur des détails que l’historiographie n’a pas jugé bon de retenir. Ils vont surtout s’attacher à déconstruire les signes trompeurs des photographies les plus connues, des images qui influencent inconsciemment notre appréhension du passé. Questionnant ces images avec lesquelles on grandit et auxquelles on s’habitue, l’auteur va tenter de briser leur semblant d’évidence. En retour, les images agiront quant à elles sur la familiarité fallacieuse du langage et de certaines expressions. Le travail qu’il mène sur les mots est ainsi inséparable de son travail de sape des images du pouvoir.

« Rompre le charme » des signes

38On a vu que la photographie constituait autant un outil d’attestation que le support privilégié d’une relation empathique – ou antipathique – avec autrui. Cependant, le médium exige aussi de nous un travail à rebours, contre sa force d’attestation et d’évidence première :

On accable l’Histoire, on prétend qu’elle ferait prendre la pose aux protagonistes de nos tourments. On ne verrait jamais l’ourlet crasseux, la nappe jaunie, le talon de chéquier, la tache de café. Des événements on ne nous montrerait que le bon profil. Pourtant, si l’on regarde bien, sur la photographie où l’on voit Chamberlain et Daladier, à Munich, juste avant la signature aux côtés d’Hitler et de Mussolini, les Premiers ministres anglais et français ne semblent pas très fiers. […] Et on les voit, l’un, Daladier, chapeau sur le crâne, un peu gêné, faisant de petits coucous, l’autre, Chamberlain, le hat à la main, avec un grand sourire. Cet inlassable artisan de la paix, comme le nomment les actualités du temps, grimpe sur le perron, pour l’éternité en noir et blanc, entre deux rangées de soldats nazis89.

39S’il y a un lien très fort entre photographie et vérité, il existe aussi un lien tout aussi fort entre image et illusion. C’est que les photographies de nos livres d’Histoire nous sont par trop familières :

Les photographies que j’ai placées en tête de chapitre dans deux de mes livres appartiennent à une sorte d’album universel. Je les connaissais avant, depuis l’école parfois – ce sont des photographies que l’on trouve dans les manuels scolaires, les dictionnaires. Elles font partie d’un fond de l’œil où notre sensibilité a vu le jour90.

40Cet « album universel », ce « fond de l’œil où notre sensibilité a vu le jour » est particulièrement sensible dans son analyse des films de propagande nazi à la fin du récit. Ces films « ont fabriqué notre connaissance intime ; et tout ce que nous pensons est soumis à ce fond de toile homogène […] Les films de ce temps sont devenus nos souvenirs par un sortilège effarant91 » écrit-il dans L’Ordre du jour. Les images du passé façonnent notre mémoire collective et notre conscience historique. Éric Vuillard nous oblige à les regarder à nouveau pour nous en déprendre et nous en étonner au lieu de les reconnaître comme preuve d’un savoir historique intangible.

41À partir de là, il va s’agir pour Vuillard de décrypter les images qui composent cet « album universel ». C’est le cas de la photographie officielle de Schuschnigg évoquée au début de cet article et dont l’original, conservé aux archives nationales, présente des éléments qui ont été par la suite rognés et qui changent radicalement la manière de regarder le cliché :

[…] la photographie donne une impression toute différente. Elle possède une sorte de signification officielle, de décence. Il a suffi de supprimer quelques millimètres insignifiants, un petit morceau de vérité, pour que le chancelier d’Autriche semble plus sérieux, moins ahuri que sur le cliché d’origine ; comme si le fait d’avoir refermé un peu le champ, effacé quelques éléments désordonnés, en resserrant l’attention sur lui, conférait à Schuschnigg un peu de densité. Tel est l’art du récit que rien n’est innocent92.

42L’auteur nous rend attentif au montage qui biaise le sens des photographies et qui impose, souvent sous couvert d’évidence, des signes calculés. D’une certaine manière, il contribue ainsi à remettre en cause la distinction qui séparerait la photographie d’illustration (qui « relève de la communication et admet la retouche, le montage ») de la photographie documentaire (qui « se veut un document authentique, porteur d’une information objective, et implique le refus de toute manipulation »93). Il y a chez lui une critique profonde de ce que Michel Poivert nomme « l’autorité photographique » ou « l’utopie documentaire94 » à travers l’idée que les images ne sont jamais neutres et relèvent toujours d’une construction – qu’elles fassent l’objet d’un cadrage ou d’une mise en scène, qu’elles soient sous-tendues par une intention ou un discours latents. Si Éric Vuillard participe d’une démarche documentaire, c’est ainsi seulement au sens où l’entend Rancière, c’est-à-dire dans la mesure où « le réel n’est pas pour lui un effet à produire », mais » un donné à comprendre95 ».

43Il y a dans l’esthétique photographique d’Éric Vuillard une volonté de déplier les images, d’interpréter leurs signes aux côtés du lecteur. Fallacieux dans les mains du pouvoir, le langage peut alors devenir l’outil de ce travail explicatif, le moyen de décrypter les signes trompeurs des clichés et d’en dévoiler les faux-semblants :

Dans une photographie, par exemple, il arrive qu'il faille du temps pour voir ce qui est pourtant sous nos yeux. Son statut de preuve se double d'une étrange duplicité. Quelque chose y est trop visible, trop exposé. Le langage est alors un moyen de rompre le charme. Et il arrive qu'en écrivant sur cette photographie j'y voie enfin quelque chose96.

44Le langage va permettre d’empêcher que, « dans le fait même de la photographie le progrès occidental se célèbre, impose son régime d’images, et emporte la mise97 », comme c’est le cas dans ce cliché qui immortalise la rencontre entre Buffalo Bill et Sitting Bull98 :

Sur cette célèbre photographie, Sitting Bull et Buffalo Bill se tiennent la main pour toujours. Pourtant, non seulement cette poignée de main ne veut rien dire – ce n’est rien d’autre qu’un coup de pub –, mais pour servir l’opération promotionnelle, le cliché devait témoigner de deux éléments contradictoires : la réconciliation des peuples et la supériorité morale et physique des Américains. C’est ainsi que, sur cette photographie, Buffalo Bill bombe démesurément le torse afin de paraître plus digne. Il se tient très droit, la jambe gauche légèrement en avant, la tête haute, royal, toisant l’Indien. Sitting Bull, les yeux dans le vide, se contente de tendre la main. Le progrès triomphe. On les regarde un peu perplexe99.

45De leur côté, les images vont agir quant à elles sur la familiarité pernicieuse du langage. « Méfions-nous des mots qui accompagnent l’exposition de nos peuples » écrit George Didi-Huberman, prenant l’exemple du photographe Ernst Friedrich qui confrontait des gueules cassées aux discours militaristes de l’époque pour mieux pouvoir les déconstruire100. Éric Vuillard me semble procéder de la même manière quand il confronte, au seuil de Tristesse de la terre, l’expression « MUSÉE DE L’HOMME » à la photo d’un indien en costume traditionnel101 :

C’est l’une des formes de la fidélité : un même régime de vérité s’applique à deux registres différents, et l’un éclaire l’autre. Ici, un titre, « Le musée de l’homme » ; là, une photographie. En prenant l’expression « musée de l’homme » et une photographie de Sitting Bull, puis en les mettant côte à côte, l’expression « musée de l’homme » est soudain poussée dans ses retranchements. Une fois qu’on a regardé […] cette vignette destinée à la promotion, il est impossible de ne pas repenser au titre que l’on vient de lire, et de ne pas sentir l’expression : « musée de l’homme » se désagréger. Cette formule à laquelle nous sommes habitués, ce musée de l’espèce humaine […] se décompose au contact du regard du vieil Indien. Les mots musée et homme font soudain mauvais ménage, le papier peint se décolle et l’on voit dessous. On saisit alors ce qu’on avait toujours sourdement pressent : l’homme de ce musée, c’est l’autre102.

46Travailler le texte et l’image ensemble permet ainsi de trouver une juste exposition de l’Histoire. En montrant que « le spectacle et les sciences de l’homme commencèrent dans les mêmes vitrines, par des curiosités recueillies sur les morts103 », l’auteur démystifie cette expression de « musée de l’homme » qui sonne d’abord comme une formule humaniste.

Conclusion : archéologie du trop visible et histoire à rebrousse-poil

47Que ce soit dans les mots ou les icones du pouvoir, Éric Vuillard tente de mettre à mal les mythologies qu’y édifient les vainqueurs, se servant du discours pour décrypter l’image et inversement. Sans qu’il « puisse dire exactement comment ils s'influencent mutuellement », Éric Vuillard reconnaît ainsi qu’il y a chez lui « une relation très forte entre les mots et les images104 ». Or cette relation me semble très porche de celle que propose Walter Benjamin sur « la lisibilité des images » et que commente George Didi-Huberman. Il s’agit d’une « relation critique » qui vise à « placer les images et les mots dans une relation de trouble réciproque, de questionnement par va-et-vient toujours relancé105 ». C’est dans un aller-et-retour constant entre le langage et l’image que s’opère le travail d’Éric Vuillard sur les fables de notre modernité.

48Il y a comme une désaccoutumance à opérer vis-à-vis des expressions ou des images dont nous sommes par trop familiers, comme il l’écrit des images de Buffalo Bill qui finissent, on l’a vu, par dévorer William Cody :

Il n’est pourtant pas de ceux qui n’ont pas laissé de traces, mais l’excès est une autre épreuve que le manque, et si l’archéologie est la science des vestiges, il n’existe pas encore de recherches sur ce qu’on a trop vu106.

49Il me semble que l’une des forces des récits d’Éric Vuillard est précisément d’œuvrer à cette recherche, de jeter les bases de cette archéologie du trop visible, du trop connu. De même que George Didi-Huberman travaille sur la « sur-exposition » des peuples, de même que Georges Perec nous invitait à questionner ce qui nous était trop familier dans L’infra-ordinaire, Éric Vuillard s’intéresse à ce qui passe pour évident, à ce que l’on ne questionne plus.

50C’est pourquoi l’intérêt qu’il porte aux images occupe une place si importante dans son œuvre. Dans son travail sur la photographie ou le cinéma se lit aussi son attention pour le montage des événements, leur mise en scène. « La mise en scène, par le spectacle […] nous rend inaccessible autre chose, elle fixe à jamais une fiction dans notre fond de l’œil », or c’est précisément ce « fond de l’œil » auquel s’en prend l’auteur, en tentant, à travers ses récits, de « raconter l’histoire de ce qui fait écran à l’histoire107 ».

51L’œuvre d’Éric Vuillard contribue ainsi à cette « histoire à rebrousse-poil108 » qu’appelait de ses vœux Walter Benjamin dans ses notes Sur le concept d’histoire. Si l’écrivain se doit d’aller à rebours de l’historiographie officielle c’est que « l’histoire lisible par le plus grand nombre est d’abord écrite par les vainqueurs109 ». Il devra donc prendre le contrepied de ce que le philosophe appelle « l’histoire universelle » : cette histoire qui « procède par addition », « mobilise la masse des faits pour remplir le temps homogène et vide » et donne l’impression d’un « continuum de l’histoire » pour composer une « image “éternelle” du passé110 ».

Notes de bas de page numériques

1 Jean-Luc Bertini, « “Redonner au passé un sens qui nous compromette”, entretien avec Éric Vuillard », La Femelle du requin 2016/11 n°46, p. 78.

2 Pierre Assouline, « Éric Vuillard, un zeste d’exactitude poétique dans l’intelligence de l’Histoire », La République des livres, 21 décembre 2017, http://larepubliquedeslivres.com/eric-vuillard/ (cons. le 7 juin 2020). Sa nouvelle consacrée à la figure de « Christian Marie Ferdinand de la Croix de Castries » en constitue un avant-goût : « Des poignées de corolles », La Nouvelle Revue Française n°626, Paris, Gallimard, 14 septembre 2017.

3 Thierry Guichard, « L’écriture comme un élan », entretien réalisé pour Le Matricule des anges 2016/9 (n°176), p. 20.

4 Arlette Farge, Le Goût de l’archive, Paris, Éditions du Seuil [1989], « Point histoire », 1997. L’historienne et l’écrivain n’hésitent d’ailleurs pas à dialoguer sur leurs propres pratiques comme en témoigne cet entretien croisé dans Le Monde du 08 septembre 2016, https://www.lemonde.fr/livres/article/2016/09/08/arlette-farge-et-eric-vuillard-faire-entendre-quelque-chose-du-silence-du-grand-nombre_4994337_3260.html (cons. le 7 juin 2020).

5 Pour des raisons de droits, je ne peux malheureusement pas reproduire les photographies au sein de cet article mais indiquerai parfois le lien de certaines images libres de droits en note de bas de page.

6 Laurent Jeanpierre et Marielle Macé, « Éric Vuillard. “Nos infortunes sont coriaces” », entretien réalisé pour Critique 2017/3 (n° 838), p. 219, http://www.cairn.info/revue-critique-2017-3-page-215 (cons. le 7 juin 2020).

7 Éric Vuillard, 14 Juillet, Arles, Actes Sud [2016], « Babel », 2018, p. 51.

8 Éric Vuillard, Conquistadors, Arles, Actes Sud, « Babel », 2015 [Léo Scheer, 2009], pp. 385-386.

9 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, Arles, Actes Sud [2012], « Babel », 2014, p. 106.

10 Éric Vuillard, L’Ordre du jour, Arles, Actes Sud, « Un endroit où aller », 2017, p. 49.

11 Éric Vuillard, Congo, Arles, Actes Sud [2012], « Babel », 2014, p. 68.

12 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, Arles, Actes Sud [2014], « Babel », 2016, p. 79.

13 Éric Vuillard, 14 Juillet, op.cit., p. 86 ; p. 114 et p. 163.

14 Éric Vuillard, L’Ordre du jour, op.cit., p. 97.

15 Éric Vuillard, L’Ordre du jour, op.cit., p. 29.

16 Éric Vuillard, L’Ordre du jour, op.cit., pp. 128-129.

17 On trouve 34 occurrences du mot « photographie » et de ses dérivés dans Tristesse de la terre, 15 dans La Bataille d’Occident, 13 dans Congo et 10 dans L’Ordre du jour.

18 Page d’accueil des livres d’Éric Vuillard avec les différentes couvertures de ses livres, https://www.actes-sud.fr/node/39079 (cons. le 22 juin 2020).

19 Éric Vuillard, Congo, op.cit., pp. 148-153.

20 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., p. 107.

21 Éric Vuillard, L’Ordre du jour, op.cit., pp. 44-45.

22 Éric Vuillard, L’Ordre du jour, op.cit., p. 122.

23 Roland Barthes, La Chambre claire. Notes sur la photographie, Paris, Éditions du Seuil, 1980, p. 133.

24 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., p. 98.

25 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., p. 106.

26 Tiphaine Samoyault, « Du goût de l'archive au souci du document », Littérature, 2012/2 n°166, p. 5, https://www.cairn.info/revue-litterature-2012-2-page-3.htm (cons. le 19 juin 2020).

27 André Gunthert, « L’illustration, ou comment faire de la photographie un signe », L’atelier des icônes, le 20 octobre 2010, http://histoirevisuelle.fr/cv/icones/1147 (cons. le 19 juin 2020).

28 Laurent Jeanpierre et Marielle Macé, « Éric Vuillard. “Nos infortunes sont coriaces” », art.cit., p. 221.

29 Jean-Luc Bertini, « “Redonner au passé un sens qui nous compromette”, entretien avec Éric Vuillard », art.cit., p. 80.

30 Éric Vuillard, Congo, op.cit., pp. 66-67.

31 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., p. 178.

32 Camille Thomine, « Éric Vuillard : arracher un bout de vérité », entretien réalisé pour Le Magazine Littéraire, 2017/7-8 n°518, https://www.cairn.info/magazine-le-magazine-litteraire-2017-7.htm (cons. le 19 juin 2020), (je souligne).

33 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., pp. 106-107.

34 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., p. 107.

35 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., p. 145.

36 Roland Barthes, La Chambre claire, op.cit., p. 56.

37 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., p. 29.

38 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., p. 156.

39 Roland Barthes, La Chambre claire, op.cit., p. 133.

40 Georges Didi-Huberman, Peuples exposés, peuples figurants, Paris, Éditions de Minuit, 1990, p. 41.

41 Éric Vuillard, Congo, op.cit., pp. 70-72.

42 Thierry Guichard, « L’écriture comme un élan », art.cit., p. 23.

43 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., pp. 151-153, (je souligne).

44 Roland Barthes, La Chambre claire, op.cit., p. 49.

45 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., p. 28.

46 Éric Vuillard, Congo, op.cit., pp. 71-73.

47 Éric Vuillard, 14 Juillet, op.cit., p. 101.

48 Éric Vuillard, 14 Juillet, op.cit., p. 118.

49 Éric Vuillard, 14 Juillet, op.cit., pp. 174-175.

50 Georges Didi-Huberman, Peuples exposés, peuples figurants, op.cit., pp. 18-20.

51 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., p. 156

52 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., p. 159.

53 Éric Vuillard, 14 Juillet, op.cit., p. 183.

54 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., p. 53.

55 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., p. 108.

56 Laurent Jeanpierre et Marielle Macé, « Éric Vuillard. “Nos infortunes sont coriaces” », art.cit., p. 221, (je souligne).

57 Jean-Luc Bertini, « “Redonner au passé un sens qui nous compromette”, entretien avec Éric Vuillard », art.cit., p. 80.

58 Emmanuel Levinas, Éthique et Infini, Librairie Générale Française, « Le Livre de poche », 1982, pp. 80-81.

59 Emmanuel Levinas, Totalité et Infini. Essai sur l’extériorité, Librairie Générale Française, « Le Livre de poche », pp. 234-237.

60 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., pp. 140-146.

61 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., pp. 142-143.

62 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., pp. 140-146.

63 Emmanuel Levinas, Totalité et Infini. Essai sur l’extériorité, op.cit., p. 61.

64 George Didi-Huberman, Peuples exposés, peuples figurants, op.cit., p. 43.

65 George Didi-Huberman, Peuples exposés, peuples figurants, op.cit., p. 38.

66 Éric Vuillard, L’Ordre du jour, op.cit., p. 20.

67 Éric Vuillard, Congo, op.cit., p. 34.

68 Éric Vuillard, Congo, op.cit., pp. 46-47.

69 Éric Vuillard, Congo, op.cit., pp. 82.

70 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., p. 32.

71 Éric Vuillard, L’Ordre du jour, op.cit., p. 20 ; pp. 37-44.

72 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., p. 44, (je souligne), la photographie est disponible sur le site de la National Portrait Gallery, https://www.npg.org.uk/collections/search/portrait/mw121412/Sir-Henry-Morton-Stanley-Kalulu-Ndugu-Mhali (cons. le 22 juin 2020).

73 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., pp. 88-89.

74 Alexandre Gottlieb Baumgarten, trad. Jean-Yves Pranchère, Esthétique, précédée des Méditations philosophiques sur quelques sujets se rapportant à l'essence du poème et de la Métaphysique (1750-1758), Paris, L’Herne, 1988, p. 121.

75 Jacques Bouveresse, La Connaissance de l’écrivain, op.cit., pp. 54-55.

76 Éric Vuillard, Conquistadors, op.cit., p 150)

77 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., p. 37.

78 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., pp. 150-153.

79 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., p. 156.

80 Éric Vuillard, L’Ordre du jour, op.cit., pp. 144-146.

81 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., pp. 150-151.

82 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., p. 108.

83 Éric Vuillard, La Bataille d’Occident, op.cit., p. 27.

84 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., pp. 17-18, (je souligne).

85 Éric Vuillard, L’Ordre du jour, op.cit., p. 147, (je souligne).

86 Éric Vuillard, L’Ordre du jour, op.cit., p. 105.

87 Olivia Gesbert, entretien réalisé pour La Grande Table, 17 mai 2017, https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-1ere-partie/dans-les-coulisses-de-lhistoire-avec-eric-vuillard (cons. le 19 juin 2020).

88 Éric Vuillard, L’Ordre du jour, op.cit., p. 121.

89 Éric Vuillard, L’Ordre du jour, op.cit., pp. 131-132.

90 Laurent Jeanpierre et Marielle Macé, « Éric Vuillard. “Nos infortunes sont coriaces” », art. cit., p. 221.

91 Éric Vuillard, L’Ordre du jour, op.cit., pp. 128-129.

92 Éric Vuillard, L’Ordre du jour, op.cit., p. 45, (je souligne).

93 André Gunthert, « L’illustration, ou comment faire de la photographie un signe », art.cit., http://histoirevisuelle.fr/cv/icones/1147 (cons. le 19 juin 2020).

94 Michel Poivert, La Photographie contemporaine, Paris, Flammarion, 2010.

95 Jacques Rancière, La Fable cinématographique, Paris, Éditions du Seuil, 2001, p. 102.

96 Camille Thomine, « Éric Vuillard : arracher un bout de vérité », entretien réalisé pour Le Magazine Littéraire, 2017/7-8 n°518, https://www-cairn-info.acces.bibliotheque-diderot.fr/magazine-le-magazine-litteraire-2017-7-p-24.htm, (cons. le 19 juin 2020), (je souligne).

97 Marielle Macé, « Le chant sinistre de la conquête », Critique 2017/3 n° 838, https://www-cairn-info.acces.bibliotheque-diderot.fr/revue-critique-2017-3-page-202.htm (cons. le 7 juin 2020), p. 213.

98 On trouve la photographie sur le site du musée McCord, http://collections.musee-mccord.qc.ca/ObjView/ii83126.jpg (cons. le 22 juin 2020).

99 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., p. 24, (je souligne).

100 George Didi-Huberman, Peuples exposés, peuples figurants, op.cit.., pp. 18-20.

101 Laurent Jeanpierre et Marielle Macé, « Éric Vuillard. “Nos infortunes sont coriaces” », art.cit., p. 221, (je souligne).

102 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., p. 10.

103 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., p. 14.

104 William Irigoyen, « Éric Vuillard : le 14 juillet 1789 en contre-plongée », art.cit., http://www.lorientlitteraire.com/article_details.php?cid=6&nid=6632 (cons. le 17 juin 2020).

105 George Didi-Huberman, Peuples exposés, peuples figurants, op.cit., p. 17.

106 Éric Vuillard, Tristesse de la terre, op.cit., p. 38.

107 Jean-Luc Bertini, « “Redonner au passé un sens qui nous compromette”, entretien avec Éric Vuillard », art.cit., p. 79.

108 Walter Benjamin, « Sur le concept d’Histoire », Œuvres, t.3, trad. Maurice Gandillac, Paris, Gallimard, « Folio », 2000 [1942], p. 433.

109 Georges Didi-Huberman, Peuples exposés, peuples figurants, Paris, Éditions de Minuit, 1990, p. 32.

110 Walter Benjamin, « Sur le concept d’Histoire », Œuvres, t.3, op.cit., pp. 432-433.

Bibliographie

Œuvres d’Éric Vuillard

Vuillard Éric, L’Ordre du jour, Arles, Actes Sud, « Un endroit où aller », 2017

Vuillard Éric, 14 Juillet, Arles, Actes Sud [2016], « Babel », 2018

Vuillard Éric, Tristesse de la terre, Arles, Actes Sud [2014], « Babel », 2016

Vuillard Éric, La Bataille d’Occident, Arles, Actes Sud [2012], « Babel », 2014

Vuillard Éric, Congo, Arles, Arles, Actes Sud [2012], « Babel », 2014

Vuillard Éric, Conquistadors, Arles, Actes Sud, « Babel », 2015 [Léo Scheer, 2009]

Ouvrages critiques, articles et entretiens cités

Assouline Pierre, « Éric Vuillard, un zeste d’exactitude poétique dans l’intelligence de l’Histoire », La République des livres, 21 décembre 2017, http://larepubliquedeslivres.com/eric-vuillard/ (cons. le 7 juin 2020)

Barthes Roland, La chambre claire. Notes sur la photographie, Paris, Éditions du Seuil, 1980

Baumgarten Alexandre Gottlieb, Esthétique, précédée des Méditations philosophiques sur quelques sujets se rapportant à l'essence du poème et de la Métaphysique (1750-1758), trad. Jean-Yves Pranchère, Paris, L'Herne, 1988

Benjamin Walter, « Sur le concept d’Histoire », Écrits français, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des idées », 1991 [1942]

Benjamin Walter, « Sur le concept d’Histoire », Œuvres, t. 3, trad. Maurice Gandillac, Paris, Gallimard, « Folio », 2000 [1942], pp. 428-439

Bertini Jean-Luc, « “Redonner au passé un sens qui nous compromette”, Entretien avec Éric Vuillard », La Femelle du requin 2016/11 (n° 46), pp. 69-80

Bouveresse Jacques, La Connaissance de l’écrivain. Sur la littérature, la vérité et la vie, Marseille, Agone, « Banc d’essais », 2008

Didi-Huberman Georges, Peuples exposés, peuples figurants. L’Œil de l’histoire 4, Paris, Éditions de Minuit, 1990

Farge Arlette, Le Goût de l’archive, Paris, Éditions du Seuil [1989], « Points histoire », 1997

Gesbert Olivia, entretien réalisé pour La Grande Table, 17 mai 2017, https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-1ere-partie/dans-les-coulisses-de-lhistoire-avec-eric-vuillard (cons. le 19 juin 2020)

Guichard Thierry, « L’écriture comme un élan », entretien réalisé pour Le Matricule des anges, 2016/9 (n° 176), pp. 14-23

Gunther André, « L’illustration, ou comment faire de la photographie un signe », http://histoirevisuelle.fr/cv/icones/1147 (cons. le 19 juin 2020)

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Sebald W.G, Austerlitz, trad. Patrick Charbonneau, Arles, Actes Sud, « Babel », 2002 [2001]

Pour citer cet article

Sam Racheboeuf, « Éric Vuillard et la photographie –
L’album de notre modernité
 », paru dans Loxias, 70., mis en ligne le 14 septembre 2020, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=9528.


Auteurs

Sam Racheboeuf

Ancien élève de l’École Normale Supérieure de Lyon (2012), agrégé de Lettres modernes (2016), Sam Racheboeuf est actuellement doctorant à l’Université Grenoble-Alpes en Littérature Française sous la direction de Laurent Demanze (UGA, LITT&ARTS) et d’Isabelle Lacoue-Labarthe (IEP Toulouse, LaSSP). Sa thèse est consacrée aux expérimentations actuelles de l’écriture historienne et aux reconfigurations de la frontière entre Histoire et Littérature.