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Alexandra Roch  : 

Carnaval et rébellion dans The Dragon Can’t Dance d’Earl Lovelace

Résumé

Dans son troisième roman, The Dragon Can’t Dance, publié en 1979, l’écrivain trinidadien Earl Lovelace propose une autre fonction au carnaval que celle du divertissement social. Le carnaval est présenté comme un espace transgressif permettant aux communautés en marge, telle Calvary Hill, de défier l’ordre établi durant deux jours. En effet, il constitue un moyen d’expression, de résistance politique et de survivance de la culture ancestrale. C’est d’ailleurs Aldrick, le dragon du carnaval qui incarne le mieux la fonction cathartique liée à cette fête annuelle. Les notions de résistance, de marronnage, de transgression et de création que nous proposons d’analyser le carnaval dans The Dragon Can’t Dance comme lieu de contestation du pouvoir colonial mais aussi de la domination masculine. En effet, ce divertissement permet aux subalternes de la société postcoloniale d’exprimer non pas le « je », la conscience coloniale, mais « l’autre », c’est-à-dire le moi.

Abstract

In his third novel, The Dragon Can’t Dance, published in 1979, the Trinidadian writer Earl Lovelace proposes another function of Carnival than that of the social entertainment. Carnival is presented as a transgressive space where marginalized communities such as Calvary Hill challenge the established order for two days. Indeed, it establishes a means of expression, political resistance and cultural survival. In the novel, Aldrick, the dragon of the carnival, is the best character who embodies the cathartic function of this annual event. Thus, the notions of resistance, marronnage, transgression and creation help to analyze Carnival as a space-time which contests colonial power and male domination. In that process, Carnival allows subaltern people of the postcolonial society to express not the Other but the other.

Index

Mots-clés : Carnaval , Lovelace, marronnage, résistance, Trinidad

Keywords : carnival , colonial literature, Lovelace

Géographique : Caraïbe , Trinidad

Chronologique : Période contemporaine

Plan

Texte intégral

1Le carnaval occupe une place exceptionnelle dans la vie sociale et culturelle de Trinidad et Tobago. Cet événement festif attire chaque année des milliers de participants aux costumes colorés et exubérants qui extériorisent les tensions sociales, familiales et professionnelles dans les rues de Port of Spain. De par cette fonction cathartique ou d’exutoire social, le carnaval est aussi un espace identitaire où se manifestent la résistance et la rébellion des Afro-Trinidadiens face à un gouvernement colonial oppressant. C’est d’ailleurs cette capacité du carnaval à véhiculer des messages révélateurs de la société que le romancier trinidadien Earl Lovelace retranscrit dans son troisième roman The Dragon Can’t Dance.

2Publié en 1979, The Dragon Can’t Dance, retrace l’histoire des habitants afro-trinidadiens de Calvary Hill dans les années 1960. L’écrivain initie son lecteur à l’univers du carnaval. En effet, Calvary Hill ne vit que pour cette fête annuelle marquée par les rythmes du Steelband et du calypso. Le carnaval comme partout ailleurs est un espace-temps de la transgression et du délire. Cependant, le principal protagoniste Aldrick Prospect, fil conducteur du récit, dévoile une autre fonction du carnaval que celle du délire. Aldrick fait du carnaval un temps du renouvellement, de la résistance et de l’opposition des Afro-Trinidadiens.

3C’est en ce sens que les notions de résistance, transgression, marronnage et créativité servent de support à l’analyse du carnaval comme espace-temps de la contestation du pouvoir colonial et patriarcale. En effet, ce divertissement populaire permet aux subalternes de la société postcoloniale d’exprimer non pas le « je » la conscience coloniale mais « l’autre » c’est-à-dire le moi.

4Il paraît pertinent de s’intéresser, en premier lieu, au carnaval en tant que lieu de marronnage culturel où l’expression de la résistance se trouve à son apogée. De plus, l’analyse montrera que la transformation des corps pendant cette période participe à cette contestation identitaire. Enfin, l’étude démontrera que la thématique du carnaval influence l’écriture de l’écrivain Earl Lovelace inscrivant le roman dans une esthétique subversive des canons romanesques occidentaux.

Le carnaval : lieu de contestation du pouvoir colonial et patriarcal

5Le carnaval constitue la thématique principale du roman The Dragon Can’t Dance. Il constitue l’essence même du village de Calvary Hill qui ne vit que pour cette fête annuelle où tout est subversion, dérision, mascarade, inversion et détour. Juste après la Nativité, le narrateur signale que même les jeunes hommes du quartier, errant à longueur de journée au coin de rues, sont touchés par la magie du carnaval. Ces derniers font preuve d’originalité et de créativité pour rendre cette période encore plus joviale et délirante. Durant ces jours de liesse populaire, la vie de Calvary Hill est bouleversée, rythmée par les Steelbands1, le calypso, la préparation des déguisements, les danses, les concours carnavalesques unissant les habitants dans un même esprit, une même pensée : celui du carnaval. À l’approche de cette fête populaire, le village se trouve dans une agitation, une effervescence faisant oublier les problèmes de pauvreté que vivent ces hommes et ces femmes au quotidien.

With Carnival just one week away, the city was hot confusion; people moving in crazy streams up sidewalks, across the open streets, their laughter ringing above the music of the rush traffic and the steelband rhythms and calypso tunes blasting from juke boxes and record shops, their mingled scents rising as a special incense in the steaming hat2.

6Ainsi, le carnaval devient l’espace de défoulement des contraintes quotidiennes, autorisant le peuple à s’exprimer librement. Loin d’être un simple divertissement social, le carnaval acquiert une fonction cathartique. Il offre l’opportunité aux opprimés d’exorciser leur blès. La blès est, selon Patricia Donatien, « [un] syndrome [qui] serait apparu dans la Caraïbe […] Il découlerait d’un traumatisme fondamental généré par les régimes déstructurant et annihilant de l’esclavage et du système colonial, et par le carcan de souffrance et de déni de soi imposé à chaque individu3 ». En ce sens, le carnaval que dépeint Lovelace intervient comme une catharsis pour ces assujettis de la société trinidadienne.

7La catharsis est décrite comme un moyen thérapeutique par lequel l’opprimé se libère de ses traumatismes. Il s’agit d’un terme utilisé principalement en psychiatrie, qui désigne le fait de libérer ses émotions refoulées et par conséquent pousse l’individu dans ses retranchements. L’objectif de la catharsis est donc d’exprimer ses émotions afin de comprendre et d’analyser un problème psychologique permettant de dépasser le problème et de le résoudre. C’est ainsi que le carnaval agirait donc comme un antidote permettant à l’opprimé de se libérer des souffrances quotidiennes. C’est d’ailleurs cette vision purgative liée au carnaval que l’écrivain trinidadien Earl Lovelace tente de présenter dans son roman.

8Le théoricien russe Mikhaïl Bakhtine attribue dans L’Œuvre de François Rabelais une fonction libératrice au carnaval à cause des lois et des croyances qui se retrouvent bafoués, mise en dérision pendant cette période :

Cette liberté du rire, comme toute autre liberté, était évidement relative : tout à tour son domaine s’élargissait ou s’amenuisant […] nous l’avons vu, cette liberté, en étroit rapport avec les fêtes, était dans une certaine mesure confinée dans les limites des jours de fête […] pour un bref laps de temps, la vie sortait de son ornière habituelle, légalisée et consacrée, et pénétrait dans le domaine de la liberté utopique. Le caractère éphémère de cette liberté ne faisait qu’intensifier l’effet de fantastique et de radicalisme utopique des images nées dans ce climat particulier4.

9Le carnaval a pour fonction d’abolir la stratification sociale établie par la politique coloniale. Ainsi, cette fête populaire intervient comme un contre-pouvoir et permet de rassembler la population trinidadienne, fragmentée par le système colonial. Lors de son intervention intitulée « Lorsque la rue parle : le délire comme contre-pouvoir dans la sphère carnavalesque » Patricia Donatien définit le contre-pouvoir comme « la capacité d’agir et de renverser les pouvoirs en place quel que soit leur type. Cela renvoie à une masse ou à un individu qui témoigne par cette capacité d’une existence animée par “je peux”5 ». Le contre-pouvoir défini tel quel est perceptible dans différents aspects de la société caribéenne et est synonyme de marronnage.

10Le marronnage est l’expression de résistance de l’esclave déporté d’Afrique qui apparaît sous diverses formes dans les îles de la Caraïbe. Généralement associé à la fuite dans les bois et dans les espaces reclus, le marronnage comprend aussi d’autres formes de résistance menées au sein même de la plantation comme l’empoisonnement et le sabotage. Cette forme de contestation implique la quête de la liberté perdue mais aussi ce « je peux » dont fait allusion Donatien. En effet, les différents protagonistes du roman retrouvent une certaine agentivité à la période du carnaval qui se manifeste par une aptitude à agir dans un environnement oppressant, à le transformer ou à l’influencer.

11Comme les paroles du calypso que Miss Cleothilda répète à tue tête « All o’ we is one6 », cette fête éphémère renforce le lien communautaire des habitants de la Montagne. Cette phrase qui sonne comme une mascarade abolit le temps du carnaval les tensions, les hiérarchies sociales de la Trinidad. Miss Cleothilda est le témoin vivant de cette suppression des barrières :

But, now that it was Carnival season, Miss Cleothilda was getting friendly with everybody. In the same swirling spasm of energy that fueled her earlier pose, she had become a saint almost, giving away sweets to the children, questioning them about their lessons7.

12Le carnaval est l’espace-temps où Miss Cleothilda s’affranchit des barrières sociales créées par la politique coloniale. Par cette fête, elle marronne l’institution coloniale et libère son véritable « moi ». Une fois le mercredi des Cendres arrivé, cette mise en scène trompeuse s’élève comme une fumée d’encens :

Miss Cleothilda, her head held high, her black lace veil parted in the middle of her face the better to reveal the blackened cross of ashes the priest had marked upon her forehead at Communion mass earlier in the morning. Aldrick watched her sweep forth in her brisk, tall, quick-stepping breathlessness, holding herself in that audacious and pious grandeur, as if already serving warning that now, with Carnival done and her sins expiated […] she was ready again to take up where she had left off when the Carnival season came in8.

13Toutefois, le carnaval apparaît comme une forme de résistance à la société coloniale qui tend à prôner la division entre les noirs. Earl Lovelace fait du carnaval une fête populaire qui unit les Afro-Trinidadiens le temps d’une mascarade. Par ailleurs, comme le souligne Dominique Dubois dans son article intitulé « Espace urbain et transformations sociales dans The Dragon Can’t Dance d’Earl Lovelace » : « le carnaval est pour cette population de laissés-pour-compte une victoire sur l’adversité, une façon de se prouver qu’il existe. À ce titre, on peut dire que le carnaval représente un mode de régénération cathartique9 ». Aimie Maureen Shaw dans son analyse sur la notion de carnaval chez Bakhtine révèle le sentiment de liberté éphémère qui réside dans cette manifestation culturelle :

L’utopie du carnaval créait ainsi une échappatoire à la dureté de la vie quotidienne. Cette utopie, même si elle était temporaire, offrait une émancipation au peuple qui se sentait renouvelé en ressentant la puissance de la collectivité et en expérimentant la possibilité de se battre contre l’oppression de la sphère officielle10.

14Durant cette période, les protagonistes se débarrassent de leur masque et du carcan de l’histoire. Dans son roman, l’écrivain ne se livre pas à une vision séduisante ni exotique du carnaval mais propose d’explorer cet évènement culturel en tant qu’espace identitaire, transgressif et communicatif. Pour Earl Lovelace, les festivités carnavalesques permettent aux subalternes de la société postcoloniale d’exprimer non pas le « je » qui est en réalité la conscience coloniale mais « l’autre », le moi. Selon le philosophe martiniquais René Ménil, le dominé est un inconnu pour lui-même, il se retrouve dépossédé de sa propre culture :

Je me vois étranger, je me vois exotique, pourquoi ? Parce que « je », c’est la conscience, « l’autre », c’est moi. Je suis « exotique-pour-moi », parce que mon regard sur moi c’est le regard du blanc devenu mien après trois siècles de reconditionnement colonial11.

15En ce sens, comme le met en exergue Lovelace, le carnaval est l’essence même de l’émancipation de l’esclave et donc du colonisé aussi, ce que montreront les habitants de Calvary Hill. L’Afro-Trinidadien libère donc le « je » de l’oppression pour laisser place au « moi ». Le personnage féminin Sylvia extériorise le poids de la société coloniale à travers la danse :

Then he saw Sylvia, dancing still with all her dizzying aliveness, dancing wildly; frantically twisting her body, flinging it around her waist, jumping and moving, refusing to let go of that visibility, that self the Carnival gave her; holding it balanced on her swaying hips, going down and coming up in a tall, undulating rhythm, lifting up her arms and leaping as if she wanted to leap out of herself into herself, a self in which she could stay forever, in which she could be forever. He watched her dancing into the insides of the music, into the Carnival’ guts, into its every note, its soul, into every ring of the tall ringing iron ; her whole self a shout, a bawl, a cry, a scream, a cyclone of tears rejoicing in a self and praying for a self to live in beyond Carnival and save her slave girl costume12.

16En ce sens, le choix du déguisement dans le roman n’est pas innocent, il certifie cette liberté du moi. Le costume de l’esclave que porte Sylvia reflète l’assujettissement de son « moi » féminin dans une société patriarcale et coloniale. Car même si les différents comportements que dépeint Earl Lovelace la catégorisent comme une marronne, la libération n’est pas totale. Ce personnage féminin ne semble pas libre intérieurement. Sylvia extériorise cette souffrance psychique, ce mal-être mental en faisant venir à la conscience des sentiments enfouis dans son inconscient. Cette méthode libère Sylvia de ses angoisses et de son mal-être. En ce sens, le carnaval est une thérapie, une catharsis, qui permet à l’opprimé de se décharger de tous ses troubles, ses angoisses, ses peurs, et qui conduit au renouvellement de l’être humain. Cette fonction cathartique du carnaval peut être catégorisée de marronnage culturel. Le marronnage culturel se définit par une attitude de révolte et de conscience de l’homme noir à travers la culture. Le marronnage culturel est une méthode de réappropriation de la culture interdite africaine et de récupération du corps de l’opprimé. L’écrivain trinidadien démontre dans son œuvre que le rire participe également à la transformation de l’opprimé. Le rire, dans ce cas, est thérapeutique et guérit l’âme de l’assujettissement. Dès les premières lignes, Lovelace met en avant le rire comme fuite de la pensée.

17En ce sens, le carnaval est un espace culturel où l’expression du marronnage est à son apogée. Il confère à l’être asservi une liberté « utopique » poussant à la résurgence des éléments culturels africains qui se manifestent essentiellement à travers la danse. Le carnaval est surtout un espace-temps de pouvoir que l’Afro-trinidadien retrouve à travers le masque.

La théâtralisation du corps comme marronnage

18Earl Lovelace utilise le carnaval pour dénoncer de façon satirique et non dramatique les effets du colonialisme sur les personnages. Au début du roman, Miss Cleothilda, femme mulâtresse est décrite comme arrogante, fière rejetant et dénigrant les autres habitants de Calvary Hill, plus foncé qu’elle :

Miss Cleothilda […] making a nuisance of herself to everybody, strutting about the yard with her roughed cheeks and padded hips, husbanding her fading beauty, flaunting her gold bangles and twin gold rings that proclaim that she was once married, wearing dresses, showing her knees, that if you give her a chance will show her thighs13.

19C’est sur un ton humoristique et dans un registre carnavalesque que Lovelace met en scène la supposée distinction que Miss Cleothilda s’octroie à cause de sa couleur de peau. Cette supériorité se manifeste dans la fiction pendant le carnaval et surtout par le choix du costume de cette femme. Elle apparaît comme la reine de Calvary Hill:

For the Hill knew that it was not only a habit-she had been playing queen for the last eleven years-nor that she could afford it; the Hill knew what she knew: that to her being queen was not really a masquerade at all, but the annual affirming of a genuine queenship that she accepted as hers by virtue of her poise and beauty, something acknowledged even by her enemies, something that was not identical with her mulattohood, but certainly impossible without it. And now assuming the mantle of her queenship, she would be all laughter and excitement14.

20Le corps de Cleothilda devient un outil théâtralisé, une théâtralisation que Frantz Fanon traduit dans Peau noire, masques blancs avec les mots suivants : « gesticulation », « parade ridicule », « attitudes calculées15 ». La mise en scène du corps de cette femme métisse constitue un moyen d’affirmer son refus d’appartenance à la classe des noirs. Comme une comédienne sur le devant de la scène, Cleothilda utilise cet atout corporel qu’elle expose aux autres habitants de la cour. Cet art du paraître est souligné dans les travaux de Gabriel Entiope qui déclare « dans les sociétés esclavagistes, d’une manière générale, le mulâtre pour qui écrit Cassagnac, le verbe » être » n’est rien, le verbe « paraître » est tout, était perçu comme nous pourrions dire « l’élément subversif du métissage corrupteur16 ».

21L’acception générale définit le paraître comme l’action de « se montrer », de « se distinguer » c’est-à-dire comme « le système résultant du travail des apparences ». Dans le cas de Cleothilda, l’apparence physique soignée, le port de bijoux constituent un moyen de manifester son appartenance à une classe sociale plus élevée que les autres habitants. D’ailleurs le fait qu’elle habite le haut d’une maison avec véranda n’est pas un choix anodin de Lovelace ; il correspond à la position sociale de Cleothilda. En somme, l’image de soi comme le précise Dominique Aurélia « se constitue à partir de l’image du corps et les habits qui parent le corps participent de la mise en scène et de la construction de soi parce que le vêtement est une frontière entre nous et l’extérieur, il nous protège, nous masque autant qu’il nous expose. S’habiller c’est se dévoiler17 ». Ainsi, Miss Cleothilda profite de la période carnavalesque pour affirmer ou confirmer d’avantage son statut social et étaler sa richesse. Miss Caroline, habitante de Calvary Hill souligne à une autre résidente Olive :

You don’t have eyes in your head to see that is because the woman skin lighter than yours and mine she feel she better than people on this Hill. And all the friendly-friendly thing she give off for Carnival is just a smoke screen to hide the wretch she really is, to make you forget long enough the things she do all through the yearn, to relax you, so she could come again and lord she-self over you, and push her finger in your eye again18.

22De plus, le narrateur atteste de cette pensée lorsqu’il raconte la fierté et l’arrogance de la mulâtresse quand elle propose à Sylvia un costume de carnaval : « Miss Cleothilda smiled ; she really didn’t care if Sylvia accepted. She was satisfied simply to establish that she was in position to give, and Sylvia, even if she refused, to receive19 ». Le sociologue français Pierre Bourdieu met en exergue dans La Distinction, le rôle prestigieux du choix du vêtement, du maquillage, dans l’adhésion à un groupe social bien défini. Selon Bourdieu, « la cosmétique corporelle, le vêtement ou la décoration domestique constituent autant d’occasion d’éprouver ou d’affirmer la position occupée dans l’espace social comme rang à tenir ou distance à maintenir20 ». Par le biais de l’espace corporel et la manière de le parer, le personnage féminin cherche à maintenir sa position hiérarchique en adoptant une stratégie de démarcation sociale.

23Cependant, derrière ces apparences de femme distinguée, arrogante, fière de la clarté de sa peau se cache un personnage dont le masque tombe à la période du carnaval de Port of Spain. Chantal Maignan-Claverie rend bien compte dans son étude sur le métissage de la face tragique du métis : « prisonnier du mythe raciste, ancré dans la substance, le métis est au cœur d’une crise identitaire et, comme figure littéraire, il est essentiellement, virtuellement une personne tragique qui habite une blessure sacrée. Il est exemplaire, en ce sens qu’il illustre à la fois le drame personnel de l’antillais partagé entre des instances antagoniques21 ». Yolande Aline Helm dans sa réflexion sur Roland Brival : métissages et identités caribéennes caractérise le métis en tant qu’être « orphelin » qui par ce mélange racial ne peut se rattacher ni à la figure de la mère ni à celle du père :

Le métis est un orphelin… un orphelin de l’histoire et fréquemment de la mère. Il est le frère de tous les oppressés et partage avec eux un passé déchirant… si le noir représente la menace de la tâche ineffaçable, le métis incarne l’être souillé d’après la destruction de l’identité du groupe blanc- souillure maximale car désormais incatégorisable dans le système typologique blancs vs noirs22.

24En somme, même si le métissage contribue à un blanchiment de la couleur noire, il n’en demeure pas moins que ce phénomène n’est en aucun cas élogieux. Étant un être « entre-deux » c’est-à-dire ni totalement blanc ni totalement noir, se situant entre les deux extrêmes de la stratification sociale, la figure du métis arrive à se libérer de ce statut complexe dans la liberté qu’offre le carnaval.

25Le carnaval donc un lieu où l’expression du marronnage prend tout son sens et toute son ampleur, lieu dans lequel la fuite, la survivance, la résistance, la liberté, le détour sont omniprésents. Doudou Diene précise dans « Silence et invisibilité : l’enjeu de mémoire de la domination et de la discrimination » que les esclaves, les colonisés saisissent cette période d’inversion, de mascarade pour faire réapparaître l’Afrique durant les festivités carnavalesques mais aussi l’histoire du peuple caribéen :

Carnaval et festivals ont été instrumentalisés par l’esclave. Derrière l’apparence festive, en périodes capitales de regroupement et de rencontres collectives des esclaves dispersés le reste de l’année en opportunités d’échanges d’information et transmission de messages ou d’organisation de révoltes et en mise en scène théâtralisée des figures de l’esclavage à travers des personnages dont le comique et la caricature dissimulent un travail subtil d’identification et de mémorisation, et enfin en préservation de la vitalité et de la créativité culturelles, artistiques et spirituelles de l’esclave23.

26Aldrick Prospect profite de cette période festive pour jouer l’histoire de la répression des esclaves et surtout celle des nègres marrons. Dès les premières lignes du roman, Earl Lovelace établit une relation étroite entre la révolte des nègres marrons et le carnaval ; il allie l’esprit d’inversion et de dérision à cette période festive :

They wore as jewellery, a charm, a charmed medallion whose magic invested them with a mysterious purity, made them the blue-bloods of a resistance lived by their ancestors all through slavery, carried on in their unceasing escape24.

27Cette résistance est perçue comme un fervent héritage que les habitants de la Montagne honorent royalement à travers les comportements d’oisiveté, d’inactivité, farniente comme c’est le cas des jeunes hommes du village, ou Aldrick Prospect :

[…] continuing is still after Emancipation, that emancipated them to a more profound idleness and waste when, refusing to be a grist for the mill of the colonial machinery that kept on grinding in its belly people to spit out sugar and cocoa and copra, they turned up this hill to pitch camp here on the eyebrow of the enemy, to cultivate again with no less fervor the religion with its Trinity of Idleness, Laziness and Waste25.

28Le narrateur nous signale qu’Aldrick n’éprouve aucune difficulté à respecter comme il se doit ce digne héritage. Earl Lovelace l’élève au rang d’aristocrate c’est-à-dire le plus haut grade dans la sauvegarde de cette tradition : « his brain working in the same smooth unhurried nonchalance with which he moved his feet, a slow, crushing crawl which he quickened only at Carnival26 ». La résistance de ce personnage masculin s’exprime par le fait de ne pas prendre part aux activités de Trinidad qu’il juge colonisatrices et assimilationnistes. Dans un élan de révolte avec ses camarades tels que Fisheye, Aldrick prend la parole en public et déclare :

Make no peace with slavery […] Make no peace, for you have survived. You are here filling up the shanty towns, prisons, slums, street corners, mental asylums, brothels, hospitals. Make no peace with shanty towns, dog shit, piss. We have to live as people, people. We have to rise. Rise up. But how do you rise up when your brothers are making peace for a few dollars ? When sisters selling their souls, and mothers and fathers selling their children. How can you rise with rent to pay and children to school, and watch hunger march across your yard and camp inside your house ? How can you not make peace27 ?

29C’est ainsi qu’Aldrick, nègre marron de la Montagne redonne vie à ce legs de la résistance en incarnant durant le carnaval le personnage du dragon. Le costume de dragon qu’Aldrick fait et défait chaque année est chargé de symbole, d’histoire et de message. Le narrateur déclare :

Aldrick worked slowly, deliberately; and every thread he sewed, every scale he put on the body of the dragon, was a thought, a gesture, an adventure, a name that celebrated some part of his journey to and his surviving upon this hill. He worked, as it were, in a flood of memories, not trying to assemble them, to link them to get a linear meaning, but letting them soak him through and through28.

30Ce costume qui n’est en rien un simple déguisement rappelle chaque année aux carnavaliers l’attitude de rébellion qu’ils doivent adopter au quotidien :

It was only by faith that he could bring alive from these scraps of cloth and tin that dragon, its mouth breathing fire, its tail threshing the ground, its nine chains rattling, that would contain the beauty and threat and terror that was the message he took each year to Port of Spain. It was in this message that he asserted before the world his self29.

31Les deux ou trois jours de festivités carnavalesques apparaissent comme l’unique exutoire de ces esclaves brutalisés et martyrisés. Cet événement constitue pour ces derniers un espace de défoulement et de transgression de l’ordre établi. Les opprimés saisissent cette liberté temporaire pour faire renaître les coutumes ancestrales condamnées par le gouvernement colonial, tourner en dérision le mode de vie de leurs maîtres et véhiculer des messages de rébellion et de résistance.

Écriture carnavalesque ou marronnage linguistique

32À l’image du carnaval où tout est subversion, Earl Lovelace s’affranchit des canons du roman traditionnel en ayant recours à une écriture subversive qu’il qualifie d’esthétique bacchanale. Rappelons que dans l’univers caribéen, le bacchanal fait référence à la grande fête du carnaval. En ce sens, l’esthétique bacchanale au sens littéral serait donc l’esthétique de la subversion, du détour, de la ruse et de la dérision. C’est ainsi que l’écriture de Lovelace reflète ce carnaval de Port of Spain ; ce qui participe à la construction du discours du marronnage où la résistance et la transgression sont les maîtres mots.

33L’approche marronne se manifeste par l’opposition, la créativité et aussi la préservation du personnage du conteur. À la lecture de The Dragon Can’t Dance, le lecteur est confronté à une subversion du narrateur et une révision de la figure du griot.

34Le griot occupe une place importante dans les sociétés africaines. Issu de la tradition orale, le griot est le détenteur de la parole dans ces espaces où l’écriture est inexistante. Gardien de la mémoire, le griot est un véritable artiste aux diverses facettes, à la fois poète, historien, musicien, juge, moraliste : « parler du griot, c’est évoquer le style de son récit, elliptique, le rapport et ce passage entre tradition et modernité, entre oralité et écriture, entre histoire et mémoire, les questions du pouvoir de la parole, de l’authenticité, de la continuité et de l’identité30 ». Dans The Dragon Can’t Dance, la première fonction du griot-narrateur s’identifie avec le registre de l’oralité. Le griot-narrateur apparaît comme un conteur qui convie son public à écouter son histoire, celle de Taffy, un habitant de la Montagne. Sur un ton humoristique et chargé de symbolisme, le griot narre la scène de Taffy qui rejoue la crucifixion du Christ :

Crucify me! let me die for my people. Stone with me stones as you stone Jesus, I will love you still.” And when they start to stone him in truth he gets vex and start to cuss : “get me down ! Get me down ! He say. “ let every sinnerman bear his own blasted burden ; who is I to die for people who ain’t have sense enough to know that they can’t pelt a man with big stones when so much little pebbles lying on the ground31”.

35Dans le prologue du roman, Lovelace présente ce conte dans lequel il tourne en dérision la religion catholique. Ayant participé à l’aliénation et la désacralisation des esclaves, la religion catholique porte sa part de responsabilité de l’oppression des noirs. La religion devient un élément qu’il faut combattre pour se réapproprier ses valeurs. Le narrateur du roman utilise un discours religieux qu’il parodie. Lovelace a recours à un langage carnavalesque empreint d’humour, d’ironie, de satire pour dénoncer les conséquences du colonialisme. L’art de conter se fait dans la langue de résistance en ayant recours à des procédés tels que la ruse, principe de la liberté de la parole. « La parole du conteur est considérée comme contournement, détour, résistance comme » parole dues », la seule susceptible de nous rendre à nous-mêmes32 ». La pauvreté de Calvary Hill est stigmatisée en ces mots :

this is the hill, Calvary Hill, where the sun set on starvation and rise on potholed roads, thrones for stray dogs that you could play banjo on their rib bones, holding garbage piled high like a cathedral spire, sparkling with flies buzzing like torpedoes33.

36Ainsi, le griot-narrateur se charge d’interpeller le lecteur sur la situation chaotique des habitants de la Montagne. Sous la direction du dieu yoruba Legba, Dieu du carrefour, Earl Lovelace fait ressurgir plusieurs voix ; il en fait la représentation lors de la confection du costume du dragon d’Aldrick. Cette scène est la métaphore du processus d’écriture de Lovelace qui rappelle les différentes voix qui interviennent dans les cérémonies Shango. C’est d’ailleurs cette polyphonie de voix que la chercheuse Fabiana Sabsay explique dans toute création artistique :

À vrai dire, toute création artistique au sens large est un dialogue-un dialogue interne, un dialogue qui ne peut pas s’entendre de l’extérieur, mais qui néanmoins, comme tout dialogue, s’exprime à travers la voix. Des voix qui paradoxalement ne produisent pas de bruit, des voix intérieures. Celles-ci peuvent être considérées comme une « première forme d’oralité » qui se développe au sein du créateur en contact avec d’autres voix internes qui appartiennent à des personnes qui sont significatives pour lui. C‘est ainsi qu’une polyphonie de voix différentes serait présente dans tout processus de création artistique34.

37Dans le récit, le lecteur se trouve au croisement de plusieurs histoires comme celle de Fisheye, de Pariag et de sa femme : les indiens de la Montagne, ou du grand père d’Aldrick. C’est ainsi que l’esthétique bacchanale inspirée de la fête du carnaval conduit à une écriture du désordre et du renversement orchestrée par le griot-narrateur.

38Le griot est celui qui sait manier la langue, comme Lovelace le montre en abolissant les barrières linguistiques. En effet, le texte passe de l’anglais standard au créole trinidadien avec une fluidité remarquable créant un langage littéraire de la résistance, empreint d’oralité. Les différentes voix de Calvary Hill occupent une place dans la littérature qui sont représentées dans la langue vernaculaire des habitants. En effet, le créole trinidadien permet de rendre compte parfaitement de la réalité trinidadienne qui ne pourrait s’exprimer dans la langue du colonisateur. Ainsi, la résistance linguistique se présente sous forme de proverbe, de chanson de calypso, des contes : procédés empruntés au griot mais qui rappelle aussi la confluence des langues que l’on retrouve dans le carnaval. Selon Jean-Georges Chali, « le conteur s’érige en contradicteur de la pensée normative et du discours dominant. Il dénonce la mystification, fait tomber les masques et revendique la parole et la pensée vraie, authentique. Il fait appel à la parole proverbiale pour discréditer la pensée dominante et discriminer le vrai et le faux35 ».

39Par ailleurs, le griot fervent défenseur de la tradition établit un lien entre l’Afrique ancestrale et la Caraïbe. Dans la culture moderne trinidadienne, on retrouve des traces de l’Afrique déracinée, détruite, brisée :

sweeping yards in a ritual, heralding the masqueraders’ coming, that goes back centuries for its beginnings, across the Middle Passage, back to Mali and to Guinea and Dahomey and Congo, back to Africa when Maskers were sacred and revered, the keepers of the poisons and heads of secret societies36.

40Cette esthétique bacchanale qui est aussi une esthétique de la rencontre correspond à ce que Dominique Berthet nomme la rencontre-choc. Pendant le carnaval, modernité et historicité se confrontent comme le fait remarquer le narrateur concernant la rébellion des habitants qui s’amoindrit au fil des années :

But this Carnival, putting on his costume now at dawn, Aldrick had a feeling of being the last one, the last symbol of rebellion and threat to confront Port of Spain [… the message] would be lost now among the clowns, among the fancy robbers and the fantasy presentations that were steadily entering Carnival; drowned amidst the satin and silks and the beads and feathers and rhinestones37.

41Ainsi, la figure du narrateur revisitée dans The Dragon can’t Dance engendre une subversion du roman traditionnel. Ici, la transformation du narrateur en griot est porteuse d’un message engagé mais aussi une récupération de la culture ancestrale africaine. Par le biais du masque du griot africain, le narrateur attire l’attention sur les effets du colonialisme mais aussi les problèmes de confrontation entre historicité et modernité que vivent les Trinidadiens.

Conclusion

42Dans The Dragon Can’t Dance, Earl Lovelace nous fait pénétrer dans les profondeurs de son île natale Trinidad. Cette fête qui peut paraître comme un simple défoulement social est marquée de symboles qui illustrent le vécu et l’histoire des insulaires et particulièrement des Afro-Trinidadiens. C’est d’ailleurs dans un registre satirique et humoristique que l’auteur expose les conséquences dramatiques de la colonisation sur la psyché des protagonistes mais aussi sur leur répartition spatiale à Trinidad. Ainsi, à travers cette fête où l’anarchie règne en maître, le carnaval est l’espace propice de dénonciation et de revendication. Les différentes femmes du roman saisissent cette période pour récupérer leur corps, le « moi » qu’on leur a ôté durant des siècles d’esclavage et de colonisation. Pour cela, l’instrumentalisation du corps est un outil indispensable dans la catharsis du personnage.

43Par ailleurs, le carnaval, espace de libération permet aux Afro-Trinidadiens comme Aldrick de rappeler et de rejouer le digne héritage de la résistance laissé par les ancêtres marrons, mais aussi de faire réapparaître la culture africaine bafouée par les colonisateurs. C’est cette capacité du carnaval à déjouer la hiérarchie que l’écrivain trinidadien Earl Lovelace retranscrit dans l’esthétique bacchanale. Cette esthétique littéraire permet l’intégration du personnage oral du griot dans l’univers de l’écriture métamorphosant la figure du narrateur.

44Ainsi, la thématique du carnaval dans The Dragon Can’t Dance conduit à un renouvellement et une contestation du genre romanesque occidental.

45Corpus

46LOVELACE Earl, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979.

47LOVELACE Earl, La Danse du dragon, trad. Hélène Devaux, Paris, Hatier, 1984.

48Autres textes

49AURELIA Dominique, « Image de soie : textes / textiles dans Autobiographie de ma mère de Jamaica Kincaid » in DONATIEN-YSSA Patricia (dir.), Image de soi dans les sociétés postcoloniales, Paris, Le Manuscrit, 2006.

50BAKHTINE Mikhaïl, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, Trad. Paris, Gallimard, 2001.

51CHALI Jean-Georges, « Contes créoles et subversion du discours littéraire », Africultures, 2014/3 (n° 99-100).

52DESLAURIER Christine, ROGER Aurélie, Passés coloniaux recomposés : mémoires grises en Europe et en Afrique, Paris, Karthala, 2006.

53DIENE Doudou, « Silence et invisibilité : l’enjeu de mémoire de la domination et de la discrimination », in LANGE-EYRE Valérie (dir.), Mémoire et droits humains, enjeux et perspectives pour les peuples d’Afrique et des Amériques, Lausanne, Action de Carême, 2009.

54DONATIEN Patricia, L’Exorcisme de la blès : vaincre la souffrance dans Autobiographie de ma mère, Paris, Le manuscrit, 2007.

55DONATIEN Patricia, « Lorsque la rue parle : le délire comme contre-pouvoir dans la sphère carnavalesque », 2015, http://www.manioc.org/fichiers/V15125 (cons. le 12 juin 2016).

56DUBOIS Dominique, « Espace urbain et transformations sociales dans The Dragon Can’t Dance d’Earl Lovelace », in DUBOIN Corinne (dir.), La Ville plurielle dans la fiction antillaise anglophone images de l’interculturel, Paris, Presses universitaires du Mirail, 2000.

57ENTIOPE Gabriel, Nègres, danse et résistance : la Caraïbe du XVIIe au XIXe siècle, Paris, L’Harmattan, 1996.

58FANON Frantz, Peau noire, masques blancs, Paris, Éditions du Seuil, 1952.

59HELM Yolande Aline, Roland Brival : Métissages et identité caribéenne, Paris, L’Harmattan, 2011.

60MAIGNAN-CLAVERIE Chantal, Le Métissage dans la littérature des Antilles Françaises, le complexe d’Ariel, Paris, Karthala, 2005.

61MAUREEN SHAW Aimie, « En dialogue avec Bakhtine : Carnavalisation, Carnavalesque et Carnaval au cœur du roman », Lakehead University, 2005. http://dspace.library.uvic.ca/bitstream/handle/1828/191/Aimie_Shaw_Thesis.pdf (cons. le 12 juin 2016).

62MENIL René, Tracées : identité, négritude, esthétique aux Antilles, Paris, Robert Laffont, 1991.

63SABSAY Fabiana, L’influence de l’oralité sur la littérature : analyse de la collaboration entre J.L. Borges et A. bioy Casares, Université Paris VIII, Vincennes-Saint Denis, Département d’Études Hispaniques et Hispano-Américaines, 2002.

Notes de bas de page numériques

1 Steelband : orchestre constitué de Steelpans. Le Steelpan est un instrument de percussion idiophone mélodique originaire de Trinidad et Tobago.

2 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, p. 84-85. Traduction : « Le carnaval n’était plus qu’à une semaine de là, la ville était en ébullition : les gens se déplaçaient en flots insensés sur les trottoirs, ils traversaient en pleine rue, l’heure de pointe ; les rythmes des Steelbands et des calypsos que déversaient les juke-boxes et les magasins de disques, les odeurs mélangées s’élevaient comme un singulier encens dans une chaleur d’étuve. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 92).

3 Patricia Donatien, L’Exorcisme de la blès : vaincre la souffrance dans Autobiographie de ma mère, Paris, éd. Le manuscrit, 2007, p. 16.

4 Mikhaïl Bakhtine, L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Age et sous la Renaissance, Trad. Paris, Gallimard, 2001, p. 97.

5 Patricia Donatien, « Lorsque la rue parle : le délire comme contre-pouvoir dans la sphère carnavalesque », 2015, http://www.manioc.org/fichiers/V15125 (cons. le 12 juin 2016).

6 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, p. 5. Trad. « Nou zot c’est en sel moune. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 12).

7 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, p. 10. Traduction : « Mais maintenant que c’était la saison du Carnaval, Man’zelle Clothilde devenait aimable avec tout le monde. Du même accès tourbillonnant d’énergie qui avait alimenté son comportement précédent, elle était presque devenue une sainte, distribuant des bonbons aux enfants, s’intéressant à leurs leçons. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 11).

8 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, pp. 124-125. Traduction : « sa robe de soie bruissait à la hauteur des genoux, son chapelet pendillait sous son missel ; elle avançait la tête haute, le voile de dentelle noire relevé au milieu du visage pour mieux révéler la croix de cendres dont le prêtre lui avait marqué le front à la messe de communion tôt ce matin-là. Aldrick la regarda approcher de son pas rapide ; digne, pressée et le souffle court, elle affichait un air de grandeur audacieuse et pieuse, comme si elle annonçait que maintenant le Carnaval fini, ses péchés expiés […] elle était prête une fois de plus à reprendre la vie où elle l’avait laissé lorsque la saison du Carnaval était arrivée. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 135).

9 Dominique Dubois, « Espace urbain et transformations sociales dans The Dragon Can’t Dance d’Earl Lovelace », in Corinne Duboin (dir.), La ville plurielle dans la fiction antillaise anglophone images de l’interculturel, Paris, Presses universitaires du Mirail, 2000, p. 50.

10 Aimie Maureen Shaw, « En dialogue avec Bakhtine : Carnavalisation, Carnavalesque et Carnaval au cœur du roman », Lakehead University, 2005. http://dspace.library.uvic.ca/bitstream/handle/1828/191/Aimie_Shaw_Thesis.pdf (cons. le 12 juin 2016).

11 René Ménil, Tracées : identité, négritude, esthétique aux Antilles, Paris, Robert Laffont, 1991, p. 21.

12 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, p. 119. Traduction : » il vit Sylvia, elle dansait toujours avec sa vertigineuse vivacité, elle dansait à tout casser ; son corps se tordait frénétiquement, s’agitait autour de sa taille, elle sautait et elle bougeait, elle refusait d’abandonner cette visibilité, ce « moi » que lui avait donné le Carnaval ; elle se tenait en équilibre su le roulement de ses hanches, elle se baissait, se relevait sur un rythme ondulant, elle levait les bras et bondissait comme si elle voulait échapper à son corps pour entrer dans son ‘moi’, un ‘moi’ dans lequel elle pourrait exister pour toujours. Il la regarda danser dans les profondeurs de la musique, dans les entrailles du Carnaval, dans chacune de ses notes, dans son âme, dans la sonorité claire des cercles d’acier ; tout son être n’était qu’un appel, un hurlement, un rugissement, un cri, un cyclone de larmes célébrant son ‘moi’ et priant pour que ce ‘moi’ vive au-delà du Carnaval et de son costume d’esclave. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, pp. 128-129).

13 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, p. 9. Traduction : « Man’zelle Clothilde […] les joues fardées de rouge et les hanches rembourrées, bichonnant sa flétrissante beauté, se pavanant avec ses anneaux d’or et les bagues d’or jumelles qui proclament qu’elle fut mariée jadis, portant des robes au-dessus du genou, qui, si vous lui en donnez la chance, laisseront voir ses cuisse. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 10).

14 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, p. 10. Traduction : « Car la Montagne savait que ce n’était pas seulement une habitude- elle avait été reine pendant les onze années précédentes- et qu’elle ne pouvait non plus se le permettre ; la Montagne savait ce qu’elle savait : que le fait d’incarner la reine n’était pas du tout une mascarade mais l’affirmation annuelle de sa royauté originelle ; cette couronne, elle l’avait acceptée comme due à son port altier et à sa beauté, que même ses ennemis reconnaissaient et qui ne tenaient pas au fait qu’elle était mulâtresse, mais qui certainement n’auraient pas existé sans cela. Et une fois revêtue de la parure royale, elle n’était plus que rire et enthousiasme ». (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 12).

15 Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris, Éditions du Seuil, 1952, p. 46.

16 Gabriel Entiope, Nègres, danse et résistance : la Caraïbe du XVIIe au XIXe siècle, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 144.

17 Dominique Aurélia, « Image de soie : textes / textiles dans Autobiographie de ma mère de Jamaica Kincaid », in Patricia Donatien-Yssa (dir.), Image de soi dans les sociétés postcoloniales, Paris, Le Manuscrit, 2006, p. 217.

18 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, p. 13. Traduction : « T’as pas des yeux dans la tête pour voir que qu’c’est pas’ce que la peau d’cette femme-là est plus claire qu’la tienne et qu’la mienne qu’elle se sent supérieure aux gens d’la Montagne ! et tout cet ami-ami qu’elle fait pendant le Carnaval, c’est juste un écran de fumée pour cacher comment qu’elle est méchante en temps normal, pour faire oublier assez longtemps tout c’qu’elle fait tout au long d’lannée, pour te calmer, pour pouvoir revenir à la charge et te commander et encore te faire marcher. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 14).

19 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, p. 21. Traduction : « Man’zelle Clothilde sourit ; ça lui était vraiment égal que Sylvia accepte. Elle était simplement satisfaite d’avoir pu établir qu’elle (Clothilde) était en situation d’offrir alors que Sylvia, même si elle refusait, n’était qu’en mesure de recevoir. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 24).

20 Pierre Bourdieu, La distinction sociale, Paris, éd. de Minuit, 1973, p. 61.

21 Chantal Maignan-Claverie, Le Métissage dans la littérature des Antilles Françaises. Le complexe d’Ariel, Paris, Karthala, 2005, p. 18.

22 Yolande Aline Helm, Roland Brival : Métissages et identité caribéenne, Paris, Harmattan, 2011, p. 115.

23 Doudou Diene, « Silence et invisibilité : l’enjeu de mémoire de la domination et de la discrimination », in Valérie Lange-Eyre (dir.), Mémoire et Droits Humains. Enjeux et Perspectives pour les Peuples d’Afrique et des Amériques, Lausanne, Action de Carême, 2009, p. 75.

24 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, p. 2. Traduction : « La clé rouillée, ils la portent comme un bijou, un charme,un médaillon enchanté dont la magie les pare d’une pureté mystérieuse et fait d’eux les dignes héritiers d’une résistance vécue par leurs ancêtres tout au long de l’esclavage, clé emportée avec eux dans leur évasion incessante. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 4).

25 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, pp. 2-3. Traduction : « Ils continuèrent après l’Émancipation qui ne les émancipa que pour leur remettre une oisiveté et un gaspillage encore plus grand lorsque, refusant d’être les grains de blé continuellement moulu dans les entrailles du moulin de la machination coloniale pour cracher le sucre, le cacao ou le copra, ils établirent leur camp dans la montagne sous l’œil noir de l’ennemi. Et de nouveau ils cultivèrent avec autant de ferveur leur religion et sa Trinité d’Oisiveté, Paresse et Gaspillage. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 5).

26 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, p. 3.Traduction : « Son cerveau travaille sans hâte, au meme rythme nonchalant que celui de ses pas-balancement lent et décontracté qui ne s’accélère qu’au Carnaval. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 5).

27 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, p. 171. Traduction : « Faites pas la paix avec l’esclavage ! […] faites pas la paix, car nous avons survécu. Vous êtes ici, à remplir les bidonvilles, les prisons, les taudis, les coins de rue, les asiles de fous, les bordels, les hôpitaux. Faites pas la paix avec les bidonvilles, les crottes de chiens et la pisse. On veut vivre comme des gens, comme des personnes. I’faut se soulever. Debout ! Mais comment qu’on peu t se soulever quand nos frères font la paix pour quelques dollars ? Quand nos sœurs vendent leur âme, que les mères et les pères vendent leurs enfants ? Comment qu’on peut se soulever avec des loyers à payer et des enfants à envoyer à l’école, et quand on voit la faim traverser sa cour pour s’installer dans sa case ? Comment est ce qu’on peut ne pas faire la paix ? » (Trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 186).

28 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, p. 28. Traduction : « Aldrick travaillait lentement, sans précipitation ; tous les fils qu’il cousait, toutes les écailles qu’il fixait au corps du dragon étaient une pensée, un geste, une aventure, un nom qui commémoraient une étape de son voyage et de sa survie dans la Montagne. En fait, il travaillait noyé dans le flot de ses souvenirs, sans essayer de les assembler ou de les relier pour en tirer une signification linéaire ; il se laissait complètement totalement submerger ; ainsi au fur et à mesure qu’il avançait dans son ouvrage, sa vie se développait devant ses yeux à travers l’épaisseur de la peinture ou dans la position des écailles de son dragon. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 31).

29 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, p. 28. Traduction : « […] c’est uniquement grâce à sa foi qu’il était capable, avec ces morceaux de tissu et de fer-blanc, de donner vie à son dragon. Ce dragon dont la bouche crachait le feu, dont la queue battait le sol, devait incarner beauté, menace et terreur : le message qu’Aldrick apportait chaque année à Port of Spain. C’est par ce message qu’il se définissait devant le monde. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 31).

30 Christine Deslaurier, Aurélie Roger, Passés coloniaux recomposés : mémoires grises en Europe et en Afrique, Paris, Karthala, 2006, p. 215.

31 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1974, p. 3. Traduction : « Crucifiez-moi ! Que je meure pour mon peuple. Lapidez-moi, comme vous avez lapidé Jésus, je n’en continuerai pas moins à vous aimer ». Et lorsqu’ils commencent à lui jeter des pierres pour de bon, la colère l’envahit, et il se met à jurer. « Faites-moi descendre ! Faites-moi descendre ! » qu’il dit. « Chaque pêcheur a qu’à supporter son damné fardeau ; qui je suis, moi pour mourir pour des gens qu’ont même pas assez de jugeote pour voir qu’c’est pas bien d’lancer des grosses pierres sur un homme alors qu’il y a tout plein de petits cailloux par terre ? » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 3).

32 Jean-Georges Chali, « Contes créoles et subversion du discours littéraire », Africultures, 2014/3 (n° 99-100), p. 398.

33 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1974, p. 1. Traduction : « C’est ici la montagne, la Montagne du Calvaire, là où se couche sur des ventres affamés et se lève sur des routes complètement défoncées, domaine des chiens errants – on pourrait jouer du banjo sur leurs côtes – où s’amoncellent des amas de détritus aussi hauts qu’une cathédrale ; ça étincelle de mouches qui vrombissent comme des torpilles. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 3).

34 Fabiana Sabsay, L'influence de l'oralité sur la littérature : analyse de la collaboration entre J.L. Borges et A. Bioy Casares, Université Paris VIII, Vincennes-Saint Denis, Département d'Études Hispaniques et Hispano-Américaines, 2002, p. 164.

35 Jean Georges-Chali, « Contes créoles et subversion du discours littéraire », Africultures, 2014/3 (n° 99-100), p. 398.

36 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, p. 112. Traduction : « Cette coutume vieille de plusieurs siècles, trouve son origine au-delà de l’Atlantique, il faut retourner au Mali, en Guinée, au Dahomey et au Congo, au temps où en Afrique les masques étaient sacrés et honorés ; ils avaient la garde des poisons, ils étaient à la tête de sociétés secrètes. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 12).

37 Earl Lovelace, The Dragon Can’t Dance, London, Faber and Faber, 1979, p. 113. Traduction : « Mais ce Carnaval-ci, en enfilant son costume, à l’aurore, Aldrick avait le sentiment d’être le dernier, le dernier symbole de rébellion et de menace à affronter Port of Spain[…] le message allait désormais se perdre au milieu des clowns, des voleurs du dimanche et des présentations pleines de fantaisie qui s’incorporaient régulièrement au Carnaval ; le dragon allait se trouver noyé dans le satin, la soie, les perles, les plumes et dans le strass. » (trad. Hélène Devaux, La Danse du dragon, Paris, Hatier, 1984, p. 123.)

Pour citer cet article

Alexandra Roch, « Carnaval et rébellion dans The Dragon Can’t Dance d’Earl Lovelace », paru dans Loxias, 54, mis en ligne le 16 septembre 2016, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=8469.


Auteurs

Alexandra Roch

Docteur en Études Anglophones, Alexandra Roch a soutenu une thèse sur le marronnage dans la littérature caribéenne anglophone et francophone en juin 2016 à l’Université des Antilles. Son champ de recherche concerne les études postcoloniales, les formes de résistances culturelles et littéraires chez certains auteurs caribéens comme Earl Lovelace, Michelle Cliff et Patrick Chamoiseau. Auteur des articles : « Arpenter la Trace dans Un Dimanche au Cachot de Patrick Chamoiseau » dans la Revue en ligne des Littératures Francophones : La Tortue Verte (Université de Lille), « Le chronotope de l’enfermement dans Un Dimanche au cachot de Patrick Chamoiseau » dans les cahiers du GRELCEF (Canada), la recension de l’ouvrage Émergence d’une identité caribéenne canadienne anglophone de Rodolphe Solbiac dans la Revue Cercle.