Loxias | 47. Autour du programme des concours 2015 | I. Programme de l'agrégation de Lettres 

Hélène Baby  : 

Relire les stances de Polyeucte. Du baptême à la confirmation

Résumé

Hélène Baby propose une relecture des stances de Polyeucte, expliquant la présence de leurs cinq strophes hétérométriques dans une tragédie chrétienne. Renvoyant au mystère de la Pentecôte et à ses effets, elles achèvent et « confirment » à l’acte IV le sacrement du baptême reçu par Polyeucte au début de la pièce.

Index

Mots-clés : Corneille (Pierre) , liturgie, Polyeucte, stances, tragédie chrétienne

Géographique : France

Chronologique : XVIIe siècle

Thématique : théâtre

Plan

Texte intégral

1Après les remarquables analyses de nos prédécesseurs1, que peut-on dire encore sur ce morceau détachable que sont les stances de Polyeucte ? À la faveur du programme de l’agrégation 20152, nous proposons pourtant une nouvelle lecture de ce célébrissime morceau de poésie dramatique, non dans une perspective stylistique, mais bien dramaturgique, considérant ces stances comme un outil essentiel à la fabrique de l’œuvre.

Stances et monologue

2Nous savons que Corneille, lecteur de son propre théâtre, revient en 1660, entre autres réflexions, sur deux formes propres au langage dramatique, le monologue et les stances (les deux n’étant pas forcément confondus3). Tenant compte des débats sur la vraisemblance, et en particulier des analyses de l’abbé d’Aubignac dans La Pratique du théâtre parue peu de temps auparavant (1657), il affirme partager les mêmes réticences que l’ensemble des dramaturges et des théoriciens de l’âge classique. À l’instar de d’Aubignac qui écrivait

J’avoue qu’il est quelquefois bien agréable sur le Théâtre de voir un homme seul ouvrir le fond de son âme, et de l’entendre parler hardiment de toutes ses plus secrètes pensées, expliquer tous ses sentiments, et dire tout ce que la violence de sa passion lui suggère ; mais certes il n’est pas toujours bien facile de le faire avec vraisemblance. […] c’est un défaut du Théâtre, et je l’excuse […] par la nécessité de la Représentation, étant impossible de représenter les pensées d’un homme que par ses paroles4.

3Corneille est lui aussi sensible à l’artifice du procédé, et concède à propos de Cinna :

C’est ici la dernière pièce où je me suis pardonné de longs monologues5.

4Il se le « pardonne », comme il le dit lui-même, en partie parce que c’est un usage souhaité par les comédiens, ce qu’il rappelle dans l’Examen de Clitandre :

Les monologues sont trop longs et trop fréquents en cette pièce ; c’était une beauté en ce temps-là : les comédiens les souhaitaient, et croyaient y paraître avec plus d’avantage6.

5Mais, avec la reconnaissance croissante de l’auteur, l’équilibre entre les exigences des comédiens et les choix artistiques du dramaturge se modifie, et Corneille, convaincu, comme toute cette génération classique, de la nécessité de « cacher l’art », parvient à diminuer l’usage du monologue : alors que Cinna (1642) en compte quatre7 pour un total de plus de deux cents vers, la pièce suivante en 1643, Polyeucte martyr, en contient seulement deux, celui de Pauline et celui de Polyeucte8. Changement qu’il souligne dans ce même Examen de Clitandre :

La mode a si bien changé que la plupart de mes derniers ouvrages n’en ont aucun ; et vous n’en trouverez point dans Pompée, la Suite du Menteur, Théodore et Pertharite, ni dans Héraclius, Andromède, Œdipe et la Toison d’Or, à la réserve des stances9.

6Le distinguo, entre stances et monologue, que Corneille introduit en toute fin de phrase, montre que son alignement sur la théorie classique n’est pas sans nuances, et cette ultime « réserve » rappelle deux éléments bien connus et apparemment contradictoires : d’une part, que la pratique cornélienne du monologue diminue au fil du siècle, ce qui s’explique par les progrès constants d’une vraisemblance qui tend à exclure les procédés les plus artificiels du langage dramatique ; et d’autre part, que les stances, alors même qu’elles incarnent le point ultime du travail poétique et de la convention dramaturgique, demeurent, pour Corneille, dotées du pouvoir singulier d’exprimer l’humain10. Pour saisir ce paradoxe que Jacques Morel avait jadis remarquablement résumé11, rappelons brièvement quel statut théorique occupent les stances. Pour les théoriciens et l’ensemble des dramaturges, l’alexandrin à rimes plates est le procédé conventionnel par lequel le théâtre traduit, sur le plan externe de la représentation, les paroles que les personnages échangent sur le plan interne de la fiction.

7Aussi les stances, cet ensemble de strophes identiques à la fois dans la cadence hétérométrique de leurs vers et dans la disposition de leurs rimes (alternant les plates, croisées et embrassées) se caractérisent-elles immédiatement par la rupture qu’elles installent dans la linéarité des alexandrins à rimes plates. Interruption qu’il est loisible d’interpréter comme l’interruption de la prose dans la fiction elle-même, et qui peut donc laisser penser aux spectateurs qu’il s’agit de paroles effectivement versifiées par les personnages eux-mêmes. Voilà pourquoi d’Aubignac exige qu’elles soient justifiées comme telles sur le plan interne de l’action :

Pour rendre donc vraisemblable qu’un homme récite des Stances, c’est-à-dire, qu’il fasse des vers sur le Théâtre, il faut qu’il y ait une couleur ou raison pour autoriser ce changement de langage. Or la principale et la plus commune est, que l’Acteur, qui les récite, ait eu quelque temps suffisant pour y travailler, ou pour y faire travailler12.

8Si d’Aubignac, comme à son habitude, trouve un remède pire que le mal en enjoignant au dramaturge de trouver une raison pour que le personnage parle en vers — ce qui ne peut que renforcer l’invraisemblance du procédé —, le théoricien n’en est pas moins justement sensible au défaut majeur des stances au regard de l’impératif classique de la vraisemblance : elles font apparaître le travail du poète, l’arbitraire de l’auteur dirait-on aujourd’hui. D’où sa violente charge contre la scène du Cid qui voit Rodrigue composer une « chanson » :

[…] ce qui est d’autant plus insupportable, que souvent nos Poètes ont mis des Stances dans la bouche d’un Acteur parmi les plus grandes agitations de son esprit, comme s’il était vraisemblable qu’un homme en cet état eût la liberté de faire des chansons. C’est ce que les plus entendus au métier ont très justement condamné dans le plus fameux de nos Poèmes, où nous avons vu un jeune Seigneur recevant un commandement qui le réduisait au point de ne savoir que penser, que dire, ni que faire, et qui divisait son esprit par une égale violence entre sa passion et sa générosité, faire des Stances au lieu même où il était, c’est-à-dire, composer à l’improviste une chanson au milieu d’une rue ; les Stances en étaient fort belles, mais elles n’étaient pas bien placées ; il eût fallu donner quelque loisir pour composer cette agréable plainte.13

9Jugement auquel Corneille répondra en 1660 dans l’Examen d’Andromède, tout à la fois par un véritable manifeste en faveur du procédé en général et par la condamnation des stances de Rodrigue en particulier. Corneille prend la peine de reconstituer le raisonnement de d’Aubignac :

[…] les stances dont je me suis servi en beaucoup d’autres poèmes, et contre qui je vois quantité de gens d’esprit et savants au théâtre témoigner aversion […] Ils disent que bien qu’on parle en vers sur le théâtre, on est présumé ne parler qu’en prose […]14

10Dans la mesure où, pour Corneille, tous les mètres sont susceptibles de rendre compte de la prose, il réfute l’idée que la rupture rythmique instaurée par les stances puisse signifier rupture énonciative :

Mais par quelle raison peut-on dire que les vers alexandrins tiennent nature de prose, et que ceux des stances n’en peuvent faire autant ? La surprise agréable que fait à l’oreille ce changement de cadences imprévu, rappelle puissamment les attentions égarées 15.

11Pour autant, c’est bien à la suite de d’Aubignac, et, au fond, pour les mêmes raisons, que Corneille condamne les stances de Rodrigue :

[…] mais il y faut éviter le trop d’affectation. C’est par là que les stances du Cid sont inexcusables, et les mots de peine et Chimène, qui font la dernière rime de chaque strophe, marquent un jeu du côté du poète, qui n’a rien de naturel du côté de l’acteur16.

12Bien que Corneille s’en défende, ce jugement dénonçant la trop grande artificialité des stances montre qu’il partage avec d’Aubignac, et avec toute sa génération, l’exigence du « naturel », en d’autres termes l’exigence de la plus grande discrétion imposée à l’artifice poétique. Corneille se situe donc sur une étroite crête, entre d’une part la condamnation des formes linguistiques affectées, c’est-à-dire ressortissant à l’auteur et donc senties comme invraisemblables, et d’autre part la recherche du naturel au moyen de formes linguistiques travaillées et hétérométriques.

Pour s’en [le naturel] écarter moins, il serait bon de ne régler point toutes les strophes sur la même mesure, ni sur les mêmes croisures de rimes, ni sur le même nombre de vers. Leur inégalité en ces trois articles approcherait davantage du discours ordinaire, et sentirait l’emportement et les élans d’un esprit qui n’a que sa passion pour guide, et non pas la régularité d’un auteur qui les arrondit sur le même tour17.

13À bien lire Corneille, pour s’approcher du « discours ordinaire », les stances devraient remplir certaines conditions de naturel, et, en particulier, ne pas comporter de strophes construites à l’identique : condition qui n’est et ne sera, dans l’ensemble de son théâtre, de fait, jamais remplie… et qu’il remplacera par des compositions en vers libres comme dans Agésilas, ou par les interventions hétérométriques des dieux dans Andromède et dans La Toison d’or.

14En 1642, près de vingt ans avant les analyses menées dans ses Examens, Corneille livre au public, avec les stances de Polyeucte, un magnifique morceau de poésie, bien éloigné du naturel avec ses cinq strophes, toutes identiques, « sur la même mesure », « sur les mêmes croisures de rimes », avec « le même nombre de vers » : chacune d’elles est un dizain formé d’un quintil d’alexandrins et d’un quintil d’octosyllabes, tandis que les rimes y sont toujours successivement croisées et embrassées (sur le modèle ababceecce). Alors même qu’il commence à se méfier du monologue et qu’il évite le refrain jugé trop artificiel dans la plainte de Rodrigue, Corneille ne renonce pas à la forme fixe et contrainte des stances dans Polyeucte et, bien loin encore de la quête d’un « discours ordinaire », le monologue, dans le magnifique travail de ses cinq dizains, fait nettement apparaître la « régularité d’un auteur ».

15On peut certes penser que Corneille a évolué entre 1642 et 1660, qu’il n’aurait pas écrit les stances de Polyeucte à cette dernière date où prévaut désormais la quête du naturel d’un « discours ordinaire », et l’on est tenté de leur affecter aussi le caractère « inexcusable » de celles de Rodrigue.

16On peut aussi penser que Corneille n’a jamais jugé « inexcusables » les stances de Polyeucte malgré leur très grande artificialité, précisément parce que son personnage n’est pas sous le coup de l’« emportement » ou de la « passion », et que la régularité des stances est autant le signe de la décision raisonnable du personnage que du travail réglé de l’auteur.

17On peut penser enfin que Corneille les aurait réécrites telles quelles, comme il en a écrit d’autres après 1642, précisément pour souligner le caractère extraordinaire de la parole prononcée, et en l’occurrence la nature exceptionnelle du langage chrétien. Loin d’être excusables par la nature ordinaire de leur énonciation, c’est bien au contraire leur étrangeté qui les justifie.

De l’ordinaire à l’extraordinaire

18Rappelons, sans être par trop schématique, que le débat critique sur Polyeucte oppose d’une part ceux qui voient dans ce personnage l’incarnation caricaturale du conflit cornélien, un héros « barbare18 » qui opposerait devoir de foi aux tendresses afin de se glorifier en un néo-stoïcisme suspect, et d’autre part ceux qui demeurent convaincus de l’attitude chrétienne d’un homme appelé au martyre par une grâce baptismale toute récente. Dès lors que la forme du monologue correspond à ce moment privilégié où, comme l’écrit d’Aubignac, le personnage peut « ouvrir le fond de son âme », il était logique que cette querelle critique se cristallisât sur les stances du héros, dont les cinq strophes sont lues tantôt comme un raisonnement, tantôt comme une effusion spirituelle, le plus souvent comme la combinaison de ces deux mouvements.

19Après Charles Péguy, qui célèbre avec lyrisme l’élan de foi sincère du chrétien se détournant du monde19, Mgr Calvet écrit que Polyeucte « n’est pas sur le plan de l’humanité ; il est possédé de Dieu20 ». Ce qui ne l’empêche pas de considérer que l’exaltation religieuse se combine au raisonnement :

Il est impossible de mettre plus de raison dans l’exaltation21.

20À leur suite, Marie-France Hilgar exprime le sentiment d’une différence de degré entre l’habituelle délibération cornélienne et le monologue de Polyeucte, en écrivant que « les stances offrent plus qu’une délibération réfléchie. Elles […] se transforment en cantique22 ». Pour Marie-Odile Sweetser, les stances correspondent à un débat intérieur, dont la description qu’elle en donne les fait ressembler à l’alternative habituelle du conflit cornélien :

La période purgative de la lutte intérieure, du moi divisé suit le bris des idoles : Polyeucte doit s’arracher à son amour pour Pauline, si légitime sur le plan humain, le repousser comme de « flatteuses voluptés », de « honteux attachements de la chair et du monde », invoquer les « saintes douceurs du ciel, adorables idées », « le feu divin » pour arriver au détachement total et à l’illumination23.

21Lecture qui peut aboutir, comme le fait Raymond Triboulet, à voir les stances comme la trajectoire d’un raisonnement assez froid et sec, construit sur les arguments habituels du mépris des vanités :

Son raisonnement, car il s’agit d’un chant raisonnable, développe le thème du renoncement, rebattu par les ouvrages pieux de l’époque, mais sans le réchauffer de l’amour pour le Christ24.

22Voir les stances comme un simple « chant raisonnable » a pour inconvénient d’ouvrir au risque de transformer le personnage cornélien en matamore bandant sa volonté ou en guerrier fanatique sûr de son choix. Et de fait, les notions de lutte, de conflit, de délibération, conduisent toute une partie de la critique à commenter négativement cette « volonté du martyr », comme le fait Joseph Pineau qui évoque, à partir d’un « conflit entre la soif de bonheur immédiat et la fidélité à Dieu », un « rêve religieux égoïste25 ». Il ajoute alors « Ce qui frappe, c’est l’égocentrisme de Polyeucte plutôt que le caractère raisonnable de son comportement26 ». La démesure d’un moi égocentrique, c’est bien la lecture de Voltaire, de Claudel, et, à leur suite, de Doubrovsky27. Aussi nous paraît-il raisonnable de revenir à la lettre du texte, et de rappeler que rien n’est plus éloigné d’une délibération que cette pieuse méditation.

23Résumons d’abord brièvement ce que disent ces stances, et dans quel ordre elles le disent. La première strophe affirme de façon générale la vanité de tous les attachements terrestres ; la deuxième strophe en sélectionne deux en célébrant le mépris des richesses et des grandeurs, et commence à annoncer la chute des puissants ; la troisième strophe poursuit cette prophétie en la précisant par l’évocation de la chute proche de l’empereur Décie ; passant enfin au sort particulier de Polyeucte, la quatrième strophe décrit son aspiration à sa propre « ruine » (au vers 1139) ; la cinquième et dernière rejoint les généralités initiales en affirmant le bonheur de la sainteté, une fois rompus tous les attachements terrestres. Si l’on peut partager l’idée que les strophes déroulent les topoï de la vanité, il nous paraît en revanche difficile d’y lire un raisonnement destiné à convaincre le personnage de mourir.

24Car les cinq strophes qui composent le monologue de Polyeucte ne dessinent manifestement pas les combats d’un conflit cornélien (comme le font les quatre monologues de Cinna cités plus haut), mais bien plutôt les conséquences du détachement du sage. Conséquences perceptibles dans la syntaxe elliptique des vers 1143-1144, qui fait l’économie du « plus » dans la locution restrictive « ne…plus » :

Et je ne regarde Pauline [plus]
Que comme un obstacle à mon bien (v. 1143-1144)

25Pauline n’est plus regardée comme une femme aimée ou une épouse, elle est désormais un « obstacle », au sens étymologique du terme, ce qui se tient devant, ce qui sépare et qu’il faut franchir. L’obstacle n’est pas forcément difficile à vaincre, comme le montrent les vers qui suivent immédiatement les stances : « voir Pauline sans la craindre ». La dramaturgie cornélienne, qui fait entrer Pauline dans la scène suivante, souligne que c’est bien la jeune femme qui vient au-devant de lui, se plaçant sur son chemin, tout comme les « flatteuses voluptés » qu’il interpellait au vers 1106 : mais de même que, au début du monologue, il a déjà quitté ces « flatteuses voluptés » qu’il évoque et qui ne sont donc plus un obstacle à surmonter, de même il a déjà quitté Pauline quand elle se présente à lui, ainsi que le montre sa démarche envers son rival Sévère. Rappelons que c’est juste avant son monologue que Polyeucte envoie un garde chercher Sévère :

Si j’avais pu lui dire un secret important,
Il vivrait plus heureux, et je mourrais content (v. 1099-1100).

26S’il demande à rencontrer Sévère, c’est parce qu’il a déjà décidé de lui donner Pauline, et qu’il a donc déjà décidé de renoncer au monde28. Pour le dire autrement, point de monologue délibératif, point de combat, mais une méditation sereine sur la décision prise29.

27On pourrait nous objecter que les antithèses, voire les oxymores, abondent (« délicieuses » et « misères » au vers 1105, « plaisir » et « guerre » au vers 1109, « charmes impuissants » au vers 116, « fortunés coupables » au vers 1122, « heureux » et « effroyable » au vers 1127, « esclave » et « commande » au vers 1138, « heureux trépas » au vers 1151), comme pour opposer deux forces entre lesquelles le héros cornélien devrait choisir. Ce serait oublier que l’oxymore est le langage même du christianisme, comme l’illustreront magnifiquement les écrits de Bossuet sous la plume duquel, constamment, la faiblesse se mue en force, les premiers deviennent les derniers, la mort devient la vie30. L’antithèse dessine, non l’affrontement de deux tentations, mais bien l’opposition entre la Jérusalem céleste et la Babylone terrestre, entre vérité et erreur dit Patrick Dandrey31. C’est pourquoi la disposition de chaque strophe se fait en deux quintils nettement distincts par le mètre, scission perceptible à l’œil et à l’oreille. Cette distribution dichotomique (et non manichéenne !) des alexandrins et des octosyllabes inscrit dans la chair du texte les deux dimensions qui habitent la pièce, horizontale et verticale, visible et invisible, terrestre et céleste.

28La dernière strophe rejoignant les généralités de la première, et chaque dizain déclinant le paradoxe chrétien des « premiers qui seront les derniers », les stances, par cette structure répétitive et cyclique, ne dessinent pas une trajectoire, mais décrivent toutes le point d’aboutissement d’un chemin spirituel. Autrement dit, pour reprendre les catégories de Jacques Morel, il ne s’agit pas de stances délibératives, mais bien de « stances-méditation32 », où chaque strophe redit, différemment, la nécessité de se détacher du monde et de ses attraits.

29Pour autant, même si la critique accepte de ne pas les considérer comme un raisonnement froid et sec, mais bien comme un cantique sincère sur les vanités du monde, les stances suscitent la réticence. De fait, cette méditation, illustrant une tradition poétique bien connue33 et reprenant une matière très familière aux hommes de ce premier XVIIe siècle, paraît assez commune, tel un « discours ordinaire » sur la vanité. Dans son ouvrage consacré au rapport entre Corneille et Saint François de Sales, Claire Cérasi rappelle d’ailleurs que les stances de Polyeucte sont « un monologue entièrement composé de clichés, de formules qui appartiennent à tous, à une époque de poésie conventionnelle et de conformisme religieux. Rien ici d’original, ni le vocabulaire, ni les figures, ni les sentiments, ni la structure antithétique, même pas le rythme, tout est parfaitement commun à tous les contemporains de Corneille, comme le sont les psaumes ou les litanies34 ».

30Au fond, tandis que les critiques les plus virulents des stances de Polyeucte y voient la raideur d’une volonté héroïque qui n’a rien d’humain et tout d’invraisemblable, les plus indulgents leur reconnaissent la singularité linguistique d’un « cantique », tout en méprisant le caractère éculé, et de leur thématique, et de leur expression. Mais l’intention de Corneille n’est-elle que lyrique ? et comment comprendre qu’un dramaturge aussi habile accepte qu’une méditation sur le topos de la vanité, aussi peu spectaculaire pour l’œil que peu nouvelle pour l’esprit, puisse prendre le pas sur l’action ? En d’autres termes, ne convient-il pas de se demander de quelle action les stances sont la traduction ? Pour répondre, relisons la fin de la critique acerbe de Triboulet :

[…] je l’ai vu évoquer Jésus-Christ lui-même de façon saisissante, et récitant les stances en une psalmodie céleste, sur un fond de scène éclairé, il s’affaissait soudain comme le Sauveur sous le poids de sa Croix.35

31C’est bien ce même critique, pour le moins hostile à Polyeucte, qui termine sa réflexion en exaltant le pouvoir singulier des stances déclamées alors par Édouard de Max. Comment expliquer ce pouvoir d’incarnation que recèlent les stances, même aux yeux de leurs adversaires les plus farouches ? Telle pourrait être, reformulée, la question centrale de notre réflexion.

32Peut-être faut-il se pencher sur le statut de leur énonciateur : cette méditation sur le détachement ne saurait se réduire à la simple répétition des lieux communs du psaume CLXV pour la bonne raison que celui qui la prononce se trouve dans une situation extraordinaire. Pas seulement celle de la prison (comme Genest ou Mariane qui tous deux prononcent des stances-méditations dans leur geôle36), mais celle de la lumière qui irradie le néophyte. Dans l’amoncellement des discours sur la vanité de monde, Corneille se distingue ainsi par l’éthos extraordinaire qu’il confère à leur énonciateur, à savoir l’éthos illuminé du baptisé. Comme l’avait dit Néarque, Polyeucte baptisé est empli du feu du baptême :

Vous sortez du baptême, et ce qui vous anime,
C’est sa grâce qu’en vous n’affaiblit aucun crime ;
Comme encore toute entière, elle agit pleinement
Et tout semble possible à son feu véhément ; (v. 693-696)

33Dans cette perspective, les stances de Polyeucte échappent à la banalité du vanitas vanitatum pour exprimer toute la force de ce « feu véhément », et constituent un relais essentiel dans le cycle évangélique qui va de l’eau du baptême au verbe des apôtres en passant par le feu de la Pentecôte.

34Cycle que Corneille construit en adaptant très habilement la source hagiographique qu’il a trouvée dans le martyrologe romain. On sait en effet que Corneille, bon lecteur d’Aristote, est un poète d’histoire, c’est-à-dire bien plus poète que chroniqueur, capable de dire non pas seulement ce qui a eu lieu, mais ce qui pourrait avoir lieu (et au fond, ce qui pourrait avoir eu lieu) :

Le rôle du poète est de dire non pas ce qui a lieu réellement, mais ce qui pourrait avoir lieu dans l’ordre du vraisemblable ou du nécessaire. Car la différence entre le chroniqueur et le poète... est que l’un dit ce qui a eu lieu, l’autre ce qui pourrait avoir lieu ; c’est pour cette raison que la poésie est plus philosophique et plus noble que la chronique : la poésie traite plutôt du général, la chronique du particulier37.

35C’est bien ce possible de l’histoire qu’entend inventer Corneille grâce à l’« ingénieuse tissure des fictions avec la vérité, où consiste le plus beau secret de la poésie 38», et l’on sait aussi que, parmi les embellissements et acheminements que Corneille a apportés à ses sources, le principal changement consiste en l’invention du baptême de Polyeucte. Alors que l’hagiographe évoquait seulement le « baptême de sang » de Polyeucte, c’est-à-dire le fait que Polyeucte reçoit le baptême par son propre sang au moment de son martyre, Corneille fait baptiser Polyeucte dans la tradition de l’eau baptismale, et vraisemblablement par ondoiement, variante plus courte de l’aspersion39. Abondamment glosée par la critique cornélienne et, cette fois, de façon globalement consensuelle, cette modification essentielle s’explique par la volonté du dramaturge de montrer l’action de la grâce en l’homme. C’est la grâce de cette eau qui agit en Polyeucte, l’inspirant, le poussant, l’appelant au martyre : l’eau baptismale relaie la toute-puissante volonté des stoïques, afin de faire de l’action libre de l’homme la réponse à l’appel de Dieu40.

36On sait encore que l’autre modification des sources hagiographiques touche à la conversion de Pauline41 : invention qui touche non seulement à l’histoire mais aussi à la théologie, car Corneille invente la notion d’un baptême de sang par contiguïté ; Pauline, éclaboussée par le sang du martyr, se dit baptisée et chrétienne :

De ce bienheureux sang tu me vois baptisée (v. 1728).

37Comme l’expliquent Claude Bourqui et Simone De Reyff dans leur belle édition de la pièce, Corneille a combiné deux « concepts distincts : le baptême de sang du martyr, qui recèle toutes les propriétés du sacrement ordinaire [...] d’autre part, la communion des saints, qui suppose la transmission des biens spirituels au sein de la communauté des croyants42 ». La combinaison de ces deux concepts permet à Corneille de mettre en scène une communion des saints ici et maintenant, en vertu d’une grâce dont l’efficacité est « évidente et contaminatrice43 ». Cette circulation de la grâce s’appuie sur des relais que le dramaturge dispose tout au long de sa pièce, dispositif au sein duquel les stances occupent une place prépondérante.

38Nous proposons en effet l’hypothèse selon laquelle l’aspersion baptismale de Polyeucte et le baptême de sang de Pauline, ces deux inventions cornéliennes, respectivement historique et théologique, prennent leur sens dans l’invention poétique des stances, paroles qui achèvent le baptême et en sont la continuation, accomplissant ainsi dans la parole le sacrement de confirmation.

La confirmation

Du « Viens ! » au « Va ! »

39Parmi les sept sacrements de l’Église catholique et romaine, baptême, eucharistie, confirmation, mariage, réconciliation, sacrement des malades (appelé extrême onction jusqu’à Vatican II) et ordination, les trois premiers constituent les sacrements de l’initiation. Tandis que le sacrement du baptême, célébré par aspersion ou par plongée dans l’eau, permet au néophyte de mourir et de ressusciter avec le Christ, le sacrement de confirmation consiste à oindre le chrétien d’huile sainte (le saint chrême), lui conférant ainsi l’infusion de l’Esprit Saint. L’abbé Migne, dans son Encyclopédie théologique, explique le nom de « confirmation » :

Celui de Confirmation a prévalu, parce que ce sacrement confirme ou fortifie dans la foi celui qui a été baptisé. 44

40Aux premiers temps de l’Église, quand ceux qui recevaient le baptême étaient des adultes, ces deux sacrements ne faisaient qu’un : la confirmation s’est peu à peu imposée en tant que sacrement distinct du baptême à mesure que les baptisés étaient de plus en plus jeunes et n’avaient donc pas l’âge de raison lors du premier sacrement d’initiation. Aussi, dès le Moyen Âge, la confirmation consiste, pour le baptisé devenu adulte, à renouveler le sacrement du baptême. De même, dans l’actuelle liturgie catholique et romaine, les deux sacrements, baptême et confirmation, sont distincts, à la fois par le laps de temps qui les sépare et par la nature du célébrant, le prêtre pour le baptême, l’évêque pour la confirmation.

On l’appelle Confirmation, parce qu’elle confirme et renforce la grâce baptismale45.

41Or, précisément, nous avons montré que le monologue en stances de Polyeucte n’est rien d’autre que la répétition d’une décision, déclinée en cinq strophes, ou plus exactement, la confirmation et le renforcement de cette décision. Plutôt que « stances-méditation », nous proposons donc la notion de « stances-confirmation », qui permet de rendre compte du caractère extraordinaire du discours construit par Corneille.

42Car l’on a aussi vu que cette méditation sur les vanités du monde est en même temps l’expression de la décision prise par Polyeucte de les combattre lui-même en y renonçant dans la mort. C’est exactement la leçon du sacrement de confirmation, qui transforme un chrétien en « nouveau soldat de Jésus-Christ46 ». L’infusion de l’Esprit Saint, conférant les sept dons de l’Esprit47, dote le confirmé d’une force qui le régénère et le pousse à se conformer au Christ, c’est-à-dire à propager la Bonne Nouvelle. Ce renforcement de la grâce baptismale trouve son sens dans la différence entre le « viens ! » du baptême et le « va ! » de la confirmation :

Dans le baptême, Dieu dit « Viens » ; dans la confirmation, il dit « Va »48.

43Ni délibération devant une alternative, ni crainte devant un obstacle, c’est bien la transformation du néophyte en missionnaire que disent les stances de Polyeucte, personnage qui passe du statut passif du baptisé au statut actif du confirmé. C’est désormais un soldat du Christ chargé d’une mission.

Le don des langues

44Avant de devenir un rite sacramentel célébré par l’évêque, le don de l’Esprit Saint est un épisode vécu par les apôtres lors de la Pentecôte, et relaté dans les Actes des Apôtres :

Quand les jours de la Pentecôte furent accomplis, les disciples étant tous ensemble dans un même lieu, on entendit un grand bruit comme d’un vent violent et impétueux, qui venait du ciel et qui remplit toute la maison, où ils étaient assis. En même temps, ils virent paraître comme des langues de feu qui se partagèrent et qui s’arrêtèrent sur chacun d’eux. Aussitôt, ils furent tous remplis du Saint Esprit et ils commencèrent à parler diverses langues, selon que le Saint Esprit leur mettait les paroles en la bouche49.

45On voit que notre lecture des stances de Polyeucte comme des « stances-confirmation » trouve un autre point d’appui dans leur rapport étroit au mystère de la Pentecôte, où l’infusion de l’Esprit Saint dote les apôtres de la glossolalie : la forme même des stances, instaurant une parole décalée, différente, mais pourtant compréhensible, n’imite-t-elle pas le mystère du don des langues de la Pentecôte ?

46Dès lors, on comprend pourquoi Corneille a voulu, dans la même pièce, diminuer la part dévolue à la convention du monologue, et en même temps maintenir la convention des stances : car le décalage énonciatif qui leur est inhérent (et qui pose le problème de sa justification pour certains théoriciens comme d’Aubignac) trouve ici sa pleine légitimité en matérialisant la rupture linguistique racontée par le Nouveau Testament. La versification singulière de cette parole, en rupture avec les alexandrins à rimes plates, est le moyen poétique de traduire la glossolalie, conséquence immédiate de l’infusion de l’Esprit Saint, et de signaler que la parole du confirmé est désormais habitée par une autre voix. La scène IV, 2 achève donc le sacrement du baptême reçu pendant le premier entracte :

De même que la Pentecôte représente l’achèvement du Mystère pascal, que le Seigneur a voulu appeler son « baptême » (Lc 12, 50), de même le sacrement de la confirmation perfectionne et confirme l’effet du sacrement de baptême, en conformant davantage au Christ le baptisé50.

47Le don des langues permet alors de parler au nom du Christ et de propager la Bonne Nouvelle, car l’infusion de l’Esprit Saint transforme l’apôtre en prophète51. C’est ce qu’explique Pierre aux témoins incrédules qui, saisis d’« étonnement52 » devant cette glossolalie, sont tentés de l’imputer à l’ivresse :

Je répandrai mon esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront53.

48C’est pourquoi les stances de Polyeucte traduisent le miracle de la Pentecôte en culminant dans la troisième strophe avec l’annonce de la défaite imminente de l’empereur Décie : « Le Scythe va venger la Perse et les chrétiens » (v. 1128). Corneille utilise l’événement historique, la mort de Décie un an après le martyre de Polyeucte, pour doter son personnage de l’« Esprit de prophétie54 ».

Le feu et le vent

49C’est bien aussi le rapport au mystère de la Pentecôte et de ses langues de feu qui explique que Polyeucte, pour la première et dernière fois dans cette scène de stances, évoque précisément la « flamme toute divine » qui le brûle (v. 1142). Affirmation réitérée deux fois au cours de cette même scène, avec deux autres occurrences illustrant le champ lexical du feu : « ô feu divin » (v. 1155) et « d’un saint zèle enflammé » (v. 1157).

50Or, Polyeucte est le seul personnage qui évoque le « feu » intérieur qui l’habite sans le lester de la signification métaphorique de l’amour, métaphore devenue topique depuis Pétrarque et renvoyant à la violence du sentiment amoureux. Car il n’emploie jamais le mot « feu » pour désigner son propre sentiment amoureux, fût-il passé et révolu. Ce sont les autres qui le font, et en particulier Félix et Pauline, qui évoquent ainsi ce que furent les sentiments conjugaux de leur gendre et époux. Et, dans les trois occurrences où ils les emploient, les mots de « feu » et de « flamme » sont de plus assortis de procédés stylistiques indiquant leur caducité : emploi du passé simple (« Il approuva sa flamme et conclut l’hyménée », v. 213), questions rhétoriques (« Est-ce là ce beau feu ? Sont-ce là tes serments ? », v. 1237), ou négation totale (« […] pour l’autre sans flamme », v. 1644).

51Le seul « feu » que connaît Polyeucte est celui de la divinité. De fait, les rares fois55 où il emploie les mots de « feu » ou de « flamme » selon la tradition de la métaphore amoureuse, c’est pour les appliquer aux amours de Pauline et de Sévère (vers 623, 1308 et 1589), jamais à l’amour terrestre qui fut le sien. Langage qui le distingue ainsi nettement de Sévère et de Pauline qui emploient tous deux les mots « feu », « flamme » ou « enflammer » pour désigner leurs propres sentiments, à savoir le lien amoureux qui les a unis ou les unit encore. C’est aussi la fréquence de ces occurrences dans leur bouche (neuf fois pour Pauline et quatre fois pour Sévère56) qui s’oppose à la rareté de celles de Polyeucte : le feu de l’amour humain ne le concerne pas mais concerne les autres. Les stances correspondent à ce moment où, pour la première et seule fois de la pièce, Polyeucte reconnaît brûler d’un feu intérieur : précisément le « feu divin » car la seule flamme qu’il est susceptible de sentir est celle que lui envoie l’Esprit Saint, semblable aux langues de feu par lesquelles l’iconographie représente traditionnellement la Pentecôte. Au feu s’ajoute d’ailleurs le « vent violent et impétueux » de la Pentecôte, ce même « vent » que Polyeucte évoque au vers 1229 : « Du premier coup de vent il me conduit au port ». Ce n’est dès lors pas un hasard si Corneille a choisi de former les stances de Polyeucte sur un modèle de cinq strophes de dix vers chacune57, le total aboutissant très exactement à cinquante vers, comme les cinquante jours qui séparent Pâques de la Pentecôte58.

52Corneille, ancien élève des jésuites, et futur auteur d’une Imitation de Jésus-Christ (1656), ne se contente pas avec Polyeucte martyr de fabriquer une tragédie religieuse : il construit aussi une tragédie liturgique où il affirme l’unité constitutive des deux sacrements d’initiation que sont baptême et confirmation, tout en précisant leur différence et en rappelant la nécessité de leur distinction liturgique. Il s’inscrit par là en faux contre les positions de l’Église Réformée qui conteste, dès Luther, le fait que la confirmation puisse être un sacrement :

Quant à nous, au contraire, nous cherchons les sacrements d’institution divine : nous ne découvrons aucune raison de ranger la confirmation dans le nombre. Pour constituer le sacrement, c’est avant tout une parole, une promesse divine qui est requise, par quoi la foi soit exercée. Mais nous ne lisons nulle part que le Christ ait promis quoi que ce soit au sujet de la confirmation, bien qu’il ait lui-même imposé les mains à un grand nombre d’hommes […] Il suffit donc de considérer la confirmation comme un usage ecclésiastique ou comme une cérémonie sacramentelle, semblable à d’autres cérémonies où l’eau, ou d’autres choses sont consacrées59.

53Le rejet protestant de la confirmation en tant que sacrement est très vivace au début du XVIIe siècle et anime le débat des controversistes : ainsi le cardinal Jacques Du Perron répond à Gabriel Kemnitius en écrivant « Le pape Sylvestre, dit Kemnitius, a inventé la confirmation des enfants ; cela est faux60 ».

54Dans cette hypothèse, la pièce de Corneille peut donc aussi se lire comme l’exploration des mystères des sacrements liturgiques, et comme un plaidoyer en leur faveur, au moment où la Réforme les remet fortement en cause.

Quelle onction ?

55Cependant, cette continuité liturgique, depuis le baptême jusqu’au martyre, pour être exprimée par les stances, doit s’appuyer sur la réalité du sacrement de confirmation : en effet, cette lecture n’est possible que si la pièce matérialise l’onction de confirmation, en d’autres termes que si un événement concret apporte matériellement l’infusion de l’Esprit Saint. De même que la descente du Saint Esprit est matérialisée par la colombe lors du baptême du Christ dans les eaux du Jourdain, Tertullien dans son De baptismo, décrit la célébration du baptême en deux temps, d’abord par deux rites baptismaux (bénédiction de l’eau, bain avec immersion) puis par deux rites post-baptismaux (onction d’huile, imposition des mains).

À la sortie du bain, nous recevons une onction d’huile bénite. […] Puis on nous impose les mains en appelant et en conviant l’Esprit Saint par une bénédiction61.

56Cette description de deux rites distincts lors du baptême primitif se retrouve dans la réflexion liturgique sur le sacrement de confirmation :

La grâce qui se donne au baptême lave entièrement toute l’âme, en cela consiste sa vraie opération : mais la grâce qui se donne en la confirmation raidit l’âme et la fortifie. D’autant que ce second effet est distingué du premier, il nous faut aussi un instrument divers et un autre moyen visible pour le produire, afin que tout se conduise ordonnément et proportionnément62.

57Aussi, pour Corneille, construire une continuité liturgique n’est possible que si se trouve concrètement assurée la continuité effective des sacrements, au moyen d’un « autre moyen visible » : c’est là qu’intervient le savoir-faire du dramaturge, manifeste dans le travail remarquable accompli sur l’espace.

58La dramaturgie singulière de la pièce de Corneille permet en effet de mettre en scène cette continuité liturgique, grâce l’utilisation exceptionnelle d’un espace dramatique débordant et complétant l’espace scénique : le palais de Félix, correspondant à l’espace scénique visible par le spectateur, est en effet doublé par des lieux extérieurs où ne cesse de se rendre Polyeucte. Aussi n’a-t-on pas assez souligné le caractère paradoxal du jugement de Corneille sur sa pièce, qu’il juge parfaite sur le plan de la dramaturgie63 alors qu’il est très rare que son action tragique s’appuie ainsi sur des allers et retours constants entre deux espaces dramatiques, agitation qui rappelle curieusement celle du genre comique. Car, dans la tragédie, l’espace parallèle sert en général à tuer ou à mourir64 et, comme le remarquait Voltaire, « revenir pour dire qu’il n’est pas mort, cela n’est pas tragique65 ». Ainsi Polyeucte sort-il à l’acte I pour se faire baptiser en annonçant son retour imminent ; il revient à l’acte II pour rassurer Pauline ; il ressort pour aller au temple et briser les idoles ; il revient car Félix le fait garder au palais ; il ressort définitivement pour aller à la mort ; Pauline prend alors le relais et sort pour le voir mourir (V, 3) avant de revenir presque aussitôt pour proclamer sa propre conversion (V, 5).

59Ces allers et retours sont nécessaires car Corneille a besoin de faire exister l’espace où Polyeucte, à travers le baptême et le martyre, rencontre le Christ : mais le dramaturge ne peut, au risque de blasphémer, représenter le mystère des sacrements sur la scène profane d’un théâtre. Et, comme le montre sa préface, Corneille, manifestement attentif à l’étanchéité à assurer entre l’Église et le théâtre66, ne se risque pas plus à la représentation fictive des sacrements qu’à une adaptation hasardeuse des Évangiles. La contrainte dramaturgique est donc compliquée à suivre, puisqu’il s’agit de traiter des mystères divins sans les montrer. Contrainte qui force le dramaturge à escamoter la partie essentielle de l’action dans un hors-scène tout à la fois proche et inaccessible au spectateur, lieu parallèle à l’espace scénique, et consacré à la célébration du mystère divin.

60On peut alors faire l’hypothèse que la deuxième sortie de Polyeucte, pendant laquelle il brise les idoles, correspond elle aussi, tout comme ses première et dernière sorties, à un moment de rencontre avec le divin. On se rappelle alors que cet intervalle spatio-temporel, creusé dans la pièce pour permettre à Polyeucte de briser les idoles, abrite aussi le martyre de son ami Néarque : Corneille place en effet le bris des idoles pendant le deuxième entracte, et le supplice de Néarque pendant les premières scènes du troisième acte. Or, la relation de l’événement par Albin précise que Polyeucte voulait lui aussi mourir et qu’il se trouvait juste à côté de son ami :

On l’a violenté pour quitter l’échafaud. (v. 1000)

61En d’autres termes, Polyeucte a été éclaboussé par le sang de Néarque. Si l’on se souvient que le sang de Polyeucte éclaboussant Pauline aura le pouvoir de la baptiser (« De ce bienheureux sang tu me vois baptisée », v. 1729), on peut penser que le sang de Néarque peut matérialiser le sacrement de la confirmation. Entre le premier sacrement de Polyeucte, l’aspersion baptismale, et le dernier sacrement, l’accession à la sainteté du martyre par son propre sang, s’intercale bien un autre sacrement, et nous rejoignons par là la lecture de Jean-Marie Beyssade qui décrit « le sang de Néarque confirmant le baptême de son ami Polyeucte67 ». Ce supplice est bien, pour reprendre la terminologie de l’abbé Migne, le « moyen visible » qui produit le « second effet » de la confirmation, et la continuité liturgique se voit achevée, l’eau du baptême étant relayée par le sang de Néarque, puis par le sang de Polyeucte lui-même, qui sera à son tour doté de la vertu baptismale pour Pauline.

Conclusion

62Les deux inventions que le Corneille théologien ajoute au martyrologe romain (le baptême de Polyeucte, et le baptême par contiguïté de Pauline) correspondent ainsi à la logique d’un Corneille dramaturge construisant la continuité du lieu dramatique : la première sortie de Polyeucte hors scène fait exister le lieu du baptême, cet espace parallèle, lieu symbolique et caché où le personnage puise sa foi ; ensuite, chaque sortie de Polyeucte hors de l’espace scénique le voit revenir plus fortifié dans sa foi, phénomène qui se répercute ensuite sur Pauline à l’acte V. En somme, dans cette pièce, Corneille met en scène l’accomplissement de l’Évangile, la Bonne Nouvelle, qui annonce une ère nouvelle par la grâce de la parole. Et la parole singulière des stances, proférée immédiatement après le martyre de Néarque, permet d’incarner dans la matérialité d’un langage radicalement autre, non le sacrement lui-même, mais l’action efficace de l’Esprit Saint qui emplit désormais le personnage et lui fait parler une autre langue. Et il était logique que la tragédie chrétienne de Polyeucte martyr culminât lors des stances, seul moment où le personnage baptisé partage enfin avec les spectateurs, grâce à la forme lyrique de sa parole, un peu du feu divin qui le brûle.

Notes de bas de page numériques

1 Citons, entre autres réflexions, celles de Charles Péguy, Victor-Marie, comte Hugo, 1ère éd. 1910], Paris, Gallimard, 1934 ; Marie-France Hilgar, La Mode des stances dans le théâtre tragique français, Paris, Nizet, 1974 ; Mariette Cuénin-Lieber, Corneille et le monologue. Une interrogation sur le héros, Tübingen, Narr, 2002 ; Claude Reichler, « Les stances devant la mort dans le théâtre baroque ou le Retrait du Sage », Littérature, n°75, 1989, p. 79-91 ; Jacques Morel, « Les stances dans la tragédie française du XVIIe siècle », XVIIe siècle, 1965, n°66-67, p. 43-56 ; André Georges, « Le sens des stances de Polyeucte », XVIIe siècle, 1998, n°50, p. 471-482.

2 Nous citons Cinna et Polyeucte martyr dans les éditions du programme, respectivement éd. Christian Biet, « Le Livre de Poche », LGF, 2003, et éd. Patrick Dandrey, « Folio Théâtre », Gallimard, 1996.

3 Même si Jacques Scherer écrit dans La Dramaturgie classique en France [1950], Paris, Armand Colin, 2014, p. 421 : « Dans la quasi-totalité des cas, les stances ne sont qu’une variété métrique du monologue ».

4 La Pratique du théâtre, « Des monologues », III, 8, Paris, Champion, 2001, p. 368.

5 Examen de Cinna, éd. Christian Biet, « Le Livre de Poche », LGF, 2003, p. 36, note 1.

6 Toutes nos citations de Corneille renverront, sauf pour Cinna et Polyeucte martyr, à l’édition de Georges Couton, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », que nous désignons par les abréviations suivantes : OC I pour le premier volume paru en 1980, OC II pour le deuxième volume paru en 1984 et OC III pour le troisième volume paru en 1987. Citation OC I p. 104.

7 Acte I, scène 1, monologue d’Emilie (52 vers) ; acte III, scène 3, monologue de Cinna (51 vers) ; acte IV, scène 2, monologue d’Auguste (74 vers) ; acte IV, scène 6, monologue de Maxime (33 vers).

8 Acte III, scène 1, monologue de Pauline (44 vers) et acte IV, scène 2, monologue de Polyeucte (56 vers).

9 OC I, p. 104.

10 On rencontre des stances dans sept pièces de Corneille : Médée, Le Cid, Polyeucte, Héraclius, Andromède, Œdipe et La Toison d’or.

11 Dans son article sur « Les stances dans la tragédie française au XVIIe siècle », XVIIe siècle, 1965, n°66-67, p. 43-56, il écrit que Corneille, Tristan et Rotrou ont su « concilier la rigueur de leur versification avec la vivante évocation des tourments d’un héros individuel » (p. 56).

12 La Pratique du théâtre, « Des Stances » (III, 10), Paris, Champion, 2001, p. 385.

13 La Pratique du théâtre, « Des Stances » (III, 10), Paris, Champion, 2001, p. 385.

14 Examen d’Andromède, OC II, p. 454.

15 Examen d’Andromède, OC II, p. 454.

16 Examen d’Andromède, OC II, p. 456.

17 Examen d’Andromède, OC II, p. 456.

18 Adjectif utilisé par Curiace s’indignant de l’élan guerrier d’Horace : « Mais votre fermeté tient un peu du barbare » (v. 456 d’Horace).

19 À propos de ce qu’il appelle la « promotion du Cid à Polyeucte », Charles Péguy écrivait : « Les stances du Cid annoncent, préparent les stances de Polyeucte […] ce sont les mêmes stances qui sont promues, transférées, qui passent d’un registre à l’autre, du registre héroïque au registre sacré. Qui montent. Du temps à l’éternel. », dans Victor-Marie, Comte Hugo, Paris, Gallimard, 1934, p. 195-196.

20 Polyeucte de Corneille, Paris, Mellottée, 1944, p. 219.

21 Polyeucte de Corneille, Paris, Mellottée, 1944, p. 209.

22 Marie-France Hilgar, La Mode des stances dans le théâtre tragique français, Paris, Nizet, 1974, p. 212.

23 Marie-Odile Sweetser, « Corneille et la tragédie providentielle », CAIEF, 1985, n°37, p. 163-176, citation p. 170.

24 « Corneille et l’aspiration au martyre », RHLF, 1985, n°85, p. 771-784, citation p. 780.

25 Joseph Pineau, « La seconde conversion de Polyeucte », RHLF, 1975, n°4, p. 531-554, citation p. 548.

26 Joseph Pineau, « La seconde conversion de Polyeucte », RHLF, 1975, n°4, p. 531-554, citation, p. 542, note 32.

27 Voltaire écrit : « Il est vrai que les esprits philosophes, dont le nombre est fort augmenté, méprisent beaucoup l’action de Polyeucte et de Néarque. Ils ne regardent ce Néarque que comme un convulsionnaire qui a ensorcelé ce jeune imprudent » (Commentaires sur Corneille, « Remarques sur Polyeucte », dans Œuvres complètes de Voltaire, tome XL, Paris, Armand-Aubrée, 1829, p. 287). Paul Claudel traite Polyeucte d’« énergumène » (Journal, tome II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1969, p. 294) et de « fier-à-bras grotesque » (Lettre à Brasillach du 10 juillet 1938, dans Robert Brasillach, Notre avant-guerre, Paris, Grasset, 1941, p. 315) jugement sur lequel renchérit Serge Doubrovsky : « Ostentation, bravade, égolâtrie, tous les motifs héroïques se retrouvent et se conjuguent pour célébrer le culte orgueilleux du Moi » (Corneille et la dialectique du héros, Paris, Gallimard, « Tel », 1963, p. 244).

28 Comme le remarque justement Mariette Cuénin-Lieber dans Corneille et le monologue. Une interrogation sur le héros, Tübingen, Narr, 2002, p. 237 : « il sait déjà qu’il vaincra puisqu’il ordonne à Cléon d’aller chercher Sévère, ayant déjà probablement formé le projet de lui rendre Pauline ».

29 C’est dans cette perspective que nous rejoignons le constat de Doubrovsky : « les Stances de Polyeucte voient le mouvement se ralentir, pour se fixer dans une immobilité éternelle », Corneille et la dialectique du héros, Paris, Gallimard, « Tel », 1963, p. 249.

30 Jacques-Bénigne Bossuet, dans son Sermon sur l’ambition développe la métaphore des cèdres du Liban : « Est-ce là que devait abouti toute cette grandeur formidable ? Est-ce là ce grand arbre dont l’ombre couvrait toute la terre ? Il n’en reste plus qu’un tronc inutile. », dans Le Carême du Louvre, Paris, Gallimard, « Folio Classique », 2001, p. 144.

31 France-Culture. Les nouveaux chemins de la connaissance » (Raphaël Enthoven) : Corneille, Polyeucte, http://www.franceculture.fr/emission-les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance-10-11-corneille-55-polyeucte-2011-07-15 (cons. le 5 juin 2014).

32 Dans « Les stances dans la tragédie française du XVIIe siècle », XVIIe siècle, 1965, n°66-67, p. 53, Jacques Morel nuance en ajoutant la notion de « stances-élévation », suggérant une trajectoire ascendante, nuance que nous ne reprenons pas ici puisque nous considérons que Polyeucte s’est déjà élevé et qu’il commente ce trajet.

33 On pense à Malherbe et à son imitation du Psaume CXLV, « Lauda anima mea Dominum ».

34 Claire Cerasi, Pierre Corneille à l’image et semblance de François de Sales, Beauchesne, 2000, p. 108.

35 « Corneille et l’aspiration au martyre », RHLF, 1985, n°85, p. 771-784, citation p. 784.

36 Rotrou, Le Véritable Saint Genest, acte V, scène 1 ; Tristan L’Hermite, La Mariane, acte IV, scène 2.

37 Aristote, La Poétique, chap. IX, 51 a 36, éd. Dupont-Roc et Lallot, Paris, Le Seuil, 1980, p. 65.

38 Préface de Polyeucte, éd. Patrick Dandrey, « Folio Théâtre », Gallimard, 1996, p. 36.

39 Jean Deprun, « Questions théologiques sur Polyeucte », XVIIe siècle, 1996, n°190, p. 61-66, citation p. 63.

40 « l’efficacité, la puissance causale de la grâce divine dépend de notre réponse personnelle », dans « Questions théologiques sur Polyeucte », XVIIe siècle, 1996, n°190, p. 61-66, citation p. 61.

41 Préface de Polyeucte, éd. Patrick Dandrey, « Folio Théâtre », Gallimard, 1996, p. 39 : « Le songe de Pauline, l’amour de Sévère, le baptême effectif de Polyeucte, le sacrifice pour la victoire de l’empereur, la dignité de Félix que je fais gouverneur d’Arménie, la mort de Néarque, la conversion de Félix et de Pauline, sont des inventions et des embellissements de théâtre ».

42 Polyeucte martyr, éd. Claude Bourqui et Simone De Reyff, Paris, LGF, 2002.p. 154, note 4.

43 Expression de Romul Munteanu cité par Rodica Gabriela Chira dans « Polyeucte, l’expression d’une crise », Studia Universitatis Babes-Bolyai-Philologia, 2007, n°3, p. 117-124, citation p. 121.

44 Article « Confirmation » du tome 8 intitulé Origines et raison de la liturgie catholique, Paris, Petit-Montrouge, 1844, p. 426.

45 Compendium du catéchisme de l’église catholique, Libreria Editrice Vaticana, Città del Vaticano, 2005, en ligne : http://www.vatican.va/archive/compendium_ccc/documents/archive_2005_compendium-ccc_fr.html#LES SACREMENTS DE L’INITIATION CHRÉTIENNE (cons. le 5 novembre 2014).

46 Migne, Origines et raison de la liturgie catholique, Paris, Petit-Montrouge, 1844, p. 427.

47 Sagesse, Intelligence, Conseil, Force, Science, Piété, Crainte de Dieu.

48 Mgr Hubert Herbreteau : « Dans le baptême, chacun est appelé. Dans la confirmation, chacun est envoyé », La Confirmation, Paris, éd. de l’Atelier, 2001, p. 154.

49 Actes des Apôtres, II, 1-4. Traduction de Lemaître de Sacy (1667).

50 Portail de la Liturgie Catholique, édité par le Service National de la Pastorale Liturgique et Sacramentelle : http://www.liturgiecatholique.fr/Confirmation.html (cons. le 5 novembre 2014).

51 « Ils furent tous remplis du Saint Esprit, et ils annonçaient la parole de Dieu avec hardiesse », Actes des Apôtres, IV, 31, traduction Le Maître de Sacy.

52 Actes des Apôtres, II, 13, traduction Le Maître de Sacy.

53 Actes des Apôtres, II, 17, traduction Le Maître de Sacy.

54 Apocalypse de Jean, XIX, 10.

55 Trois occurrences : « Qu’aux dépens d’un beau feu vous me rendez heureux » (v. 623) ; « Qu’un feu jadis si beau n’en devienne pas moindre » (v. 1308) ; « Puisqu’un si grand mérite a pu vous enflammer » (v. 1589).

56 Sévère emploie le mot « feu » à quatre reprises : « Et quand d’un feu si beau les âmes sont éprises » (413) ; « Et mon feu désormais se réglant sur le vôtre », (493) ; « Qui redouble mes feux lorsqu’elle nous sépare », (530) ; « Et comme si vos feux étaient un don fatal » (1320). Pauline l’emploie six fois : « Je le vois encore tel qu’il alluma mes feux » v. (507) ; « Qu’arrachent de nos feux les cruels souvenirs » (v. 536) ; « Épargnez-moi des feux qu’à regret je surmonte » (v. 542) ; « Et bien que la vertu triomphe de ces feux » (v. 619) ; « Et j’ai, pour l’accepter, éteint le plus beau feu » (v. 867) ; « Et que cette chaleur, qui sent vos premiers feux » (v. 1333). Pauline utilise aussi trois fois les mots « flamme » et « enflammer » pour évoquer leurs amours : « Pouvait bien étouffer les restes de sa flamme » (v. 497) ; « Depuis qu’un vrai mérite a pu nous enflammer » (v. 615) ; « Sévère craint ma vue, elle irrite sa flamme » (v. 630).

57 C’est le cas du monologue en stances de Dircé dans Œdipe (1659) et d’Andromède dans la pièce du même nom (interruption dans la dernière strophe).

58 Et, si l’on se souvient que le miracle de la Pentecôte a provoqué trois mille conversions, on comprend mieux celle de Félix, qui est à leur image : « Il y eut en ce jour trois mille personnes qui se joignirent aux disciples de Jésus-Christ », Actes des Apôtres, II, 41 (traduction Le Maître de Sacy).

59 Martin Luther, « Prélude sur la captivité babylonienne de l’Église », dans le vol. I des Œuvres, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1999, p. 790-791.

60 Chapitre « De la confirmation, mixtion de l’eau et du vin, et de la consécration des autels » de la Réfutation de l’écrit de Maître Daniel Tilenus, imprimée dans l’ouvrage posthume Les Diverses Œuvres de l’illustrissime cardinal Du Perron…, Paris, Antoine Estienne, 1622, p. 500.

61 Tertullien, Traité du baptême, VII, 1 et VIII, 1, Paris, Le Cerf, 2002, p. 76.

62 Abbé Migne, Démonstrations évangéliques de Tertullien, Origène, Eusèbe…, tome second, Paris, Petit-Montrouge, 1843, p. 638.

63 « A mon gré je n’ai point fait de pièce où l’ordre du théâtre soit plus beau et l’enchaînement des scènes mieux ménagé », déclare-t-il dans son Examen (éd. Patrick Dandrey, « Folio Théâtre », Gallimard, 1996p. 43).

64 C’est la tragi-comédie qui exploite l’agitation du héros : dans Le Cid, Rodrigue combat hors- scène le comte de Gormas, puis les Maures, enfin Don Sanche. Mais ensuite, dans la tragédie, Corneille utilise le hors-scène de façon ponctuelle, pour y faire couler le sang : dans Horace, le héros éponyme y tue les Curiaces ; dans Rodogune, Cléopâtre y tue son fils Antiochus ; après y avoir tué Pompée, Ptolémée y trouve la mort dans La Mort de Pompée ; la révolte populaire y lynche Métrobate et Zénon dans l’acte V de Nicomède.

65 Voltaire, Commentaires sur Corneille, « Remarques sur Polyeucte », dans Œuvres complètes de Voltaire, tome XL, Paris, Armand-Aubrée, 1829, p. 285.

66 Ce que dira Antoine Godeau, évêque de Grasse, dans un distique célèbre : « Mais pour changer leurs mœurs et régler leur raison,/ Les chrétiens ont l’Eglise et non pas le théâtre » (sonnet « Sur la comédie », dans Poésies chrétiennes, Paris, Pierre Le Petit, [1654] 1660, p. 464).

67 Jean-Marie Beyssade, « Descartes et Corneille ou les démesures de l’ego », Laval théologique et philosophique, vol. 47, n°1, 1991, p. 63-82, citation p. 73.

Pour citer cet article

Hélène Baby, « Relire les stances de Polyeucte. Du baptême à la confirmation », paru dans Loxias, 47., mis en ligne le 15 décembre 2014, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=7910.


Auteurs

Hélène Baby

Professeur de littérature française, Université Nice Sophia Antipolis, laboratoire CTEL. Auteur de travaux sur le théâtre du XVIIe siècle français.