Loxias | Loxias 45. Euripide et l'imagination aérienne | I. Euripide et l'imagination aérienne |  Dramatique de l'imagination aérienne 

Pierre Voelke  : 

Médée dans l’éther athénien

Résumé

L’article appréhende la dimension aérienne dans la Médée d’Euripide, à travers une analyse de l’exodos et du troisième stasimon. Dans l’exodos se joue un mouvement ascensionnel dans lequel Médée accède à une sphère divine, sans pour autant se confondre avec une divinité ex machina. Le sens de ce mouvement vertical est interprété à la lumière du troisième stasimon qui dessine l’image paradoxale d’un peuple autochtone marchant dans l’éther immatériel et se nourrissant d’une denrée elle-même immatérielle, le savoir poétique. À travers le mouvement vertical qui clôt la pièce, Médée se met ainsi, littéralement, au niveau du peuple des Athéniens qu’elle s’apprête à rejoindre. L’article propose en outre une mise en parallèle entre l’image idéalisée d’Athènes dans le troisième stasimon de la Médée et l’image de l’ancienne Athènes dans le Timée et le Critias de Platon.

Index

Mots-clés : autochtonie , éther, Médée, mêkhanê

Plan

Texte intégral

1. Médée, divinité ex machina ?

1Le début de l’exodos de la Médée est marqué par l’entrée précipitée de Jason, à la recherche de celle qui vient de causer la mort de sa nouvelle épouse et du père de celle-ci, Créon ; pour échapper au châtiment, l’alternative qui s’offre à Médée est la suivante (vv. 1296-1297) : soit se cacher sous terre, soit s’envoler dans les profondeurs de l’éther (αἰθέρος βάθος). Toutefois, Jason s’empresse d’ajouter que son souci premier n’est pas tant Médée que ses enfants ; c’est en effet sur eux que la famille royale pourrait être tentée d’assouvir son désir de vengeance (vv. 1300-1305). Si Euripide fait peut-être ici allusion à une autre version de la légende1, il exacerbe surtout aux yeux des spectateurs la cruauté du sort qui frappe Jason, en mettant en évidence la distance entre ce qu’il considère déjà comme un crime impie (νόσιος φόνος, v. 1305), le meurtre du roi et de sa fille, et un crime bien pire encore, connu du public et dont il va devoir supporter la nouvelle (v. 1309) : le meurtre de ses deux enfants par leur propre mère. En effet, à l’instant où le héros fait son entrée pour sauver ses enfants, ceux-ci sont déjà morts, tués non pas par des proches de la famille royale, mais bien par Médée elle-même.

2L’ignorance de Jason relative au sort subi par ses enfants se double d’une illusion quant à la possibilité de se saisir de la meurtrière. En effet, lorsqu’il affirme que Médée ne saurait échapper qu’en se cachant sous terre ou en s’envolant dans l’éther, c’est bien l’impossibilité de la fuite que le héros veut ici signifier2. Et lorsqu’il donne l’ordre de faire ouvrir les portes du palais, c’est pour retrouver non seulement ses fils morts, mais aussi celle qu’il pense encore pouvoir châtier (vv. 1314-1315). L’illusion de Jason rejoint celle du chœur, qui l’a encouragé à faire ouvrir les portes (v. 1313), et celle du public qui peut légitimement s’attendre à ce que l’ouverture des portes fasse apparaître les cadavres des enfants, avec la mère infanticide à leurs côtés ; une scène d’intérieur qui pourrait être rendue visible de tous par l’ekkuklêma, conformément à l’usage qu’Euripide fera de ce dispositif scénique dans des pièces ultérieures, notamment dans l’Héraclès (vv. 1029-1038), lorsqu’il s’agira de faire apparaître une autre figure infanticide, Héraclès lui-même, avec les cadavres de ses enfants et de sa femme3. Dans la Médée pourtant, les attentes de Jason et du chœur, comme celles du public, sont prises en défaut : point de portes ouvertes, point d’ekkuklêma, mais une voix venue du haut, celle de Médée, qui vient signifier à Jason l’inutilité de ses efforts pour forcer les portes du palais (vv. 1317-1318). Au-dessus de la skênê, avec à ses côtés les enfants qu’elle vient de tuer, Médée est désormais hors d’atteinte : « jamais ta main ne me touchera », déclare-t-elle à Jason (v. 1320) ; hors d’atteinte, car elle dispose désormais du char du Soleil, le père de son père (v. 1321), prêt à l’emmener dans « les profondeurs de l’éther » (v. 1297), en lui permettant d’emprunter cette voie qui, quelques instants plus tôt, paraissait impraticable. Alors que Jason imaginait le corps de Médée doté d’ailes (πτηνὸν σῶμα, v. 1297), pour mieux souligner l’impossibilité de sa fuite, son départ est précisément rendu possible par des ailes, celles dont est vraisemblablement pourvu le char du Soleil4 ; alors que le messager annonciateur de la mort du roi et de sa fille conseillait à Médée de fuir sur un « char naval » (ναΐα πήνη) ou sur un « char terrestre » (ὄχος πεδοστιβής, vv. 1122-1123), croyant ainsi épuiser les différents types de véhicules s’offrant à elle, c’est un char aérien qui lui permet d’échapper à son poursuivant5.

3Un effet de surprise comparable se retrouve dans l’Oreste, tragédie qu’Euripide fait représenter en 408, soit plus de vingt ans après la Médée. Dans l’exodos, Ménélas, comme Jason, donne l’ordre d’ouvrir les portes du palais6 ; il s’agit ici de sauver sa fille, Hermione, prise en otage par Oreste et Pylade, de récupérer le corps d’Hélène qu’il croit morte, et de tuer ses meurtriers (vv. 1561-1566). Mais la surprise vient ici encore des hauteurs : Oreste et Pylade apparaissent sur le toit de la skênê avec Hermione, et le premier ordonne à Ménélas de ne pas mettre la main sur les serrures (v. 1567). À travers cette défense prononcée du haut de la skênê, Oreste semble assumer le type de discours qui revient aux dieux lorsqu’ils interviennent dans l’exodos pour infléchir le cours de l’action7.

4À ces deux niveaux distincts de l’espace théâtral (niveau de l’orkhêstra, toit de la skênê), l’exodos de l’Oreste en ajoute un troisième, qui permet de réaffirmer la différence, un instant brouillée par l’intervention d’Oreste, entre les humains et les dieux. En effet, alors qu’Oreste s’apprête à mettre le feu au palais et que Ménélas appelle à l’aide les hommes argiens (vv. 1618-1624), Apollon et Hélène font leur apparition grâce à la mêkhanê, suspendus dans les airs au-dessus des protagonistes humains8 ; enlevée par Apollon sur ordre de Zeus, sauvée ainsi de l’épée d’Oreste (vv. 1633-1634), Hélène est désormais elle-même immortelle (φθιτος, v. 1635), destinée à vivre dans les replis de l’éther (αθέρος πτυχαί), aux côtés des Dioscures (v. 1636), déesse (θεός, v. 1687) destinée à résider dans le ciel étoilé, dans le palais de Zeus, aux côtés d’Héra et d’Hébé (vv. 1684-1687). Les premiers mots d’Apollon se présentent ici encore comme l’expression d’une défense adressée à Ménélas (« renonce à ta volonté acérée », v. 1625), qui vient supplanter par son efficacité celle formulée auparavant par Oreste.

5Dans la Médée, la superposition des espaces ne présente pas la même clarté. Où Médée se trouve-t-elle précisément au moment où elle interpelle Jason ? Selon la communis opinio, Médée apparaîtrait dans le char du Soleil, tenu par la mêkhanê9. Cette hypothèse peut se prévaloir notamment d’une remarque d’Aristote dans la Poétique (1454b1), qui déplore que le dénouement (λύσις) de la Médée découle de la mêkhanê (ἀπὸ μηχανῆς), quand bien même le terme pourrait ici faire référence non pas à la machine théâtrale elle-même, mais de manière plus générale à l’usage d’un artifice dramatique10. Comme l’ont souvent relevé les commentateurs, cette apparition de Médée grâce à la mêkhanê, un appareillage utilisé principalement pour les dieux, tendrait à l’extraire de l’humanité, pour l’assimiler à une figure divine11. Cette forme d’apothéose se refléterait également dans le type de discours qu’elle tient ici. Ainsi, lorsqu’elle dissuade Jason de forcer les portes (v. 1317), elle assumerait, tout comme Oreste face à Ménélas, un discours prescriptif, dont nous avons vu qu’il appartient habituellement aux dieux lorsqu’ils se manifestent au terme de la pièce. Plus loin (vv. 1378-1388), elle tient un discours prospectif qui s’apparenterait également au discours des dieux, en annonçant successivement la sépulture qu’elle va offrir à ses enfants, le rituel qu’elle va fonder en leur honneur, son départ pour Athènes et la mort infamante de Jason.

6L’apparition de Médée grâce à la mêkhanê n’est toutefois pas assurée et ne constitue pas la seule possibilité de mise en scène. En effet, lorsque les dieux apparaissent sur la mêkhanê, ils ont accompli, implicitement ou explicitement, un trajet qui les a amenés d’un ailleurs jusqu’au lieu de l’action dramatique12. Or, Médée n’apparaît pas à Jason en provenance d’un lieu autre que le palais lui-même où elle vient de tuer ses enfants ; il est donc possible qu’elle apparaisse sur le toit de la skênê en y accédant par une échelle ou un escalier, portant les cadavres de ses enfants représentés par des mannequins13. Quant au char du Soleil, il n’est pas nécessaire que Médée y ait déjà pris place au moment même où elle s’y réfère ; sans doute est-il bien visible, comme le suggère l’emploi du déictique τοιόνδε (v. 1321), mais son apparition peut s’opérer, par le biais de la mêkhanê, au moment même où Médée indique, avec un verbe au présent, que le Soleil le lui donne (δίδωσιν, v. 1322) et donc avant même qu’elle y prenne place. Si tel était le cas, nous aurions ici, comme dans l’Oreste, une division verticale de l’espace en trois niveaux – orkhêstra, toit de la skênê, mêkhanê. À cet égard, de même que dans l’Oreste l’apparition d’Apollon au-dessus d’Oreste et Pylade vient réaffirmer la distinction entre humains et dieux, l’apparition du char du Soleil tendrait à marquer, dans un premier temps, cette même distinction. Toutefois, alors qu’Apollon et Hélène restent sans doute suspendus à la mêkhanê, au-dessus des protagonistes humains, le char du Soleil quant à lui doit être déposé sur le toit de la skênê, au niveau où se trouve Médée, pour qu’elle puisse y prendre place. Cette mise en scène suggérerait ainsi tout à la fois que Médée n’est pas une déesse, mais qu’elle entretient une forme de proximité avec les dieux et qu’elle s’apprête à entrer, au terme de la pièce, dans leur sphère.

7On relèvera en tous les cas que si les dieux sont mentionnés à plusieurs reprises dans cette partie finale de la pièce, tant par Médée que par Jason, ils constituent, sans qu’il y ait ambiguïté, une instance tierce par rapport aux deux protagonistes14. Médée se définit elle-même comme « femme » (γυνή, v. 1368) et comme « mère » (v. 1397), et si Jason tend à l’extraire de l’humanité, c’est pour la rapprocher d’un statut non pas divin, mais animal, en l’assimilant à une lionne plus sauvage que Scylla15.

8Quant au discours tenu par Médée, si celui-ci semble s’apparenter au discours des dieux lorsqu’ils interviennent pour offrir un dénouement à la pièce, il s’en distingue néanmoins sensiblement. Ainsi, lorsque Médée dissuade Jason de forcer les portes du palais, elle n’utilise pas un impératif pour exprimer une défense, mais elle formule une question pour lui faire comprendre l’inutilité de ses efforts : « pourquoi secoues-tu et cherches-tu à forcer ces portes ? » (v. 1317). Il ne s’agit pas d’énoncer un ordre qui infléchirait le cours de l’action, car, quand bien même Jason passerait outre, Médée est désormais protégée par le char du Soleil, semblable à un rempart (ρυμα, v. 1322). Médée n’utilise l’impératif à l’égard de Jason qu’à la fin de l’exodos, lorsqu’elle lui dit d’aller enterrer sa jeune épouse (v. 1395) ; encore s’agit-il ici d’une manière de le congédier, plus que d’une véritable instruction à suivre, comme celles que dispensent les dieux.

9Quant au discours prospectif que tient Médée, il n’est pas non plus totalement assimilable à celui que tiennent les dieux. Sans doute annonce-t-elle son intention de fonder un rite en des termes proches de ceux utilisés par Artémis à la fin de l’Hippolyte16. De même lorsqu’elle annonce la mort de Jason (vv. 1386-1388), elle semble investie d’un pouvoir prophétique susceptible de lui conférer un statut divin, car rien n’indique qu’elle tire ce savoir d’une instance qui lui serait supérieure17. En revanche, lorsqu’elle évoque dans le même passage la sépulture à offrir à ses enfants, c’est pour indiquer qu’elle va les enterrer elle-même de sa propre main (vv. 1378-1380) ; or, si les dieux peuvent donner des instructions ou faire des annonces relatives à la sépulture des protagonistes humains de la pièce, ce n’est jamais pour assumer eux-mêmes cette prise en charge des morts18. De même, lorsqu’elle annonce qu’elle va se rendre sur la terre d’Érechthée pour partager la demeure d’Égée (vv. 1384-1385), cette destination vient rappeler le statut humain de Médée et contraste avec la demeure de Zeus vers laquelle Apollon conduit Hélène à la fin de l’Oreste (v. 1684), quand bien même le véhicule utilisé et l’espace traversé pour s’y rendre – l’éther (cf. v. 1297) – appartiennent aux dieux19.

10Ainsi donc, l’exodos de la Médée ne met pas en scène l’apparition d’une divinité ex machina, mais bien une femme qui, tout à la fois, se définit comme telle et accède à une forme de proximité avec les dieux, à travers la voie aérienne qu’elle va emprunter et le type de discours qu’elle tient, sans pour autant se confondre avec eux.

2. Une Athènes entre terre et ciel

11Le choix d’Athènes comme destination résulte de la rencontre entre Égée et Médée, au terme de laquelle le roi athénien s’engage à la recevoir dans sa cité (vv. 723-728) ; promesse qui constitue elle-même une réponse à la question cruciale posée par Médée dans le premier épisode (v. 386) : « quelle cité me recevra ? ». Or, si le trajet aérien que va effectuer Médée en prenant place dans le char du Soleil la fait entrer dans une sphère divine, il se pourrait que le char aérien qu’elle va emprunter soit également le moyen adéquat pour accéder à la cité athénienne, aussi humaine soit-elle. En effet, si Médée annonce qu’elle va se rendre dans la « terre (γαα) d’Érechthée » (v. 1384), cette terre se révèle indissociable de l’éther qui la domine et qui lui offre en quelque sorte un prolongement aérien ; telle est l’image d’Athènes que le chœur dessine dans le troisième stasimon, après le départ d’Égée et alors que Médée sait qu’elle pourra désormais trouver refuge dans la cité de Pallas (vv. 768-771). Les premières strophe et antistrophe du stasimon célèbrent en ces termes la cité athénienne (vv. 824-845) :

Ἐρεχθεΐδαι τὸ παλαιὸν ὄλβιοι (824)
καὶ θεῶν παῖδες μακάρων, ἱερᾶς (825)
χώρας ἀπορθήτου τ’ ἄπο, φερβόμενοι (826-827)
κλεινοτάταν σοφίαν, αἰεὶ διὰ λαμπροτάτου (828-829)
βαίνοντες ἁβρῶς αἰθέρος, ἔνθα ποθ’ ἁγνὰς (830-831)
ἐννέα Πιερίδας Μούσας λέγουσι (832-833)
ξανθὰν Ἁρμονίαν φυτεῦσαι·(834)

τοῦ καλλινάου τ’ ἐπὶ Κηφισοῦ ῥοαῖς (835)
τὰν Κύπριν κλήιζουσιν ἀφυσσαμέναν (836)
χώρας καταπνεῦσαι μετρίας ἀνέμων (837-838)
ἡδυπνόους αὔρας· αἰεὶ δ’ ἐπιβαλλομέναν (839-840)
χαίταισιν εὐώδη ῥοδέων πλόκον ἀνθέων (841-842)
τᾶι Σοφίαι παρέδρους πέμπειν Ἔρωτας, (843-844)
παντοίας ἀρετᾶς ξυνεργούς. (845)

Depuis les temps anciens les Érechthéides sont prospères :
enfants des dieux bienheureux, issus
d’une contrée sacrée inexpugnable, ils se nourrissent
d’un savoir très glorieux, toujours marchant avec délicatesse
à travers l’éther très limpide, là où un jour,
dit-on, celles que l’on entoure de respect, les neuf Muses de Piérie,
ont implanté la blonde Harmonie.

Sur les flots du Céphise aux belles eaux, Cypris,
on le raconte, est venue puiser,
avant de faire souffler sur la contrée des brises douces
et mesurées. Toujours elle met
sur sa chevelure une couronne de roses odorantes
et elle envoie siéger à côté du Savoir les Amours,
eux qui contribuent à produire toute forme d’excellence.

12La première strophe dessine l’image d’un peuple conjuguant de manière paradoxale autochtonie et appartenance à l’éther, inscription dans le sol et caractère aérien. Au chapitre de l’autochtonie, les Athéniens sont désignés dans les premiers vers (vv. 824-826) comme les descendants d’Érechthée et les enfants des dieux bienheureux – référence à Héphaïstos, Terre et Athéna, respectivement parents et nourrice d’Érechthée –, et comme peuple issu d’un « pays inexpugnable » (χώρα ἀπόρθητος) ; sont donc évoquées ici les deux facettes de l’autochtonie des Athéniens, conçue à la fois comme descendance d’un ancêtre né de la terre et comme occupation permanente d’une même terre20. Toutefois, cette permanence ne s’inscrit pas seulement dans le sol, mais elle revêt tout autant une dimension aérienne : aux Athéniens évoqués par le Périclès de Thucydide (II, 36, 1), habitant « toujours » (αἰεί) identiques la χώρα, grâce à la succession des générations, répondent ici des Athéniens évoluant« toujours » (αἰεί, v. 829) dans un éther qualifié de « très brillant » (λαμπρότατος), référence à la lumière du ciel athénien, mais plus généralement à la luminosité intrinsèque de l’éther21 ; l’adverbe ἁβρῶς (v. 830), « délicatement », qui qualifie ici la démarche des Athéniens, revêt une connotation érotique, tout en évoquant également la légèreté qui accompagne ce pas aérien22. On se demandera d’ailleurs si le caractère inexpugnable de la χώρα athénienne n’a pas quelque rapport avec le lien privilégié qu’elle entretient avec l’éther en tant que lieu inaccessible23.

13S’ils sont issus du sol, les Athéniens ont donc vocation à s’élever pour occuper l’éther et ces « enfants des dieux » (v. 825) semblent ainsi partager le même espace que les dieux eux-mêmes. Cette référence à l’éther et ce caractère divin peuvent être associés à la nourriture immatérielle dont s’alimentent (φερβόμενοι, v. 827) ici les Athéniens : un savoir très illustre (σοφία κλεινοτάτα, v. 828). Aussi immatérielle soit-elle, cette nourriture est néanmoins évoquée à travers un verbe qui suggère un ancrage dans le sol : φέρβω, ainsi que ses dérivés et composés verbaux et nominaux, semblent en effet plus particulièrement liés, dans leur sens premier, à l’alimentation offerte par la terre et notamment au fourrage donné aux troupeaux24. Cet ancrage dans le sol d’une nourriture immatérielle reproduit le paradoxe d’un peuple autochtone marchant dans l’éther et confirme cette forme de symbiose qui se réalise à Athènes entre air et terre.

14Les derniers vers de la strophe permettent de préciser la nature de ce savoir nourricier, tout en prolongeant la métaphore végétale. L’éther qu’arpentent les Athéniens est le lieu même où les neuf Muses ont engendré, mais plus littéralement « (im)planté » (φυτεῦσαι), la blonde Harmonie (vv. 831-834)25 ; objet d’une « (im)plantation » effectuée par les Muses, la blonde Harmonie semble bien faire écho au savoir dont se nourrissent les Athéniens et conduit à définir cette σοφία nourricière d’abord comme habileté et savoir poétiques. Cette mise en parallèle entre la blonde Harmonie et la σοφία s’imposera de manière plus nette encore à la fin de l’antistrophe, lorsque la seconde sera à son tour évoquée comme une personnification. Si la permanence de la marche des Athéniens dans l’éther fait écho à la permanence de leur installation sur leur sol, la présence des Muses dans cet espace aérien et la définition de la σοφία dont ils se nourrissent comme savoir poétique peuvent aussi conduire à interpréter le « toujours » (αἰεί) comme référence à la succession ininterrompue des fêtes qui caractérisait la cité athénienne et qui constituait autant d’occasions pour des performances poétiques26. Toutefois, de manière plus spécifique, on verra dans la σοφία poétique dont se nourrissent les Athéniens celle que met en œuvre le poète tragique lui-même à travers la pièce en train de se jouer27.

15Placés dans un élément immatériel, l’éther, et nourris d’une nourriture immatérielle, les Athéniens chantés par le chœur de la Médée en deviennent eux-mêmes immatériels28. À cet égard, loin de pouvoir être purement et simplement identifiés avec les Athéniens du public, les Athéniens chantés par le chœur, à travers le savoir poétique dont ils se nourrissent, deviennent eux-mêmes une image poétique, voire un double illusoire. À cet égard, on se souviendra que chez Euripide, c’est à partir de l’éther que les dieux peuvent forger des simulacres trompeurs, des εἴδωλα. Ainsi l’εἴδωλον d’Hélène, dans la pièce qui porte son nom fut façonné par Héra à partir de l’éther (vv. 583-586) et de même dans les Bacchantes (vv. 291-294), selon le récit fait par Tirésias, Zeus arrache un morceau de l’éther pour en faire un double trompeur de Dionysos livré à Héra pour apaiser sa colère. Les Athéniens chantés par le chœur peuvent ainsi apparaître eux-mêmes comme un morceau d’éther, comme un εἴδωλον des véritables Athéniens assis sur les gradins du théâtre de Dionysos.

16L’antistrophe s’ouvre avec l’image d’une Aphrodite puisant dans les eaux du Céphise pour souffler sur le territoire (χώρα) athénien des brises douces et mesurées (vv. 837-838), transformant ainsi l’eau en un souffle qu’elle fait retomber (καταπνεῦσαι) sur le sol ; l’eau et la brise évoquées dans cette antistrophe s’associent à la luminosité de l’éther mentionnée précédemment comme composantes d’un climat bien équilibré29. On relèvera surtout que le début de cette antistrophe poursuit l’image d’une symbiose entre espaces terrestre et aérien. À travers ce pouvoir de symbiose, Aphrodite révèle dans le même temps son rôle tout à la fois dans la reproduction et dans l’ancrage autochtone de la cité. En effet, la χώρα sur laquelle souffle Aphrodite (v. 837) n’est autre que celle dont les Athéniens sont issus (v. 826) et l’eau du Céphise dans lequel Aphrodite vient puiser revêt bien un pouvoir fécondant, comme le dira avec force le chœur de l’Œdipe à Colone de Sophocle (vv. 685-691) : « toujours » (αἰέν) le fleuve s’étend sur les plaines pour les « féconder rapidement » (ὠκυτόκος)30 ; la présence du fleuve est d’ailleurs ici aussi associée à celle d’Aphrodite et des Muses, puisque le chant associe la constance du débit du fleuve (vv. 685-686) avec la présence continue d’Aphrodite et des Muses à Colone (vv. 691-693).

17On retrouve donc dans cette antistrophe l’Aphrodite des Danaïdes d’Eschyle (fr. 44 Radt), revendiquant son rôle dans l’union de la terre et du ciel, la première fécondée par la pluie tombant (πεσών) du ciel. Euripide utilise ailleurs (fr. 898) le même langage pour dire le pouvoir d’Aphrodite qui unit (συμμείγνυμι) terre et ciel, en instillant dans la première le désir de pluie et dans le second, gonflé de pluie, le désir de « tomber » (πεσεῖν) sur la terre. Sans référence au rôle d’Aphrodite, un autre fragment euripidéen (fr. 839, 1-7) utilise la même imagerie, pour évoquer l’éther, géniteur des dieux et des hommes, et la terre qui, réceptrice de la pluie, enfante tous les êtres vivants31. Dans l’évocation de ce pouvoir de symbiose entre ciel et terre, on sera enclin à percevoir une référence à l’Aphrodite ouranienne, associée dans l’iconographie avec une échelle qui vient précisément mettre en évidence un tel rôle dans la conjonction des espaces32.

18Comme nous l’avons noté plus haut, le chœur de l’Œdipe à Colone associe l’écoulement continu du Céphise à la présence permanente d’Aphrodite et des Muses. Si les Muses ne sont pas mentionnées dans la suite de l’antistrophe du stasimon de la Médée, du moins la σοφία poétique s’y retrouve à l’honneur. En effet, si Aphrodite relie les espaces terrestre et aérien pour faire émerger de la χώρα les Athéniens, c’est aussi elle qui fait fructifier la nourriture immatérielle dont ils se nourrissent dans l’éther. Au caractère continu de leur marche dans l’éther (αἰεί, v. 829) répond en effet la continuité (αἰεί, v. 840) avec laquelle Aphrodite envoie les Amours siéger aux côtés d’un savoir (σοφία, v. 843) désormais personnifié, pour produire avec lui, en tant qu’auxiliaires (ξυνεργοί), toute forme d’excellence (παντοία ἀρετή, v. 845)33.

3. Un détour platonicien : l’ancienne Athènes de Critias

19Parmi les textes susceptibles d’entrer en résonance avec ce troisième stasimon de la Médée, sans doute convient-il de s’arrêter à la description platonicienne de l’ancienne Athènes dans le Timée et le Critias. Dans le premier dialogue, Critias évoque des Athéniens nés de la semence de Terre et d’Héphaïstos, rejetons et élèves des dieux, nés en un lieu choisi par Athéna pour son climat équilibré (εκρασία), susceptible de produire les hommes les plus intelligents (φρονιμώτατοι), ressemblant le plus à cette déesse amie de la guerre (φιλοπόλεμος) et du savoir (φιλόσοφος) et surpassant tous les hommes en toutes sortes de qualités (πσα ρετή)34. Dans le second dialogue, reprenant la description esquissée au début du Timée, Critias confirme l’autochtonie des Athéniens ; quant à leur région (χώρα), bénéficiant de saisons bien tempérées (ὥραι μετριώτατα κεκραμέναι) et reçue en partage par Athéna et Héphaïstos, divinités ayant un même amour du savoir (φιλοσοφία) et des arts (φιλοτεχνία), elle était elle-même propice à la pensée (φρόνησις) et au talent (ρετή), comme en témoignaient les gardiens vivant sur l’acropole, célèbres pour leur excellence en toute chose (παντοία ἀρετή)35. L’essentiel des éléments mis en avant dans l’évocation d’Athènes par le chœur de la Médée se retrouvent ainsi dans la description de l’ancienne Athènes par Critias ; toutes deux mettent en évidence l’autochtonie du peuple athénien, le climat tempéré prévalant sur son territoire, sa proximité avec les dieux, son excellence en toute chose et notamment dans le savoir et la réflexion, même si le savoir que Critias attribue aux habitants de l’ancienne Athènes ne relève pas spécifiquement de la pratique poétique.

20Sans doute la dimension aérienne mise en évidence dans le stasimon de la Médée ne trouve-t-elle pas d’équivalent explicite dans le discours de Critias. On relèvera néanmoins qu’au sein du territoire de l’ancienne Athènes la ville (στυ) était presque tout entière occupée par une acropole s’étendant de l’Éridan à l’Ilissos et de la Pnyx au Lycabette et dont la surface était habitée par les guerriers ; la partie de la population athénienne cultivant le plus l’excellence vivait donc, sinon dans une ville aérienne, du moins dans une ville en hauteur (τ δ᾽ἐπάνω), proche du ciel36. Par ailleurs, si Critias rappelle l’origine autochtone des Athéniens, le modèle anthropologique exposé par Timée dans le dialogue éponyme (90a2-b2) fait de l’être humain « une plante (φυτόν) non pas terrestre (ἔγγειον), mais céleste (οράνιον) », selon une image qui offre précisément « une représentation inversée de l’autochtonie37 » ; cette image découle d’une conception qui place dans la tête l’âme immortelle et qui conçoit la tête comme une racine (ίζα) accrochée au lieu où cette âme est née la première fois, de sorte que celle-ci élève (αἴρειν) l’être humain de la terre vers ce qui lui est apparenté dans le ciel. Or il n’y a pas solution de continuité entre ces humains dont Timée a exposé la nature et les habitants de l’ancienne Athènes évoqués par Critias ; au début du Timée (27a2-b6), Critias lui-même, établissant le programme des discours qui vont suivre, indique en effet qu’il recevra de Timée les hommes « nés de son discours » (τ λόγ γεγονότας), pour en faire des citoyens de sa cité, c’est-à-dire Athènes, puisqu’il s’agira bien d’évoquer les Athéniens du passé38. En outre, la tête, dans laquelle loge cette âme qui élève l’humain vers le ciel, est décrite comme le sommet (κρον, 90a5) et même comme une acropole (70a7) ; dans ces conditions, et inversement, l’acropole athénienne sur laquelle vivent les guerriers peut être conçue comme la tête de la cité qui élève celle-ci tout entière vers le ciel39.

21Si les Athéniens chantés par le chœur de la Médée ne peuvent être purement et simplement identifiés avec les Athéniens du public, mais constituent bien plutôt un double poétique, il en va de même de l’ancienne Athènes évoquée par Critias. Par le jeu des déictiques, l’ancienne Athènes désignée comme « cette cité-ci » (δε πόλις) tend certes à être assimilée à l’Athènes contemporaine dans laquelle se déroule le dialogue ; de même lorsque le prêtre égyptien parle à Solon de cette ancienne Athènes, il parle de « votre cité40 ». Dans le même temps, cette Athènes se situe dans un passé lointain – neuf mille ans ! –, et les actiοns dont elle fut la protagoniste sont anciennes (παλαιά), au point d’avoir été effacées (φανισμένα) par le temps ; du même coup, le récit qui les fait réémerger de l’oubli est lui-même un récit ancien, fruit d’une tradition (ἀκοή) ancienne41. Ce récit, Critias lui-même l’a entendu de la bouche de son grand-père alors qu’il n’avait que dix ans, et même s’il pense que ce jeune âge garantit la fidélité de ses souvenirs, l’éloignement dans le temps nécessite néanmoins un effort de remémoration ; d’ailleurs, lorsqu’il s’agira de reprendre dans le Critias le récit esquissé au début du Timée, Critias, désormais bien moins sûr de lui, éprouvera le besoin d’invoquer à nouveau Mnémosyne pour lui assurer une mémoire suffisante42. Par ailleurs, si Critias présente, au début du Timée (20d8), son discours sur l’ancienne Athènes et sur la guerre contre l’Atlantide comme un discours absolument vrai (ληθής), cette prétention à la vérité semble bien susciter l’ironie de Socrate, lorsqu’il note que le fait que son récit « ne soit pas une histoire façonnée (πλασθες μθος), mais un discours véridique (ληθινς λόγος) est sans doute (που) une très grande chose (πάμμεγα)43 ». En tous les cas, lorsque viendra le moment pour Critias de reprendre son discours, après l’intervention de Timée, il ne se risquera plus à mettre en avant la vérité de son propos, mais en prenant comme paradigme le travail des peintres, il préférera faire du discours humain en général et du sien en particulier une simple imitation (μίμησις) ou image (ἀπεικασία)44 ; et si la peinture peut être désignée par Critias comme εδωλοποιΐα, « fabrication de simulacres », dès lors son propre discours apparaît lui-même implicitement comme producteur d’εἴδωλα45. À travers l’invocation à Mnémosyne, mais aussi aux Muses et à Apollon, le discours sur l’ancienne Athènes se constitue ainsi en image poétique destinée à des auditeurs eux-mêmes assimilés à des spectateurs de théâtre (θέατρον)46. Le discours sur l’ancienne Athènes, dont Critias est l’ultime énonciateur, revêt ainsi un statut qui n’est pas si éloigné de celui qu’assume l’évocation de l’Athènes éthérée par le chœur de la Médée.

4. Médée à Athènes

22À travers l’évocation idéalisée d’une Athènes entre ciel et terre, le chœur veut mettre en évidence l’impossibilité pour cette cité d’accueillir celle qui s’apprête à devenir une mère infanticide, Médée. Tel est le sens de la question qui ouvre la seconde strophe (vv. 846-850) :

πς ον ερν ποταμν
πόλις φίλων
πόμπιμός σε χώρα
τν παιδολέτειραν ξει,
τν οχ σίαν μετλλων;

Comment donc la cité aux fleuves sacrés,
comment la contrée qui offre une escorte aux amis,
te gardera-t-elle, femme infanticide,
impie au milieu d’autres ?47

23Et c’est précisément la mise en évidence de cette impossibilité qui fonde la requête pressante qu’adresse le chœur à Médée dans les vers suivants (vv. 853-855) : « ne tue pas tes enfants ! » Cette requête restera pourtant sans effet : Médée deviendra mère infanticide, sans pour autant que le chemin pour Athènes se ferme à elle. Au contraire : dans le mouvement ascensionnel qui clôt la pièce, en prenant place dans le char du soleil, Médée ne fait pas que fuir dans l’éther et accéder à une forme de proximité avec les dieux, mais elle se met, au sens propre, au niveau des Athéniens chez qui elle va trouver refuge.

24Cette fuite vers Athènes n’est pas sans créer un malaise, car la question du chœur reste entière : comment Athènes, la cité même où se déroule la performance dramatique, pourra-t-elle accueillir et garder sur son territoire cette mère infanticide ? De fait, Médée ne saurait que vicier l’éther limpide dans lequel les Athéniens évoluent. Car si Médée est bien renommée pour sa σοφία (vv. 292-305, 539-540), ce savoir est aux antipodes de la σοφία dont se nourrit le peuple athénien. Si Médée peut être en effet qualifiée de σοφή, selon les mots de Créon (v. 285), c’est qu’elle est experte en de nombreux méfaits et, selon son propre aveu (v. 384-385), c’est dans son habileté à trouver des poisons (φάρμακα) propres à éliminer ses ennemis qu’elle réalise au plus haut point cette qualité. Selon un récit dont on trouve des traces iconographiques dès le Ve siècle, loin d’oublier cette σοφία funeste en arrivant à Athènes, Médée l’utilisera d’ailleurs pour tenter d’empoisonner Thésée, le fils d’Égée48.

25Toutefois, si la pièce fait mention des φάρμακα que Médée utilisera à Athènes, il ne s’agit pas de ceux destinés à éliminer Thésée, mais de ceux qui doivent permettre à Égée d’avoir la descendance qui lui manque (vv. 717-718). À travers cette prétention à offrir une descendance à Égée, Médée se profile comme un double de l’Aphrodite, chantée dans le troisième stasimon : une Aphrodite ouranienne selon notre hypothèse, dont le culte fut précisément institué, nous dit Pausanias (I, 14, 7), par un Égée en mal d’enfants49. Dans le même temps, l’Aphrodite dont Médée est le reflet ne saurait être l’Aphrodite athénienne dont le souffle manifeste la douceur et la modération (vv. 839-840), mais elle évoque bien plutôt l’Aphrodite chantée dans le deuxième stasimon de la pièce (vv. 638-642) ; une Aphrodite terrible (δεινή), qui suscite colères et querelles insatiables et qui pousse à se tourner vers d’autres couches (ἕτερα λέκτρα). En annonçant, au terme de la pièce, qu’elle va partager la maison d’Égée, en utilisant un verbe (συνοικέω, v. 1385) qui suggère l’union matrimoniale, Médée elle-même va instiller chez le roi athénien, dont on sait qu’il est déjà marié (vv. 672-673), un désir adultère50.

26Dans le même temps, tout comme les Athéniens, s’élevant de la χώρα vers l’éther et nourris de σοφία, se dématérialisent pour constituer une forme de simulacre poétique, un εἴδωλον, de même Médée, s’élevant dans les airs sur le char du soleil pour rejoindre les Athéniens évoluant dans leur éther, est en passe de devenir elle-même une image poétique. Telle est donc la fonction cathartique du troisième stasimon : tout en soulignant l’incompatibilité entre la cité athénienne et la mère infanticide, il suggère, par anticipation, que l’éther athénien, qu’elle rejoindra malgré tout, est de nature à la transformer en un objet poétique ; objet dès lors non plus de peur (φόβος), mais bien plutôt de plaisir (ἡδονή), pour reprendre la terminologie de la Poétique d’Aristote51. Si le troisième stasimon établit le cadre dans lequel cette transformation pourra se faire et si l’exodos en montre l’amorce, la performance théâtrale en train de se jouer dans le sanctuaire de Dionysos la réalise, en faisant de Médée un simulacre, un εἴδωλον, non pas créé à partir de l’éther, mais constitué d’un masque et d’un costume portés par un acteur masculin52.

Notes de bas de page numériques

1 De fait, une version de la légende, attribuée à un certain Créophylos et transmise par une scholie à la Médée (ad v. 264), indique que les Corinthiens auraient tué les enfants de Médée pour venger le meurtre de Créon commis par leur mère. Les sources antiques mentionnent deux auteurs du nom de Créophylos : le premier est présenté comme un poète contemporain d’Homère, le second comme un historien d’Éphèse du IVe siècle. Dès lors, on ne peut savoir si Euripide fait ici référence à une tradition antérieure ou s’il suggère simplement une possibilité dans le développement de l’intrigue, qui sera récupérée et exploitée chez des auteurs postérieurs. Voir la discussion et les références chez Donald J. Mastronarde, Euripides. Medea, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, pp. 50-51, et Judith Mossman, Euripides. Medea, Oxford, Aris & Phillips, 2011, pp. 7-8. La possibilité que les enfants de Médée puissent être tués par les Corinthiens est encore évoquée dans les vv. 1060-1061 et 1238-1239.

2 Sur cette manière d’exprimer l’impossibilité de la fuite, voir les parallèles euripidéens donnés par William Spencer Barrett, Euripides. Hippolytos, Oxford, Oxford University Press, 1964, p. 397, ad vv. 1290-1293 ; voir en particulier Oreste, vv. 1376-1377, ainsi que Phaethon, fr. 781, 63-64 (les fragments d’Euripide sont cités d’après l’édition de Richard Kannicht) : « Dois-je disparaître dans l’éther ou sous terre, dans une cachette invisible ? ».

3 Sur l’emploi de l’ekkuklêma, voir Nicolaos C. Hourmouziades, Production and Imagination in Euripides. Form and Function of the Scenic Space, Athens, Greek Society for Humanistic Studies, 1965, pp. 93-108, Hans-Joachim Newiger, « Ekkyklema e mechané nella messa in scena del dramma greco », Dioniso, 59/2, 1989, pp. 173-185, ainsi que les sources réunies par Eric Csapo & William J. Slater, The Context of Ancient Drama, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1995, pp. 270-273. Il est difficile d’affirmer que l’emploi de l’ekkuklêma était familier aux spectateurs de la Médée, jouée en 431, et que ceux-ci pouvaient s’attendre à son usage au moment où Jason donne l’ordre d’ouvrir les portes. L’emploi de l’ekkuklêma est généralement admis (notamment par William Spencer Barrett, Euripides. Hippolytos, pp. 317-318, ad v. 811) dans l’Hippolyte, pièce de peu postérieure à la Médée (428, selon la date habituellement retenue), tandis que les Acharniens d’Aristophane (vv. 408-409), joués en 425, semblent attester l’emploi régulier de l’ekkuklêma par Euripide à cette date. L’emploi de l’ekkuklêma dans la tragédie du Ve siècle a été contesté par Arthur Wallace Pickard-Cambridge, The Theatre of Dionysos in Athens, Oxford, Clarendon Press, 1946, pp. 100-122, et en dernier lieu par Vincenzo Di Benedetto & Enrico Medda, La tragedia sulla scena. La tragedia greca in quanto spettacolo teatrale, [1997], Torino, Einaudi, 2002.

4 Char ailé du soleil : Euripide, Oreste, vv. 1001-1002, Phaeton, fr. 779, 6 ; chevaux ailés tirant son char : Euripide, Électre, vv. 464-466 (cf. déjà Hymne homérique à Déméter, v. 89 : chevaux comparés à des oiseaux). L’hypothesis de la pièce (cf. scholie ad v. 1320) indique que le char du soleil est attelé non pas à des chevaux, mais à des serpents ailés ; de même, deux vases lucaniens (Policoro, Museo archeologico nazionale, n° 35296 ; Cleveland Museum of Art, n° 91.1), datés autour de 400, montrent Médée dans un char tiré par des serpents ; selon Oliver Taplin, Pots and Plays. Interactions between Tragedy and Greek Vase-Painting of the Fourth Century B. C., Los Angeles, Getty Museum, 2007, pp. 117-123, les serpents sur ces deux vases seraient le reflet d’une mise en scène locale de la pièce d’Euripide, différente de celle de 431. En tous les cas, comme le note Judith Mossman, Euripides. Medea, Oxford, Aris & Phillips, 2011, p. 31, n. 112, « it is particularly surprising that neither Jason or the chorus comments on this magic chariot drawn by flying horses or dragons ».

5 Cf. vv. 768-771, dans lesquels Médée utilise des métaphores nautiques pour évoquer son arrivée à Athènes et le refuge qu’elle va trouver auprès d’Égée.

6 La similitude entre ces deux scènes est relevée et analysée notamment par Nicolaos C. Hourmouziades, Production and Imagination in Euripides, pp. 17-18, Enrico Medda, Euripide. Oreste, Milano, BUR, 2001, pp. 318-319.

7 Relevé par Donald J. Mastronarde, « Actors on High : The Skene Roof, the Crane, and the Gods in Attic Drama », Classical Antiquity, 9/2, 1990, pp. 247-294 (pp. 262-263). Exemples de ces « stopping utterances » prononcés par des dieux dans l’exodos : Sophocle, Philoctète, vv. 1409-1410, Euripide, Suppliantes, vv. 1185-1186, Iphigénie en Tauride, vv. 1435-1437, Hélène, vv. 1642-1643.

8 Pour la mise en scène de cette partie finale de l’Oreste, je suis Donald J. Mastronarde, « Actors on High », pp. 262-264, 281, 287, et Enrico Medda, Euripide. Oreste, p. 318. Selon Nicolaos C. Hourmouziades, Production and Imagination in Euripides, pp. 30, 168, Apollon et Hélène sont déposés sur une structure en bois placée sur le toit de la skênê ; dans le même sens, voir Charles W. Willink, Euripides. Orestes, Oxford, Clarendon Press, 1986, p. 351, ad vv. 1625-1690. Cf. Vincenzo Di Benedetto & Enrico Medda, La tragedia sulla scena, p. 147 : « L’esodo dell’Oreste risulta l’unico caso in tragedia in cui i personaggi sono disposti contemporaneamente su tre livelli differenti dello spazio scenico ».

9 Pour ne citer ici que le commentaire le plus récent, qui reflète la communis opinio, « enter Medea, with the bodies of her children, on the mêchanê, which is designed to represent a flying chariot » (Judith Mossman, Euripides. Medea, p. 356). Pour une discussion plus détaillée, voir Donald J. Mastronarde, « Actors on High », pp. 264-266, 281.

10 Voir en ce sens Donald W. Lucas, Aristotle. Poetics, Oxford, Clarendon Press, 1972, pp. 163-164, l’une des rares voix à mettre en doute l’usage de la mêkhanê dans la Médée.

11 Voir en particulier Maurice P. Cunningham, « Medea ἀπὸ μηχανῆς », Classical Philology, 49, 1954, pp. 151-160, et Bernard Knox, « The Medea of Euripides », in Word and Action. Essays on the Ancient Theater, Baltimore-London, The Johns Hopkins University Press, 1979, pp. 295-322 (pp. 303-306). Dans la tragédie, les deux seules figures non-divines pour lesquelles l’emploi de la mêkhanê peut être admis sont Persée dans l’Andromède d’Euripide (fr. 124) et Bellérophon dans la pièce éponyme du même auteur (fr. 306-308).

12 Références explicites au trajet effectué : Sophocle, Philoctète, vv. 1413-1414, Euripide, Andromaque, v. 1232, Ion, v. 1556, Électre, vv. 1241-1242.

13 Référence explicite à l’escalier permettant d’accéder au toit de la skênê : Euripide, Phéniciennes, v. 100. Que les cadavres des enfants soient représentés par des mannequins (et donc facilement transportables) est admis par Cecelia A. E. Luschnig, « Euripides : Medea », in Hanna M. Roisman (dir.), The Encyclopedia of Greek Tragedy, Chichester, Wiley, 2014, pp. 439-445 (p. 440).

14 Références aux dieux dans l’exodos : vv. 1324, 1333, 1352, 1372, 1379, 1391, 1402, 1405, 1410, 1415-1418.

15 Vv. 1342-1343, 1407 ; cette désignation est reprise par Médée elle-même aux vv. 1358-1359. Déjà la nourrice assimile Médée à une lionne dans la parodos (v. 187). Sur les multiples identités de Médée dans l’exodos, voir Cecelia A. E. Luschnig, Granddaughter of the Sun. A Study of Euripides’ Medea, Leiden, Brill, 2007, pp. 63-84 ; cf. p. 77 : « however much we say that she is something more, a demon of revenge, a goddess or monster, or that she has given up her humanity, she is still human, still a woman ».

16 Médée, vv. 1381-1384 : γῇ δὲ τῇδε Σισύφου / σεμνὴν ἑορτὴν καὶ τέλη προσάψομεν / τὸ λοιπὸν ἀντὶ τοῦδε δυσσεβοῦς φόνου (« à cette terre de Sisyphe nous donnerons une fête inspirant le respect et des rites qui serviront à l’avenir de compensation pour ce crime impie ») ; Hippolyte, vv. 1423-1425 : σοὶ δ᾽, ὦ ταλαίπωρ᾽, ἀντὶ τῶνδε τῶν κακῶν / τιμὰς μεγίστας ἐν πόλει Τροιζηνίᾳ / δώσω (« à toi, malheureux, en compensation de tes maux, je donnerai de très grands honneurs dans la cité de Trézène »). Sur le rite dont Médée annonce l’institution, voir en particulier Francis M. Dunn, « Euripides and the Rites of Hera Akraia », Greek, Roman, and Byzantine Studies, 35, 1994, pp. 103-115.

17 Par contraste, le discours prophétique d’Eurysthée dans les Héraclides se réclame d’un vieil oracle de Loxias (v. 1028) et celui de Polymestor dans l’Hécube d’un oracle thrace de Dionysos (v. 1267).

18 Annonces divines relatives à des sépultures : Euripide, Andromaque, vv. 1239-1242, Hécube, v. 1271, Suppliantes, v. 1210, Iphigénie en Tauride, v. 1464, Antiope, fr. 223, 80-82, Érechthée, fr. 370, 67-70.

19 Sur l’éther comme espace divin, associé en particulier à Zeus, voir notamment Euripide, Bacchantes, v. 393, Ion, vv. 1078-1079, Électre, vv. 1349-1353, Oreste, v. 1636, Mélanippe, fr. 487, Chrysippos, fr. 839, 1, fr. 985, et déjà Homère, Iliade, II, 412, Eschyle, Niobé, fr. 162 Radt ; identification de l’éther avec Zeus : Euripide, fr. 877 et 941, et déjà Eschyle, Héliades, fr. 70 Radt ; cf. Sophocle, Œdipe à Colone, v. 1471.

20 Sur ces deux composantes de l’autochtonie athénienne et leur articulation, voir en particulier Vincent J. Rosivach, « Autochthony and the Athenians », Classical Quarterly, 37, 1987, pp. 294-306. La désignation des Athéniens comme descendants d’Érechthée est caractéristique de la tragédie et d’Euripide en particulier ; voir néanmoins déjà Pindare, Isthmiques, 2, 19, Pythiques, 7, 10. Athéniens comme descendants des dieux : Isocrate, Panathénaïque, 124 ; fils d’Héphaïstos : Eschyle, Euménides, v. 13 ; Athéna, nourrice d’Érechthée : Iliade, II, 547-548. Dans cette analyse du troisième stasimon, je reprends certaines remarques présentées dans « L’intégration de l’étranger dans la tragédie athénienne. Remarques sur la Médée d’Euripide », in Monserrat Reig & Xavier Riu (dir.), Drama, Philosophy, Politics in Ancient Greece. Contexts and Receptions, Barcelona, UB edicions, 2014, pp. 137-156.

21 Le lien entre l’adverbe αἰεί et l’idéologie de l’autochtonie est relevé par Stephen Nimis, « Autochthony, Misogyny, and Harmony : Medea 824-45 », Arethusa, 40, 2007, pp.  397-420 (pp. 405-406), avec renvoi à Nicole Loraux, Né de la terre. Mythe et politique à Athènes, Paris, Le Seuil, 1996, pp. 32-34. Sur l’autochtonie athénienne comme présence permanente sur un même territoire, autre expression très explicite chez Isocrate, Panégyrique 24. Sur la clarté du ciel athénien, cf. Ménandre, Samienne, vv. 107-109, de manière implicite par opposition au brouillard épais (ἀὴρ παχύς) du Pont Euxin. Sur la brillance intrinsèque de l’éther, inscrite dans son nom même (dérivé du verbe αἴθω, « brûler ») et rendue explicite par l’adjectif λαμπρός, voir Euripide, Hippolyte, v. 178, Oreste, v. 1087, Ion, v. 1445, Iphigénie en Tauride, v. 29, Hippolyte voilé, fr. 443.

22 La même qualification s’appliquera plus loin à la démarche de la fille de Créon (ἁβρὸν βαίνουσα, v. 1164), lorsqu’elle fait quelques pas pour observer comment le peplos offert par Médée tombe sur sa cheville (vv. 1165-1166). Sur la coloration érotique introduite par l’adverbe ἁβρῶς, voir Laura A. Swift, « The Symbolism of Space in Euripidean Choral Fantasy », Classical Quarterly, 59, 2009, pp. 364-382 (p. 372).

23 Éther comme lieu inaccessible (ἄβατον) : Phéniciennes, v. 809 ; éther comme lieu d’une fuite impossible : voir supra n. 2.

24 Sur le verbe φέρβω, voir Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1968, pp. 1187-1188, Claude Moussy, Recherches sur « trephô » et les verbes signifiant « nourrir », Paris, Klincksieck, 1969, pp. 27-35.

25 Comme l’atteste la scholie au v. 834, dès l’Antiquité les interprètes ont perçu une ambiguïté syntaxique dans ces vers : sont-ce les Muses qui engendrent Harmonie ou l’inverse ? Si l’on met en relation ce dont se nourrissent les Athéniens – le savoir (σοφία) – et ce qui est planté, le complément de l’infinitif φυτεῦσαι est plus probablement la blonde Harmonie que les Muses ; en ce sens, voir Denys L. Page, Euripides. Medea, Oxford, Clarendon Press, 1938, p. 132 ; Donald J. Mastronarde, Euripides. Medea, p. 309, Judith Mossman, Euripides. Medea, pp. 298-299 ; contra : Glenn W. Most, « Two Problems in the Third Stasimon of Euripides’ Medea », Classical Philology, 94, 1999, pp. 20-35 (p. 20 n. 1), Myrto Gondicas & Pierre Judet de la Combe, Euripide. Médée, Paris, Les Belles Lettres, 2012, p. 138. Pietro Pucci, The Violence of Pity in Euripides’ Medea, Ithaca/London, Cornell University Press, 1980, traduit selon la première interprétation (p. 116), tout en soulignant l’ambiguïté du texte (p. 217, n. 40) et en optant finalement pour la seconde interprétation (p. 122) !

26 Voir en particulier Isocrate, Panégyrique, 46 : « notre cité est un festival (πανήγυρις) permanent (ἅπαντα τὸν αἰῶνα) pour ceux qui la visitent » ; cf. Thucydide, II, 38, 1 : concours et sacrifice se succédant toute l’année (διετήσιοι), Ps.-Xénophon, Constitution des Athéniens, III, 8 : les Athéniens célèbrent deux fois plus de fêtes (ἑορταί) que les autres cités.

27 Sur ce point, voir Pietro Pucci, The Violence of Pity, p. 120 : « The play Medea is an artistic achievement of sophia and as such it belongs to the spiritual enclave of Aphrodite, Sophia, and the Erotes. »

28 Sur l’éther comme pôle immatériel opposé à la terre chez Euripide, on verra les analyses de Jacqueline Assaël, Euripide, philosophe et poète tragique, Louvain, Peeters, 2001, pp. 45-60. Sur les conceptions philosophiques sous-jacentes à cette représentation de l’éther, voir également Franziska Egli, Euripides im Kontext zeitgenössischer intellektueller Strömungen, München/Leipzig, Saur, 2003, pp. 79-120.

29 Cf. en particulier Euripide, fr. 981, 2-3 : « Nous avons au-dessus de notre terre un ciel bien tempéré (ε κεκραμένος), dans lequel n’excèdent ni le chaud ni le froid ».

30 De manière plus spécifique, Stephen Nimis, « Autochthony, Misogyny, and Harmony », pp. 409-411, soutient l’hypothèse d’une évocation de Praxithéa à travers la figure génitrice de Céphise ; Céphise comme père de Praxithéa : Lycurgue, Contre Léocrate, 99-100 ; Céphise comme grand-père de Praxithéa : Ps.-Apollodore, Bibiliothèque, III, 15, 1 ; Céphise comme ancêtre de Ion, lui-même petit-fils de Praxithéa : Euripide, Ion, v. 1261. Sur l’autochtonie de Praxithéa, voir Giulia Sissa & Marcel Detienne, La Vie quotidienne des dieux grecs, Paris, Hachette, 1989, pp. 238-242.

31 Cf. encore Euripide, Antiope, fr. 182a : « Je chante l’éther et la terre génitrice de toute chose ». Humidité de l’éther : Euripide, Ion, v. 796, fr. 941, et déjà Pindare, Néméennes, 8, 41, Eschyle, Suppliantes, vv. 792-793.

32 Sur ce point, voir Vinciane Pirenne-Delforge, L’Aphrodite grecque. Contribution à l’étude de ses cultes et de sa personnalité dans le panthéon archaïque et classique, Athènes/Liège, Centre international d’étude de la religion grecque antique, 1994, pp. 22-23, Rachel Rosenzweig, Worshipping Aphrodite. Art and Culture in Classical Athens, Ann Arbor, University of Michigan Press, 2004, pp. 79-80.

33 Cf. Euripide, Sthénébée, fr. 663 : « Éros transmet son enseignement au poète, même s’il est auparavant étranger à l’art des muses (ἄμουσος) », fragment repris par Agathon dans le Banquet de Platon (196e), qui ajoute : « Éros est bon créateur (ποιητής) en toute forme de création (πᾶσαν ποίησιν) ».

34 Timée 23d6-e1, 24c5-d6.

35 Critias 109c6-d2, 111e5, 112e5.

36 Critias 112a5-b5.

37 Formulation de Marie-Laurence Desclos, « L’Atlantide : une île comme un corps. Histoire d’une transgression », in Françoise Letoublon (dir.), Impressions d’îles, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1996, pp. 141-155 (p. 148), citée par Tanja Ruben, Le discours comme image. Énonciation et récit « mimétique » dans le Timée-Critias de Platon, Thèse de l’Université de Lausanne, 2012 (publication prévue en 2015), p. 298, n. 112.

38 Sur ce passage, voir Tanja Ruben, Le discours comme image, p. 120, qui parle d’une « naturalisation post mortem ».

39 Sur l’acropole comme tête, voir Marie-Laurence Desclos, « L’Atlantide : une île comme un corps », pp. 147-148.

40 « Cette cité-ci » : Timée 20e5, 21a5, 21d6, 27b3, Critias 108e4 ; cf. Timée 23c5 : « celle qui est maintenant (νῦν) la cité des Athéniens ». « Votre cité » : Timée 23c1, 23d5, 24e2, 25b6, etc.

41 Ancienneté des événements effacés par le temps : Timée 20e5-6, Critias 109d4 ; cf. Timée 21a7, 22e4, 23b3, Critias 108c4. Événements vieux de neuf mille ans : Timée 23e4, Critias 108e2, 111a7. Ancienneté du récit et de la tradition qui le véhicule : Timée 20d2, 21a8 ; cf. 23a5.

42 Timée 21b1, 26a1-c4, Critias 108d2-4.

43 Timée 20d8, 26e5-6 (l’ironie de Socrate dans ce passage est notée par Tanja Ruben, Le discours comme image, p. 61) ; véracité du récit de Critias : cf. 21a6, 21d9, 22c7, 26d1.

44 Critias 107b6, et 107b-d pour le parallélisme avec le travail des peintres.

45 Εδωλοποιΐα : Critias107b8 ; sur ce point, voir Tanja Ruben, Le discours comme image, p. 270.

46 Θέατρον : Critias 108b4, d6. Invocation à Apollon, aux Muses et à Mnemosyne : 108c3-4, d1-2.

47 Je conserve la leçon des manuscrits μετ’ ἄλλων (contre la correction de Lueck μέταυλον, suivi notamment par Diggle), en adoptant l’interprétation de Glenn W. Most, « Two Problems in the Third Stasimon of Euripides’ Medea », pp. 21-27, selon laquelle les ἄλλοι se réfèrent aux suppliants, autres que Médée, auxquels Athènes offre traditionnellement refuge.

48 Diodore de Sicile, IV, 55, 6, Plutarque, Vie de Thésée, 12, 3-6 ; cf. Euripide, Égée, fr. 4, qui évoque déjà l’hostilité de Médée à l’égard de Thésée. Sur certaines des images attiques représentant le combat de Thésée contre le taureau de Marathon apparaît une femme tenant une cruche et une coupe ; cette femme serait Médée et les récipients qu’elle porte feraient référence à la tentative d’empoisonnement à venir, selon Christiane Sourvinou-Inwood, Theseus as Son and Stepson. A Tentative Illustration of the Greek Mythological Mentality, London, Institute of Classical Studies (Bulletin Supplement n° 39), 1979, pp. 32-35 ; Médée apparaît avec ces mêmes récipients sur un vase apulien montrant la reconnaissance de Thésée par Égée (p. 31) et un skyphos attique montrant Thésée s’attaquant à elle avec son épée (p. 39).

49 Sur cet aition et le lien du culte d’Aphrodite οὐρανία avec la procréation, voir Vinciane Pirenne-Delforge, L’Aphrodite grecque, pp. 15-21.

50 Selon la scholie (ad v. 673) et selon la Bibliothèque d’Apollodore (III, 15, 6), Égée aurait été successivement marié à Melitê (ou Mêta) et Chalciopê, unions restées sans enfant. David Kovacs, « And Baby Makes Three : Aegeus’ Wife as Mother-to-be of Theseus in Euripides’ Medea », Classical Philology, 103, 2008, pp. 298-304, fait l’hypothèse d’une tradition qui ferait d’Aithra l’épouse légitime d’Égée à Athènes et qui situerait donc à Athènes (et non à Trézène) la naissance de Thésée ; cf. Euripide, Suppliantes, vv. 6-7: Aithra, à Athènes, se désigne comme épouse donnée à Égée par son père Pitthée ; vv. 56-57: le chœur désigne Égée comme l’époux d’Aithra. Cette hypothèse permettrait de résoudre la difficulté que représente l’oracle reçu par Égée dans la Médée ; à la question d’Égée demandant comment avoir une descendance (v. 669), l’oracle répond en interdisant au roi athénien toute union sexuelle avant d’être rentré chez lui (vv. 679-681) ; or la version traditionnelle, selon laquelle Thésée aurait été engendré lors du passage d’Égée à Trézène, s’avère incompatible avec le respect de cet ordre divin.

51 Sur le plaisir (ἡδονή) qui naît de la pitié (ἔλεος) et de la peur (φόβος) en tant qu’elles sont suscitées par la μίμησις, voir Aristote, Poétique, chapitre 14, 1453b13-14 ; dans ce même chapitre, parmi les exemples d’événements à la fois effrayants (δεινά) et pitoyables (οἰκτρά), Aristote cite l’infanticide commis par Médée (1453b29). Sur l’épuration (κάθαρσις) des émotions que sont la pitié et la peur par le biais de leur représentation (μίμησις), voir chapitre 6, 1449b27-28 ; sans pouvoir entrer ici dans le débat interprétatif suscité par ce passage, je me contente de renvoyer aux propositions de Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Aristote. La Poétique, Paris, Le Seuil, 1980, pp. 188-193.

52 Cf. Eschyle, Isthmiastes, fr. 78a, 6 Radt, où le terme εἴδωλον fait référence aux masques de satyres, dont la ressemblance avec leurs modèles provoque la stupeur de ceux-ci.

Pour citer cet article

Pierre Voelke, « Médée dans l’éther athénien », paru dans Loxias, Loxias 45., mis en ligne le 28 avril 2014, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=7751.


Auteurs

Pierre Voelke

Pierre Voelke est maître d’enseignement et de recherche en langue et littérature grecques à l’Université de Lausanne. Il a publié Un théâtre de la marge. Aspects figuratifs et configurationnels du drame satyrique dans l’Athènes classique, Bari, Levante Editori, 2001, ainsi que plusieurs articles consacrés au théâtre athénien, parmi lesquels « Beauté d'Hélène et rituels féminins dans l'Hélène d'Euripide » (Kernos 9, 1996), « Euripide, héros et poète comique. À propos des Acharniens et des Thesmophories d'Aristophane » (Études de lettres 4, 2004), et en dernier lieu « Les failles de la κοσμιότης dans la Samienne de Ménandre » (Revue de philologie 86/1, 2012, à paraître).