Loxias | Loxias 30 Doctoriales VII |  Doctoriales VII 

Coralie Bournonville  : 

Entendre ou lire un récit dans La Paysanne parvenue du Chevalier de Mouhy

Résumé

Dans le contexte des attaques portées contre le roman dans les années 1730, Mouhy, romancier prolifique à succès, dans son roman-mémoires La Paysanne parvenue (1735-1737), met en scène à plusieurs reprises la réception de récits. Il propose de la lecture des représentations contradictoires. Ces représentations dialoguent avec trois champs discursifs : les discours sur le roman, les traités pédagogiques et le langage de la sensibilité. Nous voudrions montrer ici que ces représentations, qui récupèrent l’ensemble des conceptions de la lecture disponibles dans la tradition littéraire comme dans les discours contemporains du roman, ne construisent pas un modèle ou une conception cohérente de la lecture, mais s’inscrivent dans une perspective à la fois apologétique, séductrice et romanesque : coexiste chez Mouhy la volonté d’inscrire les images de lecture dans un dialogue avec les débats contemporains, de séduire ses différents lecteurs et de tirer un parti romanesque des images de lecteurs qui circulent à son époque.

Index

Mots-clés : Chevalier de Mouhy , effets de lecture, exemplarité, roman-mémoires

Keywords : Chevalier de Mouhy , effects of reading, exemplarity, memoir-novel

Géographique : France

Chronologique : XVIIIe siècle

Plan

Texte intégral

Introduction

1Les représentations des effets d’un récit sur un personnage, nombreuses dans les romans du début du XVIIIe siècle, s’inscrivent dans un double contexte socioculturel : les critiques adressées au roman depuis le siècle précédent et les réflexions pédagogiques. Les attaques verbales et politiques contre le roman, qui sont particulièrement violentes dans les années 1730 sans nuire à son succès croissant, sont désormais bien connues1. Leurs deux angles d’attaque sont le rapport du roman à la vérité – on l’accuse d’invraisemblance – et surtout son immoralité – il corrompt les mœurs, incite à l’amour et détourne des devoirs religieux. Ce sont les femmes qui sont considérées comme les principales victimes des romans, parce qu’elles en sont friandes et parce qu’elles ont l’imagination plus vive. Or, paradoxalement, les romans des années 1730-1740 viennent très souvent relayer l’image effrayante et fascinante de la lecture féminine de romans comme cause d’une chute morale2. D’autre part, le XVIIIe siècle place au cœur de ses préoccupations l’éducation des enfants et des femmes. Comme l’écrit Marcel Grandière, « Après la ‘crise de la conscience européenne’ (1680-1715), la question de l’idéal pédagogique est au cœur de l’histoire du dix-huitième siècle, de l’histoire de la pensée, bien sûr, mais également de l’histoire politique3. » Les traités exposent les livres que l’on doit faire lire ou cacher aux enfants, et parmi ces derniers, les romans, surtout lorsqu’il s’agit des jeunes filles4. En revanche ils conseillent très souvent l’étude de l’histoire, conçue comme « une morale réduite en action et en exemples pour la conduite des hommes5 ». Nous verrons à travers l’exemple du Chevalier de Mouhy comment le roman peut utiliser cette conception de l’histoire.

2Le roman La Paysanne parvenue, publié entre 1735 et 1737, est un roman-mémoires qui relate la vie de Jeannette, modeste paysanne, jusqu’à son mariage avec le marquis de L** V**, après maintes péripéties. L’héritage de Marivaux  est revendiqué : la trame narrative est proche de celle du Paysan parvenu et, comme Marianne, Jeannette séduit par sa beauté et sa vertu revendiquée. Mouhy, auteur prolifique excellant à reprendre les ficelles romanesques qui lui assurent un succès contemporain à défaut d’être durable, investit dans ce roman le topos des effets de la lecture sur des personnages féminins et les différentes conceptions de la lecture qui circulent dans la société, pour en proposer des représentations contradictoires. Les lectures représentées sont tantôt morales, tantôt sensibles, tantôt pernicieuses, tantôt critiques. Elles apparaissent à deux niveaux : au niveau métadiscursif, dans les préfaces et adresses au lecteur, et au niveau proprement romanesque, narratif, non seulement dans des scènes de lecture proprement dites, mais aussi dans la mise en scène des effets de récits entendus. Nous voudrions montrer ici que Mouhy investit l’ensemble des conceptions de la lecture que lui offrent topoï romanesques et discours sur le roman pour tirer parti de leur dimension polémique comme des possibilités romanesques qu’elles offrent.

I. Lecture et morale

La chute de Marianne ou la lecture corruptrice

3Mouhy reprend dans un épisode le topos de la lecture de romans corruptrice, entérinant par là les critiques des ennemis du roman. Avec le récit inséré de l’histoire de Marianne, une jeune fille morte d’une déception amoureuse, Mouhy présente l’un des effets pernicieux du roman selon l’imaginaire de la lecture contemporain : il donne goût à l’amour6. Marianne décrit elle-même les effets de sa lecture de « l’histoire d’Hippolyte7 » : attendrie par sa lecture de ce roman galant du XVIIe siècle, elle pleure lorsqu’un jeune homme entre dans sa boutique ; toute disposée à l’amour par sa lecture, elle tombe immédiatement amoureuse du séducteur et lui déclare son amour après quelques mots échangés. Le passage reprend des éléments topiques8. Elle fait elle-même cette analyse : la lecture « prépare le cœur à recevoir de tendres impressions9 ». Le même péril frôle Jeannette quand sa mère lui raconte des histoires séduisantes, qui lui donnent le désir de s’élever :

J’avais le cœur élevé, et je ne pouvais m’accoutumer à être paysanne. Il pétillait lorsque l’on me parlait de la ville, et toutes les fois que ma mère me contait l’histoire de quelqu’une de mes semblables qui y avait réussi, il me semblait qu’il devait m’en arriver autant. On doit juger par là si la rencontre du marquis et sa lettre me firent impression. J’étais remplie de toutes ces choses, et mon orgueil en tirait des conséquences favorables pour l’avenir10.

4L’influence des histoires racontées est pensée, comme dans les conceptions contemporaines des effets du roman, en termes de mimétisme11. Jeannette espère vivre les mêmes aventures que celles qui lui sont rapportées et cela pourrait lui être fatal. Mais ce serait sans compter les effets d’autres récits qui informent son attitude dans l’ensemble du roman.

Les fantômes de Jeannette : vertus pédagogiques des récits

5Car à cette représentation d’une lecture néfaste s’opposent plusieurs représentations de lectures morales, menées par Jeannette. Pour défendre le roman des accusations d’immoralité, Mouhy ne se contente pas des déclarations d’intention réservées aux espacesparatextuels, préfaces, avertissements ou articles, mais construit par des moyens narratifs des représentations qui dialoguent avec les critiques adressées au roman et les théories pédagogiques contemporaines. Jeannette, tout au long du roman, reçoit des récits, depuis les leçons maternelles, au début du roman, jusqu’à ses lectures dans la bibliothèque de l’appartement qu’elle occupe à Versailles, dans la dixième partie d’un roman qui en compte douze12. Or, ces récits guident son action. L’exemple le plus probant est celui de l’histoire de Charlotte. L’histoire lui est racontée par une de ses compagnes dans la première partie du roman : Charlotte, une jeune fille du village de Jeannette, fut séduite par un jeune noble, entretenue par son valet dans l’espoir de l’épouser et abandonnée alors qu’elle était enceinte. Elle finit ses jours dans un couvent. Le moment où cette histoire apparaît dans le récit en est déjà un ressouvenir :

J’avais appris cette histoire, elle me revint alors dans l’idée, avec toutes ses circonstances. Je me résolus d’être plus circonspecte et plus sage que Charlotte ; c’est en vain que mon cœur, déjà prévenu, prit le parti du marquis, et me le peignit avec des couleurs plus favorables. Ma vertu s’opposa à son penchant, je fis une ferme résolution de lui être toujours fidèle […], J’ai toujours usé depuis de cette maxime, elle m’a été salutaire, et je dois assurément me persuader qu’elle est la cause de ma fortune13.

6Jeannette se trouve dans une situation comparable à celle de Charlotte au début de l’histoire : un jeune noble s’est épris d’elle et a trouvé le moyen de la voir souvent. L’histoire de Charlotte surgit « dans l’idée » – c’est-à-dire dans l’imagination – de Jeannette au moment où elle lui offre un secours moral. Et l’histoire revient comme un garde-fou chaque fois que sa vertu est en danger14. Charlotte apparaît comme une ombre négative de Jeannette, la menace d’un parcours possible. Elle est un contre-modèle efficace dans l’expérience, en situation. Mouhy utilise ainsi les ressources du genre du roman-mémoires pour développer l’argument traditionnel de la moralité du roman15 : l’analyse rétrospective de la narratrice et la longue durée de la matière narrative lui permettent de mettre en scène les effets dans le temps des récits lus ou entendus.

7Les représentations de lectures morales dans le roman se calquent habilement sur les discours des théoriciens de l’éducation les plus célèbres du temps au sujet de l’étude de l’histoire. Dans ses évolutions, Jeannette entend d’autres histoires édifiantes dont les effets sont représentés. Cette fois, les passages soulignent plus spécifiquement les modalités de réception de ces récits sur le moment. Tous sont immédiatement suivis de réflexions. L’éducation par la lecture commence avec sa mère :

Elle m’enseigna de bonne heure la retenue de celles de mon sexe, et elle me disait souvent que la vertu et la sagesse étaient de toutes conditions. Pour me le prouver, elle m’en donnait des exemples ; c’était une récréation pour moi que ces histoires, et une récompense lorsque j’étais bien sage16.

8On retrouve ici, dans un passage où il est question d’éducation, l’usage des récits historiques, des « exemples » moraux, tel que le préconisent les théoriciens de la pédagogie les plus célèbres17. Pour Fénelon18, Fleury19 ou encore Rollin20, l’histoire – de préférence l’histoire sainte – offre des exemples qui présentent l’avantage de séduire les élèves, de les divertir, tout en fournissant une leçon morale. Bien plus, le plaisir du récit est condition de l’efficacité de la leçon morale ; « que le plaisir fasse tout21 », écrit Fénelon. Les récits sont efficaces grâce à ce qui, hors de ce contexte pédagogique, les rend dangereux : leur effet sur l’imagination des élèves :

Animez vos récits de tons vifs et familiers; faites parler tous vos personnages: les enfants, qui ont l’imagination vive, croiront les voir et les entendre [...]22

9Les romanciers se saisissent de la noblesse de l’exemple d’autant plus volontiers23 que la croyance en la force de celui-ci est renforcée au cours du XVIIIe siècle par le développement de la philosophie empiriste et de l’idée que l’homme se construit par ses expériences24. Les fréquentations – et les lectures – d’un enfant ou d’une jeune fille peuvent laisser des « impressions » ineffaçables, qui peuvent être néfastes ou utiles, comme ici celle laissée par l’histoire de Charlotte, imprimée « dans l’idée » de Jeannette. Dans cette logique, le roman pourrait présenter d’autant plus d’intérêt, s’il était moral, qu’il est réputé exciter les imaginations. Les récits de Mme de G**, qui apparaissent également dans un contexte pédagogique, répondent aux exigences de Fénelon :

Madame de G** qui avait beaucoup d’esprit et d’usage du monde, polissait extrêmement mon éducation ; […] ces fréquentes conversations m’avaient ouvert l’esprit. Sans avoir été dans le monde, j’en connaissais les allures, par les histoires différentes qu’elle me mettait devant les yeux, et qui se passent journellement25.

10Les « yeux » dont il est question, puisqu’il s’agit de « conversations », sont les yeux de l’esprit, c’est-à-dire l’imagination. Les histoires reçues et imaginées construisent une expérience du monde source de « réflexions » :

Dès que j’étais seule, j’examinais avec soin toutes les choses qui m’avaient été dites, et ma vivacité, en me les faisant approfondir, me faisait conclure presque toujours que chaque saison entraîne après soi les suites nécessaires de leurs dépendances; de là je me persuadais que chaque chose est suivie d’une autre, que tout passe dans la vie, et que les malheurs présents doivent être supportés en considération de ce qu’ils sont distraits ou suivis par d’autres événements, qui doivent les faire oublier […]26.

11La méditation rationnelle sur ces récits, soulignée par un champ lexical de la réflexion – « approfondir », « conclure », « persuadais », « en considération de » –, conduit à une attitude lointainement stoïcienne de résignation devant les malheurs subis, dans l’idée qu’ils prendront bientôt fin. C’est cette résignation qui, d’après Jeannette, la soutient dans la constance de sa vertu. Mouhy utilise ainsi le fonctionnement de l’exemple historique pour défendre le roman, séducteur de l’imagination s’il en est et capable d’être le support de maximes morales.

12Mais cette portée axiologique de l’histoire racontée est soumise à des conditions. Selon les traités pédagogiques de Fénelon, Fleury ou Rollin, la lecture doit être encadrée et suivie de réflexions27.Il y a à cet égard une progression dans le roman, d’une lecture accompagnée vers une lecture solitaire. Au tout début du roman, les récits interviennent dans le cadre de l’éducation maternelle comme preuves de maximes morales, nous l’avons vu ; plus tard, quand Jeannette entend le récit de l’histoire de Marianne, puis quand Mme de G**, sa protectrice, lui raconte des histoires réelles pour lui faire connaître le monde, elle fait elle-même les « réflexions » qui s’imposent28. Enfin, dans la dixième partie, Jeannette peut lire seule et sans danger. C’est peut-être à condition de recevoir une éducation préliminaire à la lecture que la lecture solitaire peut perdre de sa nocivité et devenir utile. L’autre condition d’une lecture tient à l’histoire racontée : c’est la vérité de cette histoire, ou du moins son caractère vraisemblable. Tous les récits entendus sont des « histoires » de personnages censés être réels, et le roman lu en dixième partie, nous y reviendrons, est un roman-mémoires : La Vie de Marianne de Marivaux, appelé non pas « roman » mais « brochure ». Le roman défendu par Mouhy est le roman moderne, aux prétentions plus « réalistes » que ceux du siècle précédent. Un jeu sur les niveaux narratifs met en exergue cette opposition ; il s’agit de la représentation des effets produits sur Jeannette par l’histoire de Marianne :

La mère de Marianne finit par un torrent de pleurs cette triste histoire. J’en fus extrêmement touchée, et mes larmes furent sincères. Le penchant qu’elle avait pour moi redoubla à ces marques de mon bon cœur, et elle me le témoigna dans les termes que la bonne foi dictait ; les réflexions vinrent après, et elles me fortifièrent de plus en plus dans le chemin de la vertu : il semblait même que ce récit était fait exprès pour me servir de préservatif contre les dangers qu’allait à Paris courir mon innocence29.

13En réaction à un récit inséré où une jeune fille est corrompue par la lecture d’un roman, Jeannette offre un modèle de lecture sensible et morale ; à la lecture pernicieuse provoquée par un roman héroïque s’opposent les effets positifs provoqués par un récit de vie – tel que se revendique le roman-mémoires – qui garantit des dangers. C’est selon cette logique moralisatrice que la narratrice insiste sur le soin qu’elle apporte à ce que sa propre histoire, dont elle compte faire une histoire morale30, soit vraisemblable31. Ces représentations offrent ainsi une apologie du roman fréquemment déployée dans les préfaces des romans contemporains : le roman est une école de la vertu. Observons aussi – nous y reviendrons – que ces figures de lectrices immorales ou morales ont surtout pour Mouhy un intérêt romanesque. La lecture pernicieuse est l’objet d’une représentation pathétique à la première personne, dans un récit doublement inséré : Jeannette rapporte le récit de la mère de Marianne qui rapporte le récit de sa fille ; le récit inséré est l’occasion de reprendre la plus romanesque des représentations de la lecture32. Les portraits de Jeannette en lectrice morale, eux, sont autant d’occasions de mettre en scène les qualités que s’attribue la narratrice, de construire son ethos tout rhétorique de jeune fille vertueuse. Et nous verrons que des lecteurs sont dessinés également dans le temps de l’énonciation. Les différents visages de lectrices donnent autant de tons à ce roman.

14Quand de nombreux romanciers de la période clament dans les espaces paratextuels la valeur morale de leur roman – donner attrait pour la vertu et dégoût pour le vice –, Mouhy use des moyens narratifs pour mettre en scène cet effet formateur du récit. Il reprend donc habilement les conceptions pédagogiques de l’usage des histoires pour rejeter les accusations des censeurs du roman.

II. Lecture sensible et lecture consolatrice

15Ce n’est pas seulement sur les effets des récits sur l’imagination et les mœurs de Jeannette qu’insiste Mouhy, mais sur la sensibilité et l’identification en jeu dans la réception des récits. Nous donnerons deux exemples de cette dimension empathique de la réception de Jeannette. Le premier se situe au début du roman, quand la jeune fille croit à tort que le marquis aime la comtesse :

Ah ! Charlotte, Charlotte, que je partage les peines que vous avez dû ressentir, lorsque vous vous êtes vue abandonnée par celui qui vous était si cher. Je juge de vos pleurs par ceux que je répands. Son histoire se rappelait alors à mon imagination échauffée ; mes larmes et ma douleur m’assoupirent […]33.

16Dans le second elle est enfermée au couvent et incertaine de revoir le marquis. Elle rencontre alors Sainte-Agnès qui lui raconte sa triste histoire. La narratrice rapporte les effets de ce récit :

Les sanglots lui coupèrent la parole. Je fus touchée jusqu’au vif de ce spectacle, ma situation présente m’attendrit et me fit partager ses peines ; je fis mes efforts pour la consoler, et je lui donnai tant de marques de mon amitié que je parvins au point de calmer sa douleur34.

17Dans le malheur se constitue une communauté sensible entre celle qui a entendu l’histoire et le personnage de cette histoire. Le premier exemple indique que c’est la sensibilité acquise par Jeannette – elle est amoureuse du marquis – qui est condition de sa sympathie. La contagion de l’émotion fonctionne ici dans les deux sens35. Ces représentations rejoignent le topos de la lecture féminine tel qu’il est illustré par la scène de lecture de la jeune Marianne déjà analysée, mais en évinçant le caractère dangereux de cette lecture empathique. Dans le passage, précédemment cité, représentant les effets sur Jeannette de l’histoire de Marianne, Mouhy fait même se succéder empathie et réflexions morales, comme si l’une engendrait les autres, comme si les larmes étaient un prélude aux réflexions morales. D’autre part, dans les représentations de Mouhy, comme chez Prévost ou Marivaux, entendre le récit des peines d’autrui est source de plaisir. Lorsque Jeannette aperçoit Lindamine, une jeune pèlerine qui expie une peine mystérieuse, sa « curiosité36 » est excitée. La jeune fille, invitée à dîner, pleure la rigueur de son sort et Jeannette pleure avec elle. Lindamine s’apprête alors à raconter son histoire et propose de l’abréger. Mais Jeannette ne le souhaite pas : ce serait la priver « d’un plaisir singulier37 ». Par les larmes de Jeannette, Mouhy offre une image de ce plaisir esthétique récemment théorisé par l’abbé Dubos38, plaisir paradoxal ressenti lors même qu’une œuvre fait pleurer. Lectrice vertueuse, Jeannette est aussi une lectrice sensible. Une autre scène vient mettre en évidence « l’utilité dont [est] la lecture et les avantages qu’elle procure39 ». C’est l’épisode de la lecture de La Vie de Marianne, qu’il est utile de reproduire ici :

Je me remis dans mon lit avec ce livre ; je n’en eus pas lu quatre pages que je commençai à m’intéresser à la jeune personne qui en faisait le sujet. Je m’attendris. Je tremblai de voir la fin d’un ouvrage à qui je devais tant. Je respirai, et le fond de mes inquiétudes changea bientôt d’objet. Je m’oubliai moi-même, pour ainsi dire, en faveur de l’aimable Marianne que je lisais ; il me semblait trouver un rapport parfait de sa vie avec la mienne. […] Hélas ! disais-je, c’est moi […] De là je faisais des réflexions sur l’utilité dont était la lecture et les avantages qu’elle procure. Je me trouvais tout autre depuis que mon esprit s’était distrait par les jolies choses dont il était rempli. Je me fis un plan de lire ; mes jours couleront plus vite, me disais-je, j’attraperai un temps plus heureux. Ne suis-je pas trop fortunée de me distraire aussi agréablement40 ?

18Mouhy conteste ici de toute évidence les conceptions alarmistes de la lecture que développent certains de ses contemporains, comme le père Porée dans son discours contre les romans. L’effet de lecture immédiat est celui qui est censé produire des conséquences terribles : l’oubli de soi et l’identification totale : « c’est moi ». Or les conséquences de cette lecture sont utiles à Jeannette, sans être d’une grande incidence : la lecture est un « agréable amusement », comme le soulignent avec insistance les polyptotes : « « agréable » et « agréablement », « s’était distrait » et « me distraire ». L’« utilité » a pris un sens amoral : celui de la distraction, de l’oubli momentané des malheurs personnels. La lecture est utile parce qu’elle est consolatrice, thérapeutique. Bien plus, la lecture d’identification selon Mouhy peut jouer un rôle moteur dans la construction de l’individu : ne sont-ce pas les histoires d’ascension sociale racontées par sa mère qui donnent à Jeannette la détermination à sortir de sa condition, précisément parce qu’elle s’identifie à leurs personnages – « il me semblait qu’il devait m’en arriver autant41 » ? Les représentations de l’identification par Mouhy viennent donc priver ce phénomène de lecture de ses attributs effrayants, et même en faire un éloge discret. Ici non plus, rien de très nouveau : Mouhy reprend les représentations très en vogue de l’empathie éprouvée devant le récit des malheurs d’autrui, que l’on trouve chez les personnages de Prévost et de Marivaux par exemple.

19Il semble donc, au vu de ces représentations, que se dessine une apologie du roman qui reposerait sur la lecture empathique, dont les effets pourraient être pédagogiques et thérapeutiques. Mais les choses sont plus complexes puisque le roman comporte d’autres représentations de la lecture, incompatibles avec celles-ci.

III. Les lecteurs critiques

20Si l’on s’intéresse en effet aux lecteurs qui émergent des adresses de la narratrice ou de Mouhy, éditeur fictif de ces mémoires, on trouve deux types de lecteurs critiques : les censeurs moraux – avec lesquels dialoguent les représentations de lectures morales – ridiculisés sous les traits de femmes sévères et des lecteurs distanciés qui observeraient le roman du côté de sa construction et de son esthétique. La narratrice s’adresse à plusieurs reprises aux « femmes sévères » qui incarnent les censeurs moraux pour se justifier auprès d’eux :

Les femmes d’une certaine humeur, lorsqu’elles liront cet endroit, me diront avec sévérité : – Il fallait vous laisser conduire, Mademoiselle Jeannette, dans un couvent, ne pas tant minauder avec les hommes, ou ne pas étaler ici un pompeux galimatias d’une vertu susceptible par tant d’endroits. […] Je conviens de la critique ; mais je demande à ces femmes sévères si, lorsqu’elles étaient jeunes, elles n’ont jamais fait de faute42.

21Les censeurs moraux sont dévalorisés par une image plutôt comique – les femmes sévères sont appelées plus loin « ces prudes de profession, ces personnes de mauvaise humeur43 » – mais du même coup la prétention du roman à l’éducation morale se trouve sensiblement décrédibilisée. En effet, Jeannette souligne ici le fait que son attitude est toujours à la limite de la morale admise. Jeannette se voyant récompensée à la fin du roman, elle ne saurait devenir un exemple moral sans être absolument vertueuse. Ces appels à l’indulgence entrent en dissonance avec les prétentions éducatives du roman.

22Le second type de lecture critique est plus distancié. Dans l’« Avertissement » de la septième partie, Mouhy commence par se défendre d’avoir fait un roman à clés : il ne faut chercher aucune « application ». Puis :

J’espère, après ces protestations, que les critiques ne chercheront point à me chicaner sur ce sujet ; il n’en vaut pas, en vérité, la peine ; et lorsqu’ils voudront donner carrière à leur humeur, ils trouveront assez d’endroits pour s’égayer à mes dépens : bien loin de leur en savoir mauvais gré, j’en rirai quand ils le voudront, le premier avec eux44.

23Dans une attitude d’autodérision, l’éditeur-romancier – la séparation est ici pour le moins floue – suppose qu’il y a dans son œuvre des motifs à le railler et prend une pose cynique par rapport à son propre texte, dont il suppose la possibilité d’une lecture esthétique. Ailleurs, Jeannette demande de l’indulgence pour la qualité de son style45. Cette image d’un lecteur critique apparaît aussi dans le récit. Quand Jeannette suggère au père du marquis que le portrait que Mlle Delbieu lui a fait d’elle-même – le marquis ignore que c’est elle qu’il a devant lui – est peut-être dicté par la jalousie, que peut-être Mlle Delbieu aimait le jeune marquis, il répond :

Bon ! répliqua le marquis, intrigue ou cheville de romans, ils sont remplis de pareilles fadaises, plus propres à gâter l’esprit qu’à instruire et à former les mœurs, comme on veut l’insinuer46.

24Or, c’est Jeannette qui a raison, Mlle Delbieu est amoureuse du jeune marquis. C’est donc un épisode du roman qui se trouve taxé de « fadaise » « propre à gâter l’esprit ». Le romancier se moque de ses propres prétentions morales, ou en tout cas les met à distance, par ces paroles du vieux marquis. Un autre passage raille la tendance des romans à multiplier les récits insérés, que Mouhy a pratiqués depuis le début de ce roman. Jeannette se justifie en ces termes de n’avoir pas encore raconté son histoire à Lindamine :

Ces confidences précipitées sont bonnes pour les romans, où l’on est obligé de rapprocher les choses, et où l’on fait dire aux personnages bien ou mal tout ce qui peut servir à allonger la matière47.

25Ces allusions, souvent ironiques, à sa pratique d’un grand romanesque, soulignent assez combien Mouhy est conscient de fabriquer un romanesque qui peut paraître facile, de mauvais goût, et souligne à des lecteurs plus critiques que les lecteurs – lectrices – d’« appropriation » leurs propres agacements éventuels. Cette figure de lecteur distancié, plus rare dans les romans si l’on excepte Marivaux48, se trouve dans différents discours sur le roman, comme chez Daniel Huet49, qui distingue lecteurs d’imagination et lecteurs d’entendement : ceux-ci sont touchés par les « beauté de l’art » et « ce qui part de l’entendement ».

IV. Lectures escomptées ?

26Se trouvent donc représentées des lectures tour à tour sensibles, corruptrices, pédagogiques, consolatrices, critiques ou encore formatrices. On ne peut tirer de ces multiples images une conception de la lecture, ni déterminer si Mouhy croit même ces effets possibles. Les représentations des lecteurs critiques – qu’il s’agisse des femmes sévères ou des lecteurs de goût –, sont contradictoires avec la lecture empathique et morale. D’autre part, si nous avons vu, en analysant les scènes de lecture morale, que les romans peuvent être pédagogiques à certaines conditions, le roman de Mouhy ne répond lui-même pas toujours à ces conditions : le roman n’est pas toujours vraisemblable50, il ne représente pas, comme les histoires qui guident Jeannette, un amour malheureux qui dissuaderait la lectrice éventuelle des espoirs peu réalisables hors du monde romanesque – parvenir par l’amour –, et met en scène un amoureux idéal, le jeune marquis, qui a tout d’un héros des romans précieux décriés. Pas plus que dans les romans qui se contentent d’une déclaration d’intentions morales ces représentations ne signifient que le roman de Mouhy lui-même soit un roman édifiant. Si on la résume, l’histoire de Jeannette est celle d’un amour idéal et finalement récompensé, précisément de celles qui sont jugées corruptrices. Difficile donc de penser que Mouhy envisage vraiment que son roman puisse produire ces effets. Le tableau de la lecture morale est trop conforme aux exigences des moralistes pour être vrai. Enfin, le personnage de Jeannette ne réalise qu’artificiellement la synthèse entre lecture morale et lecture sensible. Les représentations sont la plupart du temps bien distinctes : Jeannette pleure avec Lindamine mais ne tire pas de morale de son histoire, pas plus que de celle de Sainte-Agnès ; inversement les histoires de sa mère lui sont agréables mais il n’est pas question d’émotion, alors qu’elles sont efficaces en termes de pédagogie ; quand elle pleure en pensant à Charlotte, c’est sur sa situation qu’elle pleure. Elle écrit plus tard :

[...] l’on ne s’attendrit jamais pour les malheurs des autres, lorsqu’on a des raisons de se plaindre de la destinée, qu’on ne saisisse pour soi la plus grande part de cette pitié51.

27Le lien n’est donc guère tissé entre la morale et les larmes, qui valent pour elles-mêmes.

28Ce constat invite à une autre analyse des représentations des effets des récits. D’une part, ces images flatteuses pour le roman – les différents visages de la lecture que nous avons relevés peuvent apparaître comme l’énumération des qualités possibles de cette lecture – valent pour leur dimension séductrice : elles nous renseignent sur les lecteurs que Mouhy envisage de séduire : des censeurs moraux qu’il faut convaincre qu’une lecture romanesque morale est possible52, des jeunes femmes à émouvoir, qui prennent plaisir à l’identification, et auxquelles il tend de nombreux miroirs, des lecteurs critiques avec qui il instaure un rapport de complicité. Elles prennent sens dans un contexte polémique – il s’agit de défendre le roman moderne – et publicitaire. Mais elles sont aussi et surtout un formidable panel de figures romanesques. Mouhy fait cohabiter des représentations antithétiques, fait circuler ces figures entre les différents niveaux du récit – récits insérés, récit principal, voix de la narratrice, de l’éditeur – et tire profit des différents tons qu’engagent les images : ton pathétique pour la lecture corruptrice et sensible, ton didactique pour la lecture morale ou ton ironique pour les allusions aux lecteurs critiques. Et si les images de lecteurs ne correspondent pas nécessairement à des figures de lecteurs réels ou tels que Mouhy les conçoit, la variété des tons qu’elles engagent suggèrent néanmoins une lecture qui n’est pas uniforme, qui n’est pas uniformément empathique comme les topoï littéraires le laisseraient penser. Les effets des récits, objets dans les années 1730 de nombreux discours et de nombreuses représentations littéraires, offrent à Mouhy une matière romanesque de choix, variée, polémique, propice à des scènes vivantes et susceptibles d’émouvoir, de faire sourire ou d’effrayer. Coexistent chez Mouhy la volonté d’inscrire les images de lecture dans un dialogue avec les débats contemporains et celle de tirer le meilleur parti romanesque possible des images de lecteurs disponibles dans la littérature et les discours de son temps.

Conclusion

29En définitive, aucune des images de la lecture proposée par Mouhy n’est originale, mais ce qui l’est davantage, c’est leur cohabitation au sein d’un même roman. Il ne faut sans doute pas chercher dans ces représentations un modèle de lecture ou une conception de la lecture propre à Mouhy, mais y voir un modèle de la pratique romanesque de ce romancier53. Il se saisit des images que lui offrent à la fois la topique romanesque et les débats contemporains, et en fait du roman, aux dépens souvent de la cohérence idéologique. Mouhy peut dans un même roman défendre et railler le roman, préférant déployer toutes les images de lecteurs, à la fois pour satisfaire tous ses lecteurs réels et parce qu’il refuse dans doute d’en choisir une seule et se priver ainsi de scènes ou de portraits délectables.

Notes de bas de page numériques

1  Voir notamment Georges May, Le dilemme du roman au XVIIIe siècle. Rapports du roman et de la critique (1715-1761), Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Institut d'études françaises de Yale University », 1963, Françoise Weil, L’interdiction du roman et la librairie (1728-1750), Paris, Aux Amateurs de livres, 1986, et Camille Esmein, Poétiques du roman. Scudéry, Huet, Du Plaisir et autres textes théoriques et critiques du XVIIe siècle sur le genre romanesque, Paris, Champion, 2004 et L’essor du roman. Discours théorique et constitution d’un genre littéraire au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2008.

2  Voir le livre de Sandrine Aragon, Des liseuses en péril : les images de lectrices dans les textes de fiction, Paris, Champion, 2003.

3  Marcel Grandière, L’idéal pédagogique en France au dix-huitième siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 1998, p. 1.

4  Mme de Lambert par exemple écrit dans ses Avis d’une mère à sa fille : « Le roman n’étant jamais pris sur le vrai, allume l’imagination, affaiblit la pudeur, met le désordre dans le cœur ; et pour peu qu’une jeune personne ait de la disposition à la tendresse, hâte et précipite son penchant. » Œuvres de Mme la marquise de Lambert, Lausanne, Marc-Michel Bousquet, 1748, pp. 81-82, citée par Georges May dans Le dilemme du roman, p. 25

5  Croiset, Règlements pour les pensionnaires des Pères jésuites qui peuvent servir de règle de conduite pour toute la vie, Lyon 1711, p. 79. Cité par Marcel Grandière dans L’idéal pédagogique, pp. 56-57.

6  Le jésuite Bourdaloue écrit dans son sermon Sur les divertissements du monde : « Qu’est-ce, à le bien définir, que le roman ? Une histoire, disons mieux, une fable proposée sous la forme d’histoire, où l’amour est traité par art et par règles; où la passion dominante et le ressort de toutes les autres passions, c’est l’amour; où l’on affecte d’exprimer toutes les faiblesses, tous les transports, toutes les extravagances de l’amour; où l’on ne voit que maximes d’amour, que protestations d’amour, qu’artifices et ruses d’amour, où il n’y a point d’intérêt qui ne soit immolé à l’amour [...], tellement que l’amour est toute son occupation, toute sa vie, tout son objet, sa fin, sa béatitude, son Dieu. », dans Œuvres, Paris, Rigaud, 1726, t. 2, pp. 83-84; cité par Georges May, Le dilemme du roman,p. 28.

7  Il s’agit d’un roman de Mme d’Aulnoy, Histoire d’Hypolite, comte de Douglas, Paris, Sevestre, 1690.

8  Dans Mémoires et aventures d’un homme de qualité de Prévost, la jeune fille enceinte rencontrée par Rosambert attribue sa chute à ses lectures : « les lectures, les spectacles, m’ont rendue folle […]. Dès l’âge de douze ans, je me formais l’idée d’un amant tel que je l’aurais souhaité […] », dans Œuvres de Prévost, vol. I, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1978, p. 40. Les romans libertins donnent une version plus explicitement sexuelle de ces effets de lecture ; ainsi dans Thérèse philosophe : « Baise-moi comme il faut, mon cher ami, disait Madame C… en se laissant tomber sur son lit de repos. La lecture de ton vilain Portier des Chartreux m’a mise tout en feu […] », Thérèse philosophe [1748], Paris, GF Flammarion, 2007, p. 130.

9  Mouhy, La Paysanne parvenue [1735-1737], Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2005, p. 63. Toutes les références renverront à cette édition.

10  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 34.

11  C’est le cas par exemple dans le fameux discours du père Porée De libris qui vulgo romanenses dicuntur  prononcé à Louis-le-Grand en 1736 : « Comment voulez-vous que tant de mollesse ne soit pas contagieuse pour les jeunes gens ? », « Les filles y apprennent aussi à faire habilement l’amour », etc., cité dans le compte-rendu de Desfontaines, dans ses Observations sur les écrits modernes, Paris, Chaubert, 1736, pp. 92-93.

12  Il y a là une dimension réflexive : Jeannette est un personnage forgé de récits, puisque, comme l’écrit Henri Duranton dans la préface de l’édition utilisée ici, « ce qui fait le mérite de l’œuvre de Mouhy, c’est précisément son manque absolu d’originalité qui le constitue en prototype du roman en usage dans ce premier tiers du XVIIIe siècle ». Mais ce n’est pas le point qui nous intéresse ici.

13  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 41.

14  À la fin de la première partie, elle adresse à des protectrices cette promesse : « Je leur fis sentir aussi que quelque progrès que cette passion eût faite [sic] dans mon cœur, je ne me mettrais jamais dans le cas où s’était trouvé Charlotte dont je leur avais conté l’histoire. », p. 54 ; dans la partie suivante, c’est Colin qui lui rappelle cette histoire : « Ah! Méchante, me dit Colin, vous ne m’échapperez pas, vous me méprisez, parce que vous vous sentez soutenue, mais gare qu’il ne vous en arrive autant qu’à Charlotte. », p. 59.

15  On le trouve dans les préfaces comme chez les défenseurs du roman, comme par exemple Daniel Huet à la fin du XVIIe siècle : « La fin principale des romans, ou du moins celle qui doit l'être, et que se doivent proposer ceux qui les composent, est l'instruction des lecteurs, à qui il faut toujours faire voir la vertu couronnée, et le vice châtié. [...] le divertissement du lecteur, que le romancier habile semble se proposer pour but, n'est qu'une fin subordonnée à la principale qui est l'instruction de l'esprit, et la correction des moeurs », dansTraité de l’origine des romans [1670], Paris, Desessarts, 1799, p. 4. Chez Mouhy lui-même : « L’auteur, semblable à un médecin habile, qui, sentant la nécessité de purger son malade, trompe l’aversion qu’il a pour le remède en le lui présentant sous une apparence et une superficie appétissante, enlumine, s’il est permis de se servir de cette expression, les endroits sombres de sa morale, afin d’y attacher les yeux de l’esprit, et par là faire les impressions qu’il s’est proposées. » Mouhy, Avertissement de la troisième partie de La Mouche, ou les Aventures de M. Bigand, Paris, Dupuis, 1736, t. II, pp. 3-4. cité par Georges May dans Le dilemme du roman, pp. 107-108.

16  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 27.

17  Voir sur ce sujet l’article de Sophie Latapie, « Enseigner l'Histoire sainte à la manière des précepteurs catholiques : la pédagogie du récit d'après madame Leprince de Beaumont », Revue d'histoire littéraire de la France, 2007/03, vol. 107, pp. 559-570.

18  Fénelon, De l’éducation des filles [1687], Paris, Klincksieck, 1994.

19  Claude Fleury, Catéchisme historique [1679], Emery, Saugrain, Martin, 1730.

20  Charles Rollin, Supplément au traité De la manière d'enseigner et d'étudier les belles lettres, Paris, Veuve Estienne, 1734.

21  Fénelon, De l’éducation des filles, p. 60.

22  Fénelon, De l’éducation des filles, p. 59.

23  À titre d’exemple de déclarations préfacielles, la célèbre préface de Manon Lescaut : « Il ne reste donc que l’exemple qui puisse servir de règle à quantité de personnes dans l’exercice de la vertu. […] L’ouvrage entier est un traité de morale réduit agréablement en exercice. » Manon Lescaut, [1731], Paris, GF Flammarion, 1967, p. 31.

24  Voir Marcel Grandière, L’idéal pédagogique en France au dix-huitième siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 1998.

25  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 149.

26  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 149.

27  Ainsi le Catéchisme historique de Fleury est-il composé d’histoires suivies d’une série de questions que l’enseignant doit poser aux élèves pour en guider la compréhension.

28  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 69.

29  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 69.

30  Dans la préface : « J’écris, monsieur, me dit-elle, les mémoires de ma vie ; je ne les crois pas inutiles à l’instruction de mon sexe », p. 25.

31  « Mais la vérité, qui doit faire le fonds des mémoires qu’on écrit, veut du vraisemblable » p. 197.

32  Florence Magnot-Ogilvy, dans La parole de l'autre dans le roman-mémoires (1720-1770), Louvain-Paris-Dudley, Ma, Peeters, 2004, montre que les récits insérés sont souvent, en cette époque où l’on hésite à assumer le grand romanesque hérité du roman héroïque, l’occasion de déployer ce romanesque.

33  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 51.

34  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 132.

35  Comme le montre Anne Coudreuse dans Le goût des larmes au XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1999, coll. « Écriture », une tradition héritée de Quintilien veut que l’efficacité du pathétique soit conditionnée par le caractère passionné de l’orateur, puis de l’artiste.

36  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 156.

37  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 159.

38  Dubos, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture [1719], Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, « Beaux-Arts histoire », 1993.

39  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 281.

40  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 281.

41  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 34.

42  Mouhy, La Paysanne parvenue, pp. 184-185.

43  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 205.

44  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 207.

45  Jeannette explique que le marquis devenu son époux, dans le temps de l’énonciation, l’aide à écrire certains passages : « Ainsi, lecteur indulgent ou critique, ne soyez pas surpris si le style dans le cours de ces parties ne se trouve pas toujours conforme et égal. », p. 227.

46  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 194.

47  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 197.

48  On la trouve notamment dans La Vie de Marianne, chaque fois que la narratrice se justifie de ses digressions.

49  Daniel Huet, Traité de l’origine des romans [1670], Paris, Desessarts, 1799, pp. 313-314.

50  Voir à ce sujet la préface au roman de Henri Duranton, dans l’édition citée.

51  Mouhy, La Paysanne parvenue, p. 158.

52  Claude Labrosse le rappelle : « En des temps où les querelles de dogme sont explicites et où se développent de profondes controverses philosophiques, le livre et le texte apparaissent encore comme des recueils de maximes fondamentales, des florilèges de propos irrécusables. [...] Pour beaucoup de lecteurs comme pour tout censeur, un livre vaut alors ce que valent les maximes et le beau style ne tient pas lieu d’orthodoxie. », dans Lire au XVIIIe siècle. La Nouvelle Héloïse et ses lecteurs, Lyon et Paris, Presses Universitaires de Lyon et Éditions du CNRS, 1985, p. 39.

53  Annie Rivara développe en effet une lecture proche de ces conclusions au sujet de la figure de la parvenue : « Un regard attentif sur le roman de Mouhy nous porte à le considérer comme une version-synthèse des parcours de la parvenue, en ce qu’il contient, soit dans les complications nombreuses de l’intrigue principale, soit dans les récits annexes, soit même dans les hypothèses implicites ou suggérées par les refus de l’héroïne et par les réflexions de la narratrice, tous les cas de figure de l’échec et du succès d’une héroïne marginale. », Les sœurs de Marianne : suites, imitations, variations, 1731-1761, Oxford, The Voltaire Foundation, 1991, p. 134. Elle attribue cette diversité à la volonté de « contenter le plus grand nombre possible des lecteurs », p. 134.

Pour citer cet article

Coralie Bournonville, « Entendre ou lire un récit dans La Paysanne parvenue du Chevalier de Mouhy », paru dans Loxias, Loxias 30, mis en ligne le 01 septembre 2010, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=6305.


Auteurs

Coralie Bournonville

Agrégée de lettres classiques, Coralie Bournonville est doctorante en littérature française à l’Université Jules Verne à Amiens, sous la direction de Colas Duflo, et membre du CERR. Sa thèse porte sur les représentations de l’imagination dans le roman-mémoires du XVIIIe siècle.