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Béatrice Bonhomme  : 

Préface

Résumé

La revue Loxias reprend, dans la publication présente, une journée d’études consacrée à Beckett en 1999. Quatre communications avaient alors été prononcées (Michel Lioure, Jean Émelina, François Thierry, Marie-Claude Hubert), auxquelles s’ajoutent aujourd’hui les articles d’Arnaud Beaujeu et de Geneviève Chevallier.

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Géographique : France

Texte intégral

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1La revue Loxias reprend, dans la publication présente, une journée d’études consacrée à Beckett en 1999. Quatre communications avaient alors été prononcées (Michel Lioure, Jean Émelina, François Thierry, Marie-Claude Hubert), auxquelles s’ajoutent aujourd’hui les articles d’Arnaud Beaujeu et de Geneviève Chevallier.

2 Michel Lioure souligne tout d’abord le choix théâtral d’Artaud qui entendait faire appel au langage visuel des objets. Sur ce point Beckett rencontre Artaud puisque, dans son théâtre également, les objets jouent un rôle primordial par leur présence mais aussi par leurs fonctions à la fois dramaturgiques, symboliques et philosophiques. Les objets fournissent la matière, le mouvement, le rythme et le support du spectacle, imposant une présence obsédante souvent ludique qui semble rejoindre le caractère mécanique d’un comique de répétition à la Bergson. Dans le théâtre de Beckett, autant visuel qu’auditif, on fait jouer les accessoires et l’idée se fait image concrète. Ces mêmes objets acquièrent une signification symbolique et font signe vers la mort, êtres et choses obéissant à une loi d’amoindrissement, de détérioration, de décrépitude. La disparition des objets scande d’ailleurs ces pièces comme le signe d’un anéantissement progressif. Les objets participent alors à ce processus d’effacement, loi universelle du dépérissement qui régit l’univers de Beckett. En ce sens, il n’est pas aussi déplacé qu’on l’a dit parfois de rapprocher le théâtre de Beckett d’une philosophie de l’absurde car les objets deviennent finalement les seuls moyens de briser la solitude et le silence, une façon de passer le temps, un ultime espoir, un dérisoire et tragique ersatz d’être.

3 D’après Jean Émelina, d’autre part, si le tragique est lié à l’idée de violence, d’intensité et de paroxysme, avec Beckett on devrait plutôt parler d’un tragique « flasque », nourri d’incertitudes, résidant dans un perpétuel « peut-être ». Ce monde du gris est aussi celui de la politesse du désespoir et du refus du pathos camouflé sous le grinçant et le cocasse.

4 Dans ce théâtre, l’enfer c’est nous-mêmes et l’écriture de Beckett s’apparente à la plus bourbeuse des aventures spéléologiques de l’être qui, dans l’expérience des limites, cherche à donner forme à 1’« obscurité ». Au sein de cette obscurité même résiderait toute la force, tout le génie de Beckett.

5 C’est dans cette « bouillie stagnante » que se situe également la communication de François Thierry. En effet, le plus difficile à masquer, malgré la diversion du langage, est toujours ce processus énigmatique souterrain qui nous ronge, la chose qui suit son cours et dont on ne peut décidément se dépêtrer. En ce qui concerne le «fond noir» du temps, les considérations sur le sens apparaissent secondaires par rapport à la construction sensible et affective que les pièces manifestent. Il n’est pas question ici de philosophie mais plutôt de poésie. Variations au sens poétique et musical du terme, leitmotive propres à rythmer le doute, à provoquer une crise du temps linéaire conventionnel et à nous ramener vers l’interrogation fondamentale du présent de l’existence.

6 Doute aussi sur le corps qui apparaît comme le lieu de l’aliénation des personnages. Comme le montre Marie-Claude Hubert les troubles de la marche et de la vue sont à l’origine de jeux scéniques clownesques qui tiennent fortement de la pantomime. Mais cette mise en scène de boiteux en face de malvoyants ne nous évoque-t-elle pas les mythes où les figures récurrentes d’aveugles et de boiteux jouent le rôle de médiateurs entre deux mondes ? Il semble que chez Beckett ce mythe revisité par la modernité et véhiculé par des jeux clownesques devienne le symbole de l’aliénation et de l’impossible séparation.

7 À ces textes s’ajoute la contribution d’Arnaud Beaujeu sur les corps beckettiens qui dans En attendant Godot et Oh les Beaux jours, offrent le spectacle d’une souffrance et, parfois, d’une violence triviale et cathartique. Corps grotesques exposés au réel le plus cru, morcelés, mutilés jusqu’au creux de leur chair, ils témoignent à vif d’un trauma plus profond, dont l’auteur montre les vertiges, à l’envers de la forme évidée. Car, c’est par un travail de défiguration du corps comme de la langue que Beckett fait voler en éclats le carcan des frontières organiques, pour qu’en porosité s’invente une nouvelle corporéité, dans laquelle c’est l’informe et c’est l’inachevé qui libèrent un souffle mourant, originel.

8 Enfin Geneviève Chevallier analyse Oh les beaux jours et met en exergue le « gai savoir » de Winnie qui semble avoir acquis un savoir fondamental, son allégresse étant faite de cette capacité à tout aimer de la vie dans un présent indicible. Semblable à l’optimisme d’un Candide, cette allégresse paraît bien paradoxale sous cette lumière aveuglante où Winnie enterrée dans son mamelon de sable, au milieu d’un désert brûlant, tente, malgré les « mots qui la lâchent » et malgré la perte progressive de tout, corps, objets, amour, de maintenir un lien avec Willie, son compagnon de vie, d’infortune et de déchéance.

9Béatrice Bonhomme

10Pour citer cet article :

11« Préface »,  Loxias,  Loxias 27,  mis en ligne le 15 décembre 2009, URL: http://revel.unice.fr/loxias/document.html?id=3170

Pour citer cet article

Béatrice Bonhomme, « Préface », paru dans Loxias, Loxias 27, I., Beckett, Préface, mis en ligne le 20 décembre 2009, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=3170.


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Béatrice Bonhomme