Loxias | 72. Les nouvelles tendances de la création calligrammatique | I. Les nouvelles tendances de la création calligrammatique 

Nicole Biagioli  : 

Entretien avec

Zbigniev William Wolkowski, chirographiste et sémioticien

Résumé

Formé par son père à l’art de la calligraphie, William Wolkowski combine calligrammatisation et traduction pour redéployer le sens et la forme de textes empruntés à des domaines culturels différents par la langue, le genre et l’activité. Les citations qu’il met en scène sont des extraits, maximes ou mots d’auteur empruntés aussi bien aux grands noms de la littérature (Poe, Ronsard, Maupassant, Schiller), qu’aux scientifiques (Marie Curie), aux religieux (St François d’Assise), aux politiques (Churchill) ou aux vedettes du show-biz (Les Beatles). En multipliant les versions plurilingues de ses calligrammes (jusqu’à 109 langues) Wolkowski s’emploie à édifier un « Espace Géopoétique Européen ». Le livre qu’il a consacré à Apollinaire en 2013 scelle son rapport au genre et son dialogue avec celui qui l’a redécouvert.

Abstract

Trained by his father in the art of calligraphy, William Wolkowski combines calligrammatization and translation to redeploy the meaning and form of texts borrowed from different cultural fields by language, genre and activity. The quotes he stages are extracts, maxims or author’s words borrowed as much from the great names of literature (Poe, Ronsard, Maupassant, Schiller), as from scientists (Marie Curie), from religious (St François d’Assise), politicians (Churchill) or show biz stars (The Beatles). By multiplying the multilingual versions of his calligrams (up to 109 languages), Wolkowski is working to build an "European Geopoetic Space". The book he devoted to Apollinaire in 2013 seals his relationship to genre and his dialogue with the one who rediscovered it.

Index

Mots-clés : Apollinaire , étude chirographique et sémiotique, forme brève, genre encomiastique, Wolkowski (William)

Géographique : France , Pologne

Plan

Texte intégral

1Pour William Wolkowski comme pour nombre de calligraphes, la calligraphie remonte à la création du signe par la peinture pariétale :

The origin of handwriting and manuscript signs goes back to the art of cave paintings and mural decorations1.

2En anglais « stroke » désigne aussi bien le trait de plume que le coup de crayon, ou de pinceau, et pour lui

The permanent interaction between the stroke and its significance is a subject of research which is both artistic and literary, therefore transdisciplinary and transcultural2.

3Il définit ses œuvres ainsi :

My chirographic and semiotics studies (a synonym of calligraphic) investigate a variety of subjects, and they are all research projects on the relationship and interface between Spirit and Letter, between the Inner and the Outer, between Essence and Form3.

4Après avoir fait carrière universitaire comme maître de conférences de chimie à l’université Sorbonne Pierre et Marie Curie, il y revient en 2011, à l’occasion du centenaire de la réception du prix Nobel par Marie Curie, exposer des mots de celle-ci et ses proches calligraphiés par ses soins, parfois en deux versions, française et polonaise, comme l’emblématique « Dans la vie, rien n’est à craindre, tout est à comprendre ».

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Dans la vie (Marie Curie).

5Il perpétue ainsi le genre encomiastique illustré dans l’Antiquité grecque par Pindare qui célébrait dans ses odes les vainqueurs des jeux athlétiques. Associant traduction linguistique et transposition calligrammatique, Wolkowski développe une « géopoétique » planétaire. Il chirographie une compilation d’un poème du poète polonais Adam Mickiewicz en 109 langues, une citation de Poe en 19 langues, une autre de Rimbaud en 35 langues, une de Ronsard en sept, une de Schiller en neuf, avec pour objectif de réaliser une matrice poétique de 2323 dans toutes les langues officielles de l’Union européenne.

L’esprit et la lettre

6Formé par son père Jan Wolkowski qui exerça à l’Art Scriptorium du Fine Arts Building de Chicago durant 30 ans, Wolkowski a choisi de s’intéresser à ce que la plume du calligraphe fait au texte dont elle change le sens sans pour autant modifier les mots. En empruntant le texte, Wolkowski transgresse l’oukase de Peignot pour lequel « les textes n’ayant pas été écrits par ceux qui les ont mis en figures » ne sont pas de « véritables calligrammes mais seulement de[s] jeux d’habiles copistes4 ». C’est qu’il a conscience de recréer le texte par la chirographie avant que son lecteur ne le recompose à son tour en le visua-lisant. Pour cela, il combine deux stratégies : la citation et la transposition calligraphique. La citation est courte, la brièveté permettant de développer la force des mots. Elle parle de la vie, de l’amour, de la mort, du monde. Elle rappelle les formes brèves de la maxime ou du mot d’auteur, même quand elle est empruntée à des textes longs comme l’extrait de Fort comme la mort de Guy de Maupassant (On aime). L’articulation entre la citation et sa transposition est assurée par un mot ou groupe de mots-vedette isolé du reste du texte par un changement de police, de taille ou de couleur. C’est lui qui a retenu l’attention du calligraphe et déclenché le processus créatif.

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On aime (Maupassant, Fort comme la mort)

7La citation resterait lettre morte si elle n’était ressuscitée par la transposition. Celle-ci, en accordant aux lettres un statut pictural sans pour autant affecter la lecture, les ramène dans l’orbite du calligramme. Les emprunts aux typographies classiques sont métissés de trouvailles comme le chaînage du corps de la lettre, qui peut aussi être cernée de petits tirets, On aime (Maupassant). Wolkowski fait aussi appel à la technique picturale du pointillisme qui « donne une impression/ De lettre qui vibre car le regard/ Ne se fixe pas ». La pixellisation lui permet de rendre la vibration imperceptible mais d’autant plus déstabilisante. Il fait l’éloge de la « lettre levante », qui, « ne permettant pas à l’œil de se concentrer sur un détail produit un effet de troisième dimension ». La plume à trois branches qu’il trempe dans les trois couleurs primaires lui sert « pour traduire le mouvement avec une bande qui se génère elle-même telle une bande de Moebius ».

William Wolkowski - Guillaume Kostrowitzky, la rencontre

8Suite au colloque Les Nouvelles tendances de la création calligrammatique, où avait été débattue la question de l’influence d’Apollinaire sur la poésie calligrammatique contemporaine, Wolkowski a décidé de célébrer le centenaire de la publication d’Alcools (1913) en publiant une relecture chirosémiotique de treize citations qui témoigne de la force et de la complexité de la relation qui l’unit à l’« inventeur » du calligramme. Wolkowski partage avec Apollinaire l’ascendance polonaise et le choix de la France comme pays de résidence. Il porte aussi le même prénom (William en anglais, Guillaume en langue d’oïl). Cette coïncidence explique la présence dans son recueil de la citation de Cortège : « Un jour je m’attendais moi-même/ Je me disais/ Guillaume/ il est temps/ que tu viennes/ pour que je sache enfin celui-là que je suis », dont la découpe fait coïncider les deux dédoublements : intrasubjectif d’Apollinaire et intersubjectif de Wolkowski. Dans le mot vedette : Guillaume, le premier L est rempli par un cartouche qui simule un pilier, tandis que le second L, évidé comme les autres lettres, le dépasse d’une courte tête qui le met au niveau de l’initiale G, subtil équilibrage des préséances ! Le rapprochement s’étend au patronyme avec les deux dernières pièces consacrées aux surnoms : Cointreau-whisky et Kostro l’Exquis dont les calembours mettent en valeur la parenté grapho-phonique de Kostrowitsky et de Wolkowski, tout en faisant allusion à Alcools et à la quintessence de la poésie apollinarienne que ce recueil représente.

9Toutefois la proximité bio-graphique est contrebalancée par la mise à distance du modèle poétique apollinarien et la volonté non seulement de s’en distinguer mais de le renouveler. Le choix de l’œuvre transposée le laissait présager. Alcools reste pour la culture lettrée l’œuvre marquante d’Apollinaire, beaucoup plus que Calligrammes, plus atypique en raison de sa forme mixte de calligrammes et de vers libres, et de son contexte : l’engagement d’Apollinaire au front. Y revenir, c’est mettre entre parenthèses la révolution poétique provoquée par Calligrammes. S’agit-il d’une alcoolisation de Calligrammes ou d’une calligrammatisation d’Alcools ?

10La première pièce du recueil de Guillaume Apollinaire, The spirit and the letter (Tour Eiffel) esquisse la réponse. Elle reprend le deuxième vers de Zone, premier poème d’Alcools. Wolkowski a scindé l’octosyllabe en un hexamètre et deux pentasyllabes : « Bergère Ô tout Eiffel/le troupeau des ponts/bêle ce matin ». Le mot vedette est le Ô. Son accent circonflexe qui scintille comme un chapeau de lumière renvoie à la fois à l’image mentale de la Tour Eiffel et au calligramme qu’Apollinaire lui consacre dans le poème de Calligrammes intitulé 2ème canonnier conducteur. La Tour s’y présente comme « la langue éloquente dans la bouche de Paris qu’il tire et tirera toujours aux Allemands ». Chez Wolkovski, le Ô interpelle la Tour Eiffel tout en la représentant, c’est une lettre animée. Wolkowski démontre ainsi que le calligramme était déjà latent dans Alcools, et qu’entre calligraphie et calligramme, il n’y a pas contradiction, mais relance.

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Tour Eiffel (Wolkowki, Guillaume Apollinaire, the spirit and the letter)

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Notes de bas de page numériques

1 Notre traduction: « L’origine de l’écriture manuscrite et des signes manuscrits remonte à l’art rupestre et aux peintures murales », William Wolkowski, “The Spirit and the Letter: Chirographic And Semiotic Studies”, in Z. W. Wolkowski: Guillaume Apolllinaire The Spirit and the letter, Created Space, Amazon, 2013, sans pagination.

2 Notre traduction : « L’interaction permanente entre le coup/trait et sa signification est un sujet de recherche qui est à la fois artistique et littéraire, et par conséquent transdisciplinaire et interculturel ».

3 Notre traduction : « Mes études chirographiques et sémiotiques (synonyme pour calligraphiques), explorent des sujets variés, et sont toutes des projets de recherche sur le rapport et l’interface entre l’Esprit et la Lettre, entre l’Intérieur et l’Extérieur, entre l’Essence et la Forme », William Wolkowski.

4 Jérôme Peignot, Du Calligramme, Paris, Éditions du Chêne, 1978, pp. 27-30.

Notes de la rédaction

Les illustrations présentées sont l’œuvre de William Wolkowski, publiées avec son aimable autorisation.

Pour citer cet article

Nicole Biagioli, « Zbigniev William Wolkowski, chirographiste et sémioticien », paru dans Loxias, 72., mis en ligne le 18 mars 2021, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=9721.


Auteurs

Nicole Biagioli

Nicole Biagioli est professeur de langue et littérature française émérite, membre du Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature et des arts vivants, Université Côte d’Azur. Sémioticienne, calligrammatiste (avec Daniel Bilous), elle a analysé la relance du visible et du lisible dans le calligramme (Biagioli et Bilous, Lire le calligramme, Protée, vol. 14, n° 1-2, 1986) et la gestion de la métareprésentation dans la création calligrammatique en parallèle avec l’écriture néoromanesque (Biagioli, « L’antitexte et son double », Cahiers de narratologie, n° 1, 1987). Actuellement elle étudie les pratiques intermédiales et interartiales chez les artistes et dans l’éducation artistique.