Loxias | Loxias 35 Autour des programmes de concours 2012 (agrégation, CPGE) | I. Agrégation de Lettres modernes et classiques, Lettres en CPGE 

Odile Gannier  : 

Mars, Marquises et Mardi gras : Mardi de Melville, et les savoirs du voyage « qui y mena »

Résumé

Mardi est un texte hybride qui a toujours déconcerté ses lecteurs. D’abord conçu comme une suite de Taïpi et Omoo dans le Pacifique, le roman dérive peu à peu vers le voyage imaginaire ; un invraisemblable déploiement de références livresques détourne le regard des seules vérités importantes : un savoir diffus mais réel sur la Polynésie, une structure narrative en forme de clin d’œil vers les voyages de la littérature, dont celui de Rabelais. Mais la métaphore la plus vaste est l’illustration d’un savoir astronomique : les aventures étranges et sans espoir de Taji et Yillah dans le lagon de Mardi sont probablement aussi celles de comètes dans le vaste univers mardien –ou martien.

Index

Mots-clés : Mardi , astronomie, aveia, comète, étoiles, Halley, Marquises, Mars, Melville (Herman), Polynésie, Rabelais, roman maritime, Yillah

Géographique : Polynésie

Chronologique : XIXe

Plan

Texte intégral

1Mardi est, dans l’œuvre de Melville, un texte hybride qui a toujours déconcerté ses lecteurs. D’abord conçu comme une suite de Taïpi et Omoo dans le Pacifique, le roman dérive peu à peu vers le voyage imaginaire, une fiction livresque puisant, avec des œillades diversement appuyées, dans les ressources d’une bibliothèque hétéroclite, de celles qui peuvent circuler dans les entreponts.

2Dans la préface d’Omoo, Melville reconnaissait que

Nulle part, peut-être, les caractéristiques proverbiales des marins n’apparaissent sous un aspect plus rude que dans les mers du Sud. […] En marin vagabond, l’auteur a passé environ trois mois dans les diverses parties des îles de Tahiti et d’Imeeo1, et ce, dans des circonstances très favorables à une observation objective de la condition sociale des indigènes2.

3Ses deux premières publications, Typee et Omoo, se sont fondées sur son expérience réelle de matelot et baleinier ; de la même manière que Redburn ou White Jacket seront aussi de nature autofictionnelle et essentiellement maritime : c’est l’histoire familière du bord, mais conçue en même temps comme un témoignage historique.

Fouillons nos souvenirs pour en exhumer un certain nombre de petits détails qui faisaient partie de notre monde flottant. Je ne laisse rien de côté, si modeste que soit le fait. Je me sens poussé par le même mobile qui inspira bien des vieux chroniqueurs illustres, à narrer les moindres bagatelles traitant de sujets destinés à disparaître entièrement de la terre, et qui s’effaceraient infailliblement de la mémoire des hommes si on ne les consignait pas à point nommé. Qui sait si ce modeste témoignage ne sera pas un jour considéré comme un document historique concernant une barbarie révolue ? Lorsque les navires de guerre n’existeront plus, qui sait si l’on ne citera pas White Jacket pour expliquer aux hommes du Millénaire ce qu’était un navire de guerre3 ?

4Moby Dick combine le savoir expérimental et l’allégorisation, transposant la chasse au cachalot à la métaphore de la folie des hommes qui poursuivent sans relâche un but unique, incompréhensible pour le commun des mortels – terriens de surcroît. Dans tous ces cas cependant, l’autodidacte qu’est Melville accorde une large place au savoir des livres. Dans White Jacket, de nombreuses pages sont consacrées aux lectures faites sur le Neversink, de même que Moby Dick commence par une recension des ouvrages qui traitent de cétologie. La préface d’Omoo cite les « renseignements subsidiaires […] puisés dans des récits de voyages dans les mers du Sud, parus précédemment, et aussi dans les "Recherches polynésiennes", de Ellis4 ». Les Polynesian Researches, parues en 1829, donnent une description circonstanciée des cultures du Pacifique.

5L’histoire éditoriale montre le grand succès de Typee et d’Omoo dans une période d’exploration et d’aventures maritimes, en particulier pour les États-Unis. Les éditeurs de Londres trouvaient suspect, dans Typee, le style alerte et plaisant de l’écrivain – ce qui les faisait douter de l’authenticité d’un récit de marin. Mais en Amérique, la voix avait été tracée par Richard Henry Dana, lui-même étudiant en droit et matelot, dont le récit Deux années sur le gaillard d’avant (Two years before the mast), paru en 1840, avait attiré la sympathie d’un très grand nombre de lecteurs que ne rebutaient nullement les débuts d’un jeune homme assez modeste pour travailler de ses mains tout au bas de l’échelle sociale, et assez entreprenant pour en tirer les leçons et devenir avocat. Melville a beau prendre ombrage de la suspicion de fiction qui a entouré Typee, en particulier, cet aspect ne devait probablement pas déplaire spécialement aux lecteurs : la faveur du public a toujours été aussi vive pour les relations de voyage réels que pour les romans de voyages. Un critique contemporain, dans le London Athenaeum, explique au contraire la déception qu’a provoquée Mardi :

If this book be meant as a pleasantry, the mirth has been oddly left out – if as an allegory, the key of the casket is "buried in ocean deep" – if as a romance, it fails from tediousness – if as a prose-poem, it is chargeable with puerility. Among the hundred people who will take it up, lured by their remembrances of Typee, ninety readers will drop off at the end of the first volume; and the remaining nine will become so weary of the hero when for the seventh time he is assaulted by the three pursuing Duessas5 who pelt him with symbolical flowers, that they will throw down his chronicle ere the end of its second third is reached....6

6Si l’on calcule bien, un pour cent des lecteurs doit être assez convaincu par le début de Mardi pour aller jusqu’au bout, les quatre-vingt-dix-neuf autres ayant peu à peu abandonné dès le moment où s’achève « le voyage qui y mena » ou lors de l’une des nombreuses escales.

7Ce qui, semble-t-il, déroute les lecteurs est l’abandon, en cours de route, du genre convenu et apprécié de l’aventure maritime – au moins vraisemblable, à défaut d’être factuellement exacte dans son intégralité. Le public friand de ce type de littérature de voyage ou de mer a été déconcerté par la tournure franchement fictionnelle que le roman adopte soudainement. Mardi offre donc un cas particulier dans l’œuvre de Melville, ses autres romans étant plus homogènes, si l’on excepte Moby Dick peut-être mis à part pour la même raison – une appartenance générique incertaine7.

8De fait, Melville, autodidacte, a beaucoup lu et l’on dispose de listes de ses achats et emprunts au moment où il rédige ses romans8. Il a bien sûr dévoré de nombreux récits de voyages entre la fin du XVIIIe siècle et son temps ainsi que les récits de corsaires, les mémoires de mer les plus pittoresques et autres romans maritimes du XIXe siècle anglais et américain. Côté littérature classique, beaucoup de commentateurs relèvent, pêle-mêle et sans examen réellement approfondi, des parentés de Mardi avec l’Odyssée9, la Divine Comédie de Dante, les Voyages de Gulliver de Swift, The Pilgrim’s Progress de Bunyan (1678). On pourrait ajouter, pour faire bonne mesure, les œuvres de Byron, de Camoëns (lues à bord du Neversink par la « Vareuse blanche »), les romans de Smollett (nommément découverts dans Omoo), l’Histoire véritable de Lucien et tout ce qui ressemble de près ou de loin à un voyage imaginaire. Il paraît difficile d’imaginer que Melville n’ait pas eu connaissance de Robinson Crusoé – il est avéré en tout cas qu’il a lu Lady Roxana. De nombreux critiques soulignent les parentés entre le Quart Livre et Mardi et le voyage qui y mena, et même : « les lecteurs contemporains ont pu dénoncer dans Mardi un plagiat des œuvres de François Rabelais10. »

9Il convient cependant d’approfondir un peu cette première impression et interroger plus avant cette double postulation à la transmission de savoirs encyclopédiques tirés de l’expérience réelle et à la réécriture dans la lignée des voyages imaginaires ; car Melville aime à transposer son savoir par la métaphore, comme dans Moby Dick : abordant la « constellation » mardienne, il pourrait bien avoir imaginé Mardi comme une vaste construction astronomique.

La fin d’une trilogie maritime

10On a souvent dit, après Merrell R. Davis, que Mardi semblait en fait constitué de trois romans au moins.

Mardi is not one or, as some have observed, two books but three books. In it are represented the changing plans of an author who started his book not later than the fall of 1847, began to take new soundings by January 1, 1848, and ended with a third book which began to take shape by March 25 but could scarcely have been finished before the fall or early winter of 1848. […] the book was finally published in March, 184911.

11Ainsi se succèdent une aventure maritime écrite dans le goût des récits des mers du Sud, Taïpi et Omoo ; une romance entre le narrateur et la blanche Yillah ; enfin un voyage imaginaire. Il convient là encore de préciser les contours de chacune de ces séquences, puisque s’opère plutôt un glissement progressif vers le labyrinthe de l’allégorie :

Melville adds the artificialities skillfully, taking the reader slowly from “another South Seas book” into the world of Mardi. At no point can the reader put his finger on the page and say, “The change is here12.”

12La clef de la composition de Mardi dans ses débuts est fournie par Melville lui-même dans une lettre à John Murray : « the work I then had in view was a bona-fide narrative of my adventures in the Pacific, continued from "Omoo" », « l’ouvrage que j’avais alors en vue était un récit bona-vide [sic] de mes aventures dans le Pacifique, poursuivies à partir d’Omoo13. » Il s’y ajoute l’indication du genre : il s’agit sans doute possible d’une auto-fiction. Trilogie donc : la fin des aventures de Taïpi conduit le lecteur, en effet, à quitter les Marquises où le narrateur a déserté (Taïpi étant le nom de la vallée, réelle, de Nuku Hiva où il a résidé). Omoo commence par une présentation rapide des aventures qui ont précédé, ce qui relie, sans doute possible, les deux volumes : « Pendant l’été de 1842, l’auteur de ce récit, alors marin sur le gaillard d’avant d’un navire américain, qui croisait dans les mers du Sud, visita les Îles Marquises14. » Après quelques mois dans la vallée, où il est bien traité mais retenu prisonnier, il finit par s’échapper sur le canot d’un autre navire de passage. « Le canot ayant gagné la haute mer, le navire apparut dans le lointain. C’est ici que commence notre récit15. » À la fin d’Omoo, le narrateur quitte Tahiti, à bord du Léviathan, un navire baleinier : « Je m’engageai uniquement pour la croisière, peut-être changerais-je d’avis ensuite. […] Vers midi, l’île verte avait disparu à l’horizon, et partout devant nous s’étendait le vaste océan Pacifique16. » Et Mardi débute par un « raccord » approximatif, « Nous voilà partis ! », puis reprend les éléments de la même manœuvre, en pleine mer. « Mais d’où venez-vous, ô matelots ? Où vous en allez-vous ?17 ». Le Léviathan est devenu l’Arcturion ; mais à ce détail près, Mardi commence bien par « le voyage qui y mena ». Il semble bien que le narrateur soit toujours celui que l’on a laissé à la fin d’Omoo, repartant à l’aventure, bien que quelque peu réticent à s’engager pour une trop longue campagne de pêche. « Inutile d’entrer dans les détails de cet accord. Disons seulement que je m’étais embarqué pour une seule campagne18 ». Ce schéma installé – qui signale, sans les préciser, les péripéties précédentes comme dans un feuilleton –, le roman de Mardi commence bien par des aventures maritimes : et pourtant en cela il n’est pas exactement la continuation de Taïpi et Omoo, qui sont surtout consacrés aux escales – aux Marquises, et à Tahiti et Moorea, l’île voisine.

13Les romans maritimes sont aujourd’hui reconnus comme tels s’ils sont exclusivement localisés en mer. Tel n’était pas le cas dans les romans du xixe siècle, ceux de Fenimore Cooper, de Mayne Reid particulièrement : ces romanciers faisaient alterner des passages en mer et de très longs séjours à terre, par exemple dans les grandes plaines américaines, où le héros était alternativement confronté aux éléments, en mer, et aux Indiens, à terre : ainsi, les Américains révélaient en fait les adversaires que les pionniers avaient à combattre pour s’assurer la prééminence de leur modèle. Mardi obéit en tout cas à un paradigme assez simple : son intrigue commence, se poursuit (à quelques descentes à terre près) et s’achève en mer. On y croise le personnel habituel des romans de mer : le capitaine de baleinier obsédé par la chasse au cachalot, qui a tourné définitivement le dos à la terre ferme ; le marin taciturne – comme Jarl le « Viking » ; le « sauvage » embarqué, qu’il s’appelle Samoa dans Mardi ou Queequeg dans Moby Dick, fantasque et original – et qui reste finalement incompréhensible même pour qui a été son compagnon à bord… En outre, un stéréotype très tenace veut que les femmes à bord d’un navire portent malheur ; et de fait elles sont absentes des autres romans de mer de Melville. Or Melville en propose plusieurs exemples : Annatou d’abord, la furie qui loge à bord du Parki ; Yillah ensuite, qui ne trouvera jamais sa place nulle part et constitue le déclencheur des ennuis qui affectent le narrateur ; les trois messagères d’Hautia, enfin, qui persécutent Taji19.

14Ce qui fait aussi ranger Mardi dans la catégorie des romans maritimes est l’usage concentré des stéréotypes narratifs typiques de ce genre de texte20 : d’abord le calme. Il est ici décliné de deux façons :

A long calm in the boat, and now, God help us, another in the brigantine. It was airless and profound.

Un long calme plat dans le canot, et maintenant – le ciel nous protège ! – un autre sur le brigantin ! une immobilité totale. On étouffait21.

15Ce calme pourrait sembler relativement peu grave – tout le monde craignant plutôt le mauvais temps : mais le calme empêche toute évolution d’un bateau à voile, ce qui interdit d’espérer arriver à bon port, et présage au contraire la disette si le voyage devient interminable. Son contraire la tempête est un passage obligé de tout récit de voyage en mer : elle ne manque pas et le chapitre XXXVI propose tout naturellement un ouragan qui précipite la fin du Parki et provoque la mort d’Annatou – un « homme à la mer » emporté par la vague avec un espar, le cas est fréquent : en général même dans ce genre de romans, le navire se redresse alors et l’équipage obtient une rémission après le sacrifice d’un des siens. La perte du navire, après toutes ces aventures, est pratiquement inévitable : après le traditionnel passage aux pompes, le navire coule dans un tourbillon tandis que ce qu’il reste de l’équipage se sauve sur le canot le Chamois qui permet une seconde fois de s’évader.

16D’autres stéréotypes narratifs sont aussi mis en œuvre : la rencontre d’un vaisseau fantôme22, le Parki, épisode qui se résout de façon plutôt humoristique avec les deux marins d’eau douce que sont Samoa et Annatou. Préfigurant Moby Dick, Melville débite aussi à ses lecteurs des pages où le savoir acquis en mer occupe la place de choix, comme des pages sur l’ambre gris ou le chapitre XXXII sur le poisson-scie : « les amateurs de science et de vocables difficiles seront ravis de l’apprendre – les savants-naturalistes l’ont gratifié de l’extravagante dénomination de Xiphius Platypterus23 » ; il fournit encore des explications sur le requin au chapitre XIII, ou évoque la visite d’un cachalot, au chapitre XXXVIII : cette science pratique du baleinier trouvera son plein épanouissement dans Moby Dick. Les oiseaux sont naturellement observés sur le canot par des navigateurs à la dérive. Melville s’interroge encore sur la phosphorescence de la mer : exposé très rebattu peut-on dire24, mais alors toujours d’actualité car les navigateurs continuaient de disputer sur les causes physiques du phénomène : le savoir empirique du marin, qui ne s’illusionne pas sur le fait qu’il est accompagné de légendes et de croyances, forme fruste du savoir collectif, se double de théories scientifiques comme celle de Faraday. Il s’interroge aussi sur la putréfaction de l’eau de mer ou les courants marins. Il présente le même état d’esprit est qu’Edgar Poe, son contemporain, qui raconte aussi l’histoire d’un bateau fantôme.

En réalité, une forte appétence pour la philosophie physique a, je le crains, imprégné mon esprit d’un des défauts les plus communs de ce siècle, – je veux dire de l’habitude de rapporter aux principes de cette science les circonstances même les moins susceptibles d’un pareil rapport. Par-dessus tout, personne n’était moins exposé que moi à se laisser entraîner hors de la sévère juridiction de la vérité par les feux follets de la superstition. J’ai jugé à propos de donner ce préambule, dans la crainte que l’incroyable récit que j’ai à faire ne soit considéré plutôt comme la frénésie d’une imagination indigeste que comme l’expérience positive d’un esprit pour lequel les rêveries de l’imagination ont été lettre morte et nullité25.

17D’ailleurs, note le narrateur de Mardi, la navigation et le matelotage relèvent bien du savoir (ou de l’étude). Par exemple :

To a sailor, a ship’s ropes are a study. And to me, every rope-yarn of the Parki’s was invested with interest. The outlandish fashion of her shrouds, the collars of her stays, the stirrups, seizings, Flemish-horses, gaskets,—all the wilderness of her rigging, bore unequivocal traces of her origin.

Les cordages d’un navire, pour un marin, sont toute une science. Chaque pouce du gréement, sur le Parki, m’intéressait : la texture bizarre des haubans, les collets des étais, les étriers, les amarrages, les chevaux de frise, les garcettes… toute cette jungle portait la trace non équivoque de ses origines26.

18Toute cette science de matelotage, cependant, ne nuit en rien au plaisir de la lecture, témoin Richard Henry Dana dans sa préface à Deux années sur le gaillard d’avant (1840) :

Certains passages paraîtront sans doute assez inintelligibles aux lecteurs non initiés ; mais, comme ma propre expérience et le témoignage d’autrui me l’ont enseigné, les données de fait relatives à des us et coutumes qui nous sont étrangers agissent sur nous par le truchement de l’imagination, en sorte que nous demeurons à peine conscients des carences de notre savoir technique. Ainsi, dans Le Pilote [de Fenimore Cooper], le récit de l’évasion de la frégate américaine à travers la Manche, ou dans Le Corsaire rouge, la poursuite et le naufrage du navire marchand anglais sont suivis avec un intérêt haletant par des milliers de lecteurs qui, par ailleurs, seraient bien en peine de nommer un seul cordage du gréement d’un navire, et ce manque de familiarité avec les détails professionnels n’affecte nullement leur admiration ni leur enthousiasme27.

19Ce qui importe surtout dans ces passages – ce qui fait passer l’aventure au second plan derrière le savoir de l’homme de mer – ce sont les réflexions que font naître réellement ces expériences pour un véritable marin. White Jacket éprouvera aussi les heures méditatives dans la hune, qui fait les délices du héros de Mardi tant que dure la séquence maritime28. « Après la science, vient le sentiment29. » Si la tempête se caractérise par l’action, le calme au contraire donne lieu à des songeries existentielles :

Those impressions may merit a page.
To a landsman a calm is no joke. It not only revolutionizes his abdomen, but unsettles his mind; tempts him to recant his belief in the eternal fitness of things; in short, almost makes an infidel of him.
At first he is taken by surprise, never having dreamt of a state of existence where existence itself seems suspended. He shakes himself in his coat, to see whether it be empty or no. He closes his eyes, to test the reality of the glassy expanse. He fetches a deep breath, by way of experiment, and for the sake of witnessing the effect. […] His faith in Malte Brun, however, begins to fail; for the geography, which from boyhood he had implicitly confided in, always assured him, that though expatiating all over the globe, the sea was at least margined by land. That over against America, for example, was Asia. But it is a calm, and he grows madly skeptical.
To his alarmed fancy, parallels and meridians become emphatically what they are merely designated as being: imaginary lines drawn round the earth’s surface.
The log assures him that he is in such a place; but the log is a liar; for no place, nor any thing possessed of a local angularity, is to be lighted upon in the watery waste.
At length horrible doubts overtake him as to the captain’s competency to navigate his ship. The ignoramus must have lost his way, and drifted into the outer confines of creation, the region of the everlasting lull, introductory to a positive vacuity.
Thoughts of eternity thicken. He begins to feel anxious concerning his soul.

Ces impressions méritent bien une page.
Pour un terrien, un calme n’est pas une plaisanterie. Il bouleverse non seulement son abdomen mais encore son esprit, l’induit à renier sa foi en l’ordre éternel des choses ; en un mot, il fait presque de lui un renégat.
D’abord il est pris au dépourvu, n’ayant jamais imaginé un état d’existence où l’existence elle-même semble suspendue. Il se secoue dans son manteau pour savoir si celui-ci est vide ou non. Il ferme les yeux pour se prouver la réalité de l’étendue vitreuse. I va chercher au fond de sa poitrine une respiration profonde, rien que pour s’assurer qu’il respire. […] Sa fidélité à Malte-Brun, en revanche, commence à faiblir ; car la géographie, en laquelle il avait depuis l’enfance une confiance implicite, lui avait toujours assuré que la mer, bien que s’étendant par tout le globe, se trouvait du moins bornée par la terre ; qu’en face de l’Amérique, par exemple, il y avait l’Asie. Mais voici un calme, et il devient férocement sceptique.
Pour son imagination alarmée, parallèles et méridiens deviennent très exactement ce qu’ils sont censés être : les lignes imaginaires tracées tout autour de la terre.
Le livre de bord lui affirme qu’il se trouve en tel endroit ; mais le livre de bord ment car aucun endroit, aucun corps angulaire ne s’aperçoit sur toute l’étendue de la mer.
Finalement, d’horribles doutes s’emparent de lui quant à la compétence nautique du capitaine. Cet âne a dû perdre sa route et dérive sûrement aux confins de la création, dans la région de la quiétude éternelle, antichambre de l’absolue vacuité30.

20Le narrateur, ici, se voit manifestement souffler son discours par Melville lui-même. Ces réflexions ne sont pas rares dans les romans maritimes, à preuve ici chez un autre auteur, qui ne s’y adonne pourtant pas souvent – car ces propos éloignent du rythme de l’aventure –, Jules Verne :

Cependant, par cela même que la mer est déserte, il ne faut pas renoncer à l’observer jusqu’aux dernières limites de l’horizon. Si monotone, qu’elle puisse paraître aux esprits inattentifs, elle n’en est pas moins infiniment variée pour qui sait la comprendre. Ses plus insaisissables changements charment les imaginations qui ont le sens des poésies de l’Océan. Une herbe marine qui flotte en ondulant, une branche de sargasses dont le léger sillage zèbre la surface des flots, un bout de planche dont on voudrait deviner l’histoire, il n’en faut pas davantage. Devant cet infini, l’esprit n’est plus arrêté par rien. L’imagination se donne libre carrière. Chacune de ces molécules d’eau, que l’évaporation échange continuellement entre la mer et le ciel, renferme, peut-être, le secret de quelque catastrophe ! Aussi faut-il envier ceux dont la pensée intime sait interroger les mystères de l’Océan, ces esprits qui s’élèvent de sa mouvante surface jusque dans les hauteurs du ciel31.

21Les caprices du temps, pour le marin en plein océan, sont autre chose qu’un motif poétique : seule l’expérience en fait véritablement prendre la mesure. L’attachement du marin à son navire est aussi l’occasion de déclarations de fidélité :

To a seaman, a ship is no piece of mechanism merely; but a creature of thoughts and fancies, instinct with life. Standing at her vibrating helm, you feel her beating pulse. I have loved ships, as I have loved men.

Aux yeux d’un marin, un vaisseau n’est pas une simple mécanique, mais une créature douée de pensée, d’imagination, de vie enfin. Quand vous tenez sa barre vibrante, vous sentez battre son pouls. J’ai aimé des bateaux comme j’ai aimé des hommes32 .

22Ces pages, hors récit, sont l’expression d’un savoir très particulier du marin ; de même lorsqu’il s’agit de rendre compte de la nature humaine.

Now, at sea, and in the fellowship of sailors, all men appear as they are. No school like a ship for studying human nature. The contact of one man with another is too near and constant to favor deceit. You wear your character as loosely as your flowing trowsers. Vain all endeavors to assume qualities not yours; or to conceal those you possess.

Il faut dire qu’en mer, et dans la compagnie des marins, tout homme apparaît tel qu’il est. Pas de meilleure école qu’un bateau pour étudier la nature humaine. Les contacts sont trop proches et trop constants pour vous permettre de faire illusion. Vous portez votre caractère avec autant d’aisance que vos pantalons flottants. Vain, tout effort pour feindre des qualités qui ne sont pas les vôtres, ou pour cacher celles que vous possédez33.

23C’est probablement dans ces passages, témoignage immédiat de l’écrivain-marin, que se livre le Melville le plus apprécié des lecteurs amateurs de mer, comme le sera le Conrad du Miroir de la mer (1906) en particulier. Melville d’ailleurs propose ses propres lectures du genre, en particulier dans White Jacket, et indiquant dansTaïpi ses connaissances livresques :

Some long-haired, bare-necked youths, who, forced by the united influence of captain Marryat and hard times, embark at Nantucket for a pleasure excursion to the Pacific, and whose anxious mothers provide them with bottled milk for the occasion, oftentimes return very respectable middle-aged gentlemen.

De ces jeunes gens aux longs cheveux et au cou nu qui, sous l’influence conjuguée des romans du capitaine Marryat et de la misère, s’embarquent à Nantucket pour faire une croisière d’agrément dans le Pacifique…34

24Dans une lettre à John Murray, il précise encore à propos d’Omoo :

In the early part of the work, I make free use of nautical terms, without, in any case, explaining their use. But I am well warranted in so doing by the practice of the most successful writers – Marryatt [sic], Cooper, Dana &c.

Dans la première partie de l’ouvrage, j’use librement de termes nautiques, sans expliquer toujours leur emploi. Mais j’ai pour moi, en ce cas, la pratique des écrivains les plus notoires – Marryat, Cooper, Dana, etc.35

25Et il satisfait, ce faisant, des lecteurs convaincus, de ceux qui l’accompagnent en esprit sur les mers. Il leur conseille des techniques pour attendrir le biscuit de mer, la prochaine fois qu’ils seront en perdition sur un radeau en plein océan, et s’adresse souvent à eux à la deuxième personne, les mettant dans la connivence de ses aventures.

26Cependant, curieusement, Mardi n’est guère analysé comme un roman maritime : les autres romans de Melville sont classés dans cette catégorie, mais pas celui-là, comme si les 150 premières pages – dont le volume aurait pu constituer, à lui seul, un roman si son intrigue avait été bouclée – ne suffisaient pas à orienter le roman dans ce genre défini. Certes Taïpi et Omoo ne sont pas non plus considérés généralement comme des romans maritimes : mais la faible proportion du temps passé en mer justifie cette exclusion – même si les personnages sont des marins, même si la mer reste l’arrière-plan indiscutable.

Chroniques mardiennes : les savoirs du voyage

27Il n’y a pas que sur le plan maritime que la fiction se révèle pleine d’enseignements, encore qu’ils soient souvent transposés, donc discrets. Melville vérifie ou puise dans les Polynesian Researches de William Ellis, en particulier, les traits relatifs aux mœurs polynésiennes. On peut relever quelques exemples de pratiques dont la connaissance est apportée par les voyageurs dans le Pacifique, comme les navigateurs ou les missionnaires. La culture du taro est évoquée cinq fois dans le roman, comme base de l’alimentation, avec la noix de coco, la banane et les fruits souvent au menu. Le mets que Melville appelle à deux reprises « poee »36, sorte de pâte de fruits, est aussi particulièrement répandu. La préparation des calebasses visant à fabriquer des récipients ornés, au chapitre LIX, est corroborée par les Recherches polynésiennes. Parmi les techniques médicales, la trépanation, décrite au chapitre xcviii, est aussi rapportée par Ellis, bien qu’il reste prudent :

Ils tentaient parfois de faire une trépanation et je dois dire qu’ils ont exécuté cette opération avec succès. On dit qu’il y a des personnes vivant dans l’île de Bora-Bora sur lesquelles elle a été pratiquée ou, tout du moins, une opération du même genre : les os de la boîte crânienne ayant été fracturés lors d’une bataille, ils avaient dégagé la peau du crâne et, ayant enlevé l’esquille d’os, avaient soigneusement ajusté un morceau de coquille de noix de coco puis remis la peau en place ; une fois la peau cicatrisée, l’homme était guéri. Je n’ai jamais vu un individu qui ait subi cette opération, mais les témoignages concordants de la population ne me permettent pas de douter qu’elle ait été pratiquée37.

28Melville prend aussi plaisir à décrire les canoës, comme le pahī du grand-prêtre Aleema au chapitre xxxix. Les pirogues doubles étaient très performantes à la voile, et « fendaient l’eau à une vitesse considérable38 », manœuvrées par de longues pagaies ; ces catamarans pouvaient atteindre une trentaine de mètres de long et présentaient des abris pour les passagers et les marchandises nécessaires à de longs voyages dans le Pacifique.

Image1

William Hodges, 1744-1797. Drawn from nature by W Hodges. Engraved by W Watts. No. XLII. Published Feb[ruary] 1st, 1777, by Wm Strahan, in New Street Shoe Lane, and Thos Cadell in the Strand, London39.

29Bien que le texte explique que « son nom lui avait été donné en l’honneur d’un chef important, l’individu doté de la plus haute taille et de la mine la plus avenante de toutes les îles Sandwich40 », il n’est pas impossible de penser que le nom du Parki est en fait dicté par la simple transcription approximative de « pahī », la grande pirogue. Les pirogues sur lesquelles les compagnons de Taji s’embarquent ressemblent à celle du prêtre : les voiles de tapa (étoffe d’écorce de mûrier battue selon les coutumes locales) et les pagaies permettent de se déplacer dans le lagon. Le va’a, pirogue à pagaie et à balancier, accompagne les morts jusque dans leur dernière demeure : la fin de Taji, s’élançant vers la passe qui le fera sortir du lagon, à la dernière page du roman, est liée au sort de son canoë.

30Quant à la mention du surf, au chapitre xc, elle est loin d’être exceptionnelle ni limitée à une île en particulier, puisque Cook en parle dès son premier voyage à Tahiti et qu’Ellis le rapporte aussi avec force détails41. Melville a pu le voir pratiquer dans n’importe quelle île.

31Sur un plan plus spirituel, Mardi est dominé par Oro, le dieu qui s’impose en effet aux insulaires polynésiens. Les légendes, les coutumes et les croyances servent de toile de fond à tout le roman – ce que Melville a pu entendre sur place, et compléter par ses lectures. Parmi ces coutumes, le tatouage, réalité très présente dans le Pacifique. La description, par exemple, du tatouage mi-partie de Samoa au chapitre xxx, pour troublante que soit son allure, n’est pas une pure invention. L’île, le statut social, le sexe, suggéraient ou imposaient certains motifs, à des endroits particuliers, et permettraient de différencier des signes communs et des motifs personnels, ajoutés en fonction de l’histoire de l’individu. Ainsi, Aleema, vieux prêtre, est-il « pareil à un rouleau de parchemin tout couvert de signes hiéroglyphiques plus difficiles à interpréter, ma foi, qu’un ancien manuscrit sanscrit42 ». Ses fils ont un tatouage identique, qui est le signe de leur filiation. Le tatouage de Média n’est pas non plus le fruit du hasard :

Now happening to glance upon the image last removed, I was not long in detecting a certain resemblance between it and our host. Both were decorated in the same manner; the carving on the idol exactly corresponding with the tattooing of the king.

Or, en jetant par hasard un regard sur l’image enlevée en dernier lieu, j’eus tôt fait d’y découvrir une certaine ressemblance avec notre hôte. Les ornements étaient pareils ; les dessins gravés sur l’idole correspondaient exactement aux tatouages du roi43.

32En effet les tatouages pouvaient être réalisés en suivant un modèle, déjà tracé sur un rondin44. Mais la signification variée des dessins n’excluait nullement que l’on pût être tatoué d’un côté seulement, selon une symétrie verticale, ce qui est le cas de Samoa. « Quant à Samoa, en pagne et en turban, il rappelait avec son tatouage un fauve léopard, bien que ses taches fussent toutes d’un seul côté45. » En effet, l’insulaire est ainsi présenté :

In other respects he was equally a coxcomb. In his style of tattooing, for instance, which seemed rather incomplete; his marks embracing but a vertical half of his person, from crown to sole; the other side being free from the slightest stain. Thus clapped together, as it were, he looked like a union of the unmatched moieties of two distinct beings; and your fancy was lost in conjecturing, where roamed the absent ones. When he turned round upon you suddenly, you thought you saw some one else, not him whom you had been regarding before.

Sa coquetterie se manifestait encore autrement, dans son tatouage par exemple, qui n’embrassait qu’une moitié verticale de sa personne, de la tête aux pieds, l’autre moitié restant vierge de tout ornement. On eût dit les parties dépareillées de deux êtres distincts, et l’imagination se perdait en conjectures sur les lieux où pouvaient bien vagabonder les moitiés absentes. Quand il se tournait vers vous brusquement, vous croyiez voir quelqu’un d’autre et non pas l’homme que vous regardiez l’instant d’avant46

33Samoa présente bien une tenue mi-partie que Melville voit peut-être comme celle du bouffon (« coxcomb ») plus encore que de l’homme « coquet ». Le texte original signale que son tatouage « semble assez incomplet47 » : de fait, le tatouage étant progressif et réalisé en certaines occasions précises, beaucoup de Polynésiens se trouvaient n’être ornés que partiellement, le dessin ne se complétant, le cas échéant, qu’avec l’âge et de façon plus ou moins recherchée que l’on était chef ou simple individu. La coquetterie personnelle n’était pas la cause du tatouage, mais la satisfaction qui en naissait. Pour Melville lui-même,

La coutume du tatouage est dictée parla religion, le goût de la nouveauté et nombre d’indigènes pensent qu’elle est nécessaire au bien-être éternel. Jusqu’à ce qu’il se soumette au tatouage, un homme est considéré comme damné. Selon eux, mon âme serait en danger, car j’ai toujours résisté catégoriquement aux tentatives des artistes locaux de m’adopter en dessinant sur mon visage des marques semblables à celle d’un grill48.

34Le tatouage et le respect du statut social sont liés au phénomène bien connu du tapu, devenu en français « tabou ». Tuer le prêtre, le tahua, est un double crime : la malédiction va, de façon prévisible, poursuivre le transgresseur durant toute la suite de son voyage. De même, Melville évoque au chapitre cviii, en présentant le pontife Hivohitee, le phénomène du tabou du nom :

the Pontiffs […] were individualized by a distinctive name, bestowed upon them at birth. And the degree of consideration in which they were held, may be inferred from the fact, that during the lifetime of a Pontiff, the leading sound in his name was banned to ordinary uses. Whence, at every new accession to the archiepiscopal throne, it came to pass, that multitudes of words and phrases were either essentially modified, or wholly dropped. Wherefore, the language of Maramma was incessantly fluctuating;

Les pontifes portaient un nom individuel qui leur était donné à leur naissance. Pendant toute la vie d’un pontife, la syllabe principale de ce nom se trouvait bannie de l’usage courant : on peut mesurer par là en quelle haute considération était tenu le personnage. À chaque changement de règne, une multitude de mots et de phrases se trouvaient de la sorte ou bien essentiellement modifiés, ou bien radicalement supprimés. Ainsi la langue de Maramma subissait-elle des fluctuations incessantes49.

35On pourrait croire s’il s’agit d’une caractéristique fictive, imaginée pour particulariser les coutumes de Maramma50. En réalité, ce type d’interdit était effectivement en vigueur, sous le nom de , « coutume ancienne qui interdisait l’usage d’une syllabe ou d’un mot devenu sacré parce qu’il entrait dans le nom d’un roi. Il fallait employer un autre mot pour remplacer le mot interdit. On peut citer remplacé par ru’i, mare remplacé par hota, etc.51 ». Ellis note aussi, à propos des rois et reines, que tout ce qui les touchait devenait sacré, « et même les sons de la langue, composant leurs noms, ne pouvaient plus être utilisés pour des usages communs. Ainsi, les noms originaux de la plupart des objets qui leur étaient familiers avaient de temps en temps subi des changements considérables52. »

36Cela dit, le vocabulaire « polynésien » de Melville peut être effectivement valable lorsqu’il désigne des realia, ou parfois des expressions courantes : par exemple « Aramai53 » de Samoa au chapitre lii : quoique non traduit, le terme ici ressemble à « haere mai », qui signifie « viens ici ». Un grand nombre d’appellations rappellent aussi des noms existants ou historiques ; beaucoup de mots au contraire ne « sonnent » pas comme polynésiens, comme Babbalanja, Yillah ou Taji. Mais d’autres, apparemment conformes au génie des langues du Pacifique, ont probablement aussi leur part symbolique, comme celui d’Hautia54.

37On note cependant, pour les toponymes, une quadruple difficulté : d’abord la variation historique des noms de lieux, par suite des changements de visiteurs (qui, dans les mers du Sud, n’ont eu de cesse de changer les noms des îles découvertes dans le but de marquer la possession par la dénomination : Anglais, Français, Espagnols, Américains par exemple ont surimposé aux toponymes locaux, parfois en toute bonne foi, une nouvelle appellation) ; ensuite l’application du tabou linguistique a transformé, pour les habitants eux-mêmes, le vocable à employer ; à moins que, tout simplement, la langue ait évolué ou que des raisons historiques locales aient fait subir aux mots et aux noms des changements. Mais c’est enfin la conséquence des traductions qui déforment les noms55.

Les plus intelligents parmi les indigènes, particulièrement les chefs, sourient fréquemment devant la manière d’épeler les noms de lieux ou de personnes dans les récits, publiés dans les îles, qu’ils lisent parfois56.

38En effet, la transcription phonétique est source d’inexactitudes.

Ce désaccord entre différents auteurs provient en premier lieu de l’inadaptation de nos voyelles, telles quelles sont utilisées dans la langue anglaise, pour rendre les sonorités des voyelles indigènes57.

39En outre, les Européens qui avaient rapporté ces mots n’avaient pas eu suffisamment de rigueur, ne serait-ce que parce qu’ils avaient appris à l’oreille des mots ou des rudiments des langues polynésiennes.

Quelle que soit l’aisance qu’ils aient pu acquérir dans le langage, ils n’avaient pas prêté attention à l’articulation orthographique de la langue, mais avaient adopté la manière d’épeler les noms de personnes et de lieux comme l’avaient fait leurs prédécesseurs dont les récits leur étaient familiers58.

40Il semble que ce soit particulièrement le cas de Melville. En outre, beaucoup de variantes linguistiques existent d’un archipel ou même d’une île à l’autre : la langue des Marquises n’est pas celle des îles de la Société, même s’il existe évidemment des parentés ; même, les Marquises du nord et celles du sud présentent des différences.

41Cette alliance de l’apparemment fictif et du réellement observé n’est pas immédiatement discernable dans le roman de Melville, de sorte que l’on ne peut se fier entièrement à lui pour recueillir des informations de première main sur la Polynésie d’autrefois, et d’un autre côté il convient de prendre réellement en compte certains indices. Savoir et fiction sont si liés qu’on ne les discerne plus guère, et que le lecteur peu familiarisé avec la géographie ou les coutumes du Pacifique peut s’y méprendre : en fonction de sa propre mesure se définiront aussi, à l’inverse, les périmètres respectifs du savoir et de la fiction.

Cartographie du Pacifique

42Mardi détient-il un savoir géographique ? Quelques indications précises ouvrent le texte – qui donnent d’ailleurs aussi du fil à retordre aux traducteurs et aux critiques…

We sail from Ravavai, an isle in the sea, not very far northward from the tropic of Capricorn, nor very far westward from Pitcairn’s island, where the mutineers of the Bounty settled. […]
And from Ravavai we sail for the Gallipagos, otherwise called the Enchanted Islands, by reason of the many wild currents and eddies there met. […]
But thither, from Ravavai, your craft may not fly, as flies the sea-gull, straight to her nest. For, owing to the prevalence of the trade winds, ships bound to the northeast from the vicinity of Ravavai are fain to take something of a circuit; a few thousand miles or so. First, in pursuit of the variable winds, they make all haste to the south; and there, at length picking up a stray breeze, they stand for the main: then, making their easting, up helm, and away down the coast, toward the Line.

Nous quittons Ravavaï, une île de la mer, pas très loin au nord du tropique du Capricorne, pas très loin à l’ouest de l’île de Pitcairn, où se fixèrent les mutinés du Bounty. […]
Et de Ravavaï nous voguons vers les Galapagos, autrement nommées les Îles Enchantées à cause des nombreux courants et tourbillons dangereux qu’on y rencontre. […]
Mais de Ravavaï jusque là, n’espérez pas que votre bâtiment vole, comme vole la mouette, droit à son nid. Car, du fait de la prédominance des alizés, les bateaux qui vont des environs de Ravavaï vers le nord-ouest [sic] doivent se résigner à faire un certain détour – quelque chose comme plusieurs milliers de milles. D’abord, à la poursuite des vents variables, ils se hâtent vers le sud ; là, pinçant d’aventure quelque brise, ils prennent du large ; puis, gouvernant droit vers l’est, ils se rapprochent de la côte, le long de laquelle ils filent ensuite jusqu’à la Ligne59.

43Ce genre de passage est tout à fait paradoxal : doit-on le lire comme géographiquement correct ? Est-il le début fantaisiste d’une navigation imaginaire ? En l’occurrence, il est piquant de constater que Melville est approximativement exact, si l’on regarde une carte du Pacifique. Sous le nom de Ravavai on peut raisonnablement reconnaître l’actuelle Raivavae, selon une transcription phonétique acceptable – les toponymes n’étaient pas encore complètement fixés pour les Américains de passage ; Melville la situe juste au nord du tropique du Capricorne, en réalité elle est très légèrement au sud de cette ligne60, en 23° 52' 00'' – ce qui compte tenu des cartes et des moyens de l’époque n’est pas une erreur considérable. En revanche Pitcairn est bien située sur le tropique, pas très loin plus à l’est. Il semble impossible de suivre pour identifier Ravavai les indications du Bulletin de la Société de géographie de 1834, qui suppose une Oraibabae, positionnée en 23° 48' de latitude sud, « et 23° long. » qui ne correspond pas du tout aux coordonnées géographiques de l’endroit61. « Il est évident que cette île est celle qui porte le nom de Ravavaï ou Vavitou sur les cartes modernes62 », y lit-on, à condition toutefois que l’on corrige notablement les indications de sa situation. Si l’on considère donc qu’il s’agit de Raivavae et que le navire se dirige vers les Galapagos, il faut aussi rectifier la traduction, qui présente une erreur manifeste par rapport au texte original, lequel se propose bien de gagner vers le nord-est (« northeast ») et non vers le nord-ouest63. Que le héros projette de filer, lui, vers l’ouest et la chaîne des Kingsmill (Kiribati) est donc cohérent. Ces incertitudes quant aux directions à suivre dans ce qui va être en effet, semble-t-il, une géographie imaginaire par la suite, rappelle le procédé de Swift dans les Voyages de Gulliver : la localisation y est certes embrouillée en elle-même, mais en outre, par les errances d’une bonne tempête, la narration donne le tournis au lecteur et lui fait perdre tout repère, de manière à pouvoir faire aborder son héros, ensuite, à une île introuvable sur la carte64.

44La transposition des toponymes est d’ailleurs parfois involontaire chez les voyageurs. D’après Ellis, la mauvaise connaissance linguistique des étrangers ajoute à la confusion, en introduisant des erreurs dues à une mauvaise coupe des mots :

Une autre cause de l’inexactitude de l’orthographe des premiers voyageurs dans ces îles fut un manque de connaissances solides de la structure du langage qui leur aurait évité de prendre un mot composé pour un seul mot. Tel est le cas des mots Otaheite, Otaha et Owahyhee, qui doivent être Tahiti, Tahaa et Hawaii. Le O ne fait pas partie de ces mots, mais est la préposition « de », ou « appartenant à », ou bien c’est la marque du cas […]65.

45Même si Melville ne s’y trompe sans doute pas, cette habitude justifie malicieusement certaines au moins de ses nombreuses inventions linguistiques, puisque, à plusieurs reprises, il invente des mots pseudo-polynésiens. Le meilleur exemple est celui du chapitrelxxxix :

Judge not things by their names. This, the maxim illustrated respecting the isle toward which we were sailing.
Ohonoo was its designation, in other words the Land of Rogues. So what but a nest of villains and pirates could one fancy it to be: a downright Tortuga, swarming with “Brethren of the coast,”—such as Montbars, L’Ollonais, Bartolomeo, Peter of Dieppe, and desperadoes of that kidney. But not so.

Ne jugeons pas des choses par leur nom. L’histoire de l’île vers laquelle nous faisions voile illustre au mieux cette maxime.
Elle se nommait Ohonou, en d’autres termes l’île des Coquins. On pourrait s’imaginer un nid de malfaiteurs et de pirates, une vraie Tortuga, grouillante de « Frères de la Côte » tels que Monbars, l’Ollonais, Bartolomeo, Pierre de Dieppe et d’autres enragés de cet acabit. Mais nullement66.

46S’agit-il d’Oahu67 ? Le nom est assez ressemblant. Mais pourquoi, en l’occurrence, ne pas rapprocher tout simplement cette nouvelle « Tortuga » (l’île antillaise de la Tortue est restée célèbre pour ses pirates), de « honu », (prononcé honou) qui signifie précisément « la tortue », agrémenté du « O » initial signalé par Ellis ?

47Dans un certain nombre de cas, on peut aussi supposer une congruence des deux courants linguistiques, par exemple pour l’île de Maramma : Maremma, qui évoque l’Enfer de Dante, est peut-être croisé avec marama, la lune. Odo semble conforme aux sonorités des langues polynésiennes sans y appartenir ; en revanche c’est bien le point de départ d’un nouveau voyage, une nouvelle route (odos). Il semble que les toponymes glissent de plus en plus vers le fictionnel ou le symbolique : Dominora, Franko, Vivenza, Kaledoni, par exemple, sont des masques assez transparents, sans plus de concession à la Polynésie. Melville semble avoir joué de ses connaissances ethnographiques en les insérant dans une trame fictive.

48Il s’explique d’ailleurs à demi-mot auprès de son éditeur Murray.

Mon objet, en vous écrivant aujourd’hui – j’aurais dû le faire plus tôt – est de vous informer d’un changement dans mes projets. Pour dire les choses rondement : le prochain ouvrage que je publierai sera tout à fait sérieusement, un « Roman d’Aventure Polynésienne » – […] un véritable roman de moi n’est pas Taïpi ou Omoo, mais est fait d’une tout autre étoffe. […] Je me disais depuis longtemps que la Polynésie était une mine de riche matériel poétique qui n’avait jamais encore été exploité dans des œuvres d’imagination et qui, pour être dûment mis en lumière, ne demandait que ce déploiement de liberté et d’invention qu’on accorde seulement au Romancier et au Poète. Je pensais pourtant que je remettrais à un jour futur le moment de m’essayer à quelque élucubration de cette sorte […]. – Eh bien : en procédant à ma narration de faits, j’ai commencé à en éprouver un insurmontable dégoût, en même temps que me venait le désir d’emplumer mes ailes pour voler ; et je me suis senti gêné, contraint, entravé en continuant à peiner plus outre parmi d’ennuyeuses banalités. – Si bien qu’abandonnant complètement ce que je faisais, je me suis mis à travailler cœur et âme à un roman qui est maintenant en bonne voie du fait de l’ardeur que j’y ai apportée. […] Mon roman, je vous assure, n’est pas de la lavasse, ni d’un modèle emprunté à la Bibliothèque Circulante. C’est quelque chose de neuf, je vous le garantis et pour le moins original. Mais je ne puis vous en donner aucune idée adéquate. […] Cela débute comme un récit véritable – comme Omoo, par exemple, à bord d’un navire – et le romanesque et la poésie de la chose se développent continuellement à partir de là jusqu’à ce qu’elle devienne une histoire suffisamment mouvementée, je vous assure, et qui ne manque pas de signification non plus68.

49Ainsi, si l’on peut glaner dans Mardi des bribes ethnographiques, la frontière avec la fiction laisse donc passer beaucoup de clandestins de part et d’autre : des éléments documentaires romancés, des détails pseudo-réalistes d’un voyage imaginaire se présentant comme pourvoyeur de descriptions vraies. L’enjeu serait alors de pasticher le récit d’une circumnavigation pour faire passer un discours d’ordre ou utopique, ou de superposer plusieurs réseaux de signification.

This world we see in Mardi is a reflection of the islands of the South Seas. Lovely enough these would seem to be from all accounts, but in this reflection it is as if they had been shaken from their foundations and had turned extravagant and wildly beautiful beyond the limits of even69 tropical nature70.

Ce monde que nous voyons dans Mardi est un reflet des îles des mers du Sud. Elles paraîtraient assez attrayantes dans tous ces récits, mais dans ce reflet, tout se passe comme si elles avaient été ébranlées sur leurs fondations et étaient devenues extravagantes, d’une beauté sauvage au-delà des limites même d’une nature tropicale.

50C’est ce passage de la réalité à son reflet extravagant qui caractérise la narration de Mardi.

51« La Polynésie était une mine de riche matériel poétique », ne serait-ce que par sa conformation : une succession d’îles, qui sont suffisamment proches pour autoriser un voyage avec de courtes traversées et des escales régulières, et suffisamment éloignées pour être complètement différentes les unes des autres, quoique appartenant au même ensemble géographique. Bien que la majorité des critiques en français parlent de Mardi comme d’un archipel, cette dénomination manque une caractéristique essentielle : Melville situe son roman dans un immense lagon, qui abrite certes dans les limites de son récif un archipel, comme cela se produit effectivement dans le Pacifique. Le texte original de Mardi présente 26 occurrences de « archipelago » (ou « Archipelago »), et 70 de « lagoon », soit près de trois fois plus. Ce qui importe est donc surtout cette circularité et cette unité de lieu, déclinée dans le détail en un chapelet d’îles plus ou moins proches. Mardi est un lieu clos, enserré dans le récif, à part deux passes, l’une qui permet au Chamois de rentrer, l’autre à la pirogue de sortir. Ainsi :

Voyaging along the zone, we came to an opening; and quitting the firmament blue of the open sea, we glided in upon the still, green waters of the wide lagoon.

Après avoir croisé le long du récif, nous trouvâmes un goulet et, quittant le bleu firmament de la mer libre, nous glissâmes sur l’étendue verte et calme du lagon71.

52Puis, pour finir le voyage, au dernier chapitre :

But through the gloom, and on the circumvallating reef, the breakers dashed ghost-white.
An outlet in that outer barrier was nigh.
“Ah! Yillah! Yillah!—the currents sweep thee oceanward; nor will I tarry behind.—Mardi, farewell!— “[…] and turning my prow into the racing tide, which seized me like a hand omnipotent, I darted through.
Churned in foam, that outer ocean lashed the clouds;

Mais dans les ténèbres, un anneau d’écume d’une blancheur fantomale cernait le récif de Mardi.
Dans cette barrière, à peu de distance, s’ouvrait un goulet72.
« Ah ! Yillah ! Yillah ! Les courants t’emportent vers l’océan, et je veux te suivre. Mardi, adieu ! […]
Et engageant ma proue dans le courant rapide qui me saisit comme une main toute-puissante, je me jetai dans le goulet.

Dans un battement d’écume, l’océan extérieur flagellait les nues73.

53Le récif est donc réellement la mesure du roman : un archipel est une libre succession d’îles – comme les Tuamotu –, le lagon est protégé à l’intérieur de sa barrière – et prisonnier.

54La Polynésie en effet est une « mine de riche matériel poétique » en particulier de très nombreuses légendes et généalogies, que le révérend Orsmond, missionnaire dans le Pacifique entre 1817 et 1856, avait rassemblées dès 1848 : ces légendes, très souvent, racontent des voyages d’une île à l’autre74. L’histoire légendaire des Polynésiens repose sur des voyages au long cours, sur les longues pirogues qu’empruntent Taji et ses compagnons : l’histoire actuelle du peuplement du Pacifique y trace le « triangle polynésien », entre Hawai’i, Pâques et la Nouvelle-Zélande, zone qui comprend aussi les Marquises, les Tuamotu, les îles de la Société, les Australes, Samoa et les Tonga75. En ce sens, si Mardi se superpose au triangle polynésien, il représente en effet une vaste constellation de plusieurs archipels.

55Quant aux cartes, la plus célèbre est celle dictée par Tupaia à Cook en 1769.

Image2

Carte de Tupaia. On notera que dans le coin inférieur droit, est ajoutée une île un peu éloignée appelée « Europa »… Aotourou, l’insulaire embarqué à sa demande par Bougainville, est lui aussi capable de se repérer en mer.

56L’attrait des cartes, pour un marin, est-il une raison pour passer de « Mar di Sud » à « Mardi » ? La proposition de Herschel Parker76, quoique régulièrement reprise, ne semble guère résister à l’examen de la logique linguistique : il semble douteux que Melville, américain du XIXe siècle, qui cite les aventures de Cook, pris pour un demi-dieu, comme préfigurant les siennes, ait emprunté une terminologie qui allie un mot à consonance peut-être espagnole ou italienne, « mar », à un complément peut-être italien, « di Sud ». Une carte ancienne comme celle d’Abraham Ortelius (Antwerp, 1587, 1608), porte par exemple « Mare Pacificum quod vulgo nominant Mar del Zud ». L’interprétation de « Mar di » semble astucieuse mais il est douteux qu’elle soit réellement fondée historiquement.

My surprise at these things was enhanced by reflecting, that to the people of the Archipelago the map of Mardi was the map of the world. With the exception of certain islands out of sight and at an indefinite distance, they had no certain knowledge of any isles but their own.

Ma perplexité s’accrut quand je songeai que, pour le peuple de l’archipel, la carte de Mardi était la carte du monde. À l’exception de quelques îles hors de vue, située à une distance infinie, ils ne connaissaient avec certitude l’existence d’aucune terre en dehors de la leur77.

57Le centre du monde devient très naturellement la représentation de l’univers : comme les Marquisiens nomment leurs îles « Fenua Enana » ou « Fenua Enata », tout simplement « la terre des hommes ». D’après Anne-Gaëlle Weber,

À la fin de la pérégrination, le narrateur revient sur l’ensemble du voyage (et du récit) pour s’adresser directement au lecteur en ces termes : « Ô lecteur, écoute ! J’ai voyagé sans carte. Ce n’est pas avec la boussole et la sonde que nous avons découvert les îles mardiennes » (p. 499). Mardi est bien un espace imaginaire qui n’est en rien la transposition romanesque d’un espace réel et la description de Mardi, si l’on se fie aux habitants de l’archipel, est celle du monde dans son entier. Le narrateur, par le biais de la carte, désigne son texte à la fois comme imaginaire et comme symbolique du monde « réel »78.

58Il est sans doute excessif de considérer que Mardi « n’est en rien la transposition romanesque d’un espace réel » : l’espace fictif se superpose à l’espace réel sans le faire complètement disparaître. En outre, Taji et ses compagnons ne voyagent pas tout à fait sans carte : avant le départ du « tour du lagon » (« for the tour of the lagoon », non traduit au chapitre lxv), un plan est dessiné :

All things at last in readiness, and the ensuing morning appointed for a start, Media, on the beach, at eventide, when both light and water waned, drew a rude map of the lagoon, to compensate for the obstructions in the way of a comprehensive glance at it from Odo.

And thus was sketched the plan of our voyage; which islands first to visit; and which to touch at, when we should be homeward bound.

Enfin, tout étant prêt, et le matin suivant fixé pour notre départ, Média dessina sur la plage, marée basse, à l’heure où la lumière et la mer se retirent, une carte sommaire du lagon dont nous ne pouvions avoir, d’Odo, une vue d’ensemble.
C’est ainsi que nous établîmes notre itinéraire, en marquant quelles îles nous devions visiter les premières et celles auxquelles nous toucherions sur le chemin du retour79.

59L’expression « J’ai voyagé sans carte » laisse surtout entrevoir l’entremêlement de la métaphore cartographique et l’originalité du propos de Melville, ressemblant à la méthode de Lombardo :

the Koztanza lacks cohesion; it is wild, unconnected, all episode.
Babbalanja —And so is Mardi itself:—nothing but episodes; valleys and hills; rivers, digressing from plains; vines, roving all over; boulders and diamonds; flowers and thistles; forests and thickets; and, here and there, fens and moors. And so, the world in the Koztanza.
Abrazza —Ay, plenty of dead-desert chapters there; horrible sands to wade through.

Le Kostanza manque de cohésion ; il est désordonné, sans liens, tout en épisodes.
Babbalanja : Comme Mardi lui-même, Majesté. Rien que des épisodes : vallées et montagnes, rivières divaguant, lianes qui se promènent partout, galets et diamants, épines et fleurs, forêts et fourrés, çà et là marais et marécages. Le monde du Kostanza est pareil.
Abrazza : En effet, il contient des quantités de chapitres mornes, désertiques, d’affreux sables à traverser80.

60Si Lombardo écrivant est un double de Melville, il avoue cette apparente errance, qui l’a pourtant mené à la découverte :

When Lombardo set about his work, he knew not what it would become. He did not build himself in with plans; he wrote right on; and so doing, got deeper and deeper into himself; and like a resolute traveler, plunging through baffling woods, at last was rewarded for his toils. "In good time," saith he, in his autobiography, "I came out into a serene, sunny, ravishing region; full of sweet scents, singing birds, wild plaints, roguish laughs, prophetic voices. "Here we are at last, then," he cried; "I have created the creative."

Quand Lombardo se mit à son œuvre, il ne savait pas où il allait. Il n’avait pas de plan préconçu ; il écrivait, écrivait, et, en écrivant, il descendait de plus en plus profondément en lui-même ; et, comme un voyageur résolu qui plonge dans l’inconnu de la forêt, il fut récompensé de ses peines. « Je finis, dit-il dans son autobiographie, par déboucher dans une ravissante région, paisible et ensoleillée, pleine de doux parfums, de chants d’oiseaux, d’affreux gémissements, de rires espiègles, de voix prophétiques. » Et il s’écria : « Enfin ! J’ai créé la force qui crée81 ! »

61La carte et le plan sont donc, en abyme, présents dans le texte comme mode de composition, que F. Lestringant note pour l’insulaire de Rabelais :

La fiction en archipel, c’est la toile de fond, c’est le réseau ouvert sur lequel, comme sur une carte déployée, on peut tracer des itinéraires variés, ni totalement aléatoires, ni absolument libres, puisqu’ils sont canalisés et orientés par les contraintes du relief, la répartition irrégulière de la terre et des eaux, les courants marins, les vents, la fréquence et la commodité des atterrages, les conditions météorologiques du moment82.

« Mardigras pour mot du guet »

62De fait le nom de Mardi pose un réel problème, car il n’existerait en anglais que dans l’expression « Mardi gras »83 : or, Melville a emprunté les volumes du Tiers et du Quart Livre en janvier-février 1848 – au moment, précisément, où il remaniait profondément la structure de Mardi. Si Rabelais semble bien avoir fourni une référence à l’imaginaire de Melville, le Quart Livre particulièrement est entièrement un voyage sur mer, entrecoupé d’une succession d’escales sur des îles qui, comme dans l’univers de Mardi, sont peuplés par des habitants aux coutumes surprenantes : les îles Ennasin, Cheli, Tohu et Bohu, Nargues et Zargues, Teleniabin et Geneliabin, Enig et Evig, l’île des Macréons, celle de Tapinois, l’île de Ruach, des Papefigues, des Papimanes, de Caneph et de Ganabin… et on en oublie. Cette succession arbitraire peut avoir justifié le trajet d’Odo à Valapé, Juam, Ohonou, Modoldo, Maramma, Padulla, Pimminé, l’île des Fossiles, Diranda, Dominora, Vivenza, l’île de Doxodox, Houloumoulou, Bonovona, Sérénia, pour finir par Flozella-a-Nina…pour ne citer que les escale qui portent un nom. Dans les deux cas, les voyageurs essuient une tempête – et, dans le cas de Rabelais, cherchent à se préserver du mal de mer. Dans les deux cas, les voyageurs partent en groupe, avec une flottille dont l’allure n’est pas sans rapport. Les compagnons du bord peuvent être des géants, comme Pantagruel, ou des demi-dieux, comme Taji et Média : en fait ce sont de véritables héros, et leur aura domine toute l’aventure.

63La structure du Quart Livre épouse la quête de la Dive Bouteille – avec un dessein déclaré qui n’empêche nullement l’errance – comme celle de Mardi bascule de quête en quête : celle des baleines et des cachalots sur l’Arcturion (comme l’équipage de Pantagruel qui défait un « monstrueux Physetere », au chapitre xxxIIII), puis celle des îles de l’ouest sur le Chamois (tandis que le pilote de Pantagruel avait « désigné la routte » vers le « Catay en Indie supérieure84 »), celle du bonheur tranquille sur Odo (ou des aventures plus belliqueuses à terre, comme chez les Andouilles), et enfin celle de Yillah la mystérieuse, qui justifie la navigation d’île en île. De même que le Quart Livre s’achève non sur la découverte de la Dive Bouteille mais sur le feu d’artifice tiré de ses bombardes – et la déconfiture de Panurge –, les compagnons de Taji finissent par renoncer, retrouvant alors les difficultés et le chagrin : « notre quête était finie85 », tandis que Taji poursuivra son rêve de retrouver Yillah « dût-elle me mener au-delà du récif, à travers des mers sans soleil, jusque dans la nuit et la mort ! Je la chercherai parmi toutes les îles, toutes les étoiles, et je la trouverai, quoi qu’il advienne !86 » En réalité, la quête, dans les deux cas, tourne apparemment court.

Rempli d’histoires, d’anecdotes, d’explications, de descriptions, d’exemples, le Quart Livre, malgré le thème du voyage qui le sous-tend, est un ouvrage qui ne va nulle part. Comme le tournoiement dialectique du Tiers Livre, l’expérience maritime du Quart Livre figure un grand arrêt dans la trame. Les Pantagruélistes s’embarquent pour la Dive Bouteille pleins de confiance et d’espoir, mais plus ils s’aventurent vers le large, plus leur but s’éloigne et s’estompe. Le voyage donne à l’œuvre un fil conducteur en même temps qu’une illusion de progression, mais entrecoupé par les rappels du passé et l’émergence d’îles toujours nouvelles87

64Il semble que la quête de Pantagruel bascule aussi lorsqu’il intervient dans les rivalités entre îles voisines. Plus que la chasse au cachalot, c’est la bataille contre Quaresmeprenant –symbole du renoncement – qui marque un tournant dans les aventures de la flottille, avec « Mardigras pour mot du guet88 ». Mardi gras reste le signe de la fête et de la permissivité. Cependant, dans la traduction anglaise89, Mardigras est apparemment traduit par « carnival ». Ce personnage et ses festivités saturnales sont cependant connus sur tous les bords, des cérémonies carnavalesques ayant lieu lors du passage de la ligne – un autre topos du roman maritime. D’ailleurs les escales sont l’occasion de se réjouir, de boire du vin – ce qui rappelle davantage les agapes rabelaisiennes que les coutumes polynésiennes.

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Assemblée à Nuku Hiva, sculpture de l’esplanade de Taiohae (photo O. Gannier)

65De manière assez inattendue, l’une des particularités du Quart Livre est aussi la décision de Pantagruel de tenir le journal de l’expédition :

 Je ne fauldray à réduire en commentaires et ephemerides tout le discours de notre naviguaige : affin que à nostre retour vous en ayez lecture veridicque90.

66Un autre élément nouveau dans la narration du Quart Livre, c’est la place accordée aux contes : comme si la présence de ces hommes à bord générait une succession d’histoires – ce que font aussi, et plus qu’à leur tour, les compagnons de Taji, qui trompent leur ennui par d’interminables narrations et disputes oratoires. « Les marins aiment le merveilleux et adorent raconter des merveilles91. » Or le roman maritime le plus classique se caractérise aussi par l’alternance et la succession d’escales et d’histoires, qui se succèdent par simple association d’idées, en fonction des événements du bord.

67Le parallèle entre Mardi et LeQuart Livre est ainsi une hypothèse de construction narrative : le savoir du marin est aussi, preuve en est faite, un savoir livresque et savant. Un chapitre entier de LaVareuse blanche, par exemple, dresse l’inventaire de ses lectures à bord, et cette activité littéraire clandestine occupe son temps libre et lui impose de faire preuve d’astuce pour y parvenir. Pour autant, et comme les sources nombreuses de voyages dont Melville a pu s’inspirer – Homère, Swift, Bunyan, et tant d’autres –, les rapprochements sont à la fois frappants et partiels. Byron achève pratiquement le Pèlerinage de Childe Harold par ce rappel de la « fair-hair’d Daughter of the Isles » :

Ta robe nuptiale n’était qu’un tissu de deuil ; le fruit de ton hymen n’est que cendres : elle est couchée dans la poudre du cercueil la fille blonde des îles […] hélas ! cette promesse de bonheur était pour nous comme l’étoile chérie des bergers… et ce n’était qu’une météore92.

‘Avei’a : le « chemin des étoiles » et les comètes

68Cette métaphore astronomique éclaire enfin toute la structure de Mardi. La critique a, depuis les travaux de Merrell Davis, souligné l’importance de ce thème dans le roman. C’est un thème souvent évoqué par Melville, ici dans La Vareuse blanche :

Comme je suis d’humeur méditative, au large j’avais souvent l’habitude de monter la nuit dans la mâture, puis m’installant sur l’une des plus hautes vergues, je m’emmitouflais dans ma veste et donnais libre cours à mes pensées. Sur d’autres navires où je m’étais livré à cette occupation, les marins s’imaginaient toujours que je devais être en train d’étudier l’astronomie – ce qui en vérité était exact jusqu’à un certain point – et que si je grimpais là-haut, c’était pour obtenir une meilleure vue des étoiles, car ils supposaient sans doute que j’avais la vue basse. Certains peuvent trouver que leur supposition était plutôt naïve, mais après tout ce n’était pas tellement stupide ; car le fait de se rapprocher de deux cents pieds d’un objet offre un intérêt qui n’est quand même pas négligeable. […] Et l’on éprouve une sensation extrêmement agréable, celle de se fondre dans l’univers des choses et de faire partie du grand Tout, lorsqu’on pense que, quel que soit le lieu où nous voguions, nous autres vagabonds des mers, nous avons toujours les mêmes étoiles, antiques et illustres, pour nous tenir compagnie93.

69Il faut ajouter à ces dispositions personnelles du narrateur – qui exprime sans aucun doute les aspirations de l’auteur lui-même – l’importance de ces questions à la période où Melville rédige Mardi. Qu’il ait pu ou non l’entendre, le professeur Mitchell, du Cincinnati Observatory, donna six conférences à New York sur l’astronomie en décembre 1847 ; les comptes rendus de ces conférences furent en tout cas diffusés par le Daily Tribune de New York. Une autre série de conférences fut donnée par l’astronome John P. Nichol en janvier-février, qui les publia la même année sous le titre Views in astronomy ; il rédigea aussi The Stellar Universe, qui parut en avril 184894. Ces ouvrages usaient de comparaisons entre la Voie lactée et le monde des îles – rappelons que Cook avait été envoyé dans le Pacifique pour observer le passage de Vénus devant le soleil. C’est à Tahiti que cet événement devait être le plus visible le 3 juin 1769 : c’était alors une occasion pour calculer la distance de la Terre au Soleil. L’astronomie et la découverte géographique et anthropologique devaient ainsi se croiser.

70De même, l’astronomie physique avait donné libre cours aux spéculations sur la vie sur les autres planètes. La littérature bien sûr s’était intéressée à cette possibilité : il est avéré que Melville a lu Cyrano de Bergerac en juillet 1849, ce qui prouve non une intertextualité directe, mais un vif intérêt pour les États et empires de la lune et du soleil, version littéraire de réflexions très sérieuses. Des savants comme Hevelius (Selenographia, 1647), Fontenelle (Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686), Christiaan Huygens (Cosmotheoros, 1698), Johann Heinrich Lambert (Le Système du monde, 1784), entre autres, ont supposé une vie extra-terrestre. Un savant comme Humphry Davy (président de la Société royale d’Angleterre et membre de l’Institut), dans Consolations in travel : or, The last days of a philosopher, en 1830, imagine un voyage dans l’espace et suppose aussi que Jupiter, Mars, Vénus sont habités : Consolations in travel a été publié à Londres précisément chez John Murray, l’éditeur de Melville, en 1830 (en 1838, il s’agit déjà de la quatrième édition). « Sir Humphrey Davy » n’est d’ailleurs pas un inconnu pour Melville qui le cite au chapitre XIX. Ils sont nombreux à envisager cette éventualité, comme le prouve l’intense activité éditoriale sur le sujet, savants, écrivains ou idéologues comme Swedenborg, se retrouvant sur ces propositions. Juste après, en 1862, ce sera au tour de Camille Flammarion d’argumenter sur La pluralité des mondes habités :

Les enveloppes atmosphériques qui entourent cette planète [Mars] et la précédente [Terre], les neiges qui apparaissent périodiquement à leurs pôles et les nuages qui s’étendent de temps en temps à leurs surfaces, la configuration géographique de leurs continents et de leurs mers, leur météorologie, leurs variations de saisons et de climats communes à ces deux mondes, nous fondent à croire que ces deux planètes sont l’une et l’autre habitées par des êtres dont l’organisme physique doit offrir plus d’un caractère d’analogie, ou que si l’une d’elles était vouée au néant et à la solitude, l’autre, qui se trouve dans les mêmes conditions, devrait avoir le même partage95.

71A.-G. Weber a montré à quel point cette astronomie était devenue populaire96.

72Durant la même période à peu près l’intérêt pour l’astronomie fut attisé par des observations et des découvertes : en 1835, on observa le passage de la comète de Halley ; dans les premiers mois de 1843 la « Grande comète de mars » fut visible à l’œil nu en plein jour. En 1843 encore, Faye fit une autre observation. La comète Biela fut observée par Vico en 1845, et en 1846, elle éclata en deux fragments qui continuèrent d’être visibles pendant trois mois, avec chacun un noyau et une queue. Bref, de 1844 à 1848, c’est une demi-douzaine de comètes qui furent répertoriées. Enfin, en août 1846, l’astronome Le Verrier détermina par le calcul l’existence d’une nouvelle planète, effectivement observée un mois plus tard : dans un premier temps il avait été question de l’appeler Oceanus, mais elle fut baptisée officiellement Neptune par le Bureau des Longitudes. En outre, trois astéroïdes furent observées en 1847 : Hébé le 1er juillet, Iris le 13 août, Flore le 18 octobre. Trois noms de déesses et de fleurs, après Cérès, Pallas, Junon, Vesta, au début du siècle, et Astrée en 1845. Il n’en fallait sans doute pas plus pour éveiller l’imagination de Melville.

73D’où l’hypothèse de M. Davis : une comète observée en octobre 1847, du nom de Taije serait l’origine du nom de Taji, venu du soleil, « Taji le blanc, une sorte de demi-dieu dont les avatars revenaient de temps à autre sur la terre97 ».

Perhaps the application of the name « Taji » to Melville’s sailor Narrator as well as naming the ship the Arcturion instead of the Leviathan as the end of Omoo were changes made when Melville discovered that the voyage he was writing had less to do with whales than an imaginary tour through Milky Way of South Islands98.

74En effet, le roman commence sur l’Arcturion et s’achève dans la nuit « où seul brillait le rouge Arcturus99 ». Arcturus est l’étoile la plus brillante de la constellation du Bouvier100 ; or en astronomie chinoise, Arcturus est un astérisme appelé… Dajiao; il représente, dans ce système d’interprétation symbolique, le roi céleste. Certes on ne peut affirmer avec certitude que Melville possédait des connaissances en astronomie chinoise, mais deux voies mènent le choix du nom de Taji vers les phénomènes célestes.

75Alors, de même, on peut s’interroger sur le prénom de la mystérieuse Yillah. Le nom n’est pas polynésien, comme elle-même est une blanche créature, « plus qu’une mortelle », à la longue chevelure blonde et aux « yeux d’un bleu de firmament101 », « rassembla[n]t autour d’elle sa robe de gaze ». On songe dans son récit à la naissance de Vénus, dans son coquillage. Or si on lit son nom à l’envers comme un demi-palindrome, on obtient « Halliy » – la prononciation anglaise de Halley, dont le nom est associé à sa comète. Ainsi, Yillah aurait deux visages : celui d’une jeune fille fascinante, encore que d’un caractère assez peu marqué en dehors de son apparence inhabituelle, dont le navigateur tombe amoureux – et le roman serait alors une romance ; et celui d’une comète, comme Taji, que le héros, voyageur astral, chercherait à suivre et à retrouver, vainement, lorsqu’elle a disparu – et le roman file une vaste métaphore qui justifie cette quête sans fin de la forme blanche et éthérée. Les détails qui la caractérisent vont dans ce sens, puisqu’elle s’évanouit de jour en jour jusqu’à disparaître :

… her cheeks; though at intervals they waned and departed; and deadly pale was her glance, when she murmured of the whirlpool and mosses.

… ses joues qui pourtant, par intervalles, se ternissaient et s’effaçaient ; alors, son regard devenait mortellement pâle et elle murmurait je ne sais quoi à propos du tourbillon et des mousses [sous-marines]102.

76Ou encore, vision qui clôt le roman :

Round and round, a gleaming form slow circled in the deepest eddies:—white, and vaguely Yillah.
[…] gaining the one dark arch, the revolving shade darted out of sight …

Une forme blanche, vaguement lumineuse, tournoyait lentement dans les profondeurs. Yillah ?
[…] je vis la blanche forme tournoyer encore puis disparaître sous la voûte profonde et noire103.

77Dès le premier chapitre est cité Whiston pour sa théorie « sur les damnés et les comètes104 », ce qui laisse augurer une fin de catastrophe. En outre, comment imaginer pouvoir retenir une comète ? Son passage est nécessairement merveilleux et éphémère, la longueur de ses cycles excluant le plus souvent, pour qui l’a observée, de la revoir de son vivant. Pour Camille Flammarion,

Parmi les corps célestes dont la destination ne paraît pas être de soutenir la vie et l’intelligence, et dont l’état cosmique semble même radicalement incompatible avec les phénomènes de 1’existence, nous mentionnerons ces astres chevelus aux traînées flamboyantes, jadis la terreur de tous, maintenant le hochet des curieux. Les comètes, en effet, ne sauraient tenir la moindre place dans nos considérations sur la pluralité des mondes. Leur origine, leur nature, leur fonction dans l’économie du système et leur but final nous sont inconnus. Hôtes mystérieux de l’espace, on les voit errer d’un inonde à l’autre, oublier les distances, méconnaître les limites des États célestes, et franchir impétueusement l'étendue dans leur course échevelée105.

78Que les comètes soient inhabitables et inclassables ne leur enlève nullement l’attrait d’une vie propre, d’autant plus mystérieuse.

79Le roman dans son ensemble file la métaphore : l’arrivée dans le récif de Mardi est salué avec enthousiasme : « nous avons découvert une nouvelle constellation de la mer106 ! » Dans cet univers, rappelons-le, règne le dieu Oro : dieu de la guerre, comme Mars dans la mythologie antique, qui a fourni tant de noms aux phénomènes célestes. L’adjectif « mardian », employé tout au long du roman, est phonétiquement si proche que « martian » qu’il est légitime de les associer. Durant toute la circumnavigation de l’espace mardien, le thème revient à de si nombreuses reprises qu’il est impossible de les citer ici. L’image de Saturne et de son anneau, la toute-puissance du soleil qui donne vie à toute chose, les sortilèges de la nuit étoilée que l’on contemple avec des rêveries métaphysiques, les métaphores astronomiques sont les plus fréquentes de Mardi, les rêves de retrouvailles avec Yillah alternant avec la poursuite florale des représentantes d’Hautia.

80Cette course à travers l’espace, en se fondant sur le chemin des étoiles, est reliée au mode de navigation dans le Pacifique : les voyages au long cours sur les pirogues étaient dirigés par une succession de constellations à suivre (une dizaine par nuit). De la sorte les Polynésiens étaient parfaitement à même de se guider à travers l’Océan grâce à cette route, l’avei’a, qui servait de boussole.

81Il suffit, pour juger de la transposition, de s’imaginer dans le premier dialogue de sir Humphry Davy, « The vision » (Consolations in travel : or, The last days of a philosopher), dans lequel le héros est mené par un génie à travers l’espace.

I saw through it [a luminous atmosphere] the bright blue sky, the moon and stars, and I passed by them as if it were in my power to touch them with my hand. I beheld Jupiter and Saturn as they appear through our best telescopes, but still more magnified, all the moons and belts of Jupiter being perfectly distinct, and the double ring of Saturn appearing in that state in which I have heard Herschel often express a wish he could see it107.

82Le récif-barrière qui fait de Mardi un lagon crée aussi autour de lui les anneaux d’une planète comme Saturne. Comme dans « The vision » :

this is the border of an immense mass of liquid analogous to your ocean, but unlike your sea it is inhabited by a race of intellectual beings inferior indeed to those belonging to the atmosphere of Saturn, but yet possessed of an extensive range of sensations and endowed with extraordinary power and intelligence. I could transport you to the different planets and show you in each peculiar intellectual beings bearing analogies to each other, but yet all different in power and essence. In Jupiter you would see creatures similar to those in Saturn, but with different powers of locomotion; in Mars and Venus you would find races of created forms more analogous to those belonging to the earth108.

83Cette visite ailée de l’espace ressemble fort au songe merveilleux de Babbalanja au chapitre CLXXXVIII, qui le mène à travers la Voie lactée et lui dévoile les secrets de l’univers, la musique des sphères, la lumière céleste et les aurores.

84Le chapitre CLXXV est également consacré à l’astronomie, avec l’exposé de la sagesse de Bardianna, qui achève de corroborer la vaste métaphore qui fait de Mardi une planète, peut-être un avatar de Neptune-Océanus.

Who in Arcturus hath heard of us? They know us not in the Milky Way. […]
Peradventure at this instant, there are beings gazing up to this very world as their future heaven. But the universe is all over a heaven: nothing but stars on stars, throughout infinities of expansion. All we see are but a cluster.

Qui a entendu parler de nous dans Arcturus ? Qui nous connaît dans la Voie lactée ? […]
Il se peut qu’à cet instant même des êtres lèvent les yeux vers Mardi comme vers leur paradis futur. Mais l’univers entier n’est que ciel, étoile sur étoiles jusqu’à l’infini. Celles que nous voyons que sont qu’un bouquet parmi d’autres bouquets109.

85En effet la liste des étoiles et constellations citées est considérable : la Voie lactée, les Pléiades, Cassiopée, Sirius, le Bouvier avec Arcturus, le Cygne, l’Aigle, Capella dans la constellation du Cocher, Markab dans Pégase, Orion avec en particulier Rigel et Bételgeuse, la chevelure de Bérénice, la Croix du Sud, Denebola dans le Lion, le Taureau auquel appartient Aldébaran ainsi que d’autres signes du zodiaque : Cancer, Lion, Verseau, Poissons, Sagittaire, et les planètes, Jupiter, Saturne, Vénus l’étoile du berger…leur accumulation dessine un réseau dense de signes à interpréter. Comme dans la lecture du ciel, celui qui cherche sa route reconnaît les constellations de sens qui, à défaut d’être toujours absolument signifiantes en soi, aident à garder le cap. D’où, peut-être, une nouvelle lecture de l’aveu de l’aventurier :

Oh, reader, list! I've chartless voyaged. With compass and the lead, we had not found these Mardian Isles. Those who boldly launch, cast off all cables; and turning from the common breeze, that's fair for all, with their own breath, fill their own sails. Hug the shore, naught new is seen; and "Land ho!" at last was sung, when a new world was sought.

O lecteur, écoute ! J’ai voyagé sans carte. Ce n’est pas avec la boussole et la sonde que nous avons découvert les îles mardiennes. Ceux qui s’élancent hardiment rompent toutes les amarres et, se détournant des brises banales, propices à tous, gonflent leurs voiles de leur propre souffle. En serrant la côte, on ne découvre rien que de connu ; mais si l’on cherche un nouveau monde, alors éclate bientôt le cri victorieux : « Terre ! »110

86Ses instruments ne sont pas ceux du commun des mortels, mais le chemin des étoiles permet d’aller loin à condition d’être savant, attentif, persévérant, mais sans concession aux commodités et aux habitudes, qui ne montrent pas la voie de la découverte.

Les Révélations du Rêveur

87Dernier signe de la métaphore qui organise tout le roman, les « Révélations du Rêveur111 ». L’écriture de Lombardo donne un indice concordant :

though Lombardo abandoned all monitors from without; he retained one autocrat within—his crowned and sceptered instinct. And what, if he pulled down one gross world, and ransacked the etherial spheres, to build up something of his own— a composite:—what then? matter and mind, though matching not, are mates;

bien que Lombardo eût abandonné tous les guides extérieurs, il gardait un maître absolu au-dedans de lui : son instinct, avec sceptre et couronne. Et s’il démolissait un monde de matière grossière et pillait les sphères éthérées pour construire son univers à lui, composite, qu’importe ? La matière et l’esprit, quoique différents, sont compagnons112

88En saisissant l’originalité de sa démarche, on comprend mieux pourquoi Mardi est rarement traité comme un roman maritime, et pourquoi le public a boudé un texte qui n’avait pas le charme facile d’une lecture limpide. Une narration hétéroclite, une romance avortée aussitôt qu’ébauchée, une errance longue et ardue… Les savoirs du voyage sont multiples : savoirs attendus de la vie en mer, savoirs recherchés de l’anthropologie, savoirs goûtés de l’intertextualité, savoirs hermétiques de la métaphore scientifique – voire de la science-fiction ! Et la matière du récit est si composite que les savoirs pourtant si volumineux impedimenta du récit, semblent disparaître et paradoxalement perdre de leur réalité sous l’accumulation de la fantaisie et des symboles. Il n’est pas toujours simple de suivre des comètes, pas toujours facile de saisir au passage les astres chevelus et les tourbillons… Mais aussi, « Que la nuit est triste sans une étoile113 ! »

Notes de bas de page numériques

1  Eimeo, aujourd’hui Moorea.

2  Herman Melville, Omoo, éd. J.-M. Santraud, trad. O. Carvin, Flammarion, « GF », 1990, pp. 45-46.

3  H. Melville, La Vareuse blanche [White Jacket, 1850], trad. J. Villaret, Gallimard, coll. « L’Étrangère », 1994, p. 414.

4  H. Melville, Omoo, pp. 46-47.

5 Duessa : personnage de l’épopée d’Edmund Spenser, The Faerie Queene, 1590.

6 Henry Fothergill Chorley, London Athenaeum, 24 mars 1849. http://www.melville.org/hmmardi.htm (cons. 15 juillet 2011). « Si ce livre doit être pris comme une plaisanterie, la gaieté a été singulièrement laissée de côté – s’il se voulait une allégorie, la clef de la cassette a été « enfouie dans les profondeurs de l’océan » – s’il se voulait un roman, c’est un échec vu son ennui – s’il se voulait un poème en prose, on peut lui reprocher sa puérilité. Sur cent personnes qui vont en attaquer la lecture, leurrés par leurs souvenirs de Taïpi, quatre-vingt-dix vont l’abandonner à la fin du premier volume ; et les neuf lecteurs restants vont être si lassés, lorsque, pour la septième fois, le héros est assailli par les trois « Duessa » qui le poursuivent et le bombardent avec des fleurs symboliques, qu’ils vont laisser tomber leur chronique avant d’en avoir atteint les deux tiers… » (Nous traduisons.)

7  Le 24 novembre 1853, Harper aurait vendu 1779 exemplaires de Taïpi, 6328 d’Omoo, 2544 de Mardi, 4316 de Redburn, 4145 de La Vareuse blanche, 2771 de Moby Dick, 1946 de Pierre. Mais en 1878, Harper lui indique que depuis le 1er août 1876, le chiffre de ses ventes s’élève à 33 volumes d’Omoo, 35 de Redburn, 58 de La Vareuse blanche, 66 de Moby Dick (chronologie, éd. P. Jaworski, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. xlvi et lii).

8  Entre autres Merton M. Sealts Jr, Melville’s Reading. A Check List of Books owned and borrowed, The University of Wisconsin Press, Madison, Milwaukee and London, 1966.On y voit par exemple, à toutes fins utiles, que Melville lit les Affinités électives en 1854.

9  Melville a pu lire l’Odyssée durant ses études ou ses voyages mais l’on constate dans l’ouvrage (non exhaustif) de M. Sealts, Melville’s Reading, qu’il en acquiert une version, diffusée par Harper’s Classical Library en mars 1849. L’exemplaire annoté qu’il en possédait était une édition de 1857. 

10  Anne-Gaëlle Weber, Fictions du savoir, savoirs de la fiction, Atlande, 2011, p. 271.

11  Merrell R. Davis, Melville’s Mardi: A Chartless Voyage, New Haven (Conn.), Yale University Press, 1952, p. 45. « Mardi n’est pas un livre ou, comme certains l’ont fait observer, deux livres, mais trois. Y sont présentés les changements de plans d’un auteur qui entama son nouveau livre au plus tard à l’automne 1847, commença à prendre de nouveaux repères au 1er janvier 1848 et termina avec un troisième livre qui commença à prendre forme le 25 mars, mais peut difficilement avoir été fini avant l’automne ou le début de l’hiver 1848. Le livre fut finalement publié en mars 1849. » J. Michael Sears démontre cependant le contraire dans « Melville’s Mardi: One book or three? », Studies in the Novel, 1978, vol. X, n° 4, pp. 411-419.

12  Milton R. Stern, The Fine Hammered Steel of Herman Melville, Chicago/London, University of Illinois Press, 1957 [Mardi : p. 66-149], p. 73. « Melville insère les éléments artificiels adroitement, amenant le lecteur lentement d’un "autre livre des Mers du Sud" jusqu’au monde de Mardi. À aucun moment le lecteur ne peut mettre son doigt sur une page et dire "le changement est là" ». (Nous traduisons).

13  H. Melville, “New York March 25th 1848”, cité par Merrell R. Davis, Melville’s Mardi: A Chartless Voyage, pp. 214-215. « À John Murray, New York, 25 mars 1848 », D’où viens-tu, Hawthorne ?, trad. Pierre Leyris, Gallimard, 1986, p. 76.

14 Omoo, trad. O. Carvin, « GF », p. 49.

15 Omoo, trad. O. Carvin, « GF », p. 49.

16  Omoo, trad. O. Carvin, « GF », p. 450.

17 Mardi, chapitre 1: “We are off! […] But whence, and whither wend ye mariners?” éd. Northwestern University Press, p. 3 ; trad. R. Celli & P. Jaworski, Gallimard, « Folio », p. 7.

18 Mardi, chapitre 1: “ that greement needs not o be detailed. And having shipped but for a single cruise, I had embarked aboard his craft […],éd. Northwestern University Press, éd. « Folio », p. 10.

19  Melville, comme la plupart des navigateurs, note dans Taïpi que les femmes en Polynésie n’ont pas le droit d’utiliser une pirogue et sont obligées de nager.

20  On nous permettra de renvoyer à notre étude: « Stéréotypes et roman maritime : gros temps sur la Sea Trilogy. To the Ends of the Earth (Trilogie maritime) de William Golding », Loxias 17, 2007, http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=1755. De même, à la typologie que nous avons établie dans Le Roman maritime. Émergence d’un genre en Occident, PUPS, 2011, pp. 251-315.

21  Mardi, chapitre 36, éd. Northwestern University Press, p. 116, éd. « Folio », p. 107.

22  C’est par exemple un épisode de La Vigie de Koat-Vën, d’Eugène Sue (1833), des Aventures d’Arthur Gordon Pym d’EdgarPoe [The Narrative of Arthur Gordon Pym, 1838], du Vaisseau fantôme de Marryat (1839). Richard Wagner a consacré à ce motif un opéra, Le Vaisseau fantôme (Der Fliegende Holländer) (1843). Poe le reprendra encore dans « Manuscrit trouvé dans une bouteille » [Ms found in a bottle] (1856). La liste n’est pas close, et Melville a dû, à bord, entendre ce genre de récit. Le début de Benito Cereno, enfin, joue exactement sur la même ambiguïté.

23 Mardi, chapitre 32, “while for those who love science and hard names, be it known, that among the erudite naturalists he goeth by the outlandish appellation of ‘Xiphius Platypterus’.”, éd. Northwestern University Press, p. 104, éd. « Folio », p. 96.

24  Volume Atlande, p. 183.

25  E. A. Poe, « Manuscrit trouvé dans une bouteille » [Ms found in a bottle], dans Histoires extraordinaires [1856], trad. Charles Baudelaire, Gallimard, coll. « Folio », 1973, pp. 235-236.

26  Mardi, chapitre 31, éd. Northwestern University Press, p. 101, éd. « Folio », p. 94. (Nous soulignons).

27  R. H. Dana, Deux années sur le gaillard d’avant [Two years before the mast, 1840], trad. Simon Leys, Laffont, 1990/Payot, Petite Bibliothèque Payot, 1995, p. 21-22.

28  Mardi, chapitre 31.

29  Mardi, chapitre 38, “ After science comes sentiment”, éd. Northwestern University Press, p. 123, éd. « Folio », p. 114.

30 Mardi, chapitre 2, éd. Northwestern University Press, pp. 9-10, éd. « Folio », pp. 13-14.

31  J. Verne, Un capitaine de quinze ans, Paris, Hetzel, 1878, rééd. LGF, Le Livre de Poche, 2004, p. 75.

32  Mardi, chapitre 37, éd. Northwestern University Press, p. 120, éd. « Folio », pp. 110-111. C’est ainsi que le canot prend son nom : « Lingering not long in those silent vales, from watery cliff to cliff, a sea-chamois, sprang our solitary craft, – a goat among the Alps! »; « Sans s’attarder dans ces vallées silencieuses, de crête en crête, chamois de mer, notre esquif bondissait : une chèvre dans les solitudes alpestres. » Mardi, chapitre 12, éd. Northwestern University Press, p. 37 ; éd. « Folio », p. 38.

33 Mardi, chapitre 3, éd. Northwestern University Press, p. 14 ; éd. « Folio », p. 19.

34 Typee, chap IV, Penguin Classics, 1972, p. 56. (Nous traduisons).

35  H. Melville, “New York January 29th 1847”, cité par Merrell R. Davis, Melville’s Mardi: A Chartless Voyage, p. 210. « À John Murray, New York, 29 janvier 1847 », D’où viens-tu, Hawthorne ?, trad. Pierre Leyris, Gallimard, 1986, p. 72.

36  Chapitres lxviii et lxxxvi. La traduction de « poee » est apparemment problématique : Rose Celli omet de traduire le membre de phrase « and forcing them to diet on poee-pudding and banana blanc-mange » dans le premier cas, et garde « poee » dans le second. P. Jaworski traduit la proposition, dans le premier cas, par « ce qui les oblige à se nourrir de bouillie de popoï et de purée de bananes », p. 187 et par « poï », p. 236. De fait deux termes existent : po’e et pōpoi. Le po’e est une sorte de gelée d’amidon mélangée à de la banane, de la papaye, de l’ananas ou du taro, et cuite au four tahitien (ahima’a). La pōpoi est plutôt faite de fruit d’arbre à pain (‘uru) cuit au feu de bois et pilé. C’est ce fruit que Bligh était chargé de transplanter aux Antilles, ce qui a déclenché la mutinerie de la Bounty en 1797 : Bligh avait privé d’eau son équipage pour arroser les précieux pieds d’arbres à pain.

37  W. Ellis, Recherches polynésiennes, t. 2, pp. 502-503. P. Jaworski indique curieusement en note, éd. « Folio » p. 689 : « Récit inspiré d’Ellis (Polynesian Researches, t. iii, p. 39), qui relate une opération similaire mais dont l’issue fut immédiatement fatale. » (Nous soulignons). Cette opération est réputée d’après Ellis avoir été au moins parfois réussie.

38 Mardi, chapitre39, éd. Northwestern University Press, p. 130 : “ like a scroll of old parchment, covered all over with hieroglyphical devices, harder to interpret, I’ll warrant, than any old Sanscrit manuscript” ; éd. « Folio », p. 120.

39 http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:TonganCanoes.jpg.

40 Mardi, chapitre 22, éd. Northwestern University Press, p. 68 : “Her appellative had been bestowed in honor of a high chief, the tallest and goodliest looking gentleman in all the Sandwich Islands.” ; éd. « Folio », p. 65.

41  W. Ellis, Recherches polynésiennes, t. 2, pp. 880-882.

42 Mardi, chapitre 40, éd. Northwestern University Press, p. 130 : “ like a scroll of old parchment, covered all over with hieroglyphical evices, harder to interpret, I’ll warrant, than any old Sanscrit manuscript”, éd. « Folio », p. 120.

43 Mardi, chapitre 55, éd. Northwestern University Press, p. 169 ; éd. « Folio », p. 154.

44  Voir sur le tatouage P. et M.-N. Ottino-Garanger, Le Tatouage aux Îles Marquises. Te Patu Tiki, Papeete, Ch. Gleizal Editeur, 1998.

45  Mardi, chapitre 39, éd. Northwestern University Press, p. 127 : “For tattooed Samoa, he yet sported both kilt and turban, reminding one of a tawny leopard, though his spots were all on one place.” ; éd. « Folio », p. 117.

46 Mardi, chapitre 30, éd. Northwestern University Press, pp. 98-99 ; éd. « Folio », p. 92.

47  “which seemed rather incomplete” n’est pas traduit ici, ni par Rose Celli ni par Philippe Jaworski..

48  H. Melville, « Les Mers du Sud », conférence (1858-1860), À bord, trad. Guy Chain, Bordeaux, finitude, 2004, p. 35.

49  Mardi, chapitre 108, éd. Northwestern University Press, pp. 333-334 ; éd. « Folio », p. 293.

50  C’est l’interprétation du volume Atlande, qui y voit de l’ironie sur « la manière dont le dogme peut transformer le Verbe divin », voire de l’incohérence (p. 208).

51  Académie tahitienne, Dictionnaire tahitien/français, Fa’atoro parau tahiti/farani, Fare Vāna’a, 1999.

52  W. Ellis, Recherches polynésiennes, t. 2, p. 533.

53 Mardi, chapitre 52, éd. Northwestern University Press, p. 162 ; éd. « Folio », p. 148.

54  Le prénom existe en effet. Pour P. Jaworski, « Hautia » serait la fleur d’hibiscus (note de la p. 677) : la source ne semble cependant pas évidente (aute peut être en effet l’hibiscus, auti est la cordyline). En revanche, si l’on veut jouer à des approximations – ce que Melville pratique, du reste – le verbe « hauti » signifie harceler, taquiner, ennuyer… Et le nom de Hautia est aussi historiquement cité par Ellis.

55  Voir sur ce sujet la note de P. Jaworski sur la graphie de Melville pour les mots polynésiens et les problèmes de traduction qu’ils posent, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », pp. 1229-1230.

56  W. Ellis, Recherches polynésiennes, t. 2, p. 722.

57  W. Ellis, Recherches polynésiennes, t. 2, p. 720.

58  W. Ellis, Recherches polynésiennes, t. 2, p. 720.

59  Mardi, chapitre i, éd. Northwestern University Press, pp. 3-4 ; éd. « Folio », pp. 7-8. Nous soulignons.

60  Le tropique étant en 23° 26' 16".

61  Selon la proposition de Fiona McIntosh-Varjabédian, Fictions du savoir, savoirs de la fiction, Atlande, 2011, p. 45.

62  Bulletin de la Société de géographie, mars 1834, rapport de H. Ternaux, p 162. Il faudrait au moins supposer une coquille et rappeler que les circumnavigateurs pouvaient compter jusqu’à 360° entre deux passages du méridien de référence (et non deux fois 180°), et que, pour les Français qui rédigent ce Bulletin, le méridien de référence est celui de Paris (le méridien de Greenwich ne sera pris pour méridien de référence internationale qu’en 1884, et ne sera porté sur les cartes officielles françaises qu’à compter de 1913).

63  Correction apportée par la nouvelle édition de 1997 revue par Philippe Jaworski, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade p. 607, éd. Folio p. 7. La précédente traduction dans l’édition Folio n° 1497, de Rose Celli en 1968, portait bien « nord-est ». La rectification laisse donc perplexe.

64  On nous permettra de renvoyer sur ce point à notre contribution : « "Les marins me comprendront" : l’idiolecte de la mer », inBéatrice Bonhomme et Micéala Symington (dir.), Le Rêve et la ruse dans la traduction de poésie, Champion, 2008, pp. 305-322.

65  W. Ellis, Recherches polynésiennes, t. 2, p. 721.

66  Mardi, chapitre 89, éd. Northwestern University Press, p. 269 ; éd. « Folio », p. 241.

67  Comme le propose P. Jaworski, « Folio », note 1, p. 685.

68  H. Melville, « À John Murray, New York, 25 mars 1848 », D’où viens-tu, Hawthorne ?, trad. Pierre Leyris, Gallimard, 1986, pp. 76-77.

69  Explication de Hershel Parker (repris dans la bibliothèque de la Pléiade, p. 1341, « Folio », p. 676), dans Herman Melville, 1819-1851, Baltimore/Londres, The John Hopkins University Press, 1996, p. 515.

70  William Ellery Sedgwick, Herman Melville, The Tragedy of Mind, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1945, p. 37.

71 Mardi, chapitre 52, éd. Northwestern University Press, p. 161 ; éd. « Folio », p. 147.

72  Le terme de « goulet » dans la traduction pourrait être avantageusement remplacé par celui de « passe », qui désigne un passage naturel – souvent dangereux – dans le récif-barrière.

73 Mardi, chapitre 195, éd. Northwestern University Press, p. 654 ; éd. « Folio », pp. 598-599. 

74  Il avait aussi largement contribué à établir le Dictionnaire Tahitien-Anglais publié en 1851 par la London Missionary Society, dont le mérite revint au Révérend John Davies. Ce dictionnaire était prêt douze ans avant la publication et une première petite grammaire avait été publiée dès 1823. Teuira Henry, petite-fille du révérend Orsmond, a repris le manuscrit de son grand-père dans Tahiti aux temps anciens.

75  Voir aussi Philippe Bachimon, Tahiti entre mythes et réalités. Essai d’histoire géographique, Paris, CTHS, 1990.

76  Hershel Parker, Herman Melville, 1819-1851, Baltimore et Londres, The Johns Hopkins University Press, 1996, p. 515: « Or Melville may simply have taken “Mardi” from the legend spread over a stretch of the waters and archipelagos of the South Seas on an old map or globe Mar di Sud – that is Sea of the South, or South Sea. The legend occurs sometimes with “Mar di” on one line and the word “Sud” centered  underneath – a design that would have made easy for Melville to compress “Mar di” into one word.  » Rapporté par P. Jaworski, éd. « Folio », note 3, p. 676.

77  Mardi, chapitre 57, éd. Northwestern University Press, p. 176, éd. « Folio », p. 161.

78 http://www.vox-poetica.org/sflgc/concours/tx/savoirsetfictions.html. Voir aussi le volume Atlande, p. 302.

79 Mardi, chapitre 65, éd. Northwestern University Press, pp. 197-198, éd. « Folio », p. 180.

80 Mardi, chapitre 180, éd. Northwestern University Press, pp. 597-598, éd. « Folio », p. 542.

81 Mardi, chapitre 180, éd. Northwestern University Press, p. 596, éd. « Folio », p. 539.

82  F. Lestringant, Le Livre des îles. Atlas et récits insulaires de la Genèse à Jules Verne, Droz, 2002, p. 259.

83  « Mardi Gras » apparaît dans le sens français dans le Britannica World Language Dictionary (1965).

84  Rabelais, Le Quart Livre, chap. I, éd. Deffaux, Le Livre de Poche, p. 183.

85 Mardi, chapitre 189: “our search was over”, éd. Northwestern University Press, p. 638, éd. « Folio », p. 584.

86 Mardi, chapitre 189: “though she lead me beyond the reef; through sunless seas; and into night and death. Her, will I seek, through all the isles and stars; and find her, whate'er betide!"” éd. Northwestern University Press, p. 638, éd. « Folio », p. 585.

87  Floyd Gray, Rabelais et le comique du discontinu, Champion, 1994, pp. 167-168.

88  Rabelais, Le Quart Livre, chap. XXXVII, éd. Deffaux, Le Livre de Poche, p. 427.

89  Peut-être celle de Sir Thomas Urquhart of Cromarty et Peter Antony Motteux, dont une réédition date de 1838.

90  Rabelais, Le Quart Livre, chap. IIII, éd. Deffaux, Le Livre de Poche, p. 203.

91 Mardi, chapitre 38: “Now, sailors love marvels, and love to repeat them.”, éd. Northwestern University Press, p. 123, éd. « Folio », p. 113.

92  Byron, Le Pèlerinage de Childe-Harold, roman, trad. Amédée Pichot, Béziat, IV-CLXX, p. 214.

93  H. Melville, La Vareuse blanche [White Jacket, or The world in a man-of-war, 1850], trad. Jacqueline Villaret, Gallimard, « L’Étrangère », 1994, pp. 119-120.

94  Merrell R. Davis, Melville’s Mardi: A Chartless Voyage, New Haven (Conn.), Yale University Press, 1952, pp. 67-69.

95  C. Flammarion, La Pluralité des mondes habités,Librairie académique Didier, 1862, pp. 66-67.

96  A.-G. Weber, « Genres littéraires et révolutions scientifiques au XIXe siècle : l’exemple des astronomies populaires », Revue de littérature comparée, 2009-4, pp. 405-424

97 Mardi, chapitre 53: “white Taji, a sort of half-and-half deity, now and then an Avatar among them”, éd. Northwestern University Press, p. 164, éd. « Folio », p. 150.

98  Merrell R. Davis, Melville’s Mardi: A Chartless Voyage, p. 69. Il dit cependant n’avoir pas retrouvé la preuve de cette lettre qui cite Taije, signalée par Mrs Eleanor Melville. « Peut-être le choix du nom « Taji » pour le marin-narrateur de Melville, comme le fait de nommer le bateau l’Arcturion, au lieu du Léviathan comme à la fin de Omoo, furent-ils des changements effectués lorsque Melville découvrit que le voyage qu’il écrivait avait moins à voir avec les baleines qu’avec un tour imaginaire à travers la Voie lactée des îles du Sud. » (Nous traduisons.)

99 Mardi, chapitre 195, éd. Northwestern University Press, p. 654, éd. « Folio », p. 598.

100  α Bootis (Arcturus) est une géante orange, d’un diamètre 30 fois plus supérieur à celui du soleil ; elle est la 4e étoile la plus brillante vue de la Terre.

101 Mardi, chapitre 43: “A snow-white skin: blue, firmament eyes”, “gathered more closely about her a gauze-like robe”, “she declared herself more than mortal”, éd. Northwestern University Press, pp. 137-138, éd. « Folio », pp. 126-127.

102 Mardi, chapitre 64, éd. Northwestern University Press, p. 193, éd. « Folio », p. 176. L’ajout de « sous-marines » dans la traduction n’aurait, dans cette interprétation, plus grand sens.

103 Mardi, chapitre 195, éd. Northwestern University Press, p. 653,éd. « Folio », p. 597.

104 Mardi, chapitre 1: “to illustrate the Whistonian theory concerning the damned and the comets”, éd. Northwestern University Press, p. 5,éd. « Folio », p. 10. L’apparition des comètes était, dans l’imaginaire populaire, l’annonce de catastrophes.

105  C. Flammarion, La Pluralité des mondes habités,Librairie académique Didier, 1862, p. 83.

106 Mardi, chapitre 52: “we’ve discovered some new constellation in the sea”, éd. Northwestern University Press, p. 160,éd. « Folio », p. 147.

107  H. Davy, Consolations in travel: or, The last days of a philosopher, John Murray, éd. 1838, p. 42. « Je vis à travers [l’atmosphère lumineuse] le ciel tout bleu, la lune et les étoiles, et je passai à côté comme s’il était en mon pouvoir de les toucher de la main. Je contemplai Jupiter et Saturne comme ils apparaissent dans nos meilleurs télescopes, mais encore agrandis, avec toutes les lunes et ceintures de Jupiter parfaitement distinctes et le double anneau de Saturne apparaissant dans l’état où j’avais entendu Herschel exprimer souvent le souhait de le voir. »

108  H. Davy, Consolations in travel: or, The last days of a philosopher, John Murray, éd. 1838, p. 49. « C’est le bord d’une masse immense d’un liquide analogue à votre océan, mais, à la différence de votre mer, il est habité par une race d’êtres intelligents inférieurs assurément à ceux qui appartiennent à l’atmosphère de saturne, mais possédant néanmoins un large éventail de sensations et dotés d’un pouvoir et d’une intelligence extraordinaires. Je pourrais vous transporter sur les différentes planètes et vous montrer dans chacune de curieux êtres intelligents présentant des analogies entre eux, mais pourtant tous différents en pouvoir et essence. Sur Jupiter vous verriez des êtres analogues à ceux de Saturne, mais avec des capacités de locomotion différentes ; sur Mars et Vénus vous trouveriez des races de créatures ressemblant plus à celles de la terre. » (Nous traduisons).

109 Mardi, chapitre 175, éd. Northwestern University Press, pp. 575-576,éd. « Folio », p. 519.

110 Mardi, chapitre 169, éd. Northwestern University Press, p. 566,éd. « Folio », p. 499.

111 Mardi, chapitre 175: “Revelation of the Dreamer”, éd. Northwestern University Press, p. 576,éd. « Folio », p. 519.

112 Mardi, chapitre 180, éd. Northwestern University Press, p. 597,éd. « Folio », p. 541.

113 Mardi, chapitre 173; “so sad, the night without stars”, éd. Northwestern University Press, p. 567,éd. « Folio », p. 509.

Bibliographie

 Œuvres de Melville (dans l’ordre chronologique)

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Melville Herman, Omoo. Récits des mers du Sud [Omoo : Adventures in the South Seas, 1847], éd. Jeanne-Marie Santraud, trad. Olivier Carvin, Flammarion, « GF », 1990 ; Omou, trad. Philippe Jaworski, Œuvres, I, « Bibliothèque de la Pléiade », 1997

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Melville Herman, Moby Dick [1851], trad. Lucien Jacques, Joan Smith & Jean Giono, Gallimard [1941], « Folio », 1980, 2 vol. 

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Melville Herman, « Les Mers du Sud », À bord, [conférences 1858-1860], trad. Guy Chain, Bordeaux, finitude, 2004

Melville Herman, Billy Budd marin [Billy Budd, sailor, 1891, éd. posthume 1924], trad. Pierre Leyris, Gallimard, « L’Imaginaire », 2001

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Autres textes

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Pour citer cet article

Odile Gannier, « Mars, Marquises et Mardi gras : Mardi de Melville, et les savoirs du voyage « qui y mena » », paru dans Loxias, Loxias 35, mis en ligne le 14 décembre 2011, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=6956.


Auteurs

Odile Gannier

Professeur de littérature comparée, Université de Nice-Sophia Antipolis, CTEL. Auteur de travaux sur la littérature de voyage et le roman maritime.