Loxias | Loxias 20 Les paratextes : approches critiques  

Maria Cristina Pîrvu  : 

Quand le paratexte est texte. Et poésie. Analyse de cinq exemples extraits de l'oeuvre de Michel Butor

Résumé

L’article s’intéresse au cas particulier des paratextes qui atteignent un si haut degré d’autonomie, qu’ils deviennent des textes à part entière. L’auteur démontre cette émancipation du paratexte à partir de cinq exemples extraits de l’œuvre de Michel Butor, analysés sous l’angle de leur cohérence et de leur « poésie ».

Abstract

The paper deals with the peculiar case of the paratexts that break free from their (con)texts and become genuine texts. The author’s demonstration relies upon the analysis of five examples of Michel Butor’s paratexts and points out their coherence and poetical value.

Texte intégral

 « Un texte n’est un texte, que s’il cache au premier regard la loi de sa composition, la règle de son jeu. » (Jacques Derrida)

1Dans un colloque qui se propose d’étudier la façon dont le paratexte (en tant que mode d’emploi textuel) sert le Texte, notre hypothèse de travail, annoncée déjà par le titre, peut paraître paradoxale. Pourtant elle ne fait que s’intéresser à une autre facette de la réalité paratextuelle et surtout, au devenir de ces brins de texte généralement produits dans le but d’accompagner le Texte. Dans la perspective de notre étude, les paratextes sont des auxiliaires du Texte, mais il leur arrive parfois d’être eux-mêmes des textes à part entière.

2Les paratextes sont considérés comme des marques accessoires qui assurent l’entrée dans un texte : titre, sous-titre, notes, table des matières, préface, postface. Ce que nous essayons de surprendre c’est le moment où un tel auxiliaire du texte (un paratexte) acquiert une certaine autonomie et devient lui-même texte. A notre sens, une telle analyse est une bonne occasion pour reconsidérer ces « seuils » textuels sous leur propre jour : libres, entiers, rayonnant de significations et s’imposant par leur propre force de vie, qui est celle de la poésie.

3Ce n’est pas un hasard si notre corpus de « frontières textuelles » appartient à un poète de la frontière, à un maître du voyage scriptural et du passage textuel, comme Michel Butor. Les cinq exemples butoriens sur lesquels nous appuyons notre démonstration sont, dans l’ordre :

  • Une illustration textuelle des dessins « abstraits » de Pierre Soulages, texte conçu par Michel Butor dans le but de présenter les dessins dans le cadre d’un livre consacré à l’artiste.

  • la quatrième de couvertures du volume Illustrations (Gallimard, Paris, 1964)

  • la table des matières du volume Patience (Editions Métailié, Paris, 1991)

  • une introduction en vers : Ballade de l’œil brabançon, que Michel Butor écrit pour le volume de récits L’Aventure achevée de Georges Lambrichs.

  • les titres des ouvrages de Michel Butor parus dans les années 1980-1981. La liste des publications de l’écrivain étant énorme (et encore ouverte), nous choisissons de travailler sur un « échantillon » qui donnera (espérons-nous) un « avant-goût » de l’aventure paratextuelle dans laquelle s’inscrivent les titres butoriens.

4Nos interrogations visent la nature textuelle et la poéticité de ces éléments. Sont-ils des suites configurationnellement orientées d’unités séquentiellement liées et progressant vers une fin1 ? Ont-ils la cohésion et la cohérence d’un ensemble communicationnel ? Ont-ils une fin propre, indépendante de celle de présentation d’un autre texte ? Et puis, relèvent-ils vraiment de la poésie ? Participent-ils de la « matière-émotion », de cette pulsation de la langue, de cette intériorité, de ce « cœur » (à « apprendre par cœur »), de la fragilité et de la survie du hérisson (istrice) oublié sur l’autoroute2, de la surprise et de l’invention ?

5Nous répondons : oui, et nous explicitons notre réponse par la suite. A notre sens, la clé de la première question, concernant la nature « textuelle » du paratexte, se trouve déjà dans la dernière question, qui porte sur la poésie de ces éléments.

6Si nos analyses font des références minimales aux textes que nos cinq exemples de « paratextes » accompagnent, c’est pour mieux démontrer que ces paratextes peuvent vivre, du point de vue textuel, sur leur propre compte.

7Notre premier exemple présente le cas très intéressant d’une illustration textuelle (genre que Michel Butor cultive depuis une cinquantaine d’année, à travers des collaborations multiples, avec des peintres, des graveurs, des photographes, des musiciens, des sculpteurs). L’auteur l’a conçue en tant que paratexte : paragraphes d’introduction aux dessins abstraits de Pierre Soulages. C’est un cas rare (sinon unique) dans le travail de Michel Butor : le peintre furieux refuse ce paratexte qui serait, selon lui, nuisible à son œuvre, car « trop figuratif ». Ainsi, les paratextes butoriens n’apparaîtront jamais dans la compagnie des ouvrages graphiques qu’ils étaient censés présenter. Nous les retrouvons, solitaires et beaux, sous le titre « La méditation explosée. 59 figurations et défigurations pour Pierre Soulages », dans le n° 17 des Cahiers du Chemin, du 15 janvier 1973 (pp.20-45), et repris dans Illustrations III, le troisième volume de la série qui recueille une partie des créations de Michel Butor réalisées en collaboration avec des artistes plastiques. Toujours seul, l’ancien paratexte sera republié dans l’anthologie Michel Butor parue en 2004 chez Gallimard (L’Anthologie nomade) et publiée en ligne sur le site personnel de l’auteur. Depuis un bon moment, cet ensemble de 59(+1) paragraphes individualisés par des titres voyage tout seul dans le monde des textes.

8Il est important de souligner le fait que c’est justement la façon dont ce paratexte a servi son texte (le texte graphique de Soulages), en l’ « illustrant », en l’expliquant, en le rendant encore plus « visible » qu’il n’était, qui lui a valu la rupture définitive avec ce dernier et une émancipation totale. Le paratexte se trouve mis à la porte, licencié même par l’auteur du texte qu’il présentait, et devient ainsi lui-même « texte ». Michel Butor s’explique sur ce point dans un de ses entretiens avec Michel Sicard :

En littérature, des textes comme les miens sont un moyen de regarder ce qui est derrière la peinture, derrière toutes sortes de choses... – et même ce que le peintre préférerait qu'on ne sache pas sur sa peinture. C'est ce qui s'est passé pour un des textes d'Illustrations III où chaque morceau correspond très précisément à un dessin abstrait. Naturellement, on reconnaît immédiatement quel est le morceau de texte qui va avec le dessin : je me suis amusé à rendre ces dessins très figuratifs, de la façon la plus simple possible. Le peintre, lorsqu’il a lu ces textes, a été furieux, le livre qui devait se faire (un grand livre sur lui où mon texte devait paraître en liminaire) n'a pu l'être à cause de ça; il a refusé qu'on mette le texte à côté de l'image, comme si le texte révélait quelque chose qu'il ne voulait à aucun prix avouer. Le voyage dans l'envers était trop fortement efficace3 !

9Le paratexte en question a été tellement puissant que le texte s’est vu comme menacé par son « auxiliaire ». Le rapport de forces traditionnel entre un texte et son paratexte a été renversé, mais le simple refus (prononcé par l’auteur du texte graphique) n’aurait jamais transformé le paratexte butorien en « texte » si ses propres forces intérieures ne le lui permettaient. Les paragraphes de Butor ont survécu à leur rupture parce que chacun d’entre eux maintient un bon équilibre entre son degré d’ouverture (vers d’autres textes, et particulièrement, vers le texte graphique de Soulages qu’il devait illustrer) et son degré de clôture (sur lui-même, en tant qu’ensemble d’éléments qui constituent un « tout » unitaire) ou bien, pour reprendre la terminologie de Jean-Michel Adam, entre ses « forces centrifuges » et « ses forces centripètes 4 ».

10Par conséquent, notre analyse mettra en évidence ces forces centripètes, ces atouts internes qui font que « le paratexte » de La Méditation explosée. 59 figurations et défigurations pour Pierre Soulages soit « un texte », malgré le fait qu’il gardera toujours, dans son titre même, le souvenir de sa première fonction (« pour Pierre Soulages »)

11Chaque paragraphe renvoie à un dessin (comme « Les roseaux »), mais il y a également des paragraphes qui renvoient aux autres paragraphes (comme « La déclaration »). Nous avons choisi de travailler sur deux exemples pour des raisons liées à la clarté de l’exposé, mais les observations que nous faisons en marge de ces « illustrations textuelles » restent valables dans le cas des autres. Chacune d’entre elles est un texte à part entière, mais par le biais du jeu d’échos que des textes comme La déclaration met en place, elles se rassemblent dans un grand texte nommé « La méditation explosée ».

3) Les roseaux
Oscillant sans lassitude, au milieu de l’argent qui les enlace, leurs massues inscrivent sur les brumes leurs calculs, parmi les commentaires des cygnes. Une barque tire après sa corde emmêlée de prêles, comme pour arracher le crochet de rouille fiché dans la vase. Les brindilles flottantes se rassemblent autour d’une pierre noire immergée. La lune vient d’apparaître sur l’autre rive. C’est un cor maintenant qui hante le bruissement. Quelques éclats du dernier crépuscule. Un couteau abandonné sur le sentier; quelques brins de laine accrochés aux épines; un morceau de soie indigo à rayures blanches flotte dépenaillé à la légère brise qui se lève5.

12Conçu comme illustration textuelle d’un dessin, ce paragraphe ne produit pas qu’un tableau aquatique avec des roseaux, un barque, la lune, un couteau, des brins de laine et un morceau de soie indigo aux rayures blanches, mais surtout, une musique, un certain paysage sonore. Le texte se construit en relation avec un dessin, mais ce qu’il nous montre c’est le vent. L’écrivain « figure et défigure » des images; il nomme et ne nomme pas. Le titre nomme « les roseaux », le texte ne les nomme pas, mais les désigne par anaphore, dans sa première phrase : « Oscillant sans lassitude, au milieu de l’argent qui les enlace, leurs massues inscrivent sur les brumes leurs calculs, parmi les commentaires des ciygnes », et par la synecdoque des « massues ».

13Avec un geste similaire, l’écrivain semble nous faire entendre le vent dès la première ligne, par une admirable allitération en /s/ et en /ã/ : « Oscillant sans lassitude, au milieu de l’argent qui les enlace ». Pourtant ce vent n’est pas nommé ; on ne fait que supposer sa présence. Il ne sera nommé que dans la dernière ligne du texte : « à la légère brise qui se lève ». Il y a une progression sémantique et textuelle entre la première ligne et la dernière, qui nous fait comprendre que si l’oscillation des roseaux était une oscillation « sans lassitude », c’est parce qu’elle n’est pas due au vent (qui ne se lève qu’ « après », après l’apparition de la lune, par exemple). Elle est due au passage de quelqu’un. La personnification de la barque : « une barque tire après sa corde emmêlée de prêles » indique elle aussi une présence et un mouvement qui n’est pas déclenché par le vent. Comme la musique, le texte suggère. Comme dans un roman policier, on ne nomme pas l’auteur du crime.

14Ce paragraphe n’est pas qu’un passage qui décrit un dessin, mais aussi un texte musical et un texte policier. Par exemple, « l’argent » (« au milieu de l’argent qui les enlace ») n’est pas qu’une épithète qui rend l’aspect visuel de l’eau. Il est un terme qui peut y nommer ce qu’il nomme d’habitude : la monnaie. « Les massues » ne sont pas qu’une métaphore pour les bouts de roseaux ; le terme « massue » nomme, avant tout, une arme. Sans se contredire, le texte progresse pas de courtes séquences dans lesquelles une certaine information est répétée et enrichie : nous sommes devant les « signes » d’un crime, que seuls les commentaires des oiseaux, « cygnes », y inscrivent, par homophonie. Ces signes sont, tour à tour, figurés et défigurés, nommés et passés sous silence. Le texte se tient debout par la cohérence de ce trajet policier : « l’argent », « les brumes », une barque « au crochet de rouille fiché dans la vase », « un couteau abandonné sur le sentier, quelques brins de laine », « un morceau de soie indigo à rayures blanches » qui « flotte dépenaillé ». Au cœur du texte, une phrase cruciale concentre les échos de tous ces éléments et leur confère l’unité : « C’est un cor maintenant qui hante le bruissement ». Et nous ajoutons : « c’est un corps maintenant qui hante le bruissement textuel ». Par l’adverbe « maintenant », l’auteur réussit à introduire du temps dans la peinture et à transformer, plus explicitement, sa soi-disant description en amorce narrative. Dans un tel contexte, une banale épithète temporelle comme « le dernier crépuscule » acquiert des connotations funèbres : pour quelqu’un, ce crépuscule est son dernier crépuscule avant la mort. La mystérieuse image de « la pierre noire immergée » se lit « maintenant » comme la métaphore par laquelle on nomme un cadavre tombé au fond de l’eau.

15Le passage suit aussi une certaine progression syntaxique, car les phrases canoniques, pourvues de groupe nominal et groupe verbal, cèdent petit à petit la place à des phrases nominales, comme si le texte se figeait progressivement. À partir de la phrase « C’est un cor maintenant qui hante le bruissement » et jusqu’à la fin, toutes les phrases sont nominales; le prédicat verbal disparaît, de même que tout signe de vie. La mort se déclare à la fois dans la fiction et dans la syntaxe.

16Nous attirons l’attention sur la façon dont les différents fils sémantiques, phonétiques, stylistiques, descriptifs s’entrecroisent et arrivent à tisser ensemble un texte qui dit l’histoire d’un crime. Toutes les séquences informatives qui s’y enchaînent développent entre elles des relations effet-cause, comme celles qui organisent les scénarios des détectives.

17Les roseaux est un texte policier, mais aussi une partition que toute lecture à haute voix ou toute interprétation transformera en musique. Dans la perspective de notre approche, ce moment où un passage comme Les roseaux s’envole, rompt avec le monde du visible et du palpable, pour prendre la voie de l’air et du son, est le moment qui marque la scission entre lui et le texte qu’il présente dans sa qualité de paratexte. Paradoxalement, c’est ce moment même qui témoigne de la haute fidélité que l’écrivain Michel Butor manifeste par rapport à « l’art abstrait » de Pierre Soulages. Par sa cohérence musicale, le texte de Butor entre dans une zone aérée, dans un règne de lignes et de formes sonores qui ferait la joie de toute œuvre picturale abstraite.

18Pour mieux écouter ce passage et mieux saisir sa nature de « texte sonore » ou « tissu musical », il suffit de suivre les allitérations en /s/ qui s’entrelacent, petit à petit, à des allitérations en consonnes liquides(/l/,/R/) et reviennent dans les points clés du texte : « bruissement », « soie », « se lève » : pur paysage sonore, fait du silence imposé (/s/) et de la liquidité trouble (/l/,/R/).

19Il y a cet effort textuel d’envol vers la pureté du son, mais nous ne devons pas oublier le fait que c’est toujours à travers l’aspect sonore de la langue, que le mot « cor » nous fait voir « un corps » et « les cygnes » nous font voir des « signes ». Cette ambivalence du texte musical Les roseaux est représentative pour ce que l’auteur affirme dès son titre : ses textes sont autant de « figurations et de défigurations » des dessins de Pierre Soulages.

20Pour ce qui est des paragraphes comme La déclaration, ils sont des paratextes qui deviennent textes par leur haut degré de clôture, qui résulte de leur forte métatextualité :

2) La déclaration
J’agite mes mots dans mes paragraphes comme un pinceau dans un godet. J’ai mis en branle autour de ces images une agitation irradiante, et chacune appelle ses voisines à l’aide pour retrouver mieux leur énergie commune; ainsi le miroir déclare à la braise : “venez vous dédoubler dans mes illusions, venez vous rafraîchir aux apparences de flammes que j’ai su vous emprunter”; et celle-ci de lui répondre : “venez vous ternir en sigles d’haleine, cher diseur d’aventure, venez palper votre avenir dans ma nuit rouge”; ainsi cette déclaration murmure au baiser : « venez m’accomplir », et celui-ci dans son silence la supplie de se renouveler.

21En écrivant ce fragment, l’auteur traite de sa propre écriture : « j’agite mes mots dans mes paragraphes comme un pinceau dans un godet ». Il semble parler d’un geste très concret, mais son art relève de l’art abstrait, car son écriture ne renvoie pas à des objets quelconques du monde visible, mais à elle-même. Les mots mis en italiques sont des titres de quelques paragraphes de la Méditation explosée, notamment 29. le miroir, 32.la braise, 2.la déclaration, 59.le baiser. Un passage (le miroir) « déclare » quelque chose à un autre (la braise), mais cette déclaration est, elle aussi, un paragraphe (la déclaration) comme les deux autres. Ce paragraphe même dit l’histoire de sa construction au carrefour des jeux intertextuels entre les deux autres. Le baiser, en tant que dernier paragraphe de la série des 59, ne peut qu’ « accomplir » cette aventure. Dans La méditation explosée, un 60e paragraphe apparaît (Blanc), signe du fait que la déclaration a répondu au murmure du baiser qui « dans son silence la supplie de se renouveler ».

22Le paragraphe 2. la déclaration rend un dialogue entre les différents paragraphes. Son parallélisme syntaxique : « ainsi., et celle-ci… », « ainsi…, et celui-ci… » redouble l’effet d’un autre parallélisme dans lequel il s’inscrit : selon la déclaration, le paragraphe 32 répond au paragraphe 29, et le paragraphe 59 répond au paragraphe 2, mais ces couples de paragraphes en dialogue sont formés par des paragraphes symétriques : 29+32=61 ; 59+2=61. C’est la façon dont « le paratexte » de La Méditation explosée. 59 figurations et défigurations pour Pierre Soulages déclare qu’il est « texte », c’est-à-dire un ensemble textuel harmonieux, symétrique, complet. Le « paratexte » 2.déclaration est « texte », parce qu’il est, avant tout, « métatexte » et « intertexte ». Il est un texte en lui-même, mais il témoigne aussi de l’unité de l’ensemble des 59 figurations et défigurations, par ce qu’il dit, d’une part : « chacune appelle ses voisines à l’aide pour retrouver mieux leur énergie commune », et par ce qu’il fait, d’autre part : il réunit d’autres paragraphes dans un jeu d’échos.

23Nous arrivons à notre deuxième exemple, qui est la quatrième de couverture du volume Illustrations (Gallimard, Paris, 1964) de Michel Butor :

Nrf
Michel Butor
ILLUSTRATIONS
d’images absentes qui étaient elles-mêmes des
ILLUSTRATIONS
de textes absents qui seraient eux-mêmes leurs
ILLUSTRATIONS
Michel Butor
Nrf

24Cette quatrième des couvertures reprend des éléments de la première : sigle de la maison d’édition, nom de l’auteur, titre, et les « illustre » par une définition apparemment circulaire et un jeu vertigineux de répétitions et différences. L’aspect graphique du texte est très important : la mise en page, avec un souci de symétrie, le choix des caractères d’impression vont dans la direction d’une sorte de texte-image. Ce passage est « une illustration » qui traite justement du sujet des « illustrations » : c’est un passage métatextuel.

25On peut lui refuser le statut de texte, sous prétexte qu’il ne serait pas constitué d’un enchaînement de phrases. Mais des notations comme nrf, Michel Butor, ILLUSTRATIONS peuvent passer pour autant de phrases nominales et, d’ailleurs, le fait que les seules phrases à structure canonique que nous y lisons sont des phrases relatives et descriptives du genre : « (d’images absentes) qui étaient elles mêmes des ILLUSTRATIONS de textes absents /qui seraient eux-mêmes des ILLUSTRATIONS… » montre à quel point l’idée d’ « illustration » est célébrée dans ces lignes. On y convoque les puissances illustratrices de la syntaxe.

26Le passage s’appuie sur une répétition de l’information, qui va jusqu’à la répétition littérale des termes. L’apport d’information nouvelle ne contredit jamais l’information existante. Les éléments s’enchaînent par des relations d’ « illustration » : ils s’illustrent les uns les autres et réussissent aussi à suivre une certaine progression, qui va des « images absentes » vers des » textes absents », d’un passé proche (« étaient ») vers un futur possible (« seraient »). On passe de l’image vers le texte par « l’absence » : le texte s’installe dans le blanc que l’image lui confère. Le temps de ce passage est le présent du geste d’illustration : entre les illustrations qui « étaient » et les illustrations qui « seraient », le lien s’établit à l’aide de ce présent du verbe « illustrer » que l’écrivain partage avec son lecteur.

27La première et la troisième occurrence du mot ILLUSTRATIONS ont comme référent les textes de Michel Butor présents dans le volume. La deuxième occurrence renvoie aux images en marge desquelles ces textes ont été élaborés : gravures, peintures, dessins. L’inscription d’un mot comme ILLUSTRATIONS dans la couverture a toujours la même forme, donne toujours la même « image », mais au-delà de cette image, « le texte » du monde se renouvelle sans cesse.

28En dehors du volume qu’il présente sur sa quatrième des couvertures, ce passage textuel soigneusement mis en page vit sa propre vie de texte théorique (et néanmoins poétique), portant sur la question du procédé d’illustration.

29Notre troisième exemple est celui de « La table » du volume Patience (Editions Métailié, Paris, 1991) :

TABLE
Première palissade
1 Les Nuages de Magellan
2 Galet
3 Aux deux bouts de la ligne
4 Victor Hugo écartelé 1
5 Prémonitions
6 Même Galet
7 Ecrire sur les boules 1
8 La Ligne de Vie
9 Météore première séquence
10 Bouteille de survie

Deuxième dallage
1 Fibre
2 Encore le même Galet
3 Le Rayonnement des Tissus
4 Victor Hugo écartelé 2
5 Le Village
6 Toujours le même Galet
7 Ecrire sur les boules 2
8 La Prairie des Eveils 1
9 Météore deuxième séquence
10 La Thébaïde

Troisième paroi
1 Ailes
2 Une cinquième Fois ce Galet
3 Lisières
4 Victor Hugo écartelé 4
5 Au Lac des Nixes
6 Une sixième Fois le même
7 Ecrire sur les Boules 3
8 La Praiie des Eveils 2
9 Météore troisième séquence
10 Territoire

Quatrième galerie
1 Une Cuillerée de Texte
2 Une septième Fois le même Galet
3 Hublots
4 Victor Hugo écartelé 4
5 Le long du Fleuve
6 Une huitième Fois
7 Ecrire sur les Boules 4
8 La Prairie des Eveils 3
9 Météore quatrième séquence
10 Entre-Temps

Cinquième croisée
1 Quelques Arpents de Neige
2 Une neuvième
3 Chant de Fouilles
4 Victor Hugo écartelé 4
5 La Ligne de Partage des sangs
6 Dixième
7 Ecrire sur les Boules 5
8 La Prairie des Eveils 4
9 Météore cinquième séquence
10 Je t’attends

Sixième parterre
1 Haute Tension
2 Et encore une onzième
3 Projet d’un Livre sur Papier Epais
4 Victor Hugo écartelé 6
5 Le Scribe
6 Et enfin une Douzième Fois le même Galet
7 Ecrire sur les Boules 6
8 Lames de salut
9 Vénus et l’Amour
10 Madrigal

Envoi
Table6

30Cette table des matières n’est pas une table des matières comme les autres. Elle sert le texte qu’elle accompagne et pourtant, elle ne le sert pas toujours. Premièrement, elle semble le servir par la notation des titres des parties, qui par leur progression, « rangent » la matière du texte. Nous soulignons le fait que ces titres des six parties du volume n’apparaissent pas dans le corps de son texte; ils ne surgissent qu’à l’occasion de cette « Table ». En apportant quelque chose de nouveau par rapport au texte qu’il est censé présenter, notre « paratexte » se libère, en quelque sorte, de l’emprise de la masse textuelle du volume. Deuxièmement, cette « table » ne contient aucune indication de pages, ce qui fait « un renvoi de moins » au texte. Les chiffres qui y apparaissent indiquent soit la position d’un chapitre dans une partie (« 1 Les nuages de Magellan 2 Galet 3 Aux deux bouts de la ligne » etc), soit la suite d’un texte dans une autre partie (« Météore première séquence », « Météore deuxième séquence », « Météore troisième séquence »). Nous pensons que cette « Table » est un texte, un poème ritournelle, basé sur des multiples répétitions : le même nombre de chapitres (10) dans chaque partie; des séries du genre Ecrire sur les boules 1, 2, 3, 4, 5, 6 ; La Prairie des Eveils 1, 2, 3, 4 ; Victor Hugo écartelé 1, 2, 3, 4, 5, 6 ; deux textes « galet » dans chacune des parties, mais s’inscrivant aussi dans une progression architecturale, qui décrit un itinéraire de la patience : « Première palissade, Deuxième dallage, Troisième paroi, Quatrième galerie, Cinquième croisée ». L’ordre des chiffres va de pair avec le sens du parcours : de l’extérieur vers l’intérieur, de « la palissade » vers « la croisée » – chemin d’une patience monacale. A part cette patience du mouvement, la Table nous donne aussi un exemple de la patience du non-mouvement, de la patience qui subit, de la patience dans la passivité : le galet. Les titres compris dans la Table nous y indiquent une variation dans la répétition : Galet, Même Galet, Encore le même Galet, Toujours le même Galet, Une cinquième Fois le Galet, Une sixième Fois le même, Une septième Fois le même Galet, Une huitième Fois, Une neuvième, Dixième, Et encore une onzième, Et enfin une Douzième Fois le même Galet. La progression de la Table est rendue visible par des titres comme « Encore le même Galet » ou « Toujours le même Galet » et sa clôture est déclarée à l’occasion du même Galet : « Et enfin une Douzième Fois le même Galet ».

31A travers le jeu des répétitions et variations, cette Table progresse vers une fin; elle s’impose par elle même comme texte, comme cantique de la patience et de l’avancement par le même.

32Notre quatrième exemple est un paratexte qui préface le volume de Georges Lambrichs, L’Aventure achevée. Il s’agit d’un livre de récits précédés d’une « Ballade de l’œil brabançon » par Michel Butor (La Différence, Paris, 1991). Comme une confirmation de son autonomie par rapport au texte de Georges Lambrichs, la Ballade est republiée seule sur le site personnel de Michel Butor.

Ballade de l’œil brabançon

C’était après la fin d'une guerre dont nous savions bien
malgré tous nos espoirs et discours qu'elle ne pouvait être la dernière
Michel Carrouges m'a mené dans ton bureau des jeunes Editions de Minuit
alors Boulevard Saint-Germain où tu rêvais une revue
qui devait s'appeler Zène et pour laquelle tu as eu l'amabilité
l'œil à la fois inquisiteur et transparent de me demander un essai
avant d'exorciser notre timidité autour d'une bière élégante

Curieux de ce que tu pouvais écrire j'ai alors découvert
cette espèce de givre romanesque cristallisation des instants
aussi loin que possible de tout ce que je pouvais et désirais faire
avec ce côté 1900 comme chez les jeunes Gide et Proust
mais revu par un soupçon de Maeterlinck et même d'Henri Michaux
alchimie pratiquée dans les vapeurs du Nord imprégnant à Paris
chapeau journaux et pipe en écume de bière élégante

Depuis l'échauguette d'ivoire où tu avais installé ton athanor glockenspiel
tu prêtais une oreille à tous les bruits du monde même à ceux
qui ne cessent depuis de nous menacer pour y démêler
porté le plus souvent par de tout autres voix le parfum tant cherché
l'isolant comme un élixir sur les rayonnages de tes collections
c'est pourquoi revenant d'Egypte et d'Angleterre je suis venu t'apporter
mon premier touffu manuscrit dans la protection d'une bière élégante

Prince lecteur depuis que tu me suis dans tant de frasques d'écriture
toujours attentif à travers les ombres aux flores et faunes de tous chemins
il me manque d'avoir achevé en ta compagnie quelque aventure
sur la Grand Place par exemple à la découverte d'une bière élégante

Michel Butor, Lucinges, le 24 février 1991

33Cette fois, il y a moins de doutes sur le fait que ce paratexte soit également un texte indépendant. Le titre et sa forme nous montrent son appartenance à un genre littéraire bien précis, qui est celui de la ballade. L’écrivain Michel Butor rend hommage à son premier éditeur à travers un poème qui raconte leur rencontre. Les renvois au texte proprement dit du volume de récits L’Aventure achevée sont toujours intégrés à l’histoire (« in progress ») de leur relation humaine : « il me manque d’avoir achevé en ta compagnie quelque aventure/sur la Grand Place par exemple à la découverte d’une bière élégante ».

34Par ces derniers vers, la ballade réussit un double geste. Elle s’ouvre vers le livre qu’elle précède (le volume de récits L’Aventure achevée), mais elle se ferme sur elle-même, par cette image symbole de l’amitié, qui revient comme un refrain de ballade : « sur la Grand Place par exemple à la découverte d’une bière élégante » (voir aussi « avant d’exorciser notre timidité autour d’une bière élégante », « chapeaux journaux et pipe en écume de bière élégante » et « mon premier touffu manuscrit dans la protection d’une bière élégante »). Le poème vit en dehors du volume de Lambrichs, pour plusieurs raisons, dont une est rendue évidente par le titre : « Ballade de l’œil brabançon ». Un paratexte auxiliaire du texte aurait mis l’accent sur l’activité de l’écrivain Georges Lambrichs, or le poème de Butor est dédié au regard du grand lecteur (« Prince lecteur ») Georges Lambrichs : éditeur de Butor, car lecteur courageux d’un manuscrit touffu, écrivain intéressant, car bon lecteur de Proust, Gide, Maeterlinck.

35La « Ballade de l’œil brabançon », de cet « œil du Nord », « inquisiteur et transparent », est une composition textuelle qui se tient debout, en tant que « texte » indépendant, grâce à la cohérence que lui confèrent le genre de la ballade, la description des grands moments d’une histoire d’amitié, l’hommage poétique à un Œil nordique et lecteur. Ces fils textuels s’entrecroisent et tissent un « texte » plein de nostalgie et d’humour, très différent de l’écriture du volume L’Aventure achevée : « cette espèce de givre romanesque cristallisation des instants/ aussi loin que possible de tout ce que je pouvais et désirais faire ».

36Avec le cinquième de nos exemples (et le dernier), nous entrons sur un territoire paratextuel assez spécial : l’index des publications d’un écrivain. Nous analysons un extrait d’une telle liste sous le jour de la notion de « paratexte », car nous considérons qu’elle est une véritable porte vers l’œuvre proprement dite, une voie d’accès vers la création de l’écrivain en question.

37Elle ressemble à une « table » de l’œuvre, sauf que dans son cas, l’indication des pages est remplacée par l’indication des années de parution. Lisons cet index des publications butoriennes des années 1980-1981 :

Envois, 1980.
La Papillonne, 1980.
Le Déjeuner sur l'herbe, 1980.
Au plus blanc de la nuit, 1980.
Autres Personnages d'Elseneur, 1980.
Colloque des mouches, 1980.
Contre-plongée, 1980.
Entre deux avalanches, 1980.
Hé, 1980.
Herbier lunaire, 1980.
Les Nuages de Magellan, 1980.
# Outresoir, 1980.
Personnages d'Elseneur, 1980.
Plongée, 1980.
Saga, 1980.
Introduction à la nouvelle spectrophilie, 1980.
La Sylphide, 1980.
Sur les traces, 1980.
# Tableaux vivants, 1980.
Froissages Relief, 1980.
Tarot, 1980.
Chevelures du temps, 1980.
Le Bout des bordes, 1980.
Jeux de boules, 1980.
Elseneur, 1980.
La Propriété des souffles, 1980.
Mille et une caravanes, 1980.
Musique de chambre noire, 1980.
Les Yeux perdus, 1980.
Vanité, 1980.
Explorations, 1981.
Quadruple fond, 1981.
L'Oiseau entre le zist et le zest, 1981.
50 aphorismes de Lichtenberg, 1981.
Au Sérail d'Ivry, 1981.
Ballade à toute vitesse, 1981.
Essence de maelström, 1981.
Fable minute, 1981.
# Fenêtres sur le passage intérieur, 1981.
Filaments sensibles, 1981.
La Main sur le mur, 1981.
Mœurs exotiques, 1981.
Réminiscences du corbeau, 1981.
Valse de Vancouver, 1981.
Une semaine d'escales, 1981.
Ferments d'agitation, 1981.
Rumeurs de la forêt, 1981.
Chronique des astéroïdes, 1981.
De l'origine des dieux, 1981.
La Face nord, 1981.
Le Pays brûlé, 1981.
La Porte du pays brûlé, 1981.
Signaux de fumée, 1981.
Projet d'un livre sur papier épais, 1981.
Shirley Goldfard, 1981.
Niveaux, 1981.
Don Juan dans la propriété des souffles, 1981.
# La Vallée des dépossédés, 1981.
Sans dessus dessous, 1981.
Métro, 1981.
Textamorphose ou la réabsorption du commentaire, 1981.
Treize à la douzaine, 1981.
Le Rêve de Klaus, 1981.
Vingt Rébus, 1981.
Conversation vénitienne, 1981.

38Lignes d’un poème itinérant qui dit le foisonnement d’un œuvre et fait entendre le battement de son cœur, ces mots et syntagmes mis en italiques sont scandés par les noms des années. Ce n’est pas une coulée de mots, mais un ensemble de nœuds et de retours qui nous font penser à une sorte de tissu bien réel, même si assez évanescent. Par exemple, il y a des éléments comme Autres personnages d’Elseneur, Personnages d’Elseneur, Elseneur qui marquent un retour, une gravitation autour d’un mot centre qui évoque le célébrissime texte de Shakespeare. D’autres titres d’ouvrages tissent entre eux des liens qui les réunissent dans un archipel textuel du voyage : Sur traces, Mille et une caravanes, Valse de Vancouver, Une semaine d’escales, Explorations, Métro, Conversation vénitienne. Il y a aussi des titres comme La Propriété des souffles et Don Juan dans la Propriété des souffles qui développent des liens basés sur l’écho et la reprise.

39Plusieurs titres à résonance picturale « illustrent » leur contexte avec des évocations d’images : Le Déjeuner sur l’herbe, Tableaux vivants, Vanité.

40Cette liste n’est pas un jeu du hasard, mais un jeu du travail et du hasard, qui nous donne plusieurs indices sur l’activité scripturale de Michel Butor, sur ses axes d’intérêt et ses lignes de fuite. Regardons ces formules métaphoriques qui témoignent de l’évolution poétique d’une certaine vision sur la temporalité :

Au plus blanc de la nuit (1980)
Outresoir (1980)
Chevelures du temps (1980)
Ballade à toute vitesse (1981)
Fable minute (1981)
Une semaine d’escales (1981)

41Les mots (« le blanc de la nuit », « l’outresoir », « chevelures du temps ») et les nombres (1980, 1981) y dialoguent sur le temps : temps de la poésie, enseveli dans l’oxymore (« au plus blanc de la nuit »), dans la métaphore (« chevelures du temps ») ou dans la pure création de mots (« outresoir ») – temps épais, tissé, textuel, d’une part, et temps des horloges (avec ses répétitions à l’identique : 1980, 1980, 1980, 1980 et puis, 1981, 1981, 1981…), d’autre part. Texte du monde et texte écrit s’y rythment l’un l’autre. Les genres littéraires se temporalisent : « Ballade à toute vitesse », « Fable minute », le temps s’humanise : « chevelures du temps » ou se « territorialise » : « outresoir ».

42Peut-on toujours dire, après la traversée d’un tel poème-liste, que les années 1980 et 1981 sont restées les mêmes dans notre conscience ? Le contexte poétique de leur répétition (à l’occasion de ce paratexte) les transforme en refrains et les textualise.

43Même si un tel paratexte devient « texte », il reste pourtant un texte ouvert. Si la liste des titres des ouvrages d’un auteur est un texte, un enchaînement de séquences qui se dirigent vers une fin, cette fin n’est que sa propre clôture : une certaine circularité, un jeu d’échos aussi complexe que possible. Nous rappelons sur ce point le projet balzacien de La Comédie humaine et le projet mallarméen du Livre.

44Quand le nombre des ouvrages d’un auteur est très grand, comme dans le cas de Michel Butor, les titres eux-mêmes s’organisent dans une liste traversée par de fortes tensions poétiques, dans laquelle nous redécouvrons la splendeur et l’apparente simplicité du premier principe d’écriture, qui a été celui de l’inventaire.

45Un dernier mot sur nos cinq exemples de « paratextes »-« textes ». « Les roseaux » ne raconte pas une histoire policière, mais crée une atmosphère mystérieuse et noire de polar et nous envoûte par sa musique. « La déclaration » est le triomphe de l’unité, du cercle parfait qui se ferme sur lui-même, mythique Ouroboros (serpent qui se mord la queue) ou bien, reflet d’un Cosmos textuel dans son propre miroir ? Ou bien, hérisson blotti sur lui-même, enfermé en lui-même, roulé en boule, menaçant et menacé ?

46La quatrième de couverture du premier volume de la série Illustrations frappe par sa mise en page et ses caractères, de même que par son message circulaire. Court poème qui dit et se dit. Calligramme du volume.

47La Table du volume Patience est un cœur qui continue de battre. Ses titres sont comme les lignes d’un poème à plusieurs refrains, qui apprend les leçons de la patience, de l’avancement par le « même ».

48La « Ballade de l’œil brabançon » est une ballade, donc un poème. Avec une teinte d’humour et un brin de nostalgie.

49L’index des titres des années 1980-1981 s’organise dans une suite de lignes qui scandent des mots et des syntagmes – ainsi mis en valeur et brillant de tous leurs feux, car, dans un tel contexte, l’auteur ne peut que « céder l’initiative aux mots ». Le lieu textuel où les mots se libèrent des contraintes imposées par l’usage est la poésie.

50Notre démarche a comme point de départ un phénomène transtextuel (la paratextualité), qu’elle interprète en clé textuelle, par le biais d’un élément architextuel (celui de la catégorie des « textes poétiques » ou du genre du « poème »). Ce qu’elle vise à démontrer c’est que les paratextes, en tant que « seuils », céder l'initiative ne sont pas que des espaces de fuite vers les textes qu’ils accompagnent, mais aussi des espaces à forte densité textuelle.

51Quand « un paratexte » devient « texte », la vitesse de sa lecture ralentit. Les lecteurs pressés, grands amateurs de raccourcis paratextuels, retrouveront ainsi, paradoxalement, le goût de la lenteur et « le plaisir du texte ».

Notes de bas de page numériques

1 Nous reprenons, avec une légère et essentielle modification, la définition du texte donnée par Mariana Tuţescu in Du mot au texte, Bucarest, Editions Cavallioti, 1996, p. 232. Nous remplaçons le syntagme « suite de phrases » par celui de « suite d’unités », car nous pensons que le texte n’est pas qu’« une unité linguistique supérieure à la phrase ».
2 Jacques Derrida, « Che cos’è la poesia? » in Points de suspension, Paris, Galilée, 1992, p. 306.
3 Michel Butor, « Michel Butor au travail du texte » in Entretiens. Quarante ans de vie littéraire, vol. II, Joseph K (Nantes). Editeur, Paris, 1999, p. 166. Les soulignements nous appartiennent.
4 Jean-Michel Adam, « Textualité et transtextualité d'un conte d'Andersen », Poétique, n°128, novembre 2001, p. 422.
5 Michel Butor, L’Anthologie nomade, Paris, Gallimard, 2004, p. 121.
6 Michel Butor, Patience, Paris, Editions Métailié, 1991, pp. 116-118.

Pour citer cet article

Maria Cristina Pîrvu, « Quand le paratexte est texte. Et poésie. Analyse de cinq exemples extraits de l'oeuvre de Michel Butor », paru dans Loxias, Loxias 20, mis en ligne le 14 mars 2008, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=2149.


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Maria Cristina Pîrvu