Loxias | 75. Autour des programmes d'agrégation et concours 2022 | I. Autour des programmes 2022 

Francis Gingras  : 

Peut-on en finir avec La Mort du roi Arthur ?

Résumé

À plus d’un titre, La Mort du roi Arthur est un texte de la limite. Avec la mort du roi annoncée dès les premières lignes, le roman lie la narration à une réflexion sur l’écriture de la fin. Il relate à la fois le terme d’une vie, celle du roi qui sert de repère aux biographies romanesques d’autres héros, mais il marque aussi le terme d’une suite romanesque et se trouve ainsi confronté à la question de la clôture d’un cycle. L’écriture de la Mort du roi Arthur participe par ailleurs d’une esthétique eschatologique caractéristique de l’imaginaire du Moyen Âge central. Or, malgré cette omniprésence de la fin du monde, le roman n’arrive pas à une parfaite clôture et contribue à alimenter le questionnement sur la possibilité, ou non, de jamais en finir avec la matiere de Bretagne.

Abstract

In many ways, La Mort du roi Arthur could be described as obsessed with limits. With the king’s death foretold from the first lines, it ties the narrative together with a reflection on what it means to finish a story. La Mort du roi Arthur tells the last moments of the king who represented a standpoint for other fictional biographies, but it also marks the end of a sequence and is thus confronted with the question of the closure of a cycle. The writing of La Mort du roi Arthur also participates in an eschatological aesthetic, characteristic of the imagination of the central Middle Ages. Despite this fascination for the end of the world, the romance does not come to a perfect end and thus contributes to raising questions about the possibility, or not, of never ending the “matiere de Bretagne”.

Index

Chronologique : Moyen Age

Plan

Texte intégral

À la mémoire de Francis Dubost

1Dès ses premières lignes, La Mort du roi Arthur se présente comme un texte de la complétion. Il promet l’achèvement d’un projet narratif dont il affirme prendre la suite. Il affiche son statut de texte ultime, tant par son titre affiché dans le prologue que par l’annonce qui est faite, dès les premières lignes, de la manière dont le récit doit se conclure. Il est étonnant de faire ainsi le choix d’ouvrir un roman sur la divulgation de son dénouement. Certes, la notion de suspense dans le roman médiéval ne saurait être confondue avec celle d’une série télévisée ou d’un roman policier, mais il y a bien, dès les premières lignes de la Mort du roi Arthur, une forme de saturation du discours de la fin qui contraste avec les pratiques de l’incipit dans la narration médiévale.

2Le discours qui se met en place dès l’ouverture du roman, matérialisé notamment dans la tradition manuscrite, s’apparente davantage à une relance de la narration qu’à un seuil à proprement parler. Ce roman de la fin se révèle ainsi un roman sans véritable commencement. Surtout, la tonalité eschatologique, qu’on n’a pas manqué de relever au sujet de ce récit de la chute du monde arthurien, apparaît finalement comme une affaire de discours et d’interprétation dans un univers narratif où l’aventure est redéfinie. Cette réorientation de la narration à partir de la mise en cause d’un des éléments centraux de la définition du roman médiéval (l’aventure) a une incidence certaine sur le rapport que ce texte entretient avec la perspective d’un au-delà narratif, au terme du roman. À travers la multiplication des morts et la volonté affichée d’épuiser les possibles narratifs, La Mort du roi Arthur n’arrive pas pour autant à une clôture parfaite et sa fin alimente subtilement la relance, voire le renouvellement continu, de la forme prose.

Le début de la fin

3La Mort du roi Arthur est un roman de l’après. Son incipit pose d’emblée le texte comme une suite, chargée de combler un manque en conduisant le récit de la vie des personnages jusqu’à son terme :

Aprés ce que mesire Gautiers Map ot translaté des aventures del Saint Graal assez soffisanment, si com il li sembloit, si fu avis au roi Henri son seignor que ce qu’il avoit fet ne devoit pas soffire se il ne recontoit la fin de cels de cui il avoit fet mencion et coment cil morurent de cui il avoit les proeces ramenteües en son livre1.

4Le roman s’ouvre sur la reconnaissance de sa place dans une séquence (« Aprés ce que… »). Or ce statut secondaire se transforme aussitôt en supériorité potentielle du texte à venir avec la reconnaissance que ce qui semblait suffisant au traducteur, au terme du texte précédent, ne l’était pas nécessairement aux yeux du lecteur. Pour remédier à l’insuffisance supputée par le commanditaire, dont la position de pouvoir est doublement marquée par les termes roi et seignor, la figure d’autorité littéraire (Gautier Map) change de statut : elle n’est plus chargée de translater (traduire) mais bien de raconter ; quand la traduction ne suffit plus, le traducteur est appelé à se transformer en auteur ou encore, dirions-nous aujourd’hui, le romanceur doit se faire romancier.

5Le geste inaugural du narrateur, qui n’est plus lié à une source préexistante mais se donne comme un nouveau départ, est rappelé deux fois en quelques lignes à travers la répétition d’une phrase presque à l’identique :

Et por ce commença il ceste derraaine partie2 ;
Si commença mestre Gautiers en tel maniere ceste derreeine partie3.

6La principale différence, qui tient à la réitération du nom de l’auteur4, peut d’ailleurs être gommée, comme c’est le cas dans le manuscrit Be, qui ignore à cet endroit toute référence onomastique.

7Qu’il soit présent en toutes lettres ou non, Gautier Map entreprend ici une action bien distincte de celle qui est reléguée au passé antérieur à l’incipit (« ot translaté », avec des variantes « ot mis en escrit » dans le manuscrit A, « ot trettié » dans le manuscrit Z). Le verbe qui prend le relais de l’appel royal à raconter, commencer, cette fois au parfait de l’indicatif, ouvre une nouvelle plage temporelle, celle d’un procès en voie d’accomplissement, pour parler en termes linguistiques, qui s’oppose à un procès dont on a souligné l’accomplissement à travers le choix d’une forme verbale au passé antérieur, tout en marquant dans le texte l’imperfection de ce procès (« ce qu’il avoit fet ne devoit pas soffire »). Le texte reconduit un contraste du même ordre entre le geste inaugural, commencer (procès imperfectif par nature) et l’objet de cette inauguration (ceste derraaine partie) dont on souligne non seulement la postériorité, mais également sa position extrême dans la séquence temporelle avec le sens « d’après quoi il n’y en aura plus d’autre » que prend cet adjectif au xiiie siècle. En une phrase réitérée, le roman réussit à se donner à la fois comme un geste inaugural et comme un mouvement de clôture. À travers cet effet d’écho à quelques lignes d’intervalle, ce prologue se donne clairement à lire comme le début de la fin.

8L’engagement dans le récit, bien qu’il se dégage ici de toute source revendiquée, ne se présente pas pour autant comme un mouvement de création ex-nihilo, qui serait au demeurant assez étranger à la pensée médiévale. Il relève davantage de l’inscription dans un tout, comme l’indique le terme choisi pour désigner l’objet de ce qui est entamé : la dernière partie. L’expression retenue pour présenter le résultat de cet ultime assemblage, avec un retour du passé antérieur (« Et quant il l’ot ensemble mise5 »), oppose une période de composition à l’étape précédente de translation. L’œuvre de Gautier Map consiste donc à la fois à commencer – puis à mener à terme – une nouvelle et dernière partie, mais aussi, et peut-être surtout, à la « mettre ensemble », c’est-à-dire à veiller à la conjointure des éléments qui la composent.

9Certains manuscrits, comme le manuscrit N, matérialisent dans leur mise en page le découpage des différentes unités qui entrent dans la composition du cycle. Dans ce cas, outre les titres courants, qui chapeautent l’ensemble de ce « livre de messire Lancelot du Lac », les rubriques viennent préciser le contenu narratif correspondant à ces éléments à la fois matériels et compositionnels (comme la branche). Ces subdivisions, auxquelles est rattachée la Mort du roi Arthur, entrent dans une unité supérieure, le livre, lui-même divisible :

Cy finist la premiere branche du tiers livre de messire Lancelot du lac et a traicté du saint Graal tout au long, comment messire Galaad le tres bon et tres beneuré chevalier trespassa de ce siecle en la cité de Sarras beneureusement a Nostre Seigneur et estoit Galaad seigneur de Sarras ou il avoit demoré ung an. Cy commence la seconde branche du tiers livre de messire Lancelot du Lac et parlera de la mort le roy Artus et du deffinement de la Table Ronde et comment le roy Artus fit grant chere a Bohort qui luy compta le trespassement [678r] de Galaad et de Perceval et comment Gauvain avoit occis XVIII chevaliers en la queste du saint Graal6.

10Dans l’ensemble de l’œuvre, La Mort du roi Arthur est bien, à travers ce témoignage de la réception du texte à la fin du xve siècle, une branche du grand livre de Lancelot du Lac.

11La rubrique du manuscrit N relaie le titre de cette ultime division, annoncée par le texte au terme de la composition (« Et quant il l’ot ensemble mise, si l’apela La Mort lo roi Artu »), mais sans aller aussi loin que le prologue dans la révélation de ce qui attend le lecteur puisqu’il dévoilait d’emblée, et prématurément, le dénouement de l’intrigue :

por ce que en la fin estoit escrit coment li rois Artus fu navrez en la bataille de Salesbieres et coment il se parti de Gifflet, qui tant li fist conpaignie que aprés lui ne fu nus hom qui le veïst vivant7.

12Le titre de la composition en disait déjà beaucoup sur l’issue du récit, mais le développement supplémentaire sur « ce que en la fin estoit escrit » constitue une étrange prolepse, contraire à la pratique des autres romans du cycle qui non seulement se gardaient bien de divulguer la fin du récit dès l’ouverture, mais mieux encore faisaient tous, à l’exception de l’Estoire del saint Graal (portail de l’ensemble du cycle), l’économie de tout prologue.

13Annie Combes a bien montré comment le « prologue en blanc » du Lancelot « laisse dans l’ombre la voix narrative, ce qui dispensera par la suite de la situer ; il permet une entrée dans le récit du conte comme instance directrice du flux fictionnel ; il résout la difficulté qu’il y aurait à parler d’une œuvre polyphonique aux parcours narratifs profus8 ». À l’inverse, en insérant, pour la première fois depuis l’ouverture du cycle, un prologue avant de reprendre le fil narratif, l’auteur de La Mort du roi Arthur contribue à présenter l’œuvre qui s’amorce comme déjà achevée au moment où elle commence. La fin se dit clairement dès le départ pour assurer la clôture que refusaient les autres parties du cycle, toujours susceptibles de proliférer.

14Ce faisant, le prologue de la Mort du roi Arthur répond aussi à l’enjeu d’énonciation qui se posait avec la conclusion de la Quête du saint Graal. On y retrouvait, comme on l’avait vu ailleurs dans le cycle, un chevalier racontant ses aventures devant les clercs du roi Arthur, chargés de les mettre par écrit9. La Quête du saint Graal procédait cependant à une adjonction significative en donnant une précision sur le lieu de conservation de ces écrits et un nom à celui qui était chargé d’en faire « son » livre :

Et quant Boorz ot contees les aventures del [Saint] Graal teles come il les ot veues, si furent mises en escrit et gardees en l’armaire de Salebieres, dont Mestre Gautier Map le[s] trest a fere son livre do seint Graal por amor do roi Henri son seignor, qui fist l’estoire translater [de latin] en françois10.

15A posteriori, le péritexte des manuscrits cycliques a utilisé le point de jonction entre la fin du Lancelot et la Quête pour attribuer le Lancelot au même Gautier Map, avant que cette attribution ne soit rapidement intégrée au texte lui-même11.

16En attribuant le texte à un sujet historiquement situé – par son existence réelle, attestée, même si elle reste sans doute en partie méconnue pour ses contemporains, comme en témoignent les nombreuses variantes dans la transcription du nom – et associé à un roi bien connu (Henri II Plantagenêt, mort en 1189), l’épilogue de la Quête du saint Graal posait un terminus ad quem, limite temporelle à partir de laquelle le roman ne pouvait plus se développer. Le nom de Gautier Map est relayé par le prologue de la Mort du roi Arthur, avec le glissement que l’on a noté du traducteur à l’auteur, mais le lieu de conservation affichée à la fin de la Quête (« l’armaire de Salesbieres ») subit également un glissement dans sa reprise à l’ouverture de La Mort du roi Arthur : Salesbieres n’y est plus associé à la bibliothèque dans laquelle était conservée la mise par écrit des dernières aventures du Graal, mais devient plutôt le lieu de la dernière bataille où l’on a vu le roi Arthur vivant.

17La conclusion de la Quête inscrivait la fin du roman dans une certaine matérialité, en passant d’un conte autosuffisant (« Or dit le conte », formule récurrente dans tout le Lancelot) à un texte produit par une figure historiquement située, à l’origine d’un manuscrit conservé dans un lieu physique, d’abord associé à un lieu saint (variante « l’abbaye ») ou à la cavité censée protéger des objets précieux, voire des reliques (l’armoire). Surtout, l’association à Salisbury n’était pas neutre dans l’imaginaire arthurien. Dans la tradition arthurienne – et contrairement à ce qu’on lit très souvent dans la critique –, il ne s’agissait pas d’abord du lieu associé à la mort du roi Arthur. Dans l’Historia Regum Britanniae de Geoffrey de Monmouth comme dans sa traduction par Wace, Salisbury était le nom du monastère où ont été enterrés les nobles et les princes bretons tués à la suite de la traîtrise du saxon Hengist. Mieux encore, dans ces textes, Salisbury correspondait au lieu où Merlin avait fait ériger les monolithes de Stonehenge, pour honorer la mémoire des Bretons morts au combat.

18Le Merlin de Robert de Boron s’appuyait sur le souvenir de cette bataille historique contre Hengist et les Saxons pour prophétiser la grande bataille qui devait opposer les frères Uter et Pendragon aux Saxons revanchards. Il associait ainsi encore plus nettement la bataille de Salesbières à la mort d’un roi, même celle d’un autre roi que le roi Arthur. En effet, après que Merlin eut prophétisé le retour des ennemis, qui menaçaient de détruire et de conquérir leurs royaumes, les frères Uter et Pendragon demandèrent à Merlin s’ils étaient voués à mourir dans cette bataille, ce à quoi le prophète répond qu’« il n’est nul chose qui ait commencement qu’ele n’ait definement12 ». Cette reconnaissance de la nécessité de la fin précédait la prédiction que « puis que crestientez vint en ceste ille, n’ot mais si grant bataille ne n’avra de voz tans come ceste sera13 ». Le caractère indépassable de cette première bataille de Salesbières, affirmé par Merlin lui-même, n’était peut-être plus qu’un lointain souvenir à l’orée de La Mort du Roi Arthur, mais il devait néanmoins résonner quand Gautier Map disait entreprendre de conter une autre bataille de Salesbières.

19Dans le Merlin, le champ de bataille de Salesbières était un cimetière appelé à subsister jusqu’à la fin des temps, grâce à la magie de Merlin qui y avait fait amener, puis dresser, les grandes pierres d’Irlande :

Ensi fit Merlins les pierres drecier qui encor sont au cimentire de Salebires et i seront tant come crestientez durra. Einsi remest cele oevre14.

20Quand la Quête évoque l’abbaye ou l’armoire de Salesbières, elle fait donc affleurer le souvenir d’un lieu qui est moins le cadre d’une bataille épique que le site d’une œuvre monumentale et merveilleuse, celle du prophète, chargée d’honorer la mémoire d’un ancêtre d’Arthur. Surtout, Merlin avait formulé à cette occasion la promesse de commencer un ouvrage qui ne pourra jamais être achevé :

« Or vos en alez, quar je les ferai drecier, si avré mon covent aquité vers Pandragon, quar j’avrai por li commenciee tel chose qui ne porra estre acomplie15 ».

21Dans le Lancelot en prose, on ne note aucune mention de Salesbières avant la section dite « Agravain » dont on sait qu’il pourrait s’agir d’un texte écrit spécifiquement pour faire la jonction avec la séquence Quête-Mort du roi Arthur. Le lieu de la bataille y est précisé quand Lancelot confie à la reine la prédiction de l’ermite sur la mort de Mordret et la destruction du royaume16. Dans la version abrégée, dont Alexandre Micha supposait qu’elle était postérieure à la version longue, on trouve deux autres mentions de Salesbières associée à l’ultime bataille du roi Arthur, dont une, dans l’Agravain, qui fait le lien avec l’armoire où est conservé le livre des hauts faits de Lancelot17.

22La Suite Vulgate, intégrée au cycle pour faire le pont entre le Merlin et le Lancelot, développe, elle, l’idée d’un Salesbières associé à une coalition saxonne, mais qui s’opposent cette fois aux chevaliers de la Table Ronde, ce qui donne l’occasion à Merlin de prophétiser la fin du royaume de Bretagne le jour où, en ces lieux, « li fix occira le pere et le pere le fil18 ». Au moment de constituer le Grand Cycle Vulgate, il semblait ainsi utile de parsemer le récit de quelques références proleptiques à ce qu’est devenu Salesbières dans l’imaginaire arthurien après La Mort du Roi Arthur, comme on le fait également, mais une seule fois, dans l’Estoire del saint Graal19.

23On a cependant, me semble-t-il, trop peu souligné le coup de force que constituait cette réappropriation d’un lieu qui, avant la Mort du Roi Arthur, était celui de la mort des aïeux. Plus encore, dans la lecture de la seule séquence Quête-Mort du roi Arthur, dont on sait qu’elle a circulé de manière indépendante et sans l’Agravain20, le prologue de la Mort du roi Arthur donne non seulement un nouveau sens à Salesbières par rapport à la tradition, mais il transforme radicalement la bibliothèque en champ de bataille, le lieu de conservation des aventures du Graal en plaine funeste où doit s’achever la geste d’Arthur.

Répéter la fin

24La Queste pouvait donner l’impression de se conclure sur une œuvre achevée qu’il ne restait plus qu’à conserver21. L’explicit même de ce roman prenait la forme d’une conclusion. En l’analysant d’un peu plus près, on y décèle à la fois la volonté de dire le dernier mot des aventures du graal, tout en ménageant une ouverture. Il s’agirait donc moins d’une conclusion définitive que d’une pause dans la narration :

« Si se taist atant li conte que plus n’en dit a ceste foiz des Aventures del Seint Graal. »

25L’adverbe atant a le sens de « à ce moment-là », « là-dessus » : il exprime la concomitance de deux procès (se taire et ne plus dire), mais en faisant ici paradoxalement coïncider le moment de l’énonciation avec le silence de l’énonciateur. Ce mutisme, précisément situé dans le temps, n’est pas nécessairement définitif : il permet de penser que l’événement (ici le silence du conte), dont l’adverbe souligne l’actualité avec la situation d’énonciation, n’est que temporaire. La variante a ceste foiz, présente dans au moins trois manuscrits22, renforce cette idée d’un conte qui pourra toujours reprendre le fil de la narration.

26Parmi les très rares manuscrits à offrir une autre version de la phrase conclusive de La Quête, on trouve un des deux manuscrits qui présentent la séquence Agravain-Quête sans La Mort du roi Arthur. L’absence de ce dernier texte dans le manuscrit X (Paris, BnF, fr. 771) pourrait s’expliquer par un accident, mais il vaut sans doute la peine de noter que, dans ce codex, le texte de La Quête fait l’économie des dernières phrases (à partir de « Quant il orent mangié… ») et enchaîne avec le début de La Mort du roi Arthur, sans le prologue (à partir de « Quant Boorz fu venuz a cort… »). Le manuscrit s’arrête cependant juste avant l’annonce du tournoi de Wincestre (« Ceste parolle dist li rois Artus del roi Baudemagu dont mesire Gauvain fu assez plus a male aise q’il n’estoit devant », f. 206rb). On ne peut toutefois pas parler d’une fin abrupte car le copiste fusionne à cet endroit la phrase conclusive de la Quête du saint Graal et celle de La Mort du roi Arthur avec son injonction à ne rien ajouter : « Si ce test ore li contes atant des aventures du saint Graal qi sont si menees a fin que aprez cest conte n’en poroit nus rien dire qui n’en mentist » avec, en plus un explicit « Ici fenissent les aventures du saint Graall » (f. 206rb). Non seulement le reste de la colonne est-il vacant, mais le verso de ce dernier feuillet est resté vide et a servi à des essais de plumes.

27Les manuscrits Q (Paris, BnF, fr. 111, f. 268rb) et T (Paris, BnF, fr. 12573, f. 256vb) donnent exactement la même conclusion à La Quête du saint Graal (y compris la phrase finale avec son caractère définitif) mais enchaînent néanmoins avec La Mort du roi Arthur, mouvement que le manuscrit T développe en rubrique : « Ice fenissent les aventures del saint Graal. Et comence après la Mort le roi Artus », f. 256vb). En prenant la suite, La Mort du roi Arthur enchaîne avec le prologue, puis répète la scène du retour de Bohort à la cour et de la confession de Gauvain, ce qui crée à la lecture un étrange effet de retour en arrière23. Le manuscrit Q, lui, sépare la fin de la Quête et le début de la Mort du roi Arthur par un explicit (« Cy fine la Queste du saint Greal ») et une miniature représentant le roi et la reine spectateurs d’un tournoi. Dans ce manuscrit, le début de la Mort du roi Arthur est cependant décalé pour correspondre au moment où le roi Arthur fait annoncer un tournoi à Wincestre, après avoir constaté que les aventures du royaume de Logres ont été « menees a fin » (f. 268rb).

28Dans la plupart des manuscrits, la scène inaugurale de La Mort du roi Arthur rejoue cependant la scène finale de la Quête dans un mécanisme de répétition du récit de la fin de Galaad et de Perceval par Boohort et de leur « mise en escrit », lui adjoignant simplement le décompte des morts par Gauvain, le « compte » devenant alors un geste plus arithmétique que narratif. Devant cet assèchement du conte, qui ne dit plus rien mais se réduit à un dénombrement morbide, le roi Arthur lui-même constate, à l’orée du roman, « que les aventures del roiaume de Logres estoient einsi menees a fin qu’il n’en avenoit mes nule se petit non24 ». L’importance de l’idée de complétion dans la locution mener à fin est confirmée par une variante de la version courte, où elle est remplacée par le verbe achever : « les aventures del saint Graal & de la Grant Bertaigne estoient ensi achievees qu’il n’i avoit mais se petit non25 ». On sait que ce verbe, achever, est formé à partir de la locution a chief, qui implique également l’idée d’une extrémité. La variation sur la nature des aventures ainsi conduites à leur terme mérite également d’être soulignée : dans la version longue ce ne sont pas précisément les aventures du Graal qui sont terminées, mais bien celles du royaume de Logres, domaine du roi Arthur.

29La version abrégée semble hésiter entre une restriction de l’épuisement des aventures à celles du saint Graal et un élargissement à l’ensemble de la Grande-Bretagne. Toutes les versions s’accordent cependant pour ouvrir d’emblée une toute petite brèche sur la possibilité que surviennent d’autres aventures, en insistant cependant sur la petitesse de ce qui pourrait encore advenir. Le mouvement de la phrase rend bien cette oscillation entre la clôture, « qu’il n’en avenoit mes nulle », et l’ouverture à travers une formulation par la négative : « se petit non ». Dans cette construction, correspondant à une proposition hypothétique exceptive, l’exception est encadrée par les morphèmes se et non, ce qui a pour effet de mettre en évidence la nature, petite, des seules aventures susceptibles de se produire désormais. Le copiste de Q, peut-être gêné par cette drôle de publicité négative à l’ouverture d’un roman (d’autant qu’il en fait son incipit), renonce à la négation restrictive et modalise la petitesse de ce qui pourrait advenir (« qu’il n’y en avoit que bien petit », f. 269rb). Cette variante indique bien l’étrangeté qu’un lecteur médiéval pouvait ressentir à cette toute petite ouverture laissée à l’aventure au seuil d’un roman.

30Ce qui se joue au niveau de la syntaxe de la phrase se reflète dans la syntaxe narrative. En effet, immédiatement après avoir constaté la fin des aventures, le roi Arthur prend sur lui de les relancer en faisant annoncer un tournoi à Wincestre :

Et li rois, por ce qu’il vooit que les aventures del roiaume de Logres estoient einsi menees a fin qu’il n’en avenoit mes nulle se petit non, fist crier .i. tornoiement en la praerie de Wincestre, por ce qu’il ne voloit mie totevoies que si conpaignon lessassent a porter armes26.

31La brèche ouverte pour les « petites » aventures permet de convoquer un tournoi présenté comme une façon d’éviter l’adieu aux armes de chevaliers désœuvrés. Après ce retour à une dimension fondamentale du roman médiéval (les armes), le narrateur enchaîne immédiatement avec un retour à l’amour, l’autre pilier de cette forme dont les codes commencent alors à se définir. En passant, de manière presque paratactique de l’annonce du tournoi à une évocation de la fin de la période de chasteté de Lancelot, le récit réintroduit l’amour de Lancelot pour Guenièvre :

Et coment que Lanceloz se fust tenuz chastement par le conseil del prodome a cui il s’estoit fet confés quant il fu en la queste del Saint Graal, et eüst del tot renoïe la roïne Guinievre, si com li contes a devisé ça en arrieres en la Queste del Saint Graal, si tost com il fu revenuz a cort, il ne demora pas .i. mois aprés que il fu autressi espris et alumez de la roïne com il avoit onques plus esté a nul jor, si qu’il enchaï en pechié de la roïne aussi com il avoit fet autre foiz27.

32Là encore, la variance dans les différentes copies de ce passage est représentative de la réception du texte par des lecteurs médiévaux.

33D’abord, la chasteté de Lancelot fait l’objet de différents glissements chez les copistes : pour celui du manuscrit D (ou sa source), le chevalier repentant s’était simplement chastement vestu ; le copiste du manuscrit Be (le manuscrit de base de l’édition Hult) a, quant à lui, carrément éliminé toute référence à la chasteté, se contenant de préciser que « Lanceloz se fust tenu prodome par le conseil de l’ermite ». Ensuite, la référence au renoncement à la reine est, le plus souvent, simplement associée à ce qui a été raconté précédemment (« si comme li contes l’a devisé ça arrieres ») sans la précision supplémentaire que donne le manuscrit Be en renvoyant au titre du roman précédent : « si com li contes a devisé ça en arrieres en la Queste del Saint Graal28 ». Le passage d’un roman à l’autre ne se fait pas sans difficulté : la volonté de mettre un terme aux aventures à la fin du roman précédent est reconnue, mais renversée en redonnant une place aux armes et à l’amour, tout en conservant des traces d’une certaine fluctuation dans ce passage qui hésite entre fin et commencement.

34La fin de cette longue phrase, conséquence de ce qui a été relégué au passé antérieur (« se fust tenuz chastement », « eüst renoïe la roïne Guinievre »), se présente bien comme une répétition, une reprise après une parenthèse dont le récit a fixé la courte durée après la fin du roman précédent (« pas .i. mois »). L’emploi de l’adverbe autressi met en évidence la réitération des mêmes passions (« espris et allumez »), avec un effet de gradation (« com il avoit onques plus esté a nul jor ») qui fait que ce nouveau paroxysme se traduit par une forme de retour en arrière (« aussi com il avoit fet autre foiz »). Le trouble sur le statut de ce passage, à savoir s’il est conclusif ou inaugural, se laisse également percevoir dans le manuscrit Be qui, en dépit de la syntaxe, insère précisément à cet endroit une lettrine qui vient briser la phrase mais fait ainsi de la rechute amoureuse de Lancelot une claire relance de la narration29.

35La renaissance des amours de Lancelot et Guenièvre substitue à la part d’inconnu des aventures chevaleresques une situation au contraire bien connue et dont le texte souligne à dessein le caractère répétitif. Le roman réitère ce passé amoureux, dans le discours d’Agravain, puis dans les images peintes par Lancelot au château de Morgain relançant continuellement la foi prêtée par le roi à ce que Gauvain présente comme « la greignor fable de tot le monde30 ». Or ce que Gauvain présente comme une fiction constitue la vérité profonde du récit ; la réalité bien prosaïque de la reprise d’un amour adultère et déloyal qui se substitue à la quête du Graal comme moteur de la narration. Dans ce monde d’après le Graal, le merveilleux n’est plus ni célestiel ni surnaturel. Il prend d’abord la forme de la cour tout « encortinee » de Morgain, qui vaut à Arthur de se signer devant « la grant merveille que il ot31 », puis de s’émerveiller devant le faste du repas32, avant de pénétrer dans la chambre où sont dépeintes les amours de la reine et du chevalier. La révélation que Lancelot a connu charnellement Guenièvre dans le deuxième discours d’Agravain sera aussi associée au registre du merveilleux : « Cestes sont merveilles33 », s’écrie le roi pour qualifier les paroles d’Agravain. On assiste ainsi à une redéfinition de la merveille dans ce roman d’un monde désenchanté, déserté par le Graal.

36Les seules autres occurrences de merveille dans ce roman d’après les aventures concernent l’empoisonnement (involontaire) de Gaheris de Karaheu par la reine (cinq occurrences de merveille entre les pages 374 et 378) et la barque funèbre qui ramène le corps de la demoiselle d’Escalot. Dans le cas du fruit empoisonné, rien d’inexplicable ni d’inexpliqué pour le lecteur qui sait que le fruit a été « envenimé » volontairement par Avarlan, à l’intention de Gauvain, et qu’il a été donné par erreur au frère de Mador de la Porte. La reine sert ici d’intermédiaire à cette merveille sans merveilleux que le texte qualifie précisément de « mesaventure34 ». Cette aventure qui n’en n’est pas tout à fait une est aussi, à sa manière, une énorme redite : elle rejoue à travers le geste de la reine coupable tendant le fruit empoisonné au jeune homme innocent la scène primitive de la Genèse où, pour les chrétiens du Moyen Âge, la première femme introduisait soudainement la mort dans l’histoire humaine, en incitant l’homme innocent à manger d’un fruit dont elle ne mesurait pas à quel point il était empoisonné.

37L’arrivée de la barque funèbre de la demoiselle d’Escalot est, elle aussi, une merveille où le surnaturel est réduit à la portion congrue. Ce n’est d’abord que l’aspect extérieur de la barque qui suscite l’émerveillement. Dans le discours de Gauvain, la continuité de cette beauté à l’intérieur comme à l’extérieur est même présentée comme une condition d’existence de la merveille :

« Par foi, fet soi mes sires Gauvains, se ceste nacele est par dedenz aussi bele come ele est par dehors, ce sont merveilles ; et a pou que je ne di que les aventures recomencent35. »

38Le neveu d’Arthur, qui a d’ailleurs subi un rare revers érotique auprès de celle dont le cadavre se trouve dans la barque, va jusqu’à voir dans cette merveille désenchantée l’indice d’un possible retour des aventures : « et a pou que je ne di que les aventures recomencent ». Ce à quoi le roi répond : « Autretel voloie je dire36 ». La formulation de Gauvain, qui lui vaut l’approbation du roi, est pourtant quelque peu problématique. Elle s’apparente à une forme de prétérition, puisque l’énonciateur, qui semble d’abord mettre à distance la possibilité de se prononcer (« a pou que je ne di »), met ainsi paradoxalement en évidence l’énoncé qu’il cherche à atténuer (« que les aventures recomencent »). Arthur accorde la sanction royale à cette formulation en la faisant sienne : pour peu, on croirait que les aventures recommencent. Mais on reste à la limite de cette possibilité qui, de toute façon, ne serait pas un renouveau (il n’est pas question ici de nouvelles aventures) mais bien une répétition.

39La mort d’un chevalier à cause d’un fruit empoisonné et la barque funèbre qui ramène le corps de la Demoiselle d’Escalot ne sont en effet que des incidents dans un récit qui se réduit ultimement à la répétition d’un amour, celui de Lancelot et Guenièvre, interrompu avant le début du roman par la chasteté très momentanée de Lancelot et, dans le roman, par la jalousie de la reine qui soupçonne injustement son chevalier de l’avoir délaissée pour la demoiselle d’Escalot. L’arrivée de la barque, avec sa lettre explicative, puis les suites judiciaires données à la mort accidentelle par empoisonnement, permettent de ramener Lancelot auprès de la reine et à la véritable aventure de recommencer, ce que le texte exprime sans ambiguïté :

Et se Lanceloz avoit devant ce amee la roïne Guinievre, il l’ama orendroit plus que onques ne l’avoit amee devant, et la roïne lui ausi37.

40Ce nouveau départ, au milieu du roman, se présente pour ce qu’il est : une répétition. Il le fait cependant en faisant de cette ultime folie amoureuse le point de bascule précis (« orendroit ») dans la gradation de leur amour réciproque dans la longue durée, non seulement du roman, mais de l’ensemble du cycle (« plus que onques ne l’avoit amee devant ».) À partir de cet instant précis dans le récit, le roman semble promettre que la suite sera celle de la plus grande histoire d’amour jamais contée et avoir oublié que sa fin – à la fois son but et son terme – était de raconter la mort du roi Artur dans la grande bataille de Salesbières.

41Or, on le sait, la réunion des deux amants sera précisément ce qui précipitera la fin du monde arthurien. L’avancée vers la bataille finale, celle qui était annoncée dès les premières lignes du roman, passe cependant par une autre répétition : un retour à la Joyeuse Garde, lieu qui ramène à la surface du texte le souvenir du premier exploit du meilleur chevalier du monde et de son amitié unique avec Galehaut, celui-là même qui a rendu possible la première étreinte entre Lancelot et Guenièvre. Cette nouvelle suspension dans l’avancée du récit vers sa fin est suivie d’un autre retour vers les lieux originels du roman puisqu’au siège de la Joyeuse Garde succède le siège de la cité de Gaunes, la ville prise à l’oncle de Lancelot par Claudas de la Terre Déserte à l’ouverture du Lancelot en prose et qu’Arthur ne récupèrera qu’à la fin de l’Agravain. La fin annoncée dès l’incipit est ainsi repoussée par des résurgences du passé de Lancelot. À travers la mobilisation de ces lieux de mémoire romanesques, La Mort du roi Arthur révèle, bien avant la phrase finale, qu’il s’agit au moins autant de « mener à fin » la grande « estoire de Lancelot » que de raconter l’ultime bataille du roi Arthur.

L’art de n’en plus finir

42La bataille de Salesbières, annoncée dès le prologue avec son funeste dénouement, est elle-même marquée par les résurgences du passé narratif et une certaine prégnance de la cyclicité. En réalité, toute la fin du roman (y compris l’après-Salesbières qu’on aurait tort de négliger) présente à la fois les marques de la dislocation contrôlée d’un univers narratif, de la répétition comme mécanisme de suspension de l’échéance et de ce perpétuel conflit entre l’ouverture et la clôture, le devoir de finir et la volonté de subsister. Le mouvement vers l’ultime bataille du roi Arthur s’engage après la mort de Gauvain et l’enterrement de la dame de Beloé « que ses mariz meïsmes ocist por l’amor de mon seigneur Gauvain, le neveu lo roi Arthur38 », ainsi qu’on peut le lire sur son épitaphe. La séparation du roi avec le corps mort de son neveu marque d’ailleurs la transition et le retour à l’histoire du roi :

Mes atant lesse ore li contes a parler de mon seigneur Gauvain et de la dame de Beloé ci endroit, et si retorne l’estoire au roi Artur. xxii. 1. Or dit li contes que, quand li rois fu partiz del cors mon seignor Gauvain, qu’il ot envoié a Kamaalot, qu’il revint au chastel de Dovre, s’i sejorna tot cel jor39.

43Camelot n’est plus le lieu des grandes cours arthuriennes, mais devient plutôt une sorte de lieu funèbre où sont désormais enterrés les anciens héros (Gauvain et Gaheriet). La géographie se déplace vers Salesbières, mais l’avancée est retardée par un retour en arrière au château de Douvres, le lieu où Gauvain a trouvé la mort.

44Le temps d’arrêt dans le mouvement vers la fin du récit (« s’i sejorna tot cel jor ») se double d’une autre journée de chevauchée sans aventure (« Et l’endemain s’en parti et ala contre Mordret, et si chevaucha tot le jor otot son ost40 »). Le but, l’affrontement contre Mordret, est répété, mais le ralentissement de la narration est sensible avec ces deux journées qui se suivent sans événement digne de mention. Il faut attendre la nuit et le passage par un espace liminaire (l’orée d’un bois) pour que survienne quelque chose, et encore seulement à travers les brumes du sommeil. Il s’agit d’une apparition de Gauvain, accompagné d’une foule de « povre jent41 » qui chantent ses louanges. Il est difficile de mieux représenter le passé qui fait retour dans le présent du récit pour annoncer (une fois de plus) l’issue fatale qui attend le roi dans la bataille contre Mordret. La scène rejoue ce qui est devenu, au moins depuis Pierre le Vénérable, un élément bien connu de la prédication autour de la commémoration des défunts qui correspond à ce que Jean-Claude Schmitt a appelé « l’invasion des revenants » dans la memoria chrétienne42.

45Dans le roman, comme dans les miracula de l’abbé de Cluny (mort en 1156), le revenant vient avertir un vivant de sa mort imminente43. L’apparition de Gauvain le fait d’abord sous la forme d’une déploration où s’entend le mouvement d’accélération vers la fin du roman auquel ses stases narratives semblent s’opposer : « Sire, quel domage que vos hastez si vostre fin44 ! » Le lien entre le vivant et le mort se fait dans un effet de séparation et de retour entre Gauvain qui se « partoit » du roi pour faire cette déclaration, « puis revenoit au roi » pour l’assurer que le refus de faire appel à Lancelot ne saurait avoir d’autre issue que sa propre mort45. À son réveil, le roi commence par se signer, créant ainsi une distance avec toute potentielle influence diabolique derrière cette forme fantasmée, au sens où l’entendait le véritable Gautier Map qui, dans son De Nugis Curialium, précisait que « “fantôme”, apparition temporaire, vient de “fantaisie” ; car les apparitions que les démons font quelques fois par leurs propres moyens à certains hommes, en ayant préalablement reçu la permission de Dieu, se déroulent de façon inoffensive ou nuisible46 ». Plutôt que de prêter foi à la prédiction du revenant, Arthur s’en remet à Dieu à qui il demande de lui donner la victoire dans le combat à venir et dont l’issue fatale, pour lui, vient une nouvelle fois d’être annoncée.

46On assiste alors à une nouvelle pause dans l’avancée vers Salesbières : après une autre journée de chevauchée sans histoire, le roi s’arrête pour la nuit dans la prairie de Lovedun. Ce lieu, inconnu jusqu’alors dans le cycle, est sujet à une certaine variance47. Alexandre Micha, qui identifie l’endroit avec une prairie qui se situerait entre les rivières Lodden et Lyde, près de la ville de Basingstoke, au nord-est de Salisbury, ne trouve pas d’explication à ce détour dans la progression des troupes d’Arthur48. Dans la diégèse, cette étape est surtout l’occasion d’un autre songe prémonitoire ou, plus exactement, d’une autre apparition fantastique pendant la nuit. Il s’agit cette fois de dame Fortune et de sa roue. Le « crochet » d’Arthur par Lovedun semble répondre au risque de « haster la fin » en prolongeant la route vers Salesbières et en multipliant les apparitions censées annoncer le dénouement.

47Fortune avait déjà été évoquée par Bohort pour dénoncer les amours de la reine et de Lancelot et leurs funestes conséquences49, puis par Gauvain, sur le corps mort de son frère Gaheriet, en insistant déjà sur le « trebuchement » depuis la position élevée « en la plus mestre roe50 ». Le roi lui-même avait déjà apostrophé Fortune dans sa plainte sur le corps mort de Gauvain, associant le mouvement de la roue à ce qui l’attend « au derrein », c’est-à-dire à la fin51. La même expression, « au darrien », sera encore associée au « jeus de Fortune » dans le discours de Sagremor sur le cadavre d’Yvain52. Dans les discours des personnages de La Mort du roi Arthur, la roue de Fortune évoque la chute et la fin. Elle relève moins de la rotation « volage » exposée par Boèce d’une figure qui s’« amuse à faire passer l’infime au sublime et le sublime à l’infime53 », qu’une voix qui fait entendre, comme l’écrivait Jean Frappier, « la marche sourde et continue du Destin qui mène à la catastrophe inéluctable tout un lot de victimes prises dans l’engrenage des passions et des événements54 ».

48À travers l’apparition de Fortune, qui prend corps devant Arthur pendant l’étape nocturne dans la plaine de Lovedun, une équivalence est établie entre la roue, sur laquelle est assis le roi, et la terre sur laquelle il a régné. Le texte le fait en usant d’un terme rare, circuite, qui semble d’ailleurs avoir posé problème à plusieurs copistes, ce dont témoignent les variantes de ce passage55. L’idée reste cependant presque toujours celle d’un mouvement circulaire, du parcours d’une circonférence. À travers cette représentation du monde, l’histoire d’un puissant n’est pas affaire de progression et de conquête, mais plutôt de cyclicité, voire de circularité. Or la progression du récit vers son terme exige, elle, de rompre avec cette circularité. De manière surprenante, et assez significative, Fortune ne reconduit pas ce mouvement circulaire pour signifier la mort du roi Arthur : plutôt que de tourner sa roue, elle « le trebuchoit a terre56 », comme si, pour mettre un terme au récit, il fallait rompre avec le cycle et signifier la chute hors de « tote terre, la circuite ». La tension entre la tentation de la fermeture du cercle et l’avancée vers une fin ouverte est sensible dans tout ce passage.

49À l’approche de son terme, le dernier roman du cycle hésite entre repousser l’échéance par le jeu des reprises et des retours en arrière et le devoir d’arriver au but fixé dès l’incipit. Le caractère répétitif des visions du roi est par ailleurs souligné directement dans le texte57. L’avenir du récit repose sur la mescheance du souverain, mais avant d’y arriver, la reprise du même discours sous différentes formes (l’apparition de Gauvain en songe, puis celle de Fortune) joue subtilement du statut de revenant du premier et d’allégorie récurrente pour la seconde. Or, même après avoir constaté le caractère répétitif de ces visions prémonitoires, le récit poursuit avec d’autres itérations du même discours sur la fin, d’abord à travers l’interprétation qu’un archevêque donne au roi de ses « avisions » nocturnes. Pour repousser la fin annoncée, l’homme d’Église propose à Arthur de revenir sur ses pas et d’aller chercher le secours de Lancelot58. Le choix du verbe retorne et le lieu prescrit (Douvres, là où Gauvain a été tué) présentent bien la recommandation de l’archevêque comme un appel à revenir en arrière. La réponse du roi reprend d’ailleurs le même verbe, retourner, mais cette fois pour en nier la possibilité dans un monde où la Fortune n’est plus une roue qui tourne de haut en bas, mais plutôt la responsable d’une chute vers l’avant de celui qui ne saurait éviter sa mescheance :

— Sire, fet li rois, merveilles dites qui me defendez a fere ce dont je ne puis retorner59.

50Malgré le caractère particulier des apparitions nocturnes, qui supposaient de possibles interventions surnaturelles, divines ou démoniaques, c’est ici plutôt l’explication de l’archevêque qui est qualifié de merveilles par celui qui a connu les avisions.

51Le refus du roi de se conformer à la prescription de l’archevêque s’exprimera une nouvelle fois comme une négation de toute régression : « Li rois jure l’ame Uter Pandragon, son pere, qu’il ne retornera ja60 ». Une variante du manuscrit F laisse la possibilité d’un retour, une fois que la rencontre avec Mordret se sera produite : « Li rois Artu jure l’ame son pere que ja ne retournera tant qu’il ait assamblé a Mordret ». Dans tous les cas, la récusation de toute possibilité de revenir en arrière à cette étape du récit passe par une résurgence du passé à travers le serment prêté au nom du père, Uter Pendragon.

52Une quatrième prédiction de la fin attendue à Salesbières suit immédiatement et vient clore la chevauchée vers le champ de bataille. Elle prend cette fois la forme d’une réminiscence des prophéties de Merlin et des autres devins, au moins deux manuscrits allant jusqu’à situer ces prédictions dans un passé du récit qui relaie la référence à UterPendragon :

Lors chevaucha li rois vers les plains de Salebieres, com cil qui bien savoit que la seroit la bataille mortel dont Mellins et li autre devineor de la Grant Bretaigne avoient tant parlé ainçois que li roys venoit a terre tenir61.

53La réaction du roi – cette fois assuré de courir vers sa fin – contraste avec sa réaction aux prédictions précédentes. Il prête ici une foi sans faille aux paroles de Merlin et des autres prophètes bretons, donnant une étrange préséance à des oracles païens et à un personnage équivoque (Merlin) sur la parole autorisée de l’archevêque.

54Le clerc reconnaîtra lui-même cet état de fait en répondant à la demande du roi d’interpréter l’inscription sur les pierres où il est répété qu’en cet endroit doit avoir lieu la bataille qui laissera la terre de Logres orpheline de son roi. Il commence par reprendre à son compte le terme qu’Arthur avait utilisé pour qualifier son interprétation du songe prémonitoire, mais pour désigner cette fois les lettres gravées dans la pierre :

« Sire, merveilles pooez veoir en cele roche a lettres encisees lonc temps a62. »

55L’inscription succède à l’oracle et la merveille à voir prend la suite d’une merveille entendue. Puis, l’archevêque veut s’assurer de la foi prêtée par le roi à la vérité de ses paroles en évoquant non pas son propre statut clérical, mais bien le nom de Merlin et sa réputation dans la capacité à connaître l’avenir :

Et por ce que vos le creez melz, vos di je que cil qui l’escrit ne trovai je onques mençongier : ce fu Mellins, qui plus fu certeins des choses qui estoient a venir que hom de son tens63.

56Au dire de l’archevêque, la caution du prophète, même fils du diable, devrait suffire à convaincre le roi de renoncer au combat. Cependant, pas plus qu’après les visions prémonitoires ou la recommandation archiépiscopale, l’inscription merlinienne ne fera reculer le souverain64. Là encore, la progression du récit donne à voir une sorte de mouvement irrépressible vers l’avant, le principal protagoniste ne pouvant que constater l’accumulation des appels à revenir en arrière une fois atteint le point de non-retour.

57La transition de la potentialité de la prédiction vers l’actualité de l’affirmation est sensible dès la section suivante avec le discours de l’envoyé de Mordret qui ne formule plus la mort à travers la médiation d’une vision ou d’une prophétie ni comme un futur hypothétique, ainsi que le formulait l’archevêque65. Dans la bouche du messager de Mordret, la mort du roi est présentée comme une conséquence immédiate de sa présence sur le champ de bataille : « Or te garde que, se il te trueve an champ, tu es mort et ti home, que ja en pié n’en eschapera66 ». Cet emploi, qui correspond à ce que les grammairiens appellent præsens pro futuro ou présent de futur immédiat marque, comme le notent Wagner et Pinchon, « le caractère instantané, immédiat de la conséquence67 ».

58La valeur actualisante de la formulation du messager est encore accentuée par la réponse du roi Arthur qui remplace le présent de futur immédiat par l’imparfait hypothétique : « Et li di qu’il avra demain la bataille, s’il en champ m’ose atendre. Et s’il me devoit occire, si m’est il bel de l’assenbler, car je sai bien que d’els n’eschapera ja pié68 ». Cet emploi non temporel de l’imparfait correspond à un usage modal de la forme verbale puisqu’il ne s’agit pas, ici, de renvoyer à une situation passée, mais plutôt, comme l’écrivent les auteurs de la Grande Grammaire historique du français, « à une situation dont la factualité est remise en question69 ». Dans sa réponse, le roi Arthur réussit une nouvelle fois à récuser le caractère inévitable et prochain de sa mort annoncée, tout en affirmant, au futur de l’indicatif, la certitude des conséquences néfastes pour ses opposants.

59Quand l’affrontement mortel aura finalement lieu, en réponse immédiate à ce dernier échange, le texte renoue avec une certaine esthétique de la répétition (par ailleurs assez caractéristique des scènes de combat dans la narration médiévale). Il n’en demeure pas moins que, à la récurrence des formules, proches notamment de celles que Jean Rychner avait dégagées pour définir le style épique70, s’ajoute ici une structure narrative qui épouse l’organisation militaire en différentes « batailles », c’est-à-dire en dix unités de combat du côté des troupes d’Arthur contre vingt pour celles de Mordret. La succession des affrontements se fait dans la répétition des gestes dont changent seulement les sujets, désignés par leur nom propre ou par un ethnonyme. Jean Frappier qualifiait Salesbières de « bataille à tiroirs ». Il s’agit en effet de la description répétitive de chocs successifs qui ne conduisent à aucune victoire, mais bien à l’annihilation de pratiquement tous les combattants.

60Presque arrivé au terme de cette guerre sans vainqueur, le récit est régulièrement interrompu par des apostrophes, ces moments où un personnage s’adresse à quelqu’un, généralement absent, ou à quelque chose, le plus souvent personnifiée. On trouve tout au long du roman plusieurs interpellations directes à Dieu ou à celui qui vient de mourir (souvent prononcées directement sur son cadavre) qui entrent dans les codes de la plainte funèbre71. L’implication soudaine d’un allocutaire absent est aussi utilisée, notamment par la reine puis par Lancelot pendant leur séparation au début du roman72. Avant Salesbières, les apostrophes à des objets ou à des concepts personnifiés sont cependant assez rares. Lancelot apostrophe l’Amour après avoir été informé du courroux de la reine à son endroit73, puis la Mort est personnifiée dans la déploration du roi Arthur sur le corps de Gaheriet74, avant qu’il ne s’adresse à Fortune sur la dépouille de Gauvain75. On peut déjà noter que les apostrophes apparaissent à des moments cruciaux dans le développement de la narration. Elles imposent une interruption de la diégèse pour mettre en valeur les forces qui assurent la progression de l’action : l’Amour, la Mort et la Fortune76.

61Les apostrophes qui se multiplient à la fin du roman, depuis l’adresse d’Yvain à la Table Ronde, jusqu’à l’action de grâce de l’archevêque constatant que Lancelot est mort en pénitent, représentent autant de pauses ou, à tout le moins, de changements de rythme dans l’affrontement répétitif des bataillons. Les grandes figures allégoriques que sont la Mort, l’Amour et la Fortune étaient déjà naturellement associées à l’usage de l’apostrophe dans des formes particulièrement représentatives de la poétique médiévale, comme la strophe hélinandienne, caractérisée notamment par l’emploi de l’apostrophe à l’incipit. À ces apostrophes à des figures quelque peu attendues (Mort, Amour, Fortune), les adresses à des objets lancées à Salesbières se distinguent en délaissant les principales figures de l’allégorie au profit des principaux objets associés à l’univers arthurien : la Table Ronde et Excalibur.

62L’apostrophe à l’épée, que le roi contemple après avoir tué accidentellement Lucan, la voyant tachée du sang de tous ceux qu’il avait tués, marque le début de l’agonie du roi. Contrairement aux autres chevaliers de la Table Ronde et même à son fils Mordret, il ne mourra pas sur le champ de bataille puisque, blessé à mort, il s’éloigne en compagnie de Girflet jusqu’au bord de la mer. C’est là qu’il s’adresse à son épée :

« Ha ! Escalibor, espee buene et riche, la meilleur, sanz cele as Estranges Renges, qui onques encore entrast el roiaume de Logres, or perdras tu ton mestre. Ou troveras tu jamés homes ou tu soies si bien emploiee come tu estoies en moi, se tu ne venoies es mains Lancelot del Lac ? Hé ! Lancelot, le plus prodome et le meilleur chevalier que ge onques veïsse, pleüst ore a Jesuscrit que tu la tenisses et ge le seüsse ! Certes, m’ame en seroit plus aese a toz jorz77. »

63L’adresse à l’épée qui symbolise la puissance et la souveraineté d’Arthur est l’occasion pour le roi de reconnaître finalement l’imminence de sa propre mort. Ce caractère définitif est toutefois immédiatement contré par la mention qu’un avenir est possible pour Excalibur. Cette ouverture sur un futur pour l’épée, si intimement liée au royaume de Logres, est cependant conditionnelle à sa récupération par Lancelot du Lac. La formulation de cette condition contribue à en souligner l’improbabilité. Puis l’apostrophe à Lancelot, absent, accentue cet effet par l’usage de trois verbes à l’imparfait du subjonctif rejetant ainsi cette situation dans l’irréel du passé. Là encore, le roman hésite entre l’affirmation de la fin et l’ouverture, à la fois souhaitée et mitigée.

64La multiplication des apostrophes au moment de la bataille de Salesbières est une façon de ralentir la progression d’un récit clairement engagée dans la fin annoncée dès le départ. Fontanier définissait l’apostrophe comme une « diversion soudaine du discours78 ». Les apostrophes qui s’accumulent à travers le décompte des morts contribuent non seulement à briser le rythme d’un récit qui pourrait se précipiter vers sa fin, mais plus encore elles font dévier le cours de la narration vers son terme connu. Elles participent à la fois d’une certaine forme de dislocation d’un univers narratif – en miroir de ce qui se produit dans la diégèse – et contribuent à en retarder l’accomplissement.

65Ce jeu avec la fin redoutée et retardée s’incarne parfaitement dans l’attitude de Girflet qui refait trois fois le geste de jeter Excalibur dans le lac. Contrevenant une première fois à la requête du roi mourant, il jette sa propre épée dans le lac et conserve sur lui l’épée du roi. Malgré le mensonge de Girflet, le roi comprend que, en l’absence de tout récit de phénomène inexplicable, le chevalier n’a pas jeté Excalibur. Avant cette deuxième tentative, le récit représente Giflet s’adressant à l’épée, mais sans donner à lire l’apostrophe au discours direct. Le chevalier se limite cette fois à jeter le fourreau, mais le roi se rend compte du subterfuge et rappelle que « sanz grant merveille ne sera ele ja perdue79 ». Ce n’est qu’à la troisième tentative que Girflet se résout à jeter l’épée (cette fois après une apostrophe à l’épée au discours direct). En jetant l’épée au lac, il s’agit d’abord d’éviter qu’elle tombe entre les mains d’héritiers illégitimes, mais la main qui surgit pour se saisir de l’épée et l’emporter avec elle au fond de l’eau ménage un avenir possible au récit.

66Or nous connaissons, grâce aux fines lectures de Francis Dubost, le motif de la main noire surgie des profondeurs, qu’il a analysé dans les Continuations du Conte du Graal. Cette main, qui fait le lien entre le visible et l’invisible, inscrit ces épisodes dans la verticalité fantastique : « le fantastique, écrit-il, se situe alors du côté du terme signifiant, du fragment, du manque, de la main séparée et du corps occulté80 ». Avec la main du lac qui ramène l’épée vers les profondeurs, non sans l’avoir brandie d’abord trois ou quatre fois vers le ciel, La Mort du roi Arthur semble répondre à la Queste del saint Graal, où une main venue du ciel s’emparait du Graal pour le dérober à jamais aux hommes, dans une clôture qui était sans appel. À la prose, qui surjouait la transparence dans la Quête du saint Graal, où chaque merveille trouve son interprétation et son exégèse officielle au sein même du roman, La Mort du roi Arthur oppose un univers où les lettres sont trompeuses et les explications manquent. Au terme du récit, une part de mystère demeure et une suite reste possible, mais elle s’inscrit dans la verticalité diabolique.

67Quant à la répétition du geste de Girflet, elle contribue à alimenter cette esthétique de la récurrence et du retour que j’ai déjà évoquée. La mort d’Arthur s’inscrivait d’ailleurs également dans une forme de répétition, puisqu’elle survenait au terme d’une suite de morts de rois (Yon, Caradoc) qui en gomme l’unicité. Pour Arthur, c’est la nature de l’affrontement qui singularise sa mort : le père tue le fils et le fils blesse le père mortellement ; le régicide se double ici d’un parricide. Même le sort fait au corps du roi est l’occasion d’une réitération problématique : il est d’abord embarqué sur une nef par Morgain et ses dames, puis il est enterré à la Vaire Chapelle auprès de Lucan le Bouteillier. À force de se répéter, le roman repousse constamment l’échéance qui en constituait pourtant le but déclaré.

68Or même après Salesbières et la mort du roi, le roman se poursuit. Et cette suite passe par un retour sur les lieux où Arthur avait choisi de relancer l’action après les aventures : Wincestre. En effet, faut-il le rappeler, la dernière bataille de La Mort du roi Arthur n’est pas Salesbières, mais bien Wincestre où, au tournoi initial, se substitue la bataille mortelle des derniers survivants et d’où ne ressort vivant que le seul Lancelot. Là encore, après la mort des derniers chevaliers, le roman refuse de conduire Lancelot en ligne droite jusqu’à sa fin édifiante. Le narrateur insiste au contraire sur les détours qu’il fait d’abord en croyant retourner auprès de ses compagnons, puis en se « forvoiant ça et la81 », avant de chevaucher « tote la nuit si com aventure le porte, car il n’aloit nule foiz par droit chemin82 ».

69Arrivé enfin à la chapelle où Lancelot, le héros du grand cycle, finira ses jours, le roman ne semble cependant pas encore prêt à abandonner toute possibilité de continuation. Lancelot y retrouve l’archevêque de Canterbury et un chevalier, Bliobliéris, pratiquement absent de toutes les aventures précédentes. Ce cousin de Lancelot, qui survient fort à propos au moment ultime, sera chargé de la mise en bière du meilleur chevalier du monde. Il formera avec Bohort et l’archevêque de Canterbuy, le seul trio de survivants au terme du récit83. On sait que l’archevêque de Canterbury est le dernier à raconter la vie de Lancelot jusqu’à sa mort84, juste avant que Gautier Map annonce avoir « menee a fin […] l’estoire Lancelot ». Or Bliobliéris, qui est l’un des deux seuls témoins non seulement de cette histoire mais également, au même titre que l’archevêque, de la fin de Lancelot, pourrait être un avatar du Bleheris, forme romanisée du famosus fabulator Bledhericus de Giraud de Cambrai, auteur affiché de l’Élucidation du Conte du Graal et source évoquée par l’un des manuscrits de la Deuxième Continuation pour l’histoire du Petit Chevalier.

70Telle était du moins l’hypothèse de Ferdinand Lot, qui s’appuyait sur la leçon « Bliobleheri » attestée dans de nombreux manuscrits pour proposer que « l’auteur de la Mort d’Arthur, en quête d’un personnage dont l’autorité garantirait le récit des dernières années de Lancelot, aura consulté un manuscrit où Bléheri apparaissait déjà sous cette forme incorrecte85 ».Si le nom du fabulator résonne dans celui du chevalier tard venu, il n’en demeure pas moins dans le texte d’abord un chevalier de la Table Ronde, ce qu’il était déjà, sous la forme Bliobleheris, dans une énumération d’Érec et Énide (v. 1794) ; s’il peut conter ou témoigner, il est ainsi surtout un acteur potentiel pour d’autres aventures, ce qu’actualisera d’ailleurs clairement le Tristan en prose. Ainsi, même en revendiquant de finir « outreement », comme le fait l’auteur de La Mort du roi Arthur, le romancier continue de laisser des brèches ouvertes pour d’éventuels continuateurs. Même dans un roman de la fin du monde, ce n’est pas tout à fait la fin des temps au terme du récit. Une autre dimension s’ouvre (celle, verticale, de l’épée jetée au lac). D’ultimes virtualités sont évoquées pour de possibles actualisations futures, dans l’ordre du récit ou de la chevalerie, heureusement rapprochés sous le nom de Bliobliéris.

71 

72En somme, il n’est pas simple d’en finir. Même un roman qui donne à lire son dénouement dès l’incipit, comme le fait La Mort du roi Arthur, n’arrive pas à se résoudre à l’achèvement parfait, sans laisser une possibilité que l’écriture soit relayée par une autre voix, ici celle d’un personnage survenu tardivement et qui résiste à l’hécatombe arthurienne. Si l’on en croit l’épilogue, quand le livre se finit « outreement86 », rien ne saurait y être ajouté sous peine d’inventer de pures fictions qui renverseraient ce qui a été précieusement déposé par Gautier Map dans un texte protégé par la mise en livre. Or La Mort du roi Arthur a elle-même entrepris de relancer des aventures compilées dans La Quête du Saint-Graal et gardées précieusement dans la bibliothèque de Salesbières. En transformant le lieu de conservation des livres en champ de bataille, La Mort du roi Arthur avait déjà transformé le traducteur en auteur et lui avait donné l’occasion d’inaugurer une nouvelle partie, malgré la fin annoncée des aventures.

73Dans la mesure où un roman ne saurait se développer vraiment sans aventure, la relance du récit passait par une esthétique de la répétition. Même après leur fin déclarée, les aventures peuvent éventuellement recommencer. La Mort du roi Arthur est ainsi habitée par un imaginaire du retour, du revenant et de la cyclicité. Elle repose sur la renaissance d’un amour déjà consommé qui ne fait finalement que rejouer ce qui a déjà été écrit, et même illustré, sur les murs de Morgain. Avec ce roman, on constate qu’une suite est toujours possible, même après le Graal, et que le roman peut même échapper à la fermeture d’un cycle où la narration ne ferait que revenir en arrière. Le récit de La Mort du roi avance au contraire en associant au mouvement circulaire de la roue de Fortune le mouvement vertical de la chute. À cela, s’ajoutent encore les chevauchées, qui ne se font plus autant à l’aventure – c’est-à-dire au hasard – mais plutôt dans un mouvement horizontal vers la fin annoncée, et ré-annoncée continuellement, du roi Arthur et de son univers.

74Cette fin attendue et redoutée est retardée, même une fois commencé le récit de la dernière bataille du roi. La narration est, là encore, traversée par la tentation du retour et, surtout, interrompue par de nombreuses apostrophes où les personnages coupent la voix narrative pour mettre en scène leur propre énonciation autour d’objets emblématiques du monde arthurien : la Table Ronde, puis Excalibur, ainsi opportunément personnifiées. La bataille se donne certes à lire comme une campagne d’annihilation relativement rapide, mais qui passe d’abord par la répétition des mêmes gestes dans des affrontements répétitifs, puis par la triple itération, chaque fois légèrement décalée, de l’épée jetée au lac.

75Cette action répétée est par ailleurs relayée par un discours qui oscille entre vérité et mensonge, entre histoire et fiction. À travers cet épisode, le merveilleux, dont on a souligné la relative dévitalisation dans tout le roman, bascule ultimement dans la verticalité fantastique. À ce point du récit, c’est dans cette dimension inquiétante que se trouve l’avenir du roman : l’épée est descendue vers les profondeurs du lac, attrapée par une main sans corps qui rappelle la main diabolique de la Noire Chapelle dans la Deuxième Continuation du Conte du Graal. Le texte hésite d’ailleurs significativement entre Noire et Voire Chapelle pour le lieu où se trouvera finalement la tombe du roi Arthur. Aller au-delà de la fin n’est pas impossible au terme de ce roman, mais cela supposerait d’entrer dans des zones inquiétantes qui ont peut-être partie liée avec des forces diaboliques. De manière significative, l’ultime songe du roman, celui de l’archevêque de Canterbury, qui lui permet de voir l’âme de Lancelot emportée au ciel par une multitude d’anges, fait naître chez Bliobliéris, le chevalier au nom de poète, un sentiment de grande inquiétude : « si a meintenant poor que li ennemis ne se soit mis dedenz li87 ». S’il y a un futur à ce roman, celui que l’on peut percevoir à travers les songes prémonitoires, il risque d’avoir partie liée avec le diable.

76Avec la fin édifiante de Lancelot, que l’archevêque se plaît d’ailleurs à raconter à Bohort, la part laissée aux tentations et aux dévoiements, celles-là même qui permettraient à un autre roman d’exister, est finalement réduite à la portion congrue. Il reste néanmoins des ouvertures : celle du retour possible d’Excalibur, qui n’a pas été détruite, et même du roi Arthur, sur qui l’enlèvement par Morgrain et ses dames laisse planer le mystère. Dans ce monde sans aventure et sans roi ne reste plus qu’un trio d’ermites, mais l’eschatologie est imparfaite puisqu’il reste encore des hommes et la possibilité qui leur est donnée d’élire un nouveau roi88 : les rois sont morts, vivent les rois, et avec eux d’autres vies, d’autres morts et d’autres romans ! À la fin des fins, tant qu’il y aura des hommes, un roman ne saurait être qu’imparfaitement achevé.

Notes de bas de page numériques

1 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. David F. Hult, Paris, Librairie générale française / Le Livre de Poche, « Lettres gothiques », 2009, p. 182, l. 1-7.

2 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 182, l. 7-8.

3 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 182, l. 14-15.

4 Le nom n’apparaît que partiellement dans les mss ABDS1 et V, qui se limitent à mestre Gautiers, mais il est présenté dans sa forme complète (maistres Gautiers Map) dans les manuscrits F, Ac et dans le ms. Cologny, Bodmer 147.

5 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 182 l. 8-9.

6 Paris, BnF, fr. 116, f. 677vb-678r.

7 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 182, l. 10-13.

8 Annie Combes, « Le prologue en blanc du Lancelot en prose », in Emmanuèle Baumgartner et Laurence Harf-Lancner (dir.), Seuils de l’œuvre dans le texte médiéval, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2002, p. 32.

9 « Quant il [le roi Arthur et sa cour] orent mangié, li rois fist avant venir les clers qui les aventures as chevaliers de leenz metoient en escrit. », La Quête du saint Graal, éd. Fanni Bogdanow, trad. Anne Berrie, Paris, Librairie générale française / Le Livre de Poche, « Lettres gothiques », 2006, p. 654, § 333, l. 10-12. On trouve au moins une dizaine de scènes comparables dans le Lancelot propre.

10 La Quête du saint Graal, éd. Fanni Bogdanow, trad. Anne Berrie, op. cit., § 333, l. 12-17.

11 Dans les manuscrits les plus anciens, l’attribution figure le plus souvent clairement comme un explicit (par exemple Paris, BnF, fr. 771, f. 143va, fr. 339, f. 230rb et fr. 123, f. 196vb, tous datés du xiiie siècle). Elle est en revanche déjà intégrée au texte, par exemple dans Paris, Arsenal 3347, f. 213va, de la même période.

12 Robert de Boron, Merlin. Roman du xiiie siècle, éd. Alexandre Micha, Genève, Droz, « Textes littéraires français », 1979, § 44, l. 85-86 (p. 167).

13 Robert de Boron, Merlin. Roman du xiiie siècle, éd. Alexandre Micha, op. cit., § 45, l. 24-25 (p. 169-170).

14 Robert de Boron, Merlin. Roman du xiiie siècle, éd. Alexandre Micha, op. cit., § 47, l. 73-76 (p. 181).

15 Robert de Boron, Merlin. Roman du xiiie siècle, éd. Alexandre Micha, op. cit., § 47, l. 70-73 (p. 181).

16 « Mais por ce qu’ele nel crut pas que cil seust la verité de la chose devant qu’ele fust avenue, s’an cele ; si fist domage a maintes genz, que se ele eust dist au roi ce que Lanceloz li dist, il qui se sentoit soupeçonneus de ceste chose l’eust chacié fors de sa cort et ainsi remainsist la guerre et la bataille qui fu puis es plains de Salibieres, dont li rois et maint prodome morrurent a grant pechié. » Lancelot. Roman en prose du xiiie siècle, éd. Alexandre Micha, Genève, Droz, « Textes littéraires français », 1978-1980, t. VI, CI, 15.

17 « Si que des fais Lancelot trova on un grant livre en l’aumaire le roi Artu, aprés ce qu’il fut navrés a mort en la bataille de Salesbieres, si conme cis contes le devisera cha avant. » La Seconde partie de la quête de Lancelot, éd. Irene Freire-Nunes, dans Le Livre du Graal, t. III, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009, p. 403-404. L’autre est une variante des mss B et C, au moment de présenter Mordret associé à « cele bataille ou li rois fu navrés a mort », sans plus de précision géographique dans la version longue. Lancelot. Roman en prose du xiiie siècle, éd. Alexandre Micha, op. cit., t. II, LX, 12. Dans cette famille de manuscrit, on le trouve également dans le ms. D.

18 « “Ne onques a mal prince ne fist Dix si grant honour, car il n’est encore pas cis rois qui onques mais assamblast si bele compaingnie ne ou il est itant de prodomes ne de bons chevaliers, ne jamais autant n’i aura devant icelui jour que li fix ocirra le pere et le pere le fil. Et ce sera en ceste meïsme place, et a celui jour demouerra la terre de la Grant Bretaigne sans seignour.” » Les Premiers Faits du roi Arthur, éd. Irene Freire-Nunes, dans Le Livre du Graal, t. I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2001, p. 1474.

19 « Celui meesmes Yvein qui puis fist mainte proece au tens lo roi Artur et fu compainz de la Table Reonde et morut es plaignes de Salesbieres, en la grant bataille qui fu entre Mordret et lo roi Artur, la ou Mordret fu ocis et li rois Artus navrez a mort. », L’Estoire del saint Graal, éd. Jean-Paul Ponceau, Paris, Champion, « Classiques français du Moyen Âge », 1997, § 869, l. 15-18.

20 Mss E (Bruxelles, KBR, 9627-9628), M1 (Londres, BL, Add. 17443) et Paris, BnF, fr. 25520.

21 « Et quant Boorz ot contees les aventures del [saint] Graal teles come il les ot veues, si furent mises en escrit et gardees en l’armaire de Salebieres », La Queste del saint Graal, éd. Fanni Bogdanow, op. cit., § 333, l. 12-13.

22 Mss Be, V et Va.

23 De manière encore plus étonnante, le ms. L intègre le prologue de La Mort du Roi Arthur à la conclusion de La Quête du saint Graal et commence La Mort du roi Arthur directement avec le retour de Bohort à la cour, après une rubrique qui fait office à la fois d’explicit pour La Quête et de titre pour La Mort du Roi Arthur (« Chi definent les aventures dou saint Graal et commenche li maistres a traitier comment li roys Artus se combati a Mordret es plains de [272va] Salebiere e comment Mordrés tua le roy Artus et li roys lui », ms. L, Paris, BnF, fr. 122, f. 272rb-272va).

24 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 188, l. 11-13.

25 Ms S1, Londres, BL, Add. 10294, f. 53vd, correspondant à la p. 204 l. 29-31 de l’édition d’Oskar Sommer, The Vulgate Version of the Arthurian Romances, t. VI, Washington, The Carnegie Institution of Washington, 1913, et B, Bonn, BU 526, f. 443vf, correspondant à la p. 1183 de l’édition de Mary Speer, dans Le Livre du Graal, t. III, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009.

26 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 188, l. 10-15.

27 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 188, l. 16-190, l. 4.

28 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 188, l. 18-21.

29 Berkeley, Bancroft Library 73, f. 81vc.

30 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 458, l. 5.

31 « Et li rois Artus se seigne tot demaintenant de la grant merveille que il ot, car il n’avoit onques veü nule meson plus richement encortinee, ne mostier ne yglise nule, que la corz de leenz estoit encortinee. », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 322, l. 11-15.

32 « Si s’en merveilla li rois Artus trop durement dont tele plenté de més, et si grant, pooit leenz venir. », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 326, l. 9-10.

33 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 460, l. 25-26.

34 « Et quant il virent ceste merveille si saillent maintenant tuit sus de la table, et si en furent trop durement esbahi de cele grant merveille. Quant la roïne vit le chevalier mort devant li, si en est tant dolente de ceste mesaventure q’ele ne set qel conseil ele doie prendre de soi meïsmes. », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 374, l. 22-376, l. 2.

35 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 406, l. 4-8.

36 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 406, l. 8.

37 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 454, l. 28-30.

38 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 796, l. 17-19.

39 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 798, l. 3-10.

40 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 798, l. 10-12.

41 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 798, l. 16.

42 Jean-Claude Schmitt, Les Revenants. Les vivants et les morts dans la société médiévale, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 1994.

43 Par exemple, l’apparition de l’abbé de Saint-Gilles à un moine de Cluny pour lui annoncer sa mort prochaine. Petrus Cluniacensis abbas, De Miraculis libri duo, éd. Denise Bouthilier, Turnhout, Brepols, « Corpus Christianorum Continuatio Mediævalis », 1988, p. 113.

44 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 800, l. 3-4.

45 « Puis revenoit au roi et li disoit : “Sire, mandez Lancelot, que, se vos l’aviez en vostre compaignie, ja Mordrez n’avroit duree contre vos. Et se vos a cest besoig ne le mandez, vos n’en poez eschaper sanz mort. », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 800, l. 4-8.

46 Gautier Map, Contes pour les gens de cour, trad. Alan Keith Bate, Turnhout, Brepols, 1993, p. 150. « A fantasia, quod est aparicio transiens, dicitur fantasma; ille enim aparencie quas aliquibus interdum demones per se faciunt a Deo prius accepta licencia, aut innocenter transeunt aut nocenter », De Nugis Curialium, éd. Montague Rhodes James, Cambridge, Cambridge University Press, 2010 [1914], dist. II, capxiii, p. 77, l. 30-78, l. 2.

47 S1 donne « Gloucedon », C « Lendon », et W fait l’économie de tout toponyme.

48 « Pourquoi ce crochet ? Et les prairies, que je sache, ne manque pas en Angleterre. », Alexandre Micha, Essais sur le cycle du Lancelot-Graal, Genève, Droz, « Publications romanes et françaises », 1987, p. 274-275.

49 « Fortune n’assembla onques l’amor de vos .ii. en tel maniere come je la voi assemblee fors por le nostre grant domage », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 356, l. 28-30.

50 « Coment pot sofrir Fortune vostre trebuchement si lait et si vilain ? Ja vos soloit ele estre si douce et si amiable qu’ele vos amoit et vos avoit levé en la plus mestre roe. », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 526, p. 23-26.

51 « Hé ! Fortune, chose contrere et diverse, le plus desloial chose qui soit el monde, porquoi me fus tu onques si debonere por vendre le moi si chierement au derreein ? », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 786, l. 8-11.

52 « Sire, ce sont des jeus de Fortune. Or poez veoir comme ele vous vent chierement les granz honors que vous avez eües en cest siegle, car au darrien nous toust ele touz nos plus corauz amis. », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 858, l. 6-9.

53 « Infima summis, summa infimis mutare gaudemus », Boèce, La Consolation de Philosophie, éd. Claudio Moreschini, trad. Éric Vanpeteghem, Paris, Librairie générale française / Le livre de poche, « Lettres gothiques », 2008, livre II, chap. 2, § 9, p. 90-91.

54 Jean Frappier, Étude sur La Mort le roi Artu. Roman du xiiie siècle. Dernière partie du Lancelot en prose, seconde édition revue et augmentée, Genève, Droz, « Publication romanes et françaises », 1961 [1936], p. 264.

55 On le trouvait dans la Quête à travers ce qui se présentait comme une citation d’un proverbe de Salomon : « J’ai, fet il, avironé tot le monde et alé parmi en tel maniere come sens d’ome mortel porroit encerchier, ne en tote cele circuite que j’ai fete ne poï une prodeme trover. », La Quête du saint Graal, éd. Fanni Bogdanow, op. cit., § 263, l. 17-21.

56 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 802, l. 20.

57 « Ensi vit li rois Artus en .ii. manieres sa meschaance, qui li estoit a avenir. », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 802, l. 24-25.

58 « “Sire, por Deu et por le sauvement de ton cors et de tes homes et de ton regne, retorne a Dovre, toi et ta jent, et d’iluec mande a Lancelot qu’il te viegne secorre.” », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 804, l. 3-6.

59 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 804, l. 15-16.

60 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 806, l. 1-2.

61 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 806, l. 9-14. La subordonnée temporelle n’est pas dans le manuscrit de base de David Hult, qui l’ajoute néanmoins dans son édition à partir d’une variante attestée dans les mss V et D.

62 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 808, l. 1-3.

63 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 808, l. 14-810, l. 2.

64 « — Certes, fet li rois, g’en voi tant que, se je ne fusse tant alé avant, je retornasse, quel talant que j’aie eü jusque ci. Mes quant je sui venuz jusque ci, del retorner est il neenz. », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 810, l. 3-6.

65 « Et se tu vas ore contre lui [Mordret], tu seras ocis ou navré a mort, et ti home seront ocis », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 804, l. 10-12.

66 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 812, l. 4-6.

67 Robert-Louis Wagner et Jacqueline Pinchon, Grammaire du français classique et moderne, Paris, Hachette, 1962, p. 594. Pour les auteurs de la Grande Grammaire historique du français (en l’occurrence Wendy Ayres-Bennett et Adeline Patard) : « Ce genre d’emplois confirme l’hypothèse soutenue par plusieurs auteurs selon laquelle le PR peut exprimer le futur si le fait situé dans l’avenir est prévu ou “planifié” partir d’une représentation de celui-ci. », Berlin, De Gruyter, 2020, vol. 1, p. 1491.

68 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 812, l. 20-p. 814, l. 1.

69 Grande Grammaire historique du français, op. cit., p. 1510.

70 Jean Rychner, La Chanson de geste. Essai sur l’art épique des jongleurs, Genève, Droz, « Publications romanes et françaises », 1955.

71 Interpellation à Dieu du roi Arthur pour déplorer la trahison de Lancelot (p. 464, l. 17-18) ; déploration des chevaliers sur le cadavre de Gauvain (p. 788, l. 25-27) ; apostrophe à la dépouille d’Agravain (p. 516, l. 27-p. 518, l. 6) ; apostrophes sur le cadavre de Gaheriet (p. 520, l. 18-24 et 526, l. 1-528, l. 4) ; apostrophe de la Dame de Beloé à la dépouille de Gauvain (p. 792, l. 5-11), apostrophe de Bohort au cadavre de Melleant (p. 890, l. 1-4).

72 Apostrophes de la reine à Dieu pour déplorer l’inconstance supposée de Lancelot, (p. 258, 2 occurrences, l. 5 et 9), puis pour déplorer son absence, après la constatation que sa jalousie était infondée (p. 414, 2 occurrences, l. 17 et 19), enfin adresse d’abord à Dieu, devant Bohort (p. 436, l. 21), puis à Lancelot absent pour déplorer son abandon par le lignage du roi Ban (p. 438, l. 4-9) ; apostrophe de Lancelot à la reine absente et au chevalier, absent, qui l’a blessé (p. 284, l. 18-24).

73 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 368, l. 4-7.

74 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 520, l. 15-24.

75 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 786, l. 8-11.

76 On pourrait ajouter à cela un certain rapport aux lieux de la géographie arthurienne, sensible, par exemple, dans l’apostrophe de Lancelot à la terre de Gaule (p. 626, l. 11-15) ou dans l’interpellation de Gauvain pour rendre grâce à Dieu d’avoir permis son retour au royaume de Logres (p. 762, l. 13-15).

77 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 870, l. 25-872, l. 6.

78 « L’Apostrophe, qu’accompagne assez ordinairement l’Exclamation, est cette diversion soudaine du discours par laquelle on se détourne d’un objet, pour s’adresser à un autre objet, naturel ou surnaturel, absent ou présent, vivant ou mort animé ou inanimé, réel ou abstrait, ou pour s’adresser à soi-même. », Pierre Fontanier, Les Figures du discours, préface de Gérard Genette, Paris, Flammarion, « Champs », 1977 [1830], p. 371.

79 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 874, l. 14-15.

80 Francis Dubost, Aspects fantastiques de la littérature médiévale. L’Autre, l’Ailleurs, l’Autrefois, Paris, Champion, « Nouvelle bibliothèque du Moyen Âge », 1991, p. 695.

81 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 894, l. 7-8.

82 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 896, l. 6-7.

83 « Si [Boorz] en ala avec l’arcevesque et avec Bliobleris et usa avuec eus le remanant de sa vie por amor Nostre Seignor », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 908, l. 16-18.

84 « Et li arcevesques li dit erraument la vie Lancelot et la fin de lui. », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 908, l. 5-6.

85 Ferdinand Lot, Étude sur le Lancelot en prose, Paris, Champion, « Bibliothèque de l’École des Hautes Études », 1918, p. 203, n. 1.

86 « Et fenist ici son livre si outreement que aprés ce n’en porroit nus reconter qui n’en mentist de totes choses. », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 908, l. 21-23.

87 La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 904, l. 8-9.

88 « A l’endemain se parti li rois Boorz de la Joiose Garde, si man[da] a ses homes par son chevalier qu’il feïssent tel roi com il vodroient, qu’il ne revendra jamés. », La Mort du roi Arthur, éd. et trad. Hult, op. cit., p. 908, l. 13-16.

Bibliographie

Textes

Boèce, La Consolation de Philosophie, éd. Claudio Moreschini, trad. Éric Vanpeteghem, Paris, Librairie générale française, Le livre de poche, « Lettres gothiques », 2008

Gautier Map, Contes pour les gens de cour, trad. Alan Keith Bate, Turnhout, Brepols, 1993

La Mort du roi Arthur, éd. et trad. David F. Hult, Paris, Librairie générale française, Le Livre de Poche, « Lettres gothiques », 2009

Lancelot. Roman en prose du xiiie siècle, éd. Alexandre Micha, Genève, Droz, « Textes littéraires français », 8 t., 1978-1982

La Quête du saint Graal, éd. Fanni Bogdanow, trad. Anne Berrie, Paris, Librairie générale française, Le Livre de Poche, « Lettres gothiques », 2006

La Seconde partie de la quête de Lancelot, éd. Irene Freire-Nunes, dans Le Livre du Graal, t. III, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009

Les Premiers Faits du roi Arthur, éd. Irene Freire-Nunes, dans Le Livre du Graal, t. I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2001

L’Estoire del saint Graal, éd. Jean-Paul Ponceau, Paris, Champion, « Classiques français du Moyen Âge », 1997

Robert de Boron, Merlin. Roman du xiiie siècle, éd. Alexandre Micha, Genève, Droz, « Textes littéraires français », 1979

Études

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Pour citer cet article

Francis Gingras, « Peut-on en finir avec La Mort du roi Arthur ? », paru dans Loxias, 75., mis en ligne le 22 décembre 2021, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=9873.


Auteurs

Francis Gingras

Francis Gingras est professeur de littérature française du Moyen Âge à l’Université de Montréal. Ses travaux portent sur le développement des formes narratives au moment de l’émergence d’une littérature en langue vernaculaire. Il a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages dont Le Bâtard conquérant : essor et expansion du genre romanesque au Moyen Âge, Paris, Champion, « Nouvelle Bibliothèque du Moyen Âge », 2011. Au nombre de ses travaux les plus récents sur la matière arthurienne se trouve une édition bilingue de la Deuxième Continuation du Conte du Graal (édition établie, présentée et annotée par Francis Gingras, traduite par Francis Gingras et Marie-Louise Ollier, Paris, Champion, « Champion Classiques », 2021).