Loxias | 75. Autour des programmes d'agrégation et concours 2022 | I. Autour des programmes 2022 

Sylvie Ballestra-Puech  : 

La métamorphose entre métaphore et anamorphose dans Les Métamorphoses d’Apulée, Le Colloque des chiens de Cervantès, La Métamorphose de Kafka et Mon oncle le jaguar de João Guimarães Rosa

Résumé

La remarquable extension culturelle et historique de la métamorphose ne résulte pas seulement de son ancrage dans un phénomène biologique mais aussi de la diversité des ressources formelles et signifiantes qu’elle offre à la création littéraire. Un corpus largement diachronique et multiculturel permet de mettre en lumière cette plasticité de la métamorphose au service d’une interrogation sur la porosité de la frontière entre humanité et animalité. Synonyme de déchéance dans la tradition idéaliste, la métamorphose peut aussi devenir une ligne de fuite pour une pensée de l’immanence, piste explorée notamment par Gilles Deleuze et Félix Guattari. Si l’écriture de la métamorphose se trouve étroitement liée à la métaphore dès l’Antiquité, elle oppose au fil des siècles une résistance croissante au déchiffrement allégorique. Les modalités énonciatives du récit de métamorphose peuvent alors le faire basculer du côté de l’anamorphose qui interroge la part de la subjectivité dans la perception du phénomène et renvoie le lecteur à ses propres incertitudes. Enfin le rôle important dévolu à l’intertextualité dans le corpus étudié rend la métamorphose des corps indissociable de celle des textes.

Abstract

The remarkable cultural and historical extension of metamorphosis results not only from its anchorage in a biological phenomenon but also from the diversity of the formal and signifying resources that it offers to literary creation. A largely diachronic and multicultural corpus allows us to highlight this plasticity of metamorphosis in the service of a questioning of the porosity of the frontier between humanity and animality. Equated with decay in the idealist tradition, metamorphosis can also become a line of flight for a thought of immanence, an avenue explored in particular by Gilles Deleuze and Félix Guattari. If the writing of metamorphosis has been closely linked to metaphor since Antiquity, it has increasingly resisted allegorical deciphering over the centuries. The enunciative modalities of the metamorphosis narrative can then tip it over to the side of anamorphosis, which questions the part of subjectivity in the perception of the phenomenon and sends the reader back to his own uncertainties. Finally, the important role given to intertextuality in the corpus studied makes the metamorphosis of bodies inseparable from that of texts.

Index

Mots-clés : anamorphose , Apulée, Cervantès, Guimarães Rosa, Kafka, métamorphose, métaphore

Géographique : Europe Brésil

Chronologique : Antiquité , XVIIe, XXe

Plan

Texte intégral

1La porosité de la frontière entre humanité et animalité se trouve remise en question avec une acuité particulière par les récits de métamorphose dont l’extension dans le temps comme dans l’espace de la littérature mondiale n’a pas besoin d’être soulignée. La large diffusion du motif ne doit pourtant pas dissimuler la grande diversité des modalités selon lesquelles la métamorphose animale s’inscrit dans les textes. Les différences peuvent concerner la temporalité de la métamorphose selon, par exemple, qu’on a affaire à une métamorphose réversible ou définitive, mais aussi le mode d’énonciation qui peut tendre à objectiver le phénomène ou au contraire à le circonscrire à la subjectivité de celui qui l’évoque. L’horizon d’attente du lecteur n’est pas moins déterminant et les récits de métamorphose exigent qu’une attention accrue soit accordée au contexte de leur réception comme de leur genèse. En dépit pourtant de ces multiples variations, la proximité entre métamorphose et métaphore, déjà sensible dans le préfixe qu’elles partagent et la paronomase qui les rapproche dans les vocables issus des racines grecques, semble constituer une constante qui mérite de retenir l’attention. Par sa dynamique intrinsèque la métamorphose échappe pourtant aux lectures métaphoriques qu’elle ne cesse de susciter.et tend souvent vers l’anamorphose qui associe déformation et changement de perspective. Enfin la riche tradition littéraire et artistique liée à la métamorphose contribue à faire d’elle, par le miroitement intertextuel, un foyer d’ambiguïté sémantique.

Métamorphose et métaphore : un lien d’antique mémoire

2Dans la tradition occidentale la transformation par Circé des compagnons d’Ulysse en pourceaux constitue la première occurrence littéraire de la métamorphose et celle-ci donne lieu, dès le Ve siècle avant J. C., à des interprétations allégoriques1. Cette propension à considérer la métamorphose comme une métaphore incarnée est exploitée avec une grande virtuosité par Ovide, célébré pour l’art avec lequel il prépare par la description du personnage humain et de son comportement la métamorphose à venir, laquelle, tout en constituant la chute du récit, est perçue par le lecteur comme l’actualisation de virtualités d’emblée présentes chez l’humain. En d’autres termes, la métamorphose ovidienne illustre par anticipation l’adage nietzschéen : « Deviens ce que tu es ». Pour n’en donner qu’un exemple, la source en laquelle se métamorphose Niobé (Métamorphoses, VI, v. 148-312) dont les enfants ont été impitoyablement massacrés par Apollon et Diane, peut être considérée comme la métaphore incarnée de sa peine inextinguible même si la métamorphose relève aussi de la métonymie : Niobé se réduit au flot ininterrompu de ses larmes.

La métamorphose de Lucius comme métaphore incarnée de sa lubricité

3La proximité entre métaphore et métamorphose semble encore plus grande dans le cas de la métamorphose animale, notamment dans un texte d’obédience néo-platonicienne comme celui d’Apulée. Dans les différents modèles figurés que Platon propose du fonctionnement psychique, l’animal occupe, en effet, une place de choix, qu’il s’agisse de l’attelage ailé du Phèdre2 ou de l’animal hybride et du lion dans la République3. La métamorphose de Lucius en âne, symbole de lubricité dans l’Antiquité, se lit dès lors de manière assez transparente comme la métaphore de son abandon sans retenue à un désir sous le signe duquel s’ouvre le livre II, désir de métamorphose et désir charnel tendant à se confondre. C’est ce que souligne le mouvement impulsif par lequel le jeune homme, mis en garde par Byrrhène contre la magicienne Pamphilé — dont le nom résume à lui seul l’insatiable lubricité —, court à sa perte en se précipitant dans les bras de la servante Photis : « Tâtons de cette Photis !4 » est la brève injonction qui résume ce mouvement. L’erreur de la jeune femme transforme en âne celui qui se rêvait oiseau et le récit rétrospectif souligne l’ironie du sort : « Je ne voyais nulle consolation à cette malheureuse métamorphose, n’était que maintenant que je ne pouvais plus posséder Photis, mon sexe grossissait » (p. 106). À la fin de la trajectoire animale de Lucius, la zoophilie de la matrone qui le transforme en objet sexuel (X, 19-23, p. 299-302) avant qu’il soit voué à violer publiquement une criminelle (X, 29, p. 307), perspective qui déclenche sa fuite, met un point d’orgue, sous le signe de l’effroi, à cette métaphore incarnée de la lubricité à laquelle il s’est trouvé réduit.

4Dans le récit d’Apulée la lisibilité métaphorique de la métamorphose repose donc sur la symbolique dépréciative de l’âne dans le contexte antique, même si celle-ci fait l’objet d’une approche aussi syncrétique qu’Isis dans la prière de Lucius qui ouvre le dernier livre. La réponse de la déesse conforte d’ailleurs la cohérence métaphorique de la trajectoire de Lucius en soulignant son aversion pour l’âne : « cette bête si vile qui m’est depuis longtemps odieuse » (XI, 5, p. 321), allusion à son antagonisme avec le dieu Seth auquel l’âne est associé dans la mythologie égyptienne depuis le Moyen Empire.

Le « Colloque des chiens » et la tradition du songe allégorique

5Si le rappel de la portée symbolique de l’animal intervient dans le dernier livre du récit d’Apulée pour expliciter une valeur métaphorique de la métamorphose déjà largement suggérée par la trame narrative, c’est, en revanche, dès l’ouverture du « Colloque des chiens » que les deux interlocuteurs canins rappellent les qualités qui leur sont associées par la tradition5. Le docte exposé de Scipion, dont le nom convoque à lui seul la tradition du songe allégorique6, est ensuite illustré par les exemples, donnés par Berganza, de chiens choisissant d’accompagner leur défunt maître dans la mort plutôt que de leur survivre. Nous trouvons donc à l’orée de la nouvelle l’instauration d’un cadre de référence symbolique consensuel et relativement univoque, a priori aussi propice à la lisibilité métaphorique de la métamorphose que celui des Métamorphoses d’Apulée mais force est de constater que celle-ci se trouve totalement brouillée par le traitement narratif et discursif de ce motif dans l’œuvre. Non seulement la métamorphose n’est pas décrite mais elle est renvoyée par Scipion au domaine des fictions mensongères et trompeuses, et ce d’autant plus facilement qu’elle n’a pris corps que dans le discours de la sorcière (p. 573).

6Alors que tout converge dans le récit d’Apulée pour faciliter la lecture métaphorique de la métamorphose, la nouvelle de Cervantès livre au lecteur des indices ouvrant la voie à des interprétations concurrentes et inconciliables. Comment, en effet, accorder le motif d’une métamorphose opérée par une sorcière jalouse avec la grille de lecture symbolique proposée en ouverture qui valorise, au contraire, l’animal en lequel les nouveau-nés sont censés avoir été métamorphosés ? La voie de la lecture métaphorique ne semble donc ouverte que pour apparaître bientôt comme une impasse, Scipion ne développant une lecture allégorique de la prophétie prononcée par la Camacha sur son lit de mort (p. 563) que pour en dénoncer l’inanité (p. 573-574) en terminant par l’image prosaïque et comique du jeu de quilles, sur laquelle on reviendra. Berganza se range d’ailleurs aussitôt à son avis et préfère à l’hypothèse de la métamorphose celle du songe (p. 574). C’est donc bien la lecture symbolique programmée par le début du dialogue canin qui doit l’emporter en tant qu’elle s’accorde au genre du songe allégorique7, l’hypothèse du songe valant aussi pour l’enseigne Campuzano (p. 517), auditeur et scripteur du colloque, indépendamment du modèle du récit de métamorphose qui semble n’être convoqué que pour être récusé, on y reviendra.

La métamorphose kafkaïenne comme ligne de fuite

7C’est évidemment selon des modalités bien différentes que Kafka joue du lien traditionnel entre métaphore et métamorphose. Là où Cervantès rompt explicitement ce lien en renvoyant la métamorphose dans la sphère du mensonge et du maléfice, irrémédiablement séparée de la vérité, Kafka dissémine dans son récit des indices qui appellent à des lectures métaphoriques de la métamorphose mais interdisent de s’arrêter sur une interprétation stable. Au mouvement de convergence opéré par le récit d’Apulée, s’oppose ici un effet de diffraction dont témoignent bien les multiples lignes interprétatives que révèle la production critique suscitée par le récit. L’impossibilité de toute identification zoologique précise de l’animal en lequel Gregor est métamorphosé8 constitue sans doute l’obstacle le plus efficace que Kafka a choisi d’opposer à toute tentative de lecture allégorique. Car les insectes ne manquent pas dans la tradition emblématique et, en l’occurrence, le bousier (Mistkäfer) — terme par lequel la femme de service désigne Gregor dans la troisième section de la nouvelle (p. 439) — fait l’objet d’un emblème que l’on retrouve dans plusieurs recueils en Europe du XVIe au XVIIe siècle9. La représentation du bousier au centre d’une rose s’y trouve associée à un commentaire comparant l’insecte qui se nourrit d’excréments et est censé mourir s’il respire l’odeur de la rose, aux voluptueux asservis au plaisir sensuel qui ne peuvent supporter ni la spiritualité ni la piété. Il ne s’agit évidemment pas de spéculer sur la connaissance que Kafka pourrait avoir eue de cette tradition. En revanche, la comparaison permet de mettre en lumière la manière dont son écriture de la métamorphose sollicite et décourage à la fois toute lecture métaphorique. La prédilection du bousier pour les immondices, qui lui donne son nom en allemand comme en français et qui se trouve à l’origine de la série d’emblèmes, peut être mise en relation avec le développement important réservé, dans le texte de Kafka, au changement des appétences de Gregor, désormais dégoûté par ce qui constituait auparavant ses aliments de prédilection et attiré par ce qui lui aurait naguère répugné (p. 414 et 417). Mais ce changement peut-il faire l’objet d’un jugement axiologique, selon la logique des emblèmes ? Rien n’est moins sûr. En revanche, le lien métaphorique instauré par la tradition emblématique entre l’appétence pour les immondices et une sensualité exacerbée semble affleurer dans le récit kafkaïen dans ce qui se joue autour de la représentation de la dame à la fourrure (p. 429) — avec une dimension intertextuelle sur laquelle on reviendra — et dans le fantasme incestueux avec la sœur (p. 443-444), qui se trouve, sur le strict plan de la narration, associé au thème des immondices puisqu’il est précisé que lorsque Gregor s’avance vers Grete jouant du violon « il était, lui aussi, couvert de saletés ; il entraînait avec lui des bouts de fil, des cheveux, des restes de nourriture, accrochés sur son dos et sur ses flancs » (p. 442). On voit donc se substituer à la logique métaphorique à l’œuvre dans les emblèmes, selon laquelle l’appétence pour les immondices fonctionne comme le signifiant d’une sensualité exacerbée, un rapport de concomitance sur le plan immanent de la narration. Libre au lecteur, bien sûr, de faire une lecture métaphorique de cette concomitance mais rien dans le texte ne l’y autorise, si l’on se souvient qu’autoriser est l’action d’un auteur (auctor), c’est-à-dire de celui qui est capable d’augmenter (augere), comme le fait l’emblème qui, par le commentaire dont il assortit l’image, indique, sans ambiguïté, la portée symbolique de l’image.

8La situation change si on prend en compte non plus le seul texte de La Métamorphose mais l’ensemble des écrits de Kafka. Cette intertextualité interne à l’œuvre de l’écrivain permet de retrouver la lecture de la métamorphose comme métaphore incarnée10 mais sous le signe de la pluralité et donc de la polysémie. Ainsi, le père de Kafka usant du mot vermine en tant que métaphore lexicalisée insultante11, la transformation de Gregor en monstrueuse vermine pourrait incarner cette métaphore et en dramatiser toutes les conséquences, conférant à la parole paternelle une dimension performative, bien illustrée dans Le Verdict, selon une logique que l’on retrouve d’ailleurs à la fin de La Métamorphose, la mort de Gregor pouvant être considérée comme l’exécution du verdict prononcé par la famille après le réquisitoire de Grete. Mais on peut aussi se rappeler que dans Préparatifs de noces à la campagne, le futur marié rêve de se métamorphoser en insecte pour se dispenser de se rendre à ses propres noces :

Quand je suis au lit, j’ai la silhouette d’un gros coléoptère, d’un lucane ou d’un hanneton [...].
La silhouette d’un gros coléoptère, oui. Puis je m’arrange pour faire croire qu’il s’agit d’un sommeil hivernal et je presse mes petites pattes contre mon abdomen renflé12.

9La proximité entre ces lignes et l’incipit de La Métamorphose saute aux yeux et confirme qu’il s’agit bien de substituer une logique fantasmatique à la logique métaphorique : le « deviens ce que tu es » cède la place à un « deviens ce qui te permettra de te soustraire à ce qui t’est imposé ». L’insistance, au début de la nouvelle, sur l’aversion de Gregor pour un métier qu’il n’exerce que sous la contrainte familiale et sociale — la nécessité de rembourser la dette paternelle — confirme la fonction d’échappatoire que revêt la métamorphose animale, magistralement analysée par Deleuze et Guattari :

Les animaux de Kafka ne renvoient jamais à une mythologie, ni à des archétypes, mais correspondent seulement à des gradients franchis, à des zones d’intensités libérées où les contenus s’affranchissent de leurs formes, non moins que les expressions, du signifiant qui les formalisait elles-mêmes. [...] Grégor devient cancrelat, pas seulement pour fuir son père, mais plutôt pour trouver une issue là où son père n’a pas su en trouver, pour fuir le gérant, le commerce et les bureaucrates, pour atteindre cette région où la voix ne fait plus que bourdonner ‒ « L’as-tu entendu parler ? C’était une voix d’animal, déclara le gérant »13.

10Il n’en reste pas moins que cette dimension émancipatrice du devenir-animal s’accorde mal avec la fin de la nouvelle — dont Kafka se disait d’ailleurs insatisfait —, à moins de considérer que la tentative d’évasion de Gregor hors du carcan des rapports de domination se trouve cruellement punie par un ordre social qui condamne les non productifs au statut de déchet tout juste bon à être balayé. Comme l’a souligné Philippe Zard, cette dernière image apparaît dans une lettre de Kafka à Felice Bauer précédant de peu l’achèvement de la métamorphose : « Ma vie au fond consiste et a consisté depuis toujours en tentatives pour écrire, et le plus souvent en tentatives manquées. Mais lorsque je n’écrivais pas, j’étais par terre, tout juste bon à être balayé14 ». D’où la possibilité de considérer la métamorphose comme « l’exposition et l’expulsion de cet autre lui-même, l’animal répugnant qu’est Gregor15 », la question restant ouverte de savoir si la créativité implique le triomphe sur l’animalité ou y puise au contraire sa force16, comme l’expérience heureuse de la déambulation de Gregor sur le plafond (p. 425) pourrait le suggérer.

Métamorphose conjecturale et intermittences du sens dans « Mon oncle le jaguar »

11Cette question se pose avec encore plus d’acuité peut-être dans la nouvelle de Guimarães Rosa17 dès lors que l’animal en lequel le protagoniste narrateur dit se métamorphoser, le jaguar, jouit, lui, d’un grand prestige dans les cultures amérindiennes18. Du strict point de vue du statut symbolique de l’animal, nous retrouvons donc une situation comparable à celle du récit d’Apulée mais avec un renversement axiologique : là où Lucius subit une métamorphose dégradante en un animal déprécié qu’il n’a pas choisi, le protagoniste de la nouvelle brésilienne dit se métamorphoser en un animal admiré et révéré et cette métamorphose évoque des expériences chamaniques assez bien documentées19. Si l’identification précise d’un animal au statut symbolique bien établi favorise la lecture métaphorique de la métamorphose, la trajectoire qui se dessine dans la parole du protagoniste soulève une interrogation comparable à celle que suscitait l’hypothèse d’un devenir-animal libérateur dans l’interprétation deleuzienne de la nouvelle de Kafka. Le devenir animal peut, en effet, tout aussi bien y être considéré comme une ligne de fuite hors de l’oppression économique et culturelle du colonisateur mais la probable exécution finale du protagoniste narrateur par un représentant de cette oppression souligne l’absence réelle d’échappatoire et on peut lire dans cette mort la métaphore de l’extermination, passée, présente et à venir, des populations autochtones et de leur culture dans le Brésil contemporain20. À s’en tenir à ce que le protagoniste lui-même dit de cette métamorphose, qui n’existe pour le lecteur que dans sa parole — on y reviendra — « devenir once » marquerait une réconciliation avec ses origines maternelles et la fin d’une longue aliénation21 qui a atteint son paroxysme lorsqu’il a accepté la mission d’exterminer les jaguars. Mais la déshumanisation et la mort sont le prix à payer pour cette réconciliation si l’on considère que le protagoniste est tué par son visiteur au terme de la nouvelle. On a vu combien il était important pour Kafka que l’animal en lequel Gregor se trouve métamorphosé soit indéfinissable et irreprésentable, l’incertitude résultant de cette indétermination constituant sans doute la résistance la plus puissante que le texte oppose à toute réduction allégorique22. Dans la nouvelle brésilienne, c’est une autre incertitude qui empêche de lire la métamorphose comme la simple incarnation d’une métaphore : celle qu’induit le mode d’énonciation très spécifique choisi par Guimarães Rosa qui rend le statut même de la métamorphose conjectural, en l’absence de toute forme d’objectivation interne au texte.

12Si toutes les œuvres de notre corpus attestent donc la force du lien entre métaphore et métamorphose, seul le récit d’Apulée permet véritablement d’envisager la métamorphose comme une métaphore incarnée. Encore faut-il pour cela laisser de côté bien des passages du texte qui ne peuvent que difficilement faire l’objet d’un déchiffrement de type allégorique. Entre la transformation de Lucius en âne au livre III et le retour du protagoniste à sa forme humaine dans le livre XI, c’est moins la dynamique de la métaphore que celle de l’anamorphose que révèle le fonctionnement textuel.

Métamorphose et anamorphose : questions de point de vue

13La notion d’anamorphose est d’apparition beaucoup plus récente que celle de métamorphose. En français, elle émerge dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et dans le domaine spécifique des arts visuels auxquels elle a été longtemps circonscrite. On la trouve ainsi définie dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert en 1751 :

En Perspective et en Peinture, se dit d’une projection monstrueuse ou d’une représentation défigurée de quelque image, qui est faite sur un plan ou sur une surface courbe, et qui néanmoins à un certain point de vue, paraît régulière et faite avec de justes proportions23.

14L’anamorphose est donc indissociable de la perspective, l’exemple paradigmatique étant le tableau d’Holbein, Les Ambassadeurs (1533), au premier plan duquel on peut découvrir, si on se place dans la perspective requise, une tête de mort. En tant que déformation et non transformation, l’anamorphose pourrait être considérée comme une métamorphose incomplète. Mais dans la mesure où l’identification de l’objet change selon le point de vue du spectateur, elle peut aussi être perçue par celui-ci comme une métamorphose réversible et intermittente. Le tableau de Salvador Dali Marché d’esclaves (avec apparition du buste invisible de Voltaire) offre une bonne illustration de cette dernière dimension24. Enfin, si l’anamorphose a partie liée avec la métamorphose, elle a aussi pu être envisagée comme un « au-delà de la métaphore25 » et c’est donc à ce double titre qu’elle peut nous aider à cerner de plus près l’influence du mode d’énonciation sur le fonctionnement sémantique de la métamorphose dans notre corpus. On verra, en effet, qu’il y a concurrence, dans nos textes, entre la logique métaphorique et la logique anamorphique, la déformation et le changement de perspective inhérentes à la seconde s’opposant à la stabilité que requiert le fonctionnement sémantique de la première.

Métamorphose et vacillement de la perception

15Dans son compte rendu de la nouvelle de Guimarães Rosa publié en 196226, Haroldo de Campos compare la métamorphose en jaguar du protagoniste à la transformation en panthère de l’héroïne du film de Jacques Tourneur La Féline (Cat People, 1942). Il établit une analogie entre l’effet produit sur le spectateur du film par la superposition d’images et celui produit par l’insertion dans le monologue du protagoniste de la nouvelle d’expressions incompréhensibles pour le lecteur lusophone, les unes empruntées à la langue tupi, les autres relevant de l’onomatopée. La comparaison est, en effet, suggestive et mérite d’être approfondie car elle permet de montrer, a contrario, la spécificité de l’écriture de la métamorphose dans le texte brésilien. On notera tout d’abord qu’en dehors de la superposition d’images, le film recourt à un procédé beaucoup plus traditionnel, déjà présent chez Ovide et ses illustrateurs, consistant à représenter la métamorphose comme commençant par les extrémités du corps, en l’occurrence les mains remplacées par des pattes félines ; or c’est aussi par les mains — terme que, de manière très révélatrice, le protagoniste emploie d’emblée indifféremment qu’il parle des onces ou de lui-même —, que s’amorce la métamorphose : « j’avais des ongles [Eu tava com as unhas] » (p. 122) c’est-à-dire des griffes27 en vertu de l’indifférenciation entre main et patte et il est tout à fait remarquable que cette mention soit la seule évocation d’un changement de forme dans le texte, la métamorphose n’étant donc jamais donnée à voir mais seulement à imaginer — et peut-être à entendre si l’on suit Haroldo Campos, encore qu’on puisse douter que la présence de la langue tupi dans le texte doive être considérée comme un indice de métamorphose et non simplement d’altérité ethnique et culturelle.

16Autre point de rencontre entre le film et la nouvelle : le mouvement pulsionnel qui déclenche la métamorphose. Dans Mon oncle le jaguar le protagoniste évoque à plusieurs reprises la rage qui s’empare de lui, notamment en lien avec la sexualité dans l’épisode avec Maria Quirinéia (p. 135-136). Dans La Féline, le psychanalyste qui prétendait réduire la métamorphose au statut de fantasme devient la proie de la femme devenue panthère. Le basculement dans le registre fantastique n’y fait donc aucun doute, l’objectivation de la métamorphose étant assurée de surcroît par la présence de personnages témoins. Or c’est précisément cette objectivation qui fait résolument défaut dans le récit de Guimarães Rosa si bien qu’on peut difficilement souscrire à l’affirmation d’Haroldo de Campos selon laquelle le protagoniste « se transforme en once devant les yeux de son interlocuteur (et du lecteur) », à l’instar de ce qui se produit dans le film. Il existe une notable différence entre voir la métamorphose et l’entendre raconter par celui qui dit la vivre. L’énoncé répété « je me change en once » peut certes être considéré comme celui d’un fait mais aussi bien comme l’expression d’un fantasme délirant, voire comme une fiction destinée à séduire un auditeur, dont l’existence même reste problématique. En outre, le protagoniste a prévenu d’emblée qu’il « disait des bêtises » (p. 76) et l’affirme de nouveau dans ses dernières paroles (p. 139). Sans doute peut-on interpréter cette affirmation comme une tentative désespérée de dissuader son visiteur de le tuer mais rien ne permet d’exclure l’hypothèse que tout ce qu’il vient de dire et que nous venons de lire n’a qu’une existence fantasmatique, et ce d’autant plus que son récit est scandé par les mentions de la cachaça qu’il ne cesse de boire — « je bois toute votre cachaça » (p. 109). Que les cris désarticulés sur lesquels s’achève la nouvelle indiquent que le protagoniste est devenu jaguar au moment où il est blessé à mort reste donc éminemment conjectural. Comme dans l’anamorphose, tout dépend du point de vue qu’adopte le lecteur, de l’importance qu’il accorde à la part de l’animal et à celle de l’humain dans la parole du protagoniste qui évoque notamment son degré de ressemblance variable avec l’once :

M’sieu trouve que je ressemble à une once ? Mais il y a des moments où je ressemble bien plus. Vous avez pas vu. Vous avez ce machin — un miroir, oui ? Je voulais voir mon visage... Tiss, n’t, n’t... J’ai l’œil fort. Eh, il faut savoir regarder l’once, bien en face, la regarder avec courage : han, elle respecte ça. (p. 94)

17Être vu comme semblable à l’once, se voir dans le miroir, regarder l’once, être regardé par elle : la succession asyndétique des phrases souligne l’importance du regard et le lien instauré entre la métamorphose comme vacillement de l’identité et l’involution du dialogue supposé dans une parole monologique. L’expérience que fait le lecteur de la nouvelle est comparable à celle du spectateur du tableau de Dali déjà évoqué : on peut voir alternativement le marché d’esclaves et le buste de Voltaire ou, pour peu qu’on accélère le changement de perspective, finir par ne plus percevoir que des taches de couleur et des formes non identifiables. De manière analogue, le protagoniste de la nouvelle se vit alternativement homme ou once mais le moment de la transformation se dérobe à sa conscience et à sa parole (p. 122-123). Ce blanc n’est sans doute pas sans rapport avec l’absence de nom qui succède à la multiplicité des noms dont il s’est vu affubler au cours de sa vie : « Maintenant j’ai plus aucun nom, plus besoin » (p. 111). Dans une lettre à sa traductrice américaine cité par Mathieu Dosse dans sa postface (p. 27), Guimarães Rosa dit vouloir « que le lecteur affronte un peu le texte, comme un animal vif et sauvage ». On ne saurait mieux dire que métamorphose et anamorphose sont dans Mon oncle le jaguar bien plus que des thèmes du texte : c’est le texte lui-même qui ne cesse de se dérober et contraint son lecteur à une perpétuelle accommodation du regard en quête de repères.

Une métamorphose kaléidoscopique

18Le caractère irréversible de la métamorphose kafkaïenne et sa double objectivation par la narration à la troisième personne et par la présence de personnages spectateurs, semble a priori nous écarter de l’anamorphose, et ce d’autant plus que le moment de la transformation échappe au lecteur comme au protagoniste qui se découvre prisonnier d’un corps animal qu’il doit apprivoiser, la substitution des nombreuses petites pattes aux mains revêtant une importance particulière ici aussi — dans les deux récits, la substitution des pattes aux mains marque la perte du trait distinctif de l’homo faber28. Pourtant, le texte ne produit pas non plus une représentation stable et fixe de ce en quoi Gregor a été métamorphosé, non seulement parce qu’il est impossible, on l’a vu, de lui assigner une identité zoologique mais aussi en raison de fluctuations liées à des changements de perspective. L’incipit de la nouvelle souligne d’emblée l’importance qu’y revêt cette dimension. C’est à travers le regard de Gregor que son nouveau corps se donne à voir au lecteur :

Il reposait sur son dos qui était dur comme une cuirasse, et en soulevant un peu la tête, il apercevait son ventre bombé, brun, divisé par des arceaux rigides, au sommet duquel la couverture du lit, sur le point de dégringoler tout à fait, ne se maintenait que d’extrême justesse. D’impuissance, ses nombreuses pattes, d’une minceur pitoyable par rapport au volume du reste, papillonnèrent devant ses yeux. (p. 395)

19Aucun changement de la taille de Gregor n’est ici suggéré et la mention de la couverture en train de glisser au sommet de son ventre semble même exclure cette hypothèse. Pourtant, quelques pages plus loin, la description de Gregor, accroché à la clé par sa bouche et « décriva[nt] des arabesques autour de la serrure » (p. 407) implique bien une réduction conséquente par rapport à un corps humain, ce qui est confirmé un peu plus loin avec la mention de ses efforts pour « pivoter lentement autour de l’un des battants » sans « tomber lourdement sur le dos » (p. 408). Cette première section s’achève sur la vision de Gregor « vola[nt] en l’air très loin à l’intérieur de la chambre » (p. 413) sous l’effet du violent coup que lui a donné son père, ce qui suggère une réduction encore plus importante. Dans la deuxième section, nous voyons Gregor « grimper à toute vitesse » sur le mur puis s’arrêter sur la gravure de la dame à la fourrure qu’il finit par « recouvr[ir] à présent toute entière » (p. 429). À la fin de cette section, les précisions relatives au père qui « levait les pieds extraordinairement haut » tandis que Gregor est « étonné par la taille gigantesque des semelles de ses bottes » (p. 432) confirment que la perspective est celle de Gregor par rapport auquel le père semble devenu un géant qui le bombarde ensuite de pommes dont l’une se fiche au milieu de son dos, ce qui fournit une nouvelle indication de taille. Enfin, après la mort de Gregor, l’attention du lecteur est explicitement attirée sur les fluctuations dans la perception des dimensions de son corps, lorsque l’exclamation de Grete sur sa maigreur est suivie de cette confirmation du narrateur : « Et de fait, le corps de Gregor était tout plat et tout sec ; on ne s’en rendait vraiment compte que maintenant, car il n’était plus surélevé par les petites pattes, et l’on n’avait plus rien d’autre à examiner » (p. 450). Si la métamorphose a bien eu lieu avant le début du récit, le corps animal de Gregor n’en fait donc pas moins l’objet au cours du récit d’anamorphoses qui ne font pas seulement fluctuer ses dimensions en fonction de la perspective adoptée mais qui font aussi parfois percevoir des composantes anatomiques inattendues, telles qu’un cou (p. 448) ou un visage29. De manière plus générale, ce sont bien deux visions de Gregor qui s’imposent alternativement au lecteur : celle de l’être humain dont la narration suit la pensée et qui suscite l’empathie, celle de la « vermine monstrueuse » qui provoque le dégoût et le rejet croissant de son entourage. Le réquisitoire final de Grete qui refuse de reconnaître en lui son frère, qui le prive de son nom marque le paroxysme de cette perspective déshumanisante (p. 45-447).

La condition animale au miroir brisé de la métamorphose

20Cette oscillation de la perception de l’être métamorphosé ou supposé tel apparaît d’ailleurs déjà selon d’autres modalités dans les deux œuvres les plus anciennes du corpus. Dans le Colloque des chiens, le lecteur peut facilement oublier la nature canine des interlocuteurs au profit de considérations d’ordre moral, philosophique ou esthétique qu’ils échangent. L’allusion à la philosophie cynique (p. 540) et à son principal représentant Diogène, qualifié de « grand Chien » par ses épigones, suggère d’ailleurs cet effacement du chien derrière le philosophe. Pourtant, ce qui démarque fortement la nouvelle de Cervantès du simple récit allégorique est bien la présence, dans le récit de Berganza, de grains de réel nous donnant de brefs accès à la vie de chien de Berganza, du monde sordide des abattoirs (p. 521-522) à celui des bergers qui mettent au compte du loup leurs larcins et en font payer le prix en coups aux chiens (p. 529-530), des brefs instants de bien-être en tant que chien de compagnie des enfants d’une famille fortunée (p. 536-537) à la tentative d’empoisonnement à l’éponge frite (p. 545) sans oublier la vie du chien savant (p. 557-559). Il en va de même dans le récit d’Apulée dans lequel l’âne est loin de se réduire à sa dimension métaphorique, le texte abondant aussi en évocations de son corps martyrisé à l’instar de celui de ses congénères : écrasé sous des charges trop lourdes pour lui, exutoire de la violence sadique de ses maîtres successifs, l’animal vit un calvaire qui aboutit au moulin, où esclaves et bêtes de somme partagent le même enfer (IX, 11, p. 256). Mais lorsque Lucius se fait spectateur ou auditeur des multiples récits enchâssés, la perception de l’animal s’efface au profit de celle de l’artifice littéraire, joyeusement exhibé, par exemple, dans ce dialogue brièvement engagé avec un lecteur sceptique :

Mais peut-être lecteur vétilleux, critiqueras-tu mon récit et me feras-tu l’objection suivante :
« Comment as-tu pu, toi, astucieux baudet, savoir comme tu l’affirmes, ce que les femmes firent en secret, alors que tu étais enfermé dans l’enceinte du moulin ? » (IX, 29, p. 269)

21Entre les deux récits de métamorphose symétriques qui jalonnent le parcours de Lucius, le lecteur n’est donc pas invité à une plongée dans l’animalité : jamais le point de vue humain sur les événements ne disparaît et Apulée a soin de rappeler régulièrement le pacte de lecture ludique qu’il a proposé dans son prologue. Parfois pourtant, la souffrance de l’animal s’impose brièvement au lecteur, en images furtives, vite recouvertes par la verve du conteur. Faut-il interpréter ces évocations dans la perspective d’une présence du réel dans la représentation, comme l’a fait Erich Auerbach à propos du Satiricon de Pétrone30, ou faut-il mettre cette attention à la condition animale au crédit de Plutarque dont Lucius revendique la parenté ? Cette question soulève, de manière plus générale, celle du rôle que joue l’intertextualité dans la représentation de la métamorphose au sein de notre corpus.

L’intertextualité entre métamorphose et anamorphose

22Depuis son introduction par Julia Kristeva dans le sillage du dialogisme théorisé par Mikhaïl Bakhtine, la notion d’intertextualité a donné lieu à de multiples approches dans le détail desquelles on se gardera bien d’entrer ici31. On adoptera celle, particulièrement extensive, de Roland Barthes :

Le texte redistribue la langue (il est le champ de cette redistribution). L’une des voies de cette déconstruction-reconstruction est de permuter des textes, des lambeaux de textes qui ont existé ou existent autour du texte considéré, et finalement en lui : tout texte est un intertexte ; d’autres textes sont présents en lui, à des niveaux variables, sous des formes plus ou moins reconnaissables : les textes de la culture antérieure et ceux de la culture environnante ; tout texte est un tissu nouveau de citations révolues. Passent dans le texte, redistribués en lui, des morceaux de codes, des formules, des modèles rythmiques, des fragments de langages sociaux, etc., car il y a toujours du langage avant le texte et autour de lui32.

23Celle-ci apparaît, en effet, comme la plus opératoire pour mettre en évidence certaines constantes dans un corpus largement diachronique et regroupant des œuvres relevant d’esthétiques aussi différentes. Elle permet d’envisager aussi bien les cas relevant de ce que Gérard Genette a ultérieurement désigné comme hypertextualité, c’est-à-dire les situations dans lesquelles un hypotexte est clairement identifiable même s’il subit une transformation, que ceux impliquant la référence implicite à un modèle, par exemple un genre littéraire, qui se trouve détourné à des fins critiques. On retrouve ici mutatis mutandis la distinction entre la métamorphose comme transformation et l’anamorphose comme déformation laissant au récepteur la possibilité d’une perception de l’objet déformé pour peu qu’il adopte la perspective adéquate33.

De la métamorphose des corps à celle des textes

24La trame narrative des Métamorphoses d’Apulée présente beaucoup de similitudes avec celle d’un roman grec, L’Âne (Onos), longtemps attribué à tort à Lucien. Les deux œuvres dérivent probablement d’une source commune, aujourd’hui perdue, les Metamorphoseis de Lucius de Patras. Si lacunaires que soient les informations dont nous disposons pour reconstituer la genèse de l’œuvre, elles s’accordent cependant avec les indices internes au texte pour supposer qu’Apulée a choisi pour trame de sa milésienne un récit populaire auquel il a fait subir une métamorphose non moins exemplaire que celle du protagoniste. Son prologue enchaîne d’ailleurs transformation des corps et transformation des sources grecques :

D’ailleurs ce changement d’une langue à une autre s’accorde bien en lui-même avec le genre d’écriture que nous abordons et qui relève de l’art de la voltige [desultoria scientia]. C’est une histoire d’origine grecque que nous commençons. (p. 34)

25Comme le souligne Louis Callebat, « l’une des significations importantes de la métaphore équestre (desultoria scientia) paraît bien être celle d’un processus de transmutation appelé à générer la spécificité de l’œuvre34 ». Aussi le latiniste espagnol Lisardo Rubio Fernández n’a-t-il pas hésité à traduire cette expression par « art de la métamorphose35 », explicitant le jeu probable par lequel le lecteur est invité à découvrir un récit de métamorphose présenté lui-même comme la métamorphose d’un ou plusieurs récits antérieurs. De fait, la richesse et la complexité de l’œuvre apuléenne reposent bien sur la subtilité de ce tressage textuel revendiqué dans la première phrase du prologue36. Celui-ci fait se croiser, entre autres, l’héritage d’Ovide et celui de Plutarque. Le premier affleure très clairement non seulement dans le prologue et dans l’ouverture du deuxième livre ainsi que dans la description minutieuse de la transformation du corps humain en corps animal (III, 24, p. 106) mais aussi dans la subtile réécriture du mythe d’Actéon37 à laquelle se livre Apulée dans sa description de l’atrium de Byrrhène (II, 4, p. 61)38. Quant à Plutarque, il est nommément cité au sein de la fiction en tant que parent dont s’enorgueillit Lucius (I, 2, p. 34), ce que Joëlle Soler propose d’interpréter comme la « révélation programmatique d’une filiation intellectuelle39 », en soulignant les convergences entre le récit d’Apulée et l’ouvrage de Plutarque sur la manière dont il faut lire les poètes. La lecture du traité que celui-ci avait consacré à Isis et Osiris pourrait aussi avoir incité Apulée à conférer une dimension initiatique à sa réécriture du récit de métamorphose en âne qu’il emprunte à ses devanciers, dimension qui trouve son aboutissement dans le dernier livre placé sous le signe d’Isis. René Martin a même suggéré que l’expression asinus aureus, titre de l’œuvre selon saint Augustin40, renverrait à l’expression « l’âne roux » (onos pyrrhos) par laquelle Plutarque désigne l’incarnation de Seth, à laquelle, on l’a vu, il est fait allusion dans la réponse d’Isis à la prière de Lucius. Enfin, il ne faut sans doute pas oublier que Plutarque a consacré trois ouvrages41 à ce que nous appellerions aujourd’hui la « question animale » : l’un dénonce la cruauté inhérente à l’alimentation carnée42, l’autre s’ouvre sur une dénonciation de la chasse qui rend impitoyable43, le troisième44, sans doute le plus célèbre, fait dialoguer avec Ulysse, Gryllos, « le pourceau magnifique » selon la belle expression d’Élisabeth de Fontenay45, qui démontre avec brio combien est vaine la prétendue supériorité humaine sur l’animal. Les nombreuses évocations par Apulée de la souffrance animale tout comme l’intelligence que conserve Lucius devenu âne pourraient donc aussi s’inscrire dans la lignée de ces ouvrages de Plutarque.

Anamorphoses picaresques

26Ces derniers ont connu une grande fortune à la Renaissance, comme en témoignent, entre autres, les œuvres de Thomas More et de Montaigne. Il est possible que cet héritage partagé ait joué un rôle dans la représentation de l’animal comme doué de sensibilité et d’affectivité dans l’œuvre de Cervantès, à commencer par l’amitié qui unit Sancho à son âne dans Don Quichotte et par celle, non moins célébrée, qui lie l’âne à Rossinante46. Il serait donc hasardeux de faire dériver de la seule lecture d’Apulée la représentation de la condition animale dans « Le colloque des chiens » mais la mention explicite de l’œuvre est assez remarquable pour mériter de retenir l’attention. C’est le discours de la sorcière, dont la fonction centrale a été soulignée par le procédé dilatoire (p. 528-529) et par son rappel (p. 560) qui fait apparaître Berganza comme un avatar de Lucius :

Cet après-midi, comme je t’ai vu faire tant de choses et comme on t’appelle le chien savant, et aussi quand tu as levé la tête en me regardant dès que je t’ai appelé dans la cour, j’ai pensé que tu étais le fils de la Montiela, à qui j’ai grand plaisir à rapporter tes aventures et la façon dont tu dois recouvrer ta forme première. Cette façon, je voudrais qu’elle fût aussi aisée que celle dont parle Apulée dans L’Âne d’or et qui ne consistait qu’à manger une rose. Mais ta métamorphose, à toi, dépend d’actions extérieures, non de ta propre diligence. (p. 564)

27L’étrangeté de cette sorcière lectrice d’Apulée nous rappelle que Cervantès, dans le prologue des Nouvelles exemplaires, a comparé son ouvrage à « un jeu de billard » (p. 27), et c’est encore cette dimension ludique que l’on retrouve lorsque Scipion refuse résolument de prendre au sérieux le discours de la sorcière et propose sa propre interprétation de la prophétie de la Camacha : « Je dis donc que le véritable sens est un jeu de quilles où avec une prompte diligence celles qui sont debout s’abattent et celles qui sont tombées se relèvent, et ceci par la main de qui peut le faire » (p. 574). Le lecteur est donc invité à apprécier la manière dont Cervantès joue avec son modèle apuléen, selon des modalités qui évoquent plutôt l’anamorphose que la métamorphose. La métamorphose opérée par une sorcière ne s’y retrouve, en effet, qu’en tant qu’origine conjecturale des protagonistes, placée résolument hors du champ de leur mémoire. Le procédé dilatoire déjà évoqué pourrait se lire aussi comme le soulignement du déplacement opéré : alors que la trajectoire de Lucius est scandée par ses deux métamorphoses, c’est-à-dire par un aller-retour dans l’animalité, celle de Berganza s’inscrit entièrement dans la condition hybride du chien doué de logos. Cervantès ne retient donc que l’utilité fonctionnelle de la métamorphose apuléenne qui transforme Lucius en spectateur et auditeur des secrets les mieux gardés. La mention inattendue d’Apulée dans le discours de la sorcière pourrait dès lors avoir une fonction de démystification similaire à celle de l’anamorphose du crâne au premier plan des Ambassadeurs d’Holbein, avec pour cible le roman picaresque dont le récit de Berganza reprend à plaisir les composantes obligées : naissance ignoble du protagoniste, douloureuse expérience de la duplicité humaine, parcours soumis aux vicissitudes de la fortune et permettant une traversée des différents milieux et une dénonciation de leurs turpitudes. Convoquer le roman d’Apulée permettrait à Cervantès de remettre en question aussi bien la modernité que la vraisemblance d’un genre qui se trouverait ainsi renvoyé à l’antique milésienne47.

Suggérer l’innommable

28C’est sans doute aussi la notion d’anamorphose qui rend le mieux compte de la trace très singulière laissée par La Vénus à la fourrure [Venus im Pelz, 1870] de Sacher Masoch dans la trame narrative de La Métamorphose. Elle prend tout d’abord la forme de l’ecphrasis sur laquelle s’achève le deuxième paragraphe de la nouvelle :

Au-dessus de la table, sur laquelle se trouvait déballée une collection d’échantillons de tissus — Samsa était voyageur de commerce —, était accrochée la gravure qu’il avait découpée peu auparavant dans une revue illustrée, et placée dans un joli cadre doré. Cela représentait une dame portant une toque et un boa de fourrure, assise bien droite, qui tendait vers le spectateur un volumineux manchon de fourrure où tout son avant-bras disparaissait. (p. 395-396)

29Le début de la phrase suivante précisant que le « regard de Gregor se tourn[e] ensuite vers la fenêtre » confirme, si besoin était que la description minutieuse de la gravure correspond à l’arrêt de son regard sur cette image à laquelle est d’emblée suggéré un attachement particulier : elle a retenu l’attention de Gregor dans la revue dont il l’a extraite avant de l’encadrer pour la mettre en valeur, comme le souligne l’expression « un joli cadre doré » où se laisse entendre une satisfaction enfantine. La nouvelle s’ouvre donc sur la succession des deux spectacles qui s’offrent au regard du protagoniste : celui de son corps monstrueusement métamorphosé et celui de cette femme dont la photographie l’a séduit récemment — la précision temporelle ne pouvant manquer d’intriguer. Or la description se caractérise par l’omniprésence de la fourrure, avec trois occurrences dans le texte original : Pelzhut, Pelzboa, Pelzmuff. Le corps féminin disparaît littéralement sous la dépouille animale, comme le souligne le verbe verschwinden dans la dernière phrase. Si l’on ajoute l’usage du mot « boa », comparaison qui s’est lexicalisée au cours du XIXe siècle mais dont on peut supposer qu’elle continue à faire image, on peut être sensible à un étrange écho entre le nouveau corps animal de Gregor, évoqué sous le signe de la répugnance avec l’expression « monstrueuse vermine », et la séduction d’une animalité dangereuse mais attirante de la photographie de la dame lovée dans sa parure animale. Une représentation stéréotypée de l’élégance féminine48 peut ainsi révéler par anamorphose un lien entre métamorphose animale et sexualité dont le roman de Sacher Masoch avait proposé une actualisation singulière. Le pacte qui y lie Séverin et Wanda stipule qu’elle doit toujours apparaître « en fourrure » et que c’est dans cette tenue qu’elle doit le fouetter, l’entrée du protagoniste dans ce pacte de soumission s’accompagnant de son changement de nom : « À partir de maintenant, vous ne vous appelez plus Séverin, vous vous appelez Gregor49 ». Si l’on suit l’interprétation de Rudloff Holger50, la scène du pacte trouverait son équivalent lorsque, dans la deuxième section de la nouvelle de Kafka, Gregor vient se poster sur la gravure dans un geste de défi (p. 430). La réaction courroucée de Grete serait la réponse qu’elle ferait à la proposition implicite de Gregor, annonciatrice du changement d’attitude envers son frère qui la fait passer de la sollicitude à la cruauté jusqu’au réquisitoire le condamnant à disparaître à la fin de la nouvelle. Ici encore la comparaison avec le tableau d’Holbein s’impose : la gravure de la dame à la fourrure, mise en perspective, fait surgir dans le texte un indicible de la représentation.

30Un tel fonctionnement textuel ne semble, en tout cas, pas devoir être exclu chez Kafka et Un rapport pour une académie en fournit un autre exemple : ce n’est pas un texte mais un nom propre qui y déclenche la perception de l’anamorphose : le singe humanisé mentionne à deux reprises le nom Hagenbeck, c’est-à-dire le nom non seulement d’un directeur de cirque et d’un marchand d’animaux qui créa le parc zoologique de Stellingen à Hambourg, mais surtout d’un des initiateurs, dès 1874, des zoos humains en Europe51. Ce nom ouvre donc au sein du texte une perspective52 difficilement conciliable avec l’hypothèse d’une métamorphose ascendante53. Elle attire l’attention, en revanche, sur une amertume qui imprègne l’ensemble du récit et laisse constamment entendre, sous le ton apparemment déférent du « rapport » et malgré la satisfaction affichée d’avoir trouvé une issue à la captivité dans l’intégration — toute relative au demeurant— à la communauté de ses bourreaux, la conscience douloureuse et révoltée du singe dont la liberté originelle a été irrémédiablement aliénée54.

Petits meurtres entre monstres

31S’agissant de la nouvelle de Guimarães Rosa, l’approche intertextuelle paraît d’emblée plus hasardeuse et seule une définition large de l’intertexte telle que proposée par Roland Barthes semble pertinente. La production critique suscitée par la nouvelle atteste, à elle seule, la diversité des souvenirs littéraires et artistiques qu’elle est susceptible de faire revenir à la mémoire du lecteur. Pour Haroldo Campos, on l’a vu, il s’agissait du film de Jacques Tourneur, La Féline, mais aussi d’Ovide et d’Ezra Pound :

[...] ce conte représente l’état le plus avancé des expérimentations de João Guimarães Rosa sur la prose [...] qui, ici, incorpore, stricto sensu, le « moment magique de la métamorphose », comme le voulait Ezra Pound dans le projet de ses Cantos, et devient l’espace ovidien55 où la métamorphose s’accomplit en acte. Alors, ce n’est pas l’histoire qui cède le premier plan à la parole, mais la parole qui, s’imposant au premier plan, configure le personnage et l’action pour restituer l’histoire. Le conte est un long monologue-dialogue (le dialogue est présupposé car un seul protagoniste questionne et répond) d’un chasseur de jaguars, perdu dans la solitude des geraïs, qui reçoit dans sa cabane la visite inattendue d’un voyageur dont les compagnons se sont égarés. Le chasseur, à demi indien, parle sans discontinuer, racontant des chasses au jaguar en buvant de la cachaça, essayant de faire dormir son hôte, dans une intention perfide que son discours tantôt dissimule, tantôt révèle56.

32On voit ici combien la double référence à Ovide et à Ezra Pound coïncide avec le choix d’une perspective de lecture qui pose la métamorphose comme un fait indiscutable, excluant donc d’emblée la possibilité qu’il ne s’agisse que d’une expérience subjective du protagoniste. Le résumé qui suit présuppose aussi « une intention perfide » chez lui, passant sous silence les réticences qu’il exprime à plusieurs reprises et les incitations à parler qu’elles impliquent de la part de son auditeur, dont les allégations, en revanche, sont présumées véridiques.

33À rebours d’une telle lecture, l’écrivain et critique argentin exilé en France Juan José Saer compare le mystérieux visiteur qui finit par devenir le meurtrier de son hôte à Thésée venu tuer le Minotaure au centre du labyrinthe57. Il est vrai que le mystère qui plane sur ce meurtrier et sur la manière dont il a fait intrusion chez le protagoniste, qu’il encourage à s’enivrer et dont il sollicite les confidences, reste entier et que l’hypothèse d’un meurtre prémédité ne peut pas être exclue. Ici aussi la référence au Minotaure est indissociable de la perspective adoptée sur le récit et la comparaison est d’autant plus suggestive si l’on pense, comme l’a certainement fait l’auteur de l’article même s’il ne s’y réfère pas explicitement, à la nouvelle de Jorge Luis Borges, « La demeure d’Astérion », publiée en 1947, et reprise dans le recueil L’Aleph en 1949. Dans ce monologue énigmatique, l’identité du protagoniste ne se révèle que progressivement, au fil d’un cheminement sinueux vers un nom que sa mort seule fait surgir dans la dernière phrase du texte : « Le croiras-tu, Ariane ? dit Thésée, le Minotaure s’est à peine défendu. », phrase qui, tout en faisant coïncider la voix s’exprimant dans le monologue avec son identité mythologique confirme aussi la singularité de la représentation borgésienne de l’homme à la tête de taureau, attendant son meurtrier comme un rédempteur qui mettra fin à sa solitude et à son exclusion. Rapprocher le protagoniste de « Mon oncle le jaguar » du Minotaure, c’est aussi mettre l’accent sur l’hybridité plus que sur la métamorphose même si les deux dimensions sont étroitement liées, ne serait-ce que parce que la représentation plastique de la métamorphose passe nécessairement par l’image d’un être hybride. Mais alors que la métamorphose ovidienne est toujours irréversible, ce que relate le protagoniste de Guimarães Rosa est bien un va-et-vient entre humanité et animalité et il n’est peut-être pas fortuit que l’image du loup surgisse à la faveur de l’expression « loup gras [lobo gordo] » (p. 76) dès l’ouverture de la nouvelle. Car le changement intermittent de l’indien en once peut aussi évoquer la figure du loup-garou, associée à l’imaginaire de la mélancolie58 — auquel la vision borgésienne du Minotaure n’est pas étrangère — mais aussi fortement enracinée dans la mythologie scandinave. Entre la mythologie précolombienne du jaguar et la mythologie nordique du loup on trouverait, dans une perspective structurale, bien des points de rencontre et il n’est pas exclu que Guimarães Rosa ait voulu en jouer en introduisant furtivement l’image de cet animal à l’orée de son récit. Elle aussi fonctionne comme une anamorphose : elle peut passer inaperçue en tant que métaphore lexicalisée mais pour peu qu’on lui restitue son pouvoir évocateur, elle offre une nouvelle perspective sur la nouvelle en tant qu’affrontement entre deux prédateurs, l’un emblématique du colonisé, l’autre du colonisateur, le second, « gras » et armé, l’emportant inéluctablement sur le premier, non sans qu’une possible complicité dans le meurtre d’un tiers n’ait fugacement surgi (p. 138) dans cette chronique d’une mort annoncée.

Conclusion : métamorphose et immanence

34Malgré l’extrême diversité des contextes historiques et culturels qui leur ont donné naissance, les œuvres de notre corpus permettent donc peut-être de dégager quelques constantes du récit de métamorphose : comme le poème d’Ovide l’a bien mis en lumière — ce qui a exposé son auteur à la vindicte d’Auguste — la métamorphose est intrinsèquement transgressive. Elle implique l’instabilité, la porosité des frontières, et, en cela, interroge tous les rapports de domination. Même l’usage symbolique sur fond de pensée platonicienne qu’on peut supposer dans le récit d’Apulée se heurte à l’irréductibilité de l’animal à un statut purement métaphorique. La métamorphose ne peut incarner la métaphore qu’en rabattant sur un même plan d’immanence comparant et comparé. En l’occurrence, la métamorphose animale, censée dénoncer la menace de bestialité inhérente aux appétits du corps dans une perspective idéaliste, a surtout pour effet de mettre en lumière la communauté des vivants en tant qu’êtres sensibles et donc souffrants (cette évidence contre laquelle Descartes a échafaudé sa théorie des animaux-machines). Même transitoire comme celle de Lucius, la métamorphose induit un changement de perspective sur le monde et, en cela, rejoint l’anamorphose, avec laquelle elle tend à se confondre dans le cas de la métamorphose intermittente et subjective de Mon oncle le jaguar. Et lorsque le moment de la transformation se trouve rejeté en amont du récit, comme dans la nouvelle de Kafka et dans celle de Cervantès, où elle est de surcroît sujette à caution, c’est encore la figure de l’anamorphose qui rend le mieux compte de la manière dont les protagonistes sont perçus tantôt comme sujets sensibles et pensants, tantôt comme objets d’un regard désubjectivant. Enfin, comme le souligne Apulée dans son prologue, l’évocation littéraire de la transformation des corps se trouve liée à celle des textes en raison du caractère archétypal du motif et du riche héritage littéraire et artistique qui s’y trouve associé dès l’Antiquité. De nouveau, le fonctionnement de l’anamorphose dans les arts visuels semble fournir un modèle opératoire pour rendre compte de l’effet produit sur le lecteur par les affleurements intertextuels, qu’il s’agisse de la représentation déformée de l’Actéon ovidien dans la fontaine de Byrrhène chez Apulée, de la mention explicite de L’Âne d’Or chez Cervantès, de l’inscription de La Vénus à la fourrure chez Kafka ou, de manière plus diffuse, des figures et des schèmes imaginaires qui peuvent surgir, à la faveur d’un mot ou d’une situation dramatique, à lecture de Mon oncle le jaguar.

Notes de bas de page numériques

1 Un riche échantillon de ces interprétations est disponible sur le site Méditerranées : https://mediterranees.net/mythes/ulysse/epreuves/circe/allegories.html

2 Platon, Phèdre, 246a, texte disponible sur le site de Philippe Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/phedre.htm

3 Platon, République, 688c, texte disponible sur le site de Philippe Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/rep9.htm

4 Apulée, L’Âne d’or (Les Métamorphoses), trad. Géraldine Puccini, Paris, Arléa, 2008, II, 6, p. 64. Toutes les références ultérieures renverront à cette traduction.

5 Cervantès, « Le colloque des chiens », Nouvelles exemplaires, trad. Jean Cassou, Paris, Gallimard, 1949, rééd. Folio, 1993, p. 518-519. Toutes les références ultérieures renverront à cette traduction.

6 L’émergence de ce genre littéraire résulte du succès rencontré par le commentaire que le néo-platonicien Macrobe a consacré, vers 430, au « songe de Scipion » qui conclut le De republica de Cicéron. Le texte complet de l’œuvre étant devenu introuvable au Moyen Age —un manuscrit complet ne fut retrouvé qu’au XIXe siècle — le « songe de Scipion », adjoint au commentaire de Macrobe sur certains manuscrits, survécut seul et fut considéré comme une œuvre autonome, qui fut ensuite imitée et inaugura ainsi une longue tradition. Voir S. Ballestra-Puech, « Le Songe allégorique de Cicéron à Lesage : émergence et métamorphoses d'un genre », dans Les Genres littéraires émergents, textes rassemblés et présentés par Jean-Marie Seillan, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 19-34.

7 Pour une analyse approfondie des points de rencontre entre la nouvelle de Cervantès et le genre du songe allégorique, voir Noelia Vitali, « “Esos sueños o disparates” : El coloquio de los perros en los confines de lo representable », Estudios de Teoria Literaria, 8/15 (mars 2018), p. 43-53.

8 Gregor est transformé en « une monstrueuse vermine » (zu einem ungeheuren Ungeziefer), la singularité de l’expression étant soulignée par la paronomase en allemand. Ce qui s’impose dans cette expression, c’est le redoublement du préfixe négatif « un » (équivalent du « in » français). On ne saurait mieux dire que ce en quoi Gregor est métamorphosé n’est défini que négativement. Une traduction comme celle de l’édition au programme (Récits, romans, journaux, éd. Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent, Paris, Le Livre de Poche, 2000, p. 395), « monstrueux insecte », atténue de matière regrettable l’indétermination et la singularité de l’expression choisie par Kafka.

9 Voir, par exemple, Joachim Camerarius d. J., Symbola et emblemata tam moralia quam sacra : die handschriftlichen Embleme von 1587, I, 77, éd. Wolfgang Harms et Gilbert Hess, Tübingen, M. Niemeyer, 2009, p. 493.

10 La question des rapports entre métaphore et métamorphose dans la nouvelle de Kafka occupe de longue date une place importante dans le débat critique. Voir notamment le chapitre intitulé « The Metamorphosis : Metamorphosis of the Metapher » que lui consacre Stanley Corngold dans son livre Franz Kafka. The Necessity of Form, Ithaca-Londres, Cornell University Press, 1988, p. 47-89.

11 Kafka, Lettre au père, Œuvres complètes IV, éd. Claude David, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 80.

12 « Ich habe, wie ich im Bett liege, die Gestalt eines großen Käfers, eines Hirschkäfers oder eines Maikäfers, glaube ich. [...] Eines Käfers große Gestalt, ja. Ich stellte es dann so an, als handle es sich um einen Winterschlaf, und ich preßte meine Beinchen an meinen gebauchten Leib. » Kafka, Préparatifs de noce à la campagne, Œuvres complètes II, éd. Claude David, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1980, p. 83-84.

13 Gilles Deleuze, Félix Guattari, Kafka. Pour une littérature mineure, Paris, éd. de Minuit, 1975, p. 24-25.

14 Kafka, Lettre à Felice Bauer du 1er novembre 1912, Œuvres complètes IV, éd. Claude David, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1988, p. 27.

15 Philippe Zard, « La Métamorphose de Kafka », dans L’animal et l’homme, dir. C. Bellosta, Paris, Belin, 2004, p. 190.

16 Cf. Bruno Sibona, Homo porosus. L’homme poreux et ses animaux intérieurs, Éditions Universitaires de Dijon, 2014, p. 5 : « [...] dans notre activité créatrice, c’est l’animal qui parle en nous, de nous, c’est-à-dire autant sur nous qu’en provenance de nous », et, sous la direction du même auteur, Notre animal intérieur et les théories de la créativité, Paris, L’Harmattan, 2009.

17 João Guimarães Rosa, « Meu tio o Iauaretê » [1961], trad. Mathieu Dosse dans Mon oncle le jaguar et autres histoires, Paris, Chandeigne, 2016, rééd. 2021, p. 75-139. Toutes les références seront données dans cette édition.

18 Voir, entre autres, Claude-François Baudez, « Le jaguar, sujet et objet du sacrifice maya », Journal de la Société des Américanistes, 94 (2008/1), p. 177-189.

19 Voir Chip Brown, « Le jaguar et le chaman », National Geographic, décembre 2017, disponible en ligne sur : https://www.nationalgeographic.fr/animaux/le-jaguar-et-le-chaman

20 Voir Walnice Nogueira Galvão, « O impossivel retorno » [1975], Mitológica rosiana, São Paulo, Atica, 1978, p. 13-36.

21 Pour une lecture de la nouvelle qui rejoint à certains égards la réflexion de Deleuze et Guattari sur le rapport entre métamorphose et rapports de domination, mais dans une perspective plus ouvertement marxiste, voir Hermenegildo Bastos, « Mon oncle le Jaguar et Sécheresse : des mondes menacés », dans João Guimarães Rosa : Mémoire et imaginaire du sertão-monde, Rita Olivieri-Godet et Luciana Wrege-Rassier (dir.), Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 209-219.

22 La dimension réductrice de la lecture allégorique a été perçue de longue date par ceux-là même qui la pratiquaient, cette réduction à l’univocité étant d’ailleurs considérée comme un avantage dans une perspective didactique. Pour n’en donner qu’un exemple, Pierre Bersuire (mort en 1362) intitule Reductorium morale sa somme allégorique dont le dernier livre porte sur les Métamorphoses d’Ovide, dans la tradition de l’Ovide moralisé.

23 Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, 1751, t. I, p. 404a, disponible sur le site de l’Académie des Sciences : http://enccre.academie-sciences.fr/encyclopedie/page/v1-p476/

24 On trouvera les reproductions de ces deux œuvres et d’autres exemples de « pièges visuels » dans l’article de Malika Bauwens du 26 novembre 2020, sur le site de la revue Beaux-Arts : https://www.beauxarts.com/grand-format/cultes-10-oeuvres-qui-sont-de-veritables-pieges-visuels/

25 Olivier Douville, « D’un au-delà de la métaphore ou lorsque l’anamorphose brise l’allégorie », Figures de la psychanalyse, 11 (2005/1), p. 105-130.

26 Haroldo de Campos, « A linguagem de Iauaretê », O estado de S. Paulo, 22 décembre 1962, Supplément littéraire, p. 33, repris dans Metalinguagem & outras metas, São Paulo, Perspectiva, 1992, p. 57-63.

27 Jacques Thiériot opte pour la traduction explicitante « J’avais des griffes » (Mon oncle le jaguar, Paris, Albin Michel, 1998, p. 79).

28 Si la métamorphose rend Gregor inapte au travail, l’indien métis quant à lui, s’est vu relégué dans la solitude pour exterminer les onces parce qu’il était considéré comme un « bon à rien » : « J’étais vraiment un bon à rien, je travaillais pas comme il faut, j’aimais pas ça » (p. 121).

29 La traduction de « im Gesicht » par « de face » (p. 430) « normalise » malheureusement le texte.

30 Erich Auerbach, Mimésis : la représentation de la réalité dans la littérature occidentale, trad. Cornélius Heil, Paris, Gallimard, 1968.

31 Voir l’anthologie de Sophie Rabau, L’Intertextualité, Paris, GF Flammarion, "Corpus", 2002, qui a le grand mérite de présenter à la fois un panorama historique très clair de l’histoire du mot dans la théorie littéraire contemporaine et de nombreux textes antérieurs à l’apparition de ce mot mais témoignant déjà de l’importance du phénomène et de la réflexion qu’il a suscitée dès l’Antiquité.

32 Roland Barthes, « (Théorie du) texte », Encyclopédie Universalis, 1973, repris dans Œuvres complètes, IV (1972-1976), éd. M. Marty, Paris, Le Seuil, 2002, p. 443-459.

33 La notion d’anamorphose a notamment été proposée pour l’œuvre d’Ovide par Jean-Pierre Néraudau (Ovide ou les dissidences du poète, Paris, Hystrix-Les Interuniversitaires, 1989, p. 161-163) et mobilisée de manière plus systématique par Isabelle Jouteur dans Jeux de genre dans les Métamorphoses d’Ovide, (Louvain, Peeters, 2001), dont un chapitre s’intitule « Métamorphose et anamorphose de la littérature », p. 323-327.

34 Louis Callebat, « Lecture d’un prologue : Apulée, Métamorphoses, I, 1 », Vita Latina, 140 (1995), p. 34.

35 Apuleyo, El asno de oro, introducción, traducción y notas de Lisardo Rubio Fernández, Madrid, Gredos, 1978, p. 44 : « Por lo demás este mismo cambio de idioma concuerda con la materia que cultivo : el arte de la metamorfosis ».

36 « Moi, je tresserai pour toi une série d’histoires variées dans cette conversation milésienne [...] [At ego tibi sermone isto Milesio uarias fabulas conseram [...] » (I, 1, p. 33).

37 Ovide, Métamorphoses, III, v. 1-252.

38 Voir Véronique Merlier-Espenel V., « Dum haec identidem rimabundus eximie delector : remarques sur le plaisir esthétique de Lucius dans l’atrium de Byrrhène (Apulée, Mét. II, 4-II, 5, 1) », Latomus, 60, 2001, p. 135-148.

39 Joëlle Soler, « Lucius, parent de Plutarque, ou comment lire Les Métamorphoses d’Apulée », Revue de philologie, de littérature et d’histoire anciennes, t. 82 (2008/2), p. 385.

40 Augustin, Cité de Dieu, XVIII, 18 : « libri quos Asini aurei titulo Apuleius inscripsit ».

41 On trouve les trois réunis dans la traduction d’Amyot dans Plutarque, Trois traités sur les animaux, précédés de « La raison du plus fort » par Elisabeth de Fontenay, Paris, POL, 1996.

42 Plutarque, De l’usage des viandes, disponible en grec et en traduction sur le site de Philippe Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Plutarque/usageviandes.htm

43 Plutarque, Les animaux de mer ont-ils plus d’adresse que ceux de terre ?, disponible en grec et en traduction sur le site de Philippe Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Plutarque/animauxdeterre.htm

44 Plutarque, Que les bêtes ont l’usage de la raison, disponible en grec et en traduction sur le site de Philippe Remacle : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Plutarque/betesontusage.htm

45 C’est le titre du chapitre consacré à Plutarque dans Élisabeth de Fontenay dans Le Silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité, Paris, Fayard, 1988.

46 Voir les passages cités par Odile Gannier dans « Voyages avec un âne ou : Comment battre la campagne ? (Laurence Sterne, Tristram Shandy, Cervantes, Don Quichotte) », Loxias 19 (février 2008) : http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=2049

47 Sur le rôle d’Apulée et le rapport de la nouvelle au picaresque, voir Francisco Vivar, « El arte de la metamorfosis y el arte de la novela. Cervantes y Apuleyo », eHumanista, 2016, vol. 33, p. 318-328.

48 Sur le caractère topique de ce type d’évocation dans la littérature du tournant du XIXe et du XXe siècles, cf., par exemple, Paul Bourget, Le Disciple, Paris, A. Lemerre, 1889, p. 126 : « La taille de Charlotte était prise dans une jaquette d’astrakan ; un boa de fourrure enroulé autour de son cou faisait paraître sa tête encore plus petite et plus gracieuse sous la toque pareille à la jaquette ».

49 « Sie heißen von nun an nicht mehr Severin, sondern Gregor », Sacher-Masoch, La Vénus à la fourrure, trad. Antoine Goléa, Pocket, p. 108.

50 Rudloff Holger, Gregor Samsa und seine Brüder : Kafka, Sacher Masoch, Thomas Mann, Würzburg, Königshausen und Neumann, 1997, p. 23-26.

51 Voir Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, « Ces zoos humains de la République coloniale », Le Monde diplomatique, 1er août 2000 (https://www.monde-diplomatique.fr/2000/08/BANCEL/1944 ) Sur cette sinistre vogue, voir aussi Charline Zeitoun, « À l’époque des zoos humains », CNRS Le Journal, 25 août 2015 : https://lejournal.cnrs.fr/articles/a-lepoque-des-zoos-humains

52 Perspective adoptée notamment par Seloua Luste Boulbina dans « La colonie : une conjugaison kafkaïenne », Sens public, 2007 (http://sens-public.org/articles/396/), repris dans Le Singe de Kafka et autres propos sur la colonie, Lyon, Parangon, 2008 ; rééd. Dijon, Presses du réel, 2020.

53 C’était la lecture proposée par Leo Weinstein, « Kafka’s Ape. Heel or Hero? », Modern Fiction Studies 8 (1962), p. 75-79.

54 Cette amertume triomphait déjà dans la conclusion de l’hypotexte très probable du récit de Kafka : [Franz Robert Hannessen], « Consul der viel Bewunderte. Aus dem Tagebuch eines Künstlers », Prager Tagblatt du 1er avril 1917. Texte disponible en allemand sur le site de l’Université de Bonn : http://www.kafka.uni-bonn.de/cgi-bin/kafkaf686.html. Dans ce récit d’un écrivain pragois pour la jeunesse, paru dans un périodique que Kafka lisait et où il avait lui-même publié un texte, le narrateur se lie d’amitié avec un singe artiste qui lui permet de lire son journal dont il reproduit un large extrait. Le singe y raconte sa jeunesse et la rencontre avec un vieil orang-outang qui raconte son séjour parmi les humains en tant que singe de cirque puis son évasion pour rejoindre ses congénères. Ne comprenant pas comment celui-ci a pu préférer le retour à la vie sauvage et attiré par le monde humain, le protagoniste finit par être capturé. Il devient à son tour un singe admiré mais conclut son récit par cet amer constat : « Je suis certes à présent le talentueux Consul, le grand singe qui divertit le monde entier, qui a plus appris et plus accompli que tous ses frères réunis dans la forêt. Mais je préférerais de loin être le stupide singe et pouvoir, avec mes frères dans la forêt, cueillir de l’arbre dattes, bananes et figues » (« So bin ich nun wohl der geschickte Consul, der kluge und alle Welt belustigende Menschenaffe, der mehr gelernt hat und mehr leistet, als alle Brüder im Wald zusammen. Aber ich möchte doch weit lieber der dumme Affe sein und mit meinen Brüdern im Walde Datteln, Bananen und Feigen vom Baum pflücken können. ».). Il y a dans le texte original un jeu de mots difficilement traduisible : « der dumme Affe », que j’ai traduit littéralement, étant une métaphore lexicalisée, souvent utilisée comme insulte, dont un équivalent en français pourrait être « âne bâté ». Par ailleurs « grand singe » est la traduction habituelle de « Menschenaffe » mais « Menschen » désignant les humains, le terme crée aussi un effet de syllepse impossible à rendre en français.

55 Haroldo de Campos cite ici l’incipit des Métamorphoses d’Ovide (I, 1-2) : In noua fert animus mutatas dicere formas/ corpora [...] ».

56 Haroldo de Campos, « A linguagem de Iauaretê », O estado de S. Paulo, 22 décembre 1962, cité et traduit par Jacques Thiériot dans la note liminaire de sa traduction de Mon oncle le jaguar (Paris, Albin Michel, 1998, p. 7-8).

57 Juan José Saer, « Meus tios narradores », Folha de S. Paulo, 29 septembre 2002, disponible en ligne : https://www1.folha.uol.com.br/fsp/mais/fs2909200203.htm

58 Voir, entre autres, Patrick Dandrey, « Le loup-garou, son double et l’homme intérieur. Une fable mélancolique », 24 avril 2020, disponible sur le site Odysseum : https://eduscol.education.fr/odysseum/le-loup-garou-son-double-et-lhomme-interieur

Pour citer cet article

Sylvie Ballestra-Puech, « La métamorphose entre métaphore et anamorphose dans Les Métamorphoses d’Apulée, Le Colloque des chiens de Cervantès, La Métamorphose de Kafka et Mon oncle le jaguar de João Guimarães Rosa », paru dans Loxias, 75., mis en ligne le 15 décembre 2021, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=9847.


Auteurs

Sylvie Ballestra-Puech

Sylvie Ballestra-Puech est professeur de littérature comparée à l’Université Côte d’Azur et membre du Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature et des Arts vivants (C.T.E.L.). Elle a notamment publié Lecture de La Jeune Parque (Klincksieck, 1993), Les Parques. Essai sur les figures féminines du destin dans la littérature occidentale (Éditions Universitaires du Sud, 1999), Métamorphoses d’Arachné. L’artiste en araignée dans la littérature occidentale (Droz, 2006) et Templa Serena : Lucrèce au miroir de Francis Ponge (Droz, 2013). Elle a dirigé le volume Lectures de Lucrèce (Droz, 2019) et publié avec Évanghélia Stead une anthologie multilingue, Dans la toile d’Arachné. Contes d’amour, de folie et de mort (Jérôme Millon, 2019).

Université Côte d'Azur, CTEL