Loxias | 73. Lazare et le Mauvais riche. Regards croisés sur les réceptions d'une parabole | I. Lazare et le Mauvais riche. Regards croisés sur les réceptions d'une parabole | 2. Recherches créatives: -- propositions de traduction ou remise en scène de l'Histoire et tragedie du Mauvais riche, extraicte de la saincte Escriture, et representee par dix huict personnages (Master 1, 2020-2021) 

Chloé Betry  : 

Traduire L'histoire et Tragedie du Mauvais Riche en français moderne, ou comment et pourquoi enrichir des rôles 'secondaires'

Résumé

La pièce anonyme intitulée Le Mauvais Riche. L’histoire et Tragédie du Mauvais Riche, Extraicte de la sainte Escriture, et representee par dix huict personnages date des années 1510-1520. Proposer une traduction ainsi que quelques indications de remise en scène de cette pièce pose donc d’emblée un certain nombre de questions. En effet, plusieurs siècles séparent la période où la pièce fut écrite de notre époque ; la langue a donc évolué, mais aussi les codes du théâtre, et même les mœurs. Avant de pouvoir envisager traduction et remise en scène (même partielles), il était donc important de savoir quel était l’enjeu de ce travail. J’ai pour ma part choisi de m’adresser à un public contemporain « lambda », mais j’ai aussi fait en sorte que l’on garde à l’esprit le fait que cette pièce adapte une parabole. Les propositions de traduction et d’indications de jeu ont découlé de ce premier choix : sans masquer le caractère généralisant de la pièce ancienne, j’ai cherché à traduire ses effets textuels (notamment comiques) en français contemporain, et j’ai cherché à faire ressortir dans cette traduction et dans les didascalies ajoutées en vue du jeu les problématiques et les caractéristiques de la pièce susceptibles de correspondre à des interrogations actuelles.

Abstract

The anonymous play entitled Le Mauvais Riche. L’histoire et Tragedie du Mauvais Riche, Extraicte de la sainte Escriture, et representee par dix huict personnages dates to the early 16th century. Then, producing a translation as well as proposals for a re-staging of the play immediately raises several issues. Indeed, more than seven centuries separate the period when the play was written from our time, so that the language has evolved, but also the theatrical codes, and even the mores. Before translating and re-staging the play (even only parts of it), it was important to know what was at stake in this work. I quickly chose to work for an "ordinary" contemporary audience, but I also wanted us to keep in mind the idea that this play was based on a parable. The proposals of translation and stage direction stemmed from this first choice: while trying to preserve the generalizing character of the play, I sought to translate the text into modern French, and to highlight the problems and characteristics likely to correspond to modern concerns.

Plan

Texte intégral

I. Note d’intention

I. 1. Traduire en français moderne et en prose : comment et pourquoi ?

Dans la perspective d’une remise en scène de la pièce intitulée Histoire et tragedie du Mauvais Riche1, j’ai rapidement décidé de moderniser la langue pour qu’elle soit adaptée au public contemporain « lambda » auquel je souhaitais m’adresser, estimant me reconnaître dans celui-ci2. Il m’a semblé que les différentes tonalités et connotations que présente l’œuvre se laissaient assez bien discerner dans la pièce d’origine, peut-être parce qu’il s’agissait de dialogues (qui me semblaient dans ce cas avoir un caractère vivant et communicatif), et certainement aussi parce que nous avions étudié ce jeu moral, son histoire et ses visées, et que nous en connaissions donc les enjeux et ressorts. Il était ainsi envisageable de comprendre ces différents tons et les différentes intentions ou ambiances de la pièce originelle. Mais pour parvenir à cette compréhension – qui restait d’ailleurs partielle –, nous avions eu le temps de lire et relire la pièce, de l’analyser (en cours notamment), et ainsi de nous plonger non seulement dans les codes poétiques d’une époque, mais également dans les codes sociaux ou littéraires de cette période (en partie, du moins). J’étais bien consciente que, pendant une représentation, le public auquel je souhaitais m’adresser ne disposerait pas de ce temps ni de ces outils d’analyse ; c’est pourquoi j’ai voulu traduire le texte en français moderne.

Je pensais aussi l’adapter en prose. Le public médiéval était habitué à entendre des octosyllabes à rimes plates comme nous sommes habitués à entendre de la prose, si bien que pour ce public, toute forme qui dérogeait à ce schéma était non seulement perçue comme telle, mais faisait alors également sens aux plans esthétique et éthique. Il me semble que cette habitude a eu tendance à se perdre au fil des siècles. Ces différences d’aptitude interprétative ont motivé mon choix de la prose, qui convergeait avec le choix d’une traduction intra-linguale visant à éviter l’effet d’étrangeté qui n’était pas recherché par le dramaturge du début du XVIe siècle. En somme, je voulais chercher à « parler » aux spectateurs actuels, comme la composition de la pièce ancienne avait dû « parler » aux spectateurs de l’époque. Je voulais faire en sorte que le langage des personnages en jeu nous paraisse naturel, qu’il ne soit pas un obstacle, dans sa forme, pour un public contemporain. Le langage, en effet, avait ses codes à l’époque comme il a les siens aujourd’hui, et ce qui me paraissait important était de traduire au mieux ces codes (c’est-à-dire de comprendre, par exemple, quand une expression avait un but humoristique, ou quand tel ou tel mot induisait ou connotait telle ou telle idée ou tel ou tel ton plutôt qu’un autre). C’est donc plutôt ce que transmettait ce langage à l’époque qu’il m’importait de transmettre, et non ce langage en soi.

Ainsi par exemple, la première réplique du riche que je voulais traduire, se présentait sous cette forme dans la pièce originale :

Le riche : Que vous semble de ce convive ? / Estes vous au moins bien traictez ?

J’aurais pu, pour traduire au plus près du texte original, proposer :

Le riche : Que pensez-vous de ce repas ? / Êtes-vous au moins bien accueillis ?

Mais, pour des raisons que je préciserai bientôt, je voulais donner au riche un ton familier, et je voulais aussi que le langage ait quelque chose de naturel pour un public actuel. J’ai ainsi choisi d’ajouter des interjections et expressions modernes, et de supprimer l’inversion induite par la négation dans les répliques originales, inversion qui, de nos jours, caractérise plutôt le langage écrit ou soutenu. La traduction que j’ai choisie est donc :

Le riche : Alors, ce repas ? Vous vous régalez, hein ? C’est qu’on vous traite bien ici, non ?

Pour donner un autre exemple, la première réplique de Lucifer se présentait ainsi dans la pièce d’origine :

Lucifer : Faulce vermine, mesgnie salle et orde, / j’enrageray s’a moy tost ne venez ! / Hau, Belzebuth, hau, Satan, si j’aborde / dessus vous deux, je vous rompray le nez ! / Diables mauditz, enragez, forcenez, / venez avant, faictes icy un sault ! / Noz enfers croullent, tant sont fort escornez : / j’ay si grand peur que mon corps en tressault.

On percevait donc déjà bien le caractère comique de cette réplique, avec ses nombreuses insultes et menaces, ainsi que sa tonalité exclamative et hyperbolique. À nouveau, je voulais rendre au mieux dans la traduction mon ressenti premier. J’ai donc cherché une traduction moderne qui ferait passer la même énergie, en introduisant des interjections, tics de parole et expressions du langage contemporain pour compléter ou remplacer les tics, interjections et expressions du langage de l’époque. Il m’a également semblé utile, dans cette perspective, de rendre la menace formulée au futur (« je vous rompray le nez ! ») par une annonce au présent de l’indicatif :

Lucifer : Oh ! Eh ! Sale vermine ! Baraque répugnante et méprisable ! Je vais enrager si vous ne venez pas maintenant ! Eh ! Belzébuth, eh ! Satan ! Oh ! Croyez-moi, j’arrive, et je vous casse le nez ! Espèces de diables maudits ! Enragés, fous furieux ! Avancez, venez me voir ! Ah ! Ah ! Nos enfers croulent littéralement sous le bruit des cuivres ! Ah ! J’ai tellement peur que j’en tremble !

Dans sa contribution intitulée « Quelle renaissance pour le théâtre médiéval ? Historiographie et mise en scène »3, Véronique Dominguez résume ce qu’elle a observé de la pratique des Théophiliens. Cette troupe de théâtre amateur des années 1930 fut d’abord dirigée par Gustave Cohen, puis dans les années 1950, par René Clermont. L’auteure évoque la réflexion de cette troupe « sur le potentiel dramatique du corpus médiéval ». Elle nous apprend notamment que « pour Clermont, il est moins question de reconstituer une époque que de souligner la plasticité du texte dramatique médiéval, dont il tire des effets analogues à ceux de la scène contemporaine française de cette époque. L’adaptation du corpus médiéval trouve alors son plein épanouissement sur une scène et avec des acteurs professionnels, peut-être mieux à même d’endosser un projet dont l’objectif est moins historique qu’esthétique4. » Plus loin, elle suit la même idée en disant qu’il s’agissait moins pour cette troupe de « restaurer des formes anciennes du théâtre que d’en percevoir le lien avec le présent ». Cette ligne de conduite pratiquée par la troupe des Théophiliens est exactement celle que j’ai voulu suivre : utiliser un matériau ancien pour lui donner un sens dans le présent, avec, donc, un dessein qui était « moins historique qu’esthétique ».

Même ainsi, sans souci de reconstruction fidèle, c’est un exercice difficile que de percevoir, pour les adapter, la mentalité et le fonctionnement d’une époque si différente, car ce fonctionnement garde toujours de nombreux mystères, surtout quand on se penche sur la question de ce que ressentaient les personnes de cette époque : quand on se demande ce qui les faisait rire, ce qui leur faisait peur, ce que les médiévaux prenaient avec légèreté ou gravité et pourquoi. On a beau avoir lu les travaux d’historiens des mentalités tels que Jean Delumeau, Jacques Le Goff, Philippe Ariès, non seulement ces études sont constamment nuancées par les recherches récentes en histoire ou en sciences cognitives, mais encore elles nous ramènent à la difficile question de savoir comment nous définirions aujourd’hui les émotions typiques d’un groupe social donné. Dès lors, une réflexion comme celle de Damien Boquet et Piroska Nagy peut être utile : les deux historiens montrent clairement des évolutions au fil du millénaire médiéval, et aussi des spécificités selon les états sociaux et les genres, par exemple. Dans leur ouvrage Sensible Moyen Âge. Une histoire des émotions dans l’Occident médiéval5, Damien Boquet et Piroska Nagy montrent aussi à quel point la spiritualité pouvait être vecteur d’émotions à l’époque médiévale, et notamment d’émotions collectives. Alors que les auteurs expliquent le rapprochement qui se produit à la fin du Moyen Âge entre « prédication aux laïcs et théâtre religieux », ils nous apprennent que « [c]e genre d’innovation, utilisant la rhétorique des émotions pour allier au mieux édification et divertissement, provoque d’abord la résistance de la hiérarchie de l’Église, puis se répand ». Les émotions, à cette époque, semblaient très liées à la religion, que celle-ci générât la peur, l’extase, ou même tout simplement l’amour de Dieu. Damien Boquet et Piroska Nagy signalent ainsi que « [a]lors que notre époque se plaît à voir les émotions comme individuelles, voire psychologiques, […] [ils ont] tenté de montrer à quel point l’émotion est au cœur du lien social, de ce qui fait la société, à quel point les diverses occasions de rassemblement, à toutes les échelles de la société, sont propices à produire et à faire intervenir l’émotion6 ». Si cet aspect religieux et collectif de l’émotion caractérise la tradition du théâtre médiéval, ce fonctionnement ne me semblait pas aller totalement à l’encontre du fonctionnement d’un théâtre plus récent, dans la mesure où quand on assiste aujourd’hui à une représentation théâtrale, il s’agit également de vivre un événement collectif et ainsi, dans une certaine mesure, de vivre des émotions de manière collective, ou du moins, de vivre des émotions dans un cadre collectif (ce qui n’implique pas nécessairement l’uniformité des ressentis).

En revanche, l’idée d’une « émotion céleste7 » me paraissait plus difficile à transmettre, et ne me paraissait d’ailleurs pas forcément souhaitable dans la perspective de remise en scène qui était la mienne, et qui ne prétendait pas utiliser la pièce pour transmettre quelque message idéologique. Pour autant, la place accordée au dogme chrétien dans la pièce ne me semblait pas constituer un problème insurmontable. Tout d’abord parce que la religion occupe encore une certaine place dans notre société laïque et que nous en connaissons donc quelques codes et récits. Et surtout parce que les thématiques abordées dans la pièce rejoignent des questions morales telles que l’entraide, la cupidité, la révolte, etc. Or ces questions morales restent très actuelles, et dès lors, même si, dans la pièce ancienne elles sont modelées par le dogme, elles peuvent en elles-mêmes concerner un public actuel.

Mon but était avant tout de « parler » à des spectateurs contemporains à partir de cette pièce ancienne, et je trouvais que la pièce comportait déjà de nombreux éléments parlants, et notamment une dimension comique qui me paraissait tout à fait appropriée pour faire rire un spectateur actuel. Et si l’humour semblait avoir une place importante dans la pièce d’origine, j’avais envie qu’il se manifeste continuellement dans les indications de jeu que j’entendais proposer à l’appui de ma traduction elle aussi attentive au potentiel comique (assez inattendu) de L’histoire et Tragedie du Mauvais riche. C’est pour cette raison que j’ai cherché à individualiser certains personnages, qui n’avaient pas particulièrement de caractéristiques individuelles sur le papier. J’avais bien conscience que de nos jours, le caractère ridicule, caricatural ou même désinvolte d’un individu en particulier peut être un ressort comique efficace, et c’est une des raisons qui m’a poussée à faire le choix de travailler sur l’individualité des personnages. J’ai voulu réaliser ce travail sur les personnages secondaires (les cinq frères du riche ainsi que ses serviteurs), parce que leur comportement me semblait représenter de manière assez juste le comportement humain moyen, ce qui n’était pas forcément le cas du mauvais riche ou de Lazare, qui représentaient respectivement le méchant égoïste et le pauvre gentil, comme dans la parabole de Luc. Le caractère axiologique de la pièce n’avait rien d’étonnant puisque celle-ci prend pour base un récit biblique. Cependant, son adaptation dramatique semble avoir introduit, déjà à l’époque, un peu de vie, et donc de complexité, dans cette fable. De fait, les cinq frères ne semblent ni totalement méchants, ni totalement gentils. Ils semblent respecter leur frère aîné lorsqu’ils sont invités à dîner chez lui, mais ils n’hésitent pas à profiter de lui dès qu’il meurt. Ils ne semblent pas non plus être proches de Lazare, puisqu’ils ne prennent pas sa défense ; à la différence de leur frère toutefois, ils s’intéressent un minimum à ce personnage. Sur le papier en somme, ces personnages forgés par le dramaturge du XVIe siècle8 paraissaient presque neutres, semblant respecter des conventions de politesse ou énoncer des faits lorsqu’ils prennent la parole, et se comportant de manière assez humaine, c’est-à-dire cherchant à profiter de l’opportunité de s’enrichir quand elle se présente. Il était donc facile, à partir des répliques de ces cinq personnages, de leur prêter des individualités bien définies, en travaillant sur des didascalies visant une remise en scène. Je trouvais que cette complexité (le fait qu’ils soient différents les uns des autres allait selon moi dans le sens de la complexité, si l’on entend par là ce qui est susceptible de présenter une certaine diversité) compléterait bien celle qu’ils présentaient déjà du fait de leur contraste avec le caractère axiologique de la fable. J’avais donc envie de les utiliser au mieux, afin d’introduire encore plus de vie dans cette fable. En effet, on peut considérer qu’un récit ou une fable est souvent susceptible de présenter un univers qui a une cohérence dont la vie est dépourvue. Individualiser les cinq frères, et leur conférer un comportement qui pouvait parfois surprendre par rapport à la première image que l’on s’était faite d’eux, avait donc pour but d’introduire des éléments qui pouvaient paraître manquer de cohérence, et ainsi, rapprocher la fable de la vie, par moments du moins. Encore une fois, cette volonté allait dans le sens de l’adaptation de la pièce pour un public – et donc une sensibilité – actuel, car nous adhérons peut-être plus de nos jours aux idées corrélées de diversité et complexité qu’au système fédérateur que proposait la religion chrétienne au Moyen Âge.

I. 2. Espace et temporalité neutres : pourquoi et comment ?

En revanche, je ne souhaitais pas moderniser l’histoire. Je ne voulais pas chercher à changer le contexte, à le rendre actuel, parce qu’on sent bien que cette histoire du mauvais riche se présente dans toutes ses versions comme une sorte de fable. Et cela impliquait pour moi un caractère un peu hors du temps, ou en tout cas, non ancré dans notre réalité : je pensais qu’ancrer la pièce dans une réalité précise risquait de lui faire perdre de sa portée universelle. Car, comme dans toutes les fables, il y a quelque chose de l’ordre de la simplification, de l’exagération ici, et je trouvais que cela était difficile à inscrire dans un chronotope précis. Je pensais même jouer sur cette idée : ne pas situer la pièce au Moyen Âge non plus, et chercher à la situer dans un espace et un temps neutres.

Plusieurs thématiques m’intéressaient dans la pièce. Tout d’abord, il y avait la question de l’ostentation, du mouvement, du bruit. Je trouvais que le riche était clairement associé à tout cela dans l’écriture, et qu’un parallèle très clair entre celui-ci et le groupe des diables se manifestait alors. En plus de ce parallèle très concret, les deux groupes semblaient également liés par un certain système de valeurs : ils allaient contre un système de croyance et de valeurs évident (encore aujourd’hui) ; et, non contents de tirer du système auquel ils adhéraient des satisfactions égoïstes, ils semblaient en être fiers, et ils le revendiquaient sans pudeur. Dans la perspective d’une remise en scène, je voulais insister sur ce parallèle (déjà évident dans le texte ancien), en faisant s’exprimer le couple de riches et le groupe des diables d’une manière similaire (au-delà de leur impudeur commune, je pensais leur donner un accent commun, ou bien un langage ancré dans une certaine classe sociale). Ce qui semblait intéressant également, c’était que malgré leur appartenance commune à ce qu’on pourrait considérer comme un système de valeurs négatif (caricaturé d’ailleurs), nos deux groupes (le(s) riche(s) et les diables) semblaient aussi s’opposer l’un à l’autre, puisque les diables cherchaient à berner le riche afin de se trouver à ses côtés lors de sa mort pour pouvoir emporter son âme en enfer. Cependant, cette hypothèse était peut-être à relativiser puisque le riche semblait, lui, avoir pleine conscience de son appartenance à ce système diabolique (voire adhérer complètement à celui-ci). On peut supposer cela dès ses premières répliques, lorsqu’il blasphème9, mais surtout lors de son agonie, où il semble percevoir la présence des diables à ses côtés10 et où il énonce un testament par lequel il semble se vouer complètement aux diables (non seulement en faisant le contraire de ce qu’il est recommandé de faire avant de mourir afin de pouvoir accéder au paradis11, mais aussi en se montrant bien conscient de cela et en s’en montrant fier). Décidément, le riche ne semblait pas seulement appartenir au « mauvais côté » par intérêt : cela semblait constituer un choix qu’il revendiquait avec fierté.

Je m’étais aussi intéressée à la question corollaire de la franchise dans la pièce, attitude que je voulais rendre au mieux dans la traduction. Cette franchise semblait définir presque tous les personnages, ou du moins, les personnages principaux, mais peut-être aussi les personnages secondaires, qui, s’ils semblaient instables moralement, n’étaient pas forcément hypocrites dans leurs paroles. Je trouvais cette franchise étonnante pour un public contemporain, car il semble que de nos jours, même dans les textes axiologiques, le mal ne s’assume pas si facilement : il passe souvent par l’hypocrisie, au moins en présence des autres personnages. C’est peut-être la place de la religion chrétienne dans la pièce qui fait que l’on y ressent cette franchise, cette manière dont les personnages assument leur nature (pour les chrétiens, le bien est le bien, le mal est le mal : peut-être que le mal et le bien devaient alors se présenter comme des évidences). Ce choix que fait le dramaturge d’amener ses personnages à assumer totalement leur caractère maléfique peut d’ailleurs s’assimiler à une écriture allégorique, très appréciée sur les scènes de l’Occident médiéval12. En effet les diables comme le mauvais riche pourraient presque être perçus comme des abstractions agissantes, comme des incarnations scéniques du vice ou du mal, ce qui expliquerait le caractère total et assumé que prend le vice chez ces personnages. En tout cas, cette franchise me paraissait intéressante parce qu’elle semblait trouver naturellement sa place dans la pièce d’origine, et que cela semblait contraster, en partie du moins, avec les mœurs de notre époque.

Enfin, je voulais vraiment insister sur la question du comique. Il semblait être un des éléments-clés des scènes qui impliquaient les diable ou le mauvais riche, quand il semblait totalement absent des scènes où l’on voyait Lazare. Or, étant donné le caractère axiologique et la vocation édifiante de la pièce, on pouvait comprendre que le comique était un comique qui se fondait sur le caractère ridicule des personnages que le spectateur devait considérer comme des repoussoirs. D’ailleurs, le décalage qui provoque le rire semble fondé sur la différence entre le comportement des diables et du riche (comportement exagérément immoral), et le comportement qui devait être attendu à l’époque de la part de n’importe quel bon chrétien. Je voulais donc mettre en avant l’aspect ridicule des personnages qui prêtaient à rire ; j’imaginais bien le mauvais riche, par exemple, parler très fort, avec un accent ridicule, faire beaucoup de gestes, exagérer tous ses gestes et propos : d’ailleurs dans la pièce du XVIe siècle, il a tendance à se répéter, à user d’hyperboles. Dans son étude intitulée Diables et saints. Rôle des diables dans les mystères hagiographiques français, Élyse Dupras montre bien le lien entre le ridicule des diables et le système de valeurs négatives auquel ils appartiennent : « Les diables jouent pleinement leur rôle à la fois d’autres par rapport au système de valeurs dominant, dont ils font un usage usurpatoire ou inversé, et de personnages carnavalesques dont le discours et les manières, par la polarisation vers le bas, permettent une forme de libération cathartique que l’altérité maintient à une saine distance13 ». Le public contemporain n’a sans doute pas moins besoin et envie de ces moments de détente dramatique.

I. 3. Choix des scènes traduites, et difficultés rencontrées

Je voulais traduire deux courts passages coïncidant avec ma lecture de la pièce, et proposer des indications pour leur jeu. Ces deux épisodes sont assez proches l’un de l’autre dans la pièce, et à plusieurs égards ils sont liés l’un à l’autre. Il s’agit des vers 403 à 460 et des vers 608 à 699. La première scène donne à voir un banquet organisé par le riche, qui a pour l’occasion invité ses cinq frères, et qui monopolise la parole afin d’exhiber sa richesse et sa puissance. La seconde scène implique trois diables évoquant la mort de Lazare et le fait qu’ils aient échoué à apporter son âme en enfer. Ils évoquent ensuite le mauvais riche, dont ils comptent bien récupérer l’âme en employant la ruse. Cette seconde scène se poursuit avec le départ du riche et de ses convives pour une promenade, et avec l’enterrement de Lazare par deux des serviteurs du riche.

Je voulais en effet travailler sur les caractéristiques des différents groupes de personnages, ainsi que sur ce qui pouvait les lier les uns les autres, ou au contraire les différencier. C’est pour cela que ces deux extraits m’intéressaient : ils donnent à voir les diables, les riches, ainsi que les cinq frères du mauvais riche, et certains de ses serviteurs. L’idée était d’insister sur la ressemblance entre les riches et les diables, afin de montrer que le riche appartenait en fait au groupe des diables (et donc à l’enfer) avant même de leur livrer son corps et son âme. Pour cela, je voulais travailler sur les costumes14, le langage, et je voulais prêter au riche un langage et un comportement grossiers. Je voulais ainsi introduire une contradiction entre le langage que l’on attendrait de quelqu’un d’une certaine classe sociale (le riche), et sa façon de s’exprimer en réalité. Cela permettait aussi d’exhiber un nouveau point commun entre les deux groupes.

Et j’avais envie de m’intéresser aux personnages « secondaires » qu’étaient les serviteurs et les frères. Pour les raisons évoquées plus haut, je souhaitais, au lieu de souligner leur appartenance à un groupe, les individualiser. L’idée du groupe devait donc être associée à des personnages qui représentaient un des pôles axiologiques de la fable (ici, le mal), tandis que l’idée de l’individualité devait être associée à des personnages plus difficiles à classer.

Mais pour mettre en scène ces personnages secondaires, le fait d’isoler deux extraits pouvait poser problème. En effet, au niveau de la totalité de la pièce, je trouvais que les cinq frères et les serviteurs modéraient l’aspect axiologique de l’ensemble, puisqu’ils apparaissent à certains moments neutres voire presque gentils, et à d’autres immoraux. Mais, quand on isolait ces deux extraits (extraits où ces personnages secondaires semblent plutôt neutres voire gentils, et où Lazare, associé au bien, n’apparaît pas), le risque était d’associer ces personnages au bien, face au mal si évidemment incarné par le riche et les diables – et de retomber ainsi dans un système axiologique. Il fallait donc chercher à complexifier les intentions, la morale de ces personnages, notamment en faisant agir les individus différemment les uns des autres, mais peut-être aussi en complexifiant le comportement de chaque individu. C’est dans cette perspective que j’ai donné un prénom à chacun des frères du riche, afin de les individualiser encore15 (à l’origine ils se présentaient sous les noms de « Le Premier frère », « Le Deuxième frère », « Le Troisième frère », « Le Quatrième frère » et « Le Cinquième frère »).

II. Proposition de traduction et didascalies

II. 1. Première scène : vers 403 à 460

[Pendant cette scène, la femme du riche regarde et imite son mari dans tous ses faits et gestes. Yves et Jean rigolent et chuchotent entre eux pendant que les autres personnages parlent. Léon bâille et s’endort, et André ainsi que Paul sont agacés par ces comportements dissipés, et se montrent très attentifs quand le riche parle. André et Paul se montrent également très zélés quand ils s’expriment eux-mêmes.]
Le Riche :
[Il est au centre de la table, sa femme et ses invités sont à côté. Il regarde devant lui, là où se trouve son festin, et puis plus loin devant, là où se trouvent des richesses (des coffres fermés et des richesses posées : ce sont des objets hors du temps). Il les regarde et farfouille dedans de temps à autre.] Alors, ce repas ? Vous vous régalez, hein ? C’est qu’on vous traite bien ici, non ?
André :
[Sort un papier de sa poche, le met devant ses yeux, rajuste ses lunettes, se racle la gorge, et d’une voix un peu aiguë, s’exclame de manière surjouée :] Oh Monsieur, c’est divin ; ne doutez point du fait que nous sommes les plus chanceux du monde !
Le Riche :
[Ne regarde toujours pas ses interlocuteurs, tend une bouteille de vin à l’un de ses frères, mais qui n’est pas celui qui vient de parler, tout en regardant les autres bouteilles :] Ah tiens ! Goûte-moi ce vin, tu m’en diras des nouvelles !
[Ils boivent]
Léon :
[André lui fait signe de parler, avec des gestes pressés, mais lui semble chercher quelque chose dans ses poches, puis, n’ayant rien trouvé, tente timidement :] Oh Monsieur, c’est divin !
[André lui fait les gros yeux et lui tend un papier.]
Le riche :
[Toujours le nez dans ses bouteilles de vin, les examine une à une avec un sourire fier.] Ah oui ! Parce qu’il faudrait être sacrément mal fichu pour ne pas l’apprécier, celui-là ! Allez-y, vas-y, bois ! Faites comme si c’était de l’eau : avec toutes les bouteilles que j’ai ici, tu peux y aller ! [Rit.] Tiens, bois pour vider le tonneau ! [Soupire de bien-être :] Ahhhh, alors, on n’est pas bien ici ? [Se lève pour aller regarder de plus près ses richesses, les montre à l’assemblée, sans regarder celle-ci.] Si ce n’est pas splendide, ça ! Voir tant de biens, un tel tas de richesses ! Tant d’objets précieux, d’argent !

[L’histoire et Tragedie du Mauvais Riche, vers 403-418 (début d’une séquence composée de sept quatrains octosyllabiques en forme de croisures et liés les uns aux autres par leur seconde rime [abab bcbc cdcd dede] ; un vers commencé par le deuxième frère est achevé par le mauvais riche) :

Le riche : Que vous semble de ce convive ? / Estes vous au moins bien traictez ?
Le premier frere : Tres bien, monsieur : homme qui vive / n’est mieux que nous, point n’en doubtez.
Le riche : Goustez de ce vin la, goustez : / dictes s’il est bon plainement.
Ils boivent.
Le deuxiesme frere : Tres bon, monsieur.
Le riche : Bien desgoutez / seriez, si disiez aultrement. / Buvez, buvez fort hardiment : / ne l’espargnez nom plus que l’eau, / car j’en ay ceans largement. / Buvez pour vuider le tonneau. / Or ça, fait il pas icy beau ? / N’est ce pas icy grand noblesse, / veoir tant de biens en un monceau, / tant de bagues, tant de richesses ?]

André :
[Secoue Léon qui est en train de bâiller, et tend la main comme pour réclamer quelque chose. Léon lui tend nonchalamment le papier, et recommence à bâiller. André réitère les gestes de tout à l’heure : lunettes, papier devant les yeux, raclement de gorge, et puis déclame avec emphase :] Oh ! Mais c’est tant d’honneur, de générosité16, c’est un divertissement tellement agréable, et même, une consolation ! [Il tend d’un geste autoritaire le papier à Léon, qui ne le remarque pas.]
Léon :
[Il regarde ailleurs. Quand André le secoue violemment, il semble se réveiller, prend le papier, et se met lentement à le déchiffrer à voix haute, sans emphase, avec hésitation et nonchalance :] C’est une grande réputation, une grande euh… gentillesse, un soulagement, et une délectation. [Jean, en riant, lui prend le papier des mains. André se prend la tête dans les mains, soupire bruyamment, fait « non » avec la tête, d’un air désolé.]
Jean :
[Semble amusé par ce jeu. Lit en rigolant avec beaucoup trop d’emphase :] Et c’est toute jubilation !
Yves :
[Amusé, Yves sourit, lui prend le papier des mains, et, d’un ton doucereux :] Oh, mais tout ici n’est que douceur et plaisir !
Paul :
[Agacé par le comportement de ses frères, leur arrache le papier des mains, et récite avec zèle ce qui suit, mais semble avoir des difficultés avec la lecture :] C’est tout un euh, … diverti-sse-ment ! On a ici tout euh… son plaisir !

[L’histoire et Tragedie du Mauvais Riche, vers 419-426 (suite de la séquence de sept quatrains octosyllabiques en forme de croisures [efef fgfg]) :

Le premier frere : C’est tout honneur, toute largesse, / deduit et consolation.
Le deuxiesme frere : C’est tout bruit, toute gentillesse, / soulas et delectation.
Le troisiesme frere : C’est toute jubilation.
Le quatriesme frere : C’est toute douceur et plaisir.
Le cinquiesme frere : C’est toute recreation : / on a ceans tout son desir.]

Le riche :
[Revient à table, suivi de sa femme, avec des objets précieux qu’il pose devant ses frères ou laisse dans ses poches. Il regarde son festin, analyse les différents plats :] Bon maintenant, buvons jusqu’à n’en plus pouvoir ! Ah, on ne va rien laisser, et on va choisir ce qu’il y a de meilleur !
La femme du riche :
Comme vous parlez bien, mon cher !
Le riche :
[Au moment où le riche reprend la parole, une musique se fait entendre17. Le riche commence à parler avec enthousiasme, prend le ton de la déclaration, et se met debout (sur la table, sur sa chaise).] Vous savez ce qui serait vraiment bien, pour être tranquille ? Eh bien, que Dieu me laisse ici pour toujours, écoutez-bien ce que je dis, et qu’il se le garde, son paradis, pour lui, ou pour ceux qui le voudront ! Croyez-moi, on est bien mieux à être ici qu’à être Dieu lui-même, et il n’a pas plus de gloire au paradis que j’en ai chez moi ! Faites le compte de mes richesses, vous verrez : j’ai des manoirs, des parcs, des terres, des bois, des étangs, des prairies, des rentes, des revenus, de grands domaines, de l’or et de l’argent en abondance ! Ah et puis j’ai la santé, je chante [il se met à chanter], je danse [il se met à danser tout en continuant de chanter], je mange à m’en faire exploser le ventre [tout en continuant à danser et chanter, il mange en grande quantité, et se déplace autour de la table : il se donne en spectacle], je bois [il se met aussi à boire à la bouteille], j’ai des chanteurs, des musiciens, des hautboïstes18, qui réagissent à mes moindres désirs [il fait un grand geste des bras, et le volume de la musique augmente, il se met donc à parler encore plus fort]. Bref, j’ai tout le plaisir du monde, plus que ce qu’on pourrait imaginer ! [Sur ces paroles, un peu essoufflé, il se rassied lourdement.]
La dame :
[Sourit tendrement à son mari, et lui touche le bras :] C’est bien vrai ! [Puis, d’un air effrayé :] Mais c’est rageant que l’on doive tous mourir, et que notre corps doive pourrir dans la terre ! [Elle prend un air de dégoût :] Personne n’échappe à ça…
Le riche :
[Rit à gorge déployée, regarde sa femme :] Non mais attends, tu crois vraiment que je puisse mourir, moi !? En voilà une bonne, tiens ! [Se tourne à nouveau vers ses richesses, et leur déclare :] Je n’ai jamais été malade de toute ma vie, ni hiver ni été !

[L’histoire et Tragedie du Mauvais Riche, vers 427-460 (dernier des sept quatrains octosyllabiques en forme de croisures [ghgh] ; puis suite d’octosyllabes à rimes plates, avant que Lazare ne fasse son apparition et que son dialogue avec le riche ne constitue un rondeau cinquain, aux vers 461-481) :

Le riche : Or buvons bien tout a loisir ; / Comment qu’il soit, n’espargnons rien, / et pensons du meilleur choisir.
La dame : Mon amy, vous dittes tres bien.
Le riche : Sçavez vous que je vouldroye bien, / affin d’eviter toutz debats ? / Que Dieu me laisse icy bas / tousjours  escoutez que je dis , / et qu’il gardast son paradis / pour luy, ou a qui qu’il vouldroit. / Il m’est advis que mieux vaudroit / estre ainsi comme en ce lieu, / par mon ame, que d’estre Dieu, / et que Dieu n’a pas plus de gloire / en Paradis que j’en ay, voire, / tout bien comté de toutes pars, / car j’ay icy manoirs et parcs, / terres, boys, estangs et prairies, / rentes, cens, grosses seigneuries, / or et argent en abondance. / J’ay santé, je chante, je dance, / je mange tout mon saoul, je bois, / j’ay chantres, menestriers, hauxboys / pour faire mon desir soudain : / bref, j’ay tout mon plaisir mondain, /autant qu’on en sçauroit songer.
La dame : Voire, mais c’est pour enrager / qu’il faut en fin trestous mourir, / et le corps en terre pourrir ! / Il n’est pas un qui en reschappe.
Le riche : Pensez vous que la mort me happe ? / Parbieu, voila bonne ballade ! / En ma vie ne fus malade, / ne n’euz mal yver ne esté.]

II. 2. Seconde scène : vers 608 à 699

[Lucifer se trouve sur une estrade à gauche de la scène. Il y a des bruitages de casseroles qui claquent, et des couleurs chaudes dans le décor pour évoquer le feu. Lorsque Lucifer commence à parler, la musique qui s’est déclenchée dans la scène précédente pendant la tirade du riche recommence.]
Lucifer :
[Alors qu’il parle (très fort), il fait de grands gestes avec ses bras et bouge beaucoup, avec énergie et nervosité.] Oh ! Eh ! Sale vermine ! Baraque répugnante et méprisable ! Je vais enrager si vous ne venez pas maintenant ! Eh ! Belzébuth, eh ! Satan ! [Trébuche, manque tomber, se rattrape.] Oh ! Croyez-moi, j’arrive, et je vous casse le nez ! Espèces de diables maudits ! Enragés, fous furieux ! Avancez, venez me voir ! [Cette fois, il tombe, et remonte sur son estrade maladroitement, mais toujours nerveusement. Puis se met à rire bruyamment, et d’une manière non naturelle.] Ah ! Ah ! Nos enfers croulent littéralement sous le bruit des cuivres ! [Il applaudit.] Ah ! J’ai tellement peur que j’en tremble ! [Rit de nouveau.]
Satan :
[Arrive en courant, fait la course avec Belzébuth. Belzébuth perd son faux nez proéminent, fait demi-tour, le rajuste en courant, et se place juste devant Satan pour le gêner. Ils entreprennent de rejoindre Lucifer sur l’estrade, mais celui-ci les repousse. Ils tombent, et c’est pendant cette action que Satan répond :] Espèce de sale dragon puant ! Qu’est-ce qu’il te faut encore ? Du feu pour tes chaudrons ? [Ricane.]
Lucifer :
[S’assied au bord de l’estrade, prend un ton mielleux.] Non. Dites-moi : qui se réjouit si fort là-haut, aux limbes des saints pères ? [Il s’avance d’un pas menaçant vers les deux diables assis par terre. Ceux-ci se relèvent, effrayés, et font quelques pas en arrière. Pourtant, Lucifer est tout petit.]
Belzébuth :
[Se met à rire et à courir, alors Lucifer lui court après. Ils tournent en rond. Pendant sa course, Belzébuth crie en riant :] Eh bien ce sont les anges, mon cher ! Ils ont emporté avec eux l’âme de Lazare ! [À ce moment, Belzébuth arrête sa course, se retourne vers Lucifer, rigole, et lui tire la langue. Lucifer lui donne un coup de pied dans les jambes, et Belzébuth tombe. Lucifer remonte sur son estrade, et regarde Satan.]
Lucifer :
[Reprend son ton mielleux en s’adressant à Satan :] Alors Satan, tu sais que je mourrais si tu ne paies pas cela trèèès cher. [Rit. Puis se remet debout maladroitement, et hurle sur Satan :] Espèce de maudit diable ! Infâme ! Tu n’as pas su ramener l’âme de Lazare ici afin qu’elle soit tourmentée à jamais ?!
Satan :
[Alors qu’il court en rond, poursuivi par Lucifer :] Nous n’avons pas pu ! On nous l’a prise ! C’est parce qu’il pouvait vraiment avoir bonne conscience : il endurait sa pauvreté en bon chrétien ! [Un peu essoufflé, s’arrête, et se retourne vers Lucifer qui s’arrête aussi. Avec de grands gestes vers le ciel, s’exclame :] Bref ! Il est mort en état de grâce !
Lucifer :
[A tourné le dos à Satan et essaie maladroitement de remonter sur son estrade. Bougonne :] Oui bon, alors les anges sont dans leur droit.
Satan :
[Il s’est dirigé vers Belzébuth et essaie de le relever, n’y arrive pas, s’énerve, et répond entre deux :] C’est exactement ça ; mais il y a des nouvelles ! Bientôt, on amènera sous tes ailes l’âme du mauvais riche. On y arrivera ! [Rire diabolique. Perd une de ses cornes en aidant Belzébuth à se relever, laisse tomber Belzébuth pour raccrocher sa corne, reprend :] Oui, parce que ce riche a été si avare avec le pauvre qu’il l’a laissé mourir pour un morceau de pain ! [Se redresse et affecte de rire d’un rire forcé et méchant.]
Lucifer :
[Il se met à bouger nerveusement sur son estrade, tout heureux :] C’est vrai ?! Ah ! Un traître enfin, un bon petit voleur ! Surveille-moi ça, sous peine de la corde ! [S’arrête et pointe du doigt Belzébuth et Satan, sourit de toutes ses dents :] Tu le sais bien, hein, que je te casse le nez si tu échoues.
Belzébuth :
[Aidé par Satan, il se dresse sur un fauteuil roulant que Satan vient d’approcher. Il s’exclame :] Ça me va parfaitement !
Satan :
[En poussant le fauteuil de Belzébuth vers la sortie de la scène :] Oui, moi aussi, je suis tout à fait d’accord ! [Ils s’éloignent de Satan, qui se dépêche de descendre de l’estrade pour les rejoindre, tombe à nouveau, et les poursuit. Les trois sortent de la scène en courant. La musique s’arrête.]

[L’histoire et Tragedie du Mauvais Riche, vers 608-639 (Lazare est mort, son âme a été accueillie par Abraham et l’on a « fai[t] joye au limbe avec chantz ou instrumens melodieux » ; poursuite d’une série de quatrains décasyllabiques en forme de croisures, liés par la rime ; puis série de décasyllabes à rimes plates ; puis quatrain décasyllabique en forme de croisure ; un vers commencé par Belzébuth est terminé par Lucifer, et un autre par Satan) :

Lucifer : Faulce vermine, mesgnie salle et orde, / j’enrageray s’a moy tost ne venez ! / Hau, Belzebuth, hau, Satan, si j’aborde / dessus vous deux, je vous rompray le nez ! / Diables mauditz, enragez, forcenez, / venez avant, faictes icy un sault ! / Noz enfers croullent, tant sont fort escornez : / j’ay si grand peur que mon corps en tressault.
Satan : Dragon puant, dy, qu’est ce qu’il te faut : / veux tu du feu souz tes grandes chaudieres ?
Lucifer : Non. Qu’est ce la qui s’esjouist la hault / si grandement au limbe des sainctz peres ?
Belzebuth : Ce sont les anges qui ont en ces repaires / du Lazare maintenant portee l’ame.
Lucifer : Haro, Satan, si tu ne le compaires, / mourir puissay je ! Hé, maudit diable infame, / ne l’as tu sceu attrainer en la flame, / pour estre icy a jamais tourmentee ?
Sathan : Nous n’avons sceu, on la nous a ostee, / car il estoit net de sa conscience : / sa pauvreté prenoit en patience, / et bref, il est en grace de Dieu mort.
Lucifer : Les anges donc ne vous ont fait nul tort.
Belzebuth : Non, pour certain ; mais il y a des nouvelles : / nous te mettrons de bref dessoubz tes ailles, / point n’y faudrons, l’ame du mauvais riche, / car a ce povre a esté si tres chiche / qu’il l’a laissé mourir pour un morceau / de pain.
Lucifer : Dis tu ? un trahistre larronneau ! / Fais y le guet, sur peine de la corde : / je te rompray, si tu faux, le museau.
Belzebuth : J’en suis content.
Sathan : Moy aussi je l’accorde.]

[Le riche, sa femme, et les cinq frères du riche entrent en scène, ils discutent, debout.]
Le riche :
[Il est enthousiaste, mais il est vite essoufflé et doit se tenir à sa femme pour rester debout. Il parle fort et fait des gestes avec ses bras, mais manque alors tomber, et se retient à sa femme.] Alors ? Nous allons nous amuser ?
La femme :
Oh oui, bien sûr ! Je veux bien, cher ami !
Le riche :
[Finit par s’assoir pour pouvoir faire de grands gestes avec ses bras quand il s’exprime. Sa femme s’assied aussi, et les cinq frères forment un cercle autour du couple. Yves et Jean chahutent, André et Paul se tiennent bien droit, ne quittent pas le riche des yeux, opinent à tout ce qu’il dit. Léon essaie de trouver une place pour s’asseoir, ne trouve pas, bâille bruyamment. Le riche reprend la parole, mais il regarde un papier (ou un carnet) qui est sur ses genoux.] Allons nous promener dans nos bois trois ou quatre heures ! Ah tiens ! On verra si on peut tuer une perdrix ou deux dans les champs !
La dame :
[Se lève pour exprimer son enthousiasme, marche de long en large en parlant, fait des gestes avec ses bras, sourit :] Oh oui, bien dit ! On va entendre le chant des rossignols, des alouettes ! [S’arrête, soupire de bonheur.] Oh, nous allons voir ces belles fleurs qui sentent siii bon !! [Elle tend la main à son mari pour l’aider à se relever : celui-ci regarde son carnet, et se tourne vers ses richesses.]

[L’histoire et Tragedie du Mauvais Riche, vers 640-649 (série d’octosyllabes à rimes plates ; un vers commencé par le riche est terminé par sa femme) :

Le riche : Irons nous jouer ?
La dame : Sans discorde, / je le veux bien, mon cher amy.
Le riche : Allons passer le temps parmy / ces beaux bois, trois heures ou quatre, / ou voir si nous pourrons abbatre / quelques perdrix parmy ces champs.
La dame : C’est bien dit, nous orrons les chantz / des rossignolz, des allouettes, / et verrons ces belles fleurettes / qui sont plus que bausme odorantes.]

Le riche :
[Il déclame :] Je pense à mes revenus et à mes rentes ! Il faut surveiller comment tout ça se porte ! [Ils arrivent à la porte, le couple en tête, les frères derrière. Le riche est gêné par le corps de Lazare devant la porte. Il l’enjambe, aidé de sa femme, et s’exclame en poursuivant son chemin :] Rhoo ! Qu’est-ce que c’est que ce truc devant la porte ! Un mendiant qui dort ? Il nous rapporte ses poux !
André :
[Après s’être arrêté pour examiner le mort, rejoint rapidement le riche et lui annonce fièrement :] C’est le pauvre de tout à l’heure, qui criait fort pour avoir l’aumône ! Apparemment il est mort ! [Pendant ce temps, Léon, Yves et Paul sont restés près du cadavre, ils chuchotent entre eux, et installent le mort dans une position plus décente. Le riche et sa femme, suivis par André et Jean sont quelques pas plus loin, et tournent le dos à la scène, en continuant d’avancer lentement (le riche ne peut pas marcher vite)].
Le riche :
[Nonchalamment :] Ah oui ? Ce vaurien si ignoble et répugnant ?
André :
[Avec zèle :] C’est ça, Monsieur !
Le riche :
[Avec un petit rire :] Elle est bien bonne, celle-là !
Léon :
[Semble s’étonner que le riche ne fasse pas demi-tour, lui crie pour l’informer :] Euh… là, il est mort, c’est un corps sans âme ! [Puis il fixe le riche, attendant sa réaction.]
Le riche :
[En riant :] Ah bon ? Et pourtant il était très bavard, hein ?
[Léon se retourne vers ses frères qui sont restés avec lui. Ils ne rient pas, et font des signes d’incompréhension avec leurs mains, chuchotent entre eux, regardent le corps du pauvre].
Jean :
[S’adresse au riche en rigolant :] Ah, eh bien là, il ne dit plus rien !
Le riche :
[Nonchalamment ; il a repris la lecture de son carnet :] Eh bien, c’est une bonne perte, ou même un beau profit !
Yves :
[Il soupire d’abord pour ses frères près de lui, l’air concerné :] Il n’a que ce petit sac pour toute possession… [Puis il reprend, plus fort, en direction du riche :] Il n’a qu’un pauvre sac ou une besace, je disais, où il n’y rien !
Le riche :
[Toujours le nez dans son carnet, répond distraitement :] Oui, c’est le sort des gueux, ça ! Qui passent leur vie à mendier ! [Puis le riche, ayant longuement regardé son carnet, paraît satisfait, sourit, et se retourne enfin vers l’attroupement autour du corps de Lazare ; il dit alors avec impatience :] Bon maintenant on y va, on avance ! On ne va quand même pas tarder pour un gueux. Allez, on va se prendre du bon temps, allons nous abandonner au plaisir des champs !
[Se retourne à nouveau, et reprend sa marche d’un pas décidé, mais toujours lent. Les frères autour du corps de Lazare hésitent un peu, puis rejoignent lentement leur hôte, en jetant des regards en arrière. Ils sortent tous par le côté jardin.]

[L’histoire et Tragedie du Mauvais Riche, vers 650-671 (à partir du vers 653, série de cinq quatrains octosyllabiques liés par la rime de façon complexe [abaa cbcc dcdd edee feff] ; un vers commencé par le premier frère est terminé par le mauvais riche, puis c’est le cas d’un vers commencé par le quatrième frère) :

Le riche : Je pense a mes cens, a mes rentes : / sçavoir faut comme tout se porte. / Qu’est ce la, contre ceste porte ? / C’est quelque belistre qui dort, / qui ces poux icy nous apporte.
Le premier frere : C’est ce pauvre homme qui est mort, / qui crioit si haut et si fort / maintenant pour avoir l’aumosne.
Le riche : Qui ? Ce marault tant vil et ort ?
Le premier frere : Voire, monsieur.
Le riche : La voicy bonne !
Le deuxiesme frere : Il n’est plus rien de sa personne.
Le riche : Quoy ? Il avoit si haut caquet.
Le troisiesme frere : Vous le voyez, plus mot ne sonne.
Le riche : C’est belle perte et grand acquest.
Le quatriesme frere : Pour tout bien n’a que ce sacquest, / dis je, ce bisac ou besace, / ou n’y a rien.
Le riche : C’est le conquest / d’un coquin qui sa vie pourchasse. / Or sus, sus, allons, qu’on desplace : / pour un coquin ne faut targer / ne differer qu’on se soulasse. / Allons dessus les champs rager.]

Le cuisinier :
[Le valet et le cuisinier arrivent près du corps, et le cuisinier s’adresse en chuchotant au valet, en mettant sa main à côté de sa bouche quand il parle, comme pour faire une confidence :] Dis-moi, Humebrouet, vite fait, qu’en penses-tu, de notre maître ?
Le valet :
[Il s’exclame avec conviction] : Ouh là ! Je vais te dire, par Dieu, c’est un très méchant… [Comme le cuisinier lui fait signe de parler plus bas, il reprend en chuchotant, sur le ton du commérage, en ricanant :] Un très vilain homme !
Le cuisiner :
[Toujours en chuchotant, avec la conviction d’une commère :] Non mais tu as vu ? Comme il a rabroué le pauvre tout à l’heure ?!
Le valet :
Non mais attends, s’il n’avait pas décampé de lui-même, tu sais qu’il l’aurait certainement rossé !
Le cuisinier :
Mais ça c’est sûr ! [D’un ton plus sérieux :] : Et tu as vu tout à l’heure : les chiens sont venus lécher les plaies du pauvre gentiment, comme pour le soulager… Ils ne voulaient pas le blesser, ils se comportaient mieux que les hommes !
Le valet :
[Reprend le ton du commérage :] Non mais vraiment c’est un con ! Avec tout l’argent qu’il a, même pas capable d’avoir pitié ! [Soupire bruyamment.] Que la fièvre l’emporte, tiens !
Le cuisinier :
[Soupire, et s’agenouille près de Lazare :] Allons l’enterrer, ce pauvre homme, quelque part dans les parages…
Le valet :
[Reste debout, puis soupire et s’agenouille également, et entreprend d’aider le cuisinier :] Oui… il paraît qu’on ne perd jamais un bienfait, alors faisons-le, pour l’honneur de Dieu. [Puis, découragé par le fait de devoir porter Lazare, il semble se raviser, se relève, et s’exclame :] Mais si notre maître le sait, il se mettra en rogne, tu sais !
Le cuisinier :
[Tout en faisant signe au valet pour qu’il l’aide :] Oh, allons, allons, il ne saura rien ! Allez !
[Ils transportent le corps côté cour.]
Le valet :
[Il grommelle, l’air bougon :] Oui, eh bien j’espère bien, qu’il ne le saura pas…

[L’histoire et Tragedie du Mauvais Riche, vers 672-699 (à partir du vers 673, suite d’octosyllabes à rimes plates) :

Le cuisinier : Humebrouet, pour abreger, / que te semble de nostre maistre ?
Le valet : Par le vray Dieu qui me feit naistre, / c’est un mauvais et meschant homme.
Le cuisinier : Mais n’as tu pas regardé comme / il a ce pauvre rabroué ?
Le valet : Si soudain ne s’en fut broué, / sans point de faute il l’eust battu.
Le cuisinier : Il n’en faut point doubter. N’as-tu / pas aussi regardé, en somme, / comme a ceste pauvre personne, / pour luy alleger son torment, / ces chiens lechoient joyeusement / les playes pour le consoler, / et se gardoient de l’affoler / aussi bien qu’un homme eust sceu faire ?
Le valet : Monsieur est de mauvais affaire, / veu qu’il a d’argent si grand somme, / qu’il n’eut pitié de ce pauvre homme. / La fiebvre le puisse atterrer !
Le cuisinier : Allons ce pauvre homme enterrer, / icy auprés en quelque lieu.
Le valet : Allons y pour l’honneur de Dieu : / on ne pert jamais un bienfait. / Mais se nostre maistre le sçait, / parbieu, a nous se courcera.
Le cuisinier : Allons, allons, rien n’en sçaura.
Ilz transportent le corps du pauvre hors du lieu.
Le valet, en alant, dit : Aussi par Dieu pas ne le faut.]

Notes de bas de page numériques

1 Pièce anonyme des années 1510-1520, imprimée à plusieurs reprises aux XVIe et XVIIe siècles. Dans l’imprimé le plus ancien parvenu jusqu’à nous, celui de Simon Calvarin, le titre complet est Le Mauvais Riche. L’histoire et Tragedie du Mauvais Riche, Extraicte de la saincte Escriture, et representee par dix huict personnages.

2 Par « lambda », j’entends un public qui n’aurait pas une connaissance précise ni de la langue ni de la période médiévale, et qui ne serait pas particulièrement connaisseur des pratiques, contemporaines ou non, du spectacle vivant.

3 Véronique Dominguez, « Quelle renaissance pour le théâtre médiéval ? Historiographie et mise en scène », in Véronique Dominguez (dir.), Renaissance du théâtre médiéval [Actes du XIIe colloque de la Société internationale du théâtre médiéval, Lille, 2-7 juillet 2007], Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2009, p. 5-16 [édition en ligne : http://books.openedition.org/pucl/634, consultée le 09 juin 2021]. Voir aussi Véronique Dominguez, « Les Théophiliens et le Mystère de la Passion : une réflexion en acte sur l’adaptation du théâtre ancien (1936-1939, 1950-1954) » in Véronique Dominguez (dir.), Renaissance du théâtre médiéval [Actes du XIIe colloque de la Société internationale du théâtre médiéval, Lille, 2-7 juillet 2007], Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2009, p. 177-199.

4 Véronique Dominguez, « Quelle renaissance pour le théâtre médiéval ? Historiographie et mise en scène », art. cit., § 19 de l’édition en ligne.

5 Damien Boquet, Piroska Nagy, Sensible Moyen Age, Une histoire des émotions dans l’occident médiéval, Paris, Seuil, 2015.

6 Damien Boquet, Piroska Nagy, Sensible Moyen Age, Une histoire des émotions dans l’occident médiéval, op. cit., p. 345.

7 Damien Boquet, Piroska Nagy, Sensible Moyen Age, Une histoire des émotions dans l’occident médiéval, op. cit., p. 89.

8 Dans la parabole lucanienne, il n’est question d’eux (comme de tierces personnes) que quand l’âme du Mauvais riche se soucie de leur sort post mortem, à la toute fin de cette parabole donc.

9 Voir infra notre traduction des vers 403 sqq ; voir dès les vers 331 sqq dans la pièce d’origine.

10 On le voit au nombre d’occurrences important du mot diable que prononce le riche lors de son agonie.

11 Le mauvais riche ne respecte absolument pas les artes bene moriendi, c’est-à-dire le comportement qu’il est recommandé d’adopter au moment de l’agonie (un comportement de bon chrétien) afin d’espérer accéder au paradis.

12 Écriture allégorique qui entend anticiper la vision béatifique par le déchiffrement des deux grands livres, la sacra pagina et le liber mundi. L’encodage allégorique ne s’est pas limité aux fictions narratives, et le Recueil général de moralités d’expression française actuellement en cours d’édition (dir. Jonathan Beck, Estelle Doudet, Alan Hindley, Paris, Classiques Garnier) comptera pas moins de dix-huit tomes.

13 Élyse Dupras, Diables et Saints dans les mystères hagiographiques français, Genève, Droz, 2006, p. 96.

14 Cette projection m’a aidée à concevoir ma traduction et mes didascalies, mais elle aurait nécessité d’être approfondie et aurait supposé des recherches que je n’ai pu entreprendre. Les indications sommaires de costumes – qui distinguaient spécialement Léon, désinvolte, d’André et Paul, très zélés –, ne se trouvent donc pas dans cette contribution.

15 Du moins à la lecture, car leurs prénoms ne sont pas prononcés. Durant le jeu de ma traduction, tons et attitudes les différencient, plus nettement sans doute que dans la pièce du XVIe siècle.

16 Ici, l’honneur concerne les frères, qui se disent honorés, mais la générosité renvoie en revanche au riche qui les accueille fastueusement. Cette confusion était déjà possible dans le texte original, et je l’ai gardée puisque cela donnait un caractère maladroit, et donc comique, à la parole d’André.

17 La Danzon 2 d’Arturo Marquez (à la minute 6 de la version interprétée par l’orchestre de Paris dirigé par Alondra de la Parra). Cette musique sera reprise avec l’apparition des diables dans la seconde scène traduite.

18 Le hautbois est un instrument à vent, qui peut renvoyer dans l’imaginaire collectif, et notamment au Moyen Âge, aux bruits de l’enfer. Les instruments à vent étaient en effet péjorativement connotés, et pouvaient renvoyer au « bas corporel ». Je trouvais pertinent de conserver le terme hautboïstes étant donné que le hautbois est aussi un instrument contemporain. Cela pouvait aider à donner à la pièce l’aspect hors du temps que je voulais lui conférer.

Bibliographie

Beck Jonathan, Doudet Estelle, Hindley Alan (dir.), Recueil général de moralités d’expression française, Paris, Classiques Garnier, t. 1 2012, t. 2 2019, t. 3 2014.

Boquet Damien, Nagy Piroska, Sensible Moyen Âge. Une histoire des émotions dans l’occident médiéval, Paris, Le Seuil, 2015.

Dictionnaire du moyen français [en ligne] : http://www.atilf.fr/dmf

Dominguez Véronique, « Quelle renaissance pour le théâtre médiéval ? Historiographie et mise en scène », in Dominguez Véronique (dir.), Renaissance du théâtre médiéval [Actes du XIIe colloque de la Société internationale du théâtre médiéval, Lille, 2-7 juillet 2007], Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2009, p. 5-16.

Dominguez Véronique, « Les Théophiliens et le Mystère de la Passion : une réflexion en acte sur l’adaptation du théâtre ancien (1936-1939, 1950-1954) », in Dominguez Véronique (dir.), Renaissance du théâtre médiéval [Actes du XIIe colloque de la Société internationale du théâtre médiéval, Lille, 2-7 juillet 2007], Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2009, p. 177-199.

Dupras Élyse, Diables et Saints dans les mystères hagiographiques français, Genève, Droz, 2006.

Martin Robert, Wilmet Marc, Syntaxe du moyen français [t. 2 du Manuel du français du moyen âge dir. Lefèvre Yves], Bordeaux, Sobodi, 1980 [diff. Bordeaux, Bière].

Pour citer cet article

Chloé Betry, « Traduire L'histoire et Tragedie du Mauvais Riche en français moderne, ou comment et pourquoi enrichir des rôles 'secondaires' », paru dans Loxias, 73., mis en ligne le 15 juin 2021, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=9748.

Auteurs

Chloé Betry

Chloé Betry est étudiante en Master 1 de Lettres Modernes et Classiques à l’Université Côte d’Azur. Dans le cadre de son mémoire de recherche (2020-2021), elle travaille en Littérature générale et comparée.