Loxias | 68. POEtiques : influence littéraire et poétique des genres | I. POEtiques : influence littéraire et poétique des genres 

Nicole Biagioli  : 

Adapter Poe à l’opéra : le diptyque opératique de Bruno Coli, The Tell-Tale Heart (2004) et The Angel of the Odd (2014)

Résumé

The Tell-Tale Heart est un opéra composé par Bruno Coli, créé en 2004. Coli a opératisé directement le texte éponyme de E. A. Poe dans sa langue originale sans en changer un mot. Dix ans plus tard, il applique le même principe à une autre nouvelle de Poe, dont le registre grotesque était susceptible de faire pendant au premier opéra. The Angel of the Odd est créé en 2014. Nous avons voulu vérifier si les deux opéras répondaient à la définition de la forme diptyque, et si oui, comment. Pour ce faire, nous avons élaboré un modèle d’analyse textuelle qui reprend celui de la lecture étoilée établi par Barthes dans S/Z (1970) autour des cinq codes (culturel, symbolique, sémique, prorairétique, herméneutique) qui structurent tout texte. En inversant l’ordre de succession des codes établi par Barthes qui décrivait le processus de la réception, nous avons obtenu un modèle symétrique dédié à la conception. Puis nous avons appliqué ce nouveau modèle en deux volets en réservant le premier à la lecture de l’hypotexte littéraire par le compositeur et le second à la conception de l’opéra.

Abstract

The Tell-Tale Heart is an opera composed by Bruno Coli, created 2004. Coli operatized directly the original english text of E. A. Poe’s short story, without changing a word. Ten years later, he applied the same principle to another of Poe’s short stories, a grotesque one, able to make a pair with the first piece. The Angel of the Odd was created in 2014. Our study aims at verifying if the two operas square with what a diptych is supposed to be ; and if so, in what way. To answer the purpose, we elaborate a model of textual analysis which goes back to the description by Barthes in S/Z (1970) of the so-called “lecture étoilée” (divergent star-shaped reading), based on the role ot the five codes cultural, symbolical, lexical, proairetical, hermeneutical involved in reception. Reversing the order of the codes decided by Barthes, which was appropriate to reception, we obtained a symetrical one, appropriate to conception. Then we applied this new model in two volets, reserving the first for the reading by the composer of the literary text, and the second to the conception of the opera.

Index

Mots-clés : Coli , diptyque, expérience esthétique, lecture étoilée, Poe, transposition opératique

Keywords : art as experience , Coli, diptych, divergent star-shaped reading, Poe, transposing literary text to opera

Plan

Texte intégral

L’opératisation de Poe de Debussy à Coli

Les musiciens n’ont pas attendu le début du XXIe siècle pour transposer des nouvelles de Poe à l’opéra. Debussy, après avoir songé à tirer de La chute de la maison Usher une œuvre symphonique, décida après le succès de Pelléas et Mélisande en 1902, de porter une œuvre de Poe à l’opéra. Il entreprit de le faire avec Le Diable dans le beffroi, mais abandonna en 1912. Il revint alors vers La chute de la maison Usher et commença à écrire un livret tiré de la nouvelle. Il imagina un diptyque réunissant les transpositions des deux nouvelles dont il négocia la création avec le Metropolitan Opera de New-York (5 juillet 1908). Toutefois à sa mort en 1918, le manuscrit de La chute de la maison Usher ne comptait qu’un acte et deux scènes1.

Debussy ne connaissait Poe qu’à travers la traduction de Baudelaire, ce qui présentait pour nous l’avantage de rester dans le domaine français, mais le degré d’inachèvement de son opéra2 excluait d’y recourir pour illustrer la problématique de la transposition opératique des œuvres de Poe. Or, peu de temps avant la tenue du colloque POEtiques3, le compositeur Bruno Coli (né en 1957) qui en avait consulté l’annonce sur Internet nous a proposé de venir en voisin – il est gênois – avec son ami et interprète, le baryton Marcello Lippi, donner une version de concert de son Tell-Tale Heart4 qui avait été créé à Rovigo en 2004. Pour préparer la présentation de l’œuvre aux participants, nous l’avons rencontré chez lui où il a illustré au piano les principales étapes de son travail et évoqué ses projets futurs, dont celui de composer un Angel of the Odd pour faire pendant au Tell-Tale Heart. La création de The Angel of the Odd a eu lieu à Poznan (Pologne) en 20145. Les deux opéras ont été représentés simultanément pour la première fois en 20166.

La liste de 58 noms établie par Herzfeld7 montre que The Tell-Tale Heart a été la nouvelle de Poe la plus transposée (12 fois), après The Fall of the House of Usher (13 fois). La parité se rétablit si l’on complète la liste d’Herzfeld avec Le cœur révélateur du compositeur français Claude Prey (1925-1998), sur un livret du poète surréaliste Philippe Soupault8. En revanche, The Angel of the Odd n’a été transposé qu’une fois, par Poli. Sur les treize transpositeurs du Tell-Tale Heart, sept ont fait appel à un librettiste, six, dont Coli, s’en sont passés. Poli et Robert W. Butts ont été les seuls à transposer une autre nouvelle de Poe (The Cask of Amontillado de Butts a été créé en 2013). Sur les treize, neuf sont américains, contre un Français : Prey, un Italien : Coli, un Australien : Dennis Vaughan (The Tell-Tale Heart, 2005) et un Anglo-nicaraguien Geoffrey Alvarez (The Tell-Tale Heart, 1984). L’opératisation du Tell-Tale Heart débute en 1968 avec Leo Horacek, et s’accélère au début du XXIe siècle. C’est donc une tendance moderne mais presque exclusivement limitée au domaine anglo-saxon. Coli, italophone qui conserve le texte anglais, est une exception. Par ailleurs, le choix de son second hypotexte l’exclut du camp des gothiques sensibles à la seule veine fantastique de Poe.

Coli s’est très tôt spécialisé dans la musique de scène. Passer à l’opéra était pour lui une gageure à cause de la différence de gestion du texte et de la musique qui ne se développent plus en parallèle mais en symbiose. Il s’est tourné vers Poe, comme l’avaient fait Debussy et ses autres prédécesseurs, mais, se passant de livret, a transposé directement le texte.

Quand nous l’avons interrogé sur les raisons de ce choix9, Coli a invoqué d’abord la langue :

J’ai découvert qu’il y avait dans la prose de Poe une musicalité naturelle. Il suffisait de la mettre en musique. Il y avait déjà une sorte de rythme. L’anglais est une langue très synthétique. En italien l’accent va tomber sur l’avant-dernière, et alors c’est bon pour Mozart, Da Ponte. C’est idéal, pour un air d’opéra très… mais quand la musique et les mots nascono insieme allora va tutto bene10.

Il a aussi insisté sur le monologue et la brièveté qui facilitaient la transposition.

La facilité n’était pas son seul mobile. Il était particulièrement sensible aux principes esthétiques de l’auteur américain, en particulier :

- la primauté de l’écriture sur l’inspiration : l’idée vient du sens des mots, mais aussi des lettres et les sons ; de même tout musicien obéit aux lois de l’harmonie et de la composition, quoi qu’il veuille exprimer ;

- l’alliance du sérieux et du grotesque qui l’a incité à transposer, comme l’avait fait Debussy avant lui, non pas une mais deux nouvelles aux registres complémentaires ;

- la dénonciation de l’illusion réaliste comme principe créateur que l’on retrouve dans les deux nouvelles choisies.

Nous analyserons les deux opéras dans l’ordre chronologique, pour voir si et comment l’expérience du premier a rejailli sur le second, selon le même protocole : d’abord la transposition scénique du récit qui rappelle la théâtralité de l’opéra, puis la lecture prétextuelle de l’hypotexte qui nourrit l’inspiration di compositeur, enfin la composition musicale orientée sur la réception par le public. Nous terminerons en nous interrogeant sur la validité de l’étiquette « diptyque » que nous leur avons attribuée.

1. The Tell-Tale Heart, from heart to art

Deux registres sensoriels s’affrontent dans la nouvelle : la vue représentée par l’œil opaque du vieillard qui obsède le narrateur au point de le pousser au meurtre, et l’ouïe qui le force à avouer car il ne supporte plus d’entendre ce qu’il croit être le battement du cœur de sa victime. Ils renvoient à une problématique philosophique chère à Poe : l’illusion des sens, qui cache elle-même une prise de parti en faveur de la matérialité de l’art. Le titre qui combine un calembour (‘heart’ étant en anglais parophone de ‘art’), une synecdoque (le cœur pour le corps) et une personnification (du cœur), offre une clef de lecture tentante pour un compositeur lyrique sensible à la matière sonore, confronté à la nécessité de donner corps à des personnages et néanmoins soucieux de dévoiler les spécificités de son art.

Coli a effectué une double lecture préalable de la nouvelle. Il a analysé la structure narrative pour la transposer à la scène. Cette lecture informative reste proche de celle du lecteur ordinaire, bien qu’elle mette davantage en valeur les relations entre les événements. Mais il a aussi relevé les indices susceptibles de favoriser la transposition musicale, lecture que l’on peut qualifier de prétextuelle car elle traite le texte comme un prétexte aux deux sens du terme : motif d’inspiration, et structure prédestinée à l’opératisation. Elle obéit à ce que Barthes appelle la lecture étoilée11, organisée autour de cinq codes qui assurent une lecture exhaustive des signifiés textuels.

Le code proairétique (de proairein, « choisir » en grec) qui renseigne sur les motivations des personnages, et le code herméneutique qui délivre les informations sur lesquelles le lecteur bâtit ses hypothèses de lecture « imposent leurs termes selon un ordre irréversible », celui de la linéarité du récit. Les codes sémique (qui recouvre les champs lexico-sémantiques), symbolique (aux signifiés ambivalents et réversibles), et culturel (qui véhicule tous les types de savoirs) échappent à la logique de la lecture cursive. Le croisement des deux familles de codes permet d’accéder à la polyphonie du texte.

Nous avons choisi ce modèle d’analyse pour deux raisons. D’une part, il a été corroboré par l’avancée des sciences cognitives. Elles ont montré que l’expérience esthétique se caractérise par une attention distribuée qui provoque un engagement émotionnel diversifié en fonction des objets perçus mais unifié par la volonté de prolonger l’expérience pour renouveler le plaisir. La description de cette dimension hédonique comme « la résultante de deux poussées contraires, une poussée convergente et une poussée divergente12 » rejoint la répartition des cinq codes en deux familles opérée par Barthes. D’autre part, cette répartition qui permet de rendre compte de l’expérience du décodage, peut également servir à modéliser l’encodage. Il suffit pour cela d’inverser l’ordre de la prise en compte des codes. En effet, si le lecteur ou l’auditeur – la musique comme l’écrit se percevant dans la successivité – se servent des codes chronologiques pour comprendre, et des codes achronologiques pour rapprocher et imaginer, l’auteur et le compositeur font l’expérience inverse. Ils doivent attirer l’attention de leur public en usant d’un vaste éventail de signaux puis la canaliser vers le déroulement de l’action. Nous avons donc traité l’encodage opératique comme un symétrique du décodage littéraire.

1. 1. La dramatisation

La dramatisation est une transmodalisation intermodale13 du texte narratif. Les deux structures les plus touchées par le changement sont l’unité de temps et la situation d’énonciation. The Tell-Tale Heart est une nouvelle (2135 mots). Coli a dû l’étoffer de nombreuses répétitions pour en tirer un opéra de 1h 6mn. Il n’a pas eu à modifier l’énonciation puisque le texte est écrit comme un monologue de théâtre14.

Art de la scène, l’opéra est soumis à la loi de la double énonciation, puisque, comme le rappelle Ubersfeld, « tout discours au théâtre a deux sujets de l’énonciation, le personnage et le je-écrivant (comme il a deux récepteurs, l’Autre et le public)15 ». Dans la définition d’Ubersfeld, l’Autre renvoie aux autres personnages. Il y en forcément un – suivante ou confident – sans quoi le dialogue théâtral ne reproduirait pas le dialogue ordinaire. Les apartés rappellent au public que, via les personnages, c’est l’auteur qui parle. Le texte de Poe, entièrement occupé par le monologue autobiographique du protagoniste, relève de la double énonciation pour l’émission mais pas pour la réception, car tous les autres personnages appartiennent au récit du protagoniste16.

Sur scène, ils n’entrent pas en contact physique avec le public, puisqu’ils n’ont pas de voix propre. La communication théâtrale est donc compromise par l’hypertrophie de l’énonciation du je écrivant au détriment de celle des personnages. Aussi Philippe Soupault a-t-il créé pour l’opéra de Claude Prey un second rôle, l’officier de police, réduisant à un les trois officiers mentionnés par Poe mais instaurant en contrepartie une véritable interlocution intrascénique. Coli, qui ne voulait pas modifier le texte de Poe, s’est servi de la vocalisation pour spécifier tant les personnages secondaires que les identités multiples du personnage principal.

À la voix criée, il confie l’interrogation angoissée du vieillard (« who’s there ?17 »), que le narrateur imite lorsqu’il réinstancie l’épisode du meurtre, mais aussi les situations de stress du narrateur : incapacité de se faire comprendre (« Do you mark me well ?18 »), peur d’être découvert (« And now a new anxiety seized me the sound would be heard by a neighbour !19 »), obsession acoustique (« It grew, louder, louder, louder !20 »). Si le cri signale la perte de contrôle, la voix chantée exprime l’assurance du narrateur dans le récit (« As the bell sounded the hour there came a knocking at the street door21 ») la controverse (« Ha!would a mad man have been so wise as this?22 »), et sa suffisance (« observe how healthily how calmly I can tell you the whole story23 »). La voix parlée prend en charge la narration distanciée (lors de l’effacement des traces du meurtre, de la conversation avec les policiers). Elle confère au narrateur un statut de récitant dont Coli se souviendra pour A0.

Trois vocalisations intermédiaires fluidifient la répartition. Le semi-parlato (équivalent du sprach-gesang : parlé-chanté) est réservé à des commentaires de type explicatif (« a sound as a watch makes when enveloped in cotton24 ») ou à des paliers intermédiaires entre le récit objectif et la réinstanciation (« I arose and argued about trifles25 »). Il fait la transition entre le chanté et le crié. La vocalisation inverse : semi-intonato con voce roca ou chanté-parlé, fait la transition entre le parlé et le crié, comme dans le récit du démembrement (« I cut off the head and the arms and the legs26 »). Le falsetto est réservé aux dédoublements de la personnalité du narrateur, quand il imagine la terreur du vieillard qui devine sa présence sans le voir (« He was still sitting up in the bed listening27 ») ou lorsqu’il est dominé par l’émotion. L’aveu « so I am [nervous]28 » est proféré en falsetto urlato strozzato (fausset hurlé étranglé).

Le dispositif requiert des capacités vocales particulières. Le créateur et actuel tenant du rôle, Marcello Lippi, est un baryton qui peut chanter en voix de tête des rôles de contre-ténor. Dans La Calisto29, opéra de F. Cavalli (1602-1676), il a chanté le rôle de Zeus, qui, pour séduire la nymphe Calisto, se déguise en Diane. Toutefois la diversité des modalités vocales ne parviendrait pas à rivaliser avec le dialogue théâtral sans le support du trope illocutoire (narratif pour argumentatif) sur lequel Poe a bâti son récit.

Le personnage ne se raconte que pour se persuader et persuader un interlocuteur imaginaire qu’il n’est pas fou. En ramenant l’argumentation au premier plan, la transposition scénique convertit le récit en tragédie. La dénégation récurrente devient une preuve de la folie. La crise de folie finale, 2mn 53s de hurlements, halètements et borborygmes30, renoue avec l’aria di furore de l’opera seria. Coli s’y révèle proche du courant de la musique post-moderne qui est revenu à l’opéra pour « rejoindre le public là où il est31 », mais également passionné par l’exploration du continuum entre bruit et son (cri et voix) cher à la modernité musicale.

1. 2. La lecture prétextuelle

La lecture prétextuelle fait partie intégrante du processus de création. Les hypotextes choisis par les musiciens ont tous la même caractéristique. Ils réfèrent à la musique par le plan de l’expression (jeux de mots et de sonorités) et celui du contenu (descriptions et allusions). La lecture littéraire des musiciens est donc étoilée a priori, puisque leur attention est détournée de la lecture cursive du texte par tout ce qui (r)appelle la musique. Toutefois les compositeurs d’opéra ne peuvent négliger les codes du récit puisque c’est sur eux que repose la future structure opératique. Enfin le choix de transposer intégralement l’hypotexte suppose que l’on accorde une attention équivalente aux codes sémique, symbolique et culturel qui assurent la projection du paradigme sur le syntagme, celle-là même qui, pour Jakobson, définit la fonction poétique. Coli est conscient de cette originalité :

Dal punto di vista del teatro musicale una scelta del genere aveva ben pochi precedenti. L’adozione integrale di un testo letterario come materiale unico per essere revestito di musica e rappresentato su un palcoscenico, a parte il Combatimento di Tancredi e Clorinda di Monteverdi e qualche altro caso rarissimo, non fa parte della prassi abituale del processo di creazione operistica32.

La stratégie de Poe pour inciter à la lecture étoilée de son texte repose d’une part sur la mise en tension du décodage proairétique et du décodage herméneutique, de l’autre sur la surdétermination des mots et des phrases par les associations sémiques, symboliques, et culturelles. Cette stratégie vise à instaurer ce que l’on pourrait appeler une métareprésentation participative. Tout en impliquant le lecteur dans l’illusion réaliste, elle lui montre comment celle-ci se construit avec sa collaboration. La salve de triolets33 qui salue l’arrivée des policiers dans l’opéra est une application directe de cette stratégie : trois policiers donc une figure de note ternaire. Toutefois cette allusion a ses limites : elle est plus lisible (sur la partition) qu’audible. La lecture musicale passe par l’oreille et la mémoire musicale. Il faut donc transposer le principe et montrer à l’auditeur qu’il participe à la construction de la représentation musicale.

La virtuosité de Poe conteur réside dans la façon dont il fait hésiter jusqu’au bout le lecteur sur la nature réelle ou imaginaire du meurtre. Mais ce qui est possible à l’écrit qui combine déroulement de la lecture et pérennité du texte, ne l’est pas à l’opéra qui, comme le théâtre, est un art de l’oral. Faute de traces stables outillant la comparaison, le public ne peut pas hésiter longtemps entre deux lectures. Coli a donc décomposé le problème. Il a décidé que le narrateur était fou : « Non ci sono dubbio. Poe non gioca con l’ambiguità, non ci tiene nel forse. La pazzia del protagonista è un dato certo e inconfutabile. Ogni sua frase ce la conferma34 ». D’autre part il était convaincu que Poe n’avait pas choisi la folie uniquement pour sa tonalité » gothique », mais parce qu’elle créait, comme l’art, un univers parallèle. Le modèle psychiatrique de la cyclothymie maniaco-dépressive est en soi une remise en cause de la linéarité narrative. Poe avait esquissé l’alternance des phases euphoriques et dysphoriques. En la systématisant, Coli en a fait la base de sa dynamique musicale, entrant à son tour dans le jeu métareprésentatif.

Dans le texte de Poe, le code sémique est le plus développé des trois codes transversaux. Coli a choisi de ne pas toucher au texte à cause de sa musicalité : « il testo […] una volta lettolo in lingua originale rimasi così affascinato dalla belleza e dalla musicalità delle parole del poeta americano da decidere di musicarle così35 ». En même temps, considérer le texte comme de la musique stricto sensu, revenait à ne pas tenir compte de ses significations, ce que, vu ses potentialités dramatiques, Coli ne pouvait se permettre. Il a donc opté pour un double traitement linguistique et musical partout où c’était possible.

Le stock lexical a été partagé en deux : d’un côté ce qui relevait de la dénotation, de l’autre ce qui relevait de la connotation. Les dénotés visuels ont fourni des didascalies pour la mise en scène, les dénotés auditifs des indications pour l’exécution musicale. « Quicker and quicker » a engendré un continua ad accelerare poco a poco, « how calmly » un rallentendo et « I grew furious as I gazed upon it » un violentissimo.

Parmi les sens connotés, ceux portés par le signifié linguistique ont bénéficié des potentialités expressives de la musique : » Senza la musica non sarebbe possibile dare la sensazione di estrema lentezza di alcuni momenti della prima parte, in cui vengono raccontatate le lunghe ore di attesa fuori della stanza del vecchio36 ».

Ceux portés par le signifiant linguistique (réduit au paramètre phonique, puisque l’écrit passe trop vite sur les prompteurs situés au-dessus du rideau de scène pour qu’on y repère des tropes comme le palindrome, ou des rimes visuelles), ont été converties directement en signifiants musicaux. C’est le cas des répétitions de phonèmes, mots, syntagmes et phrases qui suggèrent le ressassement, symptôme de la démence.

Les rapprochements de sens basés sur la ressemblance des sonorités ont été plus difficiles à transposer. Dans la nouvelle, les connotations des monosyllabes homophones ou parophones font réseau et associent code sémique et code symbolique. C’est le cas de « I » et « eye » (ambivalence de la relation entre le narrateur et sa victime), de « here », « ear » et « hear » (réversibilité du bruit intérieur/extérieur). À l’opéra, homonymes et paronymes s’entendent comme des sons répétés, sans que l’on ait le temps ni l’idée de rapprocher leurs sens. Passent également inaperçues la polysémie de « beating », (battement du cœur et battue du chef d’orchestre), et la fonction de matrice textuelle de « death watch37 », qui structure les champs lexico-sémantiques de la nouvelle en trois axes symboliques : vie/mort, vue/ouïe, temps vécu/temps pendulaire. Coli a identifié ces embrayeurs de lecture plurielle et préparé leur sauvetage.

L’énonciation de « dead watches » a été découpée en trois blocs séparés par des silences : « hearkening/to the death watches/in the wall38 ». Le partage métaphorique du battement entre la montre, le cœur, et l’orchestre lui a valu d’essaimer dans plusieurs séquences rythmiques fondées sur la répétition d’une note (le do grave durant l’effacement des preuves du meurtre39), ou d’un groupe de notes (mi-la bémol-ré puis ré bémol-la bémol suraigus, lorsque le personnage commence à percevoir le tintement qui le poussera à l’aveu)40.

De son décodage symbolique, Coli a retenu l’opposition ciel/terre ou enfer qui tourmente la conscience du narrateur et l’opposition extérieur/intérieur qui est le moteur de l’action. « The disease has sharpened my senses41 » prévient d’emblée le narrateur. Pathologie auditive, l’acouphène (sifflement ou bourdonnement d’oreille) brouille la localisation du son et la perception de la frontière qui sépare l’intérieur de l’extérieur. Or celle-ci joue un rôle fondamental dans l’acquisition de l’idée du soi chez le bébé, et de sa perte chez le dément. Dans le cycle maniaco-dépressif qui régit les émotions du narrateur, l’externalisation du son correspond aux phases d’excitation (« I heard all things in the heaven and in the earth. I heard many things in the hell42 », chanté), l’intériorisation aux phases d’abattement (« The noise steadily increased. Oh God ! what could I do ?43 », hurlé). L’oreille et la musique sont ainsi désignées comme facteurs de socialisation et de santé mentale.

Du décodage culturel, Coli n’a gardé que les signes cliniques de la folie et de l’hyperacousie qui pouvaient faire écho à la tradition opératique de laria di furore.

1. 3. L’encodage hypertextuel

Dewey définit l’œuvre d’art comme « un défi lancé à l’accomplissement, au moyen de l’imagination, de la part de celui qui en fait l’expérience, d’un acte identique d’évocation et d’organisation44 ». Les œuvres hypertextuelles en sont un exemple limite. Elles constituent en quelque sorte l’écriture d’une lecture. Mais tout créateur est un médiateur qui met en forme ses expériences pour les transmettre. La médiation opère un renversement de perspective du connu que l’on manie ou remanie pour créer l’œuvre, à l’inconnu que représentent les réactions du public. Le compositeur part de ce qui est le plus extérieur au récit et le plus proche du public : son contexte culturel, ses ancrages symboliques et les systèmes de signes (musique, langage, image) qui lui servent à communiquer, pour, une fois le public intégré dans l’univers de l’œuvre, le mettre en capacité de tenir son rôle dans la communication esthétique.

Les codes culturels sont les premiers sollicités ; la culture, au sens large d’ensemble des savoirs socialement transmis, étant un phénomène universel.

Coli a misé sur la place qu’occupe l’œuvre de Poe dans la culture contemporaine aussi bien savante que populaire, notamment grâce au cinéma. Il a visionné un film de Vincent Price récitant The Tell-Tale Heart dans lequel : « [...] la recitazione è tutta sostenuta da un’eccitazione di fondo, che raggiunge ovviamente il culmine nei due punte “obbligati ” e cioè quelli in cui il nostro protagonista sente il crescendo inarrestabile del suono del cuore, e cioè al momento dell’assassinio e alla fine45 ». Cet acteur culte du cinéma d’horreur américain est connu pour ses rôles dans les adaptations cinématographiques des nouvelles fantastiques de Poe et son impressionnante voix de basse.

Il a aussi mobilisé des culturèmes anciens comme la marotte des bouffons, avec ses clochettes qui tintent quand on l’agite. L’opéra s’ouvre sur le son de « tre cowbells e due piatti sospesi percossi sulla campana46 ». Le bouffon appartient à la culture populaire – Coli cite volontiers l’expression gênoise “sciocco come una campana” (“creux comme une cloche”) – mais aussi, depuis Verdi, à la culture opératique. Le rôle de Rigoletto, chanté par un baryton comme celui du narrateur du TTH, comporte également une supplication tragique du personnage pris à son propre piège par ceux dont il s’est moqué. Le même souci d’équilibrage culturel a présidé au choix de deux standards glissés dans la narration musicale : la marche funèbre de la sonate op. 35 de Frédéric Chopin, et la chanson du western de Fred Zinneman High noon47. Exprimant tous deux l’irréversibilité du temps et aussi stéréotypés l’un que l’autre, ils se relativisent réciproquement, ce qui est le préalable à toute ouverture culturelle. Cette interculturalité affichée situe Coli dans le prolongement de la musique esthésico-centriste48, courant de la musique postmoderne qui cherche à faciliter la réception du son en exploitant des formes musicales connues du public et en pratiquant une écriture musicale accessible, avec des sons et des rythmes fortement contrastés.

Si les symboles font partie de la culture au sens large, le code symbolique se distingue du code culturel par l’ambivalence de ses signes. Greimas définit l’ambivalence comme la « conjonction syncrétique de termes normalement disjoints49 ». Coli a renforcé des symboles isolés qui pouvaient enrichir la dramaturgie ou la musique en fouillant leur origine culturelle, essentiellement gréco-latine. L’œil du vieillard évoque aussi bien l’œil unique du cyclope crevé par Ulysse que l’œil de Gorgone qui pétrifie celui qui croise son regard. La mise en scène de la création faisait porter au chanteur des lunettes dont un verre était opacifié.

Le souffle fait vibrer les cordes vocales et les instruments à vent. Euterpe, la muse de la musique, est représentée jouant de la flûte. Mais l’instrument du dieu des arts, Apollon, est la lyre qui tempère les sons. La mythologie grecque lui oppose le silène Marsias – les silènes font partie du cortège de Bacchus, dieu de l’intempérance – qu’Apollon a écorché vif pour le punir de l’avoir défié avec sa flûte. L’image symbolique de la musique en Occident s’est bâtie sur cette opposition. Coli la met en valeur avec un protagoniste dont la voix chantée est sans cesse submergée par la voix primale et une orchestration qui oppose les cordes aux cuivres et aux bois.

Il a également fondu les deux symboles clés du texte de Poe, le dogme théologique du jugement dernier et le repliement sur soi provoqué par l’hyperacousie, en un seul : l’héautontimoroumenos50 (en grec, « qui se châtie lui-même »). L’aveu est un soulagement51. La voix chantée réapparaît, avec une succession d’intervalles en la mineur, descendants (tierce mineure et quinte augmentée pour « Here here ») puis ascendants (quinte diminuée et sixte mineure pour « the beating of his hideous »). Le dernier mot, « heart », retombe sur la tonique de la majeur, la note du diapason.

L’encodage sémique se devait à la fois de préserver les qualités qui faisaient du texte de Poe un embrayeur de lecture, et de s’en affranchir. En effet, les sèmes musicaux ne sont pas la simple transposition des sèmes lexicaux. Ils forment une sémiotique originale avec sa matière (le son opposé au bruit) et ses contenus dénotatifs (gamme, intervalle, mesure) et connotatifs (gaieté associée à la rapidité, ton mineur à la tristesse). Le processus de réception diffère. Dans l’écoute musicale, la sensation et l’émotion précèdent la réflexion. Seule la lecture théâtrale en fournit l’équivalent pour le texte langagier. La construction du sens repose sur la mémoire auditive lointaine ou immédiate, d’où l’importance des répétitions.

Schaeffer distingue trois familles de processus émotifs52. La première est celle des sensations évaluantes, orientées sur l’appréciation positive ou négative, dont l’origine est physiologique même si la cause peut en être culturelle. Âmes sensibles et amateurs de gore réagiront différemment au récit du découpage du corps ou à la scène de folie.

La deuxième famille est celle des états émotionnels dépourvus de cause précise, provoqués par l’accord ou le désaccord du sujet avec son environnement. L’opéra provoque de tels états et joue de leur diversité, car on ne peut longtemps rester dans la même disposition sans s’ennuyer. Il doit toutefois commencer par s’adapter à l’état émotionnel préexistant chez l’auditeur. L’ouverture53 assure la transition entre les préoccupations du monde extérieur et celles de la représentation. Coli y crée une atmosphère déroutante avec la répétition de plus en plus rapprochée d’un motif incisif (groupe de 11 croches) joué en alternance par les trompettes (bouchées) et les bassons, qui se détache sur une ritournelle dissonante continue à l’orchestre.

La troisième famille est celle des émotions intentionnelles causées par un objet précis. C’est le cas pour les auditeurs de Coli experts de Poe : « Quando [...] cercando un soggetto per un’opera a un solo personaggio, mi sono imbattuto in The Tell-Tale Heart, non avvrei mai immaginato quanto interesse avrebbe suscitato la mia scelta presso il cultori di Edgar Allan Poe54 ». Ces émotions ne sont pas stables. Par exemple, l’intérêt d’un passionné de Poe peut se muer en agacement voire en dégoût lors de la scène de folie finale s’il la juge forcée.

L’encodage sémique est donc moins soucieux des sèmes opératiques que des réactions qu’ils sont susceptibles de provoquer. Toutefois, cette crainte doit être relativisée et peut même se muer en principe créatif. Il suffit de miser, d’une part, sur la plasticité des émotions, que l’on peut retourner ou équilibrer avec des émotions contraires en se servant des deux canaux musical et dramatique, d’autre part, sur la communication esthétique elle-même.

L’expérience esthétique repose sur une attention dépragmatisée et autotéléologique55, coupée de son rôle habituel qui est d’influencer l’action, et focalisée sur la poursuite de l’activité réceptive. Cette autocentration oblige à reconsidérer la définition traditionnelle du « paradoxe tragique » comme plaisir pris à la représentation d’actions normalement source d’émotions négatives. Il n’y a plus de paradoxe puisque la valence hédonique autoprogrammée de l’expérience esthétique est indépendante des émotions provoquées par la représentation, pourvu qu’elles ne l’emportent pas sur l’envie d’assurer la réception jusqu’au bout.

L’encodage sémique de Coli hésite entre le souci d’impliquer émotionnellement le public et celui de lui faire prendre conscience de la réalité de l’expérience esthétique qu’il est en train de vivre. Dans sa présentation de l’opéra, après avoir déclaré que seule la musique pouvait dépouiller le récit du personnage de son caractère réaliste, il reconnaît que la scène de folie a un tel effet sur le public « che forse a un certo punto viene sfiorato dal dubbio che l’interprete stesso abbia perso il controllo56 ».

L’encodage proairétique d’un créateur consiste à prévoir le décodage proairétique de son public, c’est-à-dire la façon dont celui-ci identifie les actions et leur enchaînement. Barthes57 parle d’un décodage « plus empirique que logique », fondé sur une reconnaissance du déjà fait ou du déjà vu, qui se construit à travers un processus de dénomination. Or il est difficile de tabler sur l’expérience du public lorsque les actions décrites sont celles d’un fou. Coli a choisi de caricaturer la folie en cumulant les stéréotypes. La confirmation des préjugés améliore la fluence attentionnelle58 mais n’évite l’ennui que si on l’équilibre avec des embrayeurs de curiosité. Les efforts de Coli pour faire entrer le public dans la logique actionnelle du fou portent sur les trois types de relations impliquées par le décodage pro-airétique : entre actions, entre personnages, et entre actions et personnages.

Pour les relations entre actions, il a calqué sa stratégie sur celle de Poe qui remettait déjà en cause la hiérarchie entre actions principales et actions secondaires. En effet, Poe ne décrit pas le meurtre mais uniquement ce qui précède (hurlement du meurtrier qui ouvre le couvercle de la lanterne et bondit), et ce qui suit (cri de la victime). Coli observe un silence de trois temps (mes. 809) après l’annonce du meurtre (« The old man’s hour has come », mes. 806-808) puis expédie son descriptif (mes. 809-815) et l’enchaîne aussitôt avec celui de la dissimulation du corps (une seule mesure, la 816, de quatre sextolets de doubles croches). Cette information, quoique secondaire, assure la charnière informative entre la première et la seconde partie. Il la fait suivre d’un bref silence puis d’un accord triple forte tenu à l’orchestre durant 5 mesures à 4/459. C’est donc la narration musicale et non la narration dramatique qui gère le découpage des macrostructures narratives. En particulier, elle retourne la logique réaliste contre elle-même en exagérant progressivement60 la lenteur des observations nocturnes jusqu’à la faire coïncider avec le temps réel.

Pour les relations entre personnages, Coli met en valeur ce que le discours rapporté écrase chez Poe : l’organisation des interactions verbales. Celle-ci comporte deux dimensions61. La relation horizontale indique la distance sociale (qui va de la déférence à la familiarité), la relation verticale le rapport des places dans la conversation (qui va de la domination à la soumission). Quand il salue le vieillard chaque matin62, le personnage est discursivement en position dominée. Il doit faire un effort pour l’aborder, ce que Coli traduit par une suite de quintes ascendantes do-sol-sol-do sur « I went boldly into the chamber and spoke courageously63 ». Cette soumission dément la familiarité dont il fait preuve en l’appelant par son prénom et en lui demandant comment il a passé la nuit. Coli souligne l’artificialité du ton en répétant la même quinte, mais descendante : sol-do. Avec les policiers, qui arrivent après le nettoyage, le personnage est en position verticale dominante. Il lance la conversation spigliato (sûr de lui) tandis que l’orchestre esquisse un refrain entraînant qui évoque les chansons russes64.

L’encodage par Coli des rapports entre actions et personnages offre un exemple de ce que Barthes65 appelle une « technique narrative impressionniste » qui « joue de la distribution d’un discontinu » informatif pour construire les caractères. Coli distribue le seul grand thème de l’opéra, qui développe la force de volonté du protagoniste, sur trois moments, tous liés à sa volonté de se libérer du mauvais œil66. Il donne ainsi une preuve de son habileté puisque, selon Barthes, « plus la distance syntagmatique de deux informations convergentes est grande, plus le récit est habile67 », mais plus encore de son déconstructivisme car le thème est utilisé à contre-emploi dans des moments où le narrateur apparaît davantage comme le produit de ses actions que comme leur cause. L’autre « personnage » : le cœur, est désigné par son action, le battement, codé dans la conclusion avec une seconde mineure – le plus petit intervalle de la gamme – do-dodièze68. L’assimilation de l’œil au cœur est parachevée par le passage du do au dodièze lorsque le rai de lumière tombe sur l’œil et déclenche la folie meurtrière69. L’obsession acoustique finale « a sound as a watch » est rendue par la répétition du do naturel70.

L’encodage herméneutique du créateur est tourné vers la prévision du décodage herméneutique du public. Pour Coli, l’enjeu était d’amener le public à construire une double interprétation de l’œuvre comme description clinique de la folie et comme métaphorisation de la composition opératique par l’hallucination acoustique.

Il a d’abord fait éclater le modèle dramatique traditionnel des actes en 29 cellules, les plus courtes (2 et 9) durant 0’40’’, la plus longue (1) 4’25’’. Elles sont insérées dans une scansion dramatique qui demeure implicite71. Chacune est centrée sur un objectif spécifique. Toutes présentent la même déstructuration. On compte treize changements de mesure dans la cellule 2 (en 40 secondes) et huit changements de tempo dans la cellule 15 (2’42’’). Dans la cellule 17 (1’51’’) désignée sur la partition comme interlude, trois motifs se succèdent et s’entrelacent. On entend d’abord une ritournelle mécanique (tranquillo) à l’orchestre (mes. 828-840), puis une reprise alerte (Light Rock Tempo) par le violoncelle du thème du narrateur (mes. 841-846), puis une reprise de la ritournelle de l’ouverture de l’opéra avec son martèlement de basses et ses percussions (mes. 847-851), qui cède la place au thème du narrateur (mes. 852-855), l’interrompt de nouveau (mes. 856-860), et le laisse enfin s’épanouir dans un andante dolcissimo (mes. 861-875).

Toutes ces reprises servent à marquer la place de la cellule comme chaînon narratif, ici entre la deuxième partie (le meurtre) et la troisième (l’aveu) et/ou à renforcer son focus narratif particulier : ici la prise de conscience par le personnage qu’il vient d’atteindre son but. Ce dédoublement fonctionnel de la narration n’est pas propre à cette cellule même si elle est la seule à être qualifiée d’interlude. On a vu aussi que le ton dans la répétition du thème du narrateur variait : tantôt ironique, tantôt sérieux. Ceci s‘explique par la diversité des points de vue qu’il exprime : ceux du personnage sur son acte avant, pendant et après, mais aussi ceux du compositeur-narrateur sur le personnage. La cellule chez Coli est polyphonique, au sens musicologique de superposition des lignes mélodiques, mais aussi au sens linguistique de confrontation de focalisations72.

Les thèmes présents dans la cellule 17 ont tous la même fonction : ils permettent le décentrement réciproque des points de vue parce que les reprises les transforment en leur donnant des valeurs émotionnelles différentes. C’est vrai pour les citations intratextuelles du thème du narrateur, mais aussi pour les citations intertextuelles, comme la convocation de la musique rock73 avec le rock tempo. Toute reprise peut voir sa valence émotionnelle inversée par un nouveau contexte. Avec deux conséquences : l’émotion, vidée de son empreinte biographique est transformée en sème musical ; l’élément inséré garde trace de sa transformation et devient un facteur de décentrement qui enrichit l’interprétation.

Dans la cellule 22, la citation de High noon74, déjà à contre-emploi dans son contexte original75, révèle la fragilité de l’assurance affichée par le meurtrier. Ce n’est pas midi, mais 4h du matin. Le héros est un fou malfaisant et non le vertueux shérif incarné par Gary Cooper. Il est inconscient du risque (« for what I had now to fear ? ») alors que le shérif s’attend à mourir. Dans la cellule 24 un fox-trot endiablé dont la valence culturelle est euphorique76 succède au récit de la rencontre avec les policiers. Il dénonce la cordialité forcée du personnage. Dans la cellule 25, la seconde citation de la marche funèbre de Chopin77, dysphorique par définition, accompagne le changement de localisation du battement du cœur. Elle dénonce l’euphorie factice du personnage puisque l’extériorisation du bruit interne est le signe avant-coureur du délire. Mais elle réfère aussi à l’action musicale en cours. En effet si, au niveau du raconté, le bruit reste intérieur, au niveau du racontant, il est bien extérieur, puisque c’est l’orchestre qui le produit. L’utilisation des citations musicales à contre-emploi apparaît donc comme le second moteur de la polyphonie herméneutique. C’est aussi, vu sa fréquence, un stylème du compositeur.

C’est donc parce qu’elle représente à la fois un maillon dans l’enchaînement narratif, un lieu de confrontation des points de vue et un espace de tissage des relations intra et intertextuelles que la cellule met en tension les décodages proairétique et herméneutique du public.

La transposition du Tell-Tale Heart a servi à Coli de laboratoire. Un seul personnage et un texte posé a priori comme intouchable lui ont permis d’explorer les contradictions dynamiques de la narration opératique. Un autre facteur de simplification a été la modicité des moyens : un chanteur et sept instrumentistes. Toute contrainte stimule la créativité, car elle oblige à faire preuve d’imagination.

L’hypotexte l’a également formé à la lecture plurielle. Enfin, il a recouru fréquemment à des procédés caractéristiques de la musique postmoderne. Son goût pour la contradiction, l’ironie, la fragmentation et la discontinuité78 l’y prédisposait. Mais il n’avait pas épuisé avec TTH toutes les perspectives musicales que Poe lui avait ouvertes. En lui offrant la possibilité de faire retour sur son expérience, la composition de AO allait lui permettre d’affiner sa conception de la transposition intégrale et d’approfondir son dialogue avec Poe.

2. The Angel of the Odd, from air to art

Dans The power of words, Oinos (en grec « le vin »), l’enfant de la terre, et Agathos (en grec « le bon »), l’ange qui l’initie aux vérités éternelles, se demandent quelle est la source de la pensée. La réponse d’Oinos est métaphysique: « God », celle d’Agathos physique: « While I thus spoke, did there not cross our mind some thought of the physical power of words? Is not every word an impulse of the air ?79 ». Assemblage de barriques et de bouteilles, l’ange du bizarre réunit en sa personne les postulations contradictoires d’Oinos et d’Agathos.

Mais The Power of the words est un dialogue philosophique et The Angel of the Odd une nouvelle. Le succès des nouvelles de Poe a souvent servi d’accroche pour la publication de ses œuvres philosophiques80. Il n’est donc pas étonnant que les premières aient été davantage scénarisées que les secondes. Si Coli est à ce jour le seul à avoir opératisé The Angel of the Odd, c’est d’une part qu’il n’a pas été rebuté par la problématique philosophique de ce texte comique, de l’autre qu’il avait de bonnes raisons de penser que cette opératisation était un prolongement naturel de celle du Tell-Tale Heart. En effet, les deux nouvelles se prêtaient à une démarche expérimentale combinant des similitudes (d’auteur, de genre, de longueur, de forme, d’aptitudes à la transposition musicale) avec une variable (le registre, sombre pour l’une, comique pour l’autre), le classement de la production de nouvelliste de Poe selon la dualité de ses registres remontant à Poe81 lui-même et à Baudelaire82.

Enfin, la seconde nouvelle avec son sous-titre : An extravaganza, qui la plaçait sous le parrainage d’une forme musicale, ouvrait des perspectives de transposition encore plus solides que la première. Repris de l’italien stravaganza, le terme désigne un genre musical anglo-saxon du XIXe siècle, intermédiaire entre l’opéra-comique et la comédie musicale, caractérisé par une structure lâche, un thème léger, des costumes somptueux et une mise en scène élaborée. Poe s’était réclamé d’un genre lyrique populaire pour rendre plus accessible le comique sophistiqué et décalé de sa nouvelle. Coli avec son second opéra entreprend une traduction-retour qui rapatrie la stravaganza baroque83 dans son pays d’origine en s’appuyant sur sa postérité musicale anglo-saxonne.

2. 1. La dramatisation

Le texte de The Angel of the Odd diffère de celui de The Tell-Tale Heart sur trois points qui ont contraint Coli à modifier sa technique de dramatisation. Il est plus long (3749 mots contre 2135), ce qui n’empêche pas l’opéra d’être un peu plus court (1h 13mn contre 1h 6mn). Coli a dupliqué certaines séquences comme il l’avait fait pour TTH. Il a davantage utilisé la voix parlée, plus rapide que la voix chantée, et les tempos sont plus vifs. TTH finit Molto lentamente et AO Molto allegro.

Deuxième différence : la place du discours direct dans les paroles rapportées. Réduit au « who’s there ? » du vieillard dans The Tell-Tale Heart, il occupe la majeure partie du récit dans The Angel of the Odd. Il est accompagné de son protocole d’insertion, les incises, et augmenté de la citation d’un article de journal, elle aussi rapportée au style direct. Cet article expose un fait-divers dont l’invraisemblance provoque l’indignation du narrateur. Un joueur de Puff the dart (sorte de sarbacane constituée d’un tube dans lequel on souffle pour lancer une longue aiguille) se serait tué en aspirant l’aiguille au lieu de la lancer, parce qu’il l’avait placée au mauvais bout du tube.

Troisième différence qui découle de la précédente : la narration autobiographique est presque entièrement occupée par le récit d’un rêve provoqué par la lecture du fait-divers, au cours duquel le narrateur dialogue avec un personnage imaginaire.

D’ordinaire, pour passer du discours direct du récit au dialogue théâtral, on supprime les incises et on ne garde que les répliques entre guillemets. Coli appliquant à AO la même contrainte de transposition totale de l’hypotexte qu’à TTH, a maintenu les incises. Celles-ci, lorsqu’on les dit, exigent un changement de ton, tel qu’il se pratique dans la lecture théâtrale, ce qui impliquait l’introduction sur la scène opératique d’un équivalent du lecteur théâtral. D’autre part, si The Angel of the Odd est, comme The Tell-Tale Heart, une narration autobiographique, la solution de l’interprète unique était inenvisageable. Il aurait fallu qu’il change de registre pour assurer les deux rôles de l’ange et du narrateur – or le texte de l’ange est trop long pour être chanté en voix de fausset – et qu’il utilise un troisième registre, déclamé, pour les incises.

Coli a décidé de confier les incises à un récitant qui assure la fonction narrateur du narrateur autobiographique tandis qu’un ténor en endosse la fonction personnage. Il a attribué le rôle de l’ange à une voix féminine (mezzo), et introduit un troisième personnage : le journaliste, chanté par un baryton. Cette décision s’explique par la nécessité de renforcer l’action scénique, l’introduction du récitant tirant l’opéra vers l’oratorio. À l’opéra, les ensembles vocaux rendent immédiatement audible la confrontation des points de vue intradiégétiques. Coli en a prévu plusieurs, dans lesquels le texte du narrateur est à la première personne, celui de l’ange et du journaliste à la troisième.

La citation de l’article de presse était la seule intrusion d’un énoncé extérieur en dehors des propos échangés par le narrateur et l’ange. Elle pouvait donc être attribuée à un journaliste. Pour créer ce personnage, Coli s’est appuyé sur les allusions faites par Poe à son Great Balloon Hoax84 : le réquisitoire contre les auteurs de hoax et l’apparition de l’ange du bizarre en aérostier. Le 13 avril 1844 – The Angel of the Odd sera publié en octobre – The New-York Sun publie un entrefilet annonçant que l’aéronaute européen Monck Mason vient de réaliser la première traversée de l’Atlantique en ballon en 75 heures. Poe a publié dans le Columbia Spy le récit de cette journée où, posté devant l’immeuble du Sun, il a tenté en vain d’expliquer aux passants qui s’arrachaient le numéro que la nouvelle était fausse et qu’il en était l’auteur. L’épisode confirme la teneur autobiographique de la nouvelle. Il a inspiré à Coli une situation énonciative symétrique de celle du TTH. Elle oppose à la personnalité psychotique du narrateur de TTH une construction identitaire dynamique qui articule par la voix du récitant les trois facettes de la personnalité de Poe : vie intime (déboires matrimoniaux et alcoolisme), vie professionnelle contrainte (journalisme) et vie professionnelle choisie (littérature).

Mobilier et costumes évoquent l’époque victorienne. Le personnage est en veston d’intérieur, le récitant et le journaliste en costume de ville. L’ange est une fille de saloon qui verse à boire et fume une pipe de dame. Cette féminisation obéit en partie à des raisons scéniques. Un costume de robot, même articulé, aurait gêné l’interprète et fourvoyé le public dans la science-fiction. Le ballon projeté à l’arrière-plan sur un écran reproduit l’illustration utilisée par Poe pour son Balloon Hoax.

Intermédiaire entre le ciel et la terre, l’ange l’est aussi entre l’opéra et l’oratorio. L’oratorio est un drame lyrique composé à l’origine sur un sujet religieux mais rapidement étendu à des sujets profanes. Il est représenté sans décor ni costumes, avec parfois une mise en espace et/ou un récitant extérieur à l’action et fait alterner airs, chœurs et récitatifs. Les rôles n’étant guère individualisés, un même chanteur peut interpréter plusieurs personnages.

La ligne de démarcation entre les deux genres dépend des moyens alloués à la représentation. L’opéra-oratorio d’Igor Stravinski Œdipus Rex sur un livret de Jean Cocteau a été créé d’abord en version de concert en 1926 puis en opéra l’année suivante. Cocteau avait imaginé un « speaker » sur le modèle du coryphée antique pour aider le public à suivre le déroulement du spectacle, ce qui correspond au rôle du récitant chez Coli. Stravinski avait prévu que le Berger puisse être chanté par le même baryton-basse que Créon. Coli au contraire distribue le soi poesque entre un récitant et trois chanteurs. La polyphonie devient consubstantielle à l’identité individuelle.

2. 2. La lecture prétextuelle

Les dates de publication des deux nouvelles sont proches (janvier 1843 pour la première, octobre 1844 pour la seconde). Ce n’est pas le seul indice qui invite à voir dans The Angel of the Odd le reflet inversé du The Tell-Tale Heart. La logique du rêve succède à l’obsession maniaque, le déni de l’ébriété à celui de la folie, le baragouin85 de l’ange aux balbutiements du délire. La variation par inversion existe donc déjà chez Poe, mais pour l’apercevoir, il fallait que la lecture prétextuelle de Coli remonte aux logiques d’action qui étaient à l’origine de la composition gémellaire des nouvelles et se les approprie.

D’une nouvelle à l’autre, la stratégie de Poe pour susciter la lecture étoilée n’a pas varié mais le genre a changé et, comme tout genre, l’extravaganza a ses règles. Paradoxales, elles transforment une pratique divergente qui utilise les codes transversaux pour perturber la linéarité narrative, en pratique convergente d’obéissance aux règles. Poe a donc inversé le sens des opérations. Le réveil met fin au récit parce qu’il fait voler en éclats la logique du rêve. Le narrateur identifie les éléments du décor que le rêve a recyclés86 en chantant sur le thème que jouait l’orchestre lorsqu’il s’est endormi87.

L’enchaînement des épisodes repose sur les associations de mots et/ou d’idées propres aux codes transversaux, d’où l’incohérence de l’action. Le porc (hog, paraphone de odd) qui renverse l’échelle sur laquelle le narrateur fuit sa maison en feu fait réseau avec le cochon (pig) auquel l’ange l’a comparé à leur première rencontre : « you mos pe dronk as de pig vor zit dare and not zeemz zit ere88 ».

L’interprétation du récit de rêve s’inscrit dans une tradition qui remonte à l’oniromancie antique et devait aboutir, après et à travers Poe, à la psychanalyse, pour laquelle le travail du rêve repose sur :

la condensation (de plusieurs éléments en un seul), le déplacement (d’un élément sur un autre), la figuration (d’une pensée abstraite en une image visuelle) et enfin l’élaboration secondaire (remaniement après-coup de l’ensemble du rêve pour qu’il soit plus en accord avec la logique de la pensée consciente). Les trois premiers relèvent de ce que Freud appelle le « processus primaire gouvernant l’inconscient », tandis que le « remaniement pré-conscient » de la « façade » du rêve, qu’il désigne donc par ce terme d’élaboration secondaire, relève, lui, du processus secondaire caractérisant la pensée consciente89.

Rêve et création littéraire se rejoignent sur l’emploi des procédés rhétoriques de détournement du sens et sur leur mise en cohérence par le récit. La Traumdeutung joue le même rôle que la cyclothymie dans The Tell-Tale Heart. Un unique modèle interprétatif donne accès à la logique d’action atypique du protagoniste et à celle de l’auteur qui se sert de la fiction pour métaphoriser sa pratique artistique. Toutefois la problématique interprétative englobante est plus accessible dans The Angel of the Odd car la problématique englobée, moins impressionnante, n’occupe pas tout le champ de conscience du lecteur. La métaphore qui la fonde est aussi plus exacte. La folie est coupée de la réalité alors que le rêve s’en nourrit.

Annuler la réalité des actions sitôt racontées passe mieux à l’écrit qui ne suscitent que des images mentales, qu’à la scène où les actions sont incarnées. C’est l’une des raisons qui ont poussé Coli à décomposer la voix narrative. La prise de parole immédiate du récitant produit un effet similaire à celui que ressent le rêveur : étrangeté (car pourquoi décrire ce que l’on voit ?) et normalité (puisque Coli n’a pas prévu d’ouverture pour ménager une transition entre l’espace social ordinaire et l’espace dépragmatisé de la représentation). Le public est plongé d’emblée dans une immersion fictionnelle qui lui fait ressentir les émotions du personnage et le rend incapable de distanciation. Il en sera réveillé à la fin par la description de la prise de conscience du rêve, que Coli a confié au narrateur et qui rétablit instantanément la feintise ludique partagée90.

Comme pour The Tell-Tale Heart, Poe a programmé la lecture étoilée des codes transversaux en s’appuyant surtout sur le code sémique et le code symbolique et un peu moins sur le code culturel. Leur décodage est soumis au même paradoxe que celui des codes narratifs, puisque leur transversalité est devenue la norme. Il passe par la distinction entre les associations qui relèvent de la dépendance au genre et celles qui mettent sur la voie de la métareprésentation.

Le comique de mots est le résultat de la projection du registre comique sur le code sémique. De tous les procédés de comique verbal présents dans The Angel of the Odd, le baragouin est le plus voyant. Il est fréquent au XIXe siècle (Balzac l’emploie pour faire parler le baron de Nucingen). Il implique le code sémique mais aussi, avec son relent de xénophobie, le code culturel. Il excède l’effet comique par son pouvoir destructurant, tremplin pour la syllabation du texte chanté, et, pour les seuls anglophones, par sa fonction devinette métalinguistique, plus ludique que comique.

Le jeu de mots a l’inconvénient d’être souvent intraduisible, comme celui sur les sens du verbe to help : 1- aider, 2- servir. Lorsque le narrateur crie « Help » (« À l’aide ») pour demander à l’ange de remonter la corde à laquelle il s’est agrippé, celui-ci lui répond « Elp !-Not I, -Dare iz te pottle, elp yourself, und pe dam’d !91 ». Coli souligne le quiproquo en faisant reprendre par l’ange l’appel au secours sur la même seconde sol-fa que le narrateur, une octave plus bas. Par précaution, il a glissé en amont une traduction universelle de « Help » : « Hallo »92.

Le passage où l’ange et le narrateur débattent de la nécessité pour un ange d’avoir des ailes rappelle les disputes des pédants moliéresques. Coli, familier de Molière93, a caricaturé le ressassement en adoptant la tonalité simpliste de do majeur et en faisant réitérer une quarte descendante à l’ange (ré-la, mi-si) puis au narrateur (do-sol, do-sol)94.

La surdétermination textuelle à visée comique est toutefois moins importante que celle à visée poétique. La Kirschenwasser est à The Angel of the Odd ce que les dead watches étaient au Tale-Tell Heart. Elle relie l’ange à l’alcool (par la parophonie Kirche église/ Kirsch cerise, d’où alcool de cerise) et à l’eau (Wasser en allemand/water en anglais). Le thème attaché à ce liquide (sur l’arpège de labémol majeur) se fait entendre la première fois que l’ange le verse au narrateur qui lit l’étiquette de la bouteille95, et revient à la fin lorsqu’à son réveil le narrateur aperçoit l’étiquette sur une carafe vide96. Seule concession au comique, le double sens du conseil de l’ange au narrateur : « you mos put de water in te wine97 ». Pris au sens propre, c’est une allusion autobiographique à mettre au compte de l’autodérision. Pris comme jeu de mots, il n’est plus dérisoire. C’est la formulation d’un art poétique qui fait reposer la création artistique sur la gestion des contraires. Aussi Coli fait-il chanter ce conseil à l’ange sur le thème qui le désigne dans l’opéra comme le maître du hasard.

Le « odd » qui spécifie l’ange est le centre d’une autre nébuleuse sémique qui englobe les reformulations de la controverse philosophique. Le fait surprenant est qualifié d’abord d’« accident » imaginaire (« in Cocaigne ») puis de « odd accident », ce qui est une forme de reconnaissance ; « natural accident » amorce le déni qui culmine avec « trivial incident ».

En revanche, la reprise de certains sèmes du Tell-Tale Heart, quand elle est perçue – ce qui est le cas lorsqu’on lit les deux nouvelles ou qu’on écoute les deux opéras à la suite – produit un effet à la fois comique, parce qu’elle est inversée, et poétique, parce qu’elle est distante. Le narrateur de la première nouvelle se dit « nervous, very, very dreadfully nervous », celui de la seconde « by no means naturally nervous ». Ils utilisent les mêmes insultes (« Villains » pour les policiers qui font semblant de ne pas entendre le battement du cœur révélateur, « villain » pour l’ange sourd à l’appel à l’aide du narrateur). Dieu est invoqué comme : « Almighty God » dans la première nouvelle, et « Mein Gott » dans la seconde. Seul change le registre de langue, élevé dans The Tell-Tale Heart, bas dans The Angel of the Odd.

Cette inversion intertextuelle touche aussi le code culturel et le code proairétique (les macrostructures narratives des deux nouvelles reposent sur le même carré sémiotique inversé98). Toutefois, c’est dans le code sémique que l’inversion se perçoit le mieux. On tient là sans doute l’explication triviale du mythe critique qui situe l’origine de la parodie dans des centons comiques composés de vers de tragédie99.

Les principaux symboles qui relèvent du registre comique sont le travestissement burlesque de l’ange et la symbolique autobiographique autodérisoire de Poe. Musicalement, la présence de l’ange renvoie à l’oratorio100 mais son physique est arcimboldesque et son discours carnavalesque. Poe ne le féminisait que métaphoriquement, en comparant sa bouche à « the mouth of a very precise old maid101 ». En en faisant une attrayante jeune femme, Coli passe du travestissement burlesque à la parodie102.

L’autodérision s’appuie sur des symboles animaux que les allusions autobiographiques instituent en doubles de l’auteur. L’ange compare le narrateur au cochon, animal traditionnellement associé à l’ivresse. Cependant, prononcé par l’ange « drunken as a pig » dévalorise autant celui qui l’émet que celui qu’il stigmatise. L’autodérision est une sortie par le haut de la culpabilité comme l’autoflagellation dans The Tell-Tale-Heart en était une par le bas.

Contrairement au cochon, les symboles aviaires n’ont pas été imposés à Poe par la vox populi. Il les a choisis. Ils sont comiques et métareprésentatifs. La grive qui chez les Romains était réputée s’enivrer avec les grappes fermentées restées sur la vigne, devient une corneille (crow) solitaire qui a quitté ses compagnes pour se gaver de grain macéré dans l’eau-de-vie. C’est une allusion à la fois à l’alcoolisme de Poe et au corbeau (raven), éponyme de son plus célèbre poème103. Celui-ci en répétant nevermore poussait le narrateur du poème au suicide en lui rappelant la mort de sa bien-aimée. En dérobant le pantalon du narrateur de la nouvelle, la corneille le détourne de son projet de suicide. Dans l’opéra, à cet instant, l’intention du suicide, exprimée senza nota (c’est-à-dire parlée), lugubre et adagio, est interrompue par un air sémillant104.

Le comique culturel du texte de Poe provient du mélange hétéroclite des cultures et des langues. Coli a laissé au récitant l’énumération des lectures du narrateur, inconnues pour la plupart du public du XXIe siècle. Il n’a mis en musique que les trois citations en langue étrangère. Poe les avait disposées à des endroits stratégiques, ce qui leur donnait de fait une dimension métareprésentative.

Avec celle de Gil Blas de Santillane : « beaucoup de bonheur et un peu plus de bon sens », l’ange congédie le narrateur à l’issue de leur première rencontre. C’est sur elle que Coli a choisi de poser le rappel du thème principal de TTH. Il a attribué un thème spécifique à l’expression allemande « Kirschenwasser ». La référence à Falstaff, lorsque le narrateur trouve à l’ange « a truly Falstaffian air » était une façon pour Poe d’avouer son emprunt aux Merry Wives of Windsor pour les tentatives de mariage malheureuses du narrateur et sa noyade105. Pour Coli elle évoque la fortune opératique de la pièce106. Le chœur final d’AO107 contient une allusion à la conclusion du Falstaff de Verdi : « Tutto il mondo è burlà108 ».

Le mot français « contretemps » est employé par le narrateur pour définir l’ange : « I gleaned from what he said that he was the genius who presided over the contre temps of mankind109 ». C’est une métaphore, le mot ayant été anglicisé dans son sens musical110. En faisant de l’ange un musicien satanique, il complète l’invite à la traduction-retour musicale du sous-titre An extravaganza. On comprend que Coli, qui a mis le contretemps au cœur de sa dynamique musicale111 y ait répondu.

2. 3. L’encodage hypertextuel

Le décodage prétextuel fait communiquer les univers de l’auteur de l’hypotexte et de l’auteur de l’hypertexte, l’encodage hypertextuel ceux de l’œuvre et de son public.

L’encodage culturel est la première préoccupation du créateur qui doit veiller à ménager de passerelles entre les savoirs actualisés par l’œuvre et le capital culturel de son public. La nouveauté d’AO par rapport à TTH est qu’il lui fallait attirer l’attention sur la gémellité des deux opéras. En quelques mesures (604-610) Coli résume le thème principal du TTH, en solennisant son auto-citation par un brusque passage d’allegro à adagio pour l’entrée de l’orchestre suivi d’un piu mosso solenne pour l’énonciation du souhait. Le dispositif fonctionne d’autant mieux que le souvenir auditif est proche, c’est-à-dire quand les opéras sont représentés d’affilée.

Transposer les savoirs liés à l’autobiographie de Poe était doublement risqué. Ils sont peu répandus et Poe s’est ingénié à les impliciter. À preuve le mythe de Coronis (corneille en grec)112, qui donne la clef de la transition du corbeau de The Raven, à la corneille de The Angel of the Odd. Lorsque le récit du vol du pantalon est chanté sur une mélodie délicate ponctuée par l’orchestre d’accords dissonants113, le public croit à une simple allusion au cri disgracieux de l’oiseau. De même le défilement du l’image d’un ballon au-dessus de la scène a peu de chances d’évoquer le Balloon Hoax, mais plutôt les versions cinématographiques du Tour du monde en 80 jours.

Pour le reste, les savoirs convoqués sont plus accessibles dans AO que dans TTH –l’expérience du rêve est plus banale que celle de la folie. Ils sont aussi valorisés par la démagogie du narrateur qui se moque de la culture lettrée : « du chinois », ce qui a inspiré à Coli un pastiche de la musique sérielle114. Cependant – équanimité comique oblige – il se moque aussi de la culture populaire, représentée selon lui par l’opéra, dont il brocarde les pratiques : celles des profanes qui le déforment en le fredonnant (à l’instar de l’ange), et celles des professionnels dont le vibrato déforme les paroles. Or Coli a toujours considéré le chant choral et l’opéra comme des vecteurs de démocratisation et de partage de la musique115. Pour désamorcer ces attaques, il emprunte à Carmen, l’un des opéras les plus joués au monde, le principe de la lallation116 et remplace la mention du bourdonnement de l’ange par un « Lal-le-ral-lal-re-lal-le-ral-là » chanté sur un motif ondoyant en rébémol majeur. Enfin il glisse des rappels de la Séguedille117 et de l’Habanera118 dans la diatribe du narrateur contre les hoax.

Le levier le plus efficace pour assurer la transmission de l’univers culturel de la nouvelle restait donc son garant musical, l’extravaganza. Dans ce genre, la référence la plus proche d’AO est l’opéra /oratorio de Maurice Ravel sur un livret de Colette : L’enfant et les sortilèges (1925). Il met en scène119 une suite de cauchemars et emprunte à la pastorale comme au ragtime.

Dans TTH, les pastiches de musiques anciennes ou modernes étaient tous utilisés à contre emploi pour souligner la démesure tragique. Dans AO, ils se compensent en vertu de l’équilibre comique. Le motif composé par Anton Karas120 pour The third man de Carol Reed (1950), cité deux fois, résume à lui seul cette philosophie : ni gai ni triste mais indécidable. La musique de film est un genre interculturel et interartial que Coli a lui-même pratiqué121. Les compositeurs évoqués dans AO sont aussi des passeurs : entre littérature et opéra comme Bizet (1838-1875), classique et jazz comme Gershwin (1898-1937), chant folklorique et mélodie comme Britten (1913-1976), ou fanfare et musique polytonale comme Ives (1874-1954).

L’encodage symbolique de AO associe l’ange, le journaliste, l’échelle et le ballon. L’ange est un mixte de Dionysos, dieu du vin et du théâtre (un maquillage qui noircit les dents des chanteurs et du récitant simule l’orifice buccal des masques antiques), d’Apollon (dieu de la musique mais aussi du soleil qui traverse le ciel sur un char attelé de chevaux ailés), et d’Euterpe si l’on prend en compte sa féminisation. Mais c’est aussi un ange gardien qui veille sur son protégé. Son costume et les allusions à Carmen en font également un symbole féministe. Carmen danse, boit le manzanilla et préfère mourir plutôt que de renoncer à sa liberté.

Le hoax, ancêtre des fake news, ancre AO dans le contexte du XXIe siècle. Allégorie de la grande presse, le journaliste le chante sur un thème grandiloquent en ré mineur122. Il est interrompu par un motif orchestral funèbre largo pesante qui dénonce l’ambivalence de la presse, ange gardien mais aussi fossoyeur de la démocratie. L’échelle et la corde coupée symbolisent l’une l’idéalisme dont l’ange biblique teste la force123, l’autre le retour au réel124. La mise en scène les condense en postant ange et narrateur sur l’échelle.

Le ballon relie l’ange, créature céleste, à la presse qui fait ses gros titres des exploits des aéronautes. Aujourd’hui, la banalisation du plus lourd que l’air a fait redécouvrir son ancêtre, la montgolfière. Coli souligne les aspirations dont il est porteur avec une montée chromatique syncopée lorsque l’ange lance la corde au narrateur125, suivie d’une descente symétrique lorsqu’il la tranche126. Cette symbolique loufoque rompt avec la symbolique chrétienne de TTH. Culpabilité, aveu et expiation font place l’insouciance, à peine troublée par l’émergence des techniques de l’information et de la communication.

L’encodage sémique gère le conditionnement musical des émotions. L’effet comique repose sur trois conditions : anormalité, distance et innocuité127. L’anormalité est le sujet de The Angel of the Odd. Les événements présentent donc les traits qui la caractérisent128, Coli indique la soudaineté de la perte de la vue du narrateur en accélérant le rythme con impeto, son irréversibilité en faisant marteler à l’orchestre l’octave de mibémol mineur, et son effet débilitant en faisant chanter à la victime une complainte qui évoque les Folksong arrangements de Britten129 (1943). Parallèlement au contenu, Coli hyperbolise l’expression de l’anormalité en augmentant le nombre des répétitions des mots qui la définissent « trivial incident » passe d’une occurrence à 9, « odd » de 21 occurrences à 53, et « natural accident » d’une à 135. Sans modifier la lettre du texte, il y puise la matière des chœurs qui les reprennent à l’unisson ou en canon130, parfois en simultané avec la récitation de l’événement131. Dans l’hypotexte, la répétition disqualifiait la thèse du narrateur. Dans l’opéra, elle devient un ressort comique qui assure la transition entre anormalité et mise à distance.

La mise à distance fait rire de ce qui prête à pleurer. Au plan du contenu, elle est produite par le procédé qui consiste à rendre les personnages antipathiques pour éviter qu’on s’apitoie sur eux. L’ange est violent et vaniteux, le narrateur alcoolique et coureur de veuves. Mais ils éveillent parfois la sympathie : le narrateur quand l’ange le force à boire, l’ange quand il guérit l’oeil du narrateur. Le changement de posture des personnages entraîne un changement d’opinion du public, c’est donc un facteur de curiosité. Coli conserve ces moments mais en limite l’effet. Il confie le récit du supplice au journaliste et s’il laisse au narrateur celui du soin ophtalmique, il l’accompagne du thème de la Kircherwasser qui rappelle son vice132. La mise à distance peut aussi provenir de l’expression. Dans AO le dispositif énonciatif a spécialement été conçu pour décentrer les points de vue. Coli le rappelle avec un gag qui, à un « ah ! » chanté par le narrateur fait succéder après un long silence le « said I » du récitant, puis, après un autre silence, un second « ah !133 ».

L’innocuité s’obtient en minimisant la portée des événements. Dans la nouvelle, le narrateur s’y essaie en édulcorant progressivement la définition de ce qui lui arrive. Coli recourt à l’hyperbole (déluge de sextolets pour le supplice de la Kirschenwasser134) et à l’ironie (reprise du motif funèbre de la mort du joueur de Puff the dart pour le deuil du premier projet matrimonial dont le narrateur se remet instantanément135). Mais le meilleur moyen de relativiser la gravité des événements dysphoriques est de ne pas s’y attarder. L’incendie est traité concitato (agité), la fin du dernier espoir de mariage con impeto (avec impétuosité), le vol du pantalon allegro, la vengeance de l’ange molto allegro.

La dédramatisation ne saurait se limiter aux émotions dysphoriques puisque l’adversaire du comique n’est pas la valence de l’émotion mais sa force. La rencontre avec la veuve136 est caricaturée par un thème exagérément solennel (Moderato Ballad Tempo) et racontée par l’ange, puis le journaliste à la 3e personne.

L’encodage proairétique aide le public à entrer dans la logique actionnelle des personnages. Or dans AO la seule véritable action est le rêve qui donne l’apparence d’une chronologie à une mosaïque d’associations et de symboles. Deuxième difficulté : en nivelant les effets des actions, la mise à distance en perturbe la hiérarchie. Troisième difficulté : l’écoute préalable de TTH peut compromettre la compréhension d’AO car les formes musicales associées aux actions n’ont pas la même fonction dans les deux opéras. Le light rock tempo de TTH et le ragtime molto allegro d’AO sont tous deux des genres à connotation euphorique appartenant à différentes époques du jazz. Mais le premier dépeint un sentiment contre nature : la joie du meurtrier, tandis que le second neutralise des émotions naturelles : la révolte ou la crainte que pourrait inspirer la brutalité de l’ange.

En classant les actions selon l’effort de compréhension qu’elles demandent, on obtient quatre catégories. La première et la plus accessible est celle des schèmes d’action stéréotypés qui constituent des réponses à des événements imprévus mais fréquents : mariage, incendie, suicide, horloge arrêtée. Ils nourrissent les péripéties du rêve et sont mimés tout en étant déclamés et/ou chantés.

Viennent ensuite les actions automatisées auxquelles l’intrigue redonne de l’imprévu comme la compréhension écrite des journaux ralentie par l’ébriété, la compréhension orale compromise par le baragouin de l’ange et son identification visuelle perturbée par son physique. Coli les fait décrire par le récitant et le narrateur en alternance, ce qui trouble le mécanisme habituel de l’écoute et suscite une impression similaire à celles décrites par Poe.

La troisième catégorie regroupe les actions ponctuelles imprévues : jets (de la salière à la tête de l’ange, des queues de raisin, de bouteilles, de la corde), libations forcées, coupure de la corde. Coli ralentit le tempo pour solenniser les gestes (54 à la noire la première fois que l’ange verse la Kirschenwasser137), ou bien passe la parole au récitant pour que les chanteurs puissent se consacrer au mime (combat avec l’ange et jet de la salière138). Cette idée lui a été soufflée par le dernier épisode de la nouvelle139 quand le narrateur épuisé par ses efforts pour attirer l’attention de l’ange ne peut plus parler et que celui-ci lui demande de lui répondre par gestes.

La quatrième catégorie est celle des scripts d’action dont la succession assure la macrostructure narrative : endormissement, rêve, réveil. Le problème qu’ils posent est celui de leurs limites, indécidables sauf pour le réveil final. La perte de conscience commence-t-elle lorsque le narrateur se rend compte qu’il ne comprend plus ce qu’il lit, ou lorsqu’il rencontre l’ange ? Se réveille-t-il lorsque l’ange le congédie, ou continue-t-il à dormir et rêve-t-il qu’il se réveille ? Coli a plaqué sur ces moments des ritournelles basées sur la répétition d’un motif simple, égal et varié, dont les dissonances endorment la réflexion tout en maintenant l’oreille éveillée. L’épisode des siestes à répétition en contient deux140.

Comme pour le rêve et la réalité, il est difficile de faire le départ entre personnage et non-personnage. Il y a quatre personnes sur la scène mais on ne peut reconstituer que deux schémas actantiels141 : celui du narrateur et celui de l’ange, eux-mêmes issus du schéma argumentatif142 qui sous-tend le récit. Chez Poe, le narrateur ouvre l’action en proposant la thèse selon laquelle tout a une explication rationnelle. Son énoncé suscite l’apparition de l’ange qui incarne la thèse opposée. En attribuant le texte du hoax au journaliste, Coli rajoute une étape. Opposant humain, celui-ci préfigure l’opposant divin qui va généraliser en loi l’exemple de Puff the dart. Il n’est pas confronté directement au narrateur et ne le sera jamais. Sa lecture du hoax s’intercale entre deux interventions du récitant143 et c’est le récitant qui relate la réaction de colère du narrateur. L’opposition métaphysique prévision VS hasard renvoie à la controverse esthétique contrainte VS inspiration, mais peu importe si le public n’accède pas au double fond du débat. L’essentiel est qu’il s’y intéresse en tant que Tiers, puisque le théâtre est une de ces situations « où les enjeux de l’échange argumentatif dépassent les partenaires directement impliqués144 ».

Les relations entre actions et personnages obéissent à trois logiques : celle de l’action ordinaire qui renvoie à l’univers de référence du public, celle du rêve qui correspond à l’univers fictionnel, et celle du genre extravaganza qui dévoile à la fin la programmation de l’œuvre. En précipitant le narrateur dans le vide parce qu’il ne peut pas mettre sa main droite dans la poche droite de sa culotte en signe d’allégeance, l’ange rembobine en un instant incendie, échelle, cochon, bras cassé, mariages ratés, tentative de suicide, vol de la culotte, remplacement par les manches de la veste et rencontre du ballon.

L’encodage herméneutique vise à entretenir la curiosité. Il s’appuie sur le suspense narratif et l’ambiguïté référentielle. Dans The Tell-Tale Heart, le premier est dominé et la seconde dominante. On s’attend au meurtre mais on ne sait s’il est réel ou fantasmé. Dans The Angel of the Odd c’est l’inverse. Le suspense domine grâce au déluge d’événements imprévus ; l’ambiguïté référentielle est limitée par les indices prouvant qu’il s’agit d’un rêve. Mais si l’on compare les opéras aux nouvelles, on s’aperçoit que Coli a chaque fois inversé les proportions des deux embrayeurs de curiosité. Dans TTH, il amplifie le suspense en ralentissant la préparation du meurtre et en dramatisant la montée de la crise de delirium, ce qui les rend plus réalistes et minimise l’ambiguïté référentielle. Dans AO, il affaiblit le suspense (par le rythme effréné de l’action et les répétitions des choeurs qui la commentent), et joue sur la confusion entre rêve et réalité.

Cette inversion n’est pas uniquement due au changement de registre puisqu’elle intervient dans les deux cas. Elle s’explique par le changement de medium et la volonté du compositeur d’y sensibiliser le public. Or Coli pratique une déconstruction-reconstruction de la narration opératique qui implique les trois dimensions de l’énoncé musical : macrostructures (actes remplacés par des cellules), médiostructures (motifs liés aux actions plus qu’aux personnages), microstructures (dissonances, cris, éclectisme des références musicales) ; ce qui est en soi un facteur de dépaysement. Pour AO, il a donc dû concilier sa propre “anormalité” stylistique avec l’anormalité thématique qu’elle était censée exprimer, sachant que pour susciter la curiosité, elle ne devait ni la calquer ni lui faire écran.

AO compte 33 cellules, quatre de plus que TTH, bornées par une introduction (non désignée) de 25 mesures de récitation et un Épilogue de 35 mesures. Comme dans TTH, les cellules coïncident avec la scansion narrative145 et assument deux fonctions : la focalisation sur un aspect de l’action et le décentrement des points de vue. Polyphonie oblige, les cellules monovocales (comme la 1, entrée du narrateur, la 6, entrée de l’ange, ou la 26 dans laquelle le récitant relate le saut dans le vide du narrateur) sont moins nombreuses que celles qui superposent les voix et/ou les font dialoguer. La fonction de chaînon discursif tend à remplacer ou à doubler celle de chaînon narratif. Le changement de cellule coïncide alors avec le changement de mode énonciatif. Le narrateur passe de l’envie de se suicider à la volonté de lutter pour sa survie en quatre cellules et autant de configurations énonciatives : la 25 (narrateur commenté par journaliste et ange), la 26 (récitant seul), la 27 (narrateur seul), la 28 (récitant superposé à ange et narrateur).

Une complexification qui a incité Coli à limiter la déstructuration interne des cellules par les changements de mesure et de tempo qui était systématique dans TTH. La cellule 33, celle du réveil, est celle qui comporte le plus de changements de mesure : 16. Mais on n’y trouve qu’un seul changement de tempo d’Esitando 70 à la noire à Adagio 54 à la noire. Il tire aussi un étonnant effet de symétrie de la répétition stricte dans les cellules 26 et 30, de la mesure (4/4), du tempo (150-154 à la noire), et du motif (un ragtime), confirmation auditive de leur complémentarité narrative : la 26 décrit la saisie de la corde lancée par l’ange, la 30 la retombée dans le réel.

Enfin, Coli a imaginé une structure intermédiaire entre la macrostructure du récit et la mésostructure des cellules : les lunga pausa, silences indépendants de la ligne musicale, égaux ou supérieurs à une mesure, qui permettent au récitant de réguler son débit. Il y en a neuf, deux intracellulaires (la 3 et la 4), sept intercellulaires. Elles favorisent l’audibilité de la récitation, au plan du contenu (quand la portion de texte à dire est riche en informations) comme de l’expression (en appuyant la démarcation entre deux cellules). Elles éveillent aussi la curiosité auditive en retardant l’énoncé d’un événement ou en interrompant les phrases.

AO compte trois types de microstructures narratives : les chœurs, les thèmes et les ritournelles. Elles sont régies par trois paramètres : nature, fonction et inversion comique. Commençons par la nouveauté par rapport à TTH : les chœurs. Il y en a quatre146. Les deux premiers reprennent les syntagmes « natural accident » et « trivial incident »), sur la même scie de trois notes. Ils neutralisent la différence que le narrateur tente d’établir. Les deux derniers reprennent des phrases » Before he could recover his sight, the lady of his love had disappeared » et « He now considered it high time to die ». La première a été découpée en protase (« the lady of his love ») et apodose (« had disappeared »), répétées séparément et à des moments différents par chaque chanteur, ce qui les enchevêtre. Une mélodie archaïsante et dolente homogénéise le tout, mais le tempo vif con impeto contredit sa valeur thymique. L’indication de caractère con comica drammaticità rattache ce choeur au travestissement burlesque (style bas, sujet noble). La seconde phrase est également découpée et ses composants séparés par des silences. Elle est répétée neuf fois sur le même rythme, piano, à l’unisson, senza nota (parlée) lugubre. Quatre chœurs, quatre fonctions : dérision, métareprésentation, travestissement burlesque et humour noir.

Le thème est un énoncé musical de sens complet (analysable en proposition-exposition-résolution), chanté et/ou joué par l’orchestre. Dans sa fonction proairétique, il éclaire les relations entre actions et personnages. C’est également le fondement de la mémoire musicale. Il donne accès à la construction de l’œuvre à travers le réseau des reprises intra et intertextuelles. Son rôle herméneutique est donc orienté à la fois vers la représentation et la métareprésentation. Parce qu’il est à la fois répétitif et descriptif, il joue aussi le rôle de régulateur thymique. Il transforme les sensations en impressions durables qui infléchissent la réception en mêlant ressenti narratif et ressenti musical.

Le nombre d’occurrences des thèmes décide de leur hiérarchie. Le thème principal affiche la valence thymique dominante, les thèmes secondaires jouent le rôle de contre-accents. Le thème principal de TTH est ample, lyrico-dramatique, de facture classique. Il apparaît trois fois. La première, le narrateur exprime son envie d’échapper à son obsession. La deuxième, il dit son soulagement de l’avoir fait. La troisième, il tente de se rassurer sur l’irréversibilité du résultat147. Il déstabilise le décodage proairétique en mettant l’accent sur l’anéantissement du personnage par la réussite de son projet. La répétition sert plus à le développer qu’à le citer.

Le thème principal de AO est court. Il apparaît 12 fois148 : huit lorsque l’ange intervient, deux quand le récitant le décrit, une qui combine la récitation et le souhait de l’ange au narrateur, et une quand le récitant relate la découverte de la panne de l’horloge qui confirme que l’ange est bien le maître du contretemps de l’humanité. Il est librement inspiré d’un thème de la Rhapsody in blue de Gershwin (1927) qui, dans cette œuvre est répété 13 fois d’où la persistance de son empreinte mémorielle. Coli en a prélevé un segment, la descente : fadièze-sol-mibémol-do-rébémol-do-sibémol-fadièze-sol-sibémol-sol-mibémol149. Il a conservé ce qu’il fallait de caractéristiques (intervalles, rythme, mode) pour qu’elle soit reconnaissable mais l’a détourée à coups de modulations, coupures, petits ajouts pour l’incorporer à son discours150. Cette technique qui tient plus du collage que de la citation a été popularisée par la musique post-moderne151. Omniprésent, ce thème fait de l’ange un principe, ce qui est une autre forme de dépersonnalisation. La juxtaposition des thèmes principaux des deux opéras152 grâce à la citation de celui de TTH fait percevoir leur opposition thymique et stylistique indépendamment des personnages qu’ils emblématisent.

TTH compte cinq thèmes secondaires, deux intertextuels (High noon et l’extrait de la marche funèbre de Chopin), trois intratextuels : un rythme swinguant à base de quintolets exposé par l’orchestre dans l’ouverture153 qui devient un chant de triomphe à la mort du vieillard154, un autre tout aussi guilleret qui accompagne le récit de la pénétration du meurtrier dans la chambre du vieillard155, et le thème conclusif156.

AO compte sept thèmes secondaires. Trois sont intertextuels : celui inspiré du thème du Troisième homme157, l’air de folksong associé à la perte de la seconde fiancée158, et le thème principal de TTH introduit avant la citation de Gil Blas et esquissé deux fois à la fin159. Des quatre thèmes intratextuels, deux, le thème de la veuve160 et celui de la seconde fiancée161, concernent des personnages éphémères et ne sont pas répétés. Mais ils sont contrastés. L’un est une ballade romantique, l’autre un menuet au rythme léger de croche pointée-double croche. Les deux autres, le thème funèbre162 et le thème de la Kirschenwasser163 apparaissent deux fois.

Les thèmes secondaires sont un facteur de diversification et de mise en relief. Ils assurent un tissage purement musical du fait que leurs valences thymiques varient en fonction des contextes et qu’ils ne sont pas directement associés aux personnages. De TTH à AO leur système se précise et complexifie, grâce notamment à la variation de la répartition des occurrences, proches ou lointaines ; remarque qui vaut également pour les ritournelles.

La ritournelle (en abrégé R) est l’“autre” du thème. Elle a un début, un milieu mais qu’elle soit longue164 ou courte165, elle donne l’impression qu’elle pourrait continuer indéfiniment. Elle peut être interrompue et reprise mais jamais bouclée.

Elle est constituée d’un motif simple166, répété strictement ou varié par inversion, modulation, déplacement d’accent. C’est un héritage du postminimalisme dans lequel l’aspect strictement répétitif de la musique minimaliste « a progressivement été oblitéré par la mise en jeu de variations de surface (timbres, rythmes, hauteurs) qui brisèrent une régularité devenue parfois exaspérante167 ».

Elle reprend parfois une forme musicale qui l’utilise déjà : fox-trot dans TTH ou rag-time dans AO168. Elle n’est pas chantée, mais jouée par l’orchestre soit seul, soit accompagnant le chant ou, dans AO, la récitation. Ses règles d’utilisation sont les mêmes que celles des thèmes : variation des valences thymiques, variation de la répartition des répétitions proches ou à distance. Toutefois les ritournelles sont plus nombreuses que les thèmes : 16 contre six dans TTH (mais il y a beaucoup de passages parlés) ; 12 contre huit dans AO, ce qui atteste leur importance dans l’écriture de Coli. Quatre font l’objet de reprises dans TTH, six dans AO. La ritournelle la plus reprise des deux opéras est celle qui introduit AO169. Elle véhicule l’impression d’endormissement jusqu’au second réveil. Dans THH déjà, la ritournelle de l’ouverture 1 était reprise dans l’ouverture 2170.

Les thèmes renseignent sur l’action et les personnages, les ritournelles sur les états et les ambiances. Ainsi la même séquence ascendante décrit les poussées de rage du narrateur contre le hoax et contre l’ange, et de l’ange contre le narrateur171. Plus proactives que les thèmes, elles agissent directement sur la perception musicale, puisque, à la différence des thèmes, il n’y a rien à attendre ni à retenir. Elles inspirent des émotions intrinsèquement musicales. Celle du démembrement dans TTH172 est glaçante non parce qu’elle illustre une joie satanique, mais parce qu’elle ressemble à une chanson enfantine. La série des arpèges à contretemps ponctuée par les appels au secours du narrateur à l’ange dans AO173 est tellement lancinante que le rag-time174 qui l’interrompt paraît libérateur.

C’est qu’à la différence du thème, la ritournelle n’est pas un embrayeur d’immersion. Elle ne fait pas partager l’émotion des personnages, elle la distancie en exerçant l’écoute musicale. Coli la conçoit en combinant la répétition avec la dissonance, qui fait entendre des accords composés de notes non consonantes, et la polytonalité, qui fait entendre simultanément des phrases harmoniques de tonalités différentes. De cette façon il exerce l’oreille du public à dissocier et associer les sons, à les identifier pour eux-mêmes et à prendre conscience des valences thymiques complexes que produit leur agencement contradictoire. Un entraînement à l’analyse musicale qui fait penser à celui que Charles Ives (1874-1954), le père de la musique moderne américaine, s’est imposé dans sa jeunesse, en chantant des mélodies dans une tonalité, tandis que son père l’accompagnait dans une autre175.

De par sa structure, la ritournelle met en abyme ce qui est la posture esthétique par excellence, la relecture senza fine de l’œuvre pour interroger la relation de décentrement réciproque que celle-ci instaure entre le créateur et le récepteur, posture qui a été celle de Coli par rapport à Poe, et par rapport à ses œuvres antérieures, dont TTH.

AO donne un aperçu plus complet de la grammaire colienne que TTH. Il permet aussi de situer les deux opéras dans l’œuvre de Coli. L’inversion comique y est dédoublée par le principe colien de l’équilibre sans cesse remis en jeu entre la narration et l’expression musicales. Cette logique créatrice fonctionnait déjà dans TTH, mais était en partie masquée par l’expressivité qui empêchait de voir dans l’hyperbole un marqueur d’ironie. Il met aussi en exergue l’originalité des deux opéras qui tient à la fois aux hypotextes tels que Poe les a conçus, à la lecture que Coli en a faite, et à la co-construction rétrospective qu’il a réalisé en composant le second opéra en fonction du premier.

Du diptyque à la co-création

La forme musicale du diptyque se développe à la charnière du XIXe et du XXe siècles lorsque le vérisme lance la vogue des opéras en un acte. Ils sont moins longs à composer, moins coûteux à monter et plus accessibles aux profanes. On prend donc l’habitude d’en représenter deux ou trois dans la même soirée plutôt qu’un seul grand opéra. Ils peuvent avoir des auteurs différents. Cavalleria rusticana de Pietro Mascagni (1890) et Pagliacci de Rugero Leoncavallo (1892) ont toujours été couplés à la scène et au disque. Tous deux mettent en scène la jalousie, l’un en milieu paysan sur le mode tragique, l’autre sur la scène avec un clown qui tourne sa douleur en autodérision. Ils posent une difficulté propre au diptyque : sa distribution. Deux opéras, même petits, exigent deux fois plus de chanteurs qu’un seul grand, à moins de trouver des interprètes susceptibles de chanter deux rôles différents d’affilée.

Ce ne sont pas les seules raisons qui expliquent la vogue des assemblages d’opéras en un acte. L’histoire de la composition d’Il Trittico de Giacomo Puccini (1918) le prouve. Puccini décide de remplacer le terme de théâtre « trilogie » qui désigne des pièces dont les sujets se font suite, par « triptyque » emprunté au vocabulaire pictural, pour désigner des opéras indépendants liés par une thématique mais pouvant être représentés séparément. Le Trittico rassemble trois pièces, tragique, lyrique et comique, autour d’un même thème : la mort176. Il a d’abord connu une phase diptyque, Puccini ayant sauté d’Il Tabarro à Giovanni Schicchi non seulement comme il l’affirme dans un quatrain adressé à son librettiste Giovanni Forzano177 pour se changer les idées, mais aussi parce que le registre fantastico-lyrique de Suor Angelica était plus délicat à manipuler que les registres opposés des deux autres pièces.

Le Trittico permet de resituer l’entreprise de Coli dans l’histoire de l’opéra. Il illustre la communauté de vue des deux compositeurs qui partagent la même volonté de former le public et de s’autoformer en associant des œuvres de registres différents. Il fait ressortir la spécificité de Coli qui tient moins à la nature des hypotextes, courts et empruntés au même auteur –Puccini a songé un moment à adapter trois nouvelles de Maxime Gorki178 – qu’à la décision de remplacer le livret par l’hypotexte.

Si nous pouvons conclure à ce stade que les deux opéras de Coli forment bien un diptyque, nous devons reconnaître que, chemin faisant, le focus de notre étude s’est déplacé d’abord sur la mise à jour par la lecture prétextuelle de Coli de la diptycité des hypotextes, puis sur l’injonction paradoxale que le diptyque fait peser sur l’encodage hypertextuel.

La création d’un diptyque endogène – par opposition au diptyque exogène qui combine des œuvres d’auteurs différents – comporte toujours une part d’auto-imitation. L’auteur est contraint de réinstancier le processus de création du premier volet et d’en évaluer la pertinence quand il entreprend le second. Il lui arrive de modifier le premier pour homogénéiser l’ensemble. Il s’agit là d’une « activité de modélisation des principes opératoires de l’activité imitée179 » qui, selon Schaeffer, distingue l’imitation structurelle de l’imitation superficielle. Poe et Coli s’y sont livrés l’un comme l’autre. L’originalité du second réside dans la radicalité de son imitation qui ne porte pas seulement sur la diptycité des hypotextes mais sur l’ensemble de leurs structures macro, médio et surtout micro.

Longtemps le plagiat, qui consiste à reprendre mot pour mot un texte sans en signaler l’auteur, a été condamné par la communauté littéraire. En le réhabilitant, les emprunts anonymisés de Lautréamont pour Les Chants de Maldoror et la fiction borgésienne de Pierre Ménard auteur du Quichotte, en ont facilité l’étude. Adapter un texte à une nouvelle situation est désormais considéré comme une preuve d’originalité. Que dire alors de la transposition musicale de Coli, dont l’originalité est bien plus visible (sur la partition) et surtout plus audible que le plagiat littéraire !

Pourtant, sur les titres des partitions, Coli non seulement rappelle le nom de Poe mais lui réserve le rôle principal : « THE TELL-TALE HEART /Edgar Allan Poe » et « Edgar Allan Poe’s THE ANGEL OF THE ODD/ An Extravaganza », avec, sur le côté et en dessous, la mention « Music by Bruno Coli180 ».

Comment interpréter cette intitulation ? Il ne peut s’agir d’une déclaration de l’emprunt puisque celui-ci est patent. On peut imaginer que Coli ait voulu indiquer la continuité entre les nombreuses musiques de scène qu’il a composées et les deux opéras. Mais ceux-ci sont de vrais opéras dans lesquels musique et drame sont intimement liés, et non parallèles. Nous optons pour une troisième solution : le « plagiat par anticipation », pour reprendre l’expression de Pierre Bayard181. Sur les partitions, documents destinés à la représentation, Coli a donné la préséance à Poe pour partager avec ses interprètes le sentiment qui était à l’origine de son projet : celui d’y avoir été prédestiné par Poe, comme si celui-ci avait écrit ses textes pour qu’il les transpose.

Les créateurs ont souvent l’impression de se reconnaître dans les œuvres de leurs prédécesseurs. Cela vient autant de la projection des préoccupations du présent sur la culture du passé que du besoin de se chercher une filiation quand on est soi-même en train de donner naissance à une œuvre. La particularité ici vient de ce que la filiation est interartiale et expose moins au risque d’imitation superficielle. Cependant au-delà des affinités électives que Coli s’est découvertes avec Poe, il faut retenir ce qui s’est passé durant la conception des deux opéras. La comparaison constante des décisions de Poe avec les siennes a instauré entre eux un véritable compagnonnage, co-création imaginaire qui a débouché sur des œuvres bien réelles.

Notes de bas de page numériques

1 Voir Jean-François Thibault, « Debussy’s Unfinished American Opera », dans Opera and the Golden West, ed. John Louis Di Gaetani and Josef P. Sirefman, Fairleigh Dickinson University Press, 1994.

2 Il a fait l’objet d’un enregistrement sous la direction de Georges Prêtre (EMI, 1984).

3 Cette rencontre entre Coli et la communauté des spécialistes de Poe devait inspirer à Stephen Raichman, directeur de l’Edgar Allan Poe review, présent au colloque, la première étude consacrée à l’opéra : Stephen Rachman, « "Here ! Here !", Poe and Bruno Coli's "The Tell-Tale Heart", Edgar Allan Poe Revie, Spring 2009, vol. 10 Issue 1, p. 36.

4 Désormais TTH. La partition nous a été fournie par le compositeur. Nous donnons les références en numéros de mesures (abréviation : mes.).

5 Désormais AO. La partition nous a été fournie par le compositeur sous forme de document de travail photocopié.

6 D’abord le 25 février 2016, au Théâtre Verdi de Pise, avec pour l’occasion, une nouvelle mise en scène du Tell-Tale Heart, puis le 30 juin 2016, au Théâtre Thalia de Budapest lors du ARMEL festival, enregistrement disponible sur http://www.premiereopera.net/product/the-angel-of-the-odd-the-tell-tale-heart-by-coli-budapest-2016/

7 Gregor Herzfeld, « Poe and “Gothic opera” », The Edgar Allan Poe review, vol. 16, N° 1, 2015, pp. 14-16.

8 Opéra de chambre d’une durée de 45 mn, créé en 1962, enregistré par l’orchestre de l’ORTF sous la direction de Daniel Chabrun en 1964.

9 Bruno Coli, Entretien avec Nicole Biagioli du 13-8-2008.

10 Traduction du passage en code-switching : « mais quand la musique et les mots naissent ensemble, alors tout va bien », Bruno Coli, Entretien avec Nicole Biagioli du 13-8-2008.

11 Roland Barthes, S/Z, Paris, Le Seuil, 1970, p. 25-37.

12 Jean-Marie Schaeffer, L’expérience esthétique, Paris, Gallimard, 2015, p. 246.

13 Cf. Gérard Genette, Palimpsestes, Paris, Le Seuil, 1982, p. 396-397.

14 « Il cuore rivelarore [...] è un racconto in prima persona, e, quindi, praticamente un monologo teatrale già bell’e pronto », (notre traduction : « Le cœur révélateur est un récit à la première personne et donc pratiquement un monologue théâtral déjà tout prêt »), Bruno Coli, Edgar Allan Poe in musica, 1 juglio 2010 https://www.vitapensata.eu/2010/07/01/edgar-allan-poe-in-musica/

15 Cf. Anne Ubersfeld, Lire le théâtre, Paris, Éditions sociales, 1991, p. 130.

16 Avant Coli, cette problématique a été traitée par Jean Cocteau et Francis Poulenc. En effet, La voix humaine (1959), intitulée tragédie lyrique, est basée sur un faux monologue-vrai dialogue. On n’entend que les répliques de la protagoniste à partir desquelles on infère celles de son interlocuteur. En revanche, La dame de Monte-Carlo (1961) est un vrai monologue pour soprano et orchestre.

17 TTH, mes. 563.

18 TTH, mes. 793.

19 TTH, mes. 805-806.

20 TT, mes. 1346-1348.

21 TTH, mes. 1145-1147.

22 TTH, mes. 402-404.

23 TTH, mes. 195-204.

24 TTH, mes. 1290-1292.

25 TTH, mes. 1304-1305.

26 TTH, mes. 1085-1093.

27 TTH, mes. 569-570.

28 TTH, mes. 794.

29 Francesco Cavalli, La Calisto, avec le Concerto Vocale et René Jacobs, Harmonia mundi HMC 90515/17.

30 TTH, cellules 27à 29 : mes. 1295-1422.

31 Béatrice Ramaut-Chevassus, Musique et postmodernité, Paris, PUF, 1998, p. 101.

32 Notre traduction : « Dans le théâtre lyrique, un choix de ce genre a très peu de précédents. L’adoption intégrale d’un texte littéraire comme matériel unique pour être mis en musique et représenté sur scène, à part Le combat de Tancrède et Clorinde de Monteverdi, et quelque autre cas rarissime, ne fait pas partie de la pratique habituelle du processus de création opératique », Bruno Coli, Edgar Allan Poe in musica, 1 juglio 2010 https://www.vitapensata.eu/2010/07/01/edgar-allan-poe-in-musica/

33 TTH, mes. 1154-1157.

34 Notre traduction : « Il n’y a aucun doute. Poe ne joue pas avec l’ambiguïté. Son choix n’est pas un hasard. La folie du protagoniste est une donnée évidente et irréfutable. Chacune de ses phrases le confirme », Bruno Coli, Edgar Allan Poe in musica, 1 juglio 20 10 https://www.vitapensata.eu/2010/07/01/edgar-allan-poe-in-musica/

35 Notre traduction : « après avoir lu le texte en langue originale, je suis resté tellement fasciné par la beauté et la musicalité des paroles du poète américain que j’ai décidé de le mettre en musique tel quel », Bruno Coli, Edgar Allan Poe in musica, 1 juglio 20 10 https://www.vitapensata.eu/2010/07/01/edgar-allan-poe-in-musica/

36 Notre traduction : « Sans la musique il ne serait pas possible de donner la sensation d’extrême lenteur de certains moments de la première partie, où sont racontées les longues heures d’attente à l’extérieur de la chambre du vieillard », Bruno Coli, Edgar Allan Poe in musica, 1 juglio 20 10 https://www.vitapensata.eu/2010/07/01/edgar-allan-poe-in-musica/

37 En français « horloge de la mort », « nom vulgaire des vrillettes (coléoptères du genre anobium, en raison du bruit régulier qu’elles font en attaquant le bois des meubles » (Larousse du XXe siècle, t. 3, 1930, p. 1069) ; en italien « orologio della morte ».

38 TTH, mes. 575-578.

39 TTH, mes. 1035-1138.

40 TTH, mes. 1254-1275.

41 TTH, mes. 147-153.

42 TTH, mes. 174-184.

43 TTH, mes. 1330-1338.

44 John Dewey, L’art comme expérience, Paris, Gallimard, 2016, p. 444.

45 Notre traduction : « [...] la récitation est entièrement soutenue par une excitation fondamentale, qui culmine évidemment dans les deux passages obligés, ceux dans lesquels notre protagoniste sent monter le crescendo irrépressible du bruit du cœur, c’est-à-dire au moment du meurtre et à la fin. », Bruno Coli, Edgar Allan Poe in musica, 1 juglio 2010 https://www.vitapensata.eu/2010/07/01/edgar-allan-poe-in-musica/

46 Notre traduction : « trois cloches de vache et deux cymbales suspendues frappées sur la cloche ».

47 En français Le train sifflera trois fois. Titre de la chanson : Do Not Forsake Me, O My Darling, en français : Si toi aussi tu m’abandonnes, paroles de Ned Washington et musique de Dimitri Tomkin, elle a obtenu en 1953 l’Oscar de la meilleure chanson originale.

48 La musique esthésico-centriste (d’aisthesis, « perception » en grec) s’est centrée sur la réception acoustique en réaction à la musique poiëtico-centriste qui met l’accent sur la composition. Elle estime que « le sonore conçu doit correspondre au maximum au sonore perçu », Jean-Jacques Nattiez, Le combat de Chronos et d’Orphée, Paris, Bourgois, 1993, p. 180, cité par Béatrice Ramaut-Chevassus, Musique et postmodernité, Paris, PUF, 1998, p. 83.

49 Algirdas Julien Greimas, Sémantique structurale, Paris, Larousse, 1966, p. 97.

50 Titre du quatre-vingt-troisième poème des Fleurs du mal de Baudelaire.

51 TTH, mes. 1434-1447.

52 Jean-Marie Schaeffer, L’expérience esthétique, p. 321.

53 TTH. mes, 1-61.

54 Notre traduction : « Quand […] cherchant un sujet pour un opéra à un seul personnage, je suis tombé sur The Tell-Tale Heart, je n’aurais jamais imaginé l’intérêt que mon choix allait susciter chez les passionnés d’Edgar Allan Poe », Bruno Coli, Edgar Allan Poe in musica, 1 juglio 2010 https://www.vitapensata.eu/2010/07/01/edgar-allan-poe-in-musica/

55 Cf. Jean-Marie Schaeffer, L’expérience esthétique, p. 206-207.

56 Notre traduction : « que peut-être, à un moment, il en vient à se demander si ce n’est pas l’interprète lui-même qui aurait perdu le contrôle », Bruno Coli, Edgar Allan Poe in musica, 1 juglio 2010 https://www.vitapensata.eu/2010/07/01/edgar-allan-poe-in-musica/

57 Roland Barthes, S/Z, pp. 26-27.

58 La « fluence » correspond à la facilité ou la difficulté avec laquelle nous traitons le contenu informationnel d’un stimulus ou d’une représentation », Jean-Marie Schaeffer, L’expérience esthétique, p. 322.

59 TTH, mes. 816-828.

60 TTH, mes. 354-379 : andante dolcissimo, leggermente stringendo, allargando, nuovamente stringendo un poco, allargando, un poco stringendo, poco più mosso, molto lentamente. En français : allant très doux, en pressant légèrement, en élargissant, un peu plus animé, en élargissant, en pressant un peu, un peu plus animé, très lentement.

61 Cf. Catherine Kerbrat-Orecchioni, Les interactions verbales, t. 2, Paris, Armand Colin, p. 39-155.

62 TTH, mes. 450-461.

63 « Je pénétrai hardiment dans la chambre et lui parlait avec courage », notre traduction.

64 TTH, mes. 1172-1177. 

65 Roland Barthes, S/Z, p. 29.

66 TTH, exposé du projet de meurtre : mes. 260-285, après le meurtre : mes. 841-872, après la vérification que le vieillard est bien mort : mes. 982-998.

67 Roland Barthes, S/Z, p. 29-30.

68 TTH, mes. 1445-1446.

69 TTH, mes. 755-759.

70 TTH, mes. 1288-1289.

71 On peut délimiter trois parties : répétition du meurtre (1-7), perpétration (8-20), passage de la dissimulation du corps à l’aveu (21-29).

72 « Pour que [le] sujet percevant devienne un sujet de conscience, c’est-à-dire un focalisateur, il faut que ces perceptions soient « représentées » par le biais d’un processus d’aspectualisation », Alain Rabatel, La construction textuelle du point de vue, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1998, p. 189.

73 Elle fait aussi référence à l’intertexte auctorial de Coli qui a composé un Esopo Opera Rock mettant en scène les fables d’Ésope en 1999.

74 TTH, mes. 1146-1158.

75 Il relie les deux registres lyrique et dramatique du film. Le shérif vient de se marier à une quaker pacifiste (interprétée par Grace Kelly), et refuse de partir avec elle lorsqu’on lui annonce qu’un hors-la-loi qu’il avait arrêté a été libéré et va venir avec ses hommes pour le tuer.

76 TTH, mes. 1207-1238.

77 TTH, mes. 1262-1264.

78 Tendances que l’on retrouve dans les caractéristiques de la musique postmoderne listées par Jonathan Kramer, « The Nature and Origins of Musical Posmodernism », In Postmodern Music/Postmodern Thought, J. Lochhead & J. Aunder eds., New York, Routledge, 2002, pp. 16-17.

79 The Power of Words, in The Science Fiction of Edgar Allan Poe, Penguin Classics, 1976, p. 174 : « Pendant que je parlais ainsi, l’idée qu’il existait un pouvoir physique des mots ne nous a-t-elle pas traversé l’esprit ? Chaque mot n’est-il pas un mouvement de l’air ? » (notre traduction).

80 Les neuf mois qui séparent la parution de The Angel of the Odd (oct.1884) de celle du Power of words (juin 1845), ne permettent pas de décider de la chronologie de leur composition mais expliquent leur socle conceptuel commun.

81 E. A. Poe, Tales of the Grotesque and Arabesque, Philadelphia, Lea and Blanchard, 1840.

82 Edgar Poe, Histoires grotesques et sérieuses, traduction de Charles Baudelaire, Paris, Michel Lévy frères, 1864.

83 Stravanganza est le titre de l’opus IV de Vivaldi (1712) qui rassemble 12 concertos pour violon et orchestre à cordes.

84 Cf. Richard Sassaman, “The Tell-Tale Hoax”, Air & Space/Smithsonian, 8(3), 1993, pp. 80-89.

85 Déformation soit phonétique soit lexicale en vue d’obtenir une apparence de langue étrangère alors que le texte reste décodable à partir de la langue de référence du locuteur et de l’allocutaire. Cf. Bernard Dupriez, Gradus, Paris, U.G.E., 1984, p. 88.

86 AO, mes. 1393-1408.

87 AO, mes. 616-657.

88 Que l’on peut traduire hors baragouin par : « Vous devez être soûl comme un cochon pour être assis là et ne pas me voir alors que je suis assis ici ».

89 Danièle Pierre, « L’élaboration secondaire du rêve. Un concept clef pour la rencontre transculturelle », Santé mentale au Québec, 31 (2), 2006, pp. 109–122. https://doi.org/10.7202/014806ar

90 Capacité du récepteur à distinguer la fiction du mensonge (feintise trompeuse) en faisant comme si la fiction était la réalité tout en sachant qu’elle ne l’est pas. Cf. Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Gallimard, 1999, p. 146-149.

91 Notre traduction, hors baragouin : « Vous servir ? Pas moi ! La bouteille est là, servez-vous vous-même et soyez damné ! », AO, mes. 1275-1282.

92 En précisant : « da qui in poi, fino alla fine della sequenza, ogni tanto gridando « Hallo » con voce flebile » (« à partir d’ici jusqu’à la fin de la séquence, en criant quelquefois « Hallo » d’une voix affaiblie »), AO, mes. 1192-1243.

93 Il a écrit des musiques de scènes pour Le Preziose Ridicole, Il Malato Immaginario et Il Borghese Gentiluomo ; https://www.teatronecessariogenova.org/tno-tda/chi-siamo/soci-fondatori/bruno-coli/

94 AO, mes. 463-471.

95 AO, mes. 564-581.

96 AO, mes. 1431-1438.

97 « il faut mettre de l’eau dans votre vin », notre traduction après débaragouinage.

98 Deux pôles contraires, vision et audition, et leurs contradictoires, non-vision et non-audition. Dans la première nouvelle, le lanceur du récit est l’œil aveugle, cause indirecte de l’obsession acoustique finale ; dans la seconde, c’est la voix de l’ange comparée à un bourdonnement d’oreille dû à l’abus d’alcool.

99 Cf. Gérard Genette, Palimpsestes, pp. 23-27.

100 Il y a un ange dans l’oratorio de Noël de Jean-Sébastien Bach (1734).

101 Notre traduction : « la bouche d’une vieille fille très chichiteuse ».

102 Rappelons avec Genette (Palimpsestes, p. 35) que « le travestissement burlesque modifie le style sans modifier le sujet » tandis que « la parodie modifie le sujet sans modifier le style ». Poe se moque de l’ange, Coli le transforme en entraîneuse.

103 Publié dans The New York Evening Mirror, le 29 janvier 1845, soit 4 mois après The Angel of the Odd, publié dans The Columbian magazine, en octobre 1844.

104 AO, mes. 1082-1115.

105 Dans la pièce de Shakespeare, Falstaff est contraint de se déguiser en vieille femme et de se cacher dans un panier de linge que les serviteurs déversent dans la Tamise.

106 Elle tient en trois dates : Falstaff ossia Le tre burle d’Antonio Salieri (Vienne, 1799), Falstaff de Michael Balfe (Londres, 1838) que Poe a certainement entendu (cf. Céline Frigau, « Le Falstaff de Manfredo Maggioni et Michael Balfe : façonner un opéra italien pour le public anglais », Revue LISA/LISA e-journal, vol. IX - n° 2, 2011, pp. 23-40), et Falstaff de Giuseppe Verdi (Milan, 1893).

107 AO, mes. 1470 : Verdi (sol-la-sibémol-sol-mibémol-ré-dodièze), Coli (sol-labémol-sibémol–sol-mibémol-rébémol-sol).

108 « Le monde n’est qu’une farce », notre traduction.

109 « Je concluais de ses propos qu’il était le génie qui présidait au contretemps de l’humanité », notre traduction.

110 Déplacement de l’accent rythmique obtenu en articulant un son sur un temps faible et en le faisant suivre d’un silence sur un temps fort.

111 Basée sur la confrontation du modèle rythmique de la musique classique (qui, sur une mesure à 4 temps, accentue les 1er et 3e), et de celui du jazz (qui accentue les 2e et 4e en recourant au contretemps et à son symétrique, la syncope, articulation du son sur un temps faible prolongé sur un temps fort). Cf. Alain Vulbeau, « Contrepoint – Le contretemps, mal à propos ou dans le rythme ? », https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2009-3-p age-21.htm

112 Nymphe aimée d’Apollon qui en devint jaloux lorsque le corbeau (corax) lui rapporta qu’elle lui était infidèle. Apollon la tua, puis la ressuscita en corneille lorsqu’il comprit que le corbeau l’avait trompé et punit celui-ci en noircissant son plumage (cf. René Ménard, Emblèmes et attributs des Grecs et des Latins, Paris, J. Rouam éditeur, 1884, p. 21-22). Les deux oiseaux renvoient à la musique et plus largement à l’art, sous ses deux aspects, noir (tragique) et blanc (comique).

113 AO, mes. 1082-1115.

114 AO, mes. 68-81. Il reprend les 12 notes de la gamme chromatique de do à si, sur des intervalles systématiquement renversés, en les séparant et en les articulant en alternance.

115 Il a composé une Cantata dei Mille en 2010 pour le 150e anniversaire de l’expédition des Mille de Garibaldi qui a été chantée par plus de mille écoliers gênois, et une Cantata pour célébrer l’anniversaire de l’unité italienne en 2011 chantée par plus de deux mille choristes. Dans le cadre de l’association du Teatro necessario, il a composé en 2006 pour la compagnie I scatenati (« Les enchaînés », dont les membres sont des détenus de la prison de Marassi) l’opéra-rap Billy Bud d’après le roman éponyme d’Herman Melville ; https://www.mentelocale.it/genova/articoli/72812-i-detenuti-di-marassi-in-billy-budd-marinaio.htm

116 « La aaaaaa-laa-laaaaa-la […] », Carmen, Georges Bizet, acte II, scène 17. AO, mes. 1217-1222.

117 Près des remparts de Séville…, Carmen, Georges Bizet, acte I, scène 10. AO, mes. 138-141.

118 L’amour est un oiseau rebelle…, Carmen, Georges Bizet, acte I, scène 5. AO, mes. 144-150.

119 Un enfant méchant s’endort et rêve que les victimes de ses mauvais tours se liguent contre lui, mais certaines intercèdent pour lui auprès de sa mère, parce qu’il a soigné un écureuil blessé dans la cohue. Quand il se réveille, il est devenu sage.

120 Joué à la cithare par le compositeur, il est bâti sur la répétition d’une suite de secondes mineures ascendantes et descendantes. Il a battu tous les records de l’histoire du disque à sa sortie. Karas le joua même devant le Pape et l’empereur du Japon ; http://www.slate.fr/story/104063/anton-karas-troisieme-homme

121 Pour la radio et la télévision, notamment comme co-auteur avec Ennio Morricone de la musique du film pour la TV Nana de Alberto Negrin ; http://www.paperplane.eu/wordpress-3/?page_id=32.

122 AO, mes. 87-114.

123 Dans la Bible, Jacob rêve qu’il emprunte une échelle pour rejoindre Dieu. Il en est empêché par un ange que Dieu lui envoie pour tester son endurance et avec lequel il se bat jusqu'au matin. The Angel of the Odd est un travestissement burlesque de cet épisode avec le narrateur dans le rôle de Jacob et l’ange du bizarre dans celui de l‘ange de Dieu.

124 La corde est un symbole d’union dans de nombreuses traditions, notamment la tradition maçonnique à laquelle Poe fait référence dans The cask of Amontillado.

125 AO, mes. 1305-1307.

126 AO, mes. 1381-1391.

127 Cf. Jean Émelina, Le comique. Essai d’interprétation générale, Paris, Sedes, 1991, p. 69.

128 AO, mes. 962-1015.

129 En particulier Little Sir William, Somerset Folk Song, proche par la mélodie et le rythme du motif de Coli. Cf. Benjamin Britten, Folksong Arrangements, volume 1 British Isles, London, Boosey and Hawkes, 1943, pp. 4-5.

130 Pour la phrase finale « Thus revenged himself The Angel of the Odd », mes. 1441-1474.

131 A natural accident sur « A huge hog needed scratching… », mes. 818-833.

132 AO, mes. 1041-1056.

133 AO, mes. 722-724.

134 AO, mes. 775-789.

135 AO, mes. 897-900.

136 AO, mes. 855-896.

137 AO, mes. 555-585.

138 AO, mes. 502-541.

139 AO, mes. 1333-1372.

140 Mes. 613-657. et mes. 659-669.

141 Ce schéma permet d’analyser les actions des personnages avec trois couples d’actants : sujet/objet, adjuvant/opposant/ destinateur/ destinataire. Cf. Yves Reuter, L’analyse du récit, Paris, Dunod, 1997, p. 30-33.

142 Ce schéma permet de décrire les échanges argumentatifs en distinguant le proposant qui lance le discours, l’opposant qui soutient le contre-discours, et le Tiers, qui s’intéresse à l’échange sans y participer directement. Cf. Christian Plantin, L’argumentation, Paris, Le Seuil, 1996, p. 26-27.

143 AO, mes. 85-87 et mes. 117-133.

144 Christian Plantin, L’argumentation, Paris, Le Seuil, 1996, p. 27.

145 On peut délimiter quatre parties : 1-lecture du hoax et première rencontre avec l’ange (1-15), 2-série d’endormissements et deuxième rencontre, l’ange inflige le supplice de la Kirschenwasser (16-19), 3-suite de mésaventures et troisième rencontre, l’ange enlève une poussière de l’œil (20-24), 4- suicide raté et quatrième rencontre de l’ange en ballon (25-33).

146 1 (mes. 732-753 et 818-842), 2 (mes. 932-935), 3 (mes. 971-1033), 4 (mes. 1060-1081).

147 1 : mes. 260-285 ; 2 : mes. 841-847 ; 852-855, et 861-875, 3 : mes. 984-998.

148 1 : mes. 205-208 ; 2 : mes. 209-214 ; 3 : mes. 247-249 et 251-252 ; 4 : mes. 400-407 ; 5 : mes. .441-443 ; 6 : mes. 474 et 487-493 ; 7 : mes. 550-554 ; 8 : mes. 604-606 ; 9 : mes. 681-687, 10 : mes. 768-769, 11 : mes. 1228-1240 ; 12 : mes. 1343-1346.

149 Première occurrence : mes. 13-14, George Gershwin, Rhapsody in blue arrangement pour piano seul, Paris, Editions Francis Salabert, s. d., p. 3.

150 Par exemple mes. 205-208 : ré-sibémol-sol-ré-fa-mibémol-ré-do-sibémol-do-ré-sibémol-sol.

151 Cf. Béatrice Ramault-Chevassus, Musique et postmodernité, Paris, PUF, 1998, p. 50.

152 AO, mes. 604-610.

153 TTH, mes. 91-108.

154 TTH, mes. 949-965.

155 TTH, mes. 536-540 et 547-561.

156 TTH, mes. 1444-1446.

157 AO, mes. 317-332 et 1162-1189.

158 AO, mes. 964-998.

159 AO, mes. 604-611, mes. 1450, mes. 1465.

160 AO, mes. 855-877.

161 AO, mes. 902-930.

162 AO, mes. 601-610 et mes. 897-901.

163 AO, mes. 566-581 et 1431-1438.

164 Ex : TTH, R1, 87 mesures (1-60 et 82-107) ; AO, R9, 80 mesures ((1123-1160 et 1243-1278).

165 Ex, TTH, R4, la plus courte des deux opéras, même mesure répétée cinq fois puis accord de résolution (mes. 501-506).

166 Arpèges descendants de deux fois quatre doubles croches sur une base d’octaves pour la TTH R3 (mes. 291-323) ; mesure de 8 croches suivie d’une mesure syncopée (croche-noire-noire-croche) pour l’AO R3 (mes. 380-389).

167 Béatrice Ramault-Chevassus, Musique et postmodernité, Paris, PUF, 1998, p. 36-37.

168 TTH, R13 (mes. 1207-1238) ; AO, R9 (mes. 1127-1160 et 1283-1330).

169 AO, R1, mes. 3- 21, 49- 54, 616- 657.

170 TTH, R1, mes. 1-60 et 82-107.

171 AO, R2, mes. 114-129, 502-517 et 522-537.

172 TTH, R11, mes. 1094-1134 et 1186-1193.

173 AO, R10, mes. 1192-1225 et 1243-1278.

174 AO, R9, mes. 1283-1330.

175 Cf. Charles Ives, notice wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Ives.

176 Il Tabarro met en scène un meurtre par jalousie sur une péniche à Paris en 1900 ; Suor Angelica le suicide au XVIIe siècle d’une religieuse qui apprend la mort de l’enfant qu’elle a conçu hors mariage, et, avant de mourir, a la vision de la Vierge qui lui ramène son enfant ; Giovanni Schicchi, dont l’argument est emprunté à Dante, des héritiers déshérités au profit d’un couvent qui, pour faire modifier le testament, recourent à un sosie du défunt, lequel en profite pour s’accaparer l’héritage.

177 « Après Il Tabarro, tout de noir teinté/Je ressens le désir de bien m’amuser/Vous ne m’en voudrez pas si, mon cher ami,/Je donne la primeur à Giovanni Schicchi », cité par Catherine Duault, dans « Triptyque de Puccini, la règle de trois. », Opéra on line.

178 Cf. Catherine Duault, « Triptyque de Puccini, la règle de trois », Opéra on line.

179 Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Le Seuil, 1999, p. 122.

180 Dans les bases de données, annonces et enregistrements, les opéras sont évidemment catalogués sous son nom, avec parfois la précision « su testo (musicato integralmente e in lingua originale) di Edgar Allan Poe ».

181 Pierre Bayard, Le plagiat par anticipation, Paris, Editions de Minuit, 2009.

Pour citer cet article

Nicole Biagioli, « Adapter Poe à l’opéra : le diptyque opératique de Bruno Coli, The Tell-Tale Heart (2004) et The Angel of the Odd (2014) », paru dans Loxias, 68., mis en ligne le 07 novembre 2020, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=9592.

Auteurs

Nicole Biagioli

Nicole Biagioli est professeure émérite de langue et littérature française au laboratoire CTEL, Université Côte d’Azur. Sémioticienne, elle étudie les transpositions interartiales entre littérature, musique et image. Didacticienne, elle s’intéresse aux savoirs d’expérience des écrivains et à leur transmission par les lectures croisées entre pairs et la pratique des ateliers d’écriture créative. En 2010, elle a publié un article sur l’opéra de Bruno Coli The Tell-Tale Heart, « опера бруно коли « сердце-обличитель » : как взаимодействуют литература и музыка ? » et co-publié avec Odile Gannier : Edgar Poe et la traduction (Loxias n° 28). En 2015, elle a publié avec Marijn Kaplan Le travail du genre dans les échanges épistolaires des écrivains, L’Harmattan, collection Le Thyrse.

Université Côte d’Azur, CTEL